actualités – litige - Stikeman Elliott LLP

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ACTUALITÉS – LITIGE
MAI 2006
La Cour suprême établit que l’hôte d’une soirée privée
n’est pas responsable des gestes posés par un invité ivre
La décision récemment rendue par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Childs c.
Desormeaux, 2006 CSC 18, confère aux hôtes sociaux une garantie notable qu’ils ne seront
pas tenus responsables des gestes posés par un invité ivre envers, notamment, d’autres
usagers de la route. Dans un jugement unanime, la Cour a statué qu’en général, un hôte social
n’avait pas d’obligation de diligence envers les tiers blessés par un invité en état d’ébriété.
L’affaire en cause
L’affaire découle des événements tragiques survenus après une soirée organisée par Julie
Zimmerman et Dwight Courrier pour célébrer la veille du jour de l’An 1998, soirée où les
invités apportaient leurs propres consommations. M. Desmond Desormeaux, alcoolique
avéré, figurait parmi ceux-ci. La preuve produite lors du procès indique que
M. Desormeaux est resté environ deux heures chez ses hôtes, intervalle au cours duquel il a
consommé les douze bières apportées avec lui. Il a quitté la soirée tôt, après s’être disputé
avec un autre invité. En raison de son état d’ébriété, il a engagé sa voiture dans une voie
qui n’était pas la sienne et a provoqué un face à face avec un autre véhicule. L’un des
occupants de l’autre véhicule est décédé et une autre, Zoe Childs, a été grièvement blessée.
M. Desormeaux n’avait souscrit aucune assurance au moment de l’accident et ne possédait
pratiquement aucun actif.
Les décisions des tribunaux inférieurs
MONTRÉAL
TORONTO
OTTAWA
CALGARY
VANCOUVER
NEW YORK
Mme Childs a intenté une poursuite contre M. Desormeaux et contre les hôtes de la soirée
dans le but d’obtenir réparation pour ses blessures. Elle alléguait que les hôtes, Mme
Zimmerman et M. Courrier, avaient l’obligation légale d’empêcher M. Desormeaux de
conduire alors qu’il était ivre. Lors du procès, le juge Chadwick, de la Cour supérieure de
justice de l’Ontario, lui a donné raison en convenant que les hôtes avaient une obligation
de diligence envers Mme Childs et les autres usagers de la route. Reconnaissant qu’il
s’agissait d’une nouvelle obligation et d’un nouveau type de responsabilité, le juge
Chadwick a estimé que le critère à deux volets établi dans l’arrêt Anns c. Merton London
Borough Council, [1978] A.C. 728 (le « critère de l’arrêt Anns ») devait s’appliquer. Ce
critère oblige les tribunaux à évaluer : (i) s’il y a un lien suffisamment étroit ou un rapport
de « proximité » entre les hôtes sociaux et les usagers de la route qui justifie l’imposition
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d’une obligation de diligence; (ii) s’il existe dans l’affirmative, des considérations de politique générale
susceptibles d’écarter l’obligation de diligence.
Le juge Chadwick a conclu que les hôtes avaient une obligation de diligence envers Mme Childs aux termes du
premier volet du critère de l’arrêt Anns du fait qu’ils connaissaient les antécédents de consommation d’alcool
de M. Desormeaux, ce qui, selon lui, rendait raisonnablement prévisibles les blessures subies par Mme Childs à
cause des gestes posés par M. Desormeaux. Toutefois, le juge n’a pu conclure que les hôtes étaient légalement
responsables de la conduite de M. Desormeaux aux termes du deuxième volet du critère de l’arrêt Anns
concernant l’existence de considérations de politique générale, parce qu’il aurait été contraire à la politique
générale d’appliquer le droit de la responsabilité délictuelle de cette façon. À cet égard, le juge Chadwick a
précisé que le fait de reconnaître la responsabilité des hôtes sociaux mènerait à une multiplication des litiges,
puisque les hôtes figureraient parmi les défendeurs de poursuites chaque fois qu’un accident surviendrait à la
suite d’une soirée privée. Cette situation aurait des incidences sociales considérables menant à l’augmentation
des réclamations présentées aux termes des polices d’assurance des propriétaires, ce qui aurait
vraisemblablement pour effet d’augmenter les primes de l’ensemble des titulaires de police.
La Cour d’appel de l’Ontario a donné raison au juge de première instance quant à la non responsabilité d’un
hôte social; toutefois, elle a conclu, à la lumière des faits invoqués dans l’affaire, que les hôtes n’avaient pas fait
preuve de négligence, ce qui a rendu superflu l’examen du deuxième volet du critère de l’arrêt Anns concernant
les considérations de politique générale. La Cour d’appel a tenu compte du fait que lors de la soirée en cause,
les invités apportaient leurs propres consommations; par conséquent, les hôtes n’avaient à exercer aucun
contrôle sur le service d’alcool et, en outre, ne savaient pas que M. Desormeaux était ivre. Pour ces raisons, ils
n’avaient aucune obligation de diligence dans le cas à l’étude. Par contre, la Cour d’appel n’a pas exclu la
possibilité que les hôtes sociaux soient tenus responsables dans certaines circonstances :
[TRADUCTION] « La présente décision ne signifie pas que les hôtes sociaux
n’ont aucune responsabilité envers les usagers de la route blessés à la suite
d’un accident causé par un de leurs invités. Au contraire, je soutiens que les
hôtes de soirées privées sont responsables envers les tiers particulièrement
lorsqu’ils savent qu’un invité ivre conduira sa voiture et que, malgré cela, ils
n’interviennent pas de manière à protéger les autres automobilistes. »
La décision de la Cour suprême
Mme Childs a interjeté appel devant la Cour suprême afin que celle -ci détermine si la responsabilité des hôtes
sociaux devrait être reconnue en droit canadien au titre de la responsabilité délictuelle.
Dans le cadre de l’examen de cette question, la Cour a précisé que la responsabilité des hôtes sociaux serait
une nouvelle responsabilité délictuelle à laquelle les obligations de diligence existantes ne pourraient pas
s’appliquer. Elle a reconnu que même si des lois imposaient des obligations particulières aux hôtes
commerciaux (c’est-à-dire les propriétaires de restaurants et de bars), notamment celle de surveiller la
consommation d’alcool de leurs clients, d’importantes différences existaient entre les hôtes sociaux et les
hôtes commerciaux qui rendaient inappropriée leur application, abstraction faite de ces différences. Plus
précisément, la Cour a établi ce qui suit : (i) surveiller la consommation fait partie des fonctions de l’hôte
commercial, ne serait-ce que pour assurer le paiement de la facture; (ii) les paramètres des responsabilités de
l’hôte commercial ont été clairement énoncés dans les lois; (iii) les bénéfices que l’hôte commercial tire de la
vente d’alcool, soit ses profits, justifient qu’on lui impose l’obligation de surveiller la consommation d’alcool
dans l’intérêt public. Ces facteurs ne sont pas suffisamment pertinents dans le cas du lien qui existe entre un
hôte social et ses invités pour donner naissance à une obligation de diligence.
Dans le cadre de l’examen du premier volet du critère de l’arrêt Anns, la Cour a convenu que le lien qui
existait entre les hôtes et les automobilistes n’était pas assez étroit pour donner naissance à une obligation de
diligence. Compte tenu des faits en cause, les hôtes ne pouvaient raisonnablement prévoir les blessures
subies par Mme Childs. Le seul fait que M. Desormeaux avait des antécédents de conduite en état d’ébriété ne
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rendait pas raisonnablement prévisible la conduite en état d’ébriété et les hôtes n’étaient pas au courant du
fait que M. Desormeaux était ivre le soir de l’accident.
La Cour a par la suite précisé que même si la prévisibilité des blessures avait été établie, les hôtes n’auraient
pas été tenus de surveiller la consommation d’alcool de leurs invités. Ils étaient accusés de défaut d’agir dans
des circonstances où il n’y avait aucune obligation positive d’agir. De telles obligations ne sont reconnues et
imposées en vertu du droit canadien de la responsabilité délictuelle que dans des circonstances très limitées.
En général, elles ne s’appliquent que lorsqu’il existe entre les parties un lien particulier qui justifie leur
imposition. Par exemple, des obligations positives de diligence peuvent être applicables lorsque le défendeur
a en quelque sorte créé le risque de blessure et qu’il en a tiré avantage, lorsqu’il assume un rôle de bon père
de famille diligent et de contrôle à l’égard d’une personne ou lorsqu’il assume des fonctions publiques ou
agit dans un cadre commercial et qu’il a, dans ce contexte, le devoir d’agir avec diligence.
La Cour a jugé qu’aucun de ces cas précis ne s’appliquaient au lien unissant des hôtes et leurs invités. Les
hôtes sociaux n’agissent manifestement pas à titre public, ni ne jouent un rôle paternaliste envers leurs
invités. La Cour a, de façon similaire, rejeté l’argument voulant que la tenue d’un événement social privé ne
soit rien d’autre qu’un événement commun et ne puisse pas être considérée comme une « activité à risque ».
Elle a plutôt déclaré que les invités étaient les seuls responsables de leurs actes et que la personne qui
acceptait une invitation « ne laissait pas son autonomie à la porte ». La consommation d’alcool est un choix
personnel et, par conséquent, l’invité assume les risques liés au fait que son jugement soit altéré. Comme l’a
énoncé la Cour :
« [TRADUCTION] Le fait de donner une soirée où l’on sert de l’alcool —
ce qui est essentiellement le cas en l’espèce — ne suffit pas à établir que
l’hôte a participé à la création d’un risque pouvant donner naissance à une
obligation de diligence envers les tiers qui pourraient ensuite être blessés par
le geste d’un invité. L’hôte fournit un endroit où les gens peuvent se
rencontrer, se rendre visite et prendre de l’alcool, offert sur place ou apporté
par l’invité. Tout cela s’inscrit dans les paramètres reconnus d’une conduite
non dangereuse. Il faut plus d’éléments pour établir l’existence d’un danger
ou d’un risque commandant une mesure concrète. […] Qu’il suffise de dire
que le fait de donner, sans plus, une soirée où l’on sert de l’alcool ne permet
pas de conclure à la création ou à l’aggravation d’un risque au degré
nécessaire pour imposer à l’hôte une obligation de diligence envers les
membres du public qui risquent d’être touchés par la conduite d’un invité. »
Étant donné qu’une obligation de diligence n’a pas été reconnue en droit, la Cour n’avait pas
à examiner les considérations de politique générale invoquées en ce qui concerne la
responsabilité des hôtes sociaux aux termes du deuxième volet du critère de l’arrêt Anns.
Le statut de la responsabilité des hôtes sociaux au Canada
Les répercussions concrètes de cette décision comportent deux niveaux. D’une part, la décision protège les
hôtes d’une responsabilité floue, affirmant sans détour qu’une personne ne sera pas indûment liée par des
exigences irréalistes l’obligeant à « agir en police » auprès de ses invités, à surveiller la consommation
d’alcool de ces derniers et à évaluer leur état d’ébriété tout au long de la soirée.
D’autre part, le rejet de la responsabilité des hôtes sociaux protège les simples particuliers (particulièrement
les propriétaires de maisons) et leurs compagnie d’assurance, leur évitant d’être tenus responsables d’une
part disproportionnée des pertes provoquées par des conducteurs ivres. La reconnaissance d’une telle
responsabilité aurait mené à l’ajout systématique des hôtes de soirées ou d’événements privés aux poursuites
intentées contre des conducteurs ivres. En vertu des lois sur la responsabilité solidaire, qui permettent à un
demandeur d’obtenir gain de cause contre chacun des défendeurs désignés, cette situation aurait pu
injustement obliger les hôtes sociaux et leurs compagnies d’assurance à acquitter l’intégralité des frais liés
aux gestes posés par des personnes en état d’ébriété. De toute évidence, c’est ce qui se serait produit dans le
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cas à l’étude. Même si le juge de première instance a estimé que les hôtes n’étaient responsables qu’à 15 %
des dommages causés à Mme Childs, la réalité de la situation faisant en sorte que M. Desormeaux était
démuni, sans actif ni assurance et ne pouvait donc pas assumer sa part des dommages. Par conséquent, les
hôtes et leurs compagnies d’assurance auraient été tenus responsables de l’ensemble des dommages, malgré
leur part restreinte de responsabilité quant aux blessures de Mme Childs.
À la suite de la décision rendue par la Cour suprême dans cette affaire, le fardeau de la perte incombe en
totalité à la partie responsable des dommages, soit le conducteur ivre.
Il est important de noter qu’une affaire présentant des faits similaires au Québec pourrait ne pas mener à la
même décision.
En effet, le régime légal d’assurance public obligatoire du Québec en ce qui concerne les accidents de voiture
écarte complètement toute poursuite au civil contre le conducteur ivre et, à plus forte raison, contre l’hôte.
Si, toutefois, cette interdiction n’était pas applicable, par exemple si au lieu de provoquer un accident de
voiture, la consommation excessive d’alcool menait à une bagarre entraînant de sérieuses blessures, la Cour
devrait déterminer si l’hôte pouvait raisonnablement prévoir la blessure, auquel cas la responsabilité de ce
dernier pourrait être reconnue.
Le droit civil québécois n’est pas aussi restrictif que le sont les règles de common law en matière de
responsabilité délictuelle quant à l’imposition d’une obligation positive d’agir, chaque personne ayant
l’obligation générale de respecter les règles de conduite qui, selon les circonstances, s’imposent à elle,
comme le prévoit l’article 1457 du Code civil du Québec. À cet égard, l’article 2 de la Charte du Québec
prévoit également l’obligation de porter secours à une personne dont la vie est en péril.
Bien que la décision ultime de la Cour dans une telle affaire soit difficile à prévoir, il est probable que le
recours aurait également été rejeté en vertu du droit civil si les hôtes n’avaient pas connaissance de l’état
d’ébriété de leurs invités mais qu’en revanche, leur responsabilité aurait été reconnue s’ils en avaient
connaissance et pouvaient en prévoir les conséquences.
Pour plus de renseignements, veuillez communiquer avec votre personne-ressources chez Stikeman Elliott
ou avec l’un des auteurs nommés ci-après.
Alan D’Silva ([email protected]) et Nicholas McHaffie ([email protected]) ont agi à titre de
conseillers auprès de l’un des intervenants, le Bureau d’assurance du Canada, devant la Cour suprême du
Canada et sont membres du groupe de litige national de Stikeman Elliott.
Cette publication ne vise qu'à fournir des renseignements généraux et ne doit pas être considérée comme un avis juridique
©Stikeman Elliott S.E.N .C .R .L., s.r.l.

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