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L’œil des expositions Portfolio Photomaton Jusqu’au 20 mai En Suisse Esthétique du Photomaton Mis en place en 1926 aux États-Unis, le principe du Photomaton a immédiatement séduit les artistes, au premier rang desquels les surréalistes, qui n’ont quasiment plus cessé de l’utiliser depuis. Bénédicte Ramade Jan Wenzel, Vorhang (Rideau), 2009, montage de quatre bandes de Photomaton, 41,7 x 31,7 cm. © Jan Wenzel/Kleinschmidt Fine Photographs. Dissection 40 L’œil Mars 2012 Jan Wenzel s’est pris de passion pour l’objet même qu’est la cabine de photomaton. Après avoir « squatté » celle d’une administration, il a fini par en acquérir une et en photographier le moindre rouage pour sa série Histoire instantanée. Naturellement, le rideau rouge n’a pas échappé à cette dissection amoureuse, élément du Photomaton qui a séduit d’autres artistes comme Naomi Leibovitz. L’œil des expositions Andy Warhol, Frances Lewis, 1966, acrylique et sérigraphie sur toile, douze panneaux, 162,5 x 167,6 cm, Lewis Foundation. © 2011, The Andy Warhol Foundation for the Visual Arts, Inc. Factory C’est la collectionneuse Ethel Scull qui est passée la première devant l’objectif d’un Photomaton public sur Broadway en 1963, avant que Warhol ne finisse par en installer un dans sa Factory. Par la suite, nombreux seront ses amis, ses collectionneurs, mais aussi les wannabe de passage à se donner des airs dans l’espace exigu de la cabine. Warhol se réservait ensuite de sélectionner la « bonne » image, de retraiter par sérigraphie ces portraits caractéristiques du pop art, machiniques et sériels, comme ici le portrait de Frances Lewis. Mars 2012 L’œil 41 PORTFOLIO photomaton Cindy Sherman, Untitled, 1975, épreuve gélatino-argentique, 30,5 x 20,4 cm, collection Musée de l’Élysée, Lausanne, courtesy of the Artist and Metro Pictures. Pastiche 42 L’œil Mars 2012 Avant que la photographe américaine n’amorce la série qui la rendra célèbre, Untitled Films Stills, elle s’est approprié l’esthétique du Photomaton en se travestissant, style fin des années 1930. Elle emprunte les traits de l’actrice Lucille Ball, héroïne du programme I Love Lucy dans lequel elle jouait une gourde incendiaire. Sherman en livre une version qui pastiche autant le look Harcourt qu’il ne célèbre les qualités réelles de la photographie automatique. L’œil des expositions Pour une histoire du photomatique ! Le Photomaton a innervé les pratiques de l’art du XXe siècle, jusqu’à légitimement pouvoir prétendre à sa propre esthétique dévoilée au Musée de l’Élysée à Lausanne. A Yves Tanguy, Autoportrait dans un Photomaton, vers 1929, épreuve gélatino-argentique, 20,5 x 3,8 cm, collection Musée de l’Élysée, Lausanne. vec « Derrière le rideau, l’esthétique du Photomaton », Clément Chéroux, conservateur au département photographique du Centre Pompidou, et Sam Stourdzé, directeur du Musée de l’Élysée, tissent une exposition palpitante sur les relations complexes d’une technique, d’une sociologie, d’un loisir, d’un art à une esthétique. Mise au point dans les années 1920 aux ÉtatsUnis par Anatol Josepho après bien des balbutiements techniques, la cabine de photographie automatique – d’un automatisme relatif puisqu’un opérateur doit rester à proximité pour régler les optiques et palier les caprices techniques – jouit très rapidement d’un vif succès. Le procédé et le prix – démocratiques – font le reste : tout le monde au même format, avec le même fond, les mêmes contraintes, la personnalité fera le reste. Son esthétique est une appropriation collective de ces petits faits divers photographiques, avec ses accidents, ses mines surprises, sa théâtralité de poche. Dès ses prémices, le Photomaton séduit les artistes, surréalistes en tête, ce que montre bien le catalogue. Le retour de la bande d’identité L’exposition offre deux axes majeurs. L’un est dédié à la machine en tant que telle avec son architecture – ce cubicule d’où émergent deux jambes anonymes ! –, ses bandes à la manière d’un petit film et son automatisme. L’autre axe est dévolu à la question de l’identité, l’image produite par le Photomaton Autour de l’exposition Infos pratiques. « Derrière le rideau – L’esthétique photomaton », jusqu’au 20 mai 2012. Musée de l’Élysée à Lausanne. Ouvert du mardi au dimanche de 11 h à 18 h. Tarifs : 7 et 3 e. www.elysee.ch À lire : le catalogue édité aux éditions Photosynthèses, 65 c. Et Raynal Pellicer, Photomaton, La Martinière, 35 c. répondant aux critères de l’identité judiciaire nomenclaturée par Alphonse Bertillon au XIXe siècle. Avec cette dernière notion viennent celles de la ressemblance, de l’introspection, de la norme et de la singularité. Depuis quelques années, le Photomaton, en passant au numérique, a perdu de son unicité, mais on voit ressurgir quelques spécimens à quatre vignettes distinctes en longue bande. Cette zone d’intimité et de narcissisme au milieu de l’espace public reste un lieu à part et fantasmatique jusqu’à l’érotisme. Apple n’a-t-il pas baptisé son application d’autofilmage « Photo Booth », cabine photographique ? Preuve que, derrière le rideau, le spectacle photographique et son esthétique modeste restent un objet de fascination, de collection compulsive, d’admiration et de défi à l’originalité. n B. R. Questions à… Clément Chéroux Conservateur au département photographique du Mnam L’engouement récent pour le Photomaton s’inscrit-il dans la réhabilitation historienne et esthétique de la photographie vernaculaire ? Un mot d’abord sur la photographie vernaculaire. Ce terme un peu barbare regroupe toutes les photographies (amateurs, de mariage, d’identité, médicales, documentaires, etc.) non produites dans le but de faire de l’art – ce qui ne veut pas dire qu’elles sont forcément exemptes de qualités esthétiques. L’engouement pour cette iconographie ne date pas d’aujourd’hui. Dès les années 1920, les avantgardes qui cherchaient à dépasser l’académisme ont trouvé dans cette iconographie les moyens d’un renouvellement du vocabulaire formel. Les surréalistes se sont passionnés pour les photographies anonymes et pour les Photomatons. Les constructivistes et les artistes du Bauhaus ont truffé leurs publications d’images amateurs ou de photographies documentaires trouvées dans la presse. Depuis les années 19601970 et, plus largement, depuis les années 2000, cette iconographie vernaculaire fait un retour en force dans le champ de l’art. Ceci pour deux raisons. Parce que cela correspond tout d’abord à un moment d’expansion économique pour cette photographie vernaculaire : les années 1960-1970 correspondent à l’explosion de la photographie amateur en couleur, les années 2000 au développement du numérique. Mais aussi parce qu’à ce moment-là les artistes se posent des questions (intimité, identité, protocole documentaire, etc.) dont l’iconographie vernaculaire permet particulièrement bien Mars 2012 de rendre compte. Automaticité = authenticité. Est-ce ce principe fondamental qui explique le succès du Photomaton ? Il y a sans conteste une poésie de l’automaticité. Elle repose sur l’idée chère à Roland Barthes de « la mort de l’auteur ». Ce n’est plus l’artiste mais la machine qui fait le travail. L’auteur disparaît derrière la toutepuissance technologique. Andy Warhol, qui est très bien représenté dans l’exposition, ne disait-il pas qu’il voulait devenir une machine ? Et c’est finalement tout naturel qu’il se soit emparé du comble de l’automatisme photographique : le Photomaton. Il arrive cependant au dispositif de dysfonctionner. Il en résulte une forme de poésie de l’automatisme qui vient alors se nicher dans ses failles, ses ratages et ses dérapages. Quoi de plus touchant qu’un Photomaton taché, flou ou mal cadré. L’œil 43