Marché des contrats d`échange de taux d`intérêt en euros

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Marché des contrats d`échange de taux d`intérêt en euros
Eli M. Remolona
Philip D. Wooldridge
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Marché des contrats d’échange de taux d’intérêt
en euros1
De tous les marchés financiers, le segment des contrats d’échange de taux
d’intérêt en euros est l’un des plus importants et des plus liquides au monde.
En effet, la courbe de ces contrats s’impose comme référence sur les marchés
financiers en euros et sert même souvent à la tarification de certaines
obligations d’État. Toutefois, pour des raisons tenant à sa structure, il n’est pas
aussi liquide, en cas de tensions sur le marché, que les compartiments plus
vastes des titres d’État et des contrats à terme.
Volume et développement
Un contrat d’échange de taux d’intérêt consiste en un échange, entre deux
parties, de flux de paiements d’intérêts : habituellement, l’un calculé sur un
taux fixe et l’autre sur un taux variable. Seuls les flux nets sont payés ; le
principal notionnel servant de base au calcul des paiements ne fait pas l’objet
d’un règlement. Un accord de taux futur (ATF) équivaut à un contrat d’échange
de taux sur une période unique, avec paiement d’intérêts à l’échéance. Un
Doublement des
contrats d’échange
en euros depuis
1999
contrat d’échange peut aussi se définir comme un portefeuille d’ATF.
En termes d’encours notionnel, les dérivés de taux de gré à gré en euros
et en dollars EU sont les premiers marchés financiers au monde (graphique 1).
Pour l’euro, les contrats d’échange et ATF totalisaient €26 300 milliards à fin
juin 2002. Pour le dollar EU, le chiffre était à peine inférieur (€26 200 milliards).
Le marché des contrats d’échange de taux dans certaines monnaies
antérieures à l’euro, notamment mark allemand et franc français, était
important et en expansion avant même la création de la monnaie unique.
Depuis, il a quasiment doublé de volume (graphique 2), progressant nettement
plus vite que les marchés des obligations et des crédits en euros
(respectivement 40 % et 25 % environ entre fin décembre 1998 et fin juin
2002). Son homologue en dollars EU s’est développé à un rythme encore plus
soutenu (+170 %) ; bien plus restreint à la veille de l’union monétaire, il
affichait approximativement le même encours notionnel à fin juin 2002.
1
Les points de vue exprimés dans cet article sont ceux de leurs auteurs et ne reflètent pas
nécessairement ceux de la BRI.
Rapport trimestriel BRI, mars 2003
47
Marchés financiers mondiaux
Encours à fin juin 2002 ; en milliers de milliards d’euros
25
20
15
10
5
0
CE
euro¹
CE
dollar¹
Titres
dollar²
Prêts
euro³
CE
yen¹
Actions
EU4
Titres
euro²
Titres
yen²
Actions
euro4
1
Contrats d’échange ; encours notionnel. 2 Instruments du marché monétaire et obligations émis
3
Y compris prêts intragroupes et transfrontières.
sur les marchés domestique et international.
4
Capitalisation de marché, part des sociétés domestiques.
Sources : BCE ; World Federation of Exchanges ; données nationales ; calculs BRI.
Graphique 1
Instruments de référence
Les contrats d’échange en euros ont été favorisés par les activités de
couverture et de prise de position. Avec l’union monétaire, ils ont rapidement
acquis un statut de référence sur les marchés financiers de l’euro, évinçant
certains des repères précédents pour la détermination du niveau futur des taux
à court terme.
Le passage à la monnaie unique a entraîné une envolée des émissions
obligataires en euros, qui a elle-même stimulé les opérations d’arbitrage et de
couverture des émetteurs, courtiers et investisseurs. Les intervenants sur les
marchés européens ont commencé à utiliser les contrats d’échange de taux
pour couvrir leur portefeuille d’obligations non gouvernementales au début de
la décennie 90, plusieurs années avant que cette pratique ne soit suivie sur les
Les contrats
d’échange ont été
stimulés par les
opérations de
couverture ...
autres marchés (dollar EU notamment). À l’époque, les établissements
financiers constituaient les principaux émetteurs non publics en Europe : la
qualité du crédit était donc similaire sur les marchés des obligations non
souveraines et des contrats d’échange. Les intervenants sur les marchés
européens se sont ainsi habitués à couvrir leur risque de signature au moyen
de contrats d’échange.
La fragmentation des marchés des titres d’État européens a constitué une
incitation supplémentaire à opter pour les contrats d’échange à des fins de
spéculation et de couverture vis-à-vis des variations de taux. Le marché des
dépôts interbancaires non garantis a été l’un des premiers segments de l’euro
à s’unifier et cela a contribué à l’intégration rapide des marchés des contrats
d’échange, puisque ces instruments reflètent les anticipations de taux
interbancaires. Une courbe unique en euros est apparue quasiment du jour au
lendemain à l’avènement de l’euro. Par conséquent, il est relativement facile
de créer des positions courtes - en anticipation d’une hausse des taux - sur le
48
Rapport trimestriel BRI, mars 2003
... la fragmentation
du marché des
titres d’État
européens ...
marché des contrats d’échange, en choisissant le taux fixe payé. En revanche,
le marché des instruments garantis, notamment pensions (garanties
générales), a été plus long à sortir de sa segmentation d’avant l’union
monétaire. Des différences entre États européens (notation, système de
règlement, régime fiscal et conventions de place) continuent de faire obstacle à
l’intégration totale (BCE (2001b)). Par conséquent, il n’existe toujours pas de
marché unique des pensions (garanties générales) ; les intervenants doivent
encore préciser la nationalité de la dette publique utilisée comme sûreté (BCE
(2001a)), ce qui complique le recours aux titres d’État à des fins de couverture
ou de spéculation vis-à-vis des variations de taux.
... et des incidents
majeurs sur les
marchés
Le recours aux contrats d’échange a été renforcé par une série d’incidents
majeurs à la fin des années 90. Les événements liés à la quasi-faillite de LongTerm Capital Management en septembre 1998 ont mis en lumière les risques
inhérents à l’utilisation d’obligations d’État et de dérivés connexes pour couvrir
des positions sur d’autres titres (stratégie usuelle jusqu’alors chez les
courtiers, davantage sur le marché du dollar EU que sur celui de l’euro,
toutefois). Des problèmes de tarissement du marché pour les contrats à terme
sur obligations d’État allemandes, de 1998 à 2002, ont eu un effet similaire.
Une augmentation temporaire de la prime de rareté sur titres d’État en euros,
pendant l’adjudication des licences de téléphonie mobile de troisième
génération, en 2000, a également rendu les titres d’État moins intéressants
pour la couverture et la prise de position.
Forte expansion
des contrats
d’échange courts
sur EONIA
Les contrats d’échange dont le volet taux variable est référencé sur un
2
indice au jour le jour ont rencontré un grand succès comme instruments de
couverture et de prise de position sur les marchés financiers en euros. Basés
dans leur immense majorité sur EONIA - moyenne pondérée de taux d’intérêt
sur prêts interbancaires à 24 heures non garantis -, ils se concentrent
fortement sur les échéances inférieures ou égales à trois mois et passent
généralement pour la référence prépondérante dans le compartiment court.
Les banques, les fonds de pension, les compagnies d’assurances, les
organismes de placement en titres du marché monétaire et les fonds
spéculatifs les utilisent abondamment (BCE (2001a, 2002)). Ce type
d’instrument se négocie également dans d’autres grandes monnaies (surtout
dollar EU), sans avoir toutefois acquis un statut de référence sur ces marchés.
Ce statut, pour l’euro, se reflète dans les pratiques de tarification des
obligations d’entreprises, qui dépendent souvent, en outre, de la notation de
l’émetteur et de la nationalité de l’investisseur. Le coût est exprimé
généralement sous forme de prime par rapport à la courbe des contrats
d’échange, pour les obligations en euros des bonnes signatures, alors qu’il est
formulé directement en rendement pour les signatures de qualité inférieure.
Les contrats d’échange de taux s’utilisent aussi de plus en plus comme
2
Avec cet instrument, le volet taux variable est déterminé et payé uniquement à l’échéance.
Dans un contrat d’échange classique, en revanche, il est déterminé à une date de règlement
et payé à la date de règlement suivante, autrement dit il est fixé à l’avance et réglé à terme
échu.
Rapport trimestriel BRI, mars 2003
49
Produits de taux : volume des transactions
Moyenne journalière, en milliards d’euros
Total1
Euro
Contrats d’échange2, 3
Contrats à terme Euribor4
Titres d’État allemands5
Titres d’État italiens
Titres d’État français
Dollar EU
Contrats d’échange2, 6
Contrats à terme Libor
Titres d’État américains
Yen
Contrats d’échange2
Contrats à terme Libor
Titres d’État japonais
Dont : terme
Avril 1998
Avril 2001
Avril 1998
Avril 2001
112
260
...
1
...
99
...
202
198
76
404
150
316
195
14
...
110
130
6
15
54
156
...
...
...
253
...
396
465
54
958
63
16
...
28
...
...
83
...
29
111
195
26
32
1
2
Marchés monétaire, obligataire et dérivé ; inclut les contrats à terme.
Y compris accords de
3
4
LIFFE offre des dérivés sur contrats d’échange euro depuis mars 2001.
Avril
taux futur.
5
Marchés monétaire et obligataire
1998 : Libor mark allemand, Libor lire, Mibor, Pibor et Ribor.
(pour 2001, chiffres de janvier) : uniquement titres les plus négociés dans Euroclear ; ces chiffres
sous-estiment sans doute beaucoup le volume du marché au comptant. 6 Le négoce des dérivés
sur contrats d’échange dollar EU a commencé en octobre 2001 au Chicago Board of Trade, en avril
2002 au Chicago Mercantile Exchange et en juillet 2002 au LIFFE.
Sources : Euroclear ; FOW TRADEdata ; Futures Industry Association ; données nationales ;
calculs BRI.
Tableau 1
référence sur le marché du dollar EU (McCauley (2001)). Toutefois, cette
évolution est moins poussée : de nombreux investisseurs américains préfèrent
encore, par exemple, exprimer le rendement des obligations en dollars EU par
rapport à la courbe des obligations du Trésor.
En dépit de l’expansion du marché des contrats d’échange en euros, les
contrats à terme sur instruments des marchés monétaire et obligataire
continuent d’être largement utilisés pour la couverture et la prise de position.
Leur volume a fortement augmenté à l’approche du passage à la monnaie
unique et durant les années qui ont immédiatement suivi (tableau 1). Les
contrats Euribor 3 mois - Euribor constituant une moyenne tronquée des taux
interbancaires offerts sur dépôts à terme de la zone euro - du London
International Financial Futures and Options Exchange (LIFFE) sont de loin les
plus activement négociés sur les taux courts de l’euro. Les contrats Eurex sur
titres du gouvernement allemand dominent le compartiment long.
Intervenants
L’essor des contrats d’échange en euros s’est accompagné d’une
diversification des utilisateurs. À l’approche de l’Union économique et
monétaire, les transactions entre courtiers se sont développées : fin 1998, elles
représentaient 52 % de l’encours notionnel des produits de taux de gré à gré
50
Rapport trimestriel BRI, mars 2003
Des intervenants
de plus en plus
divers ...
(contrats d’échange et ATF). Depuis 1999, les opérations avec la clientèle ont
acquis une importance croissante (graphique 2) : fin juin 2002, elles s’élevaient
à 42 % de l’encours notionnel pour le secteur financier et à 7 % pour les
sociétés non financières ; sur le marché des contrats d’échange en dollars, les
... dont les
gouvernements
européens ...
... alors que
l’intermédiation
est concentrée
sur une poignée
de courtiers
chiffres correspondants sont respectivement de 41 % et 15 %. La part plus
réduite des positions entre opérateurs dans le segment du dollar (45 %, contre
51 %) s’explique notamment par une plus forte concentration : les opérateurs
couvrent une plus grande partie de leurs transactions par des positions
inverses en interne plutôt qu’avec d’autres courtiers.
Les gouvernements européens eux-mêmes ont commencé à utiliser les
contrats d’échange de taux pour la gestion des risques. Le gouvernement
français y recourt depuis octobre 2001 pour raccourcir l’échéance moyenne de
3
sa dette ; fin juillet 2002, il comptait un principal notionnel total de
€61 milliards, quelque 8 % de son endettement. Le gouvernement allemand
s’en sert pour réduire ses charges financières ; il est actuellement autorisé à
utiliser ce type de contrat à concurrence de €20 milliards, soit environ 3 % de
l’encours de sa dette. Les gouvernements espagnol, italien et néerlandais sont
aussi actifs sur ce marché. Cette présence a eu tendance à plafonner la prime
entre les rendements des titres d’État et des contrats d’échange, car les
gouvernements négocient des taux fixes reçus quand celle-ci augmente.
Si les intervenants se diversifient, le nombre d’intermédiaires diminue. Les
contrats d’échange se concluant dans leur immense majorité sur le gré à gré,
les courtiers jouent un rôle crucial. Comme les clients préfèrent habituellement
traiter avec des contreparties d’excellente qualité, la négociation a longtemps
été l’apanage d’une poignée d’opérateurs bien notés - généralement des
Dérivés de gré à gré : instruments de taux en euros
Type de contrat1
Contrepartie du courtier2
Accords de taux futur
Contrats d’échange
30
60
20
40
Autre courtier
Établissement financier
Clientèle non financière
10
20
0
1998
1
1999
2000
2001
2002
Encours notionnel, en milliards d’euros.
2
Juin 98
Juin 99
Juin 00
0
Juin 02
Part de l’encours, en %.
Sources : FOW TRADEdata ; Futures Industry Association ; calculs BRI.
3
Juin 01
Graphique 2
Devant le niveau et la volatilité des écarts de contrats d’échange, le gouvernement français a
temporairement interrompu son programme en septembre 2002.
Rapport trimestriel BRI, mars 2003
51
4
banques commerciales classées au moins double A . Ces dernières années,
l’intermédiation sur le gré à gré s’est concentrée davantage sous l’effet de
fusions et acquisitions ; par exemple, le groupe résultant de la fusion Chase
Manhattan-JPMorgan, en 2000, détenait environ 25 % du segment des dérivés
de taux. En ce qui concerne les contrats d’échange de taux en euros, les cinq
premiers opérateurs s’adjugeaient 48 % du volume en contrats EONIA au
deuxième trimestre 2001 et les vingt principaux courtiers 88 % (BCE (2002)) ;
d’autres segments sont apparus encore plus concentrés (60 % du volume pour
les cinq plus gros intervenants). La concentration est toutefois plus forte dans
le compartiment du dollar EU, où deux banques détiennent près des trois
quarts des dérivés de taux aux États-Unis et les cinq premières plus de 90 %.
Les banques dont le siège se situe dans la zone euro sont les opérateurs
les plus actifs sur le marché des contrats d’échange en euros : fin juin 2002,
leur part de marché se chiffrait à 46 % de l’encours notionnel (tableau 2). Les
banques allemandes viennent au premier rang (21 %), suivies des françaises
(15 %). Les banques américaines s’attribuaient 35 % des contrats d’échange
Contrats d’échange de taux1 : part de marché des principaux
courtiers
En % de l’encours notionnel ; chiffres de fin juin 2002
Pays du siège et courtiers2
Zone euro
Allemagne
Euro
Dollar
Yen
45,8
24,2
19,5
20,5
13,1
11,0
14,7
7,1
7,3
10,6
4,0
1,2
35,0
53,8
37,2
2,0
4,5
33,1
17,2
17,4
10,3
26 322
26 247
12 507
Deutsche Bank, Dresdner Bank, Commerzbank,
HypoVereinsbank
France
BNP Paribas, Société Générale, Crédit Agricole
Belgique, Italie, Pays-Bas
ABN AMRO, Rabobank
États-Unis
JPMorgan Chase, Bank of America, Citigroup,
Goldman Sachs, Merrill Lynch
Japon
Fuji Bank, Bank of Tokyo-Mitsubishi, Sumitomo Bank
Canada, Royaume-Uni, Suède, Suisse
UBS, Royal Bank of Scotland, Barclays, HSBC
Pour mémoire : encours notionnel,
en milliards d’euros
1
Y compris accords de taux futur.
2
Portefeuille égal ou supérieur à €1 milliard à fin 2001.
Sources : Swaps Monitor ; données nationales ; calculs BRI.
4
52
Tableau 2
Les entreprises d’investissement sont habituellement moins bien notées que les banques
(souvent A). À la fin des années 80 et au début de la décennie suivante, elles ont parfois créé
des filiales dérivés notées triple A, qui ne sont cependant jamais parvenues à conquérir une
grande part du marché.
Rapport trimestriel BRI, mars 2003
en euros, mais 54 % des contrats d’échange en dollars EU. Les banques
japonaises ne jouent qu’un rôle marginal, sauf dans le compartiment du yen
(33 %).
Tarification
EONIA et Euribor
sont les références
usuelles
De façon générale, la tarification des contrats d’échange de taux varie selon la
référence taux variable. Le rendement du volet taux fixe est censé intégrer les
anticipations relatives à l’évolution du taux d’intérêt pendant la validité du
contrat et le risque associé à la volatilité de ce taux. Dans le segment de l’euro,
le choix de la référence tend à dépendre de la durée du contrat (voir ci-avant) :
EONIA (qui a supplanté Euribor, la norme au lendemain de l’union monétaire et
jusqu’en 2000) pour les échéances courtes et Euribor pour le long terme. Les
sous-jacents, pour EONIA comme pour Euribor, sont les dépôts interbancaires
non garantis et reflètent donc un certain risque de signature. De fait, la plupart
des banques figurant dans les échantillons respectifs sont notées double A
(BRI (2001)).
Pour l’euro, la convention de tarification consiste à afficher le rendement
Les taux des
contrats d’échange
comportent une
prime pour risque
de contrepartie
qui détermine les paiements fixes, alors que, pour le dollar EU, ce rendement
est normalement exprimé en termes d’écart par rapport au titre du Trésor EU.
En conséquence, le prix d’un contrat d’échange 5 ans peut être affiché à 4 %
pour l’euro, sans autre précision, et, pour le dollar, à 50 points de base au5
dessus du rendement de l’obligation du Trésor EU correspondante .
Malgré leur statut de référence, les contrats d’échange en euros sont
assortis d’un rendement généralement supérieur à celui des obligations d’État
triple A de même échéance les plus liquides, tout comme les rendements des
contrats d’échange en dollars EU tendent à dépasser ceux des titres du
Trésor EU. Pour le 10 ans, par exemple, le taux fixe en euros se situait, fin
janvier 2003, à environ 20 points de base au-dessus du rendement du Bund
allemand (graphique 3). Ce surcoût s’explique par la prime de risque de
contrepartie souvent associée aux principaux courtiers. A contrario, une
détérioration de la solvabilité perçue de l’État peut réduire l’écart de
rémunération ; cela a été le cas en Allemagne, par exemple, lorsque le pays a
rencontré des difficultés budgétaires en 2001-02 (Artus et Teiletche (2003)).
Par le passé, un client pouvait atténuer le risque de contrepartie en
répartissant ses positions entre divers courtiers. Comme la concentration en a
Les sûretés se
répandent
réduit le nombre et que la notation des opérateurs restants a été abaissée, le
recours au règlement journalier et, plus encore, aux sûretés s’est répandu. La
généralisation de ces mécanismes d’atténuation du risque s’est traduite par un
resserrement et une plus grande stabilité des primes. Des sources de
perturbations peuvent néanmoins subsister. Ainsi, des interrogations sur la
solvabilité de plusieurs grandes banques américaines - certaines très actives
5
Pour être plus précis, la tarification en termes d’écart, dans le cas des contrats d’échange en
dollars EU, est classique chez les opérateurs de New York, tandis que la formulation en
termes de rendement est plus caractéristique des opérateurs de Londres.
Rapport trimestriel BRI, mars 2003
53
Courbe des contrats d’échange et prime
Prime à 10 ans2
Courbe des contrats d’échange
au 31 janvier 20031
États-Unis
Allemagne
France
5
Dollar EU
Euro
125
4
100
3
75
2
50
1
25
0
3m
1
2
1 an
3 ans
5 ans
7 ans
9 ans
0
Jan. 97
Jan. 99
Jan. 01
Jan. 03
Libor (3, 6 et 12 mois) ; volet taux fixe des contrats d’échange (durées supérieures) ; en %.
Taux du contrat d’échange moins taux de l’obligation d’État ; en points de base.
Sources : Bloomberg ; données nationales ; calculs BRI.
Graphique 3
sur dérivés - ont entraîné, en juillet 2002, un élargissement des primes sur
contrats d’échange en dollars EU et, dans une moindre mesure, en euros (BRI
(2002b)).
D’autres facteurs peuvent influer sur les primes, comme le niveau général
des taux d’intérêt et la pente de la courbe des rendements. Toutefois, la
logique économique de telles influences est difficile à expliquer et leur relation
tend à être instable. Par le passé, la liquidité a suscité des préoccupations,
mais elle est désormais telle, pour l’euro, que les rendements ne sont plus
tributaires de déséquilibres entre offre et demande.
Liquidité de marché
La liquidité des marchés européens des contrats d’échange, déjà élevée avant
l’avènement de la monnaie unique, a encore augmenté par la suite. Le recours
aux contrats de taux par certains intervenants à des fins de couverture et de
prise de position a eu un effet d’entraînement, déclenchant un processus
classique d’accroissement de la liquidité.
Un marché est liquide « lorsque les intervenants peuvent exécuter
rapidement des transactions de gros volume sans guère d’impact sur les prix »
(CSFM (2000)). La liquidité de marché présente au moins trois dimensions :
étroitesse (différence entre les prix acheteur et vendeur), profondeur (taille que
peuvent prendre les transactions sans modifier les prix du marché) et capacité
de résistance (rapidité avec laquelle les prix reviennent à leur niveau normal
après un déséquilibre temporaire des ordres).
Les données disponibles indiquent que les contrats d’échange comptent
parmi les instruments les plus liquides sur les marchés de l’euro, notamment
les contrats EONIA, qui viennent au premier rang (BCE (2001a)) et se
négocient régulièrement entre courtiers (pour des échéances allant jusqu’à
54
Rapport trimestriel BRI, mars 2003
Les contrats EONIA
constituent le
compartiment le plus
liquide du marché
monétaire de l’euro ...
3 mois) en montants de €2 milliards (voire davantage). Les écarts
acheteur/vendeur sont généralement de 1 point de base. L’étude triennale des
banques centrales sur les marchés des changes et dérivés (Triennial Central
Bank Survey of Foreign Exchange and Derivatives Market Activity) montre que
le volume journalier moyen des contrats d’échange de taux en euros (gré à
gré) a pratiquement doublé entre avril 1998 et avril 2001, pour atteindre
€231 milliards (BRI (2002a)). En 2001, le volume de ces instruments (ATF
compris) a dépassé celui de tous les autres produits de taux, en dehors des
contrats à terme standardisés sur instruments du marché monétaire,
obligations du Trésor EU et (sans doute) titres d’État allemands (tableau 1).
... mais les marchés
des titres d’État
sont plus liquides
dans le segment
long
Cette croissance semble essentiellement due aux contrats EONIA.
Au-delà de deux ans, le marché des contrats d’échange en euros ne
présente en revanche ni l’étroitesse ni la profondeur des marchés européens
plus vastes des titres d’État. L’observation montre que l’écart acheteur/vendeur
est plus important que sur titres d’État : 1 point de base pour les opérations
entre courtiers, contre moins d’un demi-point de base pour l’émission
allemande la plus récente. Les volumes demandés sont également plus
faibles : environ €100 millions pour les contrats d’échange 5 et 10 ans, contre
au moins €150 millions pour le placement le plus récent de Bobl et Bund : la
différence est bien plus nette encore pour les échéances plus longues.
De plus, la liquidité des contrats d’échange en euros semble plus portée à
se tarir dans les périodes d’extrême volatilité. Elle est inférieure à ce qu’elle
La liquidité résiste
moins bien aux
tensions sur le gré
à gré que sur les
marchés organisés
serait si ces instruments étaient négociés sur un marché organisé agissant
comme contrepartie centrale. Le risque de contrepartie revêt une importance
cruciale en période de volatilité, souvent caractérisée par la montée des
incertitudes sur la santé des établissements financiers. En conséquence, les
mécanismes de gestion du risque de contrepartie jouent un rôle considérable
dans la détermination de la liquidité de marché en phase de tensions (Borio
(2000)). Dès lors que la solidité financière du marché organisé est assurée, la
liquidité des instruments qu’il traite résiste mieux aux tensions que sur le gré à
gré (Borio (2000), CSFM (1999)).
Des mesures ont été prises pour favoriser une centralisation accrue.
Début 2001, London Clearing House, avec l’appui de plusieurs grands
courtiers, a commencé d’assurer la compensation et le règlement des contrats
d’échange de taux dans les principales monnaies. À peu près au même
moment, LIFFE a créé des contrats à terme sur contrats d’échange en euros
échéance 2, 5 et 10 ans ; ces produits ne représentent toutefois qu’une part
insignifiante des contrats d’échange (tableau 1). À l’opposé, les contrats à
terme constituent l’essentiel de l’activité dans le marché des titres d’État
allemands.
Perspectives
Il est difficile de savoir si les contrats d’échange vont continuer à se substituer
aux titres d’État comme référence et confirmer leur prépondérance pour la
prise de position et la couverture sur les marchés des valeurs à revenu fixe en
euros. Outre les préoccupations évoquées précédemment quant au risque de
Rapport trimestriel BRI, mars 2003
55
contrepartie, la participation à sens unique de gros intervenants (par exemple
gouvernements) peut faire redouter un mouvement idiosyncrasique des
rendements - autrement dit un accroissement du risque de base -, qui réduirait
leur efficacité en tant qu’instruments de couverture.
Les pensions pourraient finir par concurrencer les contrats EONIA en tant
que référence pour les échéances courtes en euros, comme elles se sont
imposées sur le marché du dollar EU. Elles connaissent en effet un essor
rapide en Europe et leur intégration progresse, stimulée surtout par les efforts
des intervenants pour limiter le risque de contrepartie. Le développement de
pensions tripartites - où le règlement et la gestion des sûretés sont délégués à
une chambre de compensation centrale - mérite d’être noté à cet égard, car il
permet de garantir une transaction à l’aide d’un panier comprenant même des
titres de moins bonne qualité et moins liquides (BCE (2002)). Dans le
compartiment long, les titres d’État restent des instruments de référence
attrayants, notamment grâce au très haut degré de liquidité des contrats à
terme sur valeurs du gouvernement allemand.
Références
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resserrement des spreads dans la zone euro », CDC IXIS, janvier.
au
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juillet.
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Francfort, décembre.
Banque des Règlements Internationaux (2001) : « The changing shape of fixed
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Banque des Règlements Internationaux (2002a) : Triennial central bank
survey : foreign exchange and derivatives market activity in 2001, Bâle, mars.
Banque des Règlements Internationaux (2002b) : « Vue d’ensemble :
aggravation et extension de la crise de confiance », Rapport trimestriel BRI,
septembre, pp. 1-12.
Borio, C. (2000) : « Liquidité de marché et tensions : aspects et implications »,
Rapport trimestriel BRI, novembre, pp. 38-49.
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Rapport trimestriel BRI, mars 2003
L’intégration des
marchés européens
des pensions
progresse

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