Les poux font de la résistance – Resistance of head-lice

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Les poux font de la résistance – Resistance of head-lice
Éditorial
Les poux font de la résistance
Resistance of head-lice
O. Chosidow (service de dermatologie, hôpital Henri-Mondor, Créteil)
L
a prévalence de la
pédiculose du cuir chevelu
est en augmentation,
touchant au moins deux cents
millions d’individus dans le
monde.
Il ne s’agit pas uniquement d’un
désagrément. Les enfants sont la
population la plus atteinte, pouvant
avoir prurit et impétigo, avec des
conséquences psychosociales
démontrées (fréquence plus élevée
de cauchemars).
Deux publications récentes montrent
des résultats préoccupants :
– l’utilisation exagérée d’insecticides
pourrait être un facteur de risque de
leucémie aiguë de l’enfant ;
– Bartonella quintana, l’agent bactérien de la fièvre des tranchées, classiquement transmis par le pou de
corps, a été trouvé sur des poux de
tête de patients en situation de précarité (sans poux de corps) – sachant
qu’il vient d’être démontré que le pou
de tête et le pou de corps avaient très
probablement une origine phylogénétique commune. Cependant, jusqu’à
présent, Bartonella quintana n’a pas
été retrouvé sur les poux de tête de
nos chères têtes blondes !
La seule revue systématique disponible (publiée en 1995 et ne prenant
pas en compte le problème de la
résistance) considérait que le traitement en première ligne devait être un
insecticide local, permé­thrine/pyréthrine ou malathion. Une lotion doit
être utilisée, en quantité suffisante,
en insistant sur la bonne observance.
Compte tenu du cycle du pou, une
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Images en Dermatologie • Vol. III • n° 3 • juillet-août-septembre 2010
seconde application d’insecticide doit
être systématiquement réalisée 7 à
11 jours plus tard pour tuer les lentes
des poux éclos dans l’intervalle
(les insecticides sont de mauvais
ovicides). Il faut traiter simultanément tous les sujets infestés (1) .
La transmission indirecte est peu
probable mais non nulle (laver le
linge au moins à 50 °C) [2].
Si, malgré un traitement bien
co n d u i t , d e s p o u x p e rs i ste n t
24 heures après l’application d’un
insecticide, cela suggère très fortement une résistance. Celle-ci a été
démontrée en France au début des
années 1990 (3) et confirmée depuis
dans le reste du monde. La résistance clinique et parasitologique
serait bien corrélée à l’existence
d’une mutation génétique, la mutation kdr (knock-down resistance)
[haplotype M815I-T929I-L932F]
entraînant une mauvaise action
neurotoxique de l’insecticide. En
d’autres termes, les poux deviennent insensibles à l’action toxique de
l’insecticide sur les canaux sodium
voltage-dépendants. Il existe également des mutations potentielles
pour le malathion. La mutation kdr
a été également confirmée génotypiquement dans le monde entier.
Un travail est actuellement en cours
à Paris pour déterminer sa prévalence.
Que faire en cas de résistance ? On
peut utiliser les produits locaux à
base de diméticone ou user de techniques de peignages répétés sur
cheveux humides (“bug busting”) .
Il s’agit d’alternatives aux insecticides, voire, pour certains, d’un
Éditorial
traitement de première ligne, même
si l’interprétation des essais thérapeutiques reste controversée (4) .
L’utilisation de traitements oraux
est possible. Il faut bien sûr contreindiquer formellement l’usage de
triméthroprime-sulfaméthoxazole.
L’ivermectine per os est un antiparasitaire largement utilisé dans
l’onchocercose, la filariose lymphatique, les helminthiases et la gale.
L’ivermectine est neurotoxique pour
le système nerveux du pou via le
système GABA-ergique. Les poux se
nourrissant de sang, le mécanisme
d’action est systémique.
Un essai non publié de phase II a
montré qu’une dose de 400 µg­/­kg
répétée à J1 et J7 était beaucoup
plus efficace que la dose de 200 μg/
kg. Nous avons réalisé un essai
randomisé double insu double
placebo comparant l’ivermectine
orale 400 μg­/­kg versus le malathion
en lotion à 0,5 % (5, 6). Les patients
inclus étaient “difficiles à traiter”,
déclarant un échec des insecticides
locaux dans les 2 à 6 semaines précédant l’inclusion dans l’essai. Il s’agissait d’un essai randomisé en cluster,
tous les sujets infestés d’une même
famille recevant le même traitement.
Tous les traitements étaient délivrés
sur site à J1 et J8, les patients recevant de manière aléatoire l’ivermectine 400 μg/kg (+ la lotion placebo du
malathion) ou le malathion à 0,5 %
(+ les comprimés placebo d’ivermectine). Le critère principal d’évaluation était le pourcentage de patients
n’ayant pas de poux vivants à J15,
selon une procédure standardisée de
peignage sur cheveux secs. 95,2 % des
patients sous ivermectine (378/397)
étaient guéris, versus 85 % (352/414)
sous malathion, avec une différence
de 10,2 % (IC95 : 4,6-15,7 ; p < 0,001)
en intention de traiter. L’analyse
per protocole confirmait ces résultats comme les résultats à l’échelon
cluster et à J2, J8, J22 et J29.
Il n’y avait pas de différence d’effets
indésirables entre les deux groupes.
Cette étude ouvre la voie au traitement oral de la pédiculose du cuir
chevelu dans les situations difficiles, c’est-à-dire en cas d’échec
des traitements préalables. Cependant, il n’y a pas d’autorisation de
mise sur le marché pour l’instant.
La bonne tolérance observée dans
le monde doit être nuancée par le
fait que la posologie requise est la
double et qu’il faudra donc exercer
une surveillance rapprochée. En
outre, il existe d’ores et déjà une
tolérance/résistance de l’agent de
l’onchocercose à l’ivermectine, et il
en serait de même pour le sarcopte
en Australie. Ces éléments plaident
fortement pour l’utilisation de l’ivermectine en deuxième, en troisième
ou même en quatrième ligne, après
échec de tous les pédiculicides
locaux disponibles. Finalement, il
serait souhaitable d’avoir des études
régulières d’épidémiologie moléculaire pour adapter la stratégie de
traitement au niveau individuel et au
niveau des écoles.
II
Références bibliographiques
1. Chosidow O. Scabies and pediculosis. Lancet
2000;355:819-26.
2. Izri A, Chosidow O. Efficacy of machine laundering
on head lice: recommendations to decontaminate
washable clothes, linens, and fomites. Clin Infect Dis
2006;42:e9-e10.
3. Chosidow O, Chastang C, Brue C et al. Controlled
study of malathion and d-phenothrin lotions for Pediculus humanus var capitis-infested schoolchildren.
Lancet 1994;344:1724-7.
4. Chosidow O. Bug busting for head lice: is it effective ? Arch Dermatol 2006;142:1635-7.
5. Chosidow O, Giraudeau B, Cottrell J et al. Oral ivermectin versus malathion lotion for difficult-to-treat
head lice. N Eng J Med 2010(10);362:896-905.
6. Chosidow O, Giraudeau B, Cottrell J et al. Ivermectin versus malathion for head lice. N Engl J Med
2010;362:2426-7;author reply 2427.
Conflit d’intérêts. Olivier Chosidow déclare avoir été
consultant pour les laboratoires Pierre-Fabre, avoir participé
à un symposium organisé par le laboratoire Pohl-Boskamp
et avoir reçu des honoraires de consultant des laboratoires
Johnson et Johnson au moment de l’essai.
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