droit de la famille

Transcription

droit de la famille
5 JANVIER 2016 Nouvelle
formule
Hebdo
136e ANNÉE . NO 1
À la une
Les avocats à leur tour menacés d’ubérisation ?
Le vrai danger, c’est que les avocats deviennent dépendants des
plateformes qui s’offrent aujourd’hui sous le visage rassurant
d’innocentes vitrines. Le danger est aussi réel que l’existence de
ces sites apparaît inéluctable
Actualité
« En enfermant les mineurs
délinquants, on en fait des
exclus de la société qui
deviendront des bombes
vivantes »
entretien avec Dominique ATTIAS
Le business de l’expertise
judiciaire en matière de
dommages corporels
libres propos par Nicole CHABRUX
Doctrine
La réforme du droit des
contrats et le monde des
affaires : une nouvelle version
du principe comply or explain !
© FOTOLIA
par Mustapha MEKKI
Jurisprudence
Depuis un an, les sites de référencement d’avocats se multiplient sur Internet
Chronique de jurisprudence
de droit des contrats
par Dimitri HOUTCIEFF
Gazette Spécialisée
DROIT DE LA FAMILLE
SOUS LA RESPONSABILITÉ SCIENTIFIQUE DE
•Élodie MULON,
Avocat au barreau de Paris, associé, Mulon Associés
•Béatrice WEISS-GOUT,
Avocat au barreau de Paris, associé, BWG Associés
AVEC LA PARTICIPATION DE
Camille Anger, Arnaud Bautrait-Lotellier, Lou Ben Simon, Béatrice Bloquel,
Anne-Laure Casado, Olivia Cros, Valentine Darmois, Alice Depret, Laurie Dimitrov,
Bertille Ducene, Marion Galvez, Sarajoan Hamou, Delphine Hornecker, Sophie
Malbaut-Manas, Héloïse Malherbe, Niamh Ní Ghairbhia, Paula Peltzman, Julie
Pierrot-Blondeau, Isabelle Rein-Lescastereyres, Charlotte Robbe, Anne Sannier,
Clara Schlemmer-Bégué et Stéphanie Travade-Lannoy
www.gazettedupalais.com
Tr i b un e
RIEN NE SE PERD…
TOUT SE TRANSFORME
253a4
253a4
L
François Xavier CHARVET
Président du Conseil
d’administration de la Gazette du
Palais, avocat au Barreau de Paris
“
Les choses évoluent.
Et c’est ce qui fait toute
la saveur du monde juridique
et judiciaire
”
e rideau s’est baissé sur l’année 2015 avec ses discussions sur
l’avocat en entreprise et l’AJ, le vote au parlement de dispositions
sécuritaires, la loi Macron 1, les campagnes pour les élections aux
bâtonnats et/ou aux conseils de l’ordre, etc.
Et le rideau se lève sur 2016 avec de nouvelles discussions sur l’avocat en entreprises, sur l’AJ, le probable vote de nouvelles dispositions
sécuritaires, la loi Macron 2, de nouvelles campagnes pour les élections
aux bâtonnats et/ou aux conseils de l’ordre (souvent avec les mêmes
candidats déçus que la fois précédente), etc.
On prend donc les mêmes ingrédients et l’on recommence…
Malgré tout, les choses évoluent. Et c’est ce qui fait toute la saveur du
monde juridique et judiciaire. Si l’avocat demeure l’homme du contentieux, ses casquettes se multiplient au fil des ans. Tout comme le
magistrat qui est contraint de repenser sa façon de travailler face au
manque de moyens. Tous les acteurs du palais voient ainsi leur profession muter, mutation accélérée tant par le contexte économique que par
les nouvelles technologies qui bouleversent le paysage judiciaire.
C’est dans ce mouvement que s’inscrit la nouvelle formule de la Gazette
du Palais que vous tenez entre vos mains. Comme nous n’avons de
cesse de vous écouter, vous, nos chers lecteurs, nous avons gardé la
ligne éditoriale qui vous tenait à cœur : de l’actualité toujours (et même
davantage) au plus près de votre profession, des analyses juridiques
réactives de grande qualité ainsi qu’un temps spécifique dédié à une
spécialité en particulier. Toutefois, sensibles à vos attentes, nous avons
changé ce qui ne vous convenait pas : la forme. Jusqu’alors journal
tri-hebdomadaire, la Gazette du Palais devient ainsi une belle revue
hebdomadaire, haute en couleurs.
Vous retrouverez donc les mêmes plumes de qualité, la même quantité d’informations, les mêmes Gazette spécialisées, les mêmes
thèmes, tous choisis en fonction de vos préoccupations quotidiennes,
mais désormais concentrés en un seul numéro hebdomadaire, résolument plus pratique. Nous avions à cœur que la Gazette, qui entre
dans sa 136e année, conserve son ADN tout en devenant un véritable outil à part entière pour les praticiens. La forme se devait donc
d’évoluer pour servir le fond.
Une Gazette du Palais plus pratique, plus lisible, pour davantage mettre
en valeur un contenu au plus près de vos attentes : voici le souhait que
vous, lecteurs, avez émis et auquel nous avons ici le plaisir de répondre.
La Gazette du Palais se réjouit donc de se parer de ses plus beaux atours
pour vous accompagner dans cette année 2016, qui, nous l’espérons,
vous apportera de beaux dossiers comportant des questions juridiques
passionnantes ! •
253a4
G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1
3
S o m m air e
Actualité
■■Accès
Directeur honoraire : Jean-Gaston Moore
Président : François-Xavier Charvet
Directeur de la publication : Pierre-Yves Romain
Rédacteur en chef : Clémentine Kleitz
Rédacteur en chef adjoint : Iris Joussen
Rédacteurs : Catherine Berlaud,
Philippe Graveleau, Marie Rajchenbach
Assistante d’édition : Elsa Boulinguez
Assistante de direction : Evelyne Chelza
Direction : 12, place Dauphine 75001 Paris
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Rédaction : 70, rue du Gouverneur Général Félix Eboué
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Tél. : 01 40 93 40 00 / Fax 01 41 08 23 60
Courrier : [email protected]
Tarifs 2016
* Prix TTC au n°
Abonnés : n° normal : 15,32 €
+ frais de port
* Abonnement France (un an) :
Journal seul : 362,46 € TTC
Recueils + table seuls : 372,67 € TTC
Journal, recueil + table : 513,56 €
* Abonnement étranger (un an) :
Journal seul : 405 €
Journal, recueil + table : 621 €
Éditeur :
LA GAZETTE DU PALAIS – SOCIÉTÉ DU HARLAY
SA au capital de 98 460 €
Président : François-Xavier Charvet
Directeur Général : Pierre-Yves Romain
12, place Dauphine 75001 Paris
Internet : www.gazettedupalais.com
Twitter : @gazpal
Commission paritaire n° H 0518T83097
ISSN 0242-6331
Imprimé par Jouve 1, rue du Docteur Sauvé 53100 Mayenne
■■Les
aux CRFPA : l’examen unique est acté !
5
avocats à leur tour menacés d’ubérisation ?
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■■« En
enfermant les mineurs délinquants, on en fait des exclus
de la société qui deviendront des bombes vivantes »
entretien avec Dominique ATTIAS, vice-bâtonnière du barreau de Paris,
secrétaire générale de l’association Louis-Chatin pour la défense des droits
de l’enfant
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■■Le
business de l’expertise judiciaire en matière de dommages corporels
libres propos par Nicole CHABRUX
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Doctrine
■■La
réforme du droit des contrats et le monde des affaires :
une nouvelle version du principe comply or explain !
note par Mustapha MEKKI sous Proj. ord., 25 févr. 2015, portant réforme
du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations
■■Du
regrettable art perdu du secret
étude par Emmanuèle PIERROUX
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Jurisprudence
■■La
loyauté de la concurrence entre avocats : états des lieux
et prospective au détour de la validité d’une clause
note par Dominique PIAU sous Cass. 1re civ., 10 sept. 2015
■■Chronique
de jurisprudence de droit des contrats
par Dimitri HOUTCIEFF
■■Panorama
de jurisprudence de la Cour de cassation
■■Panorama
de jurisprudence du Conseil d’État
par Catherine BERLAUD
par Philippe GRAVELEAU
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31
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Illustration de la Gazette spécialisée sur la couverture :
Fanny Dallé-Asté / Da-fanny
Gazette Spécialisée
Toute reproduction, même partielle, est interdite,
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Projets d’articles : les manuscrits doivent être adressés par
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communiqués.
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DROIT DE LA FAMILLE
Sous la responsabilité scientifique de
Élodie MULON, Béatrice WEISS-GOUT
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Ac tu a l it é
254n0
254m9
La phrase
“ 254m0
Le chiffre
Je suis beaucoup plus
sûr que nous avions en urgence
besoin d’État
”
Fréderic Sicard,
à propos de l’état
d’urgence.
254n0
L’indiscret
1,5 milliard
d’euros
C’est le chiffre de
réserves pour les retraites
d’avocats accumulées par
les anciennes générations
pour les nouvelles.
(source : CNBF)
254m9
254n5
Pour cette promotion de la Légion
d’honneur du 1er janvier 2016,
aucun avocat parisien mais cinq
avocats provinciaux dans le « panier
de la Chancellerie », contrairement
à l’usage qui procède d’habitude
à un équilibrage. Une mesure de
rétorsion de la part de Christiane
Taubira, selon Pierre-Olivier Sur.
La ministre s’était publiquement
agacée de « propos mensongers »
tenus, selon elle, par le bâtonnier
de Paris, dans la crise de l’aide
juridictionnelle en octobre dernier.
254m0
Professions
Accès aux CRFPA : l’examen unique est acté ! 254n5
Le secrétaire d’État chargé de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, Thierry Mandon, a confirmé le 18 décembre 2015, l’accord intervenu entre son ministère et la Chancellerie sur le principe
d’un examen unique d’entrée aux CRFPA.
C’est un paradoxe. Alors que la matière juridique
n’est pas enseignée au lycée, c’est pourtant la première
formation choisie par les étudiants. C’est par
conséquent une filière importante.
À l’occasion d’une réunion du Conseil national du
droit organisée le 18 décembre dernier, le secrétaire
d’État chargé de l’Enseignement supérieur et de la
Recherche Thierry Mandon a rappelé qu’avec 210
000 étudiants, la filière juridique est la plus nombreuse
(15 % des effectifs), mais aussi celle qui connaît la
plus forte croissance (+12 % en 2015 contre 3 % en
moyenne dans les autres filières). Pour le ministre, la
filière « droit » est donc très importante et c’est la raison
pour laquelle il a voulu avoir un juriste, Thomas Clay,
à ses cotés en tant que conseiller personnel. C’est ainsi
qu’ont été identifiées plusieurs pistes de réformes :
La première consiste à renforcer dès cette année le
taux d’encadrement jugé insuffisant (actuellement un
enseignant pour 66 étudiants).
La deuxième réforme en cours d’élaboration porte
sur le master. « Tous les étudiants de M1 doivent
pouvoir accéder à un M2 » a déclaré le ministre qui
entend néanmoins solenniser l’accès à cette étape de
la formation universitaire. Par ailleurs, il attend la
décision du Conseil d’État sur le recours formé par
les étudiants contre les sélections à l’entrée du M2
– annoncée mi-février – afin d’avoir une base légale
stabilisée pour prendre un décret.
La troisième réforme porte sur le doctorat et
l’agrégation. « Il faut être pragmatique, je n’ai jamais
compris la question de la thèse en trois ans » a souligné
Thierry Mandon qui souhaite instaurer un système
intelligent, lisible et souple. Il pense également réviser
le nombre de thèses susceptibles d’être dirigées par une
même personne. S’agissant de l’agrégation, l’idée n’est
pas de réduire sa place, à l’instar de ce qui s’est fait en
économie et gestion, mais de la moderniser en ouvrant
la possibilité de présenter des publications en langue
étrangère et en avançant les dates de concours pour que
le jury ait plus de temps pour lire les travaux.
“ Les taux de réussite varient de 13
à 58 %, tandis que l’on dénombre pas
moins de 704 sujets d’examen différents
chaque année
”
Enfin, le ministère prépare une réforme de l’examen
d’entrée dans les centres de formation de la profession
d’avocat. « Nous avons travaillé extrêmement étroitement
avec la Chancellerie et nous avons dégagé une position
conjointe sur la création d’un examen national unique »
a-t-il déclaré. L’objectif consiste à simplifier et assurer
l’égalité d’accès à l’examen. À l’heure actuelle en effet les
taux de réussite varient de 13 à 58 %, tandis que l’on
dénombre pas moins de 704 sujets d’examen différents
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5
A ct u al i t é
chaque année. Les deux ministères ont donc décidé la
création d’une épreuve unique, organisée le même jour,
avec des critères de correction uniques. Les corrections
seront confiées à des jurys composés d’universitaires et
d’avocats. Le ministre a pris soin d’insister sur le fait
qu’en dehors de la création de cet examen unique, les
IEJ, dont il a salué a qualité du travail, conserveraient
toutes leurs prérogatives. Plusieurs points doivent encore
être discutés, par exemple le lieu de l’examen ou encore
la contribution financière qui sera réclamée aux avocats.
La réforme pourrait intervenir dès 2016 et devra être en
place au plus tard en 2017.
Quelques changements de bâtonniers
au 1er janvier 2016 254h3
il a fait partie du Bureau, au sein du conseil de l’ordre
où il a été élu en 2001 pour remplir quatre mandats,
au sein du conseil d’administration de la CARPA avec
deux mandats, mais également en politique, occupant
actuellement la place de premier adjoint au sein du
conseil municipal.
GRENOBLE
Né en 1967 en République du Congo, Wilfried Samba
Sambeligue arrive à Grenoble au lycée. Se spécialisant
en droit social, il accède à la profession d’avocat le 20
avril 2004 après un parcours professionnel comme
conseiller juridique et s’installe dès le 10 mai 2004. Il
a été élu au conseil de l’ordre depuis 2011 avec des
responsabilités comme président de la commission
Droit social, membre de la commission Barreau et
Justice, a occupé la fonction de secrétaire du conseil
de l’ordre ainsi que de président de l’association
culturelle du barreau. Il a été élu bâtonnier du barreau
de Grenoble le 16 juin dernier.
Olivia Dufour
254h3
AIN
Agnès Bloise exerce la profession d’avocat au barreau
de l’Ain depuis 30 ans et est titulaire de la mention
spécialisation « droit pénal ».
AIX-EN-PROVENCE
Philippe Klein a prêté serment en
janvier 1984. Il exerce à présent dans
un cabinet généraliste à dominante
civile et commerciale. Il a été élu avec
441 voix sur 777 votants. Il succède à
Josianne Chaillol pour un mandat de
deux ans.
BOURGOIN-JALLIEU
Laurent Maguet, né à Chartres en 1970, effectue ses
études à Lyon et prête serment en décembre 1994.
Habitant Bourgoin-Jallieu depuis 1980, il exerce
actuellement au sein d’un cabinet interbarreaux. Il
s’agira de son troisième mandat en tant que bâtonnier
de Bourgoin-Jallieu, après l’avoir été entre 2002 et
2003 puis entre 2010 et 2011.
CHAMBÉRY
Olivier Fernex de Mongex a été élu bâtonnier le 9
juin dernier.
CHATEAUROUX
Pascaline Courthès remplace ainsi
son époux Daniel Guiet, avec qui elle
a prêté serment le 8 février 1995, après
des études de droit effectuées ensemble
à Poitiers et sanctionnées par un DEA
en droit pénal et sciences criminelles,
et avec qui elle est associée au sein du cabinet Avocats
Centre.
GRASSE
Jean-Marc Farneti, après des études
à la faculté de droit de Nice, prête
serment en 1994 et s’inscrit au barreau
de Grasse. D’abord collaborateur
pendant sept ans au sein du cabinet de
François-Marie Postic, il créé ensuite
son propre cabinet avec Stéphanie
Garcia. Il s’est notamment investi au sein de l’UJA dont
6
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GUYANE
Magali Robo-Cassilde, née le 4 mars
1969 à Cayenne, a effectué ses études
de droit en Guyane puis en Martinique
avant d’obtenir un DEA de droit
international et européen à Rouen et
son CAPA à Bordeaux. Elle a prêté
serment le 18 mars 1998 devant la cour d’appel de
Fort-de-France et a travaillé en tant que collaboratrice
dans le cabinet de son père avant de se lancer à son
compte. Magali Robo-Cassilde a été membre du
conseil de l’ordre à l’occasion de 3 mandats, le dernier
en qualité de secrétaire du Bâtonnier sortant, Régine
Guéril-Sobesky. Elle représente les 75 avocats du
barreau.
LYON
Avocate depuis le 1er janvier 1982,
Laurence Junod-Fanget exerce en
cabinet individuel depuis près de 27
ans. Spécialisée en droit du travail,
son domaine d’activité principal est le
droit de la famille et du patrimoine.
Elle a été tour à tour secrétaire du stage
en 1986, puis deux fois membre du
conseil de l’ordre et présidente de commissions (droit
254n5
Actual ité
des personnes en 2006 et modes amiables de résolution
des différends (MARD) depuis 2010). Par ailleurs, elle
a été à l’initiative des formations pour les avocats sur
les MARD et de la création en juin 2014 du centre de
justice amiable des avocats (CJ2A). Deuxième femme
à la tête du barreau de Lyon, elle a été élue le 10 mars
2015.
MARTINIQUE
Né en Martinique, Dominique Nicolas étudie à Paris
et est diplômé de l’université de Paris I Panthéon
Sorbonne en droit, sciences économiques et sciences
politiques. Exerçant tout d’abord la fonction de
directeur général des services dans la collectivité de
la Martinique, il prête serment en avril 1994. Entre
1994 et 2005 il créé quatre cabinets, puis la société
Juriscarib, cabinet interbarreaux d’Antilles-Guyane,
spécialisée en droit public.
PARIS
Frédéric Sicard, avocat associé au sein
du cabinet La Garanderie & Associés,
est spécialisé en droit social. Il est
particulièrement investi sur les sujets
les plus sensibles de la profession, qu’il
a notamment défendus en tant que
membre et secrétaire du conseil de l’ordre de Paris
et du Conseil national des barreaux de 2007 à 2011.
Sa vice-bâtonnière, Dominique Attias, est associée au
sein de la SCP Attias & Jauze. Ils ont été élus en juin
dernier.
STRASBOURG
Avec avoir obtenu une maîtrise de
droit privé et l’examen du CRFPA,
Pascal Créhange travaille d’abord
chez un expert-comptable, puis un
administrateur judiciaire avant de se
lancer dans la profession d’avocat.
Prêtant serment devant la cour d’appel
de Colmar, il commence comme collaborateur d’un
grand cabinet d’affaire strasbourgeois. Il créé son propre
cabinet en 1997 au moment où il est élu président de
l’UJA et développe une activité importante en matière
de droit de la propriété intellectuelle dont il a obtenu
une spécialisation, en droit commercial et en droit
pénal spécial. Responsable pédagogique au sein de
l’École régionale des avocats du grand-est où il enseigne
l’art de la plaidoirie depuis 2006, il est élu au conseil
de l’ordre en 2007. Enfin, Pascal Créhange est membre
d’Amnesty international et d’Avocats sans frontière.
TOULON
Éric Goirand, avocat depuis le 14 mars
1994 au sein du barreau de Toulon, a
intégré très tôt l’UJA Toulon et en a
été son président en 1997, siégeant à la
Fédération nationale durant plusieurs
années. Quatre fois élu au conseil de l’ordre du
barreau de Toulon, il a également été administrateur
de la CARPA, délégué au conseil d’administration de
l’EDA sud-est et chargé de communication de l’ancien
bâtonnier Michel Mas.
VALENCIENNES
À 64 ans, Pascal Vanhelder succède à Magali Grillet en
tant que bâtonnier désigné du barreau de Valenciennes.
Il compte 42 années de barrreau à son actif et a été élu
en mars dernier avec 80 % de voix au premier tour.
VERSAILLES
À 48 ans, Jean-Marc André, avocat
depuis le 4 mars 1996, se consacre
au droit pénal et droit du travail. Il a
reçu solennellement, le 15 décembre
dernier en mairie, « le bâton » de son
prédécesseur Frédéric Landon.
VIENNE
Noëlle Gille a prêté serment à la cour d’appel de Lyon
en décembre 1995. D’abord collaboratrice pendant
12 ans au sein du cabinet de Léon Paillaret à Vienne,
elle créé ensuite son propre cabinet en 2007. Plutôt
spécialisée en droit de la famille et en droit civil, elle
s’investie également dans plusieurs institutions avec
notamment deux mandats de suite au sein du conseil
de l’ordre des avocats de Bourgoin-Jallieu.
254h3
254n3
Textes
Relèvement des revenus permettant
l’attribution de l’AJ 254n3
La loi n° 2015-1785 du 29 décembre 2015 de
finances pour 2016, publiée au JO du 30 décembre
2015, prévoit notamment le relèvement des revenus
permettant l’attribution des aides juridictionnelles
totale et partielle. Ces aides seront ainsi respectivement
accordées aux personnes dont les revenus mensuels
sont inférieurs à 1 000 € (contre 941 € jusqu'alors) et
à 1 500 € (contre 1 411 € jusqu'alors). Dorénavant,
ces aides permettront également de bénéficier
d'une médiation judiciaire ou d'une médiation
conventionnelle. Le ministère de la Justice a émis une
note explicative sur ces nouvelles dispositions, disponible
sur le BOMJ du 31 décembre 2015. Cette note sera
remplacée par une autre lors de la parution du décret
relatif à la simplification de l'AJ partielle, prévue courant
janvier 2016, qui doit diminuer le nombre de parts
contributives de l'État.
Source : L. fin. n° 2015-1785, 29 déc. 2015, art. 42
G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1
254n3
7
A ct u al i t é
254j7
Veille normative (du 19 déc. 2015 au 5 janv. 2016) 254j7
ACTION SOCIALE
AIDE
JURIDICTIONNELLE
DROIT EUROPÉEN
FISCAL
L. 28 déc. 2015, n° 2015-1776, relative à l’adaptation de la société au vieillissement :
JO 29 déc. 2015 p. 24268
Note Min. Justice, 30 déc. 2015, NOR : JUST1532602N, relative au montant des
plafonds de ressources, des correctifs pour charges familiales et des tranches de
ressources pour l’admission à l’aide juridictionnelle à compter du 1er janvier 2016 :
BOMJ 31 déc. 2015
L. 22 déc. 2015, n° 2015-1714, autorisant la ratification du protocole n° 15 portant
amendement à la Conv. EDH : JO 23 déc. 2015, p. 23806
L. fin. 29 déc. 2015, n° 2015-1785, pour 2016 : JO 30 déc. 2015, p. 24614
L. fin. rect. 29 déc. 2015, n° 2015-1786, pour 2015 : JO 30 déc. 2015, p. 24701
L. 21 déc. 2015, n° 2015-1703, visant à pénaliser l’acceptation par un parti politique
d’un financement par une personne morale : JO 22 déc. 2015, p. 23683
Circ. Min. Justice, 24 nov. 2015, NOR : JUSD1528567C, relative au traitement judiciaire
des évasions : BOMJ 31 déc. 2015
PÉNAL
Circ. Min. Justice, 24 nov. 2015, NOR : JUSD1528583C, relative à la situation du
Calaisis, à la lutte contre
l’immigration irrégulière organisée et la délinquance connexe : BOMJ 31 déc. 2015
Circ. Min. Justice, 18 déc. 2015, NOR : JUSD1531771C, relative à la lutte contre le
terrorisme – Commission d’attentat(s) sur le territoire national, coordination de la
réponse judiciaire : BOMJ 31 déc. 2015
D. 30 déc. 2015, n° 2015-1841, relatif à la délivrance des extraits de casier
judiciaire : JO 31 déc. 2015, p. 25275
D. 29 déc. 2015, n° 2015-1839, relatif au traitement de données à caractère personnel
dénommé « Cassiopée » : JO 31 déc. 2015, p. 25270
PROCÉDURE
PÉNALE
D. 29 déc. 2015, n° 2015-1840, modifiant le Code de procédure pénale et relatif au
fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infractions terroristes : JO 31 déc.
2015, p. 25271
D. 29 déc. 2015, n° 2015-1798, modifiant le décret n° 2014-1162 du 9 octobre 2014
relatif à la création de la Plate-forme nationale des interceptions judiciaires : JO 30
déc. 2015 p. 24861
PROFESSIONS
PUBLIC
A. 17 déc. 2015 autorisant au titre de l’année 2016 l’ouverture des concours externe et
interne pour le recrutement des directeurs des services de greffe judiciaires : JO 27
déc. 2015
L. org. 22 déc. 2015, n° 2015-1712, portant dématérialisation du Journal officiel de la
République française : JO 23 déc. 2015, p. 23804
L. 22 déc. 2015, n° 2015-1713, portant dématérialisation du Journal officiel de la
République française : JO 23 déc. 2015, p. 23805
L. 21 déc. 2015, n° 2015-1702, de financement de la sécurité sociale pour 2016 : JO 22
SÉCURITÉ SOCIALE déc. 2015, p. 23635
SOCIAL
D. 30 déc. 2015, n° 2015-1842, révisant le barème des saisies et cessions des
rémunérations : JO 31 déc. 2015, p. 25276
SOCIÉTÉS
D. n° 2016-2, 4 janv. 2016, relatif à l’information triennale des salariés prévue par
l’article 18 de la loi n° 2014-856 du 31 juillet 2014 relative à l’économie sociale et
solidaire : JO 5 janv. 2016, texte n° 26
254j7
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Ac tu a l it é
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AVOCAT
Les avocats à leur tour menacés d’ubérisation ?
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L’essentiel
Depuis environ un an, les sites de référencement d’avocats se multiplient sur Internet. Inquiet des risques
pour les justiciables, le CNB réplique en lançant sa propre plateforme d’ici juin prochain. Qui sont les
fondateurs de ces sites ? Que cherchent-ils ? Que proposent-ils ? Nous les avons rencontrés. La nouvelle
économie entre avec fracas dans le monde des avocats. Avec ses bénéfices, mais aussi ses dangers.
« On en reçoit un par jour »
soupire Didier Adjedj, préOlivia DUFOUR
sident de la commission
Exercice du droit au CNB
« ça a commencé en début d’année et ça s’est accéléré
d’un coup ». « Ça » c’est la floraison soudaine et massive
de sites Internet qui se proposent de mettre en relation
les avocats et leurs clients potentiels. L’idée est presque
aussi ancienne qu’Internet, mais elle semble avoir connu
soudain un coup d’accélérateur avec la loi consommation
dite Hamon au printemps 2014 qui a assoupli la publicité
des avocats en autorisant la sollicitation personnalisée.
Il n’en fallait pas plus pour que les férus d’Internet, ces
trentenaires imprégnés de culture 2.0 ne caressent l’idée
de créer le service de demain, celui qui leur assurera
un succès comparable à TripAdvisor, Booking et autres
Blablacar…. C’est d’ailleurs ainsi que l’un des trois acteurs
que nous avons choisi de rencontrer, Avostart, a présenté
à la presse la naissance de son site en octobre dernier :
« Nous voulons être le tripadvisor des avocats ». Pas sûr
que la formule soit très bien choisie. Certes, pour les
passionnés de nouvelles technologies, elle évoque un nouveau service d’avenir en lien avec son temps. Mais dans le
monde des avocats, elle renvoie surtout à la jungle d’Internet avec son lot de risques déontologiques et sa menace
de dumping sur les honoraires. D’où encore des réactions de méfiance, voire de rejet. « Accepter d’être noté,
recommandé comme une chambre d’hôtel ?! Jamais ! »
s’indigne un pénaliste parisien à peine trentenaire. Preuve
que l’inquiétude n’est pas une affaire de génération, mais
peut-être plutôt de profil d’exercice. Il est vrai que cet avocat n’est pas en panne de visibilité, il travaille chez l’un des
pénalistes les plus célèbres de France. Mais pour qui veut
se lancer, ces sites sont attractifs. C’est le cas de Nicolas
Mermillod, avocat à Besançon. Inscrit au Barreau depuis
2011, il a débuté chez Fidal, avant de décider de créer son
cabinet avec une associée, Stéphanie Broggini : ISACC
pour « Immobilier, Social, Affaires, Commercial et Civil »,
précise-t-il. Il s’est inscrit il y a un mois sur mon-avocat.
fr. « Le droit est un marché, nous sommes en concurrence
quoi qu’en pensent nos institutions, il faut donc développer une stratégie commerciale » affirme le jeune avocat.
À Besançon, il y a 200 avocats et 3 ou 4 cabinets d’affaires,
la jeune structure veut donc faire sa place. « Nous avons
choisi mon-avocat.fr pour la visibilité et le service personnalisé. Ce qui est important pour nous c’est de ne pas
être sur un annuaire indifférencié, sans pour autant entrer
dans le jeu de la notation » et l’avocat de commenter « on
a beau être moderne, on reste avocat, la notation, c’est
non ! ». Comme lui, ils sont des centaines à avoir fait le
saut dans l’inconnu. Ces sites attirent des avocats de tous
Par
les profils. Jeunes inscrits ou très expérimentés, parisiens
et provinciaux, hommes et femmes, seuls ou en cabinet.
Tous confient ressentir la même nécessité dans un monde
de communication : se faire connaître.
Aux États-Unis, ce genre de site est valorisé 850 millions
de dollars.
Les avocats ne sont pas les seuls à faire cette analyse. En
face d’eux, les clients sont démunis quand il s’agit de trouver un conseil. Tous les projets de site partent du même
constat : il existe un problème d’accès aux avocats. Ces
derniers n’ont pas de vitrine, pas de tarif affiché devant
la porte, bref, rien qui permette de se faire une idée de
son expérience, de ses compétences et du prix que ses
services vont coûter. À ces questions de mise en relation,
Internet a montré qu’il sait répondre de manière optimale.
Alors pourquoi ne pas appliquer cette recette aux avocats ?
« Aux États-Unis, le principal site de mise en relation entre
avocats et clients, Avvo.com, fait l’objet d’une valorisation
d’environ 850 millions de dollars ! » confie Pierre Aïdan,
fondateur et directeur général d’avostart. Titulaire d’un
doctorat en droit consacré au droit financier, diplômé de
Harvard, il a exercé chez Linklaters et Davis Polk, partageant son temps entre Londres et les États-Unis. À ses
côtés, Stéphane Le Viet, diplômé de polytechnique, que
Pierre Aïdan a rencontré à Harvard et Timothée Rimbaud,
ingénieur des mines de Paris, qui a débuté chez Goldman
Sachs. Ils ont commencé par lancer Legalstart en mars
2014 . « Il s’agit d’une solution logicielle à destination des
TPE et PME qui permet aux entrepreneurs de répondre
eux-mêmes à un certain nombre de besoins juridiques de
base, par exemple, la création de société ou le recouvrement de créance. Dès que la question se complique, le site
renvoie à des avocats » explique Pierre Aïdan. C’est précisément en renvoyant les internautes vers des avocats
qu’ils ont pris la mesure du besoin de mise en relation.
« Le raisonnement est finalement assez simple : 90 % des
gens estiment que les avocats sont nécessaires et ils sont
à peu près aussi nombreux à confier ne pas savoir comment choisir un avocat. Ajoutez à cela l’importance prise
aujourd’hui par les moteurs de recherche dans tous les
secteurs et l’idée d’une plateforme de mise en relation
avec des avocats s’impose d’elle-même » confie Pierre
Aïdan. Leur modèle ? Ils ont utilisé les données en libre
accès que sont les annuaires des ordres et inscrit sur leur
site la quasi-totalité des avocats de France dans un système d’opt out. En clair, chaque avocat est enregistré par
défaut et prévenu en même temps par courriel qu’il a la
possibilité soit de demander à disparaître du site soit de
devenir un membre actif. Avostart revendiquait déjà midécembre 1 500 membres actifs. C’est une version bêta,
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A ct u al i t é
autrement dit test, où les premiers inscrits font leurs
commentaires et proposent des améliorations. Sur la page
d’accueil, une jeune femme en tailleur engage l’internaute
à poser une question ou chercher un avocat. Les logos de
quelques grands médias rassurent avec leur petit côté
« vu à la télé ». Le message est engageant : « Trouvez
l’avocat qu’il vous faut ». La fiche d’un avocat prise au hasard renseigne sur l’adresse, le domaine de compétence
et l’ancienneté, agrémenté d’une photo. L’inscription est
gratuite. Le business model, non encore définitivement arrêté, consistera sans doute dans la facturation aux avocats
de services premium. À terme, ils imaginent proposer des
prestations à coûts fixes sous forme de package. Les fondateurs d’Avostart envisagent également de permettre aux
utilisateurs de formuler des avis. « La question de l’avis
utilisateur est un sujet à la fois complexe et particulièrement sensible dans le domaine juridique. Nous procédons
actuellement à des tests et études afin de concevoir un
système qui soit à la fois utile et strictement conforme sur
le plan réglementaire » confie Pierre Aïdan. Au-delà des
problématiques d’authenticité communes à tous les sites
e-commerce, nous sommes confrontés à des questions
spécifiques telles que par exemple, le caractère absolu
du secret professionnel de l’avocat. En tout état de cause,
notre système d’avis ne sera mis en service que s’il répond
aux préoccupations des avocats » insiste le cofondateur
d’Avostart.
Imiter le modèle des médecins ?
Benjamin Bing lui, n’a pas été jusqu’à passer le CAPA,
mais il est juriste également. Fort d’une licence de droit
à Assas, il s’est inscrit à l’EDHEC de Lille, a fait un stage
chez PICTET, une banque privée de gestion de grande fortune, un autre de conseil en stratégie auprès de Patrick
Le Lay l’ancien président de TF1. Et puis il a eu envie de se
lancer. Fils de médecin, il observe que dans ce domaine en
France, plusieurs sites montés en 2013 mettent en relation avec succès médecins et patients, avec l’approbation
du conseil de l’ordre et du ministère. « J’ai pensé assez
naturellement que la solution méritait d’être étendue à
une autre profession réglementée soumise à déontologie et posant les mêmes questions d’accessibilité que les
médecins » confie-t-il. L’idée de mon-avocat.fr vient de
naître. Son slogan : « le bon avocat près de chez vous ».
L’inscription sur le site est payante, à partir de 259 €
par an. « Pour ce prix, l’avocat est référencé sur le site,
avec une notice évoquant sa formation, ses diplômes, ses
domaines d’intervention et sa pratique tarifaire - taux
horaire, premier rendez-vous gratuit ou pas, possibilité de payer en plusieurs fois - rédigée par l’équipe du
site. L’internaute peut contacter directement l’avocat par
mail ou par téléphone sans numéro surtaxé ». Le site, qui
revendique sa neutralité face à ceux qui proposent des
classements et autres formes de recommandations, est
conçu pour apporter aux utilisateurs les informations leur
permettant de faire leur choix de manière éclairée sans
notation, sans mise en concurrence ni incitation à baisser
les tarifs. « Sur les pages jaunes, c’est plus de 1 000 €
par an rien que pour un nom et un numéro de téléphone »
souligne Benjamin Bing pour relativiser le prix de la prestation. « Tous les trois mois, nous faisons le point avec les
inscrits et ils apprécient ce suivi ». Sobre, le site s’emploie
à l’évidence à offrir une vitrine aux avocats sans tomber
dans le racolage bas de gamme. Des fiches pédagogiques
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expliquent aux internautes les éléments fondamentaux à
connaître sur les honoraires, la déontologie, la préparation
d’un premier rendez-vous, etc. Et l’équipe innove en permanence. « Nous avons conclu un partenariat avec Drop
Cloud pour offrir une solution de partage et de conservation de fichiers volumineux » souligne-t-il, ce service sera
disponible début 2016 ». Et quand on lui pose la question
de la sécurité indispensable aux avocats, il répond « cette
société travaille pour Suez Environnement, Arkema et
Groupama ». Un projet de permanence téléphonique et de
prise de rendez-vous est aussi à l’étude. Et pourquoi pas
un volet international qui permettrait aux avocats de trouver des correspondants à l’étranger ?
Peut-on noter un avocat ?
Troisième site et troisième modèle, Alexia. Celui-là est le
plus ancien. Il a été créé en 2012 par Benoit Chancerel un
diplômé d’école de commerce qui a cofondé dans les années
2 000 le fameux CFJ. À l’origine le site s’appelait avocat.net,
mais le CNB a assigné devant le TGI de Paris et gagné sur
plusieurs points dont celui-ci : le site a dû changer de nom
(TGI Paris, 30 janv. 2015 – CNB c/ Jurisystem). « Après tout,
Google ne s’appelle pas « moteur de recherche » souligne
avec humour le fondateur. On a donc arrêté de chercher en
vain un nom de domaine avec le mot « avocat » et opté pour
Alexia ». C’est le seul des trois rencontrés à avoir été pour
l’instant attaqué par le CNB. C’est aussi le plus ancien et le
plus abouti. Il faut dire qu’il a osé affronter tous les tabous.
Dès la page d’accueil il annonce la couleur : c’est un comparateur d’avocats. L’annonce Google est claire « Trouvez
le bon avocat au meilleur tarif ». En page d’accueil, une
personne en costume dont on n’aperçoit que les bras croisés donne une impression de sérieux. Le site affiche ses
performances : 159 322 mises en relation, 4 758 avocats
disponibles, 462 033 visiteurs mensuels. Chaque avocat a sa
fiche avec photo, cursus, pratique d’honoraires, il y a aussi
des fiches pratiques et surtout un forum dans lequel les
avocats inscrits répondent aux questions des internautes. « L’inscription est gratuite, explique Benoit Chancerel. Les
avocats inscrits souscrivent ensuite à un abonnement compris entre 100 à 1 000 € qui donne accès à des crédits
d’unités. À chaque fois qu’ils répondent à une demande de
devis de la part d’un internaute, cela leur coûte une unité,
soit 10 euros pour un forfait de 100 € et 7 € pour le forfait
de 1 000 ». Théoriquement, le site propose aussi une notation fondée sur les avis des clients, mais un arrêt de la cour
d’appel de Paris du 18 décembre (CA Paris, P. 5, ch.2, 18
déc. 2015, n° 15/03732) sur recours contre le jugement du
30 janvier interdit d’établir un comparateur et, a priori, de
noter les avocats. Le CNB reprochait aussi au site l’inscription d’une avocate qui s’était omise du Barreau, mettant en
lumière un des risques de l’exercice : comment garantir que
le client est bien mis en relation avec un vrai avocat ? « Ils
en ont trouvé une, une seule sur 4 500. Depuis, nous réclamons les photocopies de carte professionnelle et travaillons
à une solution sécurisée inspirée de celle de Airbnb » assure
Benoit Chancerel. Le jugement du 30 janvier a également interdit au site d’utiliser ce slogan « le comparateur d’avocats
numéro 1 en France » qu’il a qualifié de pratique commerciale trompeuse. En revanche, il a rejeté les arguments du
CNB estimant le mode de facturation contraire aux règles de
déontologie en matière de partage d’honoraires. Et la cour
d’appel a confirmé ce rejet.
Actual ité
Le combat inlassable du CNB pour protéger les clients
Ah le CNB ! C’est un peu leur espoir et leur bête noire. Ils l’ont
sollicité à de multiples reprises pour présenter leur projet,
réclamer un avis et s’assurer ainsi une parfaite conformité
aux règles professionnelles… en vain. Lorsque le CNB leur
adresse la parole, disent-ils, c’est pour réclamer un peu
sèchement des précisions et, dans un cas, assigner. « Dans
certaines régions, des avocats auraient reçu des mails les
mettant en garde contre les nouveaux annuaires en ligne »
confie un peu étonné Benjamin Bing. Une réaction qui suscite l’incompréhension : « les institutions n’ont pas l’air de
comprendre que concevoir techniquement ce genre de site,
c’est un métier. Et lancer un tel site, c’est encore un autre
métier, tout ça ne s’improvise pas » confie l’un d’entre eux,
en off, pour ne pas offenser l’institution qu’il ne désespère pas
de convaincre de sa bonne foi et de l’intérêt de son projet.
« Ces sites ne garantissent pas la qualité d’avocat. Quant à
la notation et à la prétendue comparaison pour identifier le
meilleur, ça ne peut être qu’une tromperie. Et la rémunération s’assimile à un partage d’honoraires prohibé » rétorque
Didier Adjedj qui tient à rappeler pourquoi l’institution est
aussi vigilante : « les règles d’exercice du droit protègent le
client, il faut le dire et le répéter. Si la mise en relation n’est
pas réalisée par les avocats eux-mêmes, il y a forcément un
risque pour le client ». Le CNB prépare sa propre plateforme
qui devrait être opérationnelle en juin au plus tard. Sécurité
est le maître-mot du CNB et sur ce terrain là au moins, il aura
certainement une longueur technologique d’avance. « La
plateforme du CNB sera exclusivement accessible via la clef
d’accès personnelle au RPVA, seule garantie réelle dans cette
mise en relation virtuelle que l’internaute a bien un avocat
en face de lui » explique Didier Adjedj. En réalité, le vrai danger que le CNB ne pointe pas mais qui motive sans doute sa
méfiance, c’est qu’il arrive un jour aux avocats ce qui est en
train de se passer pour les chauffeurs Uber : qu’ils deviennent
dépendants des plateformes qui s’offrent aujourd’hui sous le
visage rassurant d’innocentes vitrines. Le danger est aussi
réel que l’existence de ces sites apparaît inéluctable.
Pour quel bénéfice ? Alexia publie les avis de ses inscrits. La
satisfaction semble au rendez-vous : les mises en relation
sont réelles, le site est bien fait, il existe une vraie dynamique.
Certains avocats sont toutefois revenus de l’exercice. « Ces
sites vous inscrivent parfois d’office, cela ne me dérange pas
de figurer dans plusieurs annuaires, au contraire, les avocats aujourd’hui ont besoin de visibilité, mais pour que cela
soit efficace, je pense qu’il faut être prêt à répondre tout de
suite aux sollicitations et être le mieux-disant au niveau des
tarifs souvent tirés vers le bas » confie Yves Toledano, un avocat parisien spécialisé en divorce, actif sur Internet et prisé
des médias. « Comme je ne passe pas mon temps les yeux
rivés sur mon écran d’ordinateur, cela ne m’intéresse pas
de payer pour ce genre de services, surtout que les offres ne
sont pas toujours adaptées aux besoins des avocats. Je préfère peaufiner mon site et améliorer son référencement, ça
me semble plus efficace ». C’est l’une des faiblesses en effet
de ces annuaires, très nombreux : à quoi bon s’inscrire sur
des annuaires où tout le monde est inscrit ? « Bonne question », répond Benoit Chancerel. « Être référencé pour être
référencé, ça ne sert en effet à rien. Pour qu’un site apporte
visibilité et clientèle aux avocats qui y sont inscrits, il faut qu’il
génère du trafic, d’où l’intérêt de publier des articles et d’animer un forum ». Autrement dit, une fois identifié le site qui
semble offrir une visibilité tout en ne heurtant aucune règle
déontologique, encore faut-il déterminer ce qu’on en attend
comme type de bénéfice. « À terme, tous les avocats seront
inscrits sur au moins une plateforme » affirme un observateur avisé. Il y a de fortes chances en effet. Reste à trouver
le bon modèle, c’est-à-dire celui qui répondra aux attentes
des avocats et aux besoins des clients. La course est lancée !
ALEXIA.FR
Nom du site : alexia.fr
Date de création : juillet 2012
Lieu du siège : Paris
Nom du responsable : Benoit Chancerel
Coût de l’inscription : gratuit
Services proposés à l’avocat et tarifs : affichage de
son offre aux demandeurs, forfait entre 100 et 1 000 €
en fonction du nombre d'affichages. Services proposés au client et tarifs : gratuit pour les
justiciables
Nombre d’inscrits : 4 500 comptes d’avocats
AVOSTART.FR
Nom du site : avostart.fr
Date de création : novembre 2015 (version bêta)
Lieu du siège : Paris
Nom du responsable : Pierre Aïdan
Coût de l’inscription : gratuit Services proposés à l’avocat et tarifs : visibilité et identification de clients potentiels / service gratuit
Services proposés au client et tarifs : moteur de recherche et système de questions/réponses / service
gratuit
Nombre d’inscrits : plus de 600 avocats Pistes de développement : services premiums à destinations des avocats
MON-AVOCAT.FR
Nom du site : mon-avocat.fr
Date de création : février/mars 2015
Lieu du siège : Paris
Nom du responsable : Benjamin Bing
Coût de l’inscription : à partir de 259 € HT par an pour
un avocat de moins de 5 années de Barreau (tarif fixe,
peu importe le nombre de prospects). Tarifs dégressifs
suivant la taille de la structure
Services proposés à l’avocat : création de la fiche par
une équipe de communication, création d’une messagerie dédiée au sein de l’espace avocat, suivi trimestriel,
possibilité pour l’avocat de mettre en ligne gratuitement
ses articles dans l’espace « Actualité » toute l’année. Un
accès à des services négociés comme le cloud. Une mise
en relation gratuite, aucune commission
Services proposés au client et tarifs : service gratuit
pour l’utilisateur. L’équipe répond quotidiennement
par téléphone ou courriel aux interrogations des internautes pour les aider à utiliser l’outil
Nombre d’inscrits : près de 200
Pistes de développement : un espace recrutement,
des partenariats négociés (permanence téléphonique,
etc.), une application mobile
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Actualité
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PROFESSIONS
« En enfermant les mineurs
délinquants, on en fait des exclus
de la société qui deviendront
des bombes vivantes »
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Entretien avec Dominique Attias, vice-bâtonnière du barreau de Paris,
secrétaire générale de l’association Louis-Chatin pour la défense des droits
de l’enfant
Dominique Attias
L’enfant n’est pas une victime comme les autres. Fragile, en proie à des conflits de légitimité, égaré dans un
monde d’adultes qu’il ne comprend pas, il nécessite une attention et une adaptation spécifiques du système
judiciaire. Dominique Attias, vice-bâtonnière du barreau de Paris mène ce combat depuis des années. Elle
vient de publier avec Lucette Khaïat un ouvrage collectif intitulé Le parcours judiciaire de l’enfant victime
dans lequel une vingtaine d’acteurs, avocats, magistrats, médecins, administrateur ad hoc et défenseurs
des enfants partagent leur savoir. Un enfant victime dont Dominique Attias nous rappelle opportunément,
alors que la Chancellerie doit publier son projet de réforme sur l’ordonnance de 1945, qu’il n’est souvent que
l’autre visage de l’enfant auteur d’infraction.
Gazette du Palais : Qu’est-ce qui vous a amenée à
défendre les enfants ?
Gaz. Pal. : L’enfant victime n’est-il pas souvent aussi
enfant auteur ?
Dominique Attias : Un jour, je me suis aperçue que
mon métier d’avocat d’affaires ne me faisait plus battre
le cœur. À cette époque, j’ai lu un livre de Tobie Nathan
intitulé L’influence qui guérit dans lequel il explique
comment écouter les gens d’une manière différente et les
soigner non pas seulement avec des médicaments mais
avec la parole. Cela a sans doute été un déclencheur. Je me
suis inscrite à une formation à Paris 8 et Tobie Nathan
m’a proposé de faire un DEA avec lui. C’était en 2000.
J’ai découvert l’existence du droit des mineurs et du
tribunal pour enfants. Beaucoup de dysfonctionnements
m’ont sauté aux yeux, mais je n’ai pas réussi alors à
les corriger. C’est ce qui m’a donné l’envie d’intégrer
les institutions de la profession pour faire bouger les
choses. Je me suis présentée au conseil de l’ordre et au
CNB et là j’ai commencé à faire évoluer la situation.
C’était en 2008. Il y avait tant de choses à faire. Quand
j’ai débuté, un enfant qui faisait l’objet de plusieurs
procédures avait un avocat par procédure. Résultat, le
mineur n’identifiait pas son avocat. Quant aux avocats,
aucun n’avait de connaissance complète de son client.
À cela s’ajoutaient des formations insuffisantes en
psychologie, traumatologie, dialogue avec l’enfant. J’ai
obtenu que la Chancellerie signe une convention avec le
CNB aux termes de laquelle était préconisé qu’un seul
avocat désigné assiste l’enfant dans toutes ses procédures.
Autre exemple, l’enfant victime contrairement à l’enfant
auteur n’a pas le bénéfice de l’aide juridictionnelle de
plein droit. Il y a donc encore beaucoup à faire.
D. A. : Si, bien sûr, c’est souvent le même mais on
ne découvre parfois l’enfant victime qu’après avoir
appréhendé l’enfant auteur et qu’a été menée une
enquête au cours de laquelle l’enfant a fini par se livrer.
J’ai l’exemple d’un jeune de 12 ans et demi qui a agressé
un de ses copains lors d’une partie de foot, ce qui lui
a valu des poursuites pour violences volontaires et une
condamnation avec inscription au casier judiciaire. Il
a fini par se confier à une éducatrice et on a découvert
qu’il était martyrisé par son beau-père depuis l’âge de
6 ans. Il avait suivi le parcours classique, baisse des
résultats scolaires, fugues et finalement violences.
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Gaz. Pal. : Cet aspect doit forcément entrer en ligne
de compte dans le choix d’une réponse pénale…
D. A. : En effet, hélas, contrairement à ce que l’on
pense, nous avons en France un droit pénal des
mineurs extrêmement répressif. Le droit français
prévoit des sanctions éducatives partir de 10 ans, et
la prison à partir de 13 ans ainsi que l’inscription au
fichier des empreintes génétiques. Il n’y a pas d’âge
minimum chez nous en dessous duquel il serait interdit
de poursuivre un mineur, on se réfère uniquement à
la notion de discernement. En ce sens, nous sommes
en contravention avec la Convention des droits de
l’enfant du 20 novembre 1989 ratifiée par la France le
7 août 1990. Nous sommes les seuls en Europe à ne pas
avoir fixé cet âge minimum, les autres pays ont opté en
Actual ité
moyenne pour l’âge de 14 ans. Avant cet âge, l’enfant
doit être pris en charge mais dans un cadre éducatif,
pas pénal. En pratique, chez nous, à partir de 13 ans
un enfant peut être enfermé dans un centre éducatif
fermé (CEF). Résultat, l’enfant auteur qui a le plus
souvent été aussi un enfant victime, une fois enfermé
se dit « plus jamais ça » et se transforme en caïd. Très
vite, il est stigmatisé par la formule « un individu
défavorablement connu des services de police ». L’une
des conséquences de ce traitement, c’est que dès l’âge
de 13 ans certains ont un casier judiciaire qui leur
interdit à vie l’exercice de certaines professions.
Gaz. Pal. : La journée des violences faites aux
femmes, en novembre dernier, a révélé des
statistiques effrayantes, mais on découvre en lisant
votre livre que les enfants victimes de ces violences
sont encore plus nombreux.
D. A. : Effectivement, ce sont souvent des témoins
oculaires et auditifs de ces violences. Ces traumatismes
sont invisibles car les enfants sont en outre coincés
dans des conflits de loyauté et ne parlent pas. Les
conséquences traumatiques peuvent être dramatiques :
prise de substance, mise en danger de soi-même,
reproduction du comportement pour les garçons. J’ai le
cas de deux parents (avocats de surcroît, ce qui signifie
que ce fléau touche toutes les couches de la société),
dont l’enfant, témoin des violences, a fini par en
devenir lui-même l’auteur : il imitait son père et tapait
sa mère. Des formations obligatoires sont désormais en
place pour les médecins. Il existe aussi, mis désormais
en ligne, deux guides à destination des avocats, l’un sur
les violences faites aux femmes, l’autre sur la prise en
charge des enfants.
Gaz. Pal. : Votre livre montre que l’enfant est un
client très singulier pour l’avocat.
D. A. : En effet. Il ne faut pas croire que parce que
vous êtes désigné comme son avocat, l’enfant va vous
faire confiance tout de suite. Vous êtes un adulte, donc
un objet de méfiance. La première étape consiste à
établir un rapport de confiance, ce qui suppose d’être
à l’écoute et capable de communiquer avec l’enfant
en parlant de musique, de foot, etc. Ensuite il faut lui
expliquer que ce qu’il va vous dire, vous ne le direz à
personne, pas même à ses parents. La posture à l’égard
des parents est capitale. Respectueuse certes, mais
empreinte de distance, sauf bien évidemment, si le
parent est auteur de violences où dans ce cas il n’est
pas envisageable d’avoir le moindre rapport avec lui.
Puis, quand l’enfant parle, il est important de connaître
parfaitement le dossier au préalable pour éviter autant
que possible de lui faire répéter des paroles qui sont
forcément douloureuses. Une des difficultés à ce
stade consiste à écouter sans prendre la confidence de
l’enfant pour parole d’évangile. L’enfant peut être tenté
de dire ce qu’il pense que l’adulte attend de lui, ou ce
qu’on lui a dit de dire, ou encore de donner sa vision
des choses qui n’est pas forcément la réalité. On ne
doit jamais oublier qu’on a affaire à un enfant, avec sa
vision, le poids de son histoire, les manipulations dont
il peut faire l’objet. Et pour comprendre ce que l’enfant
dit, il est nécessaire d’être formé en traumatologie et
en psychologie afin de décrypter ce qu’il y a derrière
ses réponses.
Gaz. Pal. : Comment l’avocat de l’enfant est-il perçu
par les autres professionnels ?
D. A. : Dans notre société, l’avocat fait peur. C’est
donc à lui d’aller vers les autres, d’expliquer son métier
et le rôle particulier qu’il joue auprès de l’enfant.
Quand il y a une problématique familiale, dire qu’on
est désigné par le bâtonnier, c’est-à-dire un tiers
indépendant, cela permet d’ouvrir le dialogue. Il est
notamment important quand l’enfant est hospitalisé de
nouer le dialogue avec les médecins. C’est souvent long
et difficile, il faut apprendre à ne pas se décourager,
trouver des appuis dans l’entourage du médecin pour
finir par rentrer en contact avec lui. Lorsqu’un enfant
est hospitalisé, s’il y a une confrontation avec l’auteur,
c’est une faute professionnelle de ne pas avoir rencontré
l’enfant et les médecins pour leur expliquer la situation
et éventuellement reporter la confrontation si le
personnel médical estime que l’enfant n’est pas en état
de le supporter. À charge pour l’avocat d’aller négocier
avec le juge d’instruction. Quand l’enfant voit que vous
parlez au médecin, à l’infirmière, à l’assistante sociale,
cela crée un environnement harmonieux, réconfortant
autour de lui ; des professionnels qui chacun dans leur
rôle, l’assistent.
Gaz. Pal. : Un des auteurs de votre livre évoque
l’exemple de cet enfant de 9 ans enfermé une
matinée entière dans la salle des témoins et devenu
incontrôlable. Pensez-vous qu’il faille effectuer des
adaptations de procédure ?
D. A. : Il existe déjà des unités spécialisées au stade
de l’enquête préliminaire, créées par l’association « La
Voix de l’enfant », qui permettent une prise en charge
globale dans un lieu adapté. La question la plus difficile
est celle de la confrontation. Le jeune se retrouve dans
un bureau face à son éventuel agresseur, lequel souvent
conteste les faits, obligeant l’enfant à répéter, à se
justifier. Pour gérer au mieux ce moment très pénible,
certains envisagent de procéder par visioconférence.
J’ai un avis assez partagé sur cette idée. D’un côté
cela crée une distance, mais de l’autre nous sommes
déjà tellement devenus des hommes et des femmes
d’écran que je m’interroge sur les risques notamment
pour le magistrat de ne pas apercevoir ces frissons,
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13
A ct u al i t é
cette pâleur, ce mouvement de recul, ces larmes qui
ont tant d’importance pour se faire un jugement sur
une situation. Un autre moment sensible est bien sûr
celui de l’audience, mais aussi juste avant l’audience. Le
manque de moyens a pour conséquence que les enfants
victimes se retrouvent à attendre sur le même banc
que les auteurs présumés, y compris quand les auteurs
ont l’interdiction de revoir la victime. C’est aberrant.
À Paris, nous avions obtenu au tribunal pour enfants,
une salle pour éviter cela, mais au bout de deux ans,
on nous l’a reprise. Je surveille le chantier du palais de
justice des Batignolles pour que cette fois on aménage
les lieux afin d’éviter cette situation épouvantable.
Gaz. Pal. : L’un des grands chantiers de la
Chancellerie est la réforme de l’ordonnance de 1945
sur les mineurs. Où en sont les travaux ?
D. A. : Ce projet, c’est un peu comme la boîte de
farce-et-attrape qu’on ouvre et dont jaillit un diable.
Mes premières interventions sur le sujet remontent
à 2009, c’est dire si le projet est ancien. Deux cents
professionnels ont déjà été consultés dont les derniers
en décembre 2014 sur un premier avant-projet de
réforme. Je viens d’apprendre que de nouvelles auditions
allaient commencer. Nous n’avons pas le nouveau texte
sur lequel on annonce des auditions, ce qui signifie
que nous sommes encore très loin d’une inscription à
l’agenda du Parlement. La problématique de la jeunesse
est maintenant récupérée par la politique politicienne,
c’est un scandale, et je crains fort que le sujet devienne
un hochet électoral à l’occasion des présidentielles. Il y
avait de très bonnes idées dans le premier avant-projet, la
meilleure étant de redonner du sens aux sanctions. Si les
politiques croient qu’enfermer les jeunes est une réponse
pertinente à la délinquance des mineurs, cela nous
confirme l’idée qu’ils sont effectivement complètement
déconnectés de la réalité. En les enfermant, on en fait des
exclus de la société qui deviendront les bombes vivantes
dont on essaie aujourd’hui de se préserver. Mettre
ensemble des jeunes qui ont de grandes difficultés
aggrave leur violence par un effet de déstructuration.
De même, quand on les écarte des quartiers où ils ont
commis des actes de délinquance, c’est bien, ensuite on
les prend en charge, mais à la sortie ils sont de nouveaux
livrés à eux-mêmes. Dans un centre éducatif fermé, il
faut un minimum de 24 éducateurs pour 10 jeunes car
la prise en charge s’effectue 24 heures sur 24. Imaginez
quand tout ça s’arrête…
Gaz. Pal. : Mais alors quelle peut être la solution ?
D. A. : Éviter ce mécanisme d’encadrement répressif
suivi d’un brutal abandon, et travailler au contraire sur
la réparation pénale et l’accompagnement. Nous savons
le faire, c’est simplement une question de volonté
politique et d’investissement. Il ne s’agit pas bien
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G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1
entendu de décerner des satisfecit, mais bien de réprimer,
simplement en permettant la réinsertion, plutôt qu’en
leur collant une étiquette de multirécidivistes. Il faut
que les chefs d’entreprise et les institutions publiques
permettent à ces jeunes de payer par la réparation, c’està-dire en pratique en travaillant pour la collectivité sous
le contrôle de leurs éducateurs et en coopération avec les
familles. Si on continue de les appeler racaille, vermine,
sauvageon, ils le deviendront. En revanche, si on leur dit
qu’ils ont mal fait, qu’ils doivent payer et réparer, alors
on pourra les réinsérer. Cela n’existe pas un jeune qui ne
soit pas susceptible d’être réinséré. Par contre à 25 ans,
minés par la drogue, le désespoir et la haine, c’est fini,
on ne peut plus rien.
Gaz. Pal. : Que pensez-vous des jeunes qui partent
faire le djihad ?
D. A. : Qu’il faut arrêter de prendre les jeunes pour
des abrutis. On ne leur parle pas de morale de façon
positive, on les laisse livrés à eux-mêmes et soudain, ils
tombent sur des gens qui leur donnent un cadre même
perverti, avec un pseudo idéal, des règles de conduite,
des interdits. On leur offre de donner un sens à leur
existence même s’il s’agit de mourir. Leur quotidien
est sans espoir, sans travail, sans reconnaissance. Le
prétendu djihad leur procure à nouveau l’envie de se
lever le matin et donne un but à leur haine contre une
société qui, à leurs yeux, les exclut, et tout de suite ils
adhèrent. Cela doit nous interroger sur ce que nousmêmes sommes capables de proposer. D’un point de
vue très pratique, cela impose de former notamment les
éducateurs, les avocats et magistrats… à l’Islam pour
qu’ils puissent répondre et déconstruire ces discours.
Gaz. Pal. : Quelle formation recommandez-vous
à ceux de vos confrères qui souhaiteraient se
spécialiser dans les enfants ?
D. A. : Cela ne s’improvise pas. Si on n’est pas formé,
on va ajouter du traumatisme au traumatisme. Il faut
donc se renseigner, travailler, apprendre. Toute l’année
se déroulent des colloques passionnants sur le monde
de l’enfance en traumatologie, psychologie, droit. Ces
formations sont souvent pluridisciplinaires car être
avocat d’enfants implique une connaissance approfondie
de divers domaines. Il existe aussi des quantités de livres
sur le sujet. Sans compter les formations dispensées dans
l’ensemble des écoles du Barreau. Être avocat d’enfants
est à l’heure actuelle un acte de militantisme puisque
nous ne sommes rétribués qu’à l’aide juridictionnelle,
c’est-à-dire une misère. Mais notre gageure : faire
reconnaître aux professionnels, au monde judiciaire, à
la Chancellerie et à nos confrères, que l’avocat d’enfants
a toute sa place pour permettre à l’enfant de faire
reconnaître et respecter ses droits.
Propos recueillis par Olivia Dufour
253x3
Ac tu a l it é
254h0
PROFESSIONS
Le business de l’expertise judiciaire en matière de dommages
corporels
254h0
L’essentiel
L’auteur dénonce les dérives inacceptables et illégitimes de l’expertise judiciaire à temps plein.
C
onscients que l’expertise
judiciaire est un véritable
Nicole CHABRUX
marché, l’idée de sa profesAvocat
sionnalisation se fait jour.
Certains experts n’ont d’ailleurs pas attendu et en ont déjà fait un véritable business.
Libre propos par
Pourquoi cette idée a-t-elle germé dans l’esprit de certains experts et pourquoi cette professionnalisation
est-elle à bannir ?
Le recours systématique à une mesure d’instruction
La preuve du dommage corporel constituant un préalable
à toute réparation, la recherche d’une vérité médicale est
nécessaire afin de pouvoir déterminer l’obligation juridique d’indemnisation qui en découle. Aujourd’hui, même
si la victime qui demande réparation fournit au juge des
documents médicaux attestant de la réalité des dommages, le juge confie systématiquement à un technicien
(médecin) une mission à la fois pour l’informer et pour
donner un caractère contradictoire à la recherche de la
vérité médicale
D’où l’importance donnée à l’expert judiciaire dans le processus indemnitaire qui génère chez certains le sentiment
d’être indispensable.
Une augmentation du contentieux
Outre les accidents de la circulation, on constate une
augmentation des accidents liée à la pratique d’activités
sportives de plus en plus nombreuses et dangereuses
pratiquées par un nombre croissant d’adeptes, et parallèlement un développement des contrats d’assurance de
personne (contrats Garantie accident de la vie privée).
L’on assiste également à une augmentation notable du
contentieux de l’indemnisation du dommage corporel
(relative toutefois puisque 98 % des dossiers font l’objet
d’une transaction) du fait de la prise de conscience des victimes que leurs intérêts personnels et ceux des assureurs
sont divergents, du fait également du nombre croissant
d’avocats spécialisés en matière d’indemnisation du dommage corporel qui n’hésitent plus à saisir les tribunaux
face à une absence d’offre ou d’offres d’indemnités incomplètes et/ou a minima.
Le recours à l’expertise est donc de plus en plus fréquent
et le besoin d’experts croissant.
Des missions d’expertise dont le contenu ne cesse de
s’étendre et qui ont pour effet pernicieux une véritable
délégation inconsciente de la fonction de juger
Pour aborder ce point, il faut évoquer la nomenclature
Dintilhac qui a listé et mis en lumière des préjudices indemnisables qui, jusqu’alors, n’étaient pas toujours pris
en considération, avec en regard une définition du contenu
de chacun de ces postes de préjudices.
Le juge, de par le contenu des missions qu’il confie à
l’expert, délègue - consciemment ou non - une partie de
son domaine réservé, l’expert étant sollicité pour donner
son avis sur ce qui ne relève pas de la seule compétence
médicale, empiétant ainsi insidieusement sur ce qui relève
de la compétence du juge. Il en résulte une véritable délégation inconsciente de la fonction de juger. L’évaluation
des besoins en tierce personne et les répercussions des
séquelles sur le plan professionnel sont un exemple flagrant de cette dérive.
Quels sont les experts qui prennent le soin, afin d’éclairer le juge, de détailler précisément quels sont les actes
au quotidien que la victime ne peut plus réaliser seule,
les conséquences du handicap dans la vie en société au
regard notamment de la définition du handicap issue de la
loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l’égalité des droits
et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées ?
L’on constate ainsi qu’un nombre croissant d’experts
fixent, sans aucune motivation et donc arbitrairement, un
nombre d’heures d’aide auquel la victime a droit. Chiffrage
que les juges, peu ouverts aux critiques, entérinent quasi
systématiquement.
L’on assiste d’ailleurs à une banalisation, voire une barémisation choquante du nombre d’heures de tierce
personne alloué par des experts judiciaires particulièrement frileux sur le nombre d’heures estimé. Combien de
fois n’entend-on pas en expertise, l’expert déclarer « pour
un paraplégique, on donne normalement 3 à 4 heures de
tierce personne par jour, alors vous comprenez que pour
votre client qui n’est amputé que d’une jambe, même si
l’appareillage est très loin d’être satisfaisant, je ne peux
accorder autant » !
Même constat concernant l’impact des séquelles dans
la vie professionnelle. C’est l’expert qui décide si telle
ou telle victime est capable ou non de reprendre totalement ou partiellement son activité professionnelle (tiers
temps, trois quart temps…), sans même se donner la peine
de dresser un bilan descriptif de l’impact des séquelles
en regard de la spécificité du métier, des tâches professionnelles que doit accomplir la victime et des conditions
d’exercice.
Un exemple récent : l’expert désigné dans le cadre d’un
accident de la circulation indiquait dans ses conclusions
que la victime aurait pu reprendre son métier d’artisan
charpentier avec toutefois des restrictions nécessitant
de se faire aider et d’acquérir différents matériels (la victime ne pouvait lever les bras en l’air) et précisait même
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A ct u al i t é
la date à laquelle, selon lui, cette victime aurait donc pu
reprendre son travail.
Sans répondre aux arguments de la victime, le magistrat a
suivi à la lettre les conclusions pourtant aberrantes de cet
expert en indemnisant la victime d’une perte de revenu de
la date de l’accident jusqu’à la date retenue par ce dernier,
alors que pour retrouver un niveau de revenu identique
à celui qui était le sien avant l’accident la victime aurait
dû embaucher et acheter du matériel. On se demande
bien avec quels revenus dès lors que la victime, du fait de
l’accident, avait perdu toute sa clientèle, de sorte que la
reprise d’activité antérieure était au cas d’espèce totalement illusoire.
Ce genre d’appréciation portée par un expert, qui relève
pourtant de la seule appréciation du juge ne choque pas
ces derniers, bien au contraire, la situation leur semble
confortable, n’ayant plus qu’à monétiser l’avis de l’expert.
Il n’est donc pas étonnant d’assister à un empiètement
croissant du pouvoir des experts sur l’impérium du juge,
l’indemnisation de la victime ne dépendant plus désormais
du juge mais de l’expert qui sera désigné.
Un désengagement progressif des magistrats en cette
matière
Le caractère systématique du recours à l’expertise, des
missions au contenu de plus en plus large qui ne relèvent
pas « que » du médical, empiètent sur la fonction de juger
pourtant dévolue aux seuls magistrats dans l’exercice de
leur « pouvoir souverain ».
L’on constate ainsi dans la pratique qu’il y a très peu de
place à la critique, puisque la majorité des décisions entérinent de façon quasi automatique les conclusions des
experts.
Cette démission du pouvoir judiciaire conforte d’autant
plus les experts dans leur conviction de détenir « La »
vérité scientifique que de nombreux rapports d’expertise
ne comportent aucune explication, aucun raisonnement
logique permettant au juge de vérifier le bien-fondé de
leurs avis, le technicien ayant, par nature, toujours raison
et se permet ainsi d’affirmer sans démontrer.
“ La démission du pouvoir
judiciaire conforte les experts dans
leur conviction de détenir « La » vérité
scientifique
”
Pourquoi donc une telle passivité de la part de nombreux
magistrats avec une sacralisation du rapport d’expertise ?
Serait-ce un sentiment d’incompétence face à une matière
technique, par manque de temps, d’esprit critique, d’intérêt pour la matière, pour éviter d’ordonner de nouvelles
mesures d’instructions ce qui aurait pour effet d’allonger
les délais de procédure, par manque de courage, ou tout
simplement par facilité ?
Cette situation déplorée par les avocats spécialisés est
également dénoncée par de nombreux juristes et par les
magistrats eux-mêmes qui tirent la sonnette d’alarme
(J. Guigue, « Rendre au juge sa place en matière d’expertise » : Gaz. Pal. 30 juill. 2015, p. 5, n° 235h4).
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Un sentiment de toute-puissance
Un constat : cette implication insuffisante des juges et
l’importance grandissante des experts dans le processus
indemnitaire génère chez nombre de ces derniers un sentiment de toute-puissance que certains tirent déjà du titre
« d’expert », qu’ils mettent en évidence sur leur papier
en-tête alors même qu’ils ne sont ou ne devraient être que
des collaborateurs occasionnels au service de la justice.
Certains experts se sentent investis d’une totale liberté,
sinon d’impunité, qu’ils n’hésitent pas à prendre tantôt
la casquette de médecin conseil d’assureur tantôt celle
d’expert judiciaire sans même juger utile d’en informer
les instances idoines, ni le tribunal qui les désigne, ni bien
évidemment les victimes.
Ainsi, alors même que le juge en charge du contrôle des
expertises est informé par le conseil de la victime que
l’expert désigné officie régulièrement pour différentes
compagnies d’assurances, la demande en changement
d’expert est rejetée, l’expert n’y voyant aucun conflit
d’intérêt arguant qu’au cas particulier, il n’était pas le
médecin conseil habituel de l’assureur partie au procès
dans lequel il a été désigné.
Selon certains magistrats, le simple fait que l’expert soit
un technicien suffit à asseoir, outre sa compétence, son
indépendance, son impartialité et peu importe qu’il tire
tout ou partie de ses revenus de son activité de médecin
conseil d’assureurs ! Au diable le respect de la déontologie par l’expert, il est ainsi exigé plus de vertus du juge
qu’à l’expert !
Tous ceux qui connaissent cette matière savent bien que
ce mélange des genres est totalement incompatible avec
leurs devoirs d’indépendance et d’impartialité.
Les médecins conseils d’assureur sont formés par les
assureurs qui n’hésitent pas dans certains cas à leur donner des consignes. Le titre même de « médecin conseil
d’assureur » est révélateur de sa mission, consistant
avant tout à défendre les intérêts de son mandant, et donc
nécessairement à minorer les postes de préjudice de la
victime.
Qui peut raisonnablement croire que celui qui tire tout ou
partie de ses revenus de l’activité de « médecin conseil
d’assureur » a l’esprit libre et aborde avec conscience,
objectivité et impartialité la mission qui lui est confiée par
un juge ?
L’activité régulière de médecin conseil d’assureur est de
nature à générer des conflits d’intérêts entre l’activité privée et l’activité au service des missions d’expertise.
Dès lors que les intérêts des assureurs et des victimes
sont totalement divergents, il faut se garder du mélange
des genres, le soupçon n’a pas sa place. Il en va de la crédibilité de la justice.
Ce conflit d’intérêts évident est largement dénoncé depuis
des années par de très nombreux auteurs, professeurs de
droit, magistrats, avocats et tout dernièrement encore par
notre confrère Nicolas Gemsa et par la vice-présidente de
l’ANAMEVA, Jacqueline Rossant (N. Gemsa et J. Rossant,
« Le conflit d’intérêts dans l’expertise médico-légale » :
Gaz. Pal. 6 juin 2014, p. 41, n° 182b0).
Il faut dire que la Cour de cassation ne contrôle pas les
qualités du postulant à l’inscription sur les listes d’experts,
Actual ité
se contentant d’une analyse a minima des manquements
graves.
Ainsi pouvait-on lire dans un arrêt rendu en 2008 : « n’est
pas justifié le refus d’inscription par l’assemblée des magistrats du siège pour le seul motif qu’un expert a réalisé
des expertises pour le compte de sociétés d’assurance »
(Cass. 2e civ., 22 mai 2008 n° 08-10314 : Bull. civ. II, n° 122 : D. 2008, p. 2635, note L. Morlet-Haïdara).
MAIS qu’en est-il lorsque l’expert inscrit réalise de façon
habituelle de telles expertises pour le compte de sociétés
d’assurance ?
La revendication de la professionnalisation de l’expertise judiciaire
Face à ces constats, de nombreux experts ont compris
qu’il y avait là un « Marché de l’expertise judiciaire » très
attractif en termes de revenus, et sans commune mesure
avec les responsabilités engendrées par l’exercice plein et
entier de la médecine.
Certains n’ont pas attendu et en ont déjà fait un véritable
business : il y a quelques mois, devant le juge en charge
du contrôle des expertises, l’expert, dont le remplacement
était sollicité par la victime au profit d’un expert relevant
d’une spécialité particulière, s’est présenté devant le juge
afin de voir sa désignation maintenue et n’a pas hésité,
comme gage d’une compétence avérée et large, à revendiquer 600 expertises judiciaires par an !
Il s’avère que cet expert n’exerce - depuis son inscription
sur les listes en 1985, soit depuis 30 ans - ni la chirurgie,
ni l’activité de médecin, ayant, en pratique, fait de l’expertise judiciaire son « métier ». Il n’est pas certain que les
magistrats qui le désignent fréquemment soient au fait de
cette situation.
Cet expert ne pratique donc pas la médecine, il est expert
en barème du concours médical depuis trente ans ! Au
regard de la facturation appliquée sur une base moyenne
de 2 200 € l’expertise, il paraît en effet beaucoup plus rentable et confortable d’exercer le métier d’expert judiciaire
en barème que d’exercer la médecine avec son cortège
de responsabilités et ses contraintes financières (primes
d’assurance en hausse constante et pouvoirs publics qui
se désengagent au profit des mutuelles).
C’est la raison pour laquelle, sous couvert d’une meilleure
formation des experts, certains avancent l’idée de la professionnalisation de cette activité.
La professionnalisation serait une nécessité sous prétexte que le technicien, pour bien remplir son office, doit
connaître les principes de droit qui gouvernent l’expertise,
la procédure et la déontologie afin d’éviter que les rapports ne soient rejetés, ce qui aurait pour conséquence
d’engendrer un accroissement des coûts et des délais
de procédure. Les rapports seraient mieux rédigés, plus
complets, répondant davantage aux attentes des juges.
Tels sont les éléments justificatifs qui semblent être mis
en avant par certains experts pour devenir des professionnels de l’expertise, disons plutôt des experts en barème.
Mais où est la médecine dans tout cela ?
Si la formation du médecin candidat à l’inscription sur les
listes de la Cour de cassation et des cours d’appel nécessite une formation juridique préalable plus approfondie
que celle actuellement exigée (principes directeurs du
procès et règles de procédure applicables aux mesures
d’instruction), elle ne saurait pour autant justifier d’en
faire une profession à part entière.
Rappelons que les experts ont déjà deux outils à leur
disposition :
––la liste (non exhaustive) des préjudices émanant de la
Commission Dintilhac (dite nomenclature Dintilhac) d’ailleurs reprise dans la plupart des missions qui leur sont
confiées, l’expert n’ayant plus qu’à répondre point par
point;
––le Barème indicatif d’évaluation des taux d’incapacité
en droit commun dit Barème du concours médical pour
la détermination du déficit fonctionnel au soutien de leurs
observations.
Désignés pour leur compétence médicale, c’est leur expérience de médecin au quotidien qui permet d’éclairer
le tribunal et c’est donc essentiellement à cette dernière
qu’il faut s’attacher.
L’expertise ne peut donc être qu’accessoire à l’activité de
médecin, sinon les médecins perdent leur compétence,
car déconnectés des pratiques et avancées médicales, et
perdent alors toute légitimité.
“ L’expertise ne peut être
qu’accessoire à l’activité de médecin
Les effets pervers de la professionnalisation
”
Outre l’absence de la pratique de la médecine au quotidien
et la perte de compétence médicale, seule cause justificative de leur désignation, pointent les dangers de la routine
qui, comme dans toutes professions, annihile les facultés de réflexion et tend vers une certaine systématisation
ou banalisation dans l’approche des dossiers, voire à une
totale déshumanisation faute d’une compétence objective
(M. Girard, « La souffrance dans le paysage médical » :
Gaz. Pal. 14 févr. 2014, p. 13, n° 165v9)
Mais ce qui est plus grave encore, c’est la perte totale
d’indépendance et d’impartialité des experts puisque au
final c’est le débiteur d’indemnité, c’est à dire l’assureur,
qui assume intégralement la charge de leurs honoraires.
À cet égard, il n’est pas anodin de relever que les
honoraires d’expert judiciaire augmentent de façon substantielle sans que les assureurs se plaignent, chacun y
trouvant son compte. La professionnalisation n’est d’ailleurs pas mal perçue par les assureurs qui voient là sans
doute une occasion de mieux contrôler encore ceux qui,
dans le processus indemnitaire, ont pris la main sur le
juge.
La professionnalisation de l’expertise judiciaire étant la
négation de tous les principes qui gouvernent le procès
civil sur le respect de l’indépendance et de l’impartialité,
l’encourager serait ouvrir la porte à l’incompétence médicale et aux dangers de la routine, elle est donc à bannir.
L’expertise judiciaire ne peut et ne doit être qu’accessoire
à l’activité principale de médecin et le juge doit retrouver sa véritable mission comme seul rempart contre
l’arbitraire. 254h0
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17
AU LIEU DE
€ HT
355
NOUVELLLE FORMULE
Une revue
D o ctr ine
252v0
CONTRATS
La réforme du droit des contrats et le monde des affaires :
une nouvelle version du principe comply or explain !
252v0
L’essentiel
La réforme du droit des obligations est, à l’instar de toute réforme, source de nouveaux risques. La réforme
n’est pas un frein à la pratique des affaires. En revanche, les professionnels du droit, avocats, notaires,
juristes d’entreprises, vont devoir relire leurs actes et réécrire leurs clauses. Pour ne pas subir la réforme
mais l’accompagner, les professionnels du droit doivent, dans un premier temps, identifier les risques afin,
dans un deuxième temps, de mieux les gérer. À défaut d’une telle anticipation conventionnelle, les acteurs
économiques devront en subir les conséquences. En d’autres termes, la réforme nous offre une version
détournée du comply or explain : soit les parties se soumettent aux nouvelles dispositions de la réforme qui
attribuent plus de pouvoir au juge, soit elles font le choix de les écarter ou de les aménager en expliquant la
démarche contractuelle des parties.
Proj. ord., 25 févr. 2015, portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations
R
éforme et bonnes affaires. Avec la réforme
du droit des obligations
qui se profile à grands pas,
pourra-t-on encore à l’avenir faire de bonnes affaires ?
tradition romano-germanique et de common law. Quant
aux valeurs prônées par le projet, elles reposent essentiellement sur la nécessité de protéger la partie faible, au
nom d’une certaine conception de la justice contractuelle,
et sur la nécessité de promouvoir l’efficacité économique
dans les relations contractuelles.
La réforme du droit des
obligations était clairement
attendue par les experts que
sont, selon une appellation
plus noble, les membres
Note par
de la doctrine. Il a fallu
Mustapha MEKKI
près de dix années depuis
Agrégé des facultés
l’avant-projet Catala de 2005
de droit, professeur à
pour avoir enfin un projet
l’université Sorbonne
Paris Cité (Paris 13),
quasi-définitif de réforme
directeur de l’IRDA
du droit des obligations.
Actuellement devant le
Conseil d’État, ce dernier doit veiller à ce que le projet soit,
notamment, conforme au principe de sécurité juridique.
Cela laisse tout de même une marge de manœuvre importante aux conseillers d’État. Un projet définitif devrait être
soumis au Parlement en février 2016 et la promulgation
interviendrait en avril 2016 au plus tard, avec une entrée
en vigueur retardée afin de laisser le temps à la rédaction
de circulaires interprétatives qui seront très précieuses
pour les différents interprètes.
Une réforme nécessaire ? Que doit-on penser de cette
réforme si on se met quelques instants dans la peau de
ceux qui sont en permanence confrontés à ce monde des
affaires, monde des activités économiques où s’imposent
avec force les principes de sécurité, de rapidité et d’efficience ? On pense spécialement aux services juridiques
des entreprises françaises, aux chambres du commerce
et aux avocats d’affaires. Il n’est pas certain, tout d’abord,
que ces professionnels aient vraiment demandé une telle
réforme. Le besoin le plus pressant ne semble pas être,
selon quelques témoignages, la réforme du droit des
obligations. Les réformes du droit du travail, du régime
fiscal, du droit processuel (action de groupe, médiation…)
préoccupent davantage ces professionnels du droit, relais
entre les producteurs de droit (législateur, juges et autorités diverses) et les acteurs économiques. Quant aux
objectifs poursuivis, les acteurs économiques doutent que
l’attractivité de la place de Paris soit conditionnée par une
telle réforme. Ce que recherchent avant tout les entreprises étrangères ce sont, d’une part, un droit prévisible,
où la volonté des parties au contrat est rigoureusement
respectée, et, d’autre part, une procédure civile et commerciale efficace qui repose sur des délais raisonnables,
faisant intervenir des magistrats intègres et compétents
et qui garantit la bonne exécution des décisions de justice.
Réforme : objectifs et valeurs. Le projet d’ordonnance
du 25 février 2015 se veut, selon la loi d’habilitation, un
travail de codification à droit constant. L’essentiel réside
dans la consolidation et le résiduel dans quelques innovations. Les objectifs poursuivis par le projet sont clairement
affichés : rendre le droit des obligations plus attractif,
plus simple et plus lisible. Pour ce faire, il convient de le
moderniser, d’alléger certaines dispositions et d’intégrer
les acquis jurisprudentiels en s’inspirant des projets antérieurs (Catala, Terré, projets de la chancellerie de 2008,
2009 et 2013), des codes savants (principes d’Unidroit,
principes du droit européen du contrat, cadre commun
de référence) et des systèmes juridiques européens de
18
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Un législateur au milieu du gué. Les valeurs prônées par
la loi d’habilitation et qui se dégagent de certaines dispositions, ne sont-elles pas un message optimiste adressé
au monde économique ? L’efficacité économique est en
effet plusieurs fois évoquée et les notions de coût, de raisonnable ou de prix du marché devraient rassurer sur la
philosophie néo-libérale de la future réforme. Pourtant,
les acteurs du monde économique font observer que les
lignes directrices du projet ne sont pas claires et ils n’ont
Do ctr in e
pas tort. Le projet, indépendamment de la qualité de ses
dispositions, donne l’impression d’hésiter entre plusieurs
voies. Vouloir concilier la protection des faibles et l’efficacité économique n’est pas impossible. L’Europe sait depuis
longtemps que protéger les « faibles » c’est aussi les
mettre en confiance afin qu’ils consomment et contribuent
ainsi à développer l’activité économique. Cependant, cette
hésitation est plus visible au sein de nombreuses dispositions pour lesquelles le législateur a refusé d’opérer un
choix tranché : résolution par notification mais exclusion
pour la nullité qui doit être judiciaire ou conventionnelle ;
exception d’inexécution par anticipation mais pas de résolution unilatérale par anticipation ; exécution forcée en
nature sauf coût manifestement déraisonnable ; prise en
compte de l’imprévision mais sans révision judiciaire ;
admission d’une révision du prix en cas de fixation abusive
mais limitée aux seuls contrats à exécution successive et
aux contrats-cadres… Autre ambivalence, non seulement
une place plus importante est attribuée au juge au sein du
droit des contrats (multiplication des standards juridiques)
et au sein de la relation contractuelle (pouvoirs de réfaction plus importants), mais se dessine aussi une incitation
plus grande des parties à anticiper, à prévoir l’imprévisible
par la rédaction de clauses contractuelles ; l’abandon d’un
droit des contrats appréhendé sous le prisme des obligations est d’ailleurs en ce sens flagrant.
Une réforme qui crée une véritable « peur du juge ».
Plus original encore, il semble y avoir dans cette réforme
un message subliminal qui se confirmera très certainement en pratique. Ce message consiste à présenter le
juge comme une mesure ultime. Ce que crée, volontairement ou non, la réforme du droit des obligations c’est une
« peur du juge ». L’objectif poursuivi ou du moins le résultat obtenu est de dissuader les parties et les justiciables
de solliciter trop souvent l’intervention du juge. Cela se
traduit de deux manières. D’une part, les parties sont invitées à rédiger de nombreuses clauses contractuelles pour
encadrer au plus près leur relation amenée à s’inscrire
dans la durée. Ce n’est peut-être pas le meilleur côté du
droit américain qui a inspiré le législateur français, mais
c’est un fait : le contrat sans se réduire à un ensemble de
clauses doit « tout » prévoir pour limiter le contentieux
et prévenir au mieux l’intervention du juge qui dispose
désormais de nombreux outils juridiques pour s’immiscer
dans le contrat. Ensuite et surtout, puisque la saisine du
juge devient plus aléatoire en raison des notions souples à
sa disposition et des pouvoirs plus importants qui lui sont
octroyés, les parties sont invitées, de manière implicite, à
préférer les modes alternatifs de règlement des conflits,
mettant la réforme du droit substantiel en conformité avec
la « Justice du 21e siècle » (Projet J21) (sur cette interprétation, S. Amrani-Mekki, Allocution lors de la conférence
sur le projet de réforme du droit des obligations et les tribunaux de commerce, 28 nov. 2015).
Identifier et gérer les risques. Quoi qu’il en soit, la réforme se profile et les acteurs du monde économique
doivent s’en accommoder. Comme toute réforme, elle
sera, du moins pendant un temps, source d’interrogations. Toute réforme fait naître de nouveaux risques.
Risques générés par de nouveaux principes, de nouveaux
concepts, de nouveaux standards, de nouveaux pouvoirs.
Le plus important pour les acteurs économiques consiste,
tout d’abord, à identifier ces risques. L’identification des
risques limite ainsi la part d’aléa qui accompagne toute
réforme. Une fois ces risques identifiés, l’imagination
des praticiens sera mise au service des parties pour une
meilleure gestion des risques. Le contrat et les clauses
contractuelles sont ici à l’honneur confortant cette formule éclatante de vérité lancée il y a quelques années par
le professeur Mousseron : le contrat est un instrument de
gestion des risques. Les praticiens sont invités à relire et
à réécrire.
Alors pourra-t-on encore faire de bonnes affaires au lendemain de la réforme du droit des obligations ? Absolument,
à condition de prendre le temps, avant l’entrée en vigueur
de la loi, d’identifier les risques (I), afin de mieux les
gérer (II).
I. IDENTIFICATION DES RISQUES
L’objectif n’est pas de dresser un panorama complet des
risques que peut faire naître cette réforme du droit des
obligations mais de cibler les principales sources d’incertitudes. À la lecture de la réforme, il existe deux séries de
risques à l’égard desquels les praticiens du monde des
affaires devront se montrer particulièrement vigilants.
Ces risques renvoient principalement à l’imprévisibilité
de la réforme : imprévisibilité de la loi et imprévisibilité
du contrat.
A. Imprévisibilité de la loi
Pulvérisation des standards juridiques. Le projet d’ordonnance du 25 février 2015 comporte pour l’essentiel une
consolidation des acquis jurisprudentiels. On observe cependant au sein du futur Titre III du Livre III un phénomène
prégnant : la multiplication des standards juridiques. Les
standards juridiques ne sont pas un phénomène inconnu
du droit civil. Que l’on songe à la notion d’ordre public, de
bonnes mœurs, d’intérêt de la famille, d’intérêt de l’enfant
et bien d’autres encore. La nouveauté réside, d’une part,
dans la pulvérisation de ces standards. Les exemples sont
légion : « incompatibilité » entre les conditions générales
(art. 1120, al. 2), « confiance » (art. 1129), « opération
d’ensemble » (art. 1186, al. 2), délai et personne « raisonnable » (art. 1116, 1118, 1125, al. 3, 1157, 1188, al. 2, 1198,
1212, 1222, 1226, 1301-1, 1305-1, al. 2, et 1307-1), « déraisonnable » (art. 1121), « raisonnablement » (art. 1218),
« certain temps » (art. 1124), inexécution « imparfaite »
(art. 1223), « déséquilibre significatif » (art. 1169), « substance de l’obligation essentielle » (art. 1168), « état de
nécessité » (art. 1142), « attentes légitimes » (art. 1163,
al. 2, 1164 et 1166), « intérêt général » et « intérêt particulier (art. 1178 et s.), proportionnalité (art. 1102,
al. 2), « bonne foi » (art. 1103), « abus » (art. 1163, al. 2,
1212, al. 2, et 1142). Les standards juridiques entendus
au sens large, intégrant ainsi les notions souples, les
notions à contenu variable, les délégations de pouvoir…,
sont l’expression d’un « autoscepticisme » du législateur
(G. Cornu). En tout état de cause, les juges deviennent par
nécessité des auteurs-acteurs de la norme (G. Timsit).
L’autre particularité de ces nouveaux standards réside
dans le fait qu’ils se situent moins, comme leurs prédécesseurs, dans un rapport vertical (bonnes mœurs,
ordre public) mais produisent leurs effets dans les rapports horizontaux entre les parties. De cette manière, ces
standards invitent le juge à s’immiscer davantage dans la
relation contractuelle.
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19
D octr i n e
“ L’imprévisibilité de la loi
réside également dans la persistance
de certaines lacunes auxquelles le juge
va devoir remédier
”
Les incohérences du projet de réforme. L’imprévisibilité
de la loi réside également dans la persistance de certaines
lacunes auxquelles le juge va devoir remédier. La réforme
le confirme : le juge n’est pas seulement cette « bouche
qui prononce les paroles de la loi » selon la belle formule de Montesquieu. Intervenant praeter legem, il veille
à maintenir la cohérence du système en présence de cas
difficiles, les « hard cases ». Il use de ce « jugement réfléchissant », selon l’idée d’Emmanuel Kant reprise par
Ronald Dworkin : il doit penser une loi et garantir son
unité lors de son application par référence à un critère
fondamental : la cohérence. Or, la réforme sans en être
truffée comporte quelques incohérences. Que l’on songe
à ce nouvel article 1169 qui généralise les clauses abusives, même si le ministère devrait en limiter la portée
dans la dernière mouture aux seuls contrats d’adhésion.
Comment va-t-on combiner ce texte avec l’article L. 132-1
du Code de la consommation ? Doit-on mettre à la disposition des consommateurs une option ou doit-on au
contraire privilégier l’adage selon lequel la règle spéciale
déroge à la règle générale ? Quant à l’article L. 442-6 du
Code de commerce, qui prévoit comme seule sanction une
responsabilité civile à mettre en œuvre devant les huit
juridictions commerciales compétentes, le professionnel pourra-t-il demain combiner l’octroi de dommages
et intérêts et la « suppression » de la clause au fondement de l’article 1169 ? Pourra-t-il à titre principal se
prévaloir de l’article L. 442-6 du Code de commerce, dont
les conditions sont plus strictes (négociation imposée et
déséquilibre significatif), et à titre subsidiaire invoquer
l’article 1169 du Code civil ? C’est au juge qu’il reviendra
encore de le dire. Dans le même esprit, l’action interrogatoire de l’article 1183 qui prévoit que sans réponse
dans un délai de six mois de celui qui est interpellé et qui
pourrait se prévaloir de la nullité il est forclos. Comment
combiner cette restriction du délai à six mois avec d’autres
dispositions ? Cet article est-il compatible avec les délais
imposés par une disposition d’ordre public de protection
comme on en rencontre en droit de la consommation ?
Comment admettre que six mois est un délai suffisant
quand la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 introduisant un
article 2254 au sein du Code civil prévoit qu’une clause
réduisant le délai de prescription ne peut le réduire en
dessous d’un an. Une année n’est-ce pas dans l’esprit
du législateur un délai minimum en deçà duquel l’effectivité des droits serait menacée ? Enfin, la suppression de
l’actuel article 1107 du Code civil, faisant le pont entre le
droit commun et le droit spécial, rend fragile certaines
dispositions du droit commun. Si l’article 1124 du Code
civil prévoit l’exécution forcée en nature de la promesse
unilatérale de contrat, qui empêchera demain un avocat
de soutenir qu’il ne s’applique pas au droit spécial de la
vente et donc ne s’applique pas à la promesse unilatérale
de vente ? Sur ce dernier point, cependant, le ministère
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G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1
semble admettre qu’il s’agit d’une scorie qui sera dans la
version finale corrigée. Les sources d’interrogation sont
encore nombreuses : la définition de la stipulation pour
autrui exclut toute stipulation avec charge ! La résolution
judiciaire qui peut « toujours » être demandée menace
les clauses de renonciation anticipée à la résolution judiciaire. La « suppression » de la clause abusive visée à
l’article 1169, est-elle une nullité partielle ou une clause
réputée non écrite dont les régimes juridiques respectifs
sont radicalement différents ?
Au-delà d’une loi qui, sur certains aspects fondamentaux, manque de prévisibilité, c’est la substance même
de certaines dispositions qui menace la prévisibilité des
contractants.
B. Imprévisibilité du contrat
La réforme du droit des obligations est globalement satisfaisante. Cependant, confrontés à la réalité économique,
de nombreux pans de cette réforme pourraient poser de
sérieuses difficultés. Précisons au préalable qu’il ne s’agit
pas d’un jugement de valeur, approuvant par ailleurs le
pouvoir plus important accordé au juge dans le contrat,
mais d’attirer l’attention sur les « zones de risques » qui
devront être identifiées par les acteurs économiques afin
d’anticiper sur certains effets pervers.
Le détournement de règles protectrices. Tout d’abord,
certaines techniques ne renforcent pas la pérennité du
lien contractuel. Prenons le cas du pacte de préférence
très souvent utilisé dans les pactes extrastatutaires et
dans les cessions de droits sociaux. L’article 1125 prévoit
la possibilité pour un tiers, qui soupçonnerait l’existence
d’un pacte de préférence, d’interpeller le potentiel bénéficiaire. L’absence de réponse dans un délai raisonnable fait
perdre au bénéficiaire le droit de demander la nullité ou la
substitution dans les droits du tiers. Sauf, précise le texte,
s’il existe une clause de confidentialité, qui autorise sans
conséquence le bénéficiaire à ne pas répondre. Voilà une
disposition qui prive cette action interrogatoire de toute
utilité car les rédacteurs se feront un point d’honneur à
introduire dans chaque pacte de préférence une clause de
confidentialité pour contourner les effets de cette disposition, sauf peut-être à considérer que le tiers n’ayant pas
eu de réponse du bénéficiaire ignorait l’existence du pacte
de préférence ce qui serait un obstacle au prononcé de la
nullité ou de la substitution. « Présumer l’existence » ce
n’est pas connaître. Mais alors c’est la clause de confidentialité qui est privée d’efficacité et le sens du dernier alinéa
in fine de l’article 1125 qui est privé de portée !
Menace pour la force obligatoire du contrat. D’autres
techniques portent une atteinte directe à la force obligatoire du contrat dans un domaine où ce qui est dit devrait
être dû sans possibilité d’échapper à ses obligations. Tel
est l’effet pervers de l’article 1121 du projet rappelant le
principe de l’exécution forcée en nature mais admettant en
même temps son éviction en cas de coût manifestement
déraisonnable. N’est-ce pas dans les projets contractuels les plus importants économiquement, notamment
immobiliers, inciter le contractant à ne pas respecter
les termes de son contrat en pariant et en budgétant son
droit de ne pas exécuter son obligation ? En outre, comment un juge devra-t-il apprécier le coût manifestement
déraisonnable ? Doit-il tenir compte du déséquilibre entre
le préjudice causé et le coût de l’exécution en nature ou
Do ctr in e
doit-il comparer la capacité économique du débiteur de
l’obligation ? Dans le même ordre d’idées, l’article 1223
dispose que « le créancier peut accepter une exécution
imparfaite du contrat et réduire proportionnellement le
prix ». Le pouvoir ainsi accordé au créancier lui permet,
sans modalités ni contrôle préalable du juge, de faire pression sur son cocontractant et de lui imposer une révision
unilatérale du prix. Mais dans quel but ? Il serait opportun
que les parties évincent à l’avenir une telle disposition.
Un risque d’impressionnisme jurisprudentiel. D’autres
dispositions accordent aux juges un pouvoir sans précédent au sein du contrat pouvant donner naissance à une
certaine forme d’impressionnisme jurisprudentiel. Que
l’on songe à l’article 1102 alinéa 2 qui consacre un contrôle
de proportionnalité pour les contrats portant atteinte aux
droits fondamentaux. La consécration est bienvenue car
le mécanisme existe déjà depuis longtemps dans la jurisprudence, mais il serait de bon aloi que les circulaires
interprétatives éclairent un peu plus sur ce que la loi entend par « droits et libertés fondamentaux reconnus dans
un texte applicable aux relations entre personnes privées » et sur le mode de raisonnement des juges. Doit-on
par exemple légitimement exclure le cas des personnes
publiques intervenant dans le domaine privé ?
Que l’on songe encore au pouvoir de révision unilatérale,
accordé au juge en cas de fixation abusive du prix, révision
qu’il devra opérer par référence notamment aux usages,
aux prix du marché et aux attentes légitimes des parties.
Pouvoir plus important également de ces juges qui, au
moyen de « l’état de nécessité » de l’article 1142 ou du
« déséquilibre significatif » de l’article 1169, peuvent lutter contre les déséquilibres excessifs. Or, la notion d’état
de nécessité n’est pas simple à délimiter, fruit en droit
pénal d’un raisonnement en équité prêté au « bon juge »
de Château-Thierry, le juge Magnaud. Quant au déséquilibre significatif limité aux contrats d’adhésion, les
incidences en droit des affaires seront moins importantes.
Cependant, ne nous voilons pas la face, il suffira de simuler une fausse négociation, ce qui est déjà le cas dans le
contentieux allemand des contrats, pour échapper à cette
disposition. Les mêmes interrogations existent à l’égard
de l’article 1168 qui dispose que « toute clause » qui porte
atteinte à la substance de l’obligation essentielle est réputée non écrite. La marge de manœuvre est importante,
le « toute clause » renvoyant aux clauses exonératoires
certes mais aussi aux clauses de divisibilité, clauses relatives à preuve, clauses de réclamation des victimes. Ce
sont toutes les clauses qui peuvent être réputées non
écrites à l’aune d’un article dont les termes sont relativement larges.
Imperfections législatives. Parfois l’imprévisibilité provient d’un manque de clarté des dispositions, sources
d’insécurité. Tel est le cas lorsque le législateur pose un
devoir général d’information dont on ignore les contours :
ne faisant aucune référence à l’obligation de renseigner
pour être informé, cela signifie-t-il qu’une telle obligation du contractant a disparu ? En abordant l’obligation
d’information de manière générale en la rattachant à la
réticence dolosive, introduit-elle l’obligation par exemple
pour l’acquéreur d’informer le vendeur de la valeur du
bien vendu ? Probablement pas et le projet définitif devrait
en principe apporter une telle précision. À cet ensemble,
il faut ajouter les imperfections du régime général des
obligations : la cession de dette sans le consentement du
créancier ni même une notification risque de réduire la
capacité de réactivité d’un créancier qui ignore qui est son
débiteur principal ? Encore une fois, le législateur devrait
sur ce point corriger sa copie dans la version finale. Dans
la cession de contrat (art. 1340, al. 3) et la cession de dette
(art. 1338, al. 2), qui est ce fameux « garant » dont on peine
à déterminer le statut ? Il serait plus prudent de le qualifier
de co-débiteur. Quant au paiement en monnaie étrangère,
pourquoi le limiter aux seuls « contrats internationaux »
là où la jurisprudence actuelle l’étend aux paiements internationaux (art. 1321-3). En ce sens, le remboursement
d’un prêt destiné à financer une opération en Argentine est
actuellement un paiement international. Le prêt consenti
en dollars peut être remboursé en dollars sur le territoire
français. En revanche, ce n’est pas un contrat international
et à l’avenir donc ce type de paiement sera prohibé. Enfin,
laissons de côté le droit des restitutions (art. 1353 et s.)
dont on peine à comprendre la philosophie d’ensemble
(objective ou subjective) et la cohérence des dispositions
pour la plupart mal pensées et mal ordonnées.
Les autres sources d’imprévisibilité sont nombreuses
mais il semble inutile de continuer ce catalogue qui n’a pas
le charme d’une liste à la Prévert. Probablement un mal
nécessaire, spécialement au lendemain d’une réforme de
cette envergure, cette « zone de risques » doit susciter
une réaction des acteurs économiques. Ils se doivent, à
l’aide des juristes qui les accompagnent, de penser aux
meilleurs moyens de gérer cette imprévisibilité.
II. GESTION DES RISQUES
La culture du contrat doit devenir dans l’esprit des rédacteurs, juristes d’entreprise et avocats d’affaires, une
culture à l’américaine. Il faut tout prévoir et tout anticiper
avec le risque d’entraîner une enflure du contenu et une
indigestion contractuelle. La gestion des risques nés de la
réforme du droit des obligations est à ce prix. Cette gestion
du risque passe donc principalement par les contractants.
Au-delà, cependant, la gestion du risque doit être relayée
par la collaboration des différents pôles émetteurs du
droit (juges et autorités administratives).
A. La gestion du risque par les contractants
Confrontés aux incertitudes de la réforme, les praticiens
vont devoir rédiger avec précaution un grand nombre de
clauses contractuelles qui ne supprimeront pas le risque
créé mais limiteront l’étendue de l’aléa. En quelque sorte,
la réforme du droit des obligations en vient à intégrer dans le
droit des contrats le principe bien connu en droit des sociétés : comply or explain ! Soit les parties prennent la peine
de rédiger des clauses contractuelles limitant le risque, soit
elles supportent les risques d’une intervention judiciaire.
Clauses et « révision » pour imprévision. Certaines
clauses devront par anticipation répartir les risques entre
les parties. On pense immédiatement à la résiliation pour
imprévision, qui dans sa dernière version devrait devenir une véritable révision pour imprévision (art. 1196). Cet
article précise qu’en cas d’imprévision l’une des parties
peut demander à renégocier le contrat. « En cas de refus
ou d’échec », les parties peuvent demander l’adaptation du
contrat. Enfin, « à défaut », une partie peut demander au
juge de « mettre fin » au contrat. Cette disposition n’est pas
d’une grande clarté. La tentative de renégociation doit-elle
G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1
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D octr i n e
nécessairement précéder la requête conjointe en adaptation ? La demande de résiliation n’est-elle possible qu’« à
défaut » d’adaptation ou « qu’à défaut » de renégociation
préalable ? Autrement dit, faut-il tenter la renégociation et/
ou l’adaptation avant de demander au juge de mettre fin
au contrat ? Le plus simple pour les parties est d’anticiper.
Deux solutions sont envisageables, soit on exclut l’application de cette disposition car le texte réserve lui-même le cas
d’une clause par laquelle une partie accepterait d’assumer
les risques d’une imprévision (mais alors n’y a-t-il pas un
risque de la voir qualifier d’abusive au sens de l’article 1169
ou de clause portant atteinte à la substance de l’obligation
essentielle au sens de l’article 1168 ?) ; soit on aménage
le processus de « révision » pour imprévision en prévoyant
l’absence ou l’existence d’une hiérarchie entre les étapes
de renégociation, d’adaptation et d’extinction du contrat.
Clauses contractuelles versus standards juridiques. En
outre, les clauses contractuelles permettent de limiter la
marge de manœuvre accordée aux juges par les standards
juridiques. Par exemple, toutes les dispositions invitant le
juge à tenir compte des « attentes légitimes » des parties
doivent inciter les contractants à être très précis sur leurs
intentions. Tel est le cas notamment pour la révision du prix
en cas de fixation abusive. Dans le même ordre d’idées, le
spectre du délai raisonnable plane sur de nombreuses dispositions. Il est une invitation à peine cachée des parties à
prévoir un délai conventionnel pour éviter toute discussion.
Notamment dans l’hypothèse d’une offre (art. 1116 et 1118),
du préavis avant rupture (art. 1212) ou de l’option du créancier en cas d’obligations alternatives (art. 1307-1, al. 2)…
Dans tous ces cas, l’existence d’une clause prévoyant et
imposant un délai conventionnel est plus prudente. Dans
le même esprit, l’abus d’un état de nécessité ou de dépendance auquel la version finale devrait ajouter l’existence
d’un avantage excessif, oblige le rédacteur à justifier
l’économie générale du contrat. Des clauses expliqueront
pourquoi il n’y a pas abus car le contrat est globalement
équilibré, que la situation de la « partie en état de faiblesse » a été prise en considération et que cette dernière
tire un avantage satisfaisant du contrat conclu.
Clauses contractuelles et clauses abusives. Quant aux
clauses abusives, l’existence d’un contrat d’adhésion
devrait à l’avenir circonscrire le champ d’application de
l’article 1169 du projet. Le contrat d’adhésion est défini
à l’article 1108 alinéa 2 comme celui « dont les stipulations essentielles, soustraites à la libre discussion, ont
été déterminées par l’une des parties ». Pour échapper
à cette disposition, il suffit que les parties négocient les
stipulations objectivement ou subjectivement essentielles.
Il est important d’insister dans l’acte sur le caractère
essentiel des stipulations concernées et d’expliquer de
quelle manière la négociation est intervenue afin de parer
à toute contestation ultérieure. Au surplus, en déterminant le caractère essentiel de certaines clauses, peut-être
pourra-t-on échapper à la suppression de la clause en
exigeant la suppression du contrat dans son intégralité.
Encore faut-il que le mot « supprimer » renvoie à une nullité partielle et non au réputé non écrit. Dans ce dernier
cas, quand bien même la clause serait la cause impulsive
et déterminante de l’engagement, elle pourrait être supprimée et le contrat maintenu s’il a encore un intérêt.
Clauses et ensembles contractuels. Pour éviter les mauvaises surprises, certaines clauses vont devoir anticiper sur
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les incertitudes de l’article 1186 alinéa 2. Selon ce texte, si
le contractant a eu connaissance de l’opération d’ensemble
lorsqu’il a donné son consentement, le principe de l’anéantissement en cascade des contrats prévaut. Ce principe est
dangereux car il étend considérablement le principe de
l’anéantissement en cascade. Il fallait autrefois constater
une indivisibilité, selon les derniers arrêts, plutôt subjective, pour pouvoir invoquer un tel principe. Avec la notion de
« connaissance de l’opération d’ensemble » des ensembles
contractuels pourraient devenir « indivisibles » sans que les
parties ne le sachent ni même qu’elles le souhaitent. Il faudra peut-être à l’avenir exclure cette disposition ou du moins
par une clause contractuelle exclure tout anéantissement
en cascade. Cependant, un autre aléa apparaît ici : les juges
ne vont-ils pas considérer que toute clause de divisibilité est
exclue car elle contredit l’économie générale de l’ensemble
contractuel ? Cela n’est pas exclu au regard de la jurisprudence actuelle de la Cour de cassation.
Les clauses contractuelles permettent de limiter les
risques nés de la réforme en cours, risques notamment
dus à l’immixtion potentiellement plus importante du juge.
Pour réduire cette part d’aléa il faut également compter
sur l’intervention d’acteurs extérieurs au contrat.
B. La gestion du risque au-delà des contractants
Cour de cassation et autorités administratives au service
d’une plus grande sécurité juridique. Pour finir et au-delà
des anticipations conventionnelles, d’autres acteurs, pôles
émetteurs de droit, devraient intervenir pour réduire la part
d’aléa qui entoure la réforme. De quelle manière les autorités pourraient-elles accompagner cette réforme pour un
monde des affaires plus sûr ? Tout d’abord, il est primordial, devant la prolifération des standards juridiques, que
la Cour de cassation considère a maxima qu’il s’agit pour
certains d’entre eux de notions de droit (état de nécessité
par exemple) sur lesquelles elle sera amenée à exercer un
contrôle strict, ou a minima à se livrer à un contrôle strict de
la motivation des juges du fond. Très certainement également la Cour de cassation sera saisie rapidement pour avis
pour fixer et clarifier, par une série d’« arrêts de règlement »
(J. Carbonnier) les techniques les plus sensibles. Ensuite,
il faut encourager une entrée en vigueur décalée dans le
temps pour laisser le temps aux interprètes (notaires, avocats, magistrats, juristes d’entreprise) de se familiariser
avec les nouveaux termes de la loi et laisser également le
temps à l’élaboration de circulaires interprétatives. En outre,
il ne serait pas inutile de penser à confier à une autorité, la
commission des clauses abusives ou la commission d’examen des pratiques commerciales, le soin de dresser, sous
forme de recommandations, une liste des clauses contractuelles sensibles qui pourraient ainsi attirer l’attention des
rédacteurs d’actes. Enfin, on l’aura compris, la saisine doit
rester une mesure ultime et les parties doivent, ce qui est la
tendance générale, prévoir la rédaction de clauses de conciliation ou de médiation qui devraient réduire l’incertitude
liée à l’immixtion d’un juge auquel la loi a décidé de confier
une boîte à outils contractuels plus importante.
Qui aurait cru que la réforme du droit des contrats inviterait les parties à se détourner du juge ? Il n’est pas certain
que les rédacteurs de la réforme en aient pris réellement
conscience. En tout cas soyons rassurés : la réforme du
droit des obligations n’empêchera pas de continuer à faire
de bonnes affaires !
252v0
D oc tr i ne
252n9
AVOCAT
Du regrettable art perdu du secret
252n9
L’essentiel
La transparence est à la mode. Le secret à proscrire. Et les secrets professionnels à lever. Partout. Plus que
jamais. Le droit a placé la société française en général et l’avocat en particulier dans cette situation délicate,
non sans art, comme il en a le secret. Au droit de leur permettre de voir leur droit au secret enfin respecté.
« Rien ne pèse tant qu’un
secret ». La Fontaine, déjà,
Emmanuèle PIERROUX
avouait combien il est diffiAvocat au barreau de
cile, même pour un honnête
Paris
homme, de ne pas divulguer
ce qu’autrui lui a confié (1).
Quelques siècles plus tard, cela l’est toujours, sinon davantage. Aujourd’hui, tout, absolument tout, semble devoir
être révélé. La transparence est à la mode. Plus que jamais. Rien ne paraît devoir demeurer caché des autres, du
public, voire du monde via Internet (2).
Étude par
Le droit interne participe, malheureusement, à cette
œuvre collective de révélation de nos vies, personnelles
comme professionnelles. Du droit civil au droit du travail,
du droit des sociétés au droit bancaire et financier, en
passant par le droit de la concurrence et le droit pénal,
spécialement des affaires, sans oublier le droit processuel
et les différents corps de règles déontologiques, aucune
matière ne semble épargnée. Partant, aucun pan de la
société civile française non plus.
Membre de celle-ci et acteur majeur de la vie juridique
et judiciaire, l’avocat, lui-même, ne l’est guère. Souvent
contre son gré. Spécialiste ou généraliste, exerçant en
contentieux ou en conseil, conciliateur, médiateur ou
arbitre, il se trouve de plus en plus acculé à divulguer
certaines confidences de ses clients quand cet homme
ou cette femme de parole devrait, pourtant, parvenir à un
équilibre entre le secret, « face noble de l’opacité » (3), loué
par Maître Jean-Denis Bredin et « la transparence névrotique » (4), vilipendée par le regretté Guy Carcassonne.
Le droit a placé la société dans son ensemble et l’avocat
en particulier dans cette situation critique non sans subtilité, comme il en a le secret. Au droit de leur assurer,
enfin, le droit au secret.
I. LES SECRETS DU DROIT
« Le Droit est la plus puissante des écoles de l’imagination ». Rarement la célèbre citation de Giraudoux
n’aura sonné plus juste que ces quinze dernières années
(1) Le secret est entendu comme « l’ensemble de connaissances, d’informations, qui
doivent être réservées à quelques-uns et que le détenteur ne doit pas révéler », Le
nouveau petit Robert, V° Secret, 1°. Pour de plus amples développements, v. spéc.
Le secret et le Droit, travaux de l’association Henri Capitant, 1974, t. XXV,
visionnaires et redoutables d’actualité.
(2) V. spéc. D. Soulez Larivière, La transparence et la vertu, Albin Michel, 2014.
(3) J.-D. Bredin, « Secret, transparence et démocratie », in Transparence et secret :
Pouvoirs avr. 2001, n° 97, p. 5.
(4) G. Carcassonne, « Le trouble de la transparence », in Transparence et secret : Pouvoirs avr. 2001, n° 97, p. 17.
s’agissant des atteintes portées au secret, en droit en général et à celui de l’avocat singulièrement.
Que de résonances, d’abord et avant tout, dans le monde
de l’entreprise !
À l’échelle familiale, nombreux sont les voiles pouvant
désormais être levés sur des secrets autrefois tus. Afin
d’assurer l’exercice de ses droits de la défense et en application du principe de l’égalité des armes résultant du
droit au procès équitable garanti par l’article 6, § 1, de la
Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des
libertés fondamentales, un employeur peut, par exemple,
obtenir communication du dossier médical d’un salarié (5),
faire procéder à l’ouverture de l’armoire individuelle de celui-ci (6) ou encore accéder à ses fichiers informatiques (7).
À plus grande échelle, où le capitalisme familial a cédé
la place à celui de l’endettement, le financement par les
marchés financiers a scellé, lui aussi, la fin du secret
et consacré la publicité d’informations jadis confidentielles (8). Des agences en conseil de vote d’actionnaires
(proxies), d’autres de notation et des conseillers financiers
sont devenus indispensables aux investisseurs institutionnels, précisément pour les aider, en amont, à opérer
les vérifications commandées par des exigences déontologiques, éthiques et de transparence, chaque jour plus
conséquentes. Et à prétendre ainsi éviter, en aval, des
scandales tels ceux, récents, ayant éclaboussé la Société
Générale ou Volkswagen, et, plus largement, moraliser
l’économie (9).
Le résultat de telles pratiques, inventées et consacrées
par le droit, peut toutefois s’avérer mortifère pour des
entreprises. Plus les révélations sont importantes, en
quantité ou en qualité, plus le risque l’est. Moins les zones
grises – si propices à la réflexion et sources de créativité –
demeurent, plus celles de turbulence peuvent devoir être
traversées, la réputation lato sensu être entachée et les
difficultés économiques et financières croître. Sans que le
redressement ne soit nécessairement au bout du tunnel.
(5) V. par ex. Cass. 2e civ., 7 oct. 2010, n° 09-16829 : Bull. civ. II, n° 167 – Cass.
2e civ., 25 juin 2009, n° 08-15084 – Cass. 2e civ., 19 févr. 2009, n° 08-11888 :
Bull. civ. II, n° 62.
(6) V. par ex. Cass. soc., 15 avr. 2008, n° 06-45902 : Bull. civ. V, n° 85.
(7) V. par ex. Cass. soc., 19 juin 2013, n° 12-12138 : Bull. civ. V, n° 158 – Cass.
soc., 15 déc. 2009, n° 07-44264 : Bull. civ. V, n° 284 – Cass. soc., 18 oct. 2006,
n° 04-48025 : Bull. civ. V, n° 308.
(8) V. A. Moreaux, « Où placer le curseur de la transparence ? » : www.affichesparisiennes.com, 9 nov. 2015.
(9) Adde : sur la question, originale et incontournable, de la transparence boursière,
v. « Secret des affaires et transparence boursière », in Peut-on réformer la France ?
Les Assises du droit et de la compétitivité, Université Panthéon-Assas, 9 janv. 2015,
Les actes, Le Club des juristes, août 2015, p. 168-194.
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23
D octr i n e
“ En pratique, le secret de
l’instruction est devenu de Polichinelle,
son champ d’application est restrictif,
les poursuites sont rares
”
De ce regrettable dévoilement de secrets à leur dévoiement, il peut, en outre, n’y avoir qu’un pas, légalement
franchi avec l’aide de la procédure pénale. Censée protéger, notamment, le monde des affaires, celle-ci contribue,
tout au contraire, à l’affaiblir. En pratique, le secret de
l’instruction est devenu de Polichinelle, son champ d’application est restrictif, les poursuites sont rares (10) ; le secret
bancaire a été « abandonné en rase campagne » (11) ; une
levée de confidentialité est possible (12).
Sans oublier les apports législatifs et réglementaires en
matière d’écoutes téléphoniques, de perquisitions et de
surveillance des communications électroniques internationales (13), jugés nécessaires par le Gouvernement en
suite des attentats parisiens des 11 janvier et 13 novembre
2015 et, semble-t-il, approuvés par la majorité de la population française (14). Mais vivement critiqués par le monde
judiciaire (15).
La procédure civile peut, elle aussi, autoriser des révélations hasardeuses. Habilement maniée, grâce à la mise
en œuvre du droit positif de l’article 6, § 1, précité, elle
légitime la production en justice d’écrits indiscrets, par
exemple, et de manière inattendue, dans des affaires de
droit des sociétés (16). Malicieusement utilisée, elle rend
publique des confessions intimes, spécialement lors de
litiges de droit du travail (17), de sécurité sociale (18) ou de
droit patrimonial et extrapatrimonial de la famille (19).
Âmes vertueuses s’abstenir ! Adieu bienheureuse réserve,
bonjour maudite indélicatesse !
(10) Pour de plus amples développements, v. S. Guinchard et J. Buisson, Procédure
pénale, LexisNexis, 2013, 9e éd., n° 1857.
(11) Me M. Bonnant, Migros Magazine, 14 avr. 2009, cité in La parole est à l’avocat
d’O. Duhamel et J. Veil, Dalloz, 2015, 2e éd., V° Secret bancaire, p. 148.
(12) V. par ex. Cass. crim., 14 déc. 2011, n° 10-85293.
(13) V. L. n° 2015-912, 24 juill. 2015, relative au renseignement : JO 26 juill.
2015, p. 12735, validée, en la majorité de ses articles, par la décision Cons.
const., 23 juill. 2015, n° 2015-713 DC ; D. n° 2015-1475, 14 nov. 2015
portant application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 modifiée, instituant
un état d’urgence : JO 14 nov. 2015, p. 21297 et L. n° 2015-1556, 30 nov.
2015 relative aux mesures de surveillance des communications électroniques
internationales : JO 1er déc. 2015, p. 22185.
(14) V. « Les Français plébiscitent la politique sécuritaire du gouvernement » : www.
lemonde.fr, 22 nov. 2015 ; « Les Français prêts à restreindre leurs libertés pour
plus de sécurité » : www.lefigaro.fr, 17 nov. 2015.
(15) V. O. Dufour, « Le monde judiciaire en état d’alerte sur les libertés publiques » :
Gaz. Pal. 21 nov. 2015, p. 3, n° 248f8 ; O. Dufour, « Loi Renseignement :
avocats et journalistes judiciaires saisissent la Cour européenne des droits de
l’Homme », entretien avec Maître Patrice Spinosi : Gaz. Pal. 31 oct. 2015,
p. 5, n° 245y3.
(16) V. par ex. Cass. com., 15 mai 2007, n° 06-10606 : Bull. civ. IV, n° 130.
(17) V. par ex. Cass. soc., 12 mai 2010, n° 09-40997. Adde : notes 6 à 8 supra.
(18) V. par ex. Cass. 2e civ., 7 oct. 2010, n° 09-16829 : Bull. civ. II, n° 167.
(19) V. par ex. Cass. 1re civ., 22 mai 2002, n° 00-16305 : Bull. civ. I, n° 144. Adde :
sur l’absence de violation du secret bancaire dans une instance en divorce :
Cass. 1re civ., 9 juill. 2014, n° 12-25355.
24
G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1
Et le plus petit dénominateur commun de ces révélations
est : l’avocat. Rarement de son propre gré, souvent malgré
lui.
Parfois, comme l’a illustré, de manière éclatante, la récente affaire dite du Thalys (20), cet artisan du droit, auquel
il prête sa plume et sa parole, semble perdre de vue qu’il
s’exprime pour son client, sur le fondement du mandat que
celui-ci lui a conféré et dans le nécessaire respect de la
loi. L’avocat colporte dans des médias ce que ce client lui
a confié. Il s’y répand. Il ne devrait pourtant pas être attiré
par les lumières de la Ville et méconnaître les obligations
liées à son secret professionnel, outre qu’il prend ainsi le
risque d’être rappelé à l’ordre par son bâtonnier (21).
Plus fréquemment, c’est l’avocat, lui-même, qui subit
les conséquences de l’érosion constante, minutieuse et
insupportable du secret professionnel auquel il est tenu.
Et ses clients en sont les premières victimes.
À cet égard, les tout derniers mois ont été édifiants : la
loi n° 2015-912 du 24 juillet 2015 sur le renseignement,
par son imprécision, permet de mettre sur écoute des
suspects grâce à une procédure simplifiée, contrôlée par
le Premier ministre, légitimant les écoutes directes, indirectes, ou par ricochet, dites « à filets dérivants », entre
un avocat et son client (22).
Le juge pénal considère ainsi que le seul secret professionnel protégé est celui liant le justiciable à son avocat
désigné. Et pourrait faire trembler de colère ceux qui ne
le sont pas, au sens du Code de procédure pénale, tels des
avocats commercialistes ou fiscalistes (23). Partant, leurs
clients.
De même, la loi n° 2015-1556 du 30 novembre 2015 relative aux mesures de surveillance des communications
électroniques internationales autorise-t-elle la collecte
massive de données, dont celles figurant dans les correspondances téléphoniques et électroniques entre un
avocat et ses clients (24), et conforte-t-elle, en ce sens, la
loi d’actualisation de la programmation militaire pour les
années 2015-2019 (25).
Enfin, le coup de massue a été porté par le Conseil
constitutionnel. Statuant sur une question prioritaire de
constitutionnalité, il a énoncé que « si le droit au respect de la vie privée et le secret des correspondances,
la liberté d’expression, les droits de la défense et le
droit à un procès équitable sont protégés par les dispositions de la Déclaration des droits de l’Homme de 1789
(20) V. L. Heinich-Luijer, « Thalys : le secret professionnel des avocats à l’épreuve
de BFM » : rue89.nouvelobs.com/blog/derrière-le-barreau.fr, 24 août 2015.
(21) À rapprocher de la situation belge : v. G. Dupont, « Menaces terroristes : les
avocats rappelés à l’ordre » : www.lalibre.be, 28 nov. 2015.
(22) V. spéc. les décisions de justice formant la jurisprudence dite « Herzog-Sarkozy », notamment l’arrêt rendu le 7 mai 2015 par la cour d’appel de Paris.
Adde : F. Sicard, « Avocats, protégeons les libertés de nos clients au son du
silence » : www.lesechos.fr, 18 juin 2015.
(23) Pour de plus amples développements, v. E. Daoud, entretien avec J.-P. Viart :
www.affiches-parisiennes.com, 1er décembre 2015 et « Le secret professionnel de l’avocat est mort, resterons-nous les bras croisés ? » : rue89.nouvelobs.
com/blog/oh-my-code, 8 juin 2015. Adde : « Loi renseignement : les avocats
craignent pour le secret professionnel » : www.latribune.fr, 8 oct. 2015.
(24) Préc. note 15.
(25) L. n° 2015-917, 28 juill. 2015 actualisant la programmation militaire pour les
années 2015 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense, JO
29 juill. 2015, p. 12873.
Do ctr in e
(articles 2, 4, 11 et 16), aucune disposition constitutionnelle ne consacre spécifiquement un droit au secret des
échanges et correspondances des avocats » (26).
Le secret semble donc se réduire comme peau de chagrin
dans nos vies, et de citoyen et d’avocat. En toute légalité.
Sans protection digne de ce nom. Tel est le constat, triste
et amer. Est-ce sous ce règne de la transparence, élaboré, instauré et consacré par le droit, qu’il convient de
vivre ? Le secret n’est-il pas « l’écrin du bonheur » (27) ? Il
devrait l’être. Tout particulièrement dans notre société si
troublée. Puisse-t-il le redevenir. Grâce au droit et à ses
acteurs, dont l’avocat.
II. LE DROIT AU SECRET
« L’imagination, et non l’invention, est le maître suprême
de l’art, comme de la vie » (28). Du droit aussi. À elle, aujourd’hui et avec harmonie, de contribuer à instaurer, à
défaut de restaurer, une protection efficiente du secret,
de l’avocat en particulier et dans notre société de manière
générale.
Que d’imagination d’abord au sein de la profession
d’avocat ! Unie, barreaux de Paris et de province réunis.
Clamant d’une seule voix : le secret professionnel de
l’avocat est mort ! Vive le secret professionnel !
L’écrivant aussi. Comme en attestent nombre de publications et autres tribunes récentes de la presse, judiciaire
comme généraliste, la rédaction, par les uns, en mai 2015,
d’un projet de loi (29) et le dépôt, par d’autres, le 15 septembre dernier, d’une proposition de loi (30).
Général, absolu et illimité en théorie, le secret professionnel de l’avocat devrait l’être en pratique. Loin de permettre
aux avocats de s’y « draper comme dans la peau du lion
de Némée » (31), le secret professionnel est « la pierre
angulaire de toute défense, de toute justice » (32). Il est
« consubstantiel à l’exercice des droits de la défense » (33).
C’est pourquoi, d’une part, l’avocat ne devrait jamais pouvoir être écouté, sauf s’il est établi, au regard d’éléments
précis et circonstanciés qu’il est préalablement suspecté
d’avoir commis une infraction et, d’autre part, les conversations entre un avocat et son client ne devraient pouvoir
faire l’objet d’une transcription que dans la mesure où
(26) Cons. const., 24 juill. 2015, n° 2015-478 QPC, association French Data
Network et a., 16e consid. V. « Pas de protection spécifique pour le secret professionnel de l’avocat » : www.dalloz-actualite.fr, 27 juill. 2015 ; A. Moreaux,
« Le Conseil constitutionnel valide l’accès de l’État à nos données de
connexion » : www.affiches-parisiennes.com, 27 juill. 2015.
(27) A. Ferney, La conversation amoureuse, Actes Sud, 2000, p. 413.
(28) J. Conrad, Souvenirs personnels, éditions Autrement, 2012, p. 20.
(29) V. « Les avocats rédigent un « projet de loi » pour protéger le secret professionnel » : www.dalloz-actualite.fr, 1er juin 2015, obs. A. Portmann.
(30) V. « Secret professionnel de l’avocat : un projet de réforme à l’Assemblée nationale » : www.dalloz-actualite.fr, 18 sept. 2015, obs. C. Fleuriot.
(31) V. de Séneville, « Avocats : ce que cache la grève de l’aide juridictionnelle » :
www.lesechos.fr, 9 nov. 2015.
(32) Me F. Szpiner, in La parole est à l’avocat, op. cit., V° Secret professionnel, p. 149.
(33) In pétition du 12 novembre 2014 lancée par Me E. Dupond-Moretti, Me
P. Haïk et Me H. Temine.
celle-ci ne porte pas atteinte à l’exercice des droits de la
défense (34).
Les avocats français ne sont d’ailleurs pas isolés dans leur
combat actuel pour le respect de leur secret professionnel. Une action a été intentée en ce sens, en avril 2015,
aux Pays-Bas par un cabinet d’avocats (35) et une décision
majeure a été rendue, le 17 juillet 2015, par la High Court of
Justice, sanctionnant la collecte de données au détriment
du secret professionnel de l’avocat (36).
Le modèle d’une loi de l’État de New-York a également
inspiré des avocats parisiens, qui ont suggéré de le transposer en droit positif français : aucune écoute directe ne
pourrait être pratiquée sans avoir été préalablement autorisée et appréciée par le président du tribunal de grande
instance compétent mais sans lien avec l’affaire ; aucune
écoute indirecte ne serait possible, à tout le moins pour
les avocats ayant déclaré leurs numéros de téléphone,
techniquement neutralisés en cas de tentative d’interceptions de communications (37).
Sans oublier la proposition d’une constitutionnalisation du
secret professionnel de l’avocat et ce, à l’instar de l’Allemagne protégeant, en l’article 10 de sa Loi fondamentale,
le secret des correspondances (38).
Quelle que soit la solution retenue, le secret professionnel de l’avocat doit être un droit. Non pas pour l’avocat
lui-même, mais pour ses clients. Car si la parole est au
premier, c’est pour lui permettre de parler au nom et pour
le compte des seconds. L’avocat, c’est celui qui, étymologiquement, « parle pour » ; l’avocat, c’est celui en lequel
un client place sa confiance ; l’avocat, c’est celui auquel
un client fait des confidences sans imaginer la moindre
trahison.
En cela, le secret de l’avocat diverge d’autres secrets professionnels – médical, bancaire ou de la confession, par
exemple. Médecin, banquier ou prêtre : aucun d’eux n’est
en droit de refuser de répondre à la demande expresse
d’un juge ; l’avocat, lui, le peut. Il est maître de la parole
de son client. De ses mensonges. De ses silences aussi.
Il est seul juge pour déterminer, en conscience, avec discernement et en accord avec son client, ce qu’il est utile
de rendre public pour la défense de celui-ci et ce qu’il importe de conserver dans le secret de son cabinet ou d’un
parloir (39).
(34) V. la pétition et la proposition de loi précitées. Celle-ci suggère de modifier le
Code de procédure pénale en ce que l’interception, l’enregistrement et la transcription de correspondances émises par la voie des télécommunications par un
avocat ne pourraient être effectuées qu’après autorisation du juge des libertés et
de la détention, que ces interceptions ne pourraient excéder deux mois et que
les conversations d’un bâtonnier dans l’exercice de sa fonction ou relevant de
l’exercice des droits de la défense ne pourraient être transcrites.
(35) Affaire Wijngaarden et a. c/ The Netherlands, dont la procédure est consultable
sur le site du cabinet d’avocats ayant intenté l’action : www.prakkendoliveira.
nl.
(36) Pour de plus amples développements, v. www.lawsociety.org.uk/news/pressreleases/mass-data-retention-legislation-rule, 17 juill. 2015 : « Mass data retention legislation ruled illegal by the High Court ».
(37) Transposition évoquée par M. le bâtonnier Sur lors du colloque de l’Institut
de droit pénal du barreau de Paris consacré au secret professionnel de l’avocat,
Maison du barreau, Paris, 4 mars 2015.
(38) F. Sicard, art. préc. des Echos du 18 juin 2015.
(39) Pour de plus amples développements, v. spéc. Secrets professionnels, M.-A. Frison-Roche (dir.), éditions Autrement, 1999. Adde : Lord Denning, The Due
Process of Law, Oxford University Press, USA, 1er mai 2005.
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25
D octr i n e
Le secret professionnel oblige l’avocat. Il lui impose discrétion, délicatesse et dignité. Comme le lui rappelle, sans
cesse, son serment. C’est un devoir (40).
Il ressemble, en ce sens, au secret qui devrait demeurer
dans une société démocratique. C’est une valeur de civilisation à l’aune de laquelle peut se mesurer l’état moral
de celle-ci.
Une certaine réserve, de la discrétion voire le silence devraient être préférés au règne, sinon diktat, ambiant de la
transparence, qui n’est qu’apparence.
Et ce, d’autant plus que cette détestation manifeste du
secret est contre-productive en cette époque engluée
dans des querelles idéologiques. Peu importe, en effet,
la masse d’informations secrètes collectée en amont si
aucun traitement utile n’en est fait en aval. La récente
lutte contre le terrorisme sur le sol français ne l’a-t-elle
pas démontré (41) ?
De surcroît, une transparence ainsi portée aux nues n’estelle pas dangereuse ? Dans quelle mesure, sous couvert
de protection de l’ordre public, de lutte contre le fondamentalisme religieux et de souci de sécurité des citoyens,
n’existe-t-il pas un risque de contrôle de la société par
une restriction des libertés, notamment individuelles ?
Éternelle lutte entre Antigone et Créon.
(40) V. H. Leclerc, « Les secrets de l’avocat », in Secrets professionnels, op. cit., p. 209225, spéc. p. 225.
(41) V. spéc. le billet du 22 oct. 2015 du blog du Monde intitulé « Terrorismes,
guérillas, stratégie et autres activités humaines » (aboudjaffar.blog.lemonde.fr).
26
G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1
De même, une course effrénée aux informations, en
tous genres et en tous lieux, ne dissimule-t-elle pas une
volonté, non pas de recherche louable de la vérité (42), notamment judiciaire, mais celle, non avouable, de contrôle
étatique de l’individu qui s’opèrerait de manière sournoise,
sinueuse et insinuante ? Le doute est permis. Et la vigilance de rigueur (43).
Car, comme l’a rappelé Maître Henri Leclerc, « un monde
où l’on ne pourrait plus partager ses secrets sans craindre
qu’ils ne se transforment en informations serait un monde
où l’individu serait privé de liberté » (44).
Puisse donc le droit au secret, « seul garant matériel pour
les libertés effectives » (45), être consacré. Juridiquement
et judiciairement.
En attendant, il reste un souhait à formuler, peut-être un
rêve à réaliser : persuader celui qui ne l’est pas, citoyen
ou avocat, que ne rien dire des secrets des autres, de ses
clients et des siens, c’est mieux dire…
252n9
(42) V. G. Cornu, « La vérité et le droit », in L’art du droit en quête de sagesse, PUF,
1998, p. 211-226.
(43) À rapprocher du questionnement actuel relatif à l’État d’urgence et à sa prorogation des 18 et 19 novembre 2015. V. spéc. F. Saint-Bonnet, « État d’urgence : « Plus la latitude du pouvoir est grande, plus les citoyens doivent être
vigilants » » : www.lemonde.fr, 26 nov. 2015 ; « État d’urgence : les avocats
restent vigilants » : Bulletin du barreau de Paris, 2 déc. 2015, éditorial.
(44) H. Leclerc, « Les secrets de l’avocat », in Secrets professionnels, op. cit., p. 225.
(45) J.-C. Milner, La Politique des choses. Court traité politique I, Verdier, 2011, p. 22
cité par D. Soulez-Larivière, La transparence et la vertu, op. cit., p. 186.
Jur i sp rud ence
254g9
AVOCAT
La loyauté de la concurrence entre avocats : états des lieux
et prospective au détour de la validité d’une clause
254g9
L’essentiel
Une clause de non-concurrence, même non limitée géographiquement, peut toutefois être valable dès
lors que ne concernant que des clients prédéfinis sur une période donnée. Il y a lieu de rechercher si cette
obligation de non-concurrence est proportionnée aux intérêts légitimes à protéger.
Cass. 1re civ., 10 sept. 2015, no 14-24541, Fidufrance c/ M.X, D (Cassation partielle, CA Paris 2 juill. 2014),
Mme Batut, prés.; SCP Bénabent et Jéhannin, SCP Ortscheidt, av.
P
armi les principes essentiels dont le respect
s’impose à tout avocat figure le principe de loyauté.
Loyauté à l’égard des
clients, mais aussi loyauté
à l’égard des confrères. La
concurrence entre avocats
doit être loyale et ceux-ci
peuvent en encadrer les
modalités, notamment, à
Note par
travers des clauses de nonDominique PIAU
concurrence. Pour autant, il
Avocat au barreau de
convient de concilier ce prinParis, ancien membre
cipe avec le principe du libre
du conseil de l’ordre,
exercice de la profession
membre du Conseil
national des barreaux
d’avocat et, surtout, celui du
libre choix de l’avocat par le
client. L’équilibre n’est pas toujours simple à trouver et
la nécessaire protection des parties faibles justifie que
soient prohibées les clauses de non-concurrence au sein
de la profession d’avocat (1) s’agissant des contrats de
collaborations libérales ou des contrats de travail des avocats salariés (2). Il y a alors lieu d’analyser les clauses des
contrats afin d’annuler celles qui s’analyseraient comme
portant atteinte à la liberté d’établissement ultérieur qu’il
s’agisse de clauses de non-concurrence, de non-rétablissement (3), ou encore de « respect de clientèle » (4). C’est
ainsi que dans une affaire qui concernait le contrat de
travail d’un avocat salarié comportant deux clauses qualifiées de « respect de la clientèle », qu’une cour d’appel
avait validé réformant la décision d’un conseil de l’ordre,
et stipulant respectivement, d’une part, que l’avocat ne
pouvait, sans accord écrit du cabinet, succéder à celui-
(1) Y. Serra, « La prohibition des clauses de non concurrence dans la nouvelle profession d’avocat » : D. 1992, chron. p. 11.
(2) L. n° 71-1130, 31 déc. 1971, art. 7, al. 5 : « Le contrat de collaboration ou le
contrat de travail ne doit pas comporter de stipulation limitant la liberté d’établissement ultérieure du collaborateur ou du salarié » : RIN, art. 14.2.
(3) CA Angers, 2 oct. 1992 : D. 1992, p. 522, note Y. Serra.
(4) CA Nîmes, 10 août 1993 : D. 1994, somm. p. 218, note Y. Serra ; JCP G 1994,
II, 22209, note R. Martin – CA Versailles, 16 févr. 1994 : Gaz. Pal. 12 mai
1994, p. 14, note A. Damien – Cass 1re civ., 21 mai 1996, n° 94-13760 : Bull.
civ. I, n° 218 – Cass 1re civ., 14 oct. 1997, n° 95-13532 : Bull. civ. I, n° 274 ;
D. 1997, IR p. 233.
ci dans des dossiers ou des travaux en cours, et, d’autre
part, qu’il avait comme seule obligation, avant d’accepter
de prêter ses services à un ancien client de son ancien
cabinet et pendant la durée de deux ans à compter de la
cessation du contrat de travail, d’en aviser celui-ci par
lettre recommandée, la Cour de cassation, tout en considérant que la seconde stipulation mettait simplement le
cabinet d’avocats en mesure de s’assurer que son ancien
client ne le confondait pas avec son ancien salarié, sans
que ce client fût contraint à quelque révélation que ce
fût sur l’affaire en cours, et donc, sans que ses intérêts
fussent lésés, et qu’elle était donc légitime, casse l’arrêt
de la cour d’appel en tant qu’il a validé la première stipulation dès lors que celle-ci subordonnait la succession de
l’avocat dans les dossiers à l’accord écrit de son ancien
employeur, ce qui portait une atteinte excessive au principe du libre choix de l’avocat (5).
Pour autant, au-delà de ces interdictions expresses, rien
de ne s’oppose à ce que des avocats conviennent entre
eux d’une clause de non-concurrence, clause dont il a pu
être jugé que dès lors qu’elle est souscrite au profit d’un
confrère à l’occasion de la cession des éléments constitutifs de son cabinet, elle doit être, sauf clause contraire
expresse, présumée comme étant comprise parmi les
droits transmis par le cessionnaire lorsqu’il vient, à son
tour, à procéder à la même opération au profit d’un tiers (6).
La mise en œuvre de ces clauses, dont le non-respect peut
conduire à l’allocation de dommages et intérêts, suppose
leur validité. C’est la question de cette validité d’une
clause de non-concurrence qui faisait l’objet de l’arrêt
commenté.
En l’occurrence, un avocat avait, en vue de son intégration
comme associé (7), conclu plusieurs conventions avec une
structure d’exercice : l’une dite de successeur moyennant
paiement d’une indemnité, une autre dite de collaboration d’une durée de quatre ans pour assurer l’efficacité
de la présentation de clientèle, et une troisième dite de
non-concurrence pendant trois ans. Un tel montage est
(5) Cass 1re civ., 17 nov. 1998, n° 96-17749 : JCP G 1999, II, 10006, note R.
Martin.
(6) Cass 1re civ., 3 déc. 1996 n° 95-10913 : Bull. civ. I, n° 436 ; JCP E 1997, II,
22799, note J.-J. Daigre.
(7) Sur cette question, v. D. Piau, « Collaboration libérale : revenir aux fondamentaux » : Gaz. Pal. 27 juill. 2010, p. 7, n° I2464.
G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1
27
Jur i s p r u de nc e
classique dès lors que l’efficacité d’un accord de présentation de clientèle implique que l’avocat présentant ne soit
pas en mesure de se réinstaller en reprenant cette même
clientèle. L’avocat cédant ses parts ou sa clientèle un autre
s’engage à une obligation de non-concurrence vis-à-vis
du cessionnaire qu’il doit, le cas échéant, faire respecter
dans la structure qu’il rejoindrait par la suite y compris
par ses coassociés (8). Précisément, la collaboration avait
été difficile, et l’avocat s’était réinstallé, probablement
en continuant de travailler avec tout ou partie de la clientèle cédée. La société d’avocat reprochait à l’avocat de ne
pas avoir exécuté de bonne foi les conventions et d’avoir
ainsi compromis le transfert de la clientèle et avait sollicité l’arbitrage du bâtonnier, compétent en la matière (9),
pour obtenir le paiement de dommages-intérêts. Elle fut
déboutée de ses demandes en paiement de la somme de
653 000 €, d’abord partiellement devant l’arbitre désigné
par le bâtonnier (10), qui avait condamné l’avocat à payer
une somme de 320 000 € au titre du manquement à son
obligation de présentation de sa clientèle, notant que si
celui-ci n’avait pas mis en œuvre les moyens nécessaires
afin de permettre la transmission complète et effective
de la clientèle, la société avait elle-même contribuée par
son comportement à son propre préjudice, puis intégralement devant la cour d’appel qui avait considéré que
l’avocat s’était bien acquitté de son obligation (de moyen)
de présentation de la clientèle laquelle n’avait échoué que
du seul fait de l’attitude de la société d’avocat, qui avait
refusé d’annoncer aux clients le transfert de clientèle devant s’opérer à son profit et omis de mettre en œuvre les
moyens nécessaires au succès de l’opération. Pour autant,
la cour (11), comme l’arbitre, avait également cru pouvoir
annuler la clause de non-concurrence souscrite par l’avocat, pour une durée de trois ans, au motif que faute d’être
limitée géographiquement, elle apparaissait disproportionnée au regard de la liberté d’exercice de cet avocat.
S’ensuivit un pourvoi en cassation, qui donne l’occasion à
la Cour de cassation de casser, sur la question de la validité de la clause de non-concurrence, l’arrêt de la cour
d’appel, en considérant, au visa de l’article 1134 du Code
civil et du principe de la liberté d’exercice de la profession
d’avocat, qu’ « en se déterminant ainsi, sans rechercher,
comme il le lui était demandé, si cette obligation de nonconcurrence était proportionnée aux intérêts légitimes à
protéger, dès lors qu’elle ne concernait que les clients de
la SCP, définis comme les personnes physiques ou morales destinataires des factures établies par celle-ci au
cours des douze derniers mois précédant la signature de
la convention de présentation de clientèle, la cour d’appel
a privé sa décision de base légale » (12). En effet, une clause
de non-concurrence est valable dès lors qu’elle est proportionnée au regard des intérêts légitimes à protéger (13)
et ce, même si elle n’est pas limitée géographiquement,
faisant que l’engagement de non-sollicitation de clientèle
souscrit n’en demeure pas moins, a priori, valable dès lors
(8) CNB, Comm. RU, avis n° 2005-037, 26 sept. 2005.
(9) D. n° 91-1197, 27 nov. 1991, art. 1791-1 et s.
(10) Sent. arb. du bâtonnier de Paris, 25 juill. 2012, n° 733-225169.
(11) CA Paris, 2 juill. 2014, Pôle 2, ch. 1, n° 12-15995.
(12) Cass 1re civ., 10 sept. 2015, n° 14-24541.
(13) Cass. soc., 14 mai 1992, n° 89-45300 : Bull. civ. V, n° 309 ; D. 1992, p. 350,
note Y. Serra.
28
G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1
que les clients concernés étaient limitativement énumérés
ce qui permettait de satisfaire le critère de proportionnalité (14) requis. Ce faisant la Cour de cassation opère une
inflexion de sa jurisprudence antérieure, par laquelle elle
avait considéré, ici encore au visa de l’article 1134 du Code
civil et du principe de la liberté d’exercice de la profession
d’avocat, s’agissant d’une clause qui interdisait au cédant
toute forme d’exercice de la profession d’avocat qui viendrait en concurrence du cessionnaire sans limitation de
temps, ni de lieu et que la cour d’appel avait cru pouvoir
valider au motif que « l’illicéité de la clause de nonconcurrence (…) est d’autant moins démontrée qu’il s’agit
d’une cession pour départ à la retraite » (15), que « seules
sont licites les clauses de non-concurrence limitées dans
le temps et l’espace, proportionnées à leur finalité » (16).
Il semble donc que le critère géographique, dont il faut
bien reconnaître qu’il appert quelque peu désuet s’agissant de prestations de service intellectuelles qui peuvent,
en grande partie, pour un client donné, être exercées en
tout point du territoire, soit désormais abandonné en tant
que tel (17) au profit d’une appréciation plus subjective de
la proportionnalité de la clause aux intérêts légitimes à
protéger.
Lorsqu’elle est valablement stipulée, la clause de nonconcurrence se doit d’être respectée et ne saurait être
contournée par l’avocat, tel que celui qui qui poursuivait
son activité professionnelle en constituant une société
unipersonnelle et prétendant que l’obligation de nonconcurrence ne s’appliquerait pas à ladite société (18).
Mais, même en l’absence d’une telle clause l’avocat est
tenu d’une obligation de garantie (19) en cas de cession de
clientèle ou de parts sociales, cession dont l’exécution de
bonne foi implique que les cessionnaires s’interdisent de
conserver ou reprendre les clients constituant la clientèle
cédée. C’est ainsi que fut condamné pour concurrence déloyale, sur le fondement de l’article 1382 du Code civil, un
avocat qui avait notamment informé, par voie de presse,
le public de son inscription, fût-ce à un autre barreau et
ce, sans mentionner la cession de clientèle, continué à défendre les intérêts de clients figurant sur la liste annexée
à l’acte de cession, et tenté de poursuivre sa relation professionnelle avec un correspondant du cabinet cédé. Ces
agissements lui ayant permis de reprendre une partie
de la clientèle cédée et ce, nonobstant le strict respect
de la clause de non-rétablissement prévue par ailleurs
et dont les effets étaient limités au ressort du barreau
d’origine (20).
L’action en concurrence déloyale tend ainsi à sanctionner
des actes contraires à la loyauté en prenant en compte
le caractère libéral de la profession qui implique que
chaque avocat ait la liberté de changer de structure, et
que chaque client soit libre de choisir son avocat, faisant
(14) Cass. com., 4 janv. 1994, no 92-14121 : Bull. civ. IV, n° 4.
(15) CA Paris, 1er févr. 2010, Pôle 2, ch. 1, n° 08-20431.
(16) Cass 1re civ., 6 oct. 2011, n° 10-24158.
(17) Cass 1re civ., 11 mai 1999, n° 97-14493 : D. 1999, 385, note J. Penneau ;
G. Thuillier, « Les conditions de licéité des clauses de non-concurrence » :
D. 2003, chron. p. 1222.
(18) CA Rennes, 27 janv. 2015, n° 13-09002 : D. avocats 2015, p. 195, note Ph.
Touzet.
(19) C. civ., art. 1626 et C. civ., art. 1628.
(20) Cass 1re civ., 15 oct. 2014, n° 13-24948.
Jur ispr ude nc e
qu’il convient d’apprécier l’attitude des avocats à l’aune
des principes précités. Il n’est ainsi pas interdit à un avocat de solliciter la clientèle d’un autre avocat, mais cela ne
doit pas se faire aux termes de manœuvres de détournement de clientèle, manœuvres qui seraient constitutives
d’une faute, engageant dès lors la responsabilité de leurs
auteurs sur le fondement de l’article 1382 du Code civil.
L’appréciation est ici plus stricte que celle d’un simple
manquement à l’obligation de loyauté sur le plan déontologique (21) et il est nécessaire qu’une telle faute soit
en lien de causalité avec le préjudice, ce qui ne saurait
résulter de la seule violation d’une ou plusieurs règles
déontologiques. Comme l’a affirmé sur ce point la Cour de
cassation : « Un manquement à une règle de déontologie,
dont l’objet est de fixer les devoirs des membres d’une
profession et qui est assortie de sanctions disciplinaires,
ne constitue pas nécessairement un acte de concurrence
déloyale », une faute déontologique ne pouvant constituer
un acte de concurrence déloyale que s’il est établi qu’elle
est à l’origine du transfert de clientèle (22) impliquant des
manœuvres illicites (23).
“ L’action en concurrence déloyale
tend ainsi à sanctionner des actes
contraires à la loyauté en prenant en
compte le caractère libéral
de la profession
”
C’est ainsi que le seul transfert de la clientèle suite à
un débauchage ne saurait, en soi, constituer un acte de
concurrence déloyale dès lors qu’« en vertu du principe
de la liberté du commerce et de l’industrie, le démarchage de la clientèle d’autrui, fût-ce par un ancien salarié,
est libre, dès lors que ce démarchage ne s’accompagne
pas d’un acte déloyal » (24). Cette solution est logique : un
ancien salarié ou collaborateur est en droit de constituer
une société ayant le même objet social, d’exercer la même
activité et de démarcher la même clientèle et ce, même
si ce dernier était également associé de la société (25). Le
client disposant d’une liberté pleine et entière du choix de
son avocat, il n’y a concurrence déloyale de la part d’un
avocat que et seulement si ce dernier s’est livré à des manœuvres frauduleuses caractérisées par des actes positifs
et non une simple abstention ou omission, afin de capter
la clientèle d’un autre avocat (26), ce qui ne saurait résulter d’un « simple manque de vigilance et d’une légèreté
blâmable » dont il est démontré qu’ils n’ont pas empêché le cabinet d’avocat de poursuivre ses prestations pour
le compte de ses clients (27). De même que le simple fait
d’adresser une lettre circulaire informant de son départ
(21) D. Piau, « De la portée des règles déontologiques : chronique d’un revirement
à l’aune de la causalité oubliée » : D. avocats 2013, p. 417.
(22) Cass. com., 10 sept. 2013, n° 12-19356 : D. avocats 2013, p. 417, note D.
Piau.
(23) Cass. com., 21 juin 1988, n° 86-19017 : Bull. civ. IV, n° 210.
(24) Cass. com., 10 sept. 2013 n° 12-19356 : D. avocats 2013, p. 417, note D.
Piau.
(25) Cass. com., 19 mars 2013, n° 12-14407.
(26) CA Paris, 28 nov. 2012, Pôle 2, ch. 1, n° 11/00882.
(27) Sent. arb. du bâtonnier de Paris, 22 janv. 2014, n° 721-236955.
en utilisant le fichier client, et d’apposer une plaque précisant ses nouvelles coordonnées, dès lors qu’elle conserve
une dimension et un aspect raisonnable, constitue une
simple information professionnelle, faisant qu’il ne saurait
être fait grief aux avocats retrayants d’avoir averti leurs
clients de leur départ, dès lors qu’il n’est pas établi que
cette information ait été délivrée à l’ensemble de la clientèle du cabinet (28). Mais le fait pour un associé d’informer
ses clients de son départ en accompagnant cette information d’une offre de service précise et d’une proposition
de rencontre caractérise une faute pouvant engager la
responsabilité de l’avocat dès lorsqu’il est avéré que plusieurs clients ont demandé le transfert de leur dossier, à
condition toutefois que la réalité et le quantum du préjudice subi soient établis (29).
Par ailleurs, un débauchage ne doit pas s’accompagner
d’une désorganisation du cabinet privant ce dernier de
certains de ses associés et collaborateurs, et conduisant à une baisse de ses facturations. Tel ne sera pas
le cas si le cabinet d’avocat, qui n’apporte pas la preuve
que l’associé retrayant ait incité des collaborateurs à le
suivre et a pu reconstituer son équipe dans l’année qui
a suivi les départs, démontrant sa capacité à compenser
ceux-ci (30). Inversement, tel sera le cas si les membres
d’un cabinet d’avocats viennent débaucher un collaborateur en se rendant, à l’invitation de ce dernier, dans les
locaux du cabinet pour y procéder à un véritable audit à
la suite duquel deux autres collaborateurs donneront
leur démission pour suivre le premier dans sa nouvelle
structure, tout en incitant une grande partie de la clientèle du cabinet à rejoindre le nouveau cabinet, justifiant
une condamnation à indemniser le préjudice financier lié
à la perte de la clientèle ainsi que le préjudice moral (31).
La faute est souvent caractérisée à travers la brutalité du
départ, comme l’associé emportant avec lui trois autres
associés, une collaboratrice et des clients du cabinet, en
ayant pris soin de dissimuler ce projet à ses autres associés (32). La Cour de cassation a ainsi récemment eu à
connaître du cas de deux avocats qui avaient refusé la proposition de retour en France qui leur a été faite par leur
propre cabinet comme alternative aux difficultés rencontrées avec les autorités administratives chinoises, faisant
le choix d’un retrait avant de s’investir sans délai dans une
nouvelle structure créée quelques jours après. De plus, ils
avaient attiré certains membres des équipes de l’ancien
cabinet, et bénéficié des réseaux constitués depuis des
années en Extrême-Orient par ce même cabinet, profitant ainsi de l’investissement de ce dernier et entraînant
une désorganisation de ses bureaux en Chine, notamment la fermeture de l’un d’entre eux, situation qui a, en
outre, porté atteinte à l’image internationale du cabinet.
Ces éléments caractérisant, pour la Cour de cassation,
une attitude déloyale fautive en lien de causalité avec le
préjudice allégué, justifiant la condamnation des avocats
concernés à payer chacun 100 000 €, au titre du préjudice
(28) CA Versailles, 11 oct. 2012, n° 10-05550 – CA Paris, 28 nov. 2012, Pôle 2,
ch. 1, n° 11/00882.
(29) CA Paris, 21 janv. 2015, Pôle 2, ch. 1, n° 13-02033.
(30) CA Paris, 21 janv. 2015, Pôle 2, ch. 1, n° 12-19304.
(31) CA Paris, 26 oct. 2010, Pôle 2, ch. 1, n° 09-07022.
(32) Sent. arb. du bâtonnier de Paris, 2 juill. 2015, n° 734-258242.
G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1
29
Jur i s p r u de nc e
causé par la désorganisation des bureaux, et 50 000 €, au
titre du préjudice d’image (33).
La question de la concurrence déloyale au sein de la profession d’avocat, qu’illustre un contentieux en plein essor,
est aujourd’hui prégnante, et au-delà des rapports entre
associés, et associés et collaborateurs, s’étend désormais
aux rapports entre avocats dans le cadre de leur exercice
professionnel même, justifiant que des garde-fous soient
posés par voie normative tel que s’agissant des noms de
domaine des sites Internet (34), ou des dénominations sociales des cabinets d’avocats (35). Et ce, d’autant que l’usage
des nouvelles technologies est devenu un terrain propice
aux litiges en la matière. C’est ainsi que l’usage de terme
générique pour dénommer un site Internet, qui entretient
une confusion à l’égard des clients potentiels et est de nature à détourner une partie de la clientèle a été considéré
comme constituant un acte de concurrence déloyale (36),
tout comme le recours par un avocat à un site d’intermédiation, dont l’activité même n’est pas soumise aux règles
de la profession, a pu être jugé comme constitutive d’un
acte de concurrence déloyale dès lors que le développement de la clientèle est alors fondé sur des agissements
contraires à la déontologie (37), justifiant qu’une injonction
soit faite aux avocats concernés de cesser d’utiliser le nom
de domaine ou leur collaboration avec le site. Il en est de
même du recours à des méthodes de référencement susceptibles de conduire à des actes de concurrence déloyale,
tel que l’avocat qui avait inséré un lien entre son site inter-
(33) Cass. 1re civ., 16 avr. 2015, nos 13-28681 et 14-10250 – Cass. 1re civ., 16 avr.
2015, n° 14-10257 PB.
(34) RIN, art. 10.5 ; CNB, Comm. RU, avis n° 2014-36, 4 déc. 2014 ; CNB,
Comm. RU, avis n° 2015-07, 27 mars 2015 ; CNB, Comm. RU, avis
n° 2015-08, 27 mars 2015 - CE, 9 nov. 2015, n° 384728 - CE, 23 déc. 2015,
n° 390792.
(35) RIN, art. 10.6.3. nouveau issu de la DCN n° 2015-002 portant réforme de
l’article 10 du RIN visant à encadrer les dénominations des structures d’exercice ou de moyens pour assurer le respect des principes essentiels de la profession et une bonne information du public, AG CNB 20 et 21 nov. 2015.
(36) CA Paris, 17 déc. 2014, Pôle 2, ch. 1, n° 11-19174 confirmant – Sent. arb. du
bâtonnier de Paris, 23 sept. 2011, n° 740-213226 – CA Paris, 18 déc. 2015,
Pôle 5, ch. 2, n° 15-03732
(37) Sent. arb. du bâtonnier de Paris, 17 sept. 2013, n° 734/237739.
30
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net et celui d’un autre avocat renommé dans sa matière,
lien constitué par le propre nom de ce dernier avocat,
faisant que : « L’évidence d’un lien informatique entre le
site du premier avocat et le nom du second comme unique
critère de recherche, (…) rapprochement de nature à créer
une confusion entre deux avocats ayant la même activité
spécialisée, était à l’origine d’un trouble manifestement
illicite (…) » (38) qu’il convenait de faire cesser, en référé,
sur le fondement des articles 809 du Code de procédure
civile et 1382 du Code civil.
Plus encore, il est certain que la libéralisation de la communication des avocats et l’ouverture à la sollicitation
personnalisée (39), sollicitation qui peut se faire en direction de clients ayant déjà un conseil, accompagnée d’un
renforcement de la transparence (40) liée tant à la généralisation de l’obligation de conclusion préalable d’une
convention d’honoraire (41), qu’à l’affirmation de la pleine
et entière application du droit de la consommation à la
profession d’avocat (42), nécessiteront d’être ferme sur les
principes essentiels afin d’éviter autant que possible un
accroissement prévisible des litiges en la matière. Car
la faute disciplinaire, de par son autonomie récemment
réaffirmée (43), reste plus souple et malléable que la faute
civile, et est seule de nature à permettre une régulation
préventive efficiente.
254g9
(38) Cass. 1re civ., 12 juill. 2012 n° 11-20687: Bull. civ I, n° 133; JCP G 2012,
1121, n° 11, obs. F. G’Sell.
(39) D. Piau, « Publicité et site Internet : l’évolution tranquille » : Maître, n° 231,
janv. 2015 p. 22 ; A. Coignac, « Quand les avocats font leur publicité » :
JCP G 2015, 577.
(40) A. Portmann, « Transparence des honoraires : la DGCCRF pointe des “anomalies” » : Dalloz actualité, 9 sept. 2015.
(41) L. n° 2015-990, 6 août 2015, art. 51, pour la croissance, l’activité et l’égalité
des chances économiques.
(42) CJUE, 15 janv. 2015, n° C‑537/13, Birutė Šiba c/ Arūnas Devėnas :
D. 2015, 213 ; D. 2015, 588, obs. N. Sauphanor-Brouillaud ; D. avocats
2015, p. 268, note C. Caseau-Roche – CJUE, 3 sept. 2015, n° C-110/14,
Costea c/ SC Volksbank România SA ; JCP G 2015, 1110, note G. Paisant – Cass. 2e civ., 26 mars 2015, n° 14-11599 – Cass. 2e civ., 26 mars 2015,
n° 14-15013 – Cass. 2e civ., 10 sept. 2015, n° 14-24301.
(43) D. Piau, « Effets du sursis à statuer et autonomie de la faute disciplinaire : O
tempora. O mores… » : Gaz. Pal. 17 oct. 2015, p. 9, n° 244a8.
Jur i sp rud ence
251s6
Chronique de jurisprudence de droit des contrats
251s6
L’essentiel
Par
Dimitri HOUTCIEFF
Agrégé des facultés de
droit, avocat au barreau
de Paris, associé, Berger,
Houtcieff Associés,
professeur à l’université
Paris-Saclay
La jurisprudence anticipe la réforme annoncée. À l’instar de l’avant-projet
d’ordonnance portant réforme des contrats, la cour régulatrice admet ainsi
désormais clairement l’indivisibilité des contrats de vente et de crédit au-delà des
dispositions du Code de la consommation. De manière moins nette, elle laisse
également entendre que la réticence dolosive peut être constituée quoique l’erreur
provoquée porte sur la valeur de la chose, participant ce faisant à lever quelques
doutes doctrinaux. Encore la réforme qui s’annonce n’est-elle pas une révolution :
nombre de solutions plus classiques y survivront. La cause aurait beau disparaître,
les clauses tendant à restreindre la durée de la garantie de l’assureur au regard
de la responsabilité de l’assuré n’en seront par exemple pas moins réputées
non écrites, tout comme le contractant dans l’incapacité de recopier la mention
manuscrite demeurera contraint de recourir à l’acte authentique, peut-être à
« l’acte d’avocat ». Si l’année qui s’ouvre porte ainsi la promesse d’une nouvelle
aube, le changement paraît devoir s’opérer dans une tranquille continuité.
PLAN
I. F
ORMATION DU CONTRAT........................ p. 31
A. R
encontre des volontés......................... p. 31
B. Vice du consentement et capacité........ p. 32
C. Matière du contrat................................. p. 35
II. EFFET DU CONTRAT................................ p. 36
A. Force obligatoire et bonne foi
contractuelle.......................................... p. 36
B. Exécution et inexécution
contractuelles....................................... p. 37
C. E
ffet relatif du contrat........................... p. 38
III. FIN DU CONTRAT.................................... p. 38
IV. RÉGIME GÉNÉRAL
DES OBLIGATIONS.............................. (néant)
I. FORMATION DU CONTRAT
A. Rencontre des volontés
Le formalisme n’est pas donné à tout le monde 253r3
1
L’essentiel La personne physique qui ne se trouve pas
en mesure de faire précéder sa signature des mentions
manuscrites exigées par les articles L. 341-2 et L. 341-3
du Code de la consommation destinées à assurer sa protection et son consentement éclairé, ne peut valablement
s’engager que par acte authentique en qualité de caution
envers un créancier professionnel.
Cass. 1re civ., 9 juill. 2015, no 14-21763, Banque populaire Côte
d’Azur c/ S., F–PB (rejet pourvoi c/ CA Aix-en-Provence, 22 mai
2014), Mme Batut, prés. ; SCP Célice, Blancpain, Soltner et
Texidor, SCP Richard, av. : Contrats, conc. consom. 2015, n° 10,
comm. n° 240, obs. G. Raymond
L
e formalisme ne doit pas être si
desséché que la protection qu’il
assure ne se fane. Ainsi en va-t-il par
exemple des mentions manuscrites s’imposant parfois en
matière de cautionnement. Ici comme ailleurs, la lettre
doit être vivifiée par l’esprit, ce à quoi s’emploie une jurisprudence profuse : le formalisme ne se ravale pas à un
moyen trivial permettant à la caution d’échapper à son engagement au prétexte d’une mauvaise copie qui n’a guère
nuit à sa compréhension (1). Réciproquement, la caution
qui n’est pas en mesure de saisir la portée de la mention, soit qu’elle l’imite servilement, soit qu’elle la fasse
transcrire par un tiers, ne saurait valablement s’engager,
si même la copie est fidèle : c’est ce dont témoigne cette
Note
(1) Par ex. Cass. com., 5 avr. 2011, n° 09-14358 : Bull. civ. IV, n° 55 ; D. 2011,
p. 1132, obs. V. Avena-Robardet, D. 2012, p. 1578, obs. P. Crocq ; RD bancaire et fin. 2011, n° 89, obs. D. Legeais ; RDC 2011, p. 906, obs. D. Houtcieff – Cass. com., 5 avr. 2011, n° 10-16426 : Bull. civ. IV, n° 54.
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31
Jur i s p r u de nc e
décision rendue par la première chambre civile de la Cour
de cassation le 9 juillet 2015.
Une personne physique s’était portée caution d’une société auprès d’une banque. Après la liquidation judiciaire,
la banque assigna la caution en exécution de son engagement. Les juges du fond annulèrent le cautionnement,
estimant que les prescriptions de l’article L. 341-2 du
Code de la consommation n’avaient pas été respectées (2) :
c’est que la caution était illettrée et, quoiqu’elle ait signé
l’acte, elle n’avait pas reproduit elle-même la mention
manuscrite. La banque se pourvut en cassation. Elle fit
valoir que lorsque la caution est illettrée, il est licite de
recourir à un tiers afin qu’il rédige la mention manuscrite :
à suivre le demandeur au pourvoi, « la caution qui signe un
engagement dont, en raison de son illettrisme, la mention
manuscrite a été rédigée par un tiers, s’approprie la mention manuscrite rédigée pour son compte à la première
personne du singulier et reconnaît avoir eu connaissance
du contenu de cette mention ». Le pourvoi est heureusement rejeté : « La personne physique qui ne se trouve pas
en mesure de faire précéder sa signature des mentions
manuscrites exigées par les articles L. 341-2 et L. 341-3
du Code de la consommation destinées à assurer sa protection et son consentement éclairé, ne peut valablement
s’engager que par acte authentique en qualité de caution
envers un créancier professionnel ».Dès lors qu’elle avait
relevé que la caution était illettrée et qu’elle n’était pas le
scripteur des mentions manuscrites portées sur l’acte de
caution que la banque avait fait écrire, la cour d’appel avait
donc pu en déduire qu’elle ne pouvait se porter caution de
la société selon un acte sous seing privé.
Le présent arrêt va cependant plus loin, il interdit à la
personne physique ne se trouvant pas en mesure de faire
précéder sa signature de la mention manuscrite de recourir à l’acte sous seing privé. Sans doute n’est-ce pas
non plus la première fois que l’illettrisme de la caution
débouche sur la nullité du cautionnement, certes sur un
autre terrain que celui du formalisme. Ainsi dans cette
décision bien connue, où un créancier avait affirmé à deux
cultivateurs illettrés que le cautionnement – qu’il ne leur
avait pas lu – avait pour seul effet de faciliter l’octroi d’un
prêt (4) : l’engagement fut annulé sur le fondement de
l’erreur sur la substance, les cautions ayant donné leur
consentement à une convention ayant un objet autre que
celle à laquelle elles pensaient adhérer. En pareilles circonstances, la mention manuscrite ne saurait dissimuler
l’absence de consentement sous le vêtement de la forme :
n’a-t-elle pas précisément vocation à assurer la protection et le consentement éclairé de la caution ? En thèse
générale, le formalisme ne peut être retourné contre
celui qu’il protège afin de valider en apparence un engagement qui n’a pas été voulu : à cet égard, la solution était
prévisible (5).
La solution n’est pas totalement nouvelle. La chambre
commerciale de la Cour de cassation a déjà affirmé que
lorsque les mentions manuscrites du cautionnement ont
été rédigées par un tiers – fût-il la secrétaire de la caution ! – l’acte devait être annulé, ceci quand bien même la
signature de la caution n’est pas contestée (3). Après tout,
en pareil cas, l’acte ne comporte pas la mention exigée par
l’article L. 341-2 du Code de la consommation, qui impose
que ce soit la caution qui « s’engage » en faisant précéder
sa signature de la mention manuscrite.
Qu’une personne ne soit pas en mesure de recopier la
mention manuscrite – pour des raisons pouvant tenir
à sa langue natale ou bien encore à une incapacité physique – ne signifie pas pour autant qu’elle ne puisse saisir
la portée de l’engagement : on ne saurait donc admettre
qu’elle soit intégralement dépouillée de sa liberté de
contracter. Le devoir de conseil du notaire peut pallier ces
difficultés : on sait du reste que l’exigence de la mention
manuscrite de l’article L. 341-2 du Code de la consommation n’est imposée que s’agissant des engagements sous
seing privé. On s’étonnera cependant de ce que seul l’acte
authentique soit évoqué par cette décision : l’article 663-3 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 ne prévoit-il
pas que « l’acte sous seing privé contresigné par avocat
est, sauf disposition dérogeant expressément au présent
article, dispensé de toute mention manuscrite exigée par
la loi » ? L’acte contresigné par un avocat étant un acte
sous seing privé particulier, il est en l’état exclu par la
motivation retenue : une authentique erreur de plume ?
(2) Selon cet article, comme on sait : « Toute personne physique qui s’engage par
acte sous seing privé en qualité de caution envers un créancier professionnel
doit, à peine de nullité de son engagement, faire précéder sa signature de la mention manuscrite suivante, et uniquement de celle-ci : « En me portant caution
de X, dans la limite de la somme de … couvrant le paiement du principal, des
intérêts et, le cas échéant, des pénalités ou intérêts de retard et pour la durée de
…, je m’engage à rembourser au prêteur les sommes dues sur mes revenus et
mes biens si X n’y satisfait pas lui-même ».
(3) Cass. com., 13 mars 2012, 10-27814.
(4) Cass. 1re civ., 25 mai 1964 : Bull. civ. I, n° 269 ; D. 1964, p. 626 ; RTD civ.
1965, p. 105, obs. J. Chevallier.
(5) V. en ce sens, A.-S. Barthez et D. Houtcieff, Les sûretés personnelles, LGDJ, 2010,
n° 545.
B. Vice du consentement et capacité
La réticence dolosive : l’erreur sur la valeur gagnerait à être reconnue ! 253r4
1
L’essentiel La réticence dolosive n’est pas constituée dès
lors qu’il n’est pas établi que l’acheteur disposait d’informations que le vendeur n’était pas en mesure d’obtenir.
32
G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1
Cass. 3e civ., 16 sept. 2015, no 14-11912, SCI Vence c/ M. et
Mme X, D (rejet pourvoi c/ CA Grenoble, 3 déc. 2013), M. Terrier,
prés. ; Me Balat, SCP Bénabent et Jéhannin, av. : LEDC nov. 2015,
p. 4, n° 160, M. Latina
Jur ispr ude nc e
F
ondée sur l’article 1116 du Code
Note
civil, la réticence dolosive est un
silence volontairement gardé sur
un fait que l’autre partie aurait dû connaître et qui l’aurait dissuadé de contracter ou conduit à conclure à des
conditions différentes. Par évidence, elle ne se conçoit
pas sans l’existence d’une obligation d’information (1) :
nul ne peut être puni de s’être tu qui n’était pas obligé
de parler. L’existence d’une telle obligation à la charge
de l’acheteur a parfois laissé dubitatif. On se souvient du
fameux arrêt Baldus selon lequel l’acheteur n’est pas tenu
d’informer le vendeur de la valeur de la chose vendue (2).
Certains observèrent que cet arrêt attestait sans doute
d’un refus jurisprudentiel de sanctionner l’erreur sur la
valeur (3). Il faut espérer que non : l’erreur indifférente est
ordinairement sanctionnable en matière de dol, ainsi que
le réaffirme opportunément l’avant-projet d’ordonnance
de réforme du droit des contrats (4). Il nous semble pour
notre part que le défaut de sanction peut s’expliquer de
meilleure façon, par le caractère accessible de l’information dissimulée (5). Ainsi, dans l’arrêt Baldus, l’acheteur
de clichés photographiques connaissait la célébrité de
leur auteur, ce que la venderesse ignorait : n’était-il pas
légitime qu’il ne soit pas sanctionné – voire qu’il soit en
quelque sorte récompensé – des diligences accomplies
pour se saisir d’une information accessible à tous ? Un
brin de diligence ne saurait nuire, et l’on ne saurait donc
imposer à un contractant d’informer l’autre de ce qu’il
aurait pu connaître ou est censé savoir. Cette décision
rendue le 16 septembre dernier par la troisième chambre
civile de la Cour de cassation conforte cette intuition.
Une société civile immobilière (SCI) avait vendu à un
couple une maison d’habitation implantée sur une parcelle partiellement boisée faisant partie d’un lotissement.
La SCI refusa de réitérer l’acte devant notaire et les acheteurs l’assignèrent en perfection de la vente. Le vendeur
fit valoir un dol par réticence, prétendant que des informations relatives à la modification des caractéristiques
essentielles du bien vendu n’avaient pas été portées à sa
connaissance par les acheteurs. La SCI affirmait en effet
n’avoir pas été informée de l’adoption d’un nouveau plan
local d’urbanisme rendant la parcelle boisée constructible. L’argumentation fut écartée par les juges du fond
et le pourvoi de la SCI rejeté par la Cour de cassation : la
(1) En ce sens, P. Jourdain, « Le devoir de « se » renseigner » : D. 1983, chron.
p. 139.
(2) Cass. 1re civ., 3 mai 2000, n° 98-11381 : Bull. civ. I, n° 131 ; JCP G 2001, II,
10510, note C. Jamin ; Defrénois 15 oct. 2000, p. 1110, obs. D. Mazeaud ;
Defrénois 15 oct. 2000, p. 1114, obs. P. Delebecque ; RTD civ. 2000, p. 566,
obs. J. Mestre et B. Fages. Adde : Cass. com., 12 mai 2004 : RTD civ. 2004,
p. 500, obs. J. Mestre et B. Fages.
(3) Un arrêt paraît d’ailleurs s’inscrire dans ce courant : Cass 3e civ, 17 janv.
2007, n° 06-10442 : Bull. civ. III, n° 5 ; JCP G 2007, II, 10042, C. Jamin ;
Contrats, conc. consom. 2007, comm. n° 117, L. Leveneur ; D. 2007, p. 1051,
D. Mazeaud ; D. 2007, p. 1054, P. Stoffel-Munck ; Defrénois 30 mars 2007,
p. 443, n° 38562-28, E. Savaux ; RDC 2007, p. 703, Y.-M. Laithier ; RTD civ.
2007, p. 335, J. Mestre et B. Fages.
(4) Art. 1138 de l’avant-projet d’ordonnance portant réforme du droit des contrats,
du régime général et de la preuve des obligations : « L’erreur qui résulte d’un dol
est toujours excusable ; elle est une cause de nullité relative alors même qu’elle
porterait sur la valeur de la prestation ou sur un simple motif du contrat ».
(5) Sur ce point, D. Houtcieff, Droit des contrats, Larcier, 2015, n° 283.
réticence dolosive ne pouvait pas être admise dès lors qu’il
n’était pas établi que les acheteurs « disposai[en]t d’informations que la SCI n’était pas en mesure d’obtenir ».
Voici donc une nouvelle fois l’acheteur dispensé d’une
quelconque obligation d’information au bénéfice du vendeur, lors même que cette information est décisive de la
valeur du bien. La motivation est cependant moins systématique et plus pragmatique que dans la « jurisprudence
Baldus ». Il n’est guère fait état d’une dispense absolue
de l’acheteur d’informer relativement à la valeur du bien,
lors même que les juges de première instance avaient
expressément affirmé, sans être démentis sur ce point
par la cour d’appel, que « l’erreur provoquée dont se prévaut la SCI en ce qui concerne la constructibilité du terrain
porte en réalité sur la valeur vénale de ce dernier [et que]
la victime d’une erreur sur la valeur n’est pas légalement
protégée sauf le cas de la lésion ». Certes, le pourvoi s’est
prudemment abstenu de se placer sur ce terrain… Reste
que la motivation retenue, sans lever tous les doutes, n’exclut pas que l’erreur provoquée porte sur la valeur, pour
peu que l’information non transmise soit difficilement
accessible et qu’elle soit déterminante du consentement
de l’autre partie. Un acquéreur professionnel ne saurait
par exemple dissimuler aux vendeurs profanes les ressources géologiques du terrain qu’ils cèdent (6), pas plus
qu’un garagiste ne devrait masquer l’ancienneté réelle du
moteur du véhicule à son client (7). Si l’information est censément connue de tous, il ne saurait en revanche exister
aucune obligation de la transmettre : l’acheteur ne peut
par exemple se plaindre de l’existence dissimulée par le
vendeur d’une carrière s’il a visité la maison et que la carrière est parfaitement visible (8), pas plus que la caution ne
peut se prévaloir du dol du créancier s’il ne dispose pas
d’informations dont elle-même ne disposait pas (9).
Le trouble social constitué par le comportement dolosif
justifie pleinement la sanction d’erreurs indifférentes
sur le terrain de l’erreur sur la substance, y compris
lorsqu’elles portent sur la valeur. L’exigence d’une information « privilégiée » et d’un manquement à l’obligation
contractuelle de bonne foi, nécessaires à la caractérisation de la réticence, permettent d’éviter qu’elle ne confine
à un instrument de contournement des règles restrictives
de la lésion. Souhaitons que la cour régulatrice en vienne
à l’affirmer sans réticence.
(6) Cass. 3e civ., 15 nov. 2000, n° 99-11203 : Bull. civ. III, n° 119 ; D. 2002, p. 928
obs. O. Tournafond ; JCP G 2002, II, 10054, note C. Lièvremont ; Defrénois
28 févr. 2001, p. 242, obs. E. Savaux ; RTD civ. 2001, p. 355, obs. J. Mestre
et B. Fages.
(7) Cass.1re civ., 19 juin 1985, n° 84-10934 : Bull. civ. I, n° 201 ; Defrénois 1986,
p. 786, J.-L. Aubert.
(8) Cass. 3e civ., 5 déc. 2012, n° 11-20689 – Adde : Cass. 3e civ., 28 mai 2013,
n° 12-12054.
(9) Cass. com., 28 janv. 2014, n° 12-27703 : Bull. civ. IV, n° 20 ; Gaz. Pal.
10 avr. 2014, p. 17, n° 174d8, obs D. Houtcieff – Cass. com., 3 déc. 2003,
n° 00-22584 – Cass. com., 27 juin 2006, n° 04-19239 – Cass. 1re civ., 12 janv.
2012, n° 10-18516.
G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1
33
Jur i s p r u de nc e
L’obligation d’information du vendeur professionnel à l’égard du consommateur n’est
pas une obligation de conseil 253r5
1
L’essentiel Le vendeur ou le prestataire de service professionnel n’est pas tenu d’une obligation de conseil
à l’égard du consommateur au regard de l’article L. 111-1
du Code de la consommation.
Cass. 1re civ., 30 sept. 2015, no 14-11761, M. X c/ Sté Aquadouce
service, FS–PB (rejet pourvoi c/ CA Versailles, 28 nov. 2013),
Mme Batut, prés. ; SCP Nicolaý, de Lanouvelle et Hannotin, SCP
Yves et Blaise Capron, av.
I
l n’est pas si loin le temps où
Jean Foyer qualifiait le droit de
la consommation de « droit des
« pauvres types », des « paumés » » (1). La protection
que cette branche confère au contractant, parfois contre
ses propres négligences, peut sans doute quelquefois
être jugée excessive. Le droit commun tend cependant
aujourd’hui également à conférer une forte protection
à certaines parties supposément faibles : voire il arrive
qu’il leur soit plus accort que le droit de la consommation lui-même, ainsi qu’en atteste cette décision rendue
le 30 septembre 2015 par la première chambre civile de la
Cour de cassation.
Note
Un particulier fit installer un abri de piscine à son domicile, sans toutefois prendre garde aux règles d’urbanisme.
Ayant contrevenu à ces dernières, il fut contraint de déposer l’ouvrage. Aussi assigna-t-il le vendeur en annulation
du contrat de fourniture et d’installation du matériel.
Il prétendit en substance qu’en tant que professionnel, le vendeur ne pouvait ignorer les caractéristiques
essentielles du bien – en l’occurrence la sujétion aux
règles de l’urbanisme compte tenu de la dimension de
l’abri – et qu’il lui appartenait de le mettre en mesure de
les connaître : l’acheteur invoqua donc un double manquement aux règles de l’article 1147 du Code civil et de
l’article L. 111-1 du Code de la consommation. La Cour
de cassation écarta le moyen en ce qu’il était pris d’une
violation de l’article 1147 du Code civil, en ce qu’il était
nouveau et mélangé de fait. Restait à trancher la question de l’obligation d’information sur le terrain de l’article
L. 111-1 du Code de la consommation : le pourvoi est également rejeté sur ce point. Selon la Cour de cassation, « le
vendeur-installateur d’un abri de piscine n’étant pas tenu,
au regard de l’article L. 111-1 du Code de la consommation, d’informer l’acquéreur des conséquences d’une telle
installation sur la surface hors œuvre nette dont dispose
le propriétaire du terrain supportant l’ouvrage, c’est à bon
droit que la cour d’appel a retenu que la société n’avait pas
manqué à son obligation précontractuelle d’information ».
lisible et compréhensible, les informations suivantes : 1°
Les caractéristiques essentielles du bien ou du service,
compte tenu du support de communication utilisé et du
bien ou service concerné ; 2° Le prix du bien ou du service,
en application des articles L. 113-3 et L. 113-3-1 ; 3° En
l’absence d’exécution immédiate du contrat, la date ou le
délai auquel le professionnel s’engage à livrer le bien ou
à exécuter le service ; 4° Les informations relatives à son
identité, à ses coordonnées postales, téléphoniques et
électroniques et à ses activités, pour autant qu’elles ne
ressortent pas du contexte, ainsi que, s’il y a lieu, celles
relatives aux garanties légales, aux fonctionnalités du
contenu numérique et, le cas échéant, à son interopérabilité, à l’existence et aux modalités de mise en œuvre
des garanties et aux autres conditions contractuelles. La
liste et le contenu précis de ces informations sont fixés
par décret en Conseil d’État. Le présent article s’applique
également aux contrats portant sur la fourniture d’eau,
de gaz ou d’électricité, lorsqu’ils ne sont pas conditionnés
dans un volume délimité ou en quantité déterminée, ainsi
que de chauffage urbain et de contenu numérique non
fourni sur un support matériel. Ces contrats font également référence à la nécessité d’une consommation sobre
et respectueuse de la préservation de l’environnement »,
cercle les contours de l’obligation précontractuelle d’information dont le vendeur ou le prestataire de services
professionnel est tenu à l’égard du consommateur : ainsi
lui impose-t-il notamment d’informer ce dernier des caractéristiques essentielles du bien. Elle ne va cependant
pas jusqu’à charger le professionnel d’une obligation de
conseil ou de mise en garde. Sèche, l’obligation d’information impose seulement de transférer des indications
objectives sur l’objet du contrat ou bien encore sur l’opération envisagée. Au contraire de l’obligation de conseil,
elle n’implique pas de suggérer en outre au créancier de
l’information ce qu’il doit en faire en tenant compte de ses
besoins ou de sa situation, pas plus qu’elle ne contraint
à informer des risques ou désavantages de la prestation
fournie. Bref, l’article L. 111-1 du Code de la consommation n’impose qu’une simple obligation d’information,
non une obligation de conseil ou de mise en garde. Le
demandeur au pourvoi regrettera donc certainement de
n’avoir pu se prévaloir de l’article 1147 du Code civil. La
jurisprudence n’hésite pas en effet à charger le vendeur
professionnel d’une obligation de conseil sur ce terrain,
au point de le contraindre de s’informer pour informer
son contractant sur le fondement du droit commun (2). Par
où l’on voit que le Code civil est parfois plus protecteur
encore que le Code de la consommation.
L’article L. 111-1 du Code de la consommation, lequel
dispose : « Avant que le consommateur ne soit lié par un
contrat de vente de biens ou de fourniture de services, le
professionnel communique au consommateur, de manière
(1) J. Foyer, « Le terme du renouvellement en matière de marques » : JCP E 1993,
301.
34
G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1
(2) Par ex. Cass. 1re civ., 3 déc. 2014, n° 13-27202 : Contrats, conc. consom. 2015,
comm. n° 56, obs. L. Leveneur : L’obligation de conseil imposait au vendeur de
s’informer des besoins de l’acheteur afin d’être en mesure de lui fournir tous les
renseignements indispensables à l’utilisation prévue du véhicule vendu.
Jur ispr ude nc e
C. Matière du contrat
La durée de la garantie de l’assurance ne saurait être moindre que la durée
de la responsabilité de l’assurée 253r6
1
L’essentiel Toute clause ayant pour effet de réduire la
durée de la garantie de l’assureur à un temps inférieur
à la durée de la responsabilité de l’assuré est génératrice d’une obligation sans cause et doit être réputée non
écrite.
Cass. 3e civ., 26 nov. 2015, no 14-25761, Sté Axa France IARD
c/ Sté Thelem, PB (cassation CA Paris, 10 sept. 2014), M. Chauvin,
prés. ; SCP Célice, Blancpain, Soltner et Texidor, SCP Sevaux et
Mathonnet, av.
S
i l’avenir de la cause est compromis par l’avant-projet
d’ordonnance portant réforme du
droit des contrats, du régime général et de la preuve des
obligations, elle n’est pour l’heure pas encore morte. En
témoigne cette décision rendue le 26 novembre 2015 par
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, où le
droit commun croise le droit des assurances.
Note
Un couple avait conclu un contrat de construction de maison individuelle avec une société, laquelle sous-traita les
travaux de gros œuvre. Près de dix ans après la réception
sans réserve des travaux, des fissures se révélèrent sur
un mur de soutènement : les acheteurs assignèrent la société et son assureur, lequel appela celui du sous-traitant
en garantie. Les juges du fond rejetèrent cette dernière
demande, relevant que la police souscrite prévoyait une
période de garantie plus réduite que celle pendant laquelle la responsabilité de l’assuré pouvait être engagée,
la responsabilité du sous-traitant relevant d’une assurance facultative et l’assureur était libre de fixer la durée
de sa garantie au délai de dix ans à compter de la réception des travaux. La décision est censurée sous le triple
visa des articles 1131 du Code civil, et L. 124-1 et L. 124-3
du Code des assurances. La motivation est implacable :
« Toute clause ayant pour effet de réduire la durée de la
garantie de l’assureur à un temps inférieur à la durée de la
responsabilité de l’assuré est génératrice d’une obligation
sans cause et doit être réputée non écrite ».
La cause demeure décidément un instrument de police
judiciaire de l’équilibre contractuel. Sans aborder ici les
questions propres au droit des assurances, l’on rappellera toutefois que c’est en ce domaine que cette fonction
de la cause s’est précisée. On se souvient ainsi de cette
série de décisions rendues au seuil des années quatrevingt-dix en matière de « clauses de réclamation » (1), où la
cour régulatrice affirmait que « le versement des primes
pour la période qui se situe entre la prise d’effet du contrat
d’assurance et son expiration a pour contrepartie nécessaire la garantie des dommages qui trouvent l’origine dans
un fait qui s’est produit pendant cette période » pour en
(1) Il s’agit, comme on sait, des clauses stipulant que seules sont garanties « les réclamations survenues durant la période de validité de la police ».
déduire que « la stipulation de la police selon laquelle le
dommage n’est garanti que si la réclamation de la victime,
en tout état de cause nécessaire à la mise en œuvre de
l’assurance de responsabilité, a été formulée au cours de
la période de validité du contrat, aboutissait à priver l’assuré du bénéfice de l’assurance en raison d’un fait qui ne
lui est pas imputable et à créer un avantage illicite comme
dépourvu de cause au profit de l’assureur qui aurait alors
perçu des primes sans contrepartie » (2). Fertilisés sur ce
terreau, ces principes ont fructifié et sont à l’origine de la
jurisprudence dite « Chronopost » (3) et de ses avatars (4)…
Cette jurisprudence prospère donc encore en droit des
assurances. Peu importe qu’il s’agisse ou non d’une
clause de réclamation : quelles que soient leurs modalités – clause de réclamation ou encore de survenance du
dommage, la jurisprudence écarte systématiquement les
stipulations ayant pour effet de dissocier la durée de la
garantie et celle de la responsabilité (5). Tout au plus les
clauses correspondant à des clauses types édictées dans
le cadre d’une assurance obligatoire (6) : voilà qui renvoie
également au droit commun, où la cause se dissimule mal
sous les traits de l’obligation essentielle. On sait en effet
qu’il est admis que « si une clause limitant le montant de la
réparation est réputée non écrite en cas de manquement
du transporteur à une obligation essentielle du contrat,
seule une faute lourde, caractérisée par une négligence
d’une extrême gravité confinant au dol et dénotant l’inaptitude du débiteur de l’obligation à l’accomplissement de sa
mission contractuelle peut mettre en échec la limitation
d’indemnisation prévue au contrat type établi annexé au
(2) Cass. 1re civ., 19 déc. 1990, nos 88-12863, 87-15834 et 87-11717 : Bull. civ. I,
n° 303 ; Gaz. Pal. Rec. 1991, 1, p. 81 ; D. 1991, IR p. 13 ; JCP E 1991, n° 170,
obs. J. Bigot ; JCP G 1991, II, 21656, note J. Bigot ; RTD civ.1991, p. 323,
obs. J. Mestre ; RGAT 1991, p. 155, concl. Charbonnier, note J. Bigot ; RDI
1991, p. 78, obs. G. Legay. V. pour la solution contraire, Cass 3e civ., 4 déc.
1984, n° 83-15065 : RGAT 1985, p. 410, obs. G. Viney.
(3) Cass. com., 22 oct. 1996, n° 93-18632 : Bull. civ. IV, n° 261 ; D. 1997, p. 121,
note A. Sériaux ; D. 1997, p. 175, obs. P. Delebecque ; JCP G 1997, I, 4025,
n° 177, obs. G. Viney ; Defrénois 15 mars 1997, p. 333, obs. D. Mazeaud ;
RTD civ. 1997, p. 418, obs. J. Mestre.
(4) On sait que la jurisprudence affirme désormais que « seule est réputée non écrite
la clause limitative de réparation qui contredit la portée de l’obligation essentielle souscrite par le débiteur » : par ex. Cass. 3e civ, 23 mai 2013, n° 12-11652 :
D. 2013, p. 2142, note D. Mazeaud – Cass. com., 29 juin 2010, n° 09-11841 :
Bull. civ. IV, n° 115 ; JCP G 2010, 787, note D. Houtcieff ; D. 2010, p. 1832,
note D. Mazeaud ; D. 2010, p. 1697, note. F. Rome ; D. 2011, p. 35, obs.
P. Brun et O. Gout ; D. 2011, p. 472, obs. S. Amrani-Mekki et B. FauvarqueCosson ; RTD civ. 2010, p. 555, obs. B. Fages ; Contrats, conc. consom., 2010,
p. 220, obs. L. Leveneur ; Dr. et patr. 2011, p. 200, obs. P. Stoffel-Munck ;
RDC 2010, p. 1220, obs. Y.-M. Laithier ; RDC 2010, p. 1253, obs. O. Deshayes. Adde : Cass. com., 9 juin 2009, n° 08-10350 : JCP G 2009, doctr.
n° 273, n° 14, J. Ghestin ; Gaz. Pal. 7 janv. 2010, p. 19, n° I0121, obs. D. Houtcieff – Cass. com., 18 déc. 2007, n° 04-16069 : Bull. civ. IV, n° 265 ; JCP G
2008, I, 125, obs. P. Stoffel-Munck.
(5) Cass. 1re civ., 16 déc. 1997, nos 94-17061 et 94-20060 : JCP G 1998, II,
10018, rapp. P. Sargos.
(6) Par exemple celle édictée par l’arrêté du 1er septembre 1972 concernant l’assurance de syndics de copropriétés (Cass. 1re civ., 1er févr. 2000, n° 97-16057).
G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1
35
Jur i s p r u de nc e
décret » (7). Ces solutions ne devraient pas subir le contrecoup de l’éventuelle réforme : la jurisprudence pourra
en effet convoquer l’article 1168 du projet de texte, selon
lequel « toute clause qui prive de sa substance l’obligation
essentielle du débiteur est réputée non écrite ». On le voit,
pour peu que la cause disparaisse du Code civil, nul doute
que son fantôme hantera longtemps la jurisprudence !
(7) Cass. ch. mixte, 22 avr. 2005, n° 03-14112 : Bull. ch. mixte, n° 4 ; D. 2005,
p. 1864, note J.-P. Tosi ; RDC 2005, p. 651, avis M. de Gouttes ; RDC 2005,
p. 673, note D. Mazeaud ; RDC 2005, p. 753, note P. Delebecque – Cass. ch.
mixte, 22 avr. 2005, n° 02-18326 : Bull. ch. mixte, n° 3.
II. EFFET DU CONTRAT
A. Force obligatoire et bonne foi contractuelle
L’effet obligatoire n’est subordonné à aucune formule sacramentelle 253r7
1
L’essentiel Dès lors que le contrat comporte, au recto,
une mention de renvoi aux conditions générales du
contrat figurant au verso, l’application de ces dernières
ne saurait être écartée au motif que la formule d’usage de
prise de connaissance des conditions générales figurant
au verso et de leur acceptation n’y figure pas.
Cass. com., 2 juin 2015, no 14-11014, Sté BNP Paribas Lease Group
c/ Sté Toucopy-Sodeb et a., F–D (cassation partielle CA Toulouse,
8 oct. 2013), Mme Mouillard, prés. ; SCP Bénabent et Jéhannin,
SCP Delvolvé, SCP Lyon-Caen et Thiriez, SCP Marc Lévis, av. :
Contrats, conc. consom. 2015, n° 10, comm. n° 225
C
elui qui s’apprête à contracter
doit faire preuve d’un peu d’attention. Sans doute n’est-il censé avoir
consenti qu’à ce qu’il a pu connaître : encore lui revient-il
de lire chaque clause de la convention envisagée, fût-elle
rédigée en petits caractères ou figurerait-elle au dos de
l’instrumentum, ce que rappelle cette décision rendue par
la chambre commerciale de la Cour de cassation le 2 juin
2015.
Note
Un commerçant avait souscrit un contrat de crédit-bail
en vue de financer un photocopieur. Il cessa plus tard de
régler ses loyers : le crédit-bailleur résilia le contrat et
l’assigna en paiement. Les juges du fond écartèrent les
demandes d’indemnités de résiliation et de frais de représentation au motif que si le contrat comportait au recto
une mention de renvoi aux conditions générales du contrat
au verso, la formule d’usage de prise de connaissance des
conditions générales figurant au verso et de leur acceptation n’y figurait toutefois pas. Leur décision est censurée
sous le visa de l’article 1134 du Code civil : en statuant
ainsi, alors qu’elle avait constaté que le contrat comportait, au recto, une mention de renvoi aux conditions
générales du contrat figurant au verso, la cour d’appel n’a
pas tiré les conséquences légales de ses constatations.
36
G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1
La solution est incontestable. Sans doute l’acceptation ne
peut-elle porter que sur ce dont le destinataire de l’offre
a eu connaissance. L’avant-projet d’ordonnance portant
réforme des contrats affirme du reste que « les conditions
générales invoquées par une partie n’ont effet à l’égard de
l’autre que si elles ont été portées à la connaissance de
celle-ci et si elle les a acceptées » (1), reprenant la solution expressément admise par la jurisprudence (2). Cette
connaissance est cependant ordinairement présumée. Ce
n’est que dans la mesure où il est établi que telle partie
n’a pas eu connaissance de telle clause que le juge considérera celle-ci comme « inopposable » à l’acceptant (3).
Certes, il s’attachera à vérifier la connaissance réelle de
la stipulation en cas de circonstances particulières, par
exemple si elle est notamment discrète (4) : il n’en résulte
pas cependant que l’acceptation d’une clause soit subordonnée à une quelconque formule d’usage sacramentelle.
La protection du consentement ne passe en principe par
aucun formalisme !
(1) Art. 1120 de l’avant-projet d’ordonnance portant réforme des contrats.
(2) Cass. 1re civ., 11 mars 2014, n° 12-28304 : Gaz. Pal. 3 juill. 2014, p. 14,
n° 184u1, obs. D. Houtcieff.
(3) Cass. com., 9 juill. 1991, n° 90-10535 : Bull. civ. IV, n° 256 ; RTD civ. 1991,
p. 389, obs. J. Mestre.
(4) Par ex. parce qu’elle est écrite en petits caractères : Cass. 1re civ., 31 mai 1983,
n° 82-10530 : Bull. civ. I, n° 159 – Cass. com., 14 avr. 1992, n° 90-15373 –
Adde : Cass. 1re civ., 3 mai 1979, n° 77-14689 : Bull. civ. I, n° 128.
Jur ispr ude nc e
B. Exécution et inexécution contractuelles
L’extension du domaine de l’indivisibilité 253r8
1
L’essentiel L’affectation d’une offre de crédit au contrat
principal peut caractériser l’existence d’une indivisibilité
conventionnelle entre les contrats de vente et de prêt au
sens de l’article 1218 du Code civil (1re espèce).
L’indivisibilité d’un contrat de vente et d’un contrat de
crédit est caractérisée dès lors que le second est l’accessoire du contrat de vente auquel il est subordonné, et que
l’emprunteur a attesté de l’exécution du contrat principal
afin d’obtenir la libération des fonds par le prêteur, lequel
a mis ceux-ci à la disposition du vendeur (2e espèce).
Cass. 1re civ., 10 sept. 2015, no 14-13658, Sté Groupe Sofemo
c/ Époux X, PB (rejet pourvoi c/ CA Aix-en-Provence, 26 nov.
2013), Mme Batut, prés. ; SCP Vincent et Ohl, SCP de Nervo et
Poupet, av. : LEDC oct. 2015, p. 1, n° 136, M. Latina - Cass. 1re civ.,
10 sept. 2015, no 14-17772, ECLI:FR:CCASS:2015:C100922,
Époux Y c/ Sté Financo, PB (rejet pourvoi c/ CA Paris, 28 févr.
2014), Mme Batut, prés. ; Me Le Prado, SCP Boutet-Hourdeaux,
av. : LEDC oct. 2015, p. 1, n° 136, M.Latina
L
’interdépendance des contrats,
fondée sur le lien d’indivisibilité unissant certaines conventions,
s’installe dans le droit commun des obligations (1) : récemment encore, la cour régulatrice rappelait que la nullité
avérée d’une convention principale entraîne la caducité de
l’autre (2). La solution prend d’autant plus d’ampleur que
l’indivisibilité tend à échapper à l’influence des parties :
elle s’impose parfois malgré la volonté des contractants.
Dans certains cas, la jurisprudence a en effet considéré
que les parties ne pouvaient pas écarter l’indivisibilité des contrats : selon une chambre mixte de la Cour
de cassation, « les contrats concomitants ou successifs
qui s’inscrivent dans une opération incluant une location financière, sont interdépendants (…) : sont réputées
non écrites les clauses des contrats inconciliables avec
cette interdépendance » (3). Ainsi qu’on le pouvait penser
à la lecture de ces décisions, l’expansion de l’indivisibilité n’est sans doute pas achevée (4), ce que confirment
Note
(1) V. J. Boulanger, « Usage et abus de la notion d’indivisibilité des actes juridiques » : RTD civ. 1950, p. 1.
(2) V. Cass. com., 4 nov. 2014, n° 13-24270 : JCP G 2015, 54, note J.-J. Barbieri ;
Gaz. Pal. 9 avr. 2015, p. 20 n° 219t2, obs. D. Houtcieff : Selon cette décision
« l’anéantissement du contrat principal est un préalable nécessaire à la caducité,
par voie de conséquence, du contrat lié ». Adde : parmi d’autres, Cass. com.,
5 juin 2007, n° 04-20380 : Bull. civ. IV, n° 156 ; JCP G 2007, II, 10184, note
Y.-M. Serinet ; Dr. et patr. 2007, p. 89, obs. L. Aynèset P. Stoffel-Munck – Cass.
1re civ., 4 avr. 2006, n° 02-18277 : Bull. civ. I, n° 190 ; D. 2006, p. 2656, note
R. Boffa ; Defrénois 30 août 2006, p. 1194, n° 38431, note J.-L. Aubert ; RDC
2006, p. 700, obs. D. Mazeaud – Cass. 1re civ., 1er juill. 1997, n° 95-15642 :
Bull. civ. I, n° 224 ; D. 1998, p. 32, note L. Aynès.
(3) Cass. ch. mixte, 17 mai 2013, nos 11-22768 et 11-22927 : Bull. ch. mixte, n° 1 ;
D. 2013, p. 1658, note D. Mazeaud ; JCP G 2013, p. 674, note J.-B. Seube ;
Gaz. Pal. 4 juill. 2013, p. 18, n° 136c6, obs. D. Houtcieff.
(4) V. en ce sens, D. Houtcieff, Droit des contrats, Larcier, 2015, n° 448.
ces deux arrêts du 10 septembre 2015, rendus par la première chambre civile de la Cour de cassation et publiés
au Bulletin.
Dans ces deux espèces, les juges du fond avaient prononcé
la résolution d’un contrat de crédit après avoir prononcé
celle du contrat de vente. Le premier arrêt rejette le pourvoi au motif qu’« ayant constaté que l’offre de crédit était
affectée au contrat principal et avait été renseignée par le
vendeur, et que le prêteur avait remis les fonds empruntés
entre les mains de ce dernier, la cour d’appel a caractérisé l’existence d’une indivisibilité conventionnelle entre
les contrats de vente et de prêt au sens de l’article 1218 du
Code civil ». La seconde décision approuve également la
décision attaquée : « La cour d’appel, qui n’a pas appliqué
les dispositions du Code de la consommation, a fait ressortir l’indivisibilité des contrats litigieux en énonçant, d’une
part, que le contrat de crédit était l’accessoire du contrat
de vente auquel il était subordonné, d’autre part, que l’emprunteur avait attesté de l’exécution du contrat principal
afin d’obtenir la libération des fonds par le prêteur, lequel
avait mis ceux-ci à la disposition du vendeur ; qu’elle en
a justement déduit que la résolution du contrat principal
emportait l’anéantissement du contrat accessoire ».
Ces arrêts affirment ainsi clairement que l’indivisibilité
contractuelle se dispense de l’onction du Code la consommation, ce dont il était encore permis de douter (5). Encore
faut-il que le lien d’indivisibilité soit caractérisé. Le détour
par la notion d’accessoire pour en attester a sans doute
ses limites : à s’en contenter, on pourrait croire que le
contrat principal doit survivre à l’anéantissement de la
convention accessoire. Sans doute ce critère n’est-il
cependant pas décisif : l’essentiel est tout entier dans la
volonté des contractants. L’indivisibilité ne saurait en effet
être ici objective : contrairement à la location financière, la
conclusion d’une vente et d’un contrat de prêt – en dehors
des dispositions du Code de la consommation – n’implique
pas, par elle-même et objectivement, une relation d’interdépendance. La volonté des parties est le seul ciment
de l’indivisibilité, dès lors que la loi ou l’économie des
conventions n’y suffisent pas. Cette décision paraît au fond
anticiper la réforme à venir : l’article 1186, alinéa 2, du
projet prévoit en effet la caducité « lorsque des contrats
ont été conclus en vue d’une opération d’ensemble et
que la disparition de l’un d’eux rend impossible ou sans
intérêt l’exécution d’un autre. La caducité de ce dernier
n’intervient toutefois que si le contractant contre lequel
elle est invoquée connaissait l’existence de l’opération
d’ensemble lorsqu’il a donné son consentement ».
(5) V. par ex. Cass. 1re civ., 20 nov. 1974, n° 72-13117 – Cass. com., 14 déc. 1977,
n° 75-12206 ; v. ensuite Cass. 1re civ., 17 juin 2003, n° 01-11723 – Cass.
1re civ., 19 juin 2008, n° 06-19753 – v. cependant, Cass. 1re civ., 1er juill. 1997,
n° 95-15642.
G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1
37
Jur i s p r u de nc e
C. Effet relatif du contrat
Le créancier ne saurait décharger le débiteur à l’égard d’un tiers 253v2
1
L’essentiel La convention par laquelle un créancier décharge un époux de ses obligations nées du bail portant
sur le domicile conjugal étant susceptible de nuire à son
épouse, elle ne saurait avoir d’effet à son égard.
Cass. 1re civ., 17 juin 2015, no 14-17906, Mme Z c/ M. Y, F–
PB (cassation partielle CA Versailles, 29 oct. 2013), Mme Batut,
prés. ; SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, SCP de Chaisemartin
et Courjon, av. : D.2015, p. 1756, note M. Nicole
L
e créancier qui entend décharger
un codébiteur solidaire de sa dette
ne saurait le faire que pour autant
qu’il préserve les droits des autres, ce que rappelle notamment cette décision.
Note
Deux époux avaient pris un appartement en location. Le
temps passant et l’amour finissant, l’époux quitta le domicile conjugal. Une ordonnance de non-conciliation attribua
la jouissance de l’appartement à l’épouse, cependant
que le bailleur accepta la « désolidarisation» du bail de
l’époux. Délaissée, l’épouse cessa de régler les loyers. Le
bailleur assigna alors Mme Z et M. Y en paiement solidaire
des charges et loyers impayés. Les juges du fond mirent
l’époux hors de cause et rejetèrent la demande de l’épouse
tendant à le voir déclaré solidairement responsable de la
dette locative. Leur décision est censurée sous le double
visa des articles 1165 et 220 du Code civil : « en statuant
ainsi, alors que la convention par laquelle [le bailleur]
avait déchargé [le mari] à compter d’une certaine date, de
ses obligations nées du bail portant sur le domicile conjugal, était susceptible de nuire [à l’épouse], au titre de la
créance résultant de la contribution à la dette locative, la
cour d’appel a violé les textes susvisés ».
L’article 220 du Code civil permet à chaque époux de
passer seul les contrats ayant pour objet notamment
l’entretien du ménage. Ces dettes ménagères engagent
cependant solidairement les époux. La convention conclue
entre le bailleur et le mari ne pouvait pas nuire à ce tiers
qu’était l’épouse, à peine de blesser le principe de l’effet
relatif des conventions posé par l’article 1165 du Code
civil ! Les règles convoquées en l’espèce s’articulent aux
principes ordinaires de la solidarité. Quoique le terme
de convention de « désolidarisation » évoque une simple
remise de la solidarité, il semble bien, à en croire la cour
régulatrice, qu’il se soit agi d’une véritable « décharge de
la dette au profit d’un seul codébiteur : on ne saurait pourtant admettre que le codébiteur demeurant soit chargé
de l’intégralité de sa dette, sans avoir consenti à ne plus
disposer d’aucun recours en contribution. Pour ainsi dire,
ceux que le Code civil unit solidairement, le bailleur ne
saurait les séparer…
III. FIN DU CONTRAT
Le prêteur est maître de la chose avant Dieu 253r9
1
L’essentiel La libre disposition d’une salle pour la pratique du culte dans le cadre d’un prêt à usage, dès lors
qu’il n’y a aucun terme convenu ni prévisible, peut être
résilié à tout moment en respectant un délai de préavis
raisonnable, sans devoir justifier d’un besoin pressant et
imprévu de la chose prêtée.
Cass. 1re civ., 30 sept. 2015, no 14-25709, M. X et a. c/ Sté Adoma,
PB (rejet pourvoi c/ CA Paris, 10 juill. 2014), Mme Batut, prés. ;
SCP Coutard et Munier-Apaire, SCP Tiffreau, Marlange et de La
Burgade, av. : LEDC nov. 2015, p. 4, n° 162, G. Guerlin
L
es droits et libertés fondamentaux envahissent le vieux droit
civil des contrats. Il n’est plus rare
aujourd’hui que la liberté de conscience ou de religion
s’invite dans le contentieux de l’exécution ou de la résiliation des contrats, comme dans cette décision rendue le
30 septembre 2015 par la première chambre civile de la
Cour de cassation.
Note
Une société gérant des foyers avait prêté une salle polyvalente à ses résidents afin qu’ils l’utilisent en tant que
38
G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1
lieu de prière. Quarante années passèrent : mal entretenu,
le local se dégrada. Le prêteur fit savoir qu’il entendait
reprendre le local pour y procéder à des travaux de réaménagement. Ceux-ci ne purent se dérouler : certains
utilisateurs de la salle de prière refusèrent de la quitter. Ils
assignèrent la société afin qu’il lui soit fait interdiction de
supprimer la mise à leur disposition d’une salle de culte.
Cette prétention fut rejetée par les juges du fond. Les demandeurs au pourvoi firent alors valoir, d’une part, que
le prêteur ne s’était prévalu d’aucun « besoin pressant et
imprévu » de nature à permettre la résiliation unilatérale
d’un commodat sans terme convenu et, d’autre part, que
la fermeture de la salle de prière constituait une atteinte
directe à la liberté de cultes des résidents, convoquant
ainsi la loi du 9 décembre 1905 relative à la séparation
des Églises et de l’État et la Convention de sauvegarde des
droits de l’Homme et des libertés fondamentales. Le pourvoi est rejeté par la Cour de cassation sur ces deux points.
La cour régulatrice affirme d’abord « qu’ayant retenu
que la libre disposition d’une salle pour la pratique du
culte musulman relevait d’un prêt à usage qui n’avait
aucun terme convenu ni prévisible, la cour d’appel en a
exactement déduit que la société [prêteuse], propriétaire
Jur ispr ude nc e
des lieux, pouvait y mettre fin en respectant un délai de
préavis raisonnable, sans devoir justifier d’un besoin pressant et imprévu de la chose prêtée ». Cette solution est
constante (1). La jurisprudence n’exige heureusement plus
que le prêteur fasse preuve d’un besoin de la chose plus
vif que celui de l’emprunteur qui la détient à titre gracieux
pour pouvoir la récupérer (2).
La Cour de cassation écarte également le grief tiré de
l’atteinte prétendue aux libertés fondamentales des
résidents : la société n’était pas en charge d’assurer
aux résidents la possibilité matérielle d’exercer leur
culte et ceux-ci pouvaient pratiquer leur religion sans
utiliser la salle de prière, qui facilitait seulement leur
pratique religieuse. La cour d’appel en a ainsi « justement déduit » que le prêteur n’avait pas porté atteinte
à une liberté fondamentale en décidant la fermeture de
cette salle pour procéder à des travaux de modernisation
(1) Cass. 1re civ., 3 févr. 2004, n° 01-00004 : Bull. civ. I, n° 34 ; D. 2004, p. 903,
note C. Noblot ; RTD civ. 2004, p. 312, obs. P.-Y. Gautier ; RDC 2004,
p. 647, obs. P Stoffel-Munck ; RDC 2004, p. 714, obs. J.-B. Seuben – Cass
3e civ., 19 janv. 2005, n° 03-16623 : Bull. civ. III, n° 12 ; D. 2005, p. 2439, note
Y. Dagorne-Labbe ; Contrats, conc. consom. 2005, n° 103, note L. Leveneur –
Cass 1re civ., 10 mai 2005, n° 02-17256 : Bull. civ. I, n° 204 – Cass. 3e civ., 4 avr.
2007, n° 06-12195 : Bull. civ. III, n° 56.
(2) V. par ex. Cass 1re civ., 3 févr. 1993, n°89-18467 : D. 1994, jur. p. 248, note
A. Bénabent.
(...)
et de sécurisation. L’arrêt n’étonne pas davantage sur
ce point. Il est acquis que les pratiques religieuses
n’entrent guère dans le champ contractuel, sauf convention contraire (3). Elles ne sauraient y croître et multiplier
qu’après consécration des contractants, à moins qu’un
contexte particulier ne leur permette apparition. On sait
par exemple que si les clauses d’un contrat de travail interdisant le divorce sont contraires à l’ordre public, il en va
autrement lorsque l’on se trouve dans le cadre d’une école
catholique qui exige l’adhésion des enseignants à ses principes (4). Mutatis mutandis, l’on peut donc se demander si
la solution aurait été différente, si c’est un établissement
culturel qui avait été prêté (5). Somme toute, s’il n’est pas
douteux qu’il faille rendre à César ce qu’il lui appartient, il
n’est pas certain qu’il faille le rendre à Dieu…
(3) Cass. 3e civ., 18 déc. 2002, n° 01-00519 : Bull. civ. III, n° 262 ; RTD civ. 2003,
p. 290, obs. J. Mestre et B. Fages ; ibid., obs. R. Libchaber.
(4) Cass. ass. plén. 19 mai 1978, n° 76-41211 : Bull. ass. plén., n° 1 ; D. 1978,
p. 541, note P. Ardant ; JCP 1979, II, 19009, note R. Lindon.
(5) Comp. R. Libchaber, préc.
251s6
G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1
39
J u ris pr udenc e
251s3
Panorama de jurisprudence de la Cour de cassation
251s3
■■AVOCAT
253c4
Par
Catherine BERLAUD
■■ASSURANCES DE PERSONNES
253e4
Durée de garantie de l’assurance de responsabilité
Toute clause d’un contrat d’assurance ayant pour effet de
réduire la durée de la garantie de l’assureur à un temps
inférieur à la durée de la responsabilité de l’assuré est génératrice d’une obligation sans cause et doit être réputée non
écrite.
Cass. 3e civ., 26 nov. 2015, no 14-25761, Sté Axa France IARD
c/ Sté Thelem assurances, FS–PB (cassation CA Paris, 10 sept.
2014), M. Chauvin, prés. – SCP Célice, Blancpain, Soltner et
253e4
Texidor, SCP Sevaux et Mathonnet, av.
253e4
■■ASSURANCES (EN GÉNÉRAL)
253f1
Attention aux mentions du contrat d’assurance concernant
la prescription
Aux termes de l’article R. 112-1 du Code des assurances, dans
sa rédaction applicable, les polices d’assurance doivent rappeler les dispositions des titres Ier et II du livre 1er de la partie
législative du Code des assurances concernant la prescription
des actions dérivant du contrat d’assurance. Il en résulte que
l’assureur est tenu de rappeler dans le contrat d’assurance,
sous peine d’inopposabilité à l’assuré du délai de prescription biennale, les différents points de départ du délai de la
prescription biennale prévus par l’article L. 114-1 dudit code.
Ne donne pas de base légale à sa décision la cour d’appel qui
énonce que l’action en garantie de l’assuré est irrecevable
par application de l’article L. 114-1 du Code des assurances
qui fixe à deux ans le délai de prescription des actions dérivant d’un contrat d’assurance, expressément rappelé dans le
contrat, et qui prévoit que, quand l’action de l’assuré contre
l’assureur a pour cause le recours d’un tiers, le délai ne court
que du jour où ce tiers a exercé une action en justice contre
l’assuré ou a été indemnisé sans rechercher, comme elle y
était invitée, si le contrat d’assurance rappelait le point de
départ de la prescription de l’action de l’assuré ayant pour
origine le recours d’un tiers.
Cass. 2 civ., 10 déc. 2015, n 14-18012, M. X c/ S Foncia gestion
immobiliière IDF et a., F–PB (cassation partielle CA Paris, 19 sept.
2014), Mme Flise, prés. – Me Haas, SCP Boulloche, SCP Lyon253f1
Caen et Thiriez, av.
e
o
Cass. 2e civ., 10 déc. 2015, no 14-29871, F–PBI (cassation partielle CA Grenoble, 29 oct. 2014), Mme Flise, prés. – SCP Waquet,
253c4
Farge et Hazan, Me Haas, av.
■■AVOCAT
253c2
té
253f1
■■ASSURANCES (EN GÉNÉRAL)
253f2
La clause qui pénalise l’assuré pour résiliation anticipée est
illicite
Si l’article L. 113-12 du Code des assurances prévoit la faculté
de déroger à la périodicité de la résiliation, ce texte n’autorise pas à limiter le droit de l’assuré de mettre fin au contrat
au terme convenu. La cour d’appel qui relève que l’article
69 du contrat d’assurance réduisait l’indemnisation versée
en cas de résiliation du contrat par l’assuré et que cette limitation, qui aboutissait à indemniser dans ce cas l’assuré
dix fois moins que ce qu’il aurait perçu s’il avait conservé le
contrat pendant un an, ne pouvait que le dissuader de résilier
le contrat, en déduit exactement que cette clause est illicite.
Cass. 2e civ., 10 déc. 2015, no 14-14512, Sté Galain assurances et a.
c/ Sté Macif et a., F–PB (rejet pourvoi c/ CA Paris, 23 janv. 2014),
Mme Flise, prés. – SCP Célice, Blancpain, Soltner et Texidor, SCP
253f2
Nicolaý, de Lanouvelle et Hannotin, av.
40
G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1
Conséquence sur la convention d’honoraires du dessaisissement de l’avocat avant la fin de l’instance
Il résulte de l’article 10, alinéa 2, de la loi n° 71-1130 du 31
décembre 1971 que lorsqu’à la date du dessaisissement de
l’avocat, il n’a pas été mis fin à l’instance par un acte ou une
décision juridictionnelle irrévocable, la convention préalable
d’honoraires cesse d’être applicable et les honoraires correspondant à la mission partielle effectuée par l’avocat jusqu’à
cette date doivent être appréciés en fonction des seuls critères définis par l’article 10, alinéa 2, de la loi du 31 décembre
1971.
Un salarié ayant confié à un avocat la défense de ses intérêts dans un litige l’opposant à son employeur, il est prévu
un honoraire de diligence au taux horaire de 180 euros HT
et un honoraire complémentaire de résultat d’un montant de
7,5 % des sommes recouvrées soit par voie amiable soit par
voie prud’homale. En cours de procédure, le salarié décharge
l’avocat de la procédure et refuse de lui verser les honoraires
complémentaires que ce dernier lui réclame.
Viole le texte susvisé le premier président qui, pour fixer à
la somme de 13 455 euros TTC le montant de l’honoraire
de résultat dû par le client à l’avocat et condamner le premier à payer cette somme au second, énonce qu’en cas de
dessaisissement anticipé de l’avocat avant qu’une décision
juridictionnelle irrévocable ne soit rendue ou une transaction ne soit conclue, l’avocat ne peut en principe se prévaloir
d’une convention d’honoraires de résultat mais que, toutefois,
la transaction intervenue postérieurement au dessaisissement de l’avocat est partiellement due à l’activité de celui-ci
préalablement à la rupture du mandat et que donc le client,
qui a rompu sans motif et donc abusivement le mandat
donné à l’avocat, ne peut prétendre échapper au paiement
de l’honoraire de résultat conventionnellement prévu, alors
qu’il constate que le client a, en cours de procédure, avant la
signature d’un protocole d’accord transactionnel, mis fin au
mandat confié à l’avocat.
253f2
Le conseil en assurance donnait des consultations juridiques
réservées aux avocats
Reprochant à un courtier et conseil en assurance d’exercer
une activité juridique et de représentation réservée à la profession d’avocat, un ordre des avocats l’assigne en référé afin
de l’entendre condamner, sur le fondement de l’article 809 du
Code de procédure civile, à cesser cette activité.
Donne des consultations juridiques qui ne relèvent pas de son
activité principale au sens de l’article 59 de la loi n° 71-1130
du 31 décembre 1971, modifiée, le courtier en assurances qui
fournit, à titre habituel et rémunéré, aux victimes de sinistres
qui le mandatent à ces seules fins, un avis personnalisé
sur les offres transactionnelles des assureurs, en négocie
le montant et, en cas d’échec de la négociation, oriente les
bénéficiaires de la consultation vers un avocat, dès lors que
ces prestations ne participent ni du suivi de l’exécution d’un
contrat d’assurance souscrit par son intermédiaire ni de travaux préparatoires à la conclusion d’un nouveau contrat.
La cour d’appel qui relève que l’intéressé a, à l’occasion d’une
activité de « consultant en règlement amiable de litiges d’assurance », assuré le suivi des dossiers d’indemnisation de
trois victimes d’accidents de la circulation, étrangères à son
portefeuille de clientèle, sans avoir reçu de mandat de gestion
des sociétés d’assurances tenues à garantie, ayant exactement retenu qu’une telle intervention, rémunérée et répétée,
253c4
Jur ispr ude nc e
caractérise l’exercice illégal de la consultation juridique, peut
décider qu’il convient de faire cesser ce trouble manifestement illicite par des mesures d’interdiction et de publicité.
Cass. 1re civ., 9 déc. 2015, no 14-24268, FS–PBI (rejet), Mme
253c2
Batut, prés. – SCP Odent et Poulet, av.
réception que l’avocat a adressée à ses clients pour obtenir le
paiement de ses honoraires.
253c2
■■AVOCAT
253d9
Modalités et qualification de la collaboration d’avocat
Une avocate, conclut un contrat de collaboration libérale avec
une société d’avocats et s’engage, le même jour, par acte
séparé, à apporter sa clientèle moyennant une rétrocession
d’honoraires. Seul le contrat de collaboration est communiqué au conseil de l’ordre. Après avoir remis une lettre de
démission un peu plus de deux ans plus tard, l’avocate saisit
le bâtonnier de l’ordre des avocats au barreau de Paris en
annulation de la convention d’apport de clientèle, restitution
des honoraires, requalification du contrat de collaboration
libérale en contrat de travail et paiement de diverses indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
En premier lieu, après avoir énoncé que la convention
d’apport de clientèle constituait un avenant au contrat de collaboration, qui aurait dû être transmis au conseil de l’ordre
en vue du contrôle de sa conformité aux règles essentielles
de la profession, la cour d’appel ne dit pas que la méconnaissance de cette obligation n’est susceptible d’aucune sanction,
mais relève que la nullité de la convention, non prévue par la
réglementation applicable, ne peut être encourue pour une
contravention aux règles déontologiques.
En second lieu, la cour d’appel relève que la convention devait
rémunérer un apport de la clientèle dont disposait l’avocate
avant son entrée au cabinet, et ce, pendant la durée de sa collaboration, qu’elle était justifiée par le fait que cette avocate
n’était pas en mesure de traiter seule l’intégralité des dossiers confiés par ses clients et présentait un intérêt certain
pour elle, lui évitant les aléas d’une installation autonome et
du recrutement des collaborateurs nécessaires. Elle relève
encore que l’accord ne prévoyait pas un prélèvement sur les
honoraires générés par le travail de l’avocate au profit de sa
clientèle personnelle mais la remise à cette dernière d’une
fraction des honoraires résultant du travail des associés et
collaborateurs du cabinet sur des dossiers de clients apportés par elle. La cour d’appel qui constate que la convention
litigieuse ne portait que sur la rémunération de l’apport de
clientèle au cabinet, peut rejeter la demande en restitution
des honoraires perçus par le cabinet.
Dès lors qu’elle relève que, conformément aux clauses du
contrat de collaboration, la société d’avocats a mis à la disposition de la demanderesse, qui ne le conteste pas, une
installation lui garantissant le secret professionnel ainsi que
les moyens matériels et humains lui permettant de constituer
et développer une clientèle personnelle, que la collaboratrice
a conservé son indépendance statutaire et que l’évaluation de
sa participation au fonctionnement de la structure, pratique
courante dans les cabinets d’avocats destinée à favoriser la
progression des collaborateurs, n’est pas de nature à caractériser, à elle seule, l’existence d’un lien de subordination,
peut déduire de ce faisceau d’indices l’absence de salariat.
■■AVOCAT
253c5
Protection du « consommateur » de services d’avocat :
l’inexorable prescription biennale
Prive sa décision de base légale le premier président qui
déclare recevable la demande d’un avocat en fixation de ses
honoraires sans rechercher, comme il y était invité, si cette
demande a été formée dans le délai de deux années à compter
de la fin de sa mission, lequel ne peut avoir été interrompu
par l’envoi d’une lettre recommandée avec demande d’avis de
253c5
■■CONSOMMATION
253e7
Cass. 1re civ., 9 déc. 2015, no 14-28237, F–PB (rejet pourvoi c/ CA
Paris, 5 nov. 2014), Mme Batut, prés. – SCP Célice, Blancpain,
Soltner et Texidor, SCP Masse-Dessen, Thouvenin et Coudray,
253e7
av.
Cass. 2e civ., 10 déc. 2015, no 14-25892, F–PBI (cassation CA
Versailles, 27 août 2014), Mme Flise, prés. – SCP Richard, SCP
253c5
Coutard et Munier-Apaire, av.
Le GFA bailleur professionnel ne profite pas de la protection
contre le taux d’usure
Des prêteurs, qui avaient consenti un prêt à un groupement foncier agricole, au taux effectif global de 17,06 %,
lui délivrent un commandement de payer valant saisie immobilière, avant de l’assigner à l’audience d’orientation.
La cour d’appel qui constate que le GFA a pour objet la propriété et l’administration de tous les immeubles et droits
immobiliers à destination agricole composant son patrimoine, et relève que la plupart de ses parcelles sont données
à bail conformément aux statuts interdisant toute exploitation en faire-valoir direct, en déduit exactement que le GFA
exerce une activité professionnelle non commerciale au sens
de l’article L. 313-3 du Code de la consommation, en sorte
que les dispositions relatives au taux d’usure ne lui sont pas
applicables.
Cass. 1re civ., 25 nov. 2015, no 14-23224, Sté Bois Hipel c/ M. X
et a., F–PB (rejet pourvoi c/ CA Caen, 3 juin 2014), Mme Batut,
prés. – SCP Foussard et Froger, SCP Rocheteau et Uzan-Sarano,
253d9
av.
■■CONSOMMATION
253e2
Un syndicat de copropriétaire représenté par un syndic professionnel reste un consommateur
Le syndic de plusieurs syndicats de copropriétaires conclut
avec une société divers contrats de prestation de services,
renouvelables par tacite reconduction, sauf préavis donné
par lettre recommandée avec demande d’avis de réception
trois mois avant leur terme. Se prévalant des dispositions de
l’article L. 136-1 du Code de la consommation, elle résilie ces
contrats sans respecter le délai de préavis et le prestataire
l’assigne en paiement de dommages-intérêts au titre de leur
inexécution.
Viole les articles 1984 du Code civil et L. 136-1 du Code de la
consommation, ce dernier dans sa rédaction issue de la loi
n° 2008-3 du 3 janvier 2008, la cour d’appel qui, pour accueillir
cette demande, retient que, si l’article L. 136-1 est applicable
aux personnes morales, un syndicat de copropriétaires qui
confie à un syndic professionnel le soin de négocier, conclure
et assurer le suivi des contrats relatifs à la copropriété, ne
saurait bénéficier d’une telle disposition, alors que la représentation d’un syndicat de copropriétaires par un syndic
professionnel ne lui fait pas perdre sa qualité de non-professionnel, en sorte qu’il peut bénéficier des dispositions de ce
texte, nonobstant cette représentation.
Cass. 1re civ., 25 nov. 2015, no 14-20760, Sté Foncia Arc de Seine
c/ Sté Christal, F–PBI (cassation partielle CA Versailles, 6 mai
2014), Mme Batut, prés. – SCP Boulloche, SCP Foussard et Froger,
253e2
av.
NOTE Voir aussi Cass. 1re civ., 25 novembre 2015, n° 14-21873
253e2
■■CONTENTIEUX ADMINISTRATIF
253e6
253e7
Travaux de réfection de voirie et absence de voie de fait
Une communauté d’agglomération fait réaliser, sur le territoire d’une commune, des travaux de réfection de la voirie.
Lui reprochant d’avoir, à cette occasion, endommagé et/ ou
rendu inaccessibles des infrastructures de génie civil lui
appartenant, la société Orange l’assigne, sur le fondement
de la voie de fait, en cessation des travaux et réparation de
son préjudice. La communauté d’agglomération revendique
la propriété des infrastructures en cause et, contestant
l’existence d’une voie de fait, soulève l’incompétence de la
juridiction judiciaire au profit de la juridiction administrative.
G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1
41
253d9
Jur i s p r u de nc e
Il n’y a voie de fait de la part de l’administration, justifiant, par
exception au principe de séparation des autorités administratives et judiciaires, la compétence des juridictions de l’ordre
judiciaire pour en ordonner la cessation et la réparation, que
dans la mesure où l’administration a soit procédé à l’exécution forcée, dans des conditions irrégulières, d’une décision,
même régulière, portant atteinte à la liberté individuelle ou
aboutissant à l’extinction d’un droit de propriété, soit pris
une décision qui a les mêmes effets d’atteinte à la liberté
individuelle ou d’extinction d’un droit de propriété et qui est
manifestement insusceptible d’être rattachée à un pouvoir
appartenant à l’autorité administrative.
Viole la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor
an III la cour d’appel qui, pour retenir l’existence d’une voie
de fait et rejeter l’exception d’incompétence soulevée par la
communauté d’agglomérations, énonce qu’il résulte des procès-verbaux de constat d’huissier de justice produits, d’abord,
qu’un certain nombre de chambres de transport et de distribution de services de communications électroniques ont
été verrouillées et sont devenues inaccessibles, du fait de la
mise en place de serrures à clefs ou de la création d’emplacements de parking, ensuite, que des atteintes ont été portées à
des infrastructures portant le logo France Télécom et, enfin,
que des chambres ont été cassées et des trappes d’accès
à ces chambres remplacées, motifs impropres à caractériser l’extinction du droit de propriété de la société Orange et
dont il ressort que les travaux de réfection entrepris par la
communauté de communes ne sont pas manifestement insusceptibles d’être rattachés à un pouvoir appartenant à cette
dernière.
Cass. 1re civ., 9 déc. 2015, no 14-24880, Communauté d’agglomération de Saint-Quentin-en-Yvelines c/ Sté Orange, FS–PBI
(cassation partielle sans renvoi CA Versailles, 5 mai 2014), Mme
Batut, prés. – SCP Garreau, Bauer-Violas et Feschotte-Desbois,
253e6
SCP Nicolaý, de Lanouvelle et Hannotin, av.
affecté est décidée, s’il y a lieu, par le tribunal saisi de la
contestation sur l’exécution du contrat principal, le prêteur
intervenant à l’instance ou étant mis en cause par le vendeur
ou l’emprunteur.
Une banque consent à des emprunteurs un crédit destiné à
financer la fourniture et l’installation de panneaux photovoltaïques par une société, que les emprunteurs assignent, ainsi
que banque devant un tribunal d’instance aux fins d’annulation ou de résolution du contrat principal, puis assignent la
banque devant le juge des référés aux fins de suspension de
l’exécution du contrat de crédit affecté.
Viole le texte susvisé la cour d’appel qui, pour accueillir cette
dernière demande, retient que le texte ne dit pas que seul
le tribunal saisi de la contestation sur l’exécution du contrat
principal a le pouvoir de suspendre l’exécution du contrat de
crédit affecté.
Cass. 1re civ., 9 déc. 2015, no 14-23272, Sté banque Solfea c/ M. X
et a., F–PB (cassation CA Rennes, 6 juin 2014), Mme Batut, prés.
253e9
– SCP Marc Lévis, av.
■■IMMOBILIER
253f6
253e6
■■CONSTRUCTION
253f8
Responsabilité de l’entrepreneur en l’absence de maître
d’oeuvre
Un entrepreneur, chargé par une société de la réalisation
d’une plate-forme routière, l’assigne en paiement de solde,
tandis que cette dernière, invoquant une faute de conception
et un manquement au devoir de conseil de l’entrepreneur,
forme une demande reconventionnelle en indemnisation.
Viole l’article 1147 du Code civil la cour d’appel qui, pour rejeter cette demande reconventionnelle, retient que, par temps
de pluie, l’eau forme un miroir sur la plate-forme et s’évacue
lentement de telle sorte qu’il reste des flaques variant entre
cinq et vingt-cinq millimètres, mais que, malgré ces désordres
dus à un tassement du terrain, la plate-forme, dont la composition est conforme au devis qui ne mentionne ni le nombre de
véhicules ni leur nature, a été utilisée sans interruption pour
le stationnement des poids lourds et que la société, qui a fait
le choix de l’économie d’un maître d’oeuvre et n’a pas sollicité
de travaux de sondage, ne peut reprocher à l’entrepreneur
d’avoir omis de préconiser une étude géotechnique et d’avoir
commis une erreur de conception ou manqué à son devoir de
conseil, alors que l’absence de prise en compte de la nature
du sol sur lequel a été construite la plate-forme constitue une
faute de conception de l’ouvrage commise par l’entrepreneur
intervenu en l’absence de maître d’œuvre.
Cass. 3e civ., 10 déc. 2015, no 15-11142, Sté Sotraloma c/ Sté
Travaux publics Tinel, FS–PB (cassation partielle CA Rouen, 25
jui 2014), M. Chauvin, prés. – SCP Piwnica et Molinié, SCP de
253f8
Chaisemartin et Courjon, av.
■■CRÉDIT
253e9
Compétence pour la suspension d’un crédit affecté pour
contestation de l’exécution du contrat principal
Il résulte de l’article L. 311-32 du Code de la consommation que la suspension de l’exécution du contrat de crédit
42
G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1
253e9
Publicité foncière : point de départ du délai de recours contre
le refus du dépôt
Lorsqu’un document sujet à publicité dans un service chargé
de la publicité foncière a fait l’objet d’un refus du dépôt ou
d’un rejet de la formalité, le recours de la partie intéressée
contre la décision du service chargé de la publicité foncière
est porté, dans les huit jours de la notification de cette décision, devant le président du tribunal de grande instance dans
le ressort duquel sont situés les immeubles.
À la suite d’un jugement irrévocable signifié le 14 janvier 2013,
une caisse d’épargne adresse le 27 mars 2013 au service de
la publicité foncière de Créteil deux bordereaux d’inscription
d’hypothèque judiciaire définitive concernant des immeubles
situés à Thiais et à Choisy-le-Roi sur lesquels elle avait fait
inscrire des hypothèques judiciaires provisoires. Seule l’hypothèque concernant l’immeuble de Thiais ayant été inscrite, la
Caisse d’épargne met en demeure, le 30 juillet 2013, le service
de la publicité foncière de régulariser l’inscription relative à
l’immeuble de Choisy-le-Roi et, le 1er août 2013, le service de
la publicité foncière ayant opposé un refus de dépôt en raison
de la tardiveté de la demande, la Caisse d’épargne conteste
ce refus devant le président du tribunal de grande instance.
Viole l’article 26 du décret n° 55-22 du 4 janvier 1955 en
excédant ses pouvoirs la cour d’appel qui, pour accueillir le
recours et ordonner la publication du bordereau de l’inscription d’hypothèque judiciaire définitive, retient qu’il appartient
au juge d’examiner si la requérante avait formé une première
demande dans les délais requis alors même que l’absence
de réponse du service de la publicité foncière à la demande
initiale avait empêché toute régularisation de cette requête
en temps utile et généré une nouvelle demande effectivement
tardive, alors qu’elle devait examiner le bien-fondé de la décision déférée en l’état de la demande dont avait été saisi le
service de la publicité foncière et non d’une demande formulée antérieurement à laquelle il n’avait pas été répondu.
Cass. 3e civ., 10 déc. 2015, no 14-26895, État français c/ Caisse
d’épargne et de prévoyance d’Ile de France, FS–PB (cassation CA
Paris, 30 sept. 2014), M. Chauvin, prés. – SCP Delaporte, Briard
253f6
et Trichet, SCP Foussard et Froger, av.
■■PROCÉDURE CIVILE
253n7
253f8
Le juge ne peut examiner la demande subsidiaire avant la
demande principale
Le juge ne pouvant examiner la demande subsidiaire avant la
demande principale, en application des articles 4 et 5 du Code
de procédure civile, il ne peut déclarer le licenciement sans
cause réelle et sérieuse, sans se prononcer au préalable sur
les demandes relatives à la nullité du licenciement ou à son
caractère illicite, présentées à titre principal.
253f6
Jur ispr ude nc e
Cass. soc., 10 déc. 2015, no 14-16214, Sté Optimum c/ Pôle
emploi, FS–PB (cassation partielle CA Paris, 25 févr. 2014), M.
Frouin, prés. – SCP Célice, Blancpain, Soltner et Texidor, SCP
253n7
Rocheteau et Uzan-Sarano, av.
253n7
■■PROCÉDURE PÉNALE
Cass. 2e civ., 10 déc. 2015, no 14-25757, Mme X es qual. et a.
c/ Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et autres
infractions, FS–PB (rejet pourvoi c/ CA Versailles, 8 nov. 2012 et
16 janv. 2014), Mme Flise, prés. – SCP Boré et Salve de Bruneton,
253n6
SCP Lyon-Caen et Thiriez, av.
253n6
253d8
■■RURAL
253e5
Défaut de notification de ses droits au gardé à vue
La notification à la personne concernée des droits attachés à
la prolongation de la garde à vue est une condition d’effectivité
de leur exercice.
Cass. crim., 1er déc. 2015, no 15-84874, FS–PB (rejet pourvoi
253d8
c/ CA Nancy, 29 juill. 2015), M. Guérin, prés.
253d8
■■PROCÉDURE PÉNALE
253d6
Secret professionnel versus lutte contre le dopage
Le mari et entraîneur d’une sportive est mis en examen des
chefs d’importation de marchandises prohibées, infractions
aux réglementations sur le commerce ou l’emploi de substances vénéneuses, importation sans raison médicale dûment
justifiée de produits dopants et le juge d’instruction ordonne
une expertise aux fins d’analyser le dossier médical de la
sportive, saisi dans les locaux de la Fédération française de
cyclisme, tandis que le prévenu dépose une demande aux fins
d’annulation de pièces de la procédure.
En vertu des articles 81, 156 et suivants du Code de procédure
pénale, le juge d’instruction peut ordonner une expertise ayant
pour objet des constatations d’ordre technique nécessitant la
communication et l’examen de pièces utiles à la manifestation
de la vérité, et les dispositions relatives au secret imposé aux
professionnels de santé ne font pas obstacle à la désignation
d’un expert pharmacien pour examiner un dossier contenant
des renseignements médicaux et détenu par une fédération
sportive investie de prérogatives de puissance publique en
matière de lutte contre le dopage.
Cass. crim., 24 nov. 2015, no 15-83349, FS–PB (rejet pourvoi
c/ CA Grenoble, 8 avr. 2015), M. Guérin, prés. – SCP Odent et
253d6
Poulet, SCP Waquet, Farge et Hazan, av.
253d6
■■PROTECTION SOCIALE
253c9
Prestations d’accident du travail accordées par décision de
justice : prescription biennale
La durée de la prescription étant déterminée par la nature
de la créance, dès lors que cette dernière ne résulte pas d’un
titre exécutoire, la prescription de l’article L. 431-2 du Code de
la sécurité sociale est applicable à la victime d’un accident du
travail ou d’une maladie professionnelle qui réclame le paiement des sommes qui lui ont été allouées par une décision.
Cass. 2 civ., 26 nov. 2015, n 14-23220, CPAM du Puy-de-Dôme
c/ M. X et a., F–PB (cassation CA Riom, 16 juin 2014), Mme Flise,
253c9
prés. – SCP Foussard et Froger, av.
e
o
■■RESPONSABILITÉ CIVILE
253n6
Réparation de la victime d’une rixe par le FIVA : déduction
des prestations versées
S’agissant de la victime d’une rixe entre bandes rivales dont
le préjudice a donné lieu à la saisine de la commission des
victimes d’infraction et qui a été placée sous curatelle, les
dispositions de l’article 31, al. 2, de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985, dans sa rédaction issue de l’article 25 de la loi n°
2006-1640 du 21 décembre 2006 qui instituent un droit de préférence au profit de la victime subrogeante lorsqu’elle n’a été
indemnisée qu’en partie, ne peuvent s’appliquer à l’indemnisation de la victime par le Fonds d’indemnisation des actes
de terrorisme et d’autres infractions à l’égard duquel les
tiers payeurs ne disposent d’aucun recours subrogatoire. Il
en résulte que la réparation doit être fixée en déduisant poste
par poste, les prestations visées à l’article 706-9 du Code de
procédure pénale.
253c9
Application d’un accord professionnel étendu et séparation
des pouvoirs
L’organisation interprofessionnelle des vins AOC Côtes du
Rhône et Vallée du Rhône, se prévalant d’accords professionnels étendus par arrêtés ministériels, assigne un groupement
foncier agricole en paiement de cotisations résultant de ces
accords.
Après avoir rappelé qu’il résulte de l’article L. 632-4, alinéa 3,
du Code rural et de la pêche maritime que, lorsque l’extension
d’accords conclus au sein d’une organisation interprofessionnelle reconnue est décidée, les mesures ainsi prévues sont
obligatoires, dans la zone de production intéressée, pour tous
les membres des professions constituant cette organisation
interprofessionnelle, la cour d’appel en déduit exactement
que, dès lors que l’arrêté ministériel d’extension a été publié,
ces mesures produisent effet pour l’ensemble de la campagne considérée, les dates de sortie de chais postérieures
à la date de conclusion des avenants étendus devant être
prises en considération pour l’appréciation du bien-fondé des
demandes de paiement des cotisations.
En cas de contestation sérieuse portant sur la légalité d’un
acte administratif, les tribunaux de l’ordre judiciaire statuant
en matière civile doivent surseoir à statuer jusqu’à ce que la
question préjudicielle de la légalité de cet acte soit tranchée
par la juridiction administrative, sauf s’il apparaît manifestement, au vu d’une jurisprudence établie, que la contestation
peut être accueillie par le juge saisi au principal.
Viole l’article 13 de la loi des 16-24 août 1790 et le décret du
16 fructidor an III la cour d’appel qui, pour dire que le GFA
ne doit pas les montants de certaines factures, retient que
l’association Inter-Rhône n’a pas respecté la règle de l’unanimité prévue par l’article L. 632-4, alinéa 1er, du Code rural,
dès lors que le procès-verbal de l’assemblée générale du 6
novembre 2006 fait apparaître que le barème a été adopté
par « 20 voix pour ; 6 abstentions ; 9 contre », alors qu’elle
aurait dû rechercher, même d’office, s’il était manifeste, au vu
d’une jurisprudence établie, que la contestation de la légalité
de l’acte administratif en cause pouvait être accueillie par le
juge judiciaire, saisi au principal, sans qu’il soit besoin de renvoyer au juge administratif pour statuer sur cette contestation
par voie de question préjudicielle.
Cass. 1re civ., 9 déc. 2015, no 14-16548, Association Inter Rhône
c/ GFA Domaine des Goubins, FS–PBI (cassation partielle CA
Nîmes, 13 févr. 2014), Mme Batut, prés. – SCP Didier et Pinet,
253e5
SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, av.
■■TOURISME
253d4
Forfait de voyage comprenant une croisière : nature et étendue des responsabilités
Une justiciable, qui avait conclu avec un voyagiste un contrat
ayant pour objet un forfait touristique comprenant une croisière sur un bateau, est victime d’une chute sur le pont du
bateau lors de la croisière.
Après avoir assigné le voyagiste, son assureur et la société
organisatrice de la croisière, elle saisit le juge de la mise en
état d’une demande visant à l’institution d’une expertise et
à l’allocation d’une provision à valoir sur l’indemnisation de
son préjudice.
L’organisateur d’une croisière qui présente les caractères
d’un forfait touristique, au sens de l’article L. 211-2 du Code
du tourisme, relève du régime de la responsabilité de plein
droit institué par l’article L. 211-16 du même code, issu de la
loi n° 92པ645 du 13 juillet 1992 fixant les conditions d’exercice
des activités relatives à l’organisation et à la vente de voyages
G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1
43
253e5
Jur i s p r u de nc e
ou de séjours, laquelle a transposé en droit interne la directive 90/314/CEE du Conseil, du 13 juin 1990, concernant les
voyages, vacances et circuits à forfait.
Après avoir constaté que la société a organisé, non le seul
transport des passagers, mais la totalité des opérations composant la croisière, en ce compris l’ensemble des services
touristiques complémentaires offerts à ce titre, la cour d’appel en déduit à bon droit que, dès lors que la combinaison
de ces opérations constitue un forfait touristique, au sens de
l’article L. 211-2, précité, la société, en sa qualité d’organisateur de voyages, est responsable de plein droit de la bonne
exécution des obligations résultant du contrat conclu par la
victime.
De plus, il résulte des articles L. 211-16 et L. 211-1, I du Code
du tourisme que toute personne physique ou morale qui se
livre à une opération consistant en l’organisation ou la vente
de voyages ou de séjours individuels ou collectifs est responsable de plein droit à l’égard de l’acheteur de la bonne
exécution des obligations résultant du contrat. Par suite, la
mise en oeuvre de cette responsabilité à l’encontre de l’organisateur du voyage ou du séjour n’est pas subordonnée à
l’existence d’un lien contractuel entre ce dernier et l’acheteur.
Enfin, ayant retenu l’absence des causes exonératoires prévues par le second alinéa de l’article L. 211-16 du Code du
tourisme, la cour d’appel en déduit à bon droit, sans inverser
la charge de la preuve, que la responsabilité de plein droit de
la société n’est pas sérieusement contestable.
Après avoir constaté que les prestations proposées par le
voyagiste relèvent du champ d’application des articles L. 211-1
et L. 211-2 du Code du tourisme, dès lors qu’elles constituent
un forfait touristique, la cour d’appel décide exactement que
le voyagiste est responsable de plein droit, en sa qualité de
vendeur, des préjudices subis par la victime, peu important
que le dommage soit survenu au cours du transport, dès lors
que cette opération était l’une de celles composant le forfait
touristique.
Cass. 1re civ., 9 déc. 2015, no 14-20533, Sté société Costa Crociere
c/ Mme X, FS–PBI (rejet pourvoi c/ CA Toulouse, 13 mai 2014),
Mme Batut, prés. – Me Le Prado, SCP Masse-Dessen, Thouvenin
253d4
et Coudray, av.
correspondant, au sein de cet établissement, à un secteur
d’activité, peu important qu’il n’y travaille pas, dès lors qu’il
relève du secteur géographique d’implantation du CHSCT,
ce qu’il appartient au juge de vérifier lorsqu’il est saisi d’une
contestation de la désignation.
Cass. soc., 25 nov. 2015, no 14-29850, Synd. Fédération nationale
des mines et de l’énergie CGT et a. c/ M. X et a., FS–PB (cassation TI Puteaux, 17 déc. 2014), M. Frouin, prés. – SCP Piwnica et
253c7
Molinié, SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, av.
■■TRAVAIL
253n8
Convocation à l’entretien préalable : portée du procès-verbal
de carence de délégués
Viole l’article 90 de la convention collective nationale des
sociétés d’assurances du 27 mai 1992 et l’article L. 1235-3 du
Code du travail la cour d’appel qui, pour dire que le licenciement du salarié est sans cause réelle et sérieuse, retient que
la lettre de convocation à l’entretien préalable au licenciement
ne comporte pas l’indication que le salarié a la possibilité de
saisir une commission composée de trois représentants de
l’employeur et de trois représentants du personnel et que
le fait que l’employeur invoque l’absence de délégués du
personnel, outre le fait que le salarié puisse réclamer luimême que soient organisées les élections, laisse à la charge
de l’employeur l’obligation de mettre en place un tel conseil
en le dotant de trois représentants du personnel, au besoin
désignés à cette fin, alors qu’elle constate que l’employeur
produit un procès-verbal de carence, dont la validité n’était
pas contestée.
Cass. soc., 10 déc. 2015, no 14-16214, Sté Optimum vie c/ Pôle
emploi, FS–PB (cassation partielle CA Paris, 25 févr. 2014), M.
Frouin, prés. – SCP Célice, Blancpain, Soltner et Texidor, SCP
253n8
Rocheteau et Uzan-Sarano, av.
253c8
253d4
253p0
Calcul de l’octroi d’un repos et critère d’attribution d’une
prime
L’étendue des droits d’un salarié de La Poste, en matière
de repos exceptionnel est déterminée par référence aux périodes de présence et d’activité dans l’entreprise au cours de
l’année écoulée et non en fonction de la durée hebdomadaire
de travail.
Le « complément poste » institué par la décision n° 717 du
4 mai 1995 du président du conseil d’administration de La
Poste, est appelé à rétribuer un niveau de fonction en tenant
compte de la maîtrise personnelle du poste. Ces critères
devant être seuls pris en considération, encourt la cassation
l’arrêt qui rejette la demande d’un agent contractuel en se référant à l’ancienneté respective du fonctionnaire et de l’agent
qui exercent au même niveau les mêmes fonctions.
■■TRAVAIL
253c7
Condition de désignation d’un membre du CHSCT qui ne travaille pas dans le secteur d’activité
Tout salarié d’un établissement au sens de l’article L. 2327-1
du Code du travail peut être désigné membre du CHSCT
44
G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1
253n8
■■TRAVAIL
■■TRAVAIL
Cass. soc., 9 déc. 2015, no 14-10874, Mme X c/ DOTC Auvergne
de La Poste, FP–PB (cassation partielle CA Riom, 19 nov. 2013),
M. Frouin, prés. – SCP Boré et Salve de Bruneton, SCP Lyon253p0
Caen et Thiriez, av.
253c7
Demande en référé de nullité d’un licenciement pour harcèlement moral
Encourt la cassation l’arrêt qui, pour rejeter la demande en
nullité du licenciement présentée en référé par une salariée
invoquant des faits de harcèlement, estime que le trouble
manifestement illicite n’est pas caractérisé, alors qu’il lui appartenait de se prononcer sur la mauvaise foi de la salariée
lorsqu’elle a dénoncé les faits de harcèlement moral, pour
déterminer si le licenciement constituait un trouble manifestement illicite.
Cass. soc., 25 nov. 2015, no 14-17551, Mme X c/ Sté Orange
Caraïbe, FS–PB (cassation CA Basse-Terre, 17 mars 2014), M.
Frouin, prés. – SCP Célice, Blancpain, Soltner et Texidor, SCP
253c8
Rocheteau et Uzan-Sarano, av.
253c8
■■TRAVAIL
253c6
253p0
Désignation du délégué syndical : condition de résultat aux
« élections professionnelles »
Dès lors que l’organisation syndicale qui entend désigner un
délégué syndical dans un établissement d’une UES, dispose de
candidats ayant obtenu au moins 10% des suffrages exprimés
au premier tour des dernières élections professionnelles, le
délégué syndical doit être choisi parmi ceux-ci conformément
aux dispositions de l’alinéa 1° de l’article L. 2143-3 du Code
du travail, l’alinéa 2 de ce texte ne s’appliquant que lorsque la
condition prévue à l’alinéa 1° n’est pas remplie.
Cass. soc., 25 nov. 2015, no 15-14061, Sté Orange et a.
c/ Fédération syndicaliste des activités postales et de télécommunication Sud PTT et a., FS–PB (cassation TI Paris 7ème , 19
fév. 2015), M. Frouin, prés. – SCP Célice, Blancpain, Soltner et
253c6
Texidor, SCP Lyon-Caen et Thiriez, av.
253c6
Jur ispr ude nc e
■■TRAVAIL
22 mai 2014), M. Frouin, prés. – SCP Bouzidi et Bouhanna, SCP
253n9
Gatineau et Fattaccini, av.
253d1
Licenciement d’un pilote d’Air France : obligations
de l’employeur en matière de sécurité et portée du
règlement intérieur
S’agissant d’un pilote d’Air France qui, en 2006, a
été pris d’une crise de panique qui a donné lieu à
un arrêt de travail et qui a engagé une action contre
son employeur en lui reprochant d’avoir manqué à son obligation de sécurité après les attentats du 11 septembre 2001,
puis a été licencié en 2011 pour ne s’être pas présenté à une
visite médicale destinée à ce qu’il soit statué sur son aptitude à exercer un poste au sol, justifie légalement sa décision
de débouter l’intéressé de sa demande de dommages-intérêts, pour manquement à l’obligation de sécurité, l’arrêt
qui constate que l’employeur avait pris en compte les évènements violents auxquels le salarié avait été exposé, avait
fait accueillir celui-ci et tout l’équipage par l’ensemble du
personnel mobilisé pour assurer une présence jour et nuit et
orienter les intéressés vers des consultations psychiatriques,
et que l’intéressé déclaré apte en 2002 et 2005 avait exercé
ses fonctions jusqu’en avril 2006 sans difficulté, les éléments
produits par lui en 2008 étant dépourvus de lien avec les évènements dont il avait été le témoin, étant précisé, en effet, que
l’employeur, qui justifie avoir pris toutes les mesures prévues
par les articles L. 4121-1 et L. 4121-1 du Code du travail, ne
méconnait pas l’obligation légale lui imposant de prendre les
mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la
santé physique et mentale des travailleurs.
Encourt la cassation de ce chef, l’arrêt qui déboute un pilote
de sa demande de dommages-intérêts pour licenciement
sans cause réelle et sérieuse, sans répondre aux conclusions
de l’intéressé qui, licencié pour ne s’être pas présenté à une
visite médicale destinée à apprécier son aptitude à un poste
au sol, invoquait les dispositions du règlement intérieur d’Air
France, ne prévoyant la possibilité de sanctionner un salarié
qu’à la suite d’une non présentation répétée à une convocation du service de médecine du travail ou d’expertise, et faisait
valoir qu’aucun refus réitéré et délibéré ne pouvait être retenu contre lui.
Cass. soc., 25 nov. 2015, no 14-24444, M. X c/ Sté Air France,
FP–PBRI (cassation partielle CA Paris, 6 mai 2014), M. Frouin,
prés. – SCP Masse-Dessen, Thouvenin et Coudray, SCP Rocheteau
253d1
et Uzan-Sarano, av.
■■TRAVAIL
253n9
Nouveau prestataire de nettoyage : conséquence de l’absence d’affectation de six mois sur le marché
Le salarié d’une entreprise de nettoyage qui, au jour du
changement de prestataire, ne remplit pas la condition
d’affectation sur le marché d’au moins six mois prévue par
l’article 7-2 de la convention collective nationale des entreprises de propreté et services associés du 26 juillet 2011, ne
passe pas au service de l’entreprise entrante et l’entreprise
sortante reste son employeur.
Cass. soc., 10 déc. 2015, no 14-21485, Sté Entreprise Guy
Challancin c/ Sté Probus et a., FS–PB (cassation partielle CA Paris,
253n9
■■VENTE
253f7
Connaissance par l’acquéreur de la réelle superficie du bien
vendu
La connaissance par l’acquéreur, avant la vente, de la superficie réelle du bien ne le prive pas de son droit à la diminution
du prix.
Cass. 3e civ., 10 déc. 2015, no 14-13832, Sté PACA Invest c/ M.
X et a., FS–PB (cassation partielle CA Aix-en-Provence, 12 nov.
2013), M. Chauvin, prés. – SCP Boré et Salve de Bruneton, SCP
Garreau, Bauer-Violas et Feschotte-Desbois, SCP Jean-Philippe
253f7
Caston, SCP Nicolaý, de Lanouvelle et Hannotin, av.
253f7
■■VENTE
253e3
Fondement exclusif de l’action en réduction du prix pour surface inexacte du bien immobilier
Lorsque l’acquéreur d’un lot de copropriété agit contre le vendeur en invoquant un déficit de superficie, son action est régie
exclusivement par les dispositions de l’article 46 de la loi du
10 juillet 1965. La cour d’appel, saisie de demandes en indemnisation fondées sur l’article 1604 du Code civil, en déduit
exactement que ces demandes sont irrecevables.
Cass. 3e civ., 26 nov. 2015, no 14-14778, FS–PB (rejet pourvoi
c/ CA Montpellier, 18 avr. 2013), M. Chauvin, prés. – SCP Célice,
Blancpain, Soltner et Texidor, SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel,
253e3
av.
253e3
■■VENTE
253f0
253d1
Vente d’un chiot « non conforme »
L’acquéreuse d’un chiot de race bichon frisé, à usage de
compagnie, invoquant un défaut de conformité constitué par
une cataracte héréditaire entraînant de graves troubles de la
vision, sollicite la réparation de ce défaut et l’allocation de
dommages-intérêts, tandis que la vendeuse, éleveuse professionnelle, propose le remplacement de l’animal, estimant le
coût de la réparation manifestement disproportionné.
Le tribunal qui relève que le chien en cause est un être vivant,
unique et irremplaçable, et un animal de compagnie destiné
à recevoir l’affection de son maître, sans aucune vocation
économique, faisant ainsi ressortir l’attachement de la demanderesse pour son chien, en déduit exactement que son
remplacement est impossible, au sens de l’article L. 211-9 du
Code de la consommation. Retenant ensuite que le défaut de
conformité de l’animal est présumé exister au jour de sa délivrance, concomitante à la vente, sans que soit démontrée une
acquisition en connaissance de cause, le tribunal considère
implicitement mais nécessairement que l’éleveuse, réputée
connaître le défaut de conformité du bien vendu en sa qualité
de vendeur professionnel, a commis une faute.
Cass. 1re civ., 9 déc. 2015, no 14-25910, F–PB (rejet pourvoi c/ TI
Vannes, 28 août 2014), Mme Batut, prés. – SCP Monod, Colin et
253f0
Stoclet, SCP Yves et Blaise Capron, av.
G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1
45
251s3
253f0
J u ris pr udenc e
251s5
Panorama de jurisprudence du Conseil d’État
cocontractants ne pourrait pas être utilement recherchée, de
mettre en cause, sur le terrain quasi-délictuel, la responsabilité des participants à une opération de construction avec
lesquels il n’a pas conclu de contrat de louage d’ouvrage, mais
qui sont intervenus sur le fondement d’un contrat conclu avec
l’un des constructeurs. S’il peut, à ce titre, invoquer, notamment, la violation des règles de l’art ou la méconnaissance de
dispositions législatives et réglementaires, il ne saurait, toutefois, se prévaloir de fautes résultant de la seule inexécution,
par les personnes intéressées, de leurs propres obligations
contractuelles. En outre, alors même qu’il entend se placer
sur le terrain quasi-délictuel, le maître d’ouvrage ne saurait
rechercher la responsabilité de participants à l’opération de
construction pour des désordres apparus après la réception
de l’ouvrage et qui ne sont pas de nature à compromettre la
solidité de l’ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination.
Par
Philippe GRAVELEAU
■■CONTENTIEUX ADMINISTRATIF
252h9
Non-lieu sur une demande d’annulation d’une décision de
retrait de points du permis de conduire
Des conclusions tendant à l’annulation d’une décision du ministre de l’intérieur portant retrait de points d’un permis de
conduire sont dépourvues d’objet si la décision par laquelle
ce ministre a constaté la perte de validité de ce permis pour
solde de points nul est devenue définitive.
CE, 5e sous-sect., 7 déc. 2015, no 388926, Min. de l’intérieur,
Mentionnée au Recueil Lebon (Annulation partielle TA Montreuil,
252h9
22 janv. 2015), L. Collet, rapp.; L. Marion, rapp. publ.
252h9
CE, 7e et 2e sous-sect., 7 déc. 2015, no 380419, Cne de Bihorel,
Publiée au Recueil Lebon (Annulation partielle CAA Douai, 4 mars
252h6
2014), F. Dieu, rapp.; G. Pellissier, rapp. publ.
■■CONTENTIEUX ADMINISTRATIF
252n0
Référé provision : compétence en premier et dernier ressort
des tribunaux administratifs
Les ordonnances rendues par le juge des référés du tribunal
administratif statuant sur une demande de provision sur le
fondement de l’article R. 541-1 du code de justice administrative sont rendues en dernier ressort lorsque l’obligation
dont se prévaut le requérant pour obtenir le bénéfice d’une
provision se rattache à l’un des litiges énumérés aux 1° à 8°
de l’article R. 811-1. Dans le cas où l’obligation se rattache
à une action indemnitaire autre que celles portant sur des
litiges énumérés aux 1° à 7° de l’article R. 811-1, le montant
de l’obligation en cause doit être regardé comme excédant
le montant déterminé par les articles R. 222-14 et R. 22215 lorsque les conclusions présentées en référé tendent au
versement d’une provision d’un montant supérieur à 10 000
euros. A défaut, lorsque le montant demandé à titre de provision n’atteint pas cette somme, l’étendue de l’obligation
doit être appréciée au vu de ce qui est exposé à l’appui de
la demande de provision et, le cas échéant, de l’existence
d’une demande corrélative d’expertise. En particulier, quand
le requérant a, parallèlement à sa demande de provision,
demandé qu’une expertise soit ordonnée afin de déterminer
l’étendue de son préjudice, en se réservant de fixer le montant de sa demande au vu du rapport de l’expert, le montant
de l’obligation dont il se prévaut pour obtenir une provision
ne peut être tenu comme étant inférieur au montant fixé à
l’article R. 222-14. Ainsi, dans ce dernier cas, la décision du
juge des référés statuant sur la demande de provision est
susceptible d’appel.
CE, 2e et 7e sous-sect., 9 déc. 2015, no 391626, Cne du Cannet,
Publiée au Recueil Lebon, C. Barrois de Sarigny, rapp.; X.
252n0
Domino, rapp. publ.
■■CONTRATS ET MARCHÉS PUBLICS
252h6
Responsabilité quasi-délictuelle des participants à une opération de construction
Il incombe au juge administratif, lorsqu’est recherchée devant
lui la responsabilité décennale des constructeurs, d’apprécier, au vu de l’argumentation que lui soumettent les parties
sur ce point, si les conditions d’engagement de cette responsabilité sont ou non réunies et d’en tirer les conséquences,
le cas échéant d’office, pour l’ensemble des constructeurs.
Il appartient, en principe, au maître d’ouvrage qui entend
obtenir la réparation des conséquences dommageables d’un
vice imputable à la conception ou à l’exécution d’un ouvrage
de diriger son action contre le ou les constructeurs avec lesquels il a conclu un contrat de louage d’ouvrage. Il lui est
toutefois loisible, dans le cas où la responsabilité du ou des
46
G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1
251s5
NOTE cf. CE, 30 juin 1999, n° 163435, Cne de Voreppe, Gaz. Pal. Rec. 2000,
somm. p. 438
252h6
■■ORGANISATION ADMINISTRATIVE
252f8
Compétence fiscale des collectivités d’outre-mer
Il appartient à une collectivité d’outre-mer régie par l’article
74 de la Constitution d’exercer pleinement la compétence que
lui a conférée le législateur organique lorsque, intervenant
dans un domaine réservé, en métropole, au législateur par
l’article 34 de la Constitution, elle crée un régime juridique
et ne diffère pas son entrée en vigueur. Il revient à cette collectivité, lorsqu’elle exerce des compétences qui relèvent,
en principe, du domaine de la loi, d’assortir les éventuelles
mises en cause des droits et principes constitutionnellement
protégés des garanties de nature à permettre que ces mises
en cause soient conformes à la Constitution. Il s’ensuit que
lorsqu’elle définit, dans le cadre de ses compétences, une
imposition, la collectivité d’outre-mer de Saint-Martin doit
déterminer de manière complète et suffisamment précise son
assiette, son taux, ainsi que ses modalités de recouvrement,
lesquelles comprennent les règles régissant le contrôle, le
recouvrement, les garanties et les sanctions applicables à
cette imposition.
CE, sect. cont., 30 nov. 2015, no 388299, Préfet délégué de SaintBarthélemy et de Saint-Martin, Publiée au Recueil Lebon, A. Iljic,
252f8
rapp.; E. Crépey, rapp. publ.
NOTE cf. CE, 16 oct. 2013, n° 358701, Sté EDF, Gaz. Pal. 31 oct. 2013, p.
28, 151z8
252f8
■■ORGANISATION ADMINISTRATIVE
252j0
252n0
Nouvelle-Calédonie : répartition des compétentes en matière
de lutte contre le bruit
La lutte contre le bruit et la prévention des nuisances sonores
peuvent avoir notamment pour objectif le maintien de la tranquillité publique, la protection de la santé et la préservation de
l’environnement. La détermination de l’autorité compétente
pour édicter une réglementation dans ce domaine dépend
donc de la nature de la finalité qui lui est assignée. La préservation de l’environnement ne fait pas partie des compétences
que l’article 21 de la loi organique du 19 mars 1999 attribue
à l’État. L’article 22 ne la mentionne pas au titre des compétences de la Nouvelle-Calédonie. Aucune disposition de la
législation applicable en Nouvelle-Calédonie ne confie cette
compétence aux communes. Il s’ensuit que les provinces
sont compétentes pour édicter une réglementation en matière de lutte contre le bruit et de prévention des nuisances
Jur ispr ude nc e
sonores lorsqu’elle tend à la préservation de l’environnement. Il résulte de l’article 22 de la même loi organique que
la Nouvelle-Calédonie est compétente pour édicter une réglementation en matière de lutte contre le bruit ou de prévention
des nuisances sonores à des fins de protection de la santé publique. Ces compétences doivent être exercées sans préjudice
du pouvoir de police générale attribué au maire par l’article
L. 131-1 du code des communes de la Nouvelle-Calédonie, le
haut-commissaire dans la commune de Nouméa et les commissaires délégués dans les communes de leur subdivision
étant seuls chargés du maintien de l’ordre public.
CE, avis, 10e et 9e sous-sect., 7 déc. 2015, no 393473, Assoc.
Ensemble pour la planète, Mentionnée au Recueil Lebon, I.
252j0
Lemesle, rapp.; A. Bretonneau, rapp. publ.
CE, 8e et 3e sous-sect., 9 déc. 2015, no 391961, Sté La Perla
Romana, Mentionnée au Recueil Lebon (rejet pourvoi c/ TA Nice,
6 juill. 2015), K. Ciavaldini, rapp.; B. Bohnert, rapp. publ. 252n1
NOTE Comparer avec CE, 20 janv. 1992, n° 130250, Sté Jules Viaux et fils,
Gaz. Pal. Rec. 1992, panor. adm. p. 113
252n1
■■POLICE ADMINISTRATIVE
252m7
252j0
■■PATRIMOINE PUBLIC
252h7
Atteinte au domaine public et contravention de grande voirie
Il appartient aux juges du fond de rechercher, au besoin
d’office, si, à la date des faits relevés à l’encontre de l’auteur
d’atteintes portées au domaine public, ces atteintes étaient
réprimées par une contravention de grande voirie. Ils doivent
dans ce cas, avant de statuer au titre de l’action publique, également vérifier qu’à la date à laquelle ils statuent, l’atteinte
portée au domaine public constitue toujours une telle contravention. La circonstance qu’à cette date, l’atteinte portée au
domaine public ne soit plus réprimée par une contravention
de grande voirie ne fait en revanche pas obstacle à ce qu’ils
statuent sur la contravention dont ils ont été saisis au titre
de l’action tendant à la réparation des dommages portés au
domaine public. Il leur appartient, en outre, de rechercher,
même d’office, si les faits constatés par un procès-verbal
constituent une contravention à d’autres dispositions que
celles expressément mentionnées dans ce procès-verbal.
CE, 8e et 3e sous-sect., 7 déc. 2015, no 362766, Sté CMA CGM,
Mentionnée au Recueil Lebon (Annulation CAA Douai 12 juill.
252h7
2012), E. de Moustier, rapp.; N. Escaut, rapp. publ.
252h7
■■PATRIMOINE PUBLIC
252n1
Expulsion du domaine public d’un occupant placé en procédure de sauvegarde
Si l’article L. 622-21 du code de commerce fixe le principe
de la suspension ou de l’interdiction, à compter du jugement
d’ouverture de la procédure de sauvegarde, de toute action
en justice tendant au paiement d’une somme d’argent ou
à la résolution d’un contrat pour défaut de paiement d’une
somme d’argent, de la part de tous les créanciers autres que
ceux détenteurs d’une créance postérieure privilégiée, il ne
comporte aucune dérogation aux dispositions régissant les
compétences respectives des juridictions administratives et
judiciaires. Il est, en tout état de cause, sans influence sur
la compétence du juge administratif pour se prononcer sur
des conclusions tendant à l’expulsion d’un occupant irrégulier
du domaine public, dès lors que celles-ci ne sont entachées
d’aucune irrecevabilité au regard des dispositions dont l’appréciation relève de la juridiction administrative.
252m7
252j1
Gestion d’une dépendance du domaine public par un tiers
Un contrat par lequel le propriétaire d’une dépendance du
domaine public confie la gestion de cette dépendance à un
tiers n’est pas opposable à la personne publique à qui ce bien
a été loué pour y exercer une mission de service public sans
que cette dernière y ait consenti.
■■PATRIMOINE PUBLIC
CE, 2e et 7e sous-sect., 9 déc. 2015, no 386817, M. C., Mentionnée
au Recueil Lebon, S-C. de Margerie, rapp.; X. Domino, rapp.
252m7
publ.
■■PROCÉDURE PÉNALE
252k6
CE, 8e et 3e sous-sect., 7 déc. 2015, no 375643, Société nationale
immobilière, Mentionnée au Recueil Lebon, M. Herondart, rapp.;
252k6
N. Escaut, rapp. publ.
Sortie du territoire d’une mineure à destination de la Syrie
Les articles 371-1 et 371-3 du code civil n’imposent pas aux
autorités compétentes d’instituer un dispositif général exigeant des ressortissants français mineurs d’être munis d’une
autorisation de leurs parents pour quitter seuls le territoire
français. Le règlement (CE) n° 562/2006 du 15 mars 2006
établissant un code communautaire relatif au régime de franchissement des frontières n’est pas méconnu par la circulaire
du 20 novembre 2012 qui prescrit à ces autorités de vérifier,
dans tous les cas, outre la validité du titre de voyage, que le
mineur ne fait pas l’objet d’une interdiction judiciaire de sortie
du territoire ou d’une opposition à sortie du territoire.
Une mineure, qui était en possession d’un passeport en cours
de validité et d’un billet d’avion à son nom, remplissait les
conditions légales de sortie du territoire à destination de la
Turquie, aux fin de rejoindre la Syrie. Les fonctionnaires en
charge du contrôle des frontières ont, d’une part, vérifié la
conformité du nom figurant sur la carte d’embarquement de
la jeune fille avec celui figurant sur son passeport et, d’autre
part, consulté le fichier national des personnes recherchées
pour s’assurer qu’elle ne faisait pas l’objet d’une interdiction
judiciaire de sortie du territoire ou d’une opposition à sortie
du territoire. Ils n’ont commis aucune faute dans l’exécution
de leur mission de surveillance de nature à engager la responsabilité de l’État 252k6
Régime applicable aux détenus particulièrement signalés :
autorité compétente
Le pouvoir réglementaire est compétent pour édicter le régime applicable aux détenus particulièrement signalés, qui
a pour seul effet de prescrire aux personnels et autorités
pénitentiaires de faire preuve d’une vigilance particulière
s’agissant de certains individus. Les limites éventuellement
portées aux droits des détenus par le régime ainsi défini ne
peuvent cependant légalement intervenir que dans le respect
des conditions définies par le législateur, notamment aux
articles 22 et suivants de la loi pénitentiaire du 24 novembre
2009.
CE, 10e et 9e sous-sect., 7 déc. 2015, no 393668, Min. de la justice,
Mentionnée au Recueil Lebon (Annulation TA Lille, 7 sept. 2015),
252j1
A. Iljic, rapp.; A. Bretonneau, rapp. publ.
■■PROFESSIONS
252h4
Droits de la défense devant les juridictions ordinales
Les principes généraux du droit disciplinaire impliquent que,
lors de l’audience, la personne poursuivie soit mise à même
de prendre la parole en dernier.
CE, 4e et 5e sous-sect., 7 déc. 2015, no 376387, Mme D., Publiée
au Recueil Lebon, D. Moreau, rapp.; G. Dumortier, rapp. publ.
252h4
NOTE cf. CE, 1er déc. 1993, n° 129048, Cne de Saint-Cyprien, Gaz. Pal.
Rec. 1994, panor. adm. p. 91
252h4
■■RESPONSABILITÉ PUBLIQUE
252h5
Régime d’indemnisation des victimes d’essais nucléaires
Il résulte de la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 que le législateur a entendu faire bénéficier toute personne souffrant
G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1
47
252j1
Jur i s p r u de nc e
d’une maladie radio-induite ayant résidé ou séjourné, durant
des périodes déterminées, dans des zones géographiques
situées en Polynésie française et en Algérie, d’une présomption de causalité aux fins d’indemnisation du préjudice subi
en raison de l’exposition aux rayonnements ionisants due aux
essais nucléaires. Toutefois, cette présomption peut être renversée lorsqu’il est établi que le risque attribuable aux essais
nucléaires, apprécié tant au regard de la nature de la maladie
que des conditions particulières d’exposition du demandeur,
est négligeable. A ce titre, l’appréciation du risque peut notamment prendre en compte le délai de latence de la maladie,
le sexe du demandeur, son âge à la date du diagnostic, sa
localisation géographique au moment des tirs, les fonctions
qu’il exerçait effectivement, ses conditions d’affectation et, le
cas échéant, les missions de son unité au moment des tirs.
Le calcul de la dose reçue de rayonnements ionisants
constitue l’un des éléments sur lequel l’autorité chargée
d’examiner la demande peut se fonder afin d’évaluer le risque
attribuable aux essais nucléaires. Si, pour ce calcul, l’autorité
peut utiliser les résultats des mesures de surveillance de la
contamination tant interne qu’externe des personnes exposées, il lui appartient de vérifier, avant d’utiliser ces résultats,
que les mesures de surveillance de la contamination interne
et externe ont, chacune, été suffisantes au regard des conditions concrètes d’exposition, et sont ainsi de nature à établir si
le risque attribuable aux essais nucléaires était négligeable.
En l’absence de mesures de surveillance de la contamination
interne ou externe et en l’absence de données relatives au cas
des personnes se trouvant dans une situation comparable à
celle du demandeur du point de vue du lieu et de la date de
séjour, il appartient à cette autorité de vérifier si, au regard
des conditions concrètes d’exposition de l’intéressé, de telles
mesures auraient été nécessaires. Si tel est le cas, l’administration ne peut être regardée comme rapportant la preuve
de ce que le risque attribuable aux essais nucléaires doit être
regardé comme négligeable et la présomption de causalité ne
peut être renversée.
CE, 7 et 2 sous-sect., 7 déc. 2015, n 378325, Mme A., Publiée
au Recueil Lebon (rejet pourvoi c/ CAA Lyon, 20 févr. 2014), C.
252h5
Nicolas, rapp.; G. Pellissier, rapp. publ.
e
e
l’opération projetée et ses modalités d’application et, d’autre
part, sur le projet de licenciement collectif et, à ce titre, sur
le PSE. L’employeur n’étant pas tenu de soumettre pour avis
au comité d’entreprise les éléments du projet de licenciement
collectif fixés par l’accord collectif majoritaire qu’il soumet à
la validation de l’administration, le moyen tiré de ce que la
décision validant un tel accord serait illégale en raison d’un
vice affectant la consultation du comité d’entreprise sur ces
mêmes éléments est inopérant.
Si l’employeur était, lors des réunions du comité d’entreprise,
assisté d’un collaborateur de plus que le nombre prévu par
l’article L. 2325-1 du code du travail, il n’est ni établi ni même
sérieusement soutenu que cette présence a pu exercer une
influence sur les membres du comité d’entreprise.
L’obligation faite à l’employeur d’adresser aux représentants
du personnel et, le cas échéant, aux organisations syndicales,
la copie des réponses qu’il fait à l’administration, ne trouve
à s’appliquer que dans les cas où l’administration lui a fait
des observations ou des propositions au sens l’article L. 123357-6 du même code.
Des vices affectant, le cas échéant, les conditions de négociation d’un accord collectif conclu sur le fondement de l’article
L. 1233-24-1 du code du travail ne sont susceptibles d’entraîner l’illégalité de l’acte validant cet accord que s’ils sont de
nature à entacher ce dernier de nullité.
CE, 4e et 5e sous-sect., 7 déc. 2015, no 383856, Fédération CGT
des personnels du commerce, de la distribution et des services,
Publiée au Recueil Lebon (Annulation CAA Versailles, 24 juin
252k8
2014), D. Moreau, rapp.; G. Dumortier, rapp. publ.
NOTE cf. CE, ass. cont., 22 juill. 2015, n° 383481, Syndicat CGT de l’Union
locale de Calais, Gaz. Pal. 3 sept. 2015, p. 30, 236k2 ; CE, ass. cont., 22 juill.
2015, n° 385816, Min. du travail, Gaz. Pal. 3 sept. 2015, p. 30, 236k5
252k8
■■TRAVAIL
252k9
o
252h5
■■TRAVAIL
252h8
Autorisation de licenciement de salariés protégés : mention
des délais de recours
Il résulte des articles 18 et 19 de la loi du 12 avril 2000 que les
délais de recours contre une décision administrative prise en
matière d’autorisation de licenciement d’un salarié protégé
ne sont opposables qu’à la condition d’avoir été mentionnés,
soit dans sa notification si la décision est expresse, soit dans
l’accusé de réception de la demande l’ayant fait naître si elle
est implicite. Il en va ainsi, y compris lorsque la décision, prise
à la suite de l’exercice d’un recours hiérarchique qui n’est pas
un préalable obligatoire au recours contentieux, ne se substitue pas à la décision qui a fait l’objet de ce recours.
CE, 4e et 5e sous-sect., 7 déc. 2015, no 387872, M. D., Mentionnée
au Recueil Lebon (Annulation CAA Douai, 11 déc. 2014), J-F. de
252h8
Montgolfier, rapp.; G. Dumortier, rapp. publ.
■■TRAVAIL
252k8
Procédure de validation d’un plan de sauvegarde de l’emploi
: consultation des représentants du personnel
Lorsqu’elle est saisie par l’employeur d’une demande de
validation d’un accord collectif conclu sur le fondement de
l’article L. 1233-24-1 du code du travail et fixant le contenu
d’un PSE, il appartient à l’administration de s’assurer, sous le
contrôle du juge de l’excès de pouvoir, que la procédure d’information et de consultation du comité d’entreprise prescrite
par ces dispositions a été régulière. Elle ne peut ainsi légalement accorder la validation demandée que si le comité a été
mis à même d’émettre régulièrement un avis, d’une part sur
48
G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1
PSE : critères d’ordre des licenciements
Il résulte de l’article L. 1233-5 du code du travail, dans sa
version en vigueur avant l’intervention de la loi n° 2015-990 du
6 août 2015, que sauf accord collectif conclu au niveau de l’entreprise ou à un niveau plus élevé, les critères déterminant
l’ordre des licenciements doivent être mis en œuvre à l’égard
de l’ensemble du personnel de l’entreprise. En l’absence
d’accord collectif d’entreprise ou d’accord conclu à un niveau
plus élevé, un document unilatéral portant PSE élaboré par
l’employeur ne pouvait prévoir la mise en œuvre des critères
déterminant l’ordre des licenciements à un niveau inférieur à
celui de l’entreprise. CE, 4e et 5e sous-sect., 7 déc. 2015, no 386582, Sté Mory-Ducros,
Mentionnée au Recueil Lebon (rejet pourvoi c/ CAA Versailles, 22
oct. 2014), J-F. de Montgolfier, rapp.; G. Dumortier, rapp. publ.
252k9
252k9
■■TRAVAIL
252m0
252h8
PSE : observations de l’administration sur la procédure d’information et de consultation des représentants du personnel
Lorsque les observations de l’administration concernent la
procédure d’information et de consultation des institutions
représentatives du personnel, les suites qui leur sont données
par l’employeur comme le respect par celui-ci de l’obligation
d’adresser copie de sa réponse aux représentants du personnel et, le cas échéant, aux organisations syndicales, doivent
être pris en compte par l’administration dans l’appréciation
globale de la régularité de cette procédure d’information et de
consultation. Si la méconnaissance par l’employeur de cette
obligation n’est pas de nature à entraîner nécessairement
l’irrégularité de la procédure d’information et de consultation, elle doit être prise en compte dans l’appréciation globale
portée par l’administration sur sa régularité.
CE, 4e et 5e sous-sect., 7 déc. 2015, no 381307, Me C., Mentionnée
au Recueil Lebon (rejet pourvoi c/ CAA Marseille, 15 avr. 2014), P.
252m0
Pannier, rapp.; G. Dumortier, rapp. publ.
251s5
252m0
AU LIEU DE
€ HT
355
NOUVELLLE FORMULE
Une revue
Gazette Spécialisée
DROIT DE LA FAMILLE
Sous la responsabilité scientifique de
Élodie MULON
Béatrice WEISS-GOUT
Avocat au barreau de Paris,
associé, Mulon Associés,
membre du Conseil
national des barreaux,
ancien membre du conseil
de l’ordre
Avocat au barreau de Paris,
associé, BWG Associés,
ancien membre du Conseil
national des barreaux
Doctrine
■■ Le
nouvel article 267 du Code civil : une extension bienvenue
des pouvoirs du juge du divorce en matière liquidative
étude par Élodie Mulon51
Jurisprudence
■■ Chronique
de jurisprudence de droit de la famille
sous la direction d’Élodie Mulon et Béatrice Weiss-Gout
avec la collaboration de Camille Anger, Arnaud Bautrait-Lotellier, Lou Ben Simon,
Béatrice Bloquel, Anne-Laure Casado, Olivia Cros, Valentine Darmois, Alice Depret,
Laurie Dimitrov, Bertille Ducene, Marion Galvez, Sarajoan Hamou, Delphine Hornecker,
Sophie Malbaut-Manas, Héloïse Malherbe, Niamh Ní Ghairbhia, Paula Peltzman,
Julie Pierrot-Blondeau, Isabelle Rein-Lescastereyres, Charlotte Robbe, Anne Sannier,
Clara Schlemmer-Bégué et Stéphanie Travade-Lannoy56
G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1
49
G a ze tte Spé ci a li s é e
É d itori a l
Accompagner et anticiper : le crédo
de l’année 2016 !
253w2
253w2
Béatrice WEISS-GOUT
Avocat au barreau de
Paris, associé, BWG
Associés, ancien membre
du Conseil national des
barreaux
et
Élodie MULON
Avocat au barreau de
Paris, associé, Mulon
Associés, membre du
Conseil national des
barreaux, ancien membre
du conseil de l’Ordre
“ L’année 2016 sera
celle de l’accompagnement
et de l’anticipation
des crises, mais également
d’une nouvelle
manière d’exercer
et de servir les intérêts
des justiciables
”
L
’année 2016 commence à peine, et s’annonce pleine d’espoir pour les
praticiens de la famille.
L’avenir est à l’anticipation des crises familiales, qui sera justement
le thème central des prochains États généraux du droit de la famille et du
patrimoine qui se dérouleront les 28 et 29 janvier prochains. Cela n’est
pas un hasard puisque le message doit passer auprès de tous ceux qui pratiquent la matière, et l’événement s’y prête à merveille avec ses quelques
2 000 participants. Anticiper, c’est prévoir et c’est conseiller.
S’interroger sur les familles en mouvement et apporter les réponses les plus
adaptées, tant sur le plan patrimonial qu’extra-patrimonial, est un défi que
la profession d’avocat doit relever, avec l’aide des magistrats et des notaires.
La modification de l’article 267 du Code civil participe de cette volonté
d’anticipation. Le nouveau texte va permettre aux justiciables de régler plus
en amont les conséquences patrimoniales de leur séparation. Certes, cela ne
sera pas toujours possible, mais le mouvement est lancé. Reste à la machine
judiciaire à se voir offrir les moyens d’aller jusqu’au bout de celui-ci.
Ce n’est pas la seule réforme qui entre en vigueur au 1er janvier, mais audelà de celles-ci, un constat s’impose : les praticiens du droit de la famille
sont fatigués des crises et la majeure partie d’entre eux ont la volonté d’être
désormais des accompagnateurs, conscients que leur véritable plus-value
n’est pas dans la gestion du conflit mais dans la recherche de solutions
adaptées à leurs clients, à chaque fois que cela est possible.
Dès lors, on ne peut que saluer la création en cours, par le Conseil national des Barreaux, d’un Centre national de la médiation qui permettra
de centraliser les demandes et les besoins des justiciables en la matière
et d’y apporter des réponses. De même, l’engouement que connaît enfin
la procédure participative, non exclusive des autres modes de règlement
amiable des différends, constitue un message clair de la profession en direction tant des pouvoirs publics que des citoyens : l’avocat du 21ème Siècle
prend toute sa place dans la cité. Il n’est plus celui que l’on vient voir en
fin de course pour gérer un conflit déjà trop exacerbé, à un moment où le
rapport de forces devient la seule réponse possible. Non. Il est désormais
celui que l’on vient voir avant même la crise, auquel on demande conseil
pour l’éviter ou pour la gérer en en sortant par le haut.
L’année 2016 sera donc celle de l’accompagnement et de l’anticipation
des crises, mais également d’une nouvelle manière d’exercer et de servir les
intérêts des justiciables.
Bonne année à tous ! •
50
G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1
253w2
G a z e tte Sp é cia lisée
Doctrine
253q3
FAMILLE
Le nouvel article 267 du Code civil : une extension
bienvenue des pouvoirs du juge du divorce en matière
liquidative
253q3
L’essentiel
Illustrant la volonté affirmée du législateur de voir la liquidation-partage réglée au stade de la procédure
de divorce, la récente ordonnance du 15 octobre dernier portant simplification et modernisation du droit de
la famille est venue modifier l’article 267 du Code civil dans le sens d’une augmentation des pouvoirs du
juge du divorce en matière liquidative, ce dernier pouvant désormais statuer sur la liquidation et le partage.
Néanmoins ce nouvel article 267 laisse en suspens certaines questions, et non des moindres…
L
Étude par
Élodie MULON
Avocat au barreau de
Paris, associé, Mulon
Associés, membre du
Conseil national des
barreaux, ancien membre
du conseil de l’Ordre
’ordonnance n° 2015-1288
du 15 octobre 2015 portant
simplification et modernisation du droit de la famille vient
étendre de manière significative les pouvoirs du juge
du divorce en matière de
liquidation. En effet, le titre 1er
modifie, en son article 1er, les
dispositions de l’article 267
du Code civil et abroge l’article 267-1 du même code.
I. L’ACTUEL
ARTICLE 267
DU CODE CIVIL
Les pouvoirs du juge. Actuellement, le juge aux
affaires familiales, aux termes de l’article 267 du Code civil, n’a pas le pouvoir de
liquider le régime matrimonial des époux. Il est contraint
d’ordonner la liquidation et le partage de leurs intérêts
patrimoniaux, sauf à homologuer l’accord des époux qui
aurait été trouvé en application de l’article 265-2 du même
code (homologation alors demandée sur le fondement de
l’article 268 qui prévoit cette possibilité pour tout accord
portant sur les effets du divorce). Le JAF peut seulement statuer sur les demandes, limitées par le texte, que
formeraient les époux (maintien dans l’indivision, attribution préférentielle, avance sur la liquidation du régime
matrimonial).
La possibilité dont le juge dispose, sur le fondement de ce
même texte, de statuer, à la demande des époux, sur les
désaccords persistants – possibilité qui suppose, comme
double condition préalable, qu’un notaire ait été désigné
sur le fondement de l’article 255-10 et que le rapport
établi par ce dernier contienne des informations suffisantes –, ne le dispense pas d’ordonner la liquidation et le
partage des intérêts patrimoniaux. Ainsi, s’il fixe dans ce
cadre le principe d’une récompense ou créance, celle-ci
ne sera liquidée qu’au cours des opérations de liquidation
et partage.
L’article 267-1, pour sa part, renvoie actuellement les
époux aux dispositions du Code de procédure civile, soit
aux articles 1358 et suivants dudit code pour les opérations
de liquidation et de partage des intérêts patrimoniaux.
Les limites du droit actuel. Les praticiens du divorce mesurent bien la difficulté des limites actuelles du pouvoir
du juge du divorce en matière liquidative. Ainsi, il est difficile pour le juge de fixer en toute connaissance de cause
le montant de la prestation compensatoire, dès lors que
les droits définitifs des époux ne sont souvent connus qu’à
l’issue des opérations de liquidation et de partage et que le
montant exact de leurs patrimoines respectifs ne l’est pas
non plus, ce qui rend assez aléatoire (sauf en cas de liquidations simples ou d’absence de patrimoine à partager)
l’appréciation de la disparité qui va naître de la dissolution
du mariage.
De plus, les opérations de liquidation et de partage, une
fois le divorce prononcé, peuvent prendre des années,
laissant les ex-époux en indivision ou dans l’attente d’un
patrimoine souvent gelé pendant cette période, sans
compter la complexité des comptes qui doivent être
faits entre les ex-époux, laquelle va croissante au fil des
années.
Certes, il est possible d’objecter que lier la procédure
de divorce à la liquidation du régime matrimonial risque
d’augmenter encore la durée des procédures de divorce.
C’est oublier que, dans la majeure partie des cas, la procédure de divorce est allongée en raison des opérations
d’expertise, ordonnées sur le fondement des articles 255-9
et 225-10 du Code civil, qui prennent plusieurs mois (voire
des années), sans pour autant, en l’état, permettre au juge
du divorce de liquider, au moment du prononcé du divorce,
le régime matrimonial des époux. De plus, les opérations
de liquidation et partage prennent souvent des années,
non pas parce que le Code de procédure civile impose de
tels délais, mais parce que les acteurs de la procédure
prennent ce temps, à commencer par les époux qui, une
fois divorcés, ne ressentent pas la même urgence à liquider leur régime. Cela peut être vrai parfois pour l’un des
deux seulement, qui voit dans la durée de la procédure le
moyen de nuire à l’autre. Enfermer les opérations de liquidation dans des délais plus courts, les lier au prononcé du
divorce peut être un moyen efficace de contraindre chacun
à accélérer le traitement de la séparation sous tous ses
aspects.
G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1
51
G a ze tte Spé ci a li s é e
Doc tri ne
II. LE NOUVEL ARTICLE 267
DU CODE CIVIL
Sa teneur. Le nouvel article 267 prévoit désormais, en son
alinéa 1er, que le juge aux affaires familiales « statue » sur
les demandes des époux de maintien dans l’indivision,
d’attribution préférentielle et d’avance sur part de communauté ou de biens indivis, sauf si les époux ont réglé
conventionnellement leur liquidation.
Le juge « statue » également, aux termes de son alinéa 2,
« sur les demandes de liquidation et de partage des intérêts
patrimoniaux, dans les conditions fixées aux articles 1361
à 1378 du code de procédure civile, s’il est justifié par tous
moyens des désaccords subsistant entre les parties, notamment en produisant :
- une déclaration commune d’acceptation d’un partage judiciaire, indiquant les points de désaccord entre les époux ;
- le projet établi par le notaire désigné sur le fondement
du 10° de l’article 255 ».
L’alinéa 3 prévoit in fine que le juge « peut, même d’office,
statuer sur la détermination du régime matrimonial applicable aux époux ».
Ce nouvel article est entré en vigueur le 1er janvier 2016
et s’applique à toutes les procédures de divorce pour lesquelles l’assignation n’a pas encore été délivrée.
“ Les pouvoirs du juge du divorce
en matière liquidative sont augmentés
puisqu’il peut désormais statuer
sur la liquidation et le partage
”
Une extension bienvenue. Les pouvoirs du juge du divorce
en matière liquidative sont ainsi augmentés puisqu’il peut
désormais statuer sur la liquidation et le partage. Le
texte ne prévoit plus que le juge renvoie les parties à la
liquidation et au partage de leurs intérêts patrimoniaux
à défaut d’accord. Il prévoit, seulement dans cette hypothèse, les conditions dans lesquelles il peut statuer sur
cette liquidation et ce partage au stade du divorce. Cette
omission est sans importance puisque les articles 1136-1
et 1136-2 du Code de procédure civile renvoient les époux
aux règles du partage telles qu’elles sont organisées par
les articles 1358 à 1378 du même code. Les parties, une
fois divorcées, n’ont donc pas besoin de l’autorisation du
juge du divorce pour engager les opérations de liquidation
et de partage, à défaut de règlement au stade du divorce.
On peut cependant s’interroger à cet égard sur le sort que
la jurisprudence va réserver à ce silence de la loi puisque
la Haute juridiction semblait déjà trouver insuffisant que
le juge du divorce puisse seulement renvoyer les parties à
la liquidation et au partage, et lui faisait plutôt obligation
– même si les juges du fond n’ont pas tous eu la même
lecture de cette jurisprudence… –, sur le fondement combiné des articles 267 alinéa 1 du Code civil et 1361 alinéa 2
du Code de procédure civile, de désigner un notaire, désignation qui n’était pourtant prévue par aucun texte au
stade du divorce (Cass. 1re civ., 4 mars 2015, n° 13-19847 ;
Cass. 1re civ., 12 avr. 2012, n° 11-20195 ; Cass. 1re civ.,
7 nov. 2012, n° 12-17394 ; Cass. 1re civ., 12 juin 2013,
n° 12-18211 ; Cass. 1re civ., 11 sept. 2013, n° 12-18512 ;
52
G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1
Cass. 1re civ., 14 mai 2014, n° 12-29205) et que ne prévoyait pas non plus la circulaire ministérielle n° CIV/10/10
du 16 juin 2010.
Il eut donc peut-être été préférable, afin d’éviter une nouvelle distorsion entre les textes et la jurisprudence, de
prévoir qu’à défaut d’avoir statué sur la liquidation et le
partage, le juge l’ordonne en renvoyant aux règles de procédure civile en la matière, avec la possibilité de désigner,
le cas échéant, un notaire. S’il est vrai que cette désignation peut avoir pour effet de faire échapper les parties à la
phase de partage amiable, elle a le mérite considérable
d’accélérer la procédure de liquidation qui intervient souvent après une procédure de divorce déjà longue. Nous
pouvons interpréter cette omission du législateur comme
la volonté affirmée de voir la liquidation-partage réglée au
stade de la procédure de divorce, laissant à leur triste sort
les époux qui préfèrent s’engager dans un long combat
pour régler leurs intérêts patrimoniaux.
Des questions en suspens… Cependant, le nouvel article 267 laisse en suspens quelques questions, et non des
moindres. La liste n’en est pas exhaustive et s’allongera
certainement au fil de la pratique…
D’abord, le texte semble faire obligation au juge de statuer
sur les demandes de liquidation et de partage des intérêts patrimoniaux des époux dès lors qu’il est justifié par
tous moyens des désaccords subsistant entre les parties.
En effet, contrairement à l’alinéa 3 qui offre au juge la
faculté de statuer (« il peut, même d’office, statuer (…) »)
sur le régime matrimonial des époux, les alinéas 1 et 2 ne
donnent pas au juge une telle marge de manœuvre (« le
juge statue » ; « il statue »). Pour autant, les juges du fond
vont-ils faire la même exégèse et s’estimer tenus par la
demande des parties dès lors que l’existence de désaccords sera établie ?
Ensuite, les parties peuvent justifier de ces désaccords en
produisant « notamment » soit une déclaration commune
d’acceptation du partage qui porte la liste de ceux-ci, soit
le projet établi par le notaire désigné sur le fondement
de l’article 255, 10° du Code civil. Si la production du rapport notarié ne pose pas de difficulté en pratique, qu’en
sera-t-il en revanche de celle de la déclaration d’acceptation commune ? Une seule des parties peut-elle la
produire à l’appui de son assignation ou de ses conclusions ultérieures ou la déclaration doit-elle être annexée
à une requête introductive conjointe ou à des conclusions
concordantes ? Il va de soi que contraindre les parties à
procéder par voie d’écritures conjointes serait de nature
à les décourager d’avoir recours à cette déclaration, dans
laquelle le seul point d’accord réside a priori dans l’acceptation du partage judiciaire à ce stade (ce qui n’est déjà pas
si mal…). Le terme « notamment » susvisé signifie que la
liste des désaccords n’est pas exhaustive. Les parties, ou
l’une d’elles, peuvent donc demander au juge du divorce
de statuer sur la liquidation et le partage, dès lors que
sera apportée la preuve des désaccords qui subsistent
entre elles.
Cette preuve peut être apportée par « tous moyens ».
Quelles possibilités sont ainsi offertes aux parties ?
Suffira-t-il pour une partie de revendiquer des créances ou
des récompenses et d’attendre la réaction de l’autre pour
que le juge du divorce soit saisi de cette difficulté ? Suffirat-il de sommer l’autre époux d’avoir à répondre sur telle
G a z e tte Sp é cia lisée
Doctrine
ou telle difficulté ou de produire des attestations faisant
état des désaccords ? La proposition de règlement des
intérêts pécuniaires des époux, prévue aux articles 257-2
du Code civil et 1115 du Code de procédure civile, peut-elle
servir à rapporter la preuve du désaccord alors qu’il n’est
pas fait obligation au défendeur de procéder de même ?
Elle ne constitue pas en outre une prétention au sens de
l’article 4 du Code de procédure civile. Quid, à cet égard,
des points de désaccords entre les époux, qu’ils soient
listés dans la déclaration d’acceptation, dans le projet du
notaire ou ailleurs ? Dès lors que le juge va avoir à statuer
sur la liquidation et le partage des intérêts patrimoniaux
entre les époux au vu des désaccords qui subsistent entre
eux, il va devoir être saisi de demandes. De la même
manière qu’il l’est d’ailleurs aujourd’hui lorsqu’il lui est
demandé de statuer sur les désaccords persistants sur le
fondement de l’actuel article 267. Comment va-t-on passer de la liste des désaccords, sorte de sésame, à celle
des demandes ?
Dans certains cas, les parties semblent pouvoir se
contenter, dans un premier temps, d’un simple exposé
des difficultés liées à la liquidation et au partage de leurs
intérêts patrimoniaux, exposé fait dans le cadre de la
proposition de règlement des intérêts pécuniaires ou de
la déclaration d’acceptation, pour ensuite former les demandes de liquidation et de partage au vu des désaccords
qui existeront entre eux, la preuve en étant rapportée par
leurs exposés réciproques. En revanche, lorsqu’un notaire
aura été désigné sur le fondement de l’article 255, 10° du
Code civil, la liste des désaccords sera établie à l’issue
des opérations d’expertise au cours desquelles les parties
se seront expliquées sur leurs différentes revendications
liquidatives, comme cela se passe aujourd’hui (tout au
moins en principe…). Ne serait-il pas plus simple de parvenir à un régime uniforme ?
Le rapport notarié établi sur le fondement de l’article 255, 10° va s’avérer particulièrement utile dans bien
des cas et de nature à faciliter le travail du juge, même
si ce dernier est le seul à pouvoir trancher les difficultés,
comme le rappelle souvent la jurisprudence. La désignation d’un notaire sera donc sans doute plus fréquemment
demandée. En effet, supporter, comme actuellement, les
délais d’une expertise ou régler des droits de partage
pour un projet d’état liquidatif dont il n’est pas toujours
fait usage est tout à fait différent que de supporter ces
mêmes délais (qui peuvent être raccourcis en pratique…)
ou de régler des droits pour un projet qui va permettre à
l’une des parties, sans la condition des « informations suffisantes », de solliciter qu’il soit statué sur la liquidation
et le partage.
Cependant – et c’est là une des autres questions que
pose le texte –, le juge ne pouvait, en l’état et sur le fondement des articles 255-10 et 267 combinés, statuer que
sur les désaccords persistant entre les parties, dans les
conditions déjà rappelées. Il ne statuait pas sur la liquidation et le partage des intérêts patrimoniaux des époux.
Or, le nouvel article 267 lui demande de statuer sur les
demandes formées à cet égard dès lors que les parties
justifient de désaccords subsistant entre elles. La mission du juge ne semble donc pas se limiter à trancher ces
désaccords mais lui permet de juger les difficultés qui lui
sont soumises par les époux concernant la liquidation de
leur régime matrimonial. Mais est-ce si certain ?
“ Le juge pourra-t-il être saisi
d’autres demandes que celles naissant
des « désaccords subsistants »
dont il aura été justifié ab initio
par les époux ?
”
Ne peut-on considérer que les demandes visées à l’alinéa 2 de l’article 267 sont seulement celles issues des
désaccords dont les parties auront justifié ab initio, ou
s’agit-il, plus généralement, de toutes demandes des
parties portant sur la liquidation et le partage de leurs
intérêts patrimoniaux ? La question peut sembler absurde
puisque l’on peut estimer que, par définition, les époux
demandent au juge de trancher leurs désaccords dans la
liquidation de leur régime matrimonial, et que l’on voit mal
la distinction qui devrait être faite entre « demandes » et
« désaccords subsistants ». Pour autant, cela n’est pas
toujours si simple en pratique et nous le constatons avec
les désaccords persistants de l’actuel article 267. Ainsi,
les époux ont pu faire valoir devant le notaire un certain
nombre de difficultés qui deviendront, à défaut d’accord
entre eux, les désaccords persistants dont sera saisi le
juge. Or, il peut arriver que d’autres difficultés liquidatives
surgissent ensuite, soit qu’elles aient été oubliées devant
le notaire, soit qu’elles surviennent postérieurement à
propos des comptes d’administration. À l’heure actuelle,
le juge du divorce ne peut en être saisi. Qu’en sera-t-il
sous l’empire du nouveau texte ? Le juge pourra-t-il être
saisi d’autres demandes que celles naissant des « désaccords subsistants » dont il aura été justifié ab initio par
les époux, notamment par la production de la déclaration
commune ou du rapport du notaire ? Nous pensons qu’il
pourra l’être car le texte ne limite la présentation des
désaccords ni à un moment précis de la procédure ni à
un formalisme défini, ce qui doit permettre aux parties de
former leurs demandes – sous réserve des règles de procédure évidemment – à tout moment de la procédure dès
lors qu’elles justifient d’un nouveau désaccord.
La possibilité de statuer sur la détermination du régime
matrimonial. La possibilité donnée au juge de statuer,
même d’office, sur la détermination du régime matrimonial applicable aux époux constitue une formalisation
bienvenue de la jurisprudence (Cass. 1re civ., 21 oct. 2015,
n° 14-23302 ; Cass. 1re civ., 20 mars 2013, n° 11-27845).
La difficulté qui peut être liée à la détermination du
régime matrimonial applicable – difficulté qui existe
essentiellement dans les mariages bi-nationaux – est le
pendant naturel du pouvoir donné au juge de statuer, sous
certaines conditions, sur la liquidation du régime matrimonial au jour du prononcé du divorce, ce qui serait bien
évidemment impossible en cas de doute sur la nature de
ce régime.
La détermination du régime matrimonial constitue également un élément essentiel pour fixer la prestation
compensatoire car, même dans les hypothèses où la liquidation n’intervient pas au stade du divorce, la disparité
entre les époux est évidemment différente selon le régime
choisi.
G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1
53
G a ze tte Spé ci a li s é e
Doc tri ne
Cette faculté du juge est en outre un préalable indispensable pour trancher les demandes d’attribution
préférentielle, de maintien dans l’indivision ou d’avance
sur la liquidation du régime matrimonial.
Pour conclure, le nouvel article 267 du Code civil est un
texte bienvenu qui devrait permettre, dans bien des cas,
de régler enfin dans une seule et même décision le divorce et la liquidation-partage des intérêts patrimoniaux
des époux. Pour autant, cette faculté offerte aux parties et
au juge du divorce doit s’accompagner d’un changement
de culture et d’organisation de la part des praticiens du
divorce qui doivent s’emparer de ce nouveau texte.
Les juges aux affaires familiales vont désormais devoir
être magistrats liquidateurs à part entière. Or, en pratique,
on constate que, très souvent, cet office est réservé à seulement certains d’entre eux, ce qui, du reste, est tout à fait
compréhensible lorsque l’on voit la charge de travail qui
est la leur du fait des réformes intervenues ces dernières
années sans que les moyens mis à leur disposition n’aient
suivi. Dès lors, les demandes qui seront formées sur le
fondement du nouvel article 267 risquent de recevoir un
accueil différent selon le juge aux affaires familiales saisi,
cette jurisprudence à géométrie variable étant permise
par les questions qui restent en suspens.
Nous attendons dès lors avec impatience le décret d’application de ce texte (peut-être déjà paru au moment où
nous publions le présent article…), dont nous espérons
qu’il éclaircira certains points, tout comme la circulaire
qui suivra et qui sera sans doute un guide utile pour tous
les praticiens du divorce. Restera ensuite à voir ce que la
jurisprudence fera de ce texte qui offre enfin aux justiciables une vraie opportunité, tant en termes de durée de
la procédure que de coût de celle-ci.
253q3
54
G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1
G a ze tte Spé ci a li s é e
Jurisp rud e n ce
251u2
Chronique de jurisprudence de droit de la famille
Sous la direction de
Élodie MULON
Avocat au barreau de
Paris, associé, Mulon
Associés, membre du
Conseil national des
barreaux, ancien membre
du conseil de l’Ordre
et
Béatrice WEISS-GOUT
Avocat au barreau de
Paris, associé, BWG
Associés, ancien membre
du Conseil national des
barreaux
L’essentiel
En matière de régimes matrimoniaux, la 1re chambre civile de la Cour de Cassation
rappelle les conditions d’évaluation des récompenses. Elle indique également
les conditions de la renonciation à se prévaloir d’une clause d’emploi. En matière
de divorce, la même chambre précise que le juge du divorce peut se prononcer
sur le régime matrimonial et rappelle les conditions de révocation des donations
entre époux. Elle précise également que l’abandon par un époux de ses droits
dans la communauté en exécution de la prestation compensatoire (PC) ne
constitue pas un partage inégal. Elle opère en outre des rappels s’agissant des
conditions de révision de la PC versée sous forme de rente viagère, et du fait
que la PC n’a pas pour objet de corriger le choix d’un régime matrimonial. Elle
clarifie par ailleurs les conséquences de la transcription du jugement de divorce
sur le domicile conjugal loué. Une précision intéressante est aussi apportée sur
la date d’introduction de l’instance en divorce. Sur le plan international, la CJUE
précise les conditions de litispendance dans le cadre d’une procédure de divorce.
En matière de minorité, la 1re chambre civile rappelle les conditions de fixation et
de modification de la résidence des enfants, le caractère fondamental de l’intérêt
supérieur de l’enfant ainsi que les règles du rattachement fiscal des enfants.
La CJUE apporte des précisions sur l’application du Règlement Bruxelles II bis
aux obligations alimentaires et sur la notion de responsabilité parentale au sens
dudit règlement. En matière de filiation, la Cour de cassation se prononce sur la loi
allemande qui prévoit l’imprescriptibilité de l’action en recherche de paternité.
Par ailleurs, la cour d’appel de Rennes montre à deux occasions sa résistance
aux arrêts rendus par la CJUE en matière de GPA. En matière d’incapacités, la
1re chambre civile rappelle les conditions d’exercice de l’action en nullité pour
insanité d’esprit et les obligations du tuteur. En matière de successions, la même
chambre clarifie la combinaison entre l’usufruit du conjoint survivant et celui
sur les droits d’exploitation. Les conditions du recel successoral sont également
rappelées, ainsi que le mécanisme du droit de retour conventionnel. Enfin la CJUE
précise que la procédure de contrôle du partage successoral conclu pour le compte
d’enfants mineurs relève du champ d’application du Règlement Bruxelles II bis.
PLAN
I. R
ÉGIMES MATRIMONIAUX........................ p. 57
A. R
égime primaire impératif................ (néant)
B. Changement de régime
matrimonial....................................... (néant)
C. Communautés....................................... p. 57
D. Séparation de biens............................... p. 59
E. Avantages matrimoniaux................... (néant)
F. Partage.................................................. p. 60
G. Procédure.......................................... (néant)
II. DIVORCE................................................... p. 61
A. N
ullité du mariage............................. (néant)
B. Prononcé du divorce.......................... (néant)
C. Mesures provisoires.......................... (néant)
D. Date et effets du divorce....................... p. 61
E. Prestation compensatoire..................... p. 62
F. Divorce et liquidation............................. p. 63
G. Divorce et questions procédurales....... p. 67
H. Divorce et droit international privé....... p. 68
56
251u2
G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1
III. CONCUBINAGE................................... (néant)
IV. MINORITÉ................................................ p. 70
A. Autorité parentale................................. p. 70
B. Résidence de l’enfant............................ p. 73
C. A
udition de l’enfant........................... (néant)
D. Assistance éducative......................... (néant)
E. M
inorité et procédure........................ (néant)
F. M
inorité et droit international privé...... p. 74
V. FILIATION................................................. p. 76
VI. OBLIGATIONS ALIMENTAIRES........... (néant)
VII. INCAPACITÉS......................................... p. 80
VIII. SUCCESSIONS ET LIBÉRALITÉS.......... p. 84
IX. D
ROIT PÉNAL DE LA FAMILLE........... (néant)
X. É
TAT DES PERSONNES........................... p. 89
A. Nom et prénom...................................... p. 89
B. Sexe....................................................... p. 91
G a z e tte Sp é cia lisée
J u r i s p r u de n c e
I. RÉGIMES MATRIMONIAUX
(...)
C. Communautés
Rappels sur l’évaluation et le calcul des récompenses 253r0
1
L’essentiel Pour renvoyer les parties devant notaire pour
établissement d’un acte de liquidation-partage conforme
à l’acte du 24 août 2007, l’arrêt énonce que ledit acte indique que la récompense est fondée sur l’encaissement
par la communauté de fonds propres de M. X et calculée
en fonction du montant de la somme encaissée, que ce
n’est que dans le développement suivant, qui permet de
connaître l’utilisation de ces fonds par la communauté,
que sont mentionnées diverses opérations financières et
immobilières dont l’acquisition est antérieure à la vente
des vignes, et qu’il est dès lors sans intérêt de savoir si
l’argent en question a servi à renflouer les comptes bancaires communs épuisés par l’acquisition immobilière
ou à restaurer la maison ainsi acquise ou à la peindre,
ni même sans intérêt de savoir à quoi il a servi, les deux
époux s’étant mis d’accord par compromis sur le fait que
la somme litigieuse avait bien été encaissée par la communauté ; qu’en statuant ainsi par des motifs inopérants,
alors que la destination des fonds propres de M. X avait
une incidence sur l’évaluation de la récompense due par
la communauté à la suite de leur encaissement, la cour
d’appel a violé l’article 1469 du Code civil.
Cass. 1re civ., 10 juin 2015, no 14-15608, Mme Y c/ M. X, D
(cassation CA Bordeaux, 11 févr. 2014), Mme Batut, prés. ;
SCP Lyon-Caen et Thiriez, av.
C
et arrêt permet de rappeler que la méthode de
Olivia CROS
calcul d’une récompense
Avocat au barreau de
dépend de la destination
Paris, Mulon Associés
des fonds propres suite à
leur encaissement par la
communauté. L’arrêt semble également admettre la possibilité, pour les parties, de revenir sur un accord trouvé
dans le cadre de la liquidation, ce qui contreviendrait à la
tendance actuelle consistant à favoriser les accords. Or, il
n’en est rien.
Note par
En l’espèce, le juge de la conciliation avait mandaté un
notaire pour « établir un projet de liquidation de la communauté » sur le fondement de l’article 255, 10° du Code
civil. Les parties, à partir de ce projet d’acte, avaient signé
un compromis chez le notaire dans lequel figurait une
récompense chiffrée due à l’époux qui avait investi dans la
communauté des fonds propres issus de la vente d’un bien
immobilier. Les époux s’étaient mis d’accord pour que la
récompense due au mari soit calculée selon « le montant
de la somme encaissée », alors pourtant qu’il était évoqué
dans l’acte des dépenses de travaux et d’acquisition.
Le juge du divorce avait ordonné la liquidation des intérêts pécuniaires des époux et désigné un notaire pour
établir l’acte de partage définitif. Or, celui-ci n’est jamais
intervenu. Bien que le projet d’acte de partage n’ait jamais été homologué ni par un juge, ni par un notaire, les
époux avaient tout de même exécuté les modalités dont ils
étaient convenus. Le juge du divorce avait par ailleurs fixé
le montant de la prestation compensatoire due à l’épouse
en tenant compte du fait que « chacun des époux bénéficie d’ores et déjà, au titre de la vente de l’immeuble de
communauté, de la remise de fonds substantiels soit (…)
325 714,55 € pour Monsieur M. bénéficiaire d’un droit à
récompense » (1).
Dans le cadre de la liquidation, l’épouse a contesté l’existence de cette récompense, car les sommes litigieuses
avaient en réalité été encaissées par la communauté une
année après l’acquisition du bien commun.
La cour d’appel avait privilégié l’accord des parties,
qui avaient tous deux signé l’acte sous seing privé avec
la mention « bon pour accord et bon pour partage » et
avait relevé qu’il était dès lors « sans intérêt de savoir
si l’argent en question, provenant de la vente d’un bien
propre du mari et encaissé par la communauté, a servi
à renflouer les comptes bancaires communs épuisés par
l’achat de 2004 ou à restaurer la maison ainsi acquise, ou à
la peindre, ni même sans intérêt de savoir à quoi il a servi,
les deux époux s’étant mis d’accord par compromis sur le
fait que la somme en question avait bien été encaissée par
la communauté ».
Or, la Cour de cassation, sans remettre en cause le principe de la récompense, rejette néanmoins cette analyse
aux motifs que « la destination des fonds propres de
Monsieur M. avait une incidence sur l’évaluation de la
récompense due par la communauté à la suite de leur
encaissement », revenant sur les modalités de calcul de
celle-ci. Ces modalités prévues à l’article 1469 du Code
civil vont de la prise en compte de la « dépense faite » à
celle du « profit subsistant ». Le profit subsistant, défini
par la Cour de cassation comme « l’avantage réellement
procuré au patrimoine emprunteur » (2) doit, selon ce
texte, être préféré à la dépense faite toutes les fois que
« la valeur empruntée a servi à acquérir, à conserver ou à
améliorer un bien qui se retrouve, au jour de la liquidation
de la communauté, dans le patrimoine emprunteur ». En
l’espèce, les juges du fond devront donc rechercher quelle
a été la destination des fonds pour procéder au calcul de
la récompense due.
À première lecture, cet arrêt interroge sur la possibilité
qu’ont les parties et le juge de revenir sur un accord qui
avait initialement dérogé aux règles de droit en vigueur.
En principe, les règles relatives au fondement et au calcul
des récompenses ne sont pas considérées comme d’ordre
public et « les dispositions de l’article 1469 qui fixent le
mode de calcul des récompenses s’imposent, lorsqu’elles
n’ont pas été écartées par le contrat de mariage ou par
(1) CA Bordeaux 24 mars 2009, n° 08/03054.
(2) Cass. 1re civ., 6 nov. 1984, n° 83-15231.
G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1
57
G a ze tte Spé ci a li s é e
Jurisp rud e n ce
une convention passée pendant l’instance en divorce ou
postérieurement à la dissolution de la communauté » (3).
Les époux ont donc la possibilité de renoncer à faire valoir une récompense (4) ou bien de déroger à son mode de
calcul (5), soit dans une clause du contrat de mariage, soit
dans une convention de liquidation anticipée, sur le fondement des articles 265-2 et 1451 du Code civil, ou encore
après le prononcé du divorce.
Ainsi, l’acte en question n’étant qu’un projet, il n’entre
pas dans le champ d’application de l’article 265-2 du
Code civil, notamment parce qu’il portait sur des biens
immobiliers au jour où il a été signé et qu’il aurait dû faire
l’objet d’un acte notarié. Cela explique pourquoi la Cour
de cassation ne tient pas compte de l’accord des parties
concernant le calcul de la récompense et renvoie aux
règles de calcul légales, ce qui ne surprend guère.
La cour d’appel, qui intervenait en tant que juge liquidateur, déduisant de l’acte qu’il s’agissait d’un « projet d’acte
de liquidation-partage soumis à la condition suspensive
du divorce », avait donc décidé que cet acte constituait
un « compromis de partage » et avait renvoyé les parties
devant leur « notaire liquidateur pour établissement d’un
acte de liquidation-partage conforme à ce compromis ».
Au-delà du rappel sur le calcul des récompenses, cet
arrêt met en lumière la nécessité de faire homologuer
les éventuels accords entre les époux, dans le respect
des modalités des articles 265-2 ou 268 du Code civil, dès
qu’ils ont été trouvés car, à défaut, les parties risquent,
postérieurement au divorce, de revenir sur ceux-ci.
(3) Cass. 1re civ., 28 juin 1983, n° 82-12926 : Defrénois 1984, p. 345, note
G. Morin ; D. 1984, p. 254 ; JCP 1985, II, 20330, note J.-F. Pillebout.
(4) Cass. civ., 24 janv. 1894 : DP 1894, I, p. 337, note Planiol – Cass. 1re civ., 8 déc.
1982, n° 81-14093.
(5) Cass. 1re civ., 8 déc. 1982, n° 81/10093, préc. – Cass. 1re civ., 28 juin 1983,
n° 82-12926, préc.
La renonciation non équivoque à se prévaloir d’une clause d’emploi 253p7
1
L’essentiel La renonciation à un droit peut être tacite dès
lors que les circonstances établissent, de façon non équivoque, la volonté de renoncer. La cour d’appel a rappelé
que, pour apprécier la prestation compensatoire, l’époux
avait soutenu que le bien litigieux constituait un bien commun, ce dont le juge du divorce avait tenu compte. Ces
énonciations caractérisent une renonciation non équivoque de l’époux à se prévaloir du caractère propre de ce
bien lors de la liquidation du régime matrimonial.
Cass. 1re civ., 23 sept. 2015, no 14-20168, M. Y c/ Mme X, PB (rejet
pourvoi c/ CA Aix-en-Provence, 16 mai 2013), Mme Batut, prés. ;
SCP Foussard et Froger, av.
Note par
Anne-Laure CASADO
Avocat au barreau de
Paris, associé, Mulon
Associés
P
ar cet arrêt, la Cour de
cassation illustre une
nouvelle fois sa jurisprudence quant aux conditions
de la révocation non équivoque à un droit.
En l’espèce, durant le mariage, l’époux a acquis un bien au
moyen de fonds propres ; la double déclaration d’emploi
exigée par l’article 1434 du Code civil est stipulée dans
l’acte d’acquisition. Dans le cadre de la procédure de divorce, l’époux inclut ce bien dans le patrimoine commun ;
dès lors le magistrat en tint compte pour fixer la prestation compensatoire.
Cependant, dans le cadre de la liquidation du régime matrimonial, l’époux tente de qualifier ce bien de propre. La
cour d’appel refuse de considérer le bien litigieux comme
propre et procède à une double analyse : le bien sera commun dans les rapports entre les époux, et propre à l’égard
des tiers.
58
G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1
La Cour de cassation rejette le pourvoi formé par l’époux ;
pour autant elle ne reprend pas la dichotomie de la cour
d’appel. Elle rappelle que la renonciation à un droit peut
être tacite si elle est non équivoque au vu des circonstances. Elle précise qu’il a été retenu, pour l’appréciation
de la prestation compensatoire, que ledit bien était commun et que les énonciations de l’époux dans le cadre de
la procédure de divorce caractérisaient une renonciation
non équivoque à son droit de se prévaloir de la déclaration
d’emploi lors de la liquidation.
L’analyse des juges d’appel repose sur une confusion
entre la déclaration d’emploi initiale et la déclaration
d’emploi a posteriori. En effet, l’article 1434 du Code civil
ne distingue pas la nature du bien dans les rapports entre
époux et dans les rapports à l’égard des tiers en présence
d’une clause d’emploi. Cette distinction ne s’opère qu’en
présence d’un emploi a posteriori, ce qui n’est pas le cas
en l’espèce.
Par cette décision, la haute juridiction rappelle sa jurisprudence traditionnelle quant aux conditions de la
renonciation à un droit (1), à savoir que celle-ci doit être
certaine, expresse et non équivoque, c’est-à-dire que les
circonstances doivent établir clairement que la personne a
eu la volonté de renoncer à un droit. Une telle renonciation
ne peut pas se présumer (2). Ainsi, en considérant le bien
comme commun dans le cadre de la procédure de divorce,
l’époux avait expressément renoncé à se prévaloir de la
déclaration d’emploi et de son caractère propre dans le
cadre de la liquidation du régime matrimonial.
(1) Cass. 3e civ., 30 sept. 2015, n° 14-22943 – Cass. 3e civ., 29 sept. 2015,
n° 14-16486 – Cass. 3e civ., 25 mars 2015, n° 14-11978 – Cass. 3e civ., 18 janv.
2012, n° 11-10389.
(2) Cass. 2e civ., 10 mars 2008, n° 03-11302.
G a z e tte Sp é cia lisée
J u r i s p r u de n c e
Cette position doit être saluée puisqu’elle permet d’éviter les situations où l’un des époux a tout intérêt, afin
de limiter le montant de la prestation compensatoire,
à augmenter le patrimoine commun en minimisant son
patrimoine propre. En appliquant les conditions de la
renonciation, il ne pourra pas réclamer la nature propre
du bien dans la liquidation, mais uniquement un droit
à récompense.
article 267 du Code civil permettra au juge du divorce,
à partir du 1er janvier 2016, de liquider sous certaines
conditions le régime matrimonial des époux. Ainsi, la qualification des biens, tout comme le fait de renoncer ou non
à une déclaration d’emploi, pourront être traités en parallèle de la prestation compensatoire, permettant au juge
du divorce de connaître l’exacte situation patrimoniale des
époux lors de la fixation de la prestation compensatoire.
Au vu de l’ordonnance du 15 octobre 2015 portant simplification et modernisation du droit de la famille, le nouvel
D. Séparation de biens
Créances entre époux séparés de biens : quel point de départ des intérêts ? 253t0
1
L’essentiel Les intérêts d’une créance entre époux mariés sous le régime de la séparation de biens, due par l’un
au titre du financement par l’autre d’un bien, courent,
lorsque ce bien a été aliéné en cours d’union, à compter
de l’aliénation du bien, et non de la liquidation du régime
matrimonial.
Cass. 1re civ., 23 sept. 2015, no 14-15428, M. X c/ Mme Y, PB
(rejet pourvoi c/ CA Montpellier, 6 nov. 2013), Mme Batut, prés. ;
Me Le Prado, SCP Waquet, Farge et Hazan, av.
E
n régime de séparation
de biens, il peut y avoir
Bertille DUCENE
créance entre époux dès
Avocat au barreau de
lors qu’il y a transfert entre
Paris, BWG Associés
les masses personnelles
des époux. Les règles applicables à ces créances sont, sur renvoi de l’article 1543 du
Code civil, prévues par l’article 1479 du même code, qui
renvoie lui-même, en ce qui concerne leur évaluation, aux
dispositions de l’article 1469 alinéa 3 relatif aux récompenses dans le régime de la communauté.
Note par
La créance est en principe égale au nominal de la dépense
faite, sauf s’il s’agit d’une dépense d’investissement (acquisition, conservation ou amélioration d’un bien) pour
laquelle le montant de la créance ne peut être moindre
que le profit subsistant, évalué, dans l’hypothèse où le bien
a été aliéné avant la liquidation, au jour de l’aliénation.
C’est ce cas précis qui est soumis à la Cour de cassation
dans l’arrêt du 23 septembre 2015, qui tranche la question particulière du point de départ des intérêts attachés à
une créance liée au financement d’un bien aliéné en cours
d’union.
En l’espèce, un époux marié sous le régime de la séparation de biens utilise les revenus de son épouse, dont il
dispose seul, pour financer l’acquisition d’un immeuble
qu’il acquiert en son nom personnel et qu’il revend par
la suite, sans utiliser les fonds qu’il retire de cette vente
pour acquérir un nouveau bien, ni rembourser son épouse.
Une procédure de divorce est engagée et des difficultés
naissent lors de la liquidation du régime matrimonial
des époux. L’épouse revendique alors logiquement une
créance au titre du financement de cet immeuble.
La cour d’appel de Montpellier, saisie de cette question, condamne l’époux au paiement d’une somme de
114 100 €, et ajoute que cette somme est porteuse d’intérêts à compter du 30 mai 2007, date du procès-verbal de
difficultés dressé par le notaire liquidateur prenant acte
de la revendication de l’épouse au titre de sa créance.
C’est ce point de départ qui est notamment contesté devant la Cour de cassation par l’époux, qui fait valoir que
« le point de départ des intérêts d’une créance calculée
selon les règles du profit subsistant est fixé au jour de la
liquidation ». L’époux se fonde, pour soutenir sa thèse, sur
les disposions de l’alinéa 2 de l’article 1479 du Code civil
selon lesquelles les intérêts attachés à la créance déterminée en application de l’article 1469 alinéa 3 du même
code courent du jour de la liquidation.
La Cour de cassation rejette cette analyse et considère,
au contraire, que « les intérêts d’une créance d’un époux
séparé de biens, évalués selon les règles de l’article 1469,
alinéa 3, du Code civil, courent, lorsque le bien a été aliéné
avant la liquidation, à compter du jour de l’aliénation, qui
détermine le profit subsistant ».
Cette solution peut a priori surprendre au regard des dispositions de l’article 1479 du Code civil, dont se prévalait
d’ailleurs l’époux devant la Cour de cassation.
En réalité, elle conduit à distinguer deux hypothèses :
- les créances ordinaires, pour lesquelles, conformément
au droit commun des obligations repris à l’alinéa 1er de
l’article 1479 du Code civil, les intérêts courent à compter
de la date de la sommation ;
- les créances liées à une dépense d’investissement,
pour lesquelles la Cour de cassation fait coïncider la date
d’évaluation de la créance et celle du point de départ
des intérêts qui y sont attachés, soit : (i) lorsque le bien
n’a pas été aliéné en cours d’union, et se retrouve donc
dans le patrimoine emprunteur lors de la liquidation : le
montant de la créance est déterminé selon le profit subsistant évalué au jour de la liquidation (1re hypothèse de
l’article 1469 alinéa 3 du Code civil), et les intérêts courent
à compter de la date de la liquidation, conformément à
l’article 1479 alinéa 2 du Code civil ; (ii) lorsque le bien a
été aliéné en cours d’union, sans que cette cession ne soit
suivie d’une subrogation : le montant de la créance est
alors déterminé selon le profit subsistant évalué au jour
de l’aliénation (2de hypothèse de l’article 1469 alinéa 3), et
G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1
59
G a ze tte Spé ci a li s é e
Jurisp rud e n ce
les intérêts courent à compter de l’aliénation, par exception à l’article 1479 alinéa 2.
Cette solution s’explique par le fait que, dans cette dernière hypothèse, l’absence de remboursement de la
créance au jour de l’aliénation, et alors que cette créance
est évaluée selon le profit subsistant à cette date, sans
réévaluation postérieure, fait peser sur le créancier les
effets de la dépréciation monétaire, mais aussi le prive
d’une éventuelle plus-value ultérieure. En faisant courir
les intérêts à compter de la date de l’aliénation, la Cour de
cassation compense cette dépréciation ; la plus-value est
remplacée par les intérêts.
Il est légitime de se demander si cette solution doit être
considérée comme valant également pour les récompenses en régime de communauté, l’arrêt du 23 septembre
2015 visant, dans son dispositif, l’article 1469 alinéa 3 du
Code civil relatif à l’évaluation des récompenses.
Rien n’est moins sûr, la Cour de cassation prenant la
peine, dans le présent arrêt, de rattacher le point de
départ, qu’elle fixe ainsi au jour de l’aliénation, aux « intérêts d’une créance d’un époux séparé de biens ». La portée
de l’arrêt serait donc limitée aux seules créances entre
époux. Cette différence de traitement s’explique alors par
le fait que, contrairement aux créances, les récompenses
ne peuvent être réglées en cours de mariage (Cass. 1re civ.,
15 mai 2008, n° 06-16939). S’agissant des récompenses,
les intérêts courent donc a priori toujours, et même en cas
d’aliénation du bien en cours d’union, à compter de la dissolution, conformément aux dispositions de l’article 1473
alinéa 1er du Code civil.
Par le passé, la Cour de cassation a d’ailleurs expressément refusé, dans un arrêt de la première chambre civile
du 26 septembre 2007 relatif à une récompense due à la
communauté pour la construction d’une maison sur un
terrain propre au mari, de faire courir les intérêts à compter de la date de l’aliénation (Cass. 1re civ, 26 sept. 2007,
n° 06-15954).
Il serait intéressant que la question lui soit à nouveau
soumise.
(...)
F. Partage
L’obligation de procéder au tirage au sort des lots en cas de partage judiciaire en nature
et en l’absence d’accord des copartageants 253t1
1
L’essentiel Lorsque le partage en nature est ordonné, à
défaut d’accord entre les copartageants, il doit nécessairement être procédé au tirage au sort des lots, sans que
le juge ne puisse procéder lui-même aux attributions des
lots aux indivisaires.
Cass. 1re civ., 28 mai 2015, no 14-17656, M. Y c/ M. X, D
(cassation partielle CA Amiens, 19 sept. 2013), Mme Batut, prés. ;
Me Delamarre, SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, av.
L
’arrêt du 28 mai 2015 de
la première chambre ciLou BEN SIMON
vile de la Cour de cassation,
Avocat au barreau de
bien que rendu sous l’emParis, BWG Associés
pire de textes aujourd’hui
abrogés, a pour intérêt de
rappeler une règle classique du partage judiciaire d’indivision.
Note par
En l’espèce, différents lots d’un immeuble en copropriété
(deux appartements réunis, une cave et un droit de jouissance d’un parc, d’un hangar et d’un abri de jardin, outre
des tantièmes de parties communes) avaient été acquis en
indivision par un homme et une femme, probablement en
couple. Des difficultés naissent par la suite entre ces deux
indivisaires concernant le partage de leurs biens.
Devant les juridictions saisies, Mme Y sollicitait la licitation des lots litigieux, considérant qu’un partage en
nature n’était pas possible. De son côté, M. X en demandait le partage pour que chacun d’eux se voit attribuer un
appartement.
60
G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1
En première instance, les juges du fond avaient considéré
que les biens indivis ne pouvaient être commodément
partagés en nature et avait ordonné leur licitation, faisant
ainsi droit aux demandes de Mme Y.
À la suite de l’appel interjeté par M. X, la cour d’appel
d’Amiens a, dans un arrêt du 19 septembre 2013, infirmé
cette décision et ordonné un partage en nature des lots
litigieux, attribuant principalement à M. X un appartement
et une cave évalués à 400 000 €, et à Mme Y un appartement
estimé à 150 000 €, à charge pour eux de faire réaliser les
travaux nécessaires pour rendre ces deux appartements
indépendants l’un de l’autre et d’assumer le coût des travaux à hauteur de leurs droits.
Mme Y forme un pourvoi en cassation à l’encontre de cette
décision. Celle-ci soutenait en premier lieu que le partage
en nature ne pouvait être ordonné, celui-ci supposant que
les biens en cause puissent être commodément partagés
ou attribués et que les lots à répartir soient, autant que
possible, d’une valeur équivalente, ce qui n’était pas le cas
en l’espèce.
Mme Y soutenait également que lorsque le partage en
nature est ordonné, à défaut d’accord entre les copartageants, les lots doivent impérativement être tirés au
sort sans que les juridictions ne puissent procéder ellesmêmes aux attributions, ce que la cour d’appel n’avait
pas respecté. C’est sur ce deuxième motif que la Cour de
cassation se prononce, précisant ainsi les conditions dans
lesquelles le partage en nature peut être effectué à défaut
d’accord entre les indivisaires.
Dans son arrêt du 28 mai 2015, la Cour de cassation casse
l’arrêt de la cour d’appel et rappelle que lorsque le partage en nature est ordonné, à défaut d’accord entre les
G a z e tte Sp é cia lisée
J u r i s p r u de n c e
copartageants, il doit être nécessairement procédé au tirage au sort des lots, sans que le juge ne puisse procéder
lui-même aux attributions.
Cette décision, rendue en l’espèce au visa des articles 831
et 834 du Code civil dans leur rédaction antérieure à celle
issue de la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006 portant réforme
des successions et des libéralités, reprend une solution jurisprudentielle bien établie (encore récemment :
Cass. 1re civ., 20 juin 2012, n° 10-26022). Cette solution
est transposable aux articles 1363 et 1375 du Code de
procédure civile qui portent sur le tirage au sort après la
loi du 23 juin 2006. Il convient toutefois de rappeler une
décision relativement ancienne de la Cour de cassation,
dans laquelle la règle du tirage au sort des lots est écartée lorsque son application est constitutive d’un abus de
droit (Cass. 1re civ., 28 nov. 2007, n° 06-18490). Dans cette
espèce, le tirage au sort pouvait conduire à la dévolution,
à chacune des deux branches d’une famille, du lot situé
devant la propriété de l’autre, de sorte que la cour d’appel
avait valablement pu se dispenser de procéder au tirage
au sort des lots pour attribuer à chacune des deux familles
le lot situé devant sa propriété. L’abus de droit constitue
donc une limite à la règle du tirage au sort des lots en cas
de partage en nature judiciaire.
(...)
II. DIVORCE
(...)
D. Date et effets du divorce
Les conséquences de la transcription du jugement de divorce sur le domicile conjugal
loué 253s5
1
L’essentiel 1. La Cour de cassation considère que la
convention par laquelle le bailleur avait déchargé l’époux,
à compter d’une certaine date, de ses obligations nées
du bail portant sur le domicile conjugal, était susceptible
de nuire à l’épouse, au titre de la créance résultant de la
contribution à la dette locative, de sorte que la convention
ne peut lui être opposable.
2. La haute juridiction confirme que la transcription du
jugement de divorce ayant attribué le droit au bail à l’un
des époux met fin à la cotitularité du bail, tant légale que
conventionnelle.
Cass. 1re civ., 17 juin 2015, no 14-17906, Mme Z c/ M. Y, PB
(cassation partielle CA Versailles, 29 oct. 2013), Mme Batut, prés. ;
SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, SCP de Chaisemartin et
Courjon, av. - Cass. 3e civ., 22 oct. 2015, no 14-23726, SCI Via
Pierre I c/ M. Y, PB (rejet pourvoi c/ CA Paris, 26 juin 2014),
M. Chauvin, prés. ; Me Bertrand, SCP Baraduc, Duhamel et
Rameix, SCP Bouzidi et Bouhanna, av.
L
e logement de la famille
fait l’objet d’une « proPaula PELTZMAN
tection particulière et obéit
Avocat au barreau de
à des règles spécifiques qui
Paris, Mulon Associés
peuvent être source de bien
des difficultés » tout au long
de la procédure de divorce (Gaz. Pal. 22 mai 2010, p. 8,
n° I1682, étude E. Mulon). Les deux arrêts commentés en
sont une illustration.
Note par
La Cour de cassation considère, de jurisprudence
constante, que le paiement du loyer constitue une dette
d’entretien (Cass. 1re civ., 11 janv. 1984, n° 82-15461 – Cass.
1re civ., 7 juin 1989, n° 87-19049 – Cass. 1re civ., 13 oct. 1992,
n° 90-18404). Sur le fondement de l’article 220 du Code
civil, les époux demeurent donc solidaires du paiement
des loyers jusqu’à la transcription du jugement de divorce.
Ainsi, l’attribution de la jouissance du domicile conjugal à
l’un des époux, au titre des mesures provisoires, n’est pas
opposable au bailleur qui a la faculté, jusqu’au prononcé
du divorce, de poursuivre les deux époux en paiement des
loyers au titre de la contribution à la dette.
1. Les faits qui ont donné lieu à l’arrêt du 17 juin 2015 sont
singuliers. Le juge conciliateur avait attribué la jouissance
du domicile conjugal à l’épouse. Le bailleur, représenté
par une agence immobilière, avait accepté la désolidarisation de l’époux et de son père, caution. Par la suite, le
propriétaire avait assigné les deux époux et la caution en
paiement des loyers impayés. Les juges du fond, après
avoir constaté la désolidarisation de l’époux, ont déclaré
que la responsabilité de l’époux et de la caution ne pouvait être recherchée, le bailleur ayant renoncé à cette
solidarité.
La haute juridiction n’a pas suivi ce raisonnement. Elle a,
au contraire, considéré, au visa des articles 1165 et 220 du
Code civil, que la convention par laquelle le bailleur avait
accepté de décharger l’époux de ses obligations était susceptible de nuire à l’épouse au titre de la créance résultant
de la contribution à la dette locative. Partant, la convention entre l’époux et le bailleur ne pouvait être opposable
à l’épouse, l’obligation entre époux aux dettes ménagères
n’étant pas susceptible d’aménagement.
Ainsi, malgré l’accord du bailleur, l’époux reste tenu
solidairement responsable de la dette locative de sa future ex-épouse. La Cour de cassation s’est fondée sur
l’article 220 du Code civil, disposition d’ordre public, et
sur l’effet relatif des contrats pour justifier sa décision.
Toutefois, l’intérêt pratique de cette solution demeure
contestable puisqu’elle a pour effet d’avantager le propriétaire qui avait renoncé, par l’intermédiaire de son
G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1
61
G a ze tte Spé ci a li s é e
Jurisp rud e n ce
mandataire, à l’un de ses débiteurs, et encourage l’épouse
à ne pas honorer le règlement de ses dettes qui seront
pourtant in fine supportées par elle seule. En effet, si la
solidarité prévue à l’article 220 du Code civil bénéficie
au tiers, celle-ci cesse entre les époux et rétroagit, en
principe, à la date de l’ordonnance de non-conciliation.
L’obligation finale de cette dette incombera entièrement à
l’épouse ; son ex-époux sera donc fondé à revendiquer une
créance à son encontre, au stade de la liquidation.
2. Comme le rappelle le second arrêt, la transcription du
jugement de divorce ayant attribué le droit au bail à l’un
des époux met fin à la cotitularité du bail, tant légale que
conventionnelle (Cass. 3e civ., 2 févr. 2000, n° 97-18924 –
Cass. 2e civ., 3 oct. 1990, n° 88-18453).
En l’espèce, les époux étaient tous deux signataires du
contrat de bail, de sorte que le bailleur pensait pouvoir
faire échec à la fin de la cotitularité légale prévue par l’article 1751 du Code civil. Le bailleur estimait ainsi que les
deux époux étaient toujours tenus par un lien contractuel,
l’époux n’ayant pas donné congé au bail, et soulevait, en
outre, qu’il n’avait pas été informé du jugement de divorce.
La jurisprudence est constante à cet égard, et l’attendu de
la Cour de cassation est sans équivoque : la transcription
du jugement de divorce sur les registres de l’état civil rend
la décision opposable aux tiers, notamment aux bailleurs.
Cette règle peut paraître sévère envers les bailleurs dans
la mesure où les locataires ne sont pas tenus d’informer
leur propriétaire de leur divorce, d’autant que les bailleurs
ne sont pas habilités à commander les actes d’état civil
de leurs locataires. En cas de défaut d’information des
locataires, les bailleurs se trouvent donc privés d’une information pourtant essentielle et lourde de conséquences.
E. Prestation compensatoire
La prestation compensatoire fixée sous forme de rente viagère peut être révisée en cas
de changement important dans les ressources ou les besoins des parties 253s6
1
L’essentiel Pour rejeter la demande de M. Y tendant à la
révision de la rente, l’arrêt retient que rien ne prouve que
le débiteur ait été contraint de prendre sa retraite plus
tôt que prévu.
En se déterminant ainsi, par un motif inopérant, sans
rechercher, comme elle y était invitée, si la diminution de
revenus invoquée par le débiteur constituait un changement important dans sa situation, la cour d’appel n’a pas
donné de base légale à sa décision.
Cass. 1re civ., 23 sept. 2015, no 14-21793, M. Y c/ Mme X, D
(cassation CA Riom, 27 mai 2014), Mme Batut, prés. ; SCP
Rousseau et Tapie, av.
S
elon les termes de l’article 276-3 du Code civil,
Niamh NÍ GHAIRBHIA
la prestation compensaAvocat à la Cour, Mulon
toire fixée sous la forme
Associés
d’une rente viagère peut
être révisée, suspendue ou
supprimée en cas de changement important dans les ressources de l’une ou l’autre des parties.
Note par
Dans la présente décision, la Cour de cassation rappelle
que le seul et unique critère que les juges du fond doivent
prendre en compte, lorsqu’ils sont saisis d’une demande
de révision d’une prestation compensatoire fixée sous la
forme d’une rente viagère, est l’intervention d’un changement important dans les ressources ou besoins du
débiteur ou du créancier (Cass 1re civ., 15 févr. 2012,
n° 11-11342).
En l’espèce, l’époux a été condamné, lors du prononcé
du divorce, à verser une prestation compensatoire sous
la forme d’une rente mensuelle viagère. Ultérieurement,
ses revenus ayant diminué de moitié suite à sa décision de
prendre sa retraite, il a sollicité la révision de la prestation
compensatoire allouée à son épouse.
La cour d’appel ne fait pas droit à la demande de l’époux,
considérant qu’il ne justifie pas de la raison l’ayant
contraint à prendre sa retraire.
Comme le rappelle la Cour de cassation, la révision de la
prestation compensatoire ne peut résulter que d’un changement important dans les revenus ou besoins de l’une ou
l’autre des parties. Les juges du fond doivent statuer sur
l’importance du changement survenu, sans se fonder sur
l’origine de cette diminution, comme ils l’ont fait à tort en
l’espèce (J.-R. Binet, Dr. famille 2015, n° 11).
La prestation compensatoire n’a pas pour objet de corriger le choix d’un régime
matrimonial et doit être fixée sans considération de l’origine des biens 253q1
1
L’essentiel 1. Après avoir analysé l’ensemble du patrimoine des époux, l’arrêt relève que Mme X ne justifie pas
avoir contribué à la constitution de celui, plus important,
de son mari, ni sacrifié sa carrière professionnelle au
cours de la vie commune, et constate qu’elle ne révèle
pas l’intégralité de ses revenus, notamment sa part de
62
G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1
bénéfices non distribués dans l’EURL, qu’elle ne communique pas le montant de ses charges ni ne produit
d’éléments sur ses droits à la retraite ; qu’en l’état de ces
énonciations, la cour d’appel, qui a justement rappelé que
la prestation compensatoire n’avait pas pour objet de corriger les effets de l’adoption du régime de séparation de
G a z e tte Sp é cia lisée
J u r i s p r u de n c e
biens, a souverainement estimé qu’il n’était pas établi que
la disparité des conditions de vie respectives des parties
résultait de la rupture du mariage.
2. Pour rejeter la demande de l’épouse en paiement d’une
prestation compensatoire, l’arrêt retient qu’eu égard
à la durée du mariage qui n’a pas été très importante,
pas plus que celle de la vie commune, aux problèmes de
santé très sérieux présentés par le mari ainsi qu’au fait
que la communauté a été constituée exclusivement par
les apports consentis par ce dernier, le divorce ne créera
pas de disparité dans les conditions de vie respectives
des époux. En statuant ainsi, alors que, pour apprécier
la disparité résultant de la rupture du lien conjugal, il n’y
avait pas lieu de tenir compte de l’origine des biens composant l’actif de communauté, la cour d’appel a violé les
articles 270 et 271 du Code civil.
Cass. 1re civ., 23 sept. 2015, no 14-23722, Mme X c/ M. Y, D (rejet
pourvoi c/ CA Nîmes, 11 juin 2014), Mme Batut, prés. ; SCP Boré
et Salve de Bruneton, SCP Bénabent et Jéhannin, av. - Cass. 1re
civ., 21 oct. 2015, no 14-25316, Mme X c/ M. Y, D (Cassation
partielle CA Paris, 26 juin 2014), Mme Batut, prés. ; Me Le Prado,
SCP Monod, Colin et Stoclet, av.
peut être le cas dans un régime de communauté lors de
la liquidation.
Il n’en demeure pas moins que la haute juridiction se
montre particulièrement ferme quant à l’appréhension de
l’entier patrimoine des époux pour apprécier la disparité
qui va naître de la dissolution du lien conjugal. Ainsi, elle
s’en tient à une approche objective de la situation des parties (2), sans qu’il puisse être tenu compte de leur situation
avant le mariage (3).
C’est dans ce registre d’objectivation que se situe le second
arrêt (Cass. 1re civ., 21 oct. 2015, n° 14-25316) qui rappelle
que l’origine des biens est sans incidence sur l’appréciation de la disparité entre les époux. L’originalité tenait,
en l’espèce, au fait qu’il s’agissait de biens communs
essentiellement apportés par l’époux à la communauté
universelle. Tenir compte de l’origine des biens pour
fixer la prestation compensatoire aurait d’ailleurs été un
moyen – mais ici en sens inverse – de corriger les effets du
régime matrimonial choisi par les époux. Il n’en demeure
pas moins qu’en pratique, il n’est pas toujours aisé d’expliquer aux justiciables les subtilités de la combinaison entre
le régime matrimonial et la prestation compensatoire…
L
e premier arrêt (Cass.
1 re civ., 23 sept. 2015,
Élodie MULON
n° 14-23722) est l’occasion
de rappeler une nouvelle
fois que la prestation compensatoire n’a pas pour objet de
corriger les effets du régime matrimonial choisi par les
époux (1). Cette solution, incontestable, semble témoigner
de la volonté des juges d’empêcher, via la prestation compensatoire, une égalisation des patrimoines, comme cela
Note par
(1) Cass., 1re civ., 8 juill. 2015, n° 14-20480 – Cass. 1re civ., 14 mai 2014,
n° 12-29205 – Cass. 1re civ., 15 janv. 2014, n° 13-10337 – Cass.1re civ., 18 déc.
2013, n° 13-10170 – Cass. 1re civ., 26 janv. 2011, n° 10-30262.
(2) En ce sens : Cass. 1re civ., 2 avr. 2014, n° 13-15440 – Cass. 1re civ., 5 mars 2014,
n° 13-12003.
(3) Cass. 1re civ., 16 sept. 2014, n° 13-20159 – Cass. 1re civ., 2 avr. 2014,
n° 13-15440 – Cass. 1re civ., 12 juin 2013, n° 12-12879 – Cass. 1re civ., 12 janv.
2011, n° 09-72248 – Cass. 1re civ., 18 mai 2011, n° 10-17445.
F. Divorce et liquidation
Rappel : la renonciation de l’époux donateur à révoquer la donation entre époux
de biens présents consentie avant le 1er janvier 2005 253s3
1
L’essentiel Selon l’alinéa 1er de l’article 265 du Code
civil, le divorce est sans incidence sur les donations de
biens présents, quelle que soit leur forme ; de plus, selon
l’article 47, III, de la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006, qui
présente un caractère interprétatif pour l’application
de la loi n° 2004-439 du 26 mai 2004 relative au divorce,
les donations de biens présents consenties entre époux
avant le 1er janvier 2005 demeurent révocables dans les
conditions prévues par l’article 1096 du Code civil en sa
rédaction antérieure à cette date.
La cour d’appel n’a pas recherché, comme elle y était invitée, si, au cours de l’ensemble de la procédure de divorce,
y compris devant la Cour de cassation, l’époux n’avait pas
invité le juge du divorce à prendre en considération, pour
la fixation de la prestation compensatoire, les droits de
l’épouse dans l’immeuble indivis grâce à la donation qu’il
invoquait et, par là même, sa renonciation non équivoque
à user ultérieurement de la faculté de révocation de cette
libéralité.
Cass. 1re civ., 10 juin 2015, no 14-15615, Mme Y c/ M. X, D
(cassation partielle CA Nîmes, 19 févr. 2014), Mme Batut, prés. ;
SCP Tiffreau, Marlange et de La Burgade, SCP Waquet, Farge et
Hazan, av.
G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1
63
G a ze tte Spé ci a li s é e
Jurisp rud e n ce
P
ar cette décision, la Cour
de cassation rappelle
Niamh NÍ GHAIRBHIA
les contours de la donaet
tion entre époux intervenue
Anne-Laure CASADO
avant le 1 er janvier 2005,
ainsi que la renonciation de
l’époux à toute demande de révocation dans le cadre de la
procédure de divorce.
Note par
En l’espèce, un couple se marie en 1984 sous le régime
de la séparation de biens. En 1999, les époux acquièrent
en indivision, pour moitié chacun, un terrain à bâtir sur
lequel ils font édifier une maison d’habitation qui constituera le domicile conjugal. Leur divorce est prononcé par
jugement en date du 29 septembre 2005, et est confirmé
par l’arrêt en date du 6 juin 2007. Lors des opérations de
liquidation et de partage, les juges du fond, pour ordonner
l’attribution préférentielle du domicile conjugal à l’époux,
ont considéré que l’acquisition de l’immeuble indivis à
parts égales (bien que financé uniquement par l’époux)
constituait une donation non rémunératoire entre époux,
révoquée par l’effet du divorce des époux, en application
de l’article 265 alinéa 2 du Code civil.
La Cour de cassation censure cette décision, et rappelle
au visa de l’article 265 du Code civil que les donations
entre époux de biens présents intervenues avant le 1er janvier 2005 sont librement révocables. De plus, elle précise,
au visa de l’article 1134 du même code, que les juges du
fond n’ont pas recherché si l’époux, dans le cadre de la
procédure de divorce, n’avait pas renoncé de manière
non équivoque à révoquer ladite donation en demandant
au juge du divorce de la prendre en compte pour fixer la
prestation compensatoire.
Le premier rappel de la haute juridiction est relatif au
régime des donations entre époux de biens présents. Elle
sanctionne ici le raisonnement de la cour d’appel qui applique l’article 265 à une donation entre époux antérieure
au 1er janvier 2005. Or, aux termes de l’article 47 III de la loi
n° 2006-728 du 23 juin 2006, ces donations sont librement
révocables si elles ont été consenties avant le 1er janvier
2005 ; le régime applicable dépend donc de la date de la
donation.
Le second rappel porte sur la renonciation au droit de
révoquer la donation entre époux. La haute juridiction
a rappelé sa jurisprudence constante aux termes de laquelle le fait, pour l’époux, de se prévaloir de l’existence
de la donation consentie à son épouse lors des débats sur
la fixation de la prestation compensatoire constitue une
renonciation non équivoque à user de son droit à révocation (Cass. 1re civ., 28 févr. 2006, n° 03-10245 – Cass.
1re civ., 18 mai 2011, n° 10-14841, D – Cass. 1re civ., 18 mai
2011, n° 10-17943 : D. 2011, p. 1557, J. Hauser ; RTD civ.
2011, p. 522 – Cass. 1re civ., 26 oct. 2011, n° 10-25078 : RTD
civ. 2012, p. 102 ; D. 2011, p. 2728). Cette renonciation non
équivoque se déduit donc du comportement procédural de
l’époux, et notamment de la prise en compte ou non de la
donation pour déterminer les effets du divorce.
La solution de la Cour de cassation fait ainsi primer
l’équité et permet d’éviter des situations dans lesquelles
l’époux donateur obtient une solution plus favorable quant
aux effets du divorce en évoquant l’existence d’une donation, puis revient dessus lors de la liquidation du régime
matrimonial et dépossède l’époux donataire.
Au vu du nouvel article 267 du Code civil issu de l’ordonnance n° 2015-1288 du 15 octobre 2015 portant
simplification et modernisation du droit de la famille, qui
entrera en vigueur au 1er janvier 2016, cette question pourrait ne plus se poser puisque le juge du divorce pourra,
sous certaines conditions, liquider le régime matrimonial
des époux. Ainsi, la question de la révocation ou non de la
donation entre époux de biens présents survenue avant le
1er janvier 2016 sera traitée au même moment en ce qui
concerne les effets du divorce et la liquidation du régime
matrimonial.
L’abandon par un époux de ses droits dans la communauté, en exécution
de la prestation compensatoire, ne constitue pas un partage inégal 253t4
1
L’essentiel Ne caractérise pas un partage inégal l’abandon par un époux de ses droits dans la communauté en
exécution de la prestation compensatoire. N’engage alors
pas sa responsabilité le notaire rédacteur de l’acte liquidatif, non soumis à un devoir particulier de conseil quant
aux conséquences de la prestation convenue entre les
parties, et qui s’était par ailleurs enquis auprès d’elles
de l’existence d’éventuelles récompenses.
Cass. 1re civ., 9 juill. 2015, no 14-17666, M. X c/ Mme Y, PB (rejet
pourvoi c/ CA Dijon, 3 avr. 2014), Mme Batut, prés. ; SCP Boré et
Salve de Bruneton, SCP Bénabent et Jéhannin, av.
L
’arrêt rendu par la Cour
de cassation le 9 juillet
Héloïse MALHERBE
2015 nous renseigne sur la
Avocat au barreau de
notion de partage inégal de
Paris, BWG Associés
communauté, ainsi que sur
l’étendue des obligations du
notaire rédacteur d’un acte liquidatif dans le cadre d’un
divorce par consentement mutuel.
Note par
Dans cette affaire, des époux mariés en 2005, sans contrat
préalable, divorcent par consentement mutuel en 2008,
assistés d’un avocat commun. Aux termes de l’acte liquidatif, M. X abandonne à son épouse, en exécution de la
prestation compensatoire, ses droits dans l’immeuble
commun et s’engage à supporter le passif y afférent, avec
affectation hypothécaire de ses biens propres en garantie.
Un an plus tard, en 2009, l’état dépressif de M. X nécessite son placement sous curatelle renforcée. Constatant
une disproportion entre le montant de la prestation compensatoire allouée à l’ex-épouse (216 256 €) et la courte
durée du mariage, les curatrices de M. X (sa sœur et sa
64
G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1
G a z e tte Sp é cia lisée
J u r i s p r u de n c e
fille) l’assistent dans une action en responsabilité engagée contre le notaire. Il est reproché à ce dernier de ne
pas avoir attiré l’attention de l’époux sur les conséquences
de la prestation compensatoire, dont l’exécution aurait
conduit à un partage inégal de la communauté, et d’avoir
établi un acte incomplet et erroné, ne faisant pas état des
reprises et récompenses dont aurait dû bénéficier M. X.
Alors que le tribunal de grande instance de Chalon-surSaône avait retenu la responsabilité du notaire sur le
fondement de l’article 1382 du Code civil, la cour d’appel
de Dijon, dans un arrêt du 3 avril 2014, déboute M. X de ses
demandes (CA Dijon, 3 avr. 2014, n° 12/01549).
La cour d’appel de Dijon relève que dans son acte liquidatif, le notaire avait d’abord calculé les droits respectifs
des parties, à hauteur de la moitié chacune de l’actif et
du passif commun, garantissant l’équilibre du partage,
puis pris en compte le montant de la prestation compensatoire convenue entre les époux. Selon la cour d’appel,
le notaire n’était pas tenu d’informer M. X sur l’état de
la jurisprudence en matière de prestation compensatoire, qui reste le domaine propre de l’avocat commun
des époux dans le cadre d’un divorce par consentement
mutuel. L’homologation de la convention de divorce par le
juge aux affaires familiales permettait en outre de présumer que l’époux avait reçu toute l’information qui lui était
due. La cour d’appel retient enfin que le notaire n’était pas
davantage tenu de vérifier les déclarations des époux sur
l’absence de récompenses.
M. X forme un pourvoi devant la Cour de cassation, laquelle, dans un arrêt du 9 juillet 2015 promis à publication
rejette les deux moyens développés par l’époux et donne
raison aux juges d’appel.
Sur les conséquences de la prestation compensatoire
(1er moyen). La Cour de cassation retient que l’allotissement de l’intégralité de l’actif à l’un des époux et la prise
en charge par l’autre de la totalité du passif, lorsqu’ils
servent au paiement de la prestation compensatoire, ne
caractérisent pas un partage inégal et n’imposent pas au
notaire rédacteur de l’acte un devoir de conseil sur les
conséquences de la prestation compensatoire. La Cour
de cassation prend soin de préciser qu’il s’agit d’une
prestation compensatoire convenue entre les parties, en
présence de leur avocat, et soumise à l’homologation du
juge.
Ainsi, le déséquilibre dans les attributions faites à chacun des époux n’est pas considéré comme « inégal », car
causé par la prise en compte de la créance de l’épouse au
titre de la prestation compensatoire, celle-ci devant ellemême compenser une disparité entre les époux, selon
l’article 270 du Code civil.
Il en irait différemment si le déséquilibre dans les attributions, par l’abandon par un époux d’une soulte à laquelle
il aurait eu le droit, n’était pas justifié/compensé par le
notaire dans son acte liquidatif.
En réalité, la contestation de M. X et de ses curatrices portait sur le bien-fondé de la prestation compensatoire, au
vu des critères de l’article 271 du Code civil, alors que le
mariage entre M. X et Mme Y avait duré moins de trois ans,
qu’ils n’avaient pas eu d’enfant, et que chacun disposait
d’un patrimoine propre.
On comprend que la mention de la prestation compensatoire dans l’acte liquidatif, qui s’impose lorsqu’elle prend
la forme de l’attribution de droits immobiliers communs,
n’entraîne pas la responsabilité du notaire sur le caractère
légitime ou non de la prestation.
La Cour de cassation renvoie l’appréciation du bien-fondé
de la prestation compensatoire à l’avocat des époux, rédacteur de la convention de divorce, ainsi qu’au juge, qui
peut refuser d’homologuer la convention « si elle fixe inéquitablement les droits et obligations des époux » (C. civ.,
art. 278) ou si elle « préserve insuffisamment les intérêts des enfants ou de l’un des époux » (C. civ., art. 232),
et, le cas échéant, ajourner sa décision (CPC, art. 1100).
L’acte du notaire était d’ailleurs conclu sous condition
suspensive du prononcé du divorce, s’en remettant ainsi
à l’appréciation du juge.
Sur l’absence de reprises et récompenses (2nd moyen).
La Cour de cassation écarte, là encore, la responsabilité
du notaire.
Les hauts magistrats constatent que l’acte liquidatif
précise que les époux ont déclaré ne pas avoir reçu de
donation, succession, ou legs, et qu’il n’existait pas de
récompense. Selon la Cour, cette mention suffit donc à
prouver que le notaire s’est bien enquis auprès des parties
de savoir si des biens propres avaient été financés par la
communauté, sans que rien ne lui permettede douter de
la véracité des déclarations des époux.
Cette décision est à rapprocher de l’arrêt rendu par la
Cour de cassation le 13 décembre 2012 qui, au contraire,
a cassé un arrêt d’appel qui avait rejeté la responsabilité
délictuelle du notaire (Cass. 1re civ., 13 déc. 2012, n° 1119098). Toutefois, dans cette affaire-là, la cour d’appel
s’était fondée sur les compétences professionnelles de
l’époux (un chef d’entreprise agricole) pour exclure la
faute du notaire, ce qu’a sanctionné la Cour de cassation en ces termes : « il incombait au notaire, quelles
que soient les compétences personnelles des parties, de
s’enquérir auprès d’elles du point de savoir si les biens
leur revenant en propre avaient été financés, en tout ou
partie, par la communauté, et, le cas échéant, de se faire
communiquer tout acte utile ».
L’arrêt du 9 juillet 2015, qui déboute l’ex-époux de ses
demandes, confirme toute la difficulté qu’il y a à revenir
sur les dispositions d’un jugement de divorce par consentement mutuel. Privé de la voie de l’appel ou encore de
l’action en nullité pour vices du consentement (Cass.
2e civ., 13 nov. 1991, n° 90-17840 ; Cass. 2e civ., 2 avr. 1997,
n° 93-16995), M. X, assisté de ses curatrices, a cherché
une indemnisation dans la responsabilité du notaire, en
vain.
La mention dans l’acte liquidatif de l’absence de récompense, selon la déclaration même des époux, n’aurait
certainement pas non plus permis à M. X d’agir efficacement en partage complémentaire pour omission d’une
dette commune, voie ouverte par l’arrêt précité du 13 décembre 2012.
Enfin, les circonstances de l’espèce illustrent à quel point
il s’avère délicat d’assurer le rôle d’avocat commun quand
l’un des deux époux est psychologiquement très fragilisé
par la rupture.
G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1
65
G a ze tte Spé ci a li s é e
Jurisp rud e n ce
Le projet d’état liquidatif du notaire expert ne peut être complété ultérieurement
par les époux pour permettre au juge de trancher leurs désaccords 253t3
1
L’essentiel En l’absence d’informations suffisantes contenues dans le projet d’état liquidatif établi par le notaire
désigné sur le fondement de l’article 255, 10° du Code
civil, le juge du divorce ne peut trancher les désaccords
persistants entre les époux, même si l’un d’eux produit
ensuite des éléments complémentaires éclairants.
Cass. 1re civ., 23 sept. 2015, no 14-21525, Mme X c/ M. Y, PB
(cassation partielle CA Paris, 13 mars 2014), Mme Batut, prés. ;
SCP Delaporte, Briard et Trichet, SCP Rousseau et Tapie, av.
L
a loi n° 2004-439 du
26 mai 2004 avait permis
Stéphanie TRAVADEau juge du divorce d’être
LANNOY
aussi un peu le juge de la
Avocat au barreau de
liquidation. L’article 267
Paris, BWG Associés
alinéa 4 du Code civil l’avait
ainsi notamment investi de
la mission de trancher, dès le prononcé du divorce, les
désaccords liquidatifs persistant entre les époux (réalité
et montant d’une créance, nature d’un bien, existence
d’une récompense…).
Note par
Il fallait pour cela que deux conditions soient remplies :
1) qu’un notaire ait été désigné, dans le cadre des mesures
provisoires, sur le fondement de l’article 255, 10° du Code
civil, aux fins d’établir un projet de liquidation du régime
matrimonial ;
2) que ce projet contienne « des informations suffisantes ».
L’objectif était louable : anticiper au maximum la liquidation pour réduire autant que possible le contentieux
post-divorce, et donner une certaine cohérence aux
mesures financières décidées au moment du divorce,
mais en considération de ce que sera la situation de chacun des époux à l’issue de la liquidation de leur régime
matrimonial.
En pratique, il est vite apparu que cette disposition n’a pas
eu le succès escompté, parce que l’exigence d’informations suffisantes – notion particulièrement subjective – est
trop souvent devenue un prétexte pour éviter de trancher
ces désaccords relatifs à la liquidation.
L’arrêt commenté en donne une illustration.
En l’espèce, les époux étaient mariés sous le régime de la
séparation de biens et le mari revendiquait une créance
à l’encontre de son épouse au titre du financement d’une
pharmacie acquise par cette dernière. Un notaire avait été
désigné au stade de l’ordonnance de non-conciliation, sur
le fondement de l’article 255, 10° du Code civil. Il rend un
rapport que le mari conteste, faisant état de nombreuses
erreurs ou omissions. Après avoir demandé la désignation
d’un autre notaire expert, ce que son épouse a refusé, il
prend l’initiative de faire réaliser par un notaire indépendant une consultation plus complète, plus précise, mais
évidemment non contradictoire.
Sur la base du rapport initial du notaire expert, éclairé
et complété par le rapport du notaire ensuite choisi par
lui, le mari demande au juge du divorce de trancher les
66
G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1
désaccords liquidatifs persistants sur le fondement de
l’article 267 du Code civil.
La cour d’appel le suit, mais son arrêt est cassé par la
Cour de cassation qui considère qu’elle a violé l’article 267
du Code civil. La cour d’appel est sanctionnée pour avoir
énoncé, « après avoir retenu implicitement que le projet établi par le notaire désigné sur le fondement de
l’article 255, 10° du Code civil ne contient pas des informations suffisantes, que la consultation que M. Y a demandée
à un autre notaire, laquelle a été établie postérieurement
à l’expertise du notaire commis, l’éclaire et la complète,
contient des informations suffisantes pour permettre au
juge d’appel de statuer sur les demandes de créances formulées par M. Y ».
En clair, si le rapport du notaire désigné par le juge conciliateur ne contient pas d’informations suffisantes, ces
dernières ne peuvent pas être trouvées ailleurs, notamment dans la consultation délivrée par un autre notaire.
Si la solution semble conforme à la lettre de l’article 267
du Code civil dans sa version d’alors, elle apparaît
contraire à l’esprit de cette disposition et inopportune en
pratique. Quand l’un des époux a dû supporter une expertise notariée, qui a nécessité du temps (reculant d’autant
le prononcé du divorce et allongeant la durée des mesures
provisoires) et lui a coûté de l’argent, et que le projet d’état
liquidatif qui en ressort n’est pas à la hauteur de ce qu’il
aurait dû être parce que le notaire désigné n’a pas correctement travaillé ou que le conjoint n’a pas fait preuve de
bonne volonté, la moindre des choses serait qu’il puisse
faire trancher les désaccords persistants en complétant
ce rapport avec les éléments extérieurs qu’il aura glanés
Le législateur l’a compris puisque l’ordonnance n° 20151288 du 15 octobre 2015 portant simplification et
modernisation du droit de la famille, qui entrera en vigueur
à compter du 1er janvier 2016, supprime purement et simplement l’exigence d’informations suffisantes (v. l’article
d’Élodie Mulon intitulé « Le nouvel article 267 du Code
civil : une extension bienvenue des pouvoirs du juge du
divorce en matière liquidative » dans le présent numéro,
supra). Peu importe donc le contenu du rapport du notaire
désigné sur le fondement de l’article 255, 10° du Code
civil, le juge du divorce devra trancher les désaccords persistant entre les époux au vu de celui-ci, éventuellement
complété ou clarifié par d’autres éléments.
Précisons que cet article sera applicable aux requêtes en
divorce introduites avant le 1er janvier 2016, à condition
que l’assignation en divorce n’ait pas encore été délivrée
à cette date.
Mais l’innovation ne s’arrête pas là puisque l’article 267 du
Code civil, dans sa version issue de l’ordonnance du 15 octobre 2015, va plus loin en permettant dorénavant au juge
du divorce de « statuer sur les demandes de liquidation
et de partage des intérêts patrimoniaux », et ce même en
l’absence d’un projet d’état liquidatif dressé par un notaire
désigné sur le fondement de l’article 255, 10° du Code civil
aux termes duquel : « [le juge] statue sur les demandes de
liquidation et de partage des intérêts patrimoniaux dans
les conditions fixées aux articles 1361 à 1378 du Code
G a z e tte Sp é cia lisée
J u r i s p r u de n c e
de procédure civile, s’il est justifié par tous moyens des
désaccords subsistant entre les parties, notamment en
produisant : une déclaration commune d’acceptation d’un
partage judiciaire, indiquant les points de désaccord entre
les époux ; le projet établi par le notaire désigné sur le
fondement du 10° de l’article 255 ».
Le juge du divorce peut statuer sur le régime matrimonial des époux 253s4
1
L’essentiel Il entre dans les pouvoirs dévolus au juge
aux affaires familiales de se prononcer sur le régime
matrimonial des époux. Dès lors, en rejetant la demande
formée par l’époux, la cour d’appel a violé l’article 267 du
Code civil.
Cass. 1re civ., 21 oct. 2015, no 14-23302, M. X c/ Mme Y, D
(cassation CA Versailles, 12 juin 2014), Mme Batut, prés. ; SCP Boré
et Salve de Bruneton, SCP Sevaux et Mathonnet, av.
L
a solution retenue dans
cet arrêt par la Cour de
Élodie MULON
cassation n’est pas nouvelle
(Cass. 1re civ., 20 mars 2013,
n° 11-27845) : le juge aux affaires familiales, lorsqu’il
statue sur le divorce, peut se prononcer sur le régime
matrimonial des époux.
Note par
S’il ne fait aucun doute que cela ressort de la compétence
de la juridiction familiale, il peut paraître plus contestable de lui accorder ce pouvoir au stade du divorce, et
encore plus de le faire au visa de l’article 267 du Code civil,
particulièrement limitatif quant aux pouvoirs du juge en
matière de liquidation. Pour autant, la Cour de cassation
le fait en des termes particulièrement lapidaires, qui ne
laissent aucune place à l’interprétation.
On comprend l’intérêt de laisser cette faculté au juge
au stade du divorce puisque du régime matrimonial des
époux vont découler des conséquences importantes sur
le plan patrimonial, ce qui constitue un élément essentiel
d’appréciation de la disparité que le divorce va créer entre
eux. Cette importance pratique n’a, du reste, pas échappé
au législateur puisque cette faculté est désormais consacrée dans le nouvel article 267, alinéa 3 issu de la récente
ordonnance n° 2015-1288 du 15 octobre 2015 portant simplification et modernisation du droit de la famille.
G. Divorce et questions procédurales
La date d’introduction de l’instance en divorce est celle de l’assignation, et non celle
de la remise au greffe 253p8
1
L’essentiel Lorsqu’une demande est présentée par
assignation, la date d’introduction de l’instance doit
s’entendre de la date de l’assignation, à condition que
l’assignation ait été remise au secrétariat-greffe. Après
avoir constaté que l’ordonnance de non-conciliation a été
rendue le 12 octobre 2006, que l’épouse a assigné en divorce son époux par acte du 10 avril 2009, qui a été remis
au greffe le 22 avril 2009, la cour d’appel en a exactement
déduit que l’assignation a été délivrée dans le délai de
trente mois fixé par l’article 1113 du Code de procédure
civile.
Cass. 1re civ., 28 mai 2015, no 14-13544, M. X c/ Mme Y, PB (rejet
pourvoi c/ CA Paris, 9 janv. 2014), Mme Batut, prés., Mme GuyonRenard, cons. rapp. ; SCP Gadiou et Chevallier, SCP Waquet,
Farge et Hazan, av.
L
a question de la détermination de la date
Anne-Laure CASADO
d’introduction de l’instance
est importante pour s’assurer du respect du délai de trente mois à compter de
l’ordonnance de non-conciliation. La Cour de cassation
fait ici application, pour la première fois à notre connaissance, de son avis du 4 mai 2010 (1).
Note par
En l’espèce, l’ordonnance de non-conciliation est rendue
le 12 octobre 2006 et l’assignation en divorce est délivrée par l’épouse le 10 avril 2009 et remise au greffe le
22 avril 2009. L’époux sollicite la caducité des mesures
provisoires, y compris de l’autorisation d’assigner en
divorce, le placement de l’assignation étant intervenu
plus de trente mois après l’ordonnance de non-conciliation. La cour d’appel, prenant en compte la date de
délivrance de l’assignation, et non celle de son placement, rejette la demande de l’époux. La Cour de cassation
confirme la solution des juges du fond. Elle précise que
lorsqu’une demande est présentée par assignation, la date
d’introduction de l’instance doit s’entendre de la date de
l’assignation, à condition qu’elle ait été remise au secrétariat-greffe. Ainsi, elle estime que la cour d’appel a, à bon
droit, jugé que l’assignation en divorce a été délivrée par
(1) Cass., avis, 4 mai 2010, n° 10-00002 : Gaz. Pal. 11 sept. 2010, p. 30, note par
E. Mulon ; RTD civ. 2010, p. 535, note J. Hauser ; RJPF 2010-9, note T. Gare.
G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1
67
G a ze tte Spé ci a li s é e
Jurisp rud e n ce
le délai de trente mois prévu par l’article 1113 du Code de
procédure civile.
La présente décision constitue une parfaite application de
l’avis rendu le 4 mai 2010, aux termes duquel la Cour de
cassation a mis un terme à l’interrogation soulevée par
les dispositions de l’article 1113 du Code de procédure civile. En effet, l’alinéa 2 de cet article dispose : « en cas de
réconciliation des époux ou si l’instance n’a pas été introduite dans les trente mois du prononcé de l’ordonnance,
toutes ses dispositions sont caduques, y compris l’autorisation d’introduire l’instance ». Le législateur n’ayant pas
déterminé ce qu’il entendait par « l’introduction de l’instance », la haute juridiction a précisé qu’il s’agissait de
la date de délivrance de l’assignation, à condition qu’elle
soit remise au secrétariat-greffe. Cette formalité est essentielle pour la validité de l’assignation ; en l’absence de
placement, la juridiction ne sera pas saisie (2).
(2) J. Hauser, « Divorce : point de départ du délai pour assigner et de caducité des
mesures provisoires » : RTD civ. 2010, p. 535.
Sous l’Ancien Régime, la Cour de cassation avait adopté la
solution contraire puisqu’elle considérait que l’assignation
en divorce devait être délivrée et remise au greffe dans
le délai de six mois ; dans le cas contraire, les mesures
provisoires devenaient caduques (3).
Cette position était non conforme au droit commun. En
effet, aux termes de l’article 53 du Code de procédure
civile, il est précisé que l’assignation est un acte de procédure qui introduit l’instance. Ainsi, la procédure est
réputée introduite au jour de la signification de l’assignation, et non à la date de son placement, lequel permet
uniquement d’inscrire l’affaire au rôle de la juridiction (4).
Par ce changement de position, la Cour de cassation permet de rendre la procédure de divorce conforme au droit
commun.
(3) Cass. 1re civ., 10 juin 2015, n° 14-20344 – Cass. 2e civ., 26 juin 2003,
n° 01-14317.
(4) M. Kebir, « Divorce : date à prendre en compte pour le délai d’introduction de
l’instance » : Dalloz actualité, 9 juin 2015.
H. Divorce et droit international privé
La caducité de la procédure engagée en premier dans un État membre fait obstacle
à la mise en œuvre de l’article 19 du règlement Bruxelles II bis 253t5
1
L’essentiel Dans la situation où une procédure en désunion devant les juridictions d’un État membre premières
saisies a expiré après que les juridictions d’un autre État
membre ont été saisies, le critère de la litispendance
n’est plus rempli, de telle sorte que la compétence des
juridictions de l’État membre saisies en premier n’est
plus établie.
CJUE, 3e ch., 6 oct. 2015, no C-489/14, A c/ B, M. Ilesic, prés.,
M. Caoimh, Mme Toader, MM. Jarasiunas et Fernlund, juges,
M. Cruz Villalon, av. gén.
M
me
A et M. B, tous deux
de nationalité française,
Isabelle REINont leur résidence habituelle
LESCASTEREYRES
à Londres. Le mari saisit la
Avocat au barreau de
juridiction française d’une
Paris, BWG Associés
procédure en séparation de
corps et une ordonnance
de non-conciliation est rendue le 15 décembre 2011, de
telle sorte que l’autorisation d’assigner expire le 16 juin
2014 à minuit. Ultérieurement, le 24 mai 2011, Mme A introduit une procédure en divorce au Royaume-Uni, avant
de retirer sa demande dès lors que l’article 19 du règlement européen n° 2201/2003, dit Bruxelles II bis, imposait
à la juridiction saisie en second de surseoir à statuer. On
rappelle en effet qu’au sens du règlement, il y a identité
d’objet entre une procédure en séparation de corps et une
procédure en divorce.
Note par
M. B n’assigne pas en séparation dans le délai de trente
mois, pas plus d’ailleurs que Mme A, le souhait des deux
époux étant en réalité à ce stade de divorcer, chacun
68
G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1
devant la juridiction dont il estime qu’elle protègera mieux
ses intérêts, c’est-à-dire en France pour M. B et au
Royaume-Uni pour Mme A. L’époux tente d’ailleurs de saisir en parallèle une autre juridiction française, cette fois
d’une demande de divorce, mais voit sa demande déclarée
irrecevable au motif qu’une procédure en séparation de
corps était alors toujours pendante.
Le 13 juin 2014, c’est-à-dire trois jours avant l’expiration
du délai de trente mois imparti pour assigner en séparation
de corps en France, Mme A saisit à nouveau la juridiction
anglaise d’une procédure en divorce, après avoir tenté vainement de faire en sorte que cette procédure ne prenne
effet que le 17 juin, une minute après minuit. Le 17 juin
à 8h20 du matin, M. B saisit à son tour le juge aux affaires
familiales français.
Concrètement, il s’agissait pour Mme A, consciente de ce
que par le fait du jeu mécanique du décalage horaire,
M. B était assuré de gagner la course à la juridiction en
France, d’intercaler une procédure anglaise entre l’heure
à laquelle la procédure française en séparation de corps
devenait caduque et l’heure à laquelle M. B pouvait à nouveau saisir la juridiction française. De fait, le 17 juin 2014,
entre minuit et 8h20, il n’y a qu’une seule procédure : la
procédure anglaise.
C’est cette demande en divorce du 13 juin 2014 qui a
suscité de la part de la cour anglaise deux questions
préjudicielles à la Cour de justice de l’Union européenne
(CJUE) : d’une part, celle de savoir ce qu’il fallait entendre
par « compétence établie » au sens de l’article 19 du
règlement, dans les circonstances rappelées ci-dessus ;
d’autre part, celle de savoir si pour que cette compétence
soit établie, il était nécessaire que le demandeur à la première procédure prenne les mesures nécessaires pour la
G a z e tte Sp é cia lisée
J u r i s p r u de n c e
faire avancer, ou s’il pouvait se contenter de saisir sans
rien faire par la suite.
de la saisine anglaise au sens de l’article 16 du règlement
(pt 41).
1. La réponse à la première question dépend de savoir si
on examine la situation de litispendance au moment où la
procédure est engagée ou au moment où le juge statue.
En effet, au moment où la procédure au Royaume uni est
engagée, il y a bien une autre procédure pendante dans
un autre État membre, et qui est première dans le temps.
En revanche, à la date à laquelle le juge anglais examine
l’affaire, il y a deux procédures en cours, la première procédure française ayant expiré : une procédure anglaise
engagée le 13 juin, et une procédure française engagée
le 17 juin suivant.
Au-delà de l’espèce commentée – quasiment d’école –, la
solution devrait valoir toutes les fois qu’une requête en divorce, déposée en France, n’est pas suivie dans les délais
d’une assignation, après l’ordonnance de non-conciliation.
Ainsi se trouve rétrospectivement justifiée l’énonciation,
dans un arrêt rendu par la première chambre civile de la
Cour de cassation le 26 juin 2013, selon laquelle « une juridiction est régulièrement saisie, en matière de divorce, à
la date de dépôt de la requête à condition qu’il ait été suivi
d’une assignation en divorce » (Cass. 1re civ., 26 juin 2013,
n° 12-14001). En indiquant que l’article 19 a pour but d’éviter que des décisions incompatibles ne soient rendues dans deux États
membres différents et que, lorsque la procédure engagée
en premier devient caduque, il n’existe plus de litispendance, la CJUE choisit clairement la seconde solution.
La cour anglaise saisie en second devient la cour saisie
en premier à l’instant où la procédure française engagée
en premier devient caduque. La cour anglaise peut donc
retenir sa compétence, là où la juridiction française ne
pourrait que surseoir à statuer. En l’occurrence M. B s‘est
désisté de cette procédure.
En résumé, pour gagner la course à la juridiction, il ne
suffit pas de tirer le premier. Encore faut-il ne pas faire
long feu.
Par cet arrêt, la CJUE complète sa jurisprudence relative à
la notion de « compétence établie » au sens de l’article 27
du règlement n° 44/2001, règlement Bruxelles I (en matière civile et commerciale) et l’étend à l’interprétation de
l’article 19 paragraphe 1 du règlement Bruxelles II bis (en
matière de désunion matrimoniale).
Selon cette jurisprudence, pour « établir » la compétence de la juridiction première saisie, « il suffit » que
cette juridiction « n’ait pas décliné d’office sa compétence et qu’aucune des parties ne l’ait contestée » dans
les conditions prévues par le droit national (CJUE, 27 févr.
2014, n° C-1/13, Cartier parfums-lunettes et Axa Corporate
Solutions assurances, pt 44). La première procédure française en séparation de corps remplissait bien ces critères.
L’apport de l’arrêt sous commentaire est de préciser que
lorsqu’une première procédure a été introduite devant
une juridiction d’un État membre, la compétence de cette
juridiction, fût-elle établie au moment de la saisine de
celle-ci, ne doit plus être considérée comme « établie »
lorsque cette procédure s’est éteinte, comme en l’espèce,
par suite d’une caducité (pt 37). Et pour ce faire, la Cour de
justice procède elle-même à l’interprétation de la notion
« autonome », en droit de l’Union européenne, de « compétence établie ». Elle fait ainsi l’économie de la délicate
question de savoir si, en droit procédural français, la caducité de l’instance emporte ou non disparition rétroactive
de la procédure introduite.
La Cour ajoute que la circonstance qu’il y ait eu une autre
procédure en cours au moment de l’introduction de la procédure au Royaume-Uni n’empêche nullement la validité
2. En revanche, en réponse à la seconde question, la CJUE
ne juge pas « pertinent » d’accorder un quelconque poids
à la conduite du demandeur à la toute première procédure pour déterminer si la compétence des juridictions
françaises est établie. L’absence de diligence après que
la procédure a été engagée est sans effet dans le cas présent sur la situation de litispendance.
Mme A se référait par analogie notamment à l’article 16
du règlement qui, pour retenir comme date de la saisine
de la juridiction celle de l’acte introductif (c’est-à-dire en
France et en matière internationale, la date du dépôt de la
requête en divorce), impose au demandeur de ne pas avoir
négligé les mesures qu’il était tenu de prendre pour que
l’acte soit ensuite signifié ou notifié au demandeur.
L’argument avait été écarté par la commission qui estime
que l’article 19 ne contient aucune obligation, pour la partie requérante, de faire avancer le litige avec diligence et
célérité et que chaque partie est libre de procéder de la
manière qu’elle juge appropriée dans le respect de chaque
législation nationale applicable.
Enfin, même si la question n’était posée qu’en filigrane,
dans le contexte plus général de la première question, la
CJUE refuse de se préoccuper du décalage horaire, qui ne
saurait, pour elle, faire obstacle aux règles de l’article 19,
lesquelles sont fondées sur la primauté chronologique.
Ce faisant, la CJUE maintient la solution classique en la
matière et une certaine inégalité dans le rapport de force
en cas de course à la juridiction entre les États de l’Est
de l’Europe, qui disposent d’un avantage horaire en valeur
absolue, et ceux de l’Ouest qui ne peuvent saisir que plus
tard le même jour.
Mais sans doute une réponse satisfaisante à ce problème
est-elle à rechercher davantage dans une modification des
modes de saisine, avec notamment des saisines par voie
électroniques qui puissent être mises en œuvre à toute
heure du jour et de la nuit. Les avocats dormiront moins
bien mais la justice sera mieux assurée.
(...)
G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1
69
G a ze tte Spé ci a li s é e
Jurisp rud e n ce
IV. MINORITÉ
A. Autorité parentale
L’exercice de l’autorité parentale n’est pas un long fleuve tranquille 253p9
1
L’essentiel 1. La Cour de cassation approuve le maintien
de la résidence des mineurs au domicile de leur mère
et estime que l’arrêt a valablement apprécié les faits,
compte tenu de son aptitude à respecter leurs droits, et
accordé à leur père un droit de visite et d’hébergement
adapté.
compte notamment de l’âge de l’enfant ; 5° les renseignements qui ont été recueillis dans les éventuelles enquêtes
et contre-enquêtes sociales prévues à l’article 372-2-12 ;
6° les pressions ou violences, à caractère physique ou psychologique, exercées par l’un des parents sur la personne
de l’autre ».
2. L’arrêt de cassation au visa de l’article 455 du Code de
procédure civile intervient à la suite de la fixation de la
résidence de l’enfant au domicile du père, sans répondre
aux conclusions de la mère faisant valoir qu’elle continuait d’allaiter l’enfant qui n’était pas âgé d’un an.
Cette liste de critères légaux offre au juge un large panel
de critères d’aide à la décision. Cependant, la pratique
a également fait naître d’autres critères, dont un assez
évident : l’entente entre les parents. Tant et si bien que
l’on peut imaginer que ce critère intègre un jour la liste
des critères légaux.
Cass. 1re civ., 23 sept. 2015, no 14-23263, M. X c/ Mme Y, D
(rejet pourvoi c/ CA Versailles, 24 juill. 2014), Mme Batut, prés. ;
SCP Bénabent et Jéhannin, SCP Waquet, Farge et Hazan, av. Cass. 1re civ., 23 sept. 2015, no 14-25027, Mme X c/ M. Y, D
(cassation CA Chambéry, 22 juill. 2014), Mme Batut, prés. ;
SCP Spinosi et Sureau, SCP Waquet, Farge et Hazan, av.
Un critère jurisprudentiel : l’entente entre les parents.
La première espèce (n° 14-23263) est l’occasion de revenir
sur la notion d’entente entre les parents. Cette notion est
aussi un critère d’aide à la décision. En cas de mésentente,
le juge est attentif à sa nature, à son origine et choisira
le mode de résidence en fonction de l’intérêt de l’enfant.
Note par
Anne SANNIER
Avocat au barreau de
Paris, Mulon Associés
C
es deux décisions sont
l’occasion de revenir
spécifiquement sur les
modalités d’exercice de
l’autorité parentale dans le
cas de parents séparés.
Le premier arrêt (Cass. 1re civ., 23 sept. 2015, n° 14-23263)
rappelle le principe selon lequel la fixation habituelle de
la résidence des enfants relève de l’appréciation souveraine des juges du fond. L’intérêt de cette décision porte
sur l’examen des critères, non exhaustifs, permettant au
magistrat de faire ce choix. En l’espèce, la cour d’appel
de Versailles a débouté le père de sa demande de fixation
d’une résidence alternée. Son pourvoi a été rejeté.
Le second arrêt (Cass. 1re civ., 23 sept. 2015, n° 14-25027)
rappelle, assez sévèrement, l’obligation de motivation
des décisions par les juges du fond, en l’espèce dans le
cadre spécifique de fixation des modalités de l’exercice
de l’autorité parentale. La cour d’appel de Chambéry avait
fixé la résidence habituelle de l’enfant au domicile du
père aux motifs que la mère a modifié seule les conditions
d’exercice de la résidence alternée. L’arrêt de cassation
intervient au visa de l’article 455 du Code de procédure
civile selon lequel le jugement doit exposer succinctement
les prétentions respectives des parties et leurs moyens.
Les critères d’aide à la décision. Selon les dispositions
de l’article 373-2-11 du Code civil, « lorsqu’il se prononce
sur les modalités d’exercice de l’autorité parentale, le juge
prend notamment en considération : 1° la pratique que les
parents avaient précédemment suivie ou les accords qu’ils
avaient pu antérieurement conclure ; 2° les sentiments
exprimés par l’enfant mineur dans les conditions prévues
à l’article 388-1 ; 3° l’aptitude de chacun des parents à assumer ses devoirs et respecter les droits de l’autre ; 4° le
résultat des expertises éventuellement effectuées, tenant
70
G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1
L’entente implique notamment une confiance mutuelle
des parents quant à la capacité de l’autre à accomplir son
rôle de parent. Ceci évite des difficultés d’ordre pratique
susceptibles de nourrir le conflit parental. Cette confiance
est en quelque sorte salutaire puisqu’elle permet d’éviter
l’immixtion d’un parent dans la gestion pratique de l’autre.
En effet, la Cour de cassation reprend ici la motivation
de la cour d’appel qui rappelle que le parent qui remet
l’enfant à celui qui exerce le droit de visite et d’hébergement ne doit pas s’immiscer dans son organisation. Ce
raisonnement est transposable à de nombreux cas où l’un
des parents serait tenté de s’immiscer dans la sphère de
l’autre en sollicitant une communication instantanée sur
le déroulé des évènements. La motivation de l’arrêt de la
cour d’appel est donc importante puisqu’elle aborde sans
détour la nécessité de faire confiance à l’autre parent sur
sa manière de prendre en charge l’enfant.
La première espèce est également importante puisqu’elle
fait référence à la communication entre les parents.
L’entente entre eux dépend aussi de l’idée qu’ils se font
de la place de l’autre en tant que parent. Il est justement
précisé que chaque parent dispose d’égales qualités éducatives, même si elles ressortent de registres différents,
et qu’ils sont suffisamment responsables pour prendre
soin de leurs enfants quand ils vivent chez eux.
Cette décision place les deux parents sur un même pied
d’égalité s’agissant de l’exercice de l’autorité parentale.
Celui des deux qui exerce son droit de visite et d’hébergement n’a donc pas moins d’importance dans la prise de
décision que celui chez lequel réside l’enfant.
En l’espèce, la question pratique qui peut paraître anodine
est celle de la remise à l’autre parent du carnet de santé
de l’enfant. Le parent qui exerce le droit de visite doit être
placé sur un même pied d’égalité que l’autre parent et
doit donc se voir remettre les éléments utiles. L’on peut
imaginer le même raisonnement pour les documents administratifs ou, tout simplement, le cahier de classe.
G a z e tte Sp é cia lisée
J u r i s p r u de n c e
L’entente entre les parents est donc facilitée par un
mode de communication sain qui résulte inévitablement
de l’idée selon laquelle aucun des parents n’a la primeur
dans l’exercice de l’autorité parentale.
L’approche de l’entente peut être différente. Pour certains
juges, elle exclura par exemple la fixation d’une résidence
alternée (1). Pour d’autres, elle ne suffira pas à écarter
ce mode de résidence (2) (3). Pour parvenir à la décision,
le juge s’attachera à la nature du conflit qui oppose les
parents, parfois en ordonnant une expertise médico-psychologique (4), ce qui est le cas dans la première espèce (5).
Liste de critères non exhaustive. La liste des critères visée
ci-dessus n’est donc pas exhaustive. La première espèce
le confirme. La cour d’appel de Versailles s’est fondée sur
l’existence d’un conflit parental qualifié « d’aigu et persistant » afin de maintenir les enfants au domicile de la mère.
Le refus d’accéder à la mise en place d’une résidence alternée sollicitée par le père peut presque s’analyser en
une sanction des deux parents. En effet, la cour d’appel
leur suggère indirectement de prendre la mesure des
conséquences néfastes de leur attitude respective sur les
enfants. Dans le cadre de son appréciation souveraine, le
juge a également pris en considération l’état de la relation
entre le père et ses enfants.
C’est ensuite sous l’angle de deux critères légaux que le
juge a fondé sa décision. En effet, la cour d’appel s’est
référée aux besoins affectifs des enfants librement exprimés dans le cadre de l’enquête sociale. Elle a également
évalué l’aptitude de chacun des parents à assumer ses
devoirs et respecter les droits de l’autre.
Critère et finalité recherchée : l’intérêt de l’enfant.
Ces éléments ont en l’espèce permis à la cour d’appel
d’apprécier de manière globale le choix de la résidence
des enfants. Cependant, il est important de rappeler que
la décision a été prise in fine au regard d’un critère plus
élevé, à savoir l’intérêt supérieur des enfants au sens de
l’article 373-2-6 du Code civil. La recherche de cet intérêt
prédomine dans la décision du juge. Ce critère plus élevé
s’explique par le fait que l’autorité parentale a pour finalité
(1) CA Versailles, 22 juill. 2010, n° 09/06243.
(2) CA Paris, 3 févr. 2011, n° 09/16638 – CA Paris, 25 nov. 2010, n° 09/17105 –
CA Caen, 18 mars 2010, n° 09/01421.
(3) CA Rennes, 11 févr. 2008, n° 05/07247 – CA Lyon, 21 nov. 2006,
n° 06/02333 – CA Aix-en-Provence, 3 oct. 2006, n° 05/14296 – CA Dijon,
27 juill. 2006, n° 05/00139 – CA Aix-en-Provence, 2 févr. 2006, n° 04/19946 –
CA Aix-en-Provence, 16 déc. 2005, n° 03/15312.
(4) CA Rennes, 10 févr. 209, n° 08/01854 – CA Versailles, 4 nov. 2008,
n° 07/08027.
(5) Rép. min. à QE n° 12372 : JO AN Q12 août 2008, p. 6979 ; Rép. min. à QE
n° 12373 : JO AN Q 12 août 2008, p. 6979.
l’intérêt de l’enfant, lequel ne doit pas se confondre avec
celui des parents (6).
Un exercice d’autorité parentale parfois difficile à respecter. L’exercice de l’autorité parentale reste une source
de conflits potentiels entre les parents dans le prolongement de leur séparation. La seconde espèce (n° 14-25027)
en est la démonstration. La mère d’un nourrisson a déménagé avec lui sans prévenir le père. Ce dernier s’est alors
vu privé de la possibilité d’exercer son droit de visite et
d’hébergement dans des conditions normales. La mère a
fait valoir qu’elle continuait d’allaiter l’enfant qui n’était
pas âgé d’un an. En ne répondant pas sur ce point précis
aux conclusions de la mère, la haute cour a considéré que
la cour d’appel n’a pas satisfait à l’obligation de motivation
au visa de l’article 455 du Code de procédure civile.
En dépit de la violation flagrante par la mère de l’autorité
parentale, la Cour de cassation donne à comprendre, tout
en se rangeant derrière un argument procédural, que ce
comportement bien qu’irrespectueux des droits de l’autre
parent, force l’attention et la motivation via la prise en
compte de toutes les explications. Ce que n’a pas fait la
cour d’appel.
Cette décision s’inscrit dans le prolongement d’une décision récente de la Cour de cassation( (7)) qui casse un arrêt
de cour d’appel pour insuffisance de motivation. Dans
cette espèce était en cause le déménagement soudain de
la mère en violation de l’autorité parentale. La Cour de
cassation considère dans cette espèce que la cour d’appel
n’a pas suffisamment pris en compte la violation par la
mère de l’autorité parentale.
Il ressort de l’ensemble de ces décisions, tant d’un point de
vue procédural que factuel, une exigence particulière dans
la démonstration des modalités d’exercice de l’autorité
parentale. Quelles que soient les conditions revendiquées
par les parents, il leur appartient de ne pas empêcher son
exercice. Il appartient ensuite au juge de statuer une fois
toutes les demandes des parents prises en considération.
Le critère et la finalité générale recherchée restent in fine
l’intérêt de l’enfant.
(6) Cass. 1re civ., 8 nov. 2005, n° 02-18360 : RJPF 2006/2-48, obs. F. Eudier –
CA Versailles, 6 janv. 2009, n° 07/00294 – CA Lyon, 20 avr. 2006 : Juris-data
n° 2006-312132 – CA Rennes, 20 mars 2006 : Juris-data n° 2006-316612.
(7) Cass. 8 juill. 2015, n° 14-22101.
Droit de visite et d’hébergement : obligation pour le juge de fixer les modalités,
sans possibilité de délégation de cette tâche à la volonté du mineur 253q0
1
L’essentiel En décidant que le droit de visite et d’hébergement du père sera exercé avec l’assentiment de l’enfant,
la cour d’appel, qui a subordonné l’exécution de sa décision à la volonté du mineur, a violé les articles 373-2,
alinéa 2, et 373-2-9, alinéa 3, du Code civil.
Cass. 1re civ., 23 sept. 2015, no 14-22636, Mme X c/ M. Y, D
(cassation partielle sans renvoi CA Reims, 23 mai 2014), Mme Batut,
prés. ; SCP Gadiou et Chevallier, SCP Rousseau et Tapie, av.
G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1
71
G a ze tte Spé ci a li s é e
Jurisp rud e n ce
E
ncore une fois, la Cour de
cassation souligne que
Delphine HORNECKER
les juges du fond doivent
Avocat au barreau de
préciser les modalités du
Paris, cabinet Mulon
droit de visite et d’hébergeAssociés
ment qu’ils fixent, et qu’ils
ne peuvent s’en remettre à la volonté d’une tierce personne, même s’il s’agit de la volonté de l’enfant lui-même.
Note par
La cour d’appel décide, en l’espèce, de confirmer la résidence de l’enfant au domicile du père en prenant le soin
de motiver sa décision sur la souffrance de l’enfant et son
mal-être et en précisant qu’« il importe, par souci d’apaisement du mineur, de préciser que le droit de visite et
d’hébergement accordé à la mère suppose l’assentiment
de l’enfant (..). ».
à l’enfance (3), ou encore par les services de l’espace
rencontre (4).
Serait-il réellement raisonnable de déléguer un tel pouvoir à une autre autorité que le pouvoir judiciaire (5) ? Une
telle déjudiciarisation serait une porte ouverte à nombre
de dérives dans la mesure où si on fait appel au pouvoir
judiciaire, c’est bien parce que les parents n’ont pas réussi
à se mettre d’accord entre eux et qu’un mineur, parfois
instrumentalisé par l’un des parents, voire les deux, ne
peut décider pour lui-même.
C’est ce motif qui conduit la Cour de cassation à censurer l’arrêt d’appel, le droit de visite et d’hébergement ne
pouvant être assorti d’une condition tenant à l’accord du
mineur.
Cette décision, qui doit être approuvée, s’inscrit dans
le droit fil de la jurisprudence (1). En effet, celle-ci est
constante pour refuser notamment que la fréquence et la
durée des périodes au cours desquelles un parent pourrait exercer son droit d’accueil à l’égard de l’enfant soient
déterminées par le bon vouloir des parents en l’absence
d’accord entre eux (2), par le Service de l’aide sociale
(1) Cass. 1re civ., 28 mai 2015, n° 14-16511 : D. 2015, p. 1207.
(2) Cass. 1re civ., 23 nov. 2011, n° 10-23391 : D. 2011, p. 2934 ; D. 2012, p. 635,
chron. B. Vassallo et C. Creton ; AJ famille 2012, p. 46, obs. C. Siffrein-Blanc ;
RTD civ. 2012. p. 111, obs. J. Hauser.
(3) Cass. 1re civ., 28 janv. 2003, n° 14-16511 : Dr et patr., mars 2003, n° 462 ;
D. 2003, p. 862 – Cass. 1re civ., 13 oct. 1998, n° 98-05008 : Bull. civ. I, n° 297 ;
D. 1999, p. 123, note M. Huyette ; D. 2001, obs. F. Granet ; RDSS 1999,
p. 187, obs. F. Monéger ; RTD civ. 1999, p. 75, obs. J. Hauser – Cass. 1re civ.,
28 janv. 2003, n° 00-05070 : RTD civ. 2003, p. 281, obs. J. Hauser – Cass.
1re civ., 13 mars 2007, n° 06-11674 : AJ famille 2007, p. 231, obs. F. C. ;
D. 2007, p. 1084 ; D. 2007, p. 2192, obs. A. Gouttenoire et L. Brunet ; RTD
civ. 2007, p. 329, obs. J. Hauser.
(4) Cass. 1re civ., 10 juin 2015, n° 14-12592.
(5) J. Hauser, « Toujours non au droit de visite purement potestatif » : RTD civ.
2015, p. 600.
Conflit parental autour du baptême religieux : la recherche indispensable de l’intérêt
supérieur de l’enfant 253q8
1
L’essentiel Après avoir exactement rappelé que le conflit
d’autorité parentale relatif au baptême des enfants devait
être tranché en fonction du seul intérêt des enfants, la
cour d’appel a relevé par motifs propres et adoptés, d’une
part, que les enfants âgés de six et sept ans ne souhaitaient pas être baptisés car ils ne comprenaient pas le
sens de cette démarche, d’autre part, qu’ils ne souhaitaient pas, en l’état, revoir leur père, dont les droits de
visite avaient été suspendus en raison de son comportement menaçant et violent, qu’elle en a souverainement
déduit, sans méconnaître la liberté de conscience et de
religion du père, qu’en l’état du refus de la mère, la demande de ce dernier, qui n’était pas guidée par l’intérêt
supérieur des enfants, devait être rejetée.
Cass. 1re civ., 23 sept. 2015, no 14-23724, M. X c/ Mme Y, PB
(rejet pourvoi c/ CA Limoges, 10 sept. 2013), Mme Batut, prés. ;
SCP Lesourd av.
72
G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1
Note par
Sophie MALBAUTMANAS
Avocat au barreau de
Paris, Mulon Associés
C
et arrêt est une illustration supplémentaire de
la place fondamentale de
la notion de « l’intérêt de
l’enfant » en cas de conflit
parental.
Il rappelle que le choix de la religion ou de l’absence de
religion de l’enfant doit être guidé par ce seul intérêt.
En l’espèce, un père exerçant conjointement l’autorité
parentale a assigné la mère de leurs enfants nés en 2005
et 2006 afin d’être autorisé à les faire baptiser, la mère
s’y opposant. La situation était d’autant plus conflictuelle
que les enfants avaient fait l’objet d’un placement à l’Aide
sociale à l’enfance et que les droits de visite du père
avaient été suspendus en raison de son comportement
violent et menaçant.
Les juges du fond ont débouté le père de sa demande, en
relevant, d’une part, que les enfants ne souhaitaient pas
être baptisés et, d’autre part, la nature conflictuelle de la
relation entre le père et les enfants. Ils en ont ainsi déduit
que la demande du père n’était pas conforme à l’intérêt
supérieur des enfants, sans que celui-ci puisse opposer
G a z e tte Sp é cia lisée
J u r i s p r u de n c e
sa liberté de conscience et de religion pour imposer à ses
enfants une religion dont ils ne voulaient pas.
La solution pouvait difficilement être autre, en pratique,
compte tenu des faits de l’espèce. Pour autant, elle n’est
pas toujours aussi évidente, l’un des parents pouvant,
après la séparation, évoluer dans son appréhension ou
dans sa pratique de la religion, ce qui n’est pas sans poser
difficulté pour les enfants, surtout lorsque cette religion a
été pratiquée au cours de la vie commune par l’ensemble
de la famille.
Dès lors, en cas de désaccord sur cette pratique religieuse, décision qui relève de l’exercice en commun de
l’autorité parentale, le juge aux affaires familiales doit être
saisi par l’un des parents. Il statuera en tenant compte du
choix des parents au temps de la vie familiale (1).
(1) Cass. 1re civ., 11 juin 1991, n° 89-20878 : D. 1991, p. 521 note P. Mallaurie –
CA Douai, ch. conseil, 8 janv. 2013 n° 12/03506 : Dr. famille 2013, n° 69,
obs. C. Neirinck.
Cette pratique, cependant, ne sera pas retenue lorsqu’elle
présente un danger pour l’enfant ou, tout simplement,
lorsqu’elle est contraire à son intérêt.
Ainsi, l’importance de ce critère est ici à nouveau rappelée
par la haute juridiction qui procède en matière d’orientation religieuse comme elle a eu l’occasion de le faire en
matière d’orientation scolaire (2).
Pour autant, cette notion doit être maniée avec précaution
tant le choix et la pratique d’une religion pour les enfants
peuvent être l’occasion, pour l’un des parents, d’instrumentaliser l’enfant et de l’éloigner de l’autre parent.
(2) CA Paris, P. 3, 3e ch., 7 juill. 2010, n° 10/06190 : Juris-Data n° 2010-013176 –
Cass. 1re civ., 8 nov. 2005, n° 02-18360 : Bull. civ. I, n° 404 – CA Douai, ch. 7,
sect. 2, 28 août 2014, n° 14/05205 ; AJ famille 2014, p. 556., obs. E. Bazin.
B. Résidence de l’enfant
Rappel de la règle du rattachement fiscal des enfants en résidence alternée 253t2
1
L’essentiel La règle du partage de la majoration du
quotient familial entre les parents en cas de résidence
alternée des enfants peut être écartée s’il est justifié que
l’un d’entre eux assume la charge principale des enfants.
Cass. 1re civ., 9 sept. 2015, no 14-23687, M. X c/ Mme Y, PB
(cassation partielle CA Colmar, 24 juin 2014), Mme Batut, prés. ;
SCP Masse-Dessen, Thouvenin et Coudray, SCP Rocheteau et
Uzan-Sarano, av.
L
es conséquences fiscales
des différentes organiLou BEN SIMON
sations familiales sont bien
souvent au centre des préoccupations des justiciables. En ce domaine, les règles
fiscales ne sont pas toujours évidentes à appliquer et à
anticiper.
Note par
Si l’arrêt du 9 septembre 2015 de la première chambre
civile de la Cour de cassation n’est qu’une illustration des
dispositions du Code général des impôts (CGI), il permet
néanmoins de rappeler le fonctionnement du rattachement fiscal des enfants mineurs en cas de résidence
alternée.
Les faits de l’espèce étaient relativement simples : dans le
cadre d’une instance en divorce, l’époux demandait à bénéficier de l’intégralité des parts fiscales des deux enfants
résidant en alternance au domicile de chacun des parents
et pour l’entretien desquels il versait une contribution à
leur mère.
La cour d’appel de Colmar déboute le père de sa demande
au motif qu’en cas de résidence alternée, chacun des
parents se voit rattacher la moitié des parts fiscales apportées par les enfants.
Cette décision est cassée par la Cour de cassation au visa
de l’article 194 du CGI qui vise expressément le cas de
la résidence alternée, en prévoyant qu’à défaut de disposition contraire dans la convention homologuée par le
juge, la décision judiciaire ou l’accord entre les parents,
les enfants mineurs sont réputés être à la charge égale
de l’un et de l’autre parent, ce qui entraîne un partage
entre les parents des parts fiscales des enfants. Il s’agit
cependant uniquement d’une présomption, ce même
article disposant que celle-ci « peut être écartée s’il est
justifié que l’un d’entre eux assume la charge principale
des enfants ».
En rejetant la demande du père tendant au rattachement
des deux enfants à son seul foyer fiscal, sans rechercher
si celui-ci avait ou non la charge principale des enfants, la
cour d’appel de Colmar a donc violé l’article 194 du CGI, ce
qui est sanctionné par la Cour de cassation.
Cette possibilité est intéressante lorsque l’un des parents
verse, comme en l’espèce, une contribution à l’entretien
et à l’éducation des enfants, car celui-ci ne peut déduire
de ses revenus imposables la pension qu’il verse pour eux
s’ils sont rattachés à son foyer fiscal (CGI, art. 156 II 2°), de
sorte que bénéficier de l’intégralité des parts fiscales des
enfants représente nécessairement un avantage.
Il convient néanmoins d’être vigilant à ce que les conditions posées par le Code général des impôts soient bien
remplies dans les faits, les qualifications civiles ne s’imposant pas à l’administration fiscale.
(...)
G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1
73
G a ze tte Spé ci a li s é e
Jurisp rud e n ce
F. Minorité et droit international privé
La demande relative à une obligation alimentaire concernant un enfant est accessoire
à l’action relative à la responsabilité parentale 253s7
1
L’essentiel L’article 3 du règlement (CE) n° 4/2009 du
18 décembre 2008 doit être interprété en ce sens que
lorsqu’une juridiction d’un État membre est saisie d’une
action portant sur la séparation ou la rupture du lien
conjugal entre les parents d’un enfant mineur et qu’une
juridiction d’un autre État membre est saisie d’une action
en responsabilité parentale concernant cet enfant, une
demande relative à une obligation alimentaire concernant ce même enfant est uniquement accessoire à
l’action relative à la responsabilité parentale au sens de
l’article 3 d) du règlement.
CJUE, 3e ch., 16 juill. 2015, no C-184/14, A c/ B, M. Ilešič,
prés. ch., M. Caoimh, Mme C. Toader, rapp., MM. Jarašiūnas et
Fernlund, juges, M. Bot, av. gén.
D
eux époux italiens,
résidant de manière
Sarajoan HAMOU
permanente à Londres, s’opAvocat au barreau de
posaient au sujet d’une
Paris, associé, Mulon
demande relative à une obliAssociés
gation alimentaire en faveur
de leurs enfants mineurs. Le père introduit une action
contre la mère en Italie, visant à ce que soit ordonnée
leur séparation aux torts de l’épouse et à ce que la garde
des enfants soit partagée entre eux. Il propose également
de verser la somme mensuelle de 4 000 € au titre de la
contribution aux frais d’éducation et de soin des enfants.
La mère forme une demande reconventionnelle afin que
la séparation soit prononcée aux torts de l’époux avec
l’octroi d’une pension mensuelle de 18 700 €, en soulevant toutefois l’incompétence du juge italien pour ce
qui relève du droit de garde, du lieu de résidence et de
la contribution à l’entretien des enfants dans la mesure
où les enfants résident en Angleterre et que c’est donc la
juridiction britannique qui devrait être compétente sur ces
points, en application du règlement Bruxelles II bis.
Note par
Dans une première ordonnance, le tribunal de Milan se
déclare compétent pour statuer sur la séparation de corps
en application de l’article 3 du règlement Bruxelles II bis,
mais déclare que seules les juridictions britanniques sont
compétentes, sur le fondement de l’article 8 du même
règlement, pour connaître des questions liées à la responsabilité parentale, les enfants résidant habituellement
à Londres. L’époux introduit parallèlement un recours
devant la High Court of Justice pour qu’il soit statué sur les
modalités d’exercice de l’autorité parentale.
S’agissant des pensions alimentaires, le tribunal italien
distingue entre celle destinée à l’épouse et celle destinée aux enfants. Ainsi, il se considère compétent pour
connaître de la demande de pension en faveur de l’épouse,
s’agissant d’une demande accessoire à une action relative à l’état des personnes (la séparation de corps). En
revanche, le tribunal décide qu’il n’est pas compétent pour
statuer sur la demande de pension alimentaire relative
74
G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1
aux enfants, celle-ci étant accessoire à l’action relative
à la responsabilité parentale pour laquelle la juridiction
italienne n’est pas compétente.
Le père forme alors un pourvoi devant la Cour de cassation qui sursoit à statuer et pose à la Cour de justice de
l’Union européenne (CJUE) une question préjudicielle sur
le point de savoir si l’article 3 du règlement (CE) n° 4/2009
du 18 décembre 2008 doit être interprété en ce sens que
lorsqu’une juridiction d’un État membre est saisie d’une
action portant sur la séparation ou la rupture du lien
conjugal entre les parents d’un enfant mineur et qu’une
juridiction d’un autre État membre est saisie d’une action
portant sur la responsabilité parentale concernant cet
enfant, une demande relative à une obligation alimentaire
concernant cet enfant peut être tranchée tant par le juge
compétent pour connaître de l’action en séparation en tant
qu’accessoire à l’action relative à l’état des personnes au
sens de l’article 3 c) du règlement, que par le juge compétent pour connaître de l’action relative à la responsabilité
parentale en tant que demande accessoire à celle-ci au
sens de l’article 3 d) ou si une telle demande doit nécessairement être tranchée par la juridiction compétente pour
connaître de l’action relative à la responsabilité parentale.
La compétence des juridictions des États membres en matière d’obligations alimentaires est désormais réglée par
le règlement (CE) n° 4/2009 qui prévoit, en son article 3,
une règle de compétence générale en faveur de la juridiction du lieu où le défendeur ou le créancier a sa résidence
habituelle. Est également compétente pour statuer sur les
obligations alimentaires, la juridiction qui est compétente
selon la loi du for pour connaître d’une action relative à
l’état des personnes ou à la responsabilité parentale
lorsque la demande relative à une obligation alimentaire
est accessoire à cette action, sauf si cette compétence est
fondée uniquement sur la nationalité d’une partie.
Il convient donc d’interpréter la notion de demande accessoire au regard du règlement. La CJUE précise que cette
interprétation ne saurait être laissée à l’appréciation des
juridictions de chaque État membre en fonction de leur
droit national, eu égard à l’exigence d’application uniforme
du droit de l’Union dans la mesure où l’article 3 du règlement ne renvoie pas au droit des États membres pour la
détermination du sens et de la portée de cette notion. En
effet, la notion de demande accessoire doit trouver une
interprétation autonome et uniforme (CJUE, 30 avr. 2014,
n° C-26/13, Kasler et Kaslerné Rabai, pt 37) et doit être
recherchée en tenant compte du libellé de la disposition
en cause ainsi que du contexte de celle-ci et de l’objectif
poursuivi par la règlementation concernée (CJCE, 2 avr.
2009, n° C-523/07, pt 34).
Ainsi, la Cour se base sur une interprétation littérale de
l’article 3 qui distingue bien les actions relatives à l’état
des personnes de celles relatives à la responsabilité parentale. Le caractère alternatif des critères d’attribution
de compétence ne permet pas d’établir sans équivoque si
cela implique que les demandes relatives aux obligations
G a z e tte Sp é cia lisée
J u r i s p r u de n c e
alimentaires pour un enfant ne sont accessoires qu’à une
action relative à la responsabilité parentale ou si les demandes peuvent également être accessoires à une action
relative à l’état des personnes.
Il convient de relever que le règlement Bruxelles II bis
opère une distinction entre le contentieux relatif au
divorce, à la séparation de corps et à l’annulation du
mariage, d’une part, et celui concernant l’attribution,
l’exercice, la délégation, le retrait total ou partiel de la
responsabilité parentale, d’autre part. La CJUE souligne
qu’une demande relative aux obligations alimentaires
concernant les enfants mineurs est intrinsèquement liée
à l’action en responsabilité parentale. Quant aux objectifs poursuivis par le règlement (CE) n° 4/2009, il s’agit
de préserver les intérêts des créanciers d’aliments et de
favoriser une bonne administration de la justice au sein
de l’Union.
La Cour conclut, en réponse à la question posée, que l’article 3 du règlement doit être interprété en ce sens que
lorsqu’une juridiction d’un État membre est saisie d’une
action portant sur la séparation ou la rupture du lien
conjugal entre les parents d’un enfant mineur et qu’une
juridiction d’un autre État membre est saisie d’une action
en responsabilité parentale concernant cet enfant, une
demande relative à une obligation alimentaire concernant
ce même enfant est uniquement accessoire à l’action relative à la responsabilité parentale au sens de l’article 3 d)
du règlement. Nous ne pouvons que saluer la clarification
apportée par la Cour sur ce point.
La demande de délivrance d’un passeport au nom de l’enfant par un parent seul relève
de la responsabilité parentale au sens du règlement Bruxelles II bis 253q7
1
L’essentiel L’action par laquelle l’un des parents demande
d’une part au juge de pallier le défaut de consentement
de l’autre parent au voyage de leur enfant en dehors de
l’État membre de résidence de celui-ci, et d’autre part la
délivrance d’un passeport au nom de cet enfant, relève du
champ d’application matériel du règlement n° 2201/2003
dit Bruxelles II bis.
CJUE, 4e ch., 21 oct. 2015, no C-215/15, Gogova c/ Iliev, M. Bay
Larsen, ff. prés., MM. Malenovský, Safjan, Mmes Prechal et Jürimäe
(rapp.), juges, M. Mengozzi, av. gén.
D
eux ressortissants bulgares, résidant en Italie,
Sarajoan HAMOU
ont un enfant, également de
nationalité bulgare. La mère
souhaite obtenir le renouvellement du passeport de l’enfant afin de pouvoir voyager avec lui en Bulgarie. Or, selon
le droit bulgare, la décision concernant le voyage d’un
enfant mineur et l’obtention d’un passeport à son nom
est prise d’un commun accord par les parents. D’ailleurs,
la demande d’un passeport doit être faite par les deux
parents ensemble auprès des autorités administratives
compétentes. Le père ne s’associe pas à la demande de
la mère pour la délivrance d’un nouveau passeport au
nom de l’enfant. La mère introduit alors une demande
devant un juge bulgare afin que soit tranché leur désaccord concernant la possibilité pour leur enfant de voyager
en dehors du territoire national et la délivrance d’un nouveau passeport. Dans l’impossibilité de notifier la requête
introductive d’instance au père (qui était introuvable à son
adresse déclarée), le magistrat désigne un mandataire
ad litem pour le représenter. Ce mandataire ne conteste
pas la compétence des juridictions bulgares et déclare
que le litige doit être résolu en fonction de l’intérêt de
l’enfant.
Note par
Le juge bulgare considère que la demande de la mère
relève de l’article 127 a du Code de la famille bulgare et
concerne la responsabilité parentale à l’égard d’un enfant, au sens de l’article 8 (1) du règlement n° 2201/2003.
Ainsi, constatant que l’enfant résidait habituellement en
Italie, le tribunal se déclare incompétent. La mère interjette alors appel de cette ordonnance et tente de fonder la
compétence des juridictions bulgares sur l’article 12 dudit
règlement (2), ce qui est également rejeté.
La mère va alors devant la Cour de cassation qui sursoit
à statuer et interroge la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) par le biais de questions préjudicielles afin
de savoir si l’absence de consentement d’un parent pour
la délivrance du passeport de l’enfant relève ou non de la
compétence du règlement n° 2201/2003 dit Bruxelles II bis.
Plus précisément, il s’agit de déterminer si une telle procédure concerne la « responsabilité parentale » au sens
de l’article 2, point 7, du règlement. De plus, la Cour est
interrogée sur la possibilité de fonder la compétence des
juridictions bulgares sur l’article 12 du règlement compte
tenu du fait que le mandataire désigné pour représenter
le père n’a pas contesté la compétence des juridictions
bulgares.
S’agissant de la première question, la CJUE précise que
la notion de « responsabilité parentale » fait l’objet, à l’article 2 du règlement n° 2201/2003, d’une définition large
en ce qu’elle comprend l’ensemble des droits et des obligations conférés à une personne physique ou morale sur
la base d’une décision judiciaire, d’une attribution de plein
droit ou d’un accord en vigueur, à l’égard de la personne
(1) Art. 8 : « 1. Les juridictions d’un État membre sont compétentes en matière
de responsabilité parentale à l’égard d’un enfant qui réside habituellement dans
cet État membre au moment où la juridiction est saisie. 2. Le paragraphe 1
s’applique sous réserve des dispositions des articles 9, 10 et 12 ».
(2) Art. 12.3 : « Les juridictions d’un État membre sont également compétentes en
matière de responsabilité parentale dans des procédures autres que celles visées
au paragraphe 1 lorsque a) l’enfant a un lien étroit avec cet État membre du fait,
en particulier, que l’un des titulaires de la responsabilité parentale y a sa résidence
habituelle ou que l’enfant est ressortissant de cet État membre et b) leur compétence a été acceptée expressément ou de toute autre manière non équivoque
par toutes les parties à la procédure à la date à laquelle la juridiction est saisie et
la compétence est dans l’intérêt supérieur de l’enfant ».
G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1
75
G a ze tte Spé ci a li s é e
Jurisp rud e n ce
ou des biens d’un enfant (3). Par ailleurs, l’article 1er, § 2, du
règlement énumère les matières couvertes par le règlement au titre de la « responsabilité parentale », mais cette
énumération n’est pas exhaustive, comme le démontre
l’utilisation du terme « notamment » (4).
Afin de déterminer si une demande entre dans le champ
d’application du règlement Bruxelles II bis, la Cour rappelle qu’il y a lieu de s’attacher à l’objet de celle-ci. En
l’espèce, dans l’action introduite par la mère, le juge est
amené à se prononcer sur la nécessité, pour l’enfant
concerné, d’obtenir un passeport et sur le droit du parent
requérant de déposer la demande afférente à ce passeport
ainsi que de voyager à l’étranger sans le consentement
de l’autre parent. La Cour conclut qu’une telle action relève de la responsabilité parentale au sens de l’article 1er
du règlement, d’autant qu’une telle action ne relève pas
des exceptions limitativement énumérées au § 3 de cet
article. La Cour prend également le soin de préciser qu’il
y a lieu de considérer qu’une telle action avait bien pour
objet l’exercice de la responsabilité parentale au sens du
règlement, peu important que l’objectif ait été d’obtenir
une décision spécifique à une difficulté ponctuelle et non
de définir les modalités d’exercice de la responsabilité
parentale dans son ensemble.
Par ailleurs, la CJUE a l’occasion de se prononcer sur
l’article 12 du règlement et sur ce qu’on entend par
compétence « acceptée expressément ou de toute autre
manière non équivoque par toutes les parties à la procédure ». Rappelons que l’article 8 du règlement pose une
règle de compétence générale en faveur des juridictions
de l’État membre dans lequel l’enfant réside habituellement en matière de responsabilité parentale. À cette règle
générale s’ajoutent des exceptions et des cas de prorogation de compétence. L’article 12, § 3, prévoit ainsi que
les juridictions d’un État membre sont compétentes en
matière de responsabilité parentale lorsque leur compétence a été acceptée expressément ou de toute autre
manière non équivoque par toutes les parties à la procédure à la date à laquelle la juridiction est saisie, et que la
compétence est dans l’intérêt supérieur de l’enfant. Or,
en l’espèce, il s’agissait de déterminer si ce principe s’applique dans l’hypothèse où le père ne s’est pas manifesté
dans la procédure et est représenté par un mandataire.
L’arrêt retient que la compétence ne saurait être considérée comme ayant été acceptée expressément ou de toute
autre manière non équivoque par toutes les parties à la
procédure, au seul motif que le mandataire représentant
le défendeur n’a pas soulevé l’incompétence du juge.
Il n’est pas certain qu’il faille tirer une règle générale de
cet arrêt s’agissant de l’interprétation de l’article 12, § 3,
du règlement, la position de la Cour étant plutôt liée aux
faits de l’espèce, contrairement à la réponse à la première
question qui peut tenir lieu d’enseignement général quant
à la définition de la « responsabilité parentale » dans le
cadre du règlement Bruxelles II bis.
(3) CJUE, gde ch., 27 nov. 2007, n° C-435/06, EU:C:2007:714, pt 49 ; CJUE,
2e ch., 26 avr. 2012, n° C-92/12 PPU, EU:C:2012:255, pt 59.
(4) CJUE, gde ch., 27 nov. 2007, préc. pt 30 ; CJUE, 2e ch., 26 avr. 2012, préc.,
pt 63.
V. FILIATION
Imprescriptibilité de l’action en recherche de paternité et ordre public international :
un arrêt attendu 253q9
1
L’essentiel La Cour de cassation approuve les juges
d’appel d’avoir appliqué la loi allemande à une action en
recherche de paternité, même si, contrairement au droit
français, le droit allemand ne prescrit pas l’exercice de
cette action. En effet, la Cour de cassation considère que
cette circonstance est à elle seule insuffisante à caractériser une contrariété à l’ordre public international
français.
Cass. 1re civ., 7 oct. 2015, no 14-14702, Consorts Y c/ Mmes X,
PB (rejet pourvoi c/ CA Paris, 28 janv. 2014), Mme Batut, prés. ;
SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, SCP Spinosi et Sureau, av.
D
ans cette espèce, deux
sœurs ont été inscrites
Camille ANGER
sur les registres de l’état
Avocat au barreau de
civil français, comme nées
Paris, BWG Associés
de père français et de mère
allemande, à la suite de leur
action en reconnaissance de paternité.
Note par
Après le décès de leur père, elles ont assigné sa veuve et
ses quatre filles légitimes pour faire constater leur filiation paternelle. Le juge de première instance a déclaré
la loi allemande applicable et ordonné, avant dire droit,
une expertise biologique. La cour d’appel a confirmé cette
décision en ce que, selon l’article 311-14 du Code civil,
la filiation est régie par la loi personnelle de la mère au
jour de la naissance de l’enfant, et qu’en l’espèce, il n’est
pas contesté que la mère était de nationalité allemande
au jour de la naissance de Chantal X et Nadia X, les deux
sœurs à l’origine de l’action.
Les quatre filles légitimes du père forment donc un
pourvoi contre cet arrêt, arguant du fait que la loi allemande, déclarant imprescriptible l’action en recherche de
76
G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1
G a z e tte Sp é cia lisée
J u r i s p r u de n c e
paternité, devait être écartée par le juge français comme
contraire à l’ordre public international français.
Leur argumentation est rejetée par la Cour de cassation,
laquelle, dans un attendu laconique, affirme que la mise
en œuvre d’une loi étrangère, valablement désignée par
la règle de conflit de l’article 311-14 du Code civil français, qui « (...) ne soumettait pas l’exercice de l’action en
constatation judiciaire de paternité à un délai de prescription, à la différence du droit français, cette circonstance
était à elle seule insuffisante à caractériser une contrariété à l’ordre public international français conduisant à
l’éviction de la loi étrangère (...) ».
Dès lors que l’on touche à la paix des familles et à la stabilité des liens familiaux, la jurisprudence semble évoluer
à tâtons.
Ainsi la Cour de cassation a-t-elle déclaré conformes à
l’ordre public international français des lois étrangères
instaurant un délai plus long ou plus court que celui prévu
par la loi française (1).
En revanche, concernant non plus la durée du délai, mais
l’imprescriptibilité de l’action, la jurisprudence de la Cour
de cassation a oscillé. Elle a d’abord considéré que même
les lois qui ne prescrivent aucun délai ne portent pas atteinte à l’ordre public international (2). Mais, par la suite,
dans une décision du 13 novembre 1979, la Cour a estimé
que la loi du 3 janvier 1972 avait fait évoluer l’ordre public
international, dans un souci de stabilité des filiations, en
prévoyant la prescriptibilité des actions en matière de
filiation, et qu’au jour où elle statuait, cette loi traduisait
une « conception actuelle fondamentale au sens de l’ordre
public international français » qui justifiait d’écarter
l’application de la loi étrangère, rendant imprescriptible
l’action en contestation de paternité (3).
Au nom de ce même principe d’actualité de l’ordre public
international, il fallait s’interroger, dans l’affaire commentée, sur l’état actuel du droit interne français de la
filiation, et sur une éventuelle nouvelle évolution de l’ordre
public international français en la matière, susceptible de
remettre en cause cette jurisprudence de 1979.
En effet, la réforme de 2005 a allongé le délai de prescription de deux à dix ans. On pourrait donc considérer
que l’ordonnance de 2005 entend favoriser les actions en
reconnaissance de paternité en allongeant les délais, mais
on pourrait également lire dans cette réforme le maintien
de limites, et donc le souci de ne pas troubler les situations au-delà d’un délai raisonnable.
L’arrêt du 7 octobre dernier marque donc un tournant,
d’autant plus que, jusqu’à présent, aucune distinction ne
semblait avoir été faite entre les actions ayant pour but la
(1) Cass. 1re civ., 10 mai 1960 : Rev. crit. DIP 1960, p. 250, note H. Batiffol –
CA Paris, 9 mai 1980 : Rev. crit. DIP 1980, p. 603, note J. Foyer – Cass. soc.,
12 juill. 2010, n° 07-44655 : Rev. crit. DIP 2011, p. 72, note V. Parisot – Cass.
1re civ., 6 oct. 2010, n° 09-10530. Contra : Cass. 1re civ., 30 nov. 1938 : DP
1939, p. 57.
(2) Cass. 1re civ., 10 mai 1960 : Rev. crit. DIP 1960, p. 250, note H. Batiffol.
(3) Cass. 1re civ., 13 nov. 1979, n° 78-12634 : Gaz. Pal. Rec. 1980, t. 2, p. 764 ;
Rev. crit. DIP 1980, p. 753.
contestation d’une filiation déjà existante et celles tendant
à faire établir l’existence d’une filiation ; les deux seules
décisions précédentes concernant l’établissement de la
filiation étaient des arrêts de cours d’appel, qui plus est
en sens contraire (4).
Ainsi donc, à contre-courant d’une jurisprudence établie
quant à la contestation de paternité, la Cour de cassation
statue pour la première fois sur l’hypothèse d’une imprescriptibilité de l’action en recherche de paternité. L’intérêt
de l’enfant n’est évidemment pas le même dans les deux
cas, puisqu’il est davantage dans son intérêt de voir déclarer une action en recherche de paternité imprescriptible
que de prévoir l’imprescriptibilité de l’action en contestation de cette paternité.
Cette nouvelle inflexion jurisprudentielle n’est pas sans
faire écho à l’émergence d’une jurisprudence de la Cour
européenne des droits de l’Homme tendant à considérer
le droit de l’enfant à établir sa filiation à l’égard de son
parent biologique comme un droit fondamental, garanti
par l’article 8 de la Convention européenne des droits de
l’Homme, et à encadrer de plus en plus étroitement la
marge d’appréciation laissée aux États en la matière (5).
Enfin, il faut relever que, s’agissant des conditions de
preuve de la paternité, cette décision s’inscrit dans un
courant jurisprudentiel établi. Si la jurisprudence admet
la contrariété à l’ordre public international français de
décisions en établissement de paternité fondées uniquement sur les affirmations de la mère (6), elle considère en
revanche que les exigences de l’ordre public international
français sont remplies lorsque les déclarations de la mère
sont corroborées par d’autres éléments de preuve (7). En
l’espèce, la décision attaquée relève d’autres éléments
tels que de nombreuses photographies des intimées avec
leur père à différents âges de leur vie, des courriers, notamment entre les parents, sans équivoque, sur la nature
des relations entre eux, ainsi qu’un témoignage.
(4) CA Riom, 6 mai 2008, n° 07/00882 : « la conception française du droit de
la filiation (…) est la recherche d’une stabilisation de la filiation au terme des
délais d’action récemment unifiés par la loi du 4 juillet 2005 qui, [en portant]
de deux à dix ans le délai de l’action en recherche de paternité, [n’a] pas affaibli
la considération que la filiation ne peut être indéfiniment remise en cause et que
sa sécurisation constitue un impératif essentiel » – CA Toulouse, 15 juin 2004,
n° 01/04665 : « le droit à l’établissement de ses véritables origines constitue un
droit fondamental, et le caractère imprescriptible d’une action en recherche de
paternité naturelle, en l’absence de toute autre filiation paternelle préalablement
établie, n’apparaît pas contraire à l’ordre public international français ».
(5) CEDH, 16 juin 2011, n° 19535/08, Pasquaud c/ France – CEDH,
26 juin 2014, n° 65192/11, Mennesson c/ France – CEDH, 26 juin 2014,
n° 65941/11, Labassee c/ France.
(6) Cass. 1re civ., 19 déc. 1973, n° 72-14652 – Cass. 1re civ., 3 janv. 1980,
n° 78-12086 : D. 1981, p. 160, note B. Audit.
(7) Cass. 1re civ., 2 déc. 1992, n° 90-21448.
G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1
77
G a ze tte Spé ci a li s é e
Jurisp rud e n ce
Réception dans l’ordre juridique français des liens de filiation résultant d’une gestation
pour autrui à l’étranger : les résistances de la cour d’appel de Rennes 253r2
1
L’essentiel Les deux arrêts rendus le 28 septembre dernier par la cour d’appel de Rennes dans des affaires de
gestation pour autrui, l’une avec l’Inde (arrêt n° 14/05537),
l’autre avec la Californie (arrêt n° 14/07321), témoignent
des réticences dont continuent à faire preuve les juges
du fond en la matière, même après les arrêts Mennesson
et Labassée de la Cour de Strasbourg et les décisions
rendues par la Cour de cassation en assemblée plénière
le 3 juillet dernier. Sans aller jusqu’à juger à rebours de
ces décisions, les magistrats rennais en livrent une interprétation qui pouvait difficilement être plus restrictive,
y compris s’agissant de la filiation paternelle.
CA Rennes, 6e ch. A, 28 sept. 2015, no 14/05537, M. C et a.
c/ Ministère public et a., Mme Calot, prés., Mmes Sochacki,
Dotte-Charvy, cons. - CA Rennes, 28 sept. 2015, no 14/07321,
Consorts X c/ Ministère des Affaires étrangères et a., Mme Calot,
prés., Mmes Sochacki, Dotte-Charvy, cons.
À
l’exception du pays choisi pour le recours à la
Laurie DIMITROV
gestation pour autrui, les
Avocat au barreau de
circonstances de fait étaient
Paris, BWG Associés
proches dans ces deux affaires : couples commanditaires, de nationalité française, ayant fait appel à des
mères porteuses à l’étranger pour mettre au monde des
enfants issus – au dire des parties – des gamètes du mari.
Note par
Contrairement aux affaires dont la Cour de cassation avait
eu à connaître en juillet dernier (1), les noms des deux
parents d’intention figuraient sur les actes de naissance
étrangers, la mère porteuse n’étant pour sa part pas mentionnée. La question de savoir si la filiation à l’égard de
la mère d’intention pouvait également faire l’objet d’une
transcription était donc ici clairement posée.
Dans la première affaire, il existait, pour l’enfant né à
Bombay (Inde), un acte de naissance français établi par
les services consulaires français sur la base notamment
de l’acte de naissance indien indiquant les époux commanditaires en qualité de parents, du (faux) certificat
d’accouchement émis par l’hôpital de Bombay au profit de
la mère d’intention, et du livret de famille des époux.
Il semble que les parents d’intention aient cherché à obtenir la transcription de l’acte de naissance français auprès
des autorités philippines en vue d’obtenir un passeport
philippin pour l’enfant, et qu’à cette occasion, les autorités
philippines se soient mises en rapport avec les autorités
françaises, lesquelles réagirent, en la personne du procureur de la République de Nantes, en assignant les parents
commanditaires aux fins d’annulation de l’acte de naissance français litigieux.
(1) Cass. ass. plén., 3 juill. 2015, nos 14-21323 et 15-50002 : Gaz. Pal. 6 oct.
2015, p. 42, n° 241z6, note I. Rein-Lescastereyres ; RTD civ. 2015, p. 581,
note J. Hauser ; D. 2015, p. 1819, note H. Fulchiron et C. Bidaud-Garon ;
Dr. Famille 2015, étude n° 14, note I. Corpart ; JCP G 2015, 965, note
A. Gouttenoire ; RJPF 2015, n° 9, note I. Corpart ; RLDC 2015, p. 129, note
M.-C. Le Boursicot.
78
G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1
Dans la seconde affaire, les services consulaires chargés
de l’état civil à Los Angeles, auprès desquels les parents
d’intention avaient sollicité la transcription des actes
de naissance de leurs jumeaux, avaient été alertés par
l’absence de documents médicaux sur le suivi de la grossesse de la mère, et en avait référé au procureur de la
République de Nantes, qui avait fait obstacle à la transcription. Les époux commanditaires avaient alors assigné
le procureur aux fins de voir ordonner la transcription.
Dans les deux cas, les premiers juges avaient suivi le ministère public sur le terrain de la fraude à la loi constituée
par le recours à une mère porteuse à l’étranger, dans le
but de contourner l’interdit français de la gestation pour
autrui prévu à l’article 16-7 du Code civil.
Toutefois, cette position ne tenait plus au regard du dernier état de la jurisprudence de l’assemblée plénière de la
Cour de cassation qui, tirant les conséquences des arrêts
Mennesson et Labassée de la Cour européenne des droits
de l’Homme (2), considère désormais que, dès lors que
les conditions de l’article 47 du Code civil sont remplies
– c’est-à-dire dès lors que l’acte de naissance n’est ni
irrégulier ni falsifié, et que les faits qui sont déclarés correspondent à la réalité –, la convention de gestation pour
autrui ne fait pas obstacle à la transcription de l’acte de
naissance sur les registres français d’état civil (3).
C’est dans cette brèche que s’est engouffrée la cour
d’appel de Rennes dans les arrêts commentés, considérant que les garde-fous posés par l’article 47 du Code civil
n’étaient pas respectés en l’espèce, s’agissant de la filiation de la mère d’intention. Opérant une substitution de
motifs, elle confirme les jugements attaqués, au motif que
la condition de la correspondance entre les faits déclarés
dans l’acte et la réalité fait ici défaut.
Pour en arriver à cette conclusion, la cour d’appel se réfère tout d’abord à l’article 311-14 du Code civil français,
aux termes duquel la filiation est régie par la loi personnelle de la mère au jour de la naissance de l’enfant ou, si la
mère n’est pas connue, par la loi personnelle de l’enfant.
Pour la cour d’appel, la loi personnelle de la mère doit ici
s’entendre comme étant la loi nationale de la mère désignée dans l’acte de naissance étranger, à savoir celle de
(2) CEDH, 5e sect., 26 juin 2014, nos 65192/11 et 65941/11, Mennesson c/ France
et Labassée c/ France : D. 2014, p. 1797, note F. Chenédé ; D. 2014, p. 1787,
obs. P. Bonfils et A. Gouttenoire ; D. 2014, p. 1806, note L. d’Avout, « La
“reconnaissance” de la filiation issue d’une gestation pour autrui à l’étranger,
après les arrêts Mennesson et Labassée » ; H. Fulchiron et C. Bidaud-Garon, « Ne
punissez pas les enfants des fautes de leurs pères : commentaire prospectif des
arrêts Labassée et Mennesson de la CEDH » : AJDA 2014, p. 1763 ; AJ famille
2014, p. 499, obs. B. Haftel, et p. 396, obs. A. Dionisi-Peyrusse ; RTD civ.
2014, p. 616, obs. J. Hauser ; V. Depadt, « La Cour européenne à l’aide des
enfants nés d’une GPA » : RJPF 2014, p. 9.
(3) Cass. ass. plén., 3 juill. 2015, nos 14-21323 et 15-50002, préc., aux termes
desquels la Cour de cassation a repris le raisonnement adopté par la circulaire
Taubira du 25 janv. 2013 relative à la délivrance des certificats de nationalité
française (NOR:JUSC1301528C) recommandant la délivrance d’un certificat
de nationalité française à l’enfant né d’une GPA à l’étranger dès lors que l’un des
parents, de nationalité française, pouvait présenter un acte d’état civil probant
en France au regard de l’article 47 du Code civil.
G a z e tte Sp é cia lisée
J u r i s p r u de n c e
la mère d’intention – c’est-à-dire en l’occurrence la loi
française –, ce dont on peut déjà s’étonner, comme nous
y reviendrons plus loin.
Relevant qu’en l’état actuel du droit positif français, la filiation maternelle ne peut être attribuée qu’à la femme qui
a accouché, la cour d’appel refuse par ailleurs expressément de transposer au cas d’espèce la fiction légale de la
filiation adoptive en raison de « l’absence de statut propre
de l’enfant né par gestation pour autrui à l’étranger ».
À cet égard, il semble d’ailleurs que la notion de fraude
revienne ici par la petite porte dans le champ de l’argumentation de la cour d’appel, puisque cette dernière lie
l’absence de statut propre de l’enfant né d’une mère porteuse à l’illicéité des conventions de gestation pour autrui
en droit français : « (…) en l’état actuel du droit positif,
la fiction légale de la filiation adoptive, non conforme à la
vérité biologique, qui tend à assimiler l’adopté à un enfant
légitime, ne saurait être transposée au cas de l’enfant
né d’une gestation pour autrui, de façon à effacer, dans
l’intérêt supérieur de l’enfant, la filiation de la mère de
substitution au profit de la mère d’intention n’ayant pas
accouché, en l’absence de statut propre de l’enfant né
par GPA à l’étranger et vivant en France au sein d’un foyer
familial qui pourvoit à son éducation et à son entretien,
étant ajouté que l’incrimination de l’article 227-12 du
Code pénal cristallise l’illicéité des convention portant sur
la gestation pour le compte d’autrui en France, assortie
d’une prohibition d’ordre public en vertu de l’article 16-7
du Code civil, comme contrevenant au principe d’ordre
public de l’indisponibilité du corps humain et de l’état des
personnes ».
Tout d’abord, la « réalité » à laquelle se réfère ici la cour
d’appel n’est pas une réalité purement factuelle, mais une
réalité interprétée à travers le prisme du droit français, et
plus précisément de la conception française de la maternité. La cour d’appel commence en effet par rechercher la
loi applicable à la filiation et, considérant qu’il s’agit de la
loi française, elle en déduit que cette loi ne permet pas de
considérer la mère d’intention comme la mère « réelle »
au prétexte qu’elle n’a pas accouché de l’enfant. En se plaçant à ce stade sur le terrain du droit, et non du fait, il nous
semble déjà que la cour donne à l’article 47 du Code civil
une portée que l’on pourrait lui contester.
Ensuite, même à considérer que la « réalité » de la filiation doive être appréciée au regard du droit applicable à
cette filiation, il n’est pas du tout évident qu’il s’agissait
ici du droit français. Pour la mise en œuvre de la règle
de conflits posée à l’article 311-14 du Code civil, la cour
d’appel applique à la filiation la loi personnelle de la mère
figurant sur l’acte de naissance (en application de C. civ.,
art. 311-25 (5)), alors même qu’elle considère dans le
même temps que cet acte de naissance ne saurait faire
foi dans l’ordre juridique français dans la mesure où ses
énonciations ne correspondent pas à la réalité. Il nous
paraît pour le moins paradoxal, dans un tel contexte, de
se référer à ces mêmes énonciations pour les besoins de
la mise en œuvre de la règle de conflit.
Dans la mesure où l’acte de naissance étranger est écarté,
il aurait semblé plus naturel de considérer comme mère
celle qui a accouché de l’enfant, conformément à la lettre
des autres textes visés par la cour d’appel, à savoir les
articles 325, alinéa 2 (6), et 332, alinéa 1er du Code civil (7).
Dans la mesure où la mère d’intention peut parfois être la
mère biologique procréatrice, mais jamais la mère gestatrice, la cour d’appel en conclut que les faits déclarés
dans les actes de naissance étrangers ne correspondent
pas à la réalité, dès lors que le nom de la mère d’intention a été substitué à celui de la mère ayant accouché de
l’enfant, en l’espèce la mère porteuse américaine dans un
cas, indienne dans l’autre.
Une telle interprétation aurait conduit la cour à considérer
que la mère dont la loi personnelle devait être appliquée à
la filiation était la mère porteuse, ce qui aurait dû l’amener
à reconnaître que les énonciations des actes de naissance
étaient conformes à la réalité dans la mesure où, que ce
soit en vertu de la loi californienne ou en vertu de la loi
indienne, il est vraisemblablement possible de déconnecter maternité et accouchement.
En raisonnant de la sorte, la cour d’appel ferme la voie de
la transcription de la filiation à l’égard de la mère d’intention, quand bien même il s’agirait de la mère génétique,
c’est-à-dire de celle qui aurait fait don de l’ovule fécondé.
Par ailleurs, sur le plan des droits fondamentaux, il
est permis de se demander si, aux yeux de la Cour de
Strasbourg, l’intérêt de l’enfant ne devrait pas commander
de reconnaître sa filiation à l’égard de sa mère d’intention,
a fortiori quand il s’agit de sa mère génétique. L’avenir, et
de futurs arrêts de la CEDH, nous le diront.
Pour ce faire, elle adopte l’interprétation la plus étroite
possible des arrêts Mennesson et Labassée, considérant
« qu’en tout état de cause, l’intérêt supérieur de l’enfant
que garantit l’article 3, § 1, de la Convention internationale des droits de l’enfant, le respect de la vie privée et
familiale de l’enfant et son droit à une identité qui inclut la
filiation et la nationalité au sens de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme
et des libertés fondamentales, ne saurait être utilement
invoqués que si la filiation paternelle est conforme à la vérité
biologique, comme résultant d’une expertise biologique judiciairement établie selon les modalités de l’article 16-10 du
Code civil, confiée à un laboratoire dûment agréé » (4).
Un tel raisonnement peine à emporter la conviction pour
plusieurs raisons.
(4) NDA : nous mettons en italique.
Enfin, même à l’égard de la filiation paternelle, les magistrats rennais se montrent particulièrement circonspects,
exigeant des garanties poussées (certains diront peut-être
disproportionnées) sur la réalité de la paternité biologique
du père d’intention en présence d’une dissimulation, par
les parents commanditaires, des circonstances réelles de
la naissance.
En effet, dans les deux affaires, la cour d’appel considère
les éléments du dossier comme insuffisants à démontrer
que le père d’intention était le père biologique.
(5) Aux termes duquel « La filiation est établie, à l’égard de la mère, par la désignation de celle-ci dans l’acte de naissance de l’enfant ».
(6) « L’action est réservée à l’enfant qui est tenu de prouver qu’il est celui dont la
mère prétendue a accouché ».
(7) « La maternité peut être contestée en rapportant la preuve que la mère n’a pas
accouché de l’enfant ».
G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1
79
G a ze tte Spé ci a li s é e
Jurisp rud e n ce
Or si, dans l’affaire indienne, le courrier délivré par l’hôpital de Bombay pouvait certainement être sujet à caution
(dans la mesure où ce même hôpital semblait avoir délivré
un faux certificat d’accouchement à la mère d’intention), il
n’en allait, nous semble-t-il, pas de même de la décision
rendue par la juridiction californienne sur la « paternity
and maternity via gestational surrogacy », qui avait déclaré
« les époux P. parents légaux d’enfants à naître entre le
1er août 2010 et le 1er janvier 2011 » et ayant précisé que
« le patrimoine génétique de M. P. a été utilisé, que les
embryons transférés dans l’utérus de Mme J. sont issus
de la fécondation d’un ovule par don par le propre sperme
de M. P. ».
La cour d’appel considère pourtant que la paternité biologique n’est pas établie et que la décision américaine
« ne saurait justifier de faire produire en France les effets juridiques dérivant de droits irrégulièrement acquis
à l’étranger sur la base de déclarations mensongères ».
Outre le fait que, là encore, l’ombre de la fraude à la loi
plane sur la décision de la cour d’appel pour l’empêcher
de reconnaître non seulement la filiation d’intention à
l’égard de la mère, mais également la filiation à l’égard
du père biologique, il semble bien que la cour place ici
les parents dans une situation inextricable d’un point de
vue probatoire, puisqu’elle exige une paternité biologique
« judiciairement établie », tout en soulignant elle-même
que, dans le cadre d’actions aux fins de transcription ou
d’annulation de l’acte transcrit, le recours à une expertise
génétique est fermé (8).
On voit donc assez mal, dans un tel contexte, comment
le père d’intention pourra faire la preuve de sa paternité
biologique de manière irréfutable.
Il convient toutefois de souligner que, dans les deux espèces commentées, les parents commanditaires avaient
tenté de camoufler la gestation pour autrui en effectuant
de fausses déclarations, et même en fournissant de faux
(8) « Ni la demande à une action tendant à la transcription d’un acte de naissance
d’un enfant né d’une gestation pour autrui établie par une autorité étrangère,
ni la défense à une action en nullité de l’acte de naissance d’un enfant né d’une
gestation pour autrui établie par une autorité consulaire française, n’est une
action d’état pouvant servir de support à la prescription d’une mesure d’expertise génétique ».
documents médicaux tendant à faire croire aux autorités
françaises que la mère d’intention avait accouché de l’enfant. Ce comportement (qui s’expliquait sans doute par la
rigueur de la position de la Cour de cassation à l’époque
où ces couples avaient eu recours à la GPA (9)) eut pour
résultat de jeter le discrédit sur l’ensemble du processus,
y compris sur la réalité de la paternité biologique du père
d’intention.
Aussi, il se peut que les juges rennais fassent preuve
de plus de souplesse (seulement en ce qui concerne la
paternité d’intention conforme à la vérité biologique) en
présence d’un couple qui se montrerait transparent sur
les circonstances de la naissance de l’enfant. Dans une
telle hypothèse, et en présence d’« éléments médicaux
concernant le programme de fécondation artificielle »
suffisamment probants et de nature à confirmer la réalité
de la paternité biologique du père d’intention, on peut supposer que la transcription serait acceptée.
C’est à cette seule condition qu’une telle jurisprudence
nous semble pouvoir résister à l’examen de la Cour de
cassation et, surtout, de la Cour européenne des droits de
l’Homme qui, rappelons-le, a érigé la filiation en élément
fondamental de l’identité de l’enfant, a fortiori lorsque
celle-ci est conforme à la réalité biologique.
Il n’en demeure pas moins qu’avec cette jurisprudence
qui, si elle n’est pas fondée sur la fraude, en est fortement empreinte, les enfants auxquels la transcription de
leur filiation, tant paternelle que maternelle, a été refusée,
portent plus que jamais sur leurs épaules les fautes commises par leurs parents, ce dont s’était pourtant émue la
Cour européenne dans ses arrêts Mennesson et Labassée.
(9) Refus de transcription sur le fondement de la contrariété à l’ordre public international : Cass. 1re civ., 6 avr. 2011, nos 10-19053, 09-17130 et 09-66486 :
Gaz. Pal. Rec. 2011, jur. 1512, note B. Weiss-Gout ; Rev. crit. DIP 2012,
p. 722, note P. Hammje – Refus de transcription sur le fondement de la fraude :
Cass. 1re civ., 13 sept. 2013, nos 12-30138 et 12-18315 : obs. I. Gallmeister ;
D. 2013, p. 2384, note M. Fabre-Magnan ; D. 2014, p. 1059, obs. H. Gaudemet-Tallon ; D. 2014, p. 1171, obs. F. Granet-Lambrechts ; D. 2014, p. 1787,
obs. P. Bonfils et A. Gouttenoire ; AJ famille 2013, p. 579, obs. F. Chenédé, et
p. 532, obs. A. Dionisi-Peyrusse ; Rev. crit. DIP 2013, p. 909, note P. Hammje ;
RTD civ. 2013, p. 816, obs. J. Hauser.
(...)
VII. INCAPACITÉS
Exercice de l’action en nullité pour insanité d’esprit 253t7
1
L’essentiel Le légataire universel a qualité pour agir en
nullité d’un acte à titre onéreux sur le fondement de l’article 489-1 ancien du Code civil. Une fondation, légataire
universelle, peut ainsi demander la nullité, pour insanité
d’esprit, d’actes de vente conclus par le de cujus.
80
G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1
Cass. 1re civ., 8 juill. 2015, no 14-17768, M. et Mme Y c/ Fondation
pour la recherche médicale, PB (rejet pourvoi c/ CA Montpellier,
20 mars 2014), Mme Batut, prés. ; SCP Jean-Philippe Caston et
Sureau, av.
G a z e tte Sp é cia lisée
J u r i s p r u de n c e
Note par
Charlotte ROBBE
Avocat au barreau de
Paris, BWG Associés
et
Clara SCHLEMMERBÉGUÉ
Avocat au barreau de
Paris, BWG Associés
L
’action en nullité pour insanité d’esprit, qui n’est
ouverte, après son décès,
qu’aux héritiers de l’intéressé, peut être exercée par
son légataire universel. Telle
est la solution consacrée par
la première chambre civile
de la Cour de cassation le
8 juillet 2015.
Les faits étaient les suivants : par testament olographe du
26 novembre 1985, M. X avait légué tous ses biens meubles
et immeubles à la Fondation pour la recherche médicale.
Quelques années plus tard, le 25 mars 1996, il avait cédé
avec son épouse aux époux Y la nue-propriété de plusieurs
immeubles leur appartenant. Tous deux ont ensuite été
placés sous tutelle le 15 décembre 1998. Après leur décès,
par actes des 14 novembre 2003 et 27 septembre 2007, la
Fondation a attrait les époux Y devant le tribunal en nullité
des actes de vente pour insanité d’esprit. La demande est
accueillie par la cour d’appel de Montpellier qui annule
les ventes litigieuses, ordonne aux époux Y de restituer
les immeubles à la Fondation, et à la Fondation de leur
restituer le prix de vente de chacun des immeubles. Les
époux Y se pourvoient en cassation contre cette décision.
Au soutien de leur pourvoi, ils invoquent, sur le fondement
de l’article 414-2 du Code civil, un défaut de qualité de la
Fondation à agir en nullité des ventes, avec le raisonnement suivant : les actes réalisés par le de cujus, autres que
la donation entre vifs et le testament, ne pouvant être attaqués en nullité pour insanité d’esprit que par ses héritiers,
et la qualité d’héritier procédant des seules dispositions
des articles 734 et suivants du Code civil, la Fondation, qui
était seulement légataire, n’est pas héritière et ne peut
donc pas agir.
Le pourvoi est rejeté par la première chambre civile de
la Cour de cassation, qui énonce que le légataire universel a qualité pour agir en nullité d’un acte à titre onéreux
sur le fondement de l’article 489-1 du Code civil, dans sa
rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2007-308 du
5 mars 2007, applicable en la cause. Elle relève ainsi que,
ayant constaté que la Fondation avait été instituée légataire universelle par M. X, la cour d’appel en a exactement
déduit qu’elle avait qualité pour agir en nullité des actes
de vente pour insanité d’esprit de ce dernier.
Cette décision de la Cour de cassation appelle plusieurs
observations.
Relevons tout d’abord qu’elle porte sur le régime des actions de droit commun en nullité d’un acte pour insanité
d’esprit. Cette action de droit commun, qui n’appartient, de
son vivant, qu’à l’intéressé (ou à son représentant légal),
peut être exercée après sa mort sous certaines conditions
qui ont été reprécisées à l’occasion de la loi n° 2007-308
du 5 mars 2007 portant réforme de la protection juridique
des majeurs, mais dont l’état d’esprit demeure le même :
il faut que l’acte porte en lui-même la preuve d’un trouble
mental, ou qu’il ait été fait alors que l’intéressé était placé
sous sauvegarde de justice, ou que des démarches aient
été entreprises du vivant de la personne en vue de sa mise
sous protection.
Par ailleurs, la solution commentée ici est l’occasion de faire
un point sur l’application de la loi dans le temps, s’agissant
de cette action. En l’espèce, les époux Y critiquaient l’action
exercée par la Fondation en se fondant sur l’article 414-2
du Code civil issu de la loi n° 2007-308 du 5 mars 2007.
Cependant, les actes introductifs d’instance étant tous antérieurs au 1er janvier 2009, date d’entrée en vigueur de ladite
réforme, l’action était en réalité régie par l’article 489-1 ancien du Code civil. Cela ressort très nettement de la décision
de la Cour de cassation qui consacre ainsi une solution déjà
acquise par la jurisprudence des juges du fond (v. par ex.
CA Reims, ch. civ. 1, 2 mai 2011, n° 09/02089 ; CA Paris, P. 3,
ch. 1, 7 mars 2012, n° 10/20385).
Se posait enfin, et surtout, la question de la qualité pour
exercer cette action, au cœur du pourvoi formé par les
époux Y. Ces derniers invoquaient l’article 414-2 du Code
civil qui attribue expressément l’action en nullité pour
insanité d’esprit aux « héritiers » du défunt. La Cour de
cassation les corrige laconiquement en indiquant simplement que « le légataire universel a qualité pour agir
en nullité d’un acte à titre onéreux sur le fondement de
l’article 489-1 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à
celle issue de la loi n° 2007-308 du 5 mars 2007 applicable
en la cause ».
Il se trouve que, contrairement à l’article 414-2 du Code
civil, l’article 489-1 ancien du même code ne précisait
pas que l’action en nullité pour insanité d’esprit appartient aux « héritiers » du défunt. La lecture de la décision
commentée pourrait ainsi conduire à s’interroger sur le
point de savoir si l’action en nullité pour insanité d’esprit
est moins largement ouverte aujourd’hui, sous l’empire de
l’article 414-2 du Code civil, qu’elle ne l’était sous l’empire
de l’article 489-1 ancien du même code. L’argumentation
développée par les époux Y aurait-elle porté ses fruits si
l’article 414-2 du Code civil avait été applicable à la cause ?
Ou bien doit-on considérer que, même sous l’empire de
l’article 414-2 du Code civil, le légataire universel peut
exercer l’action en nullité pour insanité d’esprit ?
Il nous semble que la solution est la même, que l’on raisonne sous l’empire de la loi ancienne ou de la loi nouvelle.
En effet, quand bien même l’article 489-1 ancien du Code
civil ne vise pas expressément les « héritiers », la jurisprudence considérait déjà que l’action en nullité prévue
par le texte était une nullité de protection ouverte uniquement à la personne protégée et à ses « héritiers » (v. par
ex. CA Versailles, 13 avr. 2010, n° 09/01837 ; CA Bastia,
18 avr. 2012, n° 09/00262). La solution d’espèce est donc la
consécration, par la Cour de cassation, d’un raisonnement
bien acquis chez les juges du fond.
On peut donc retenir de cet arrêt du 8 juillet 2015 que, au
sens de l’article 414-2 du Code civil, le légataire universel
est un « héritier » ayant qualité pour agir en nullité d’un
acte pour insanité d’esprit. La solution est en cela plus
souple que celle qui s’applique aux actions en contestation
de filiation en présence d’une possession d’état conforme
au titre, la Cour de cassation ayant eu l’occasion de préciser que le légataire universel du titulaire de l’action
prévue par l’article 333 du Code civil n’est pas un héritier
au sens de l’article 322 du même code, et n’a donc pas
qualité pour exercer cette action (Cass. 1re civ., 2 avr. 2014,
n° 13-12480). Cette différence s’explique, à notre sens, par
le caractère extrapatrimonial de l’action en contestation
de filiation qui justifie d’éviter à tout prix qu’elle puisse
être exercée par des personnes extérieures à la famille
du défunt.
G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1
81
G a ze tte Spé ci a li s é e
Jurisp rud e n ce
Convention d’honoraires de résultat et office du juge des tutelles 253t8
1
L’essentiel La conclusion d’une convention d’honoraires
comportant un honoraire proportionnel au résultat est un
acte de disposition qui nécessite, pour être valablement
conclu, d’être autorisé par le juge des tutelles en cas
d’administration légale sous contrôle judiciaire, et ceci
en amont de sa conclusion.
Cass. 2e civ., 10 sept. 2015, no 14-23959, Mme X, F-PB
(cassation CA Papeete, 3 juill. 2014), Mme Flise, prés. ; SCP Waquet,
Farge Hazan, av.
L
a convention d’honoraires prévoyant un
Charlotte ROBBE
honoraire proportionnel au
et
résultat doit être autoriClara SCHLEMMERsée par le juge des tutelles
BÉGUÉ
en amont de sa conclusion.
Tel est le rappel opéré par
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation le
10 septembre 2015.
Note par
Les faits étaient les suivants : la mère d’un enfant mineur,
administrateur légal sous contrôle judiciaire, avait saisi
le juge des tutelles afin d’être autorisée à signer, pour
le compte de son enfant, une convention d’honoraires
allouant un honoraire de résultat à l’avocat qui le représenterait dans le cadre d’une instance initiée à la suite du
décès du père dans un accident de la circulation.
Le juge des tutelles, suivi par la cour d’appel, avait « rejeté » la demande formée. Les juges ont en effet considéré
qu’une convention d’honoraires proportionnels en tout ou
partie à un résultat, indéterminés ou aléatoires, est un
acte de disposition, mais que « le juge des tutelles ne saurait intervenir sur une telle convention passée en amont
d’une décision judiciaire d’indemnisation, puisque l’inconnue, à ce stade du résultat, ne lui permet pas d’apprécier
la portée de ladite convention et son impact sur le capital
de l’intéressé, de sorte qu’il convient de le saisir en aval,
après une telle décision, afin qu’il autorise ou non l’exécution de la convention d’honoraires et, par motifs propres,
que ce juge a un rôle de protection des personnes protégées et qu’il s’avère parfois que le pourcentage de 10 %
fixé par la pratique puisse s’avérer excessif, au regard de
l’indemnisation reçue et des diligences effectuées ».
Comme on pouvait s’y attendre, la Cour de cassation a
censuré la décision d’appel, au visa de l’article 10, alinéas 2 et 3, de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 (dans
sa version antérieure au 8 août 2015) et de l’article 496,
alinéa 3, du Code civil, dans les termes suivants : « en
statuant ainsi alors qu’aucun honoraire de résultat n’est
dû à l’avocat s’il n’a pas été expressément stipulé dans
une convention préalablement conclue entre celui-ci
et son client, laquelle, regardée comme constituant un
acte de disposition, est soumise à l’autorisation du juge
des tutelles lorsqu’elle intervient au nom du mineur sous
administration légale sous contrôle judiciaire, de sorte
qu’en refusant de statuer sur le mérite de la demande
tendant à conclure une telle convention avant que soit
intervenue la décision judiciaire sur le résultat de laquelle
les honoraires étaient pour partie calculés, la cour d’appel, méconnaissant l’étendue de ses pouvoirs, a violé les
82
G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1
textes susvisés ». Cette décision ne nous surprend guère
tant la cassation paraissait inévitable.
En effet, le juge des tutelles, repris par la cour d’appel,
faisait la juste analyse en qualifiant pareille convention
d’acte de disposition. Il est clair que la signature d’une
convention d’honoraires est un acte patrimonial. Quant à
la question de savoir s’il s’agit d’un acte d’administration
ou de disposition, il faut effectuer une distinction : si les
honoraires sont facturés au temps passé, alors il s’agit
d’un acte d’administration ; en revanche, si les honoraires
sont en tout ou en partie proportionnels au résultat, alors
il s’agit d’un acte de disposition (sur cette question de qualification, v. les articles de Florence Fresnel, « L’avocat
choisi dans le cadre d’une curatelle ou d’une tutelle » :
D. 2014, p. 222 ; « La convention d’honoraires et l’incapable » : AJ Famille nov. 2012, p. 543 ; « Les incapables
et les honoraires de l’avocat : un défi ou un combat ? » :
AJ Famille mai 2012, p. 271). Dans cette seconde hypothèse, on aurait pu s’interroger sur le point de savoir si la
qualification d’acte de disposition est réfragable ou irréfragable. L’analyse de la décision du juge des tutelles et de
l’arrêt d’appel, aurait pu nous conduire à considérer que
la qualification d’acte de disposition serait réfragable et
fonction de l’ampleur du pourcentage, et donc de l’honoraire facturé, lui-même fonction du résultat obtenu.
Comme le relève Ingrid Maria, « comment savoir, avant
même la détermination du résultat, si la convention va
affecter durablement le patrimoine de la personne protégée ? ». Selon l’auteur, cependant, « l’argument ne
convainc toutefois pas pleinement car le pourcentage de
rémunération fonction du résultat est un indicateur qui
nous parait suffire à déterminer si la convention doit ou
non être autorisée » (v. I. Maria, « Administration légale
sous contrôle judiciaire et convention d’honoraires proportionnels au résultat » : Dr. famille 2015, n° 11, comm. 207).
Au demeurant, la loi est ainsi faite : dès lors que l’acte
est qualifié d’acte de disposition, l’autorisation du juge des
tutelles est un préalable à sa conclusion. En effet, l’article 505 alinéa 1er du Code civil énonce que le tuteur ne
peut, sans y être autorisé par (...) le juge, faire des actes
de disposition au nom de la personne protégée, et l’article 389-6 alinéa 1er du même code énonce que « dans
l’administration légale sous contrôle judiciaire, l’administrateur doit se pourvoir d’une autorisation du juge des
tutelles pour accomplir les actes qu’un tuteur ne pourrait
faire qu’avec une autorisation ».
Or des termes du décret n° 2008-1484 du 22 décembre
2008, il faut conclure au caractère irréfragable de la qualification d’acte de disposition. En effet, ce texte prévoit, en
son annexe 1, une liste des actes regardés comme d’administration et de disposition en tout état de cause : entre
autres actes divers figure « la convention d’honoraires
proportionnels en tout ou partie à un résultat, indéterminés ou aléatoires ».
Une fois cette qualification d’acte de disposition posée
par le juge des tutelles puis par la cour d’appel, on
comprend mal, en revanche, comment la demande
d’autorisation formée a pu être « rejetée ». En effet,
lorsqu’une demande d’autorisation d’un acte de disposition est soumise au juge des tutelles, il existe alors
G a z e tte Sp é cia lisée
J u r i s p r u de n c e
une alternative : soit le juge des tutelles autorise la
conclusion de l’acte car tel est l’intérêt de la personne
protégée, soit il refuse de l’autoriser. Le juge des tutelles n’a pas le loisir de différer sa décision et de se
positionner a posteriori, ceci d’autant qu’un acte conclu
sans son autorisation, même s’il était nécessaire, est nul
de plein droit en application de l’article 465, 4° du Code
civil. Le juge des tutelles doit donc intervenir en amont
de la conclusion de l’acte pour l’autoriser ; à défaut
l’acte est entaché de nullité.
position prise. En effet, dès lors que le contrat est valablement conclu, il doit s’exécuter et le juge des tutelles,
qui n’est pas juge de l’exécution du contrat, doit même
inviter le protecteur récalcitrant à payer. S’il y a une
difficulté s’agissant in fine du montant des honoraires
eu égard aux diligences effectuées, alors ce débat doit
être porté devant le bâtonnier ; le juge des tutelles ne
saurait se substituer à lui pour trancher un éventuel
désaccord s’agissant de l’exécution de la convention
d’honoraires.
Ainsi, lorsque la cour d’appel laisse entendre que le
juge des tutelles doit être saisi en aval « afin qu’il autorise ou non l’exécution », on ne comprend plus du tout la
Durée de la mission du tuteur et obligation d’établir un compte de gestion 253t9
1
L’essentiel 1. La durée de la tutelle des majeurs et celle
des fonctions du tuteur étant indépendantes, ne méconnaissent pas l’article 453 du Code civil les juges du fond
qui renouvellent une mesure de tutelle pour une durée
de vingt ans sans fixer la durée de la mission du tuteur
qui pourra, à tout moment, demander à en être déchargé.
2. La dispense de compte de gestion n’est qu’une faculté
pour le juge et relève de l’appréciation souveraine des
juges du fond.
Cass. 1re civ., 7 oct. 2015, no 14-23955, M. X, PB (rejet pourvoi
c/ CA Dijon, 28 mai 2014), Mme Batut, prés. ; SCP Ortscheidt, av.
Note par
Charlotte ROBBE
et
Clara SCHLEMMERBÉGUÉ
L
’arrêt de la Cour de cassation du 7 octobre 2015
apporte quelques précisions
quant à la fonction de tuteur
et aux obligations qu’elle
implique.
En l’espèce, une jeune
femme avait été placée sous tutelle à l’âge de 19 ans,
l’exercice de la mesure étant confié à son père. Lorsque,
par jugement du 30 septembre 2013, le juge des tutelles
a renouvelé cette mesure pour une durée de vingt ans,
en maintenant le père dans ses fonctions, ce dernier a
saisi la cour d’appel de Dijon pour demander, d’une part,
que sa mission soit limitée à cinq ans, d’autre part, à être
dispensé d’établir les comptes de gestion de la tutelle.
Sa demande ayant été rejetée, il a formé un pourvoi en
cassation au soutien duquel il développait un moyen sur
chacune de ses demandes.
Pour contester le rejet de sa demande tendant à voir sa
mission de tuteur limitée à cinq ans, il invoquait l’article 453 du Code civil qui prévoit que « nul n’est tenu de
conserver la curatelle ou la tutelle d’une personne audelà de cinq ans à l’exception du conjoint, du partenaire
du pacte civil de solidarité et des enfants de l’intéressé
ainsi que des mandataires judiciaires à la protection des
majeurs », estimant que, en le déboutant au motif qu’il
« peut à tout moment et quand il l’estimera opportun, demander au juge des tutelles à être déchargé de sa mission
de tuteur » et que « rien ne permet d’apprécier à quel moment il ne serait plus à même d’exercer sa mission », la
cour aurait ajouté une condition à la loi et violé ce texte.
Quant au refus de l’avoir dispensé de l’établissement des
comptes de gestion de la tutelle, il le contestait en invoquant l’article 512 du Code civil, qui prévoit que « lorsque
la tutelle n’a pas été confiée à un mandataire judiciaire à
la protection des majeurs, le juge peut, par dérogation aux
articles 510 et 511 et en considération de la modicité des
revenus et du patrimoine de la personne protégée, dispenser le tuteur d’établir le compte de gestion et de soumettre
celui-ci à l’approbation du greffier en chef ». Selon lui, la
cour d’appel qui l’avait débouté de sa demande de dispense, motifs pris de ce que sa fille sous tutelle percevait
l’allocation adulte handicapé et de ce que l’établissement
dudit compte ne présentait pas de difficulté, sans considération de la modicité des revenus et patrimoine de la
personne protégée, avait privé sa décision de base légale.
La Cour de cassation rejette le pourvoi. Sur le premier
moyen, elle précise que la durée de la tutelle et celle des
fonctions du tuteur étant indépendantes, la cour d’appel,
qui n’a pas fixé la durée de la mission du tuteur et a exactement rappelé qu’il pourrait à tout moment demander
à en être déchargé, n’a pas méconnu les dispositions de
l’article 453 du Code civil. Quant au second moyen, elle
indique que la dispense de compte de gestion n’est qu’une
faculté pour le juge, et que c’est dans l’exercice de son
pouvoir souverain d’appréciation que la cour d’appel a
estimé que l’établissement du compte de gestion devait
permettre un contrôle des dépenses faites dans l’intérêt
de la personne protégée.
La solution dégagée par la Cour de cassation sur chacune
des questions qui lui étaient posées nous paraît procéder
d’une juste analyse des textes invoqués par le demandeur.
Si la décision commentée n’est ainsi guère surprenante,
elle mérite toutefois d’être relevée, ne serait-ce que pour
sa vertu pédagogique.
On retiendra donc en premier lieu que le renouvellement
d’une mesure de protection pour une durée supérieure
à cinq ans n’implique pas, pour le tuteur ou le curateur, l’obligation de conserver la fonction pour la même
durée. Quelle que soit la durée de la mesure de protection, la personne désignée pour l’exercer peut ainsi à tout
G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1
83
G a ze tte Spé ci a li s é e
Jurisp rud e n ce
moment saisir le juge des tutelles pour demander à en
être déchargé, cette demande s’analysant simplement en
une modification de la mesure de protection prévue par
l’article 442, alinéa 3, du Code civil. Cette solution prend
un relief particulier à l’aune de la récente modification,
par la loi n° 2015-177 du 16 février 2015, de l’article 441
du Code civil qui s’est vu enrichi d’un alinéa 2 prévoyant la
possibilité pour le juge, dès le prononcé de la mesure de
tutelle (et non pas seulement à l’occasion de son renouvellement), par décision spécialement motivée et sur avis
conforme d’un médecin inscrit constatant que l’altération
des facultés personnelles de l’intéressé n’apparaît manifestement pas susceptible de connaître une amélioration
selon les données acquises de la science, de fixer une
durée plus longue n’excédant pas dix ans.
On notera par ailleurs que la modicité des revenus et
du patrimoine de la personne protégée n’implique pas
automatiquement de dispenser le tuteur qui n’est pas
mandataire à la protection des majeurs de l’établissement
d’un compte de gestion soumis à l’approbation du greffier
en chef. Quant aux motifs qui ont justifié en l’espèce le
rejet de la demande de dispense, la Cour de cassation ne
se prononce pas, considérant qu’ils relèvent de l’appréciation souveraine des juges du fond.
VIII. SUCCESSIONS ET LIBÉRALITÉS
L’usufruit du droit d’exploitation dont bénéficie le conjoint survivant en application
du CPI n’est pas réductible s’il est donataire de la plus forte quotité disponible
entre époux 253u0
1
L’essentiel Lorsqu’en application de l’article 1094-1 du
Code Civil, le conjoint survivant est donataire de l’usufruit de la totalité des biens de la succession, l’usufruit
du droit d’exploitation dont il bénéficie en application de
l’article L. 123-6 du Code de la propriété intellectuelle
n’est pas réductible.
Cass. 1re civ., 8 juill. 2015, no 14-18850, M. X c/ Mme Y, PB (rejet
pourvoi c/ CA Aix-en-Provence, 20 févr. 2014), Mme Batut, prés. ;
SCP Gatineau et Fattaccini, SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, av.
U
n écrivain avait institué
son épouse légataire
Arnaud BAUTRAITuniverselle et gestionnaire
LOTELLIER
de l’ensemble de son œuvre
Avocat au barreau de
littéraire, par un testament
Paris, BWG Associés
olographe. Par un acte postérieur, il lui avait également
consenti une donation portant sur l’universalité des biens
de sa succession.
Note par
Il décède en laissant pour lui succéder son épouse ainsi
qu’un fils issu d’une première union. L’épouse opte en
faveur de la quotité disponible spéciale entre époux portant sur la totalité des biens en usufruit. Le fils demande
la réduction de l’usufruit dont l’épouse bénéficiait sur les
droits d’auteur de l’œuvre de son père, en vertu de l’article L. 123-6 du Code de la propriété intellectuelle.
La cour d’appel rejette sa demande au motif que l’épouse
était donataire de l’usufruit de la totalité des biens
dépendant de la succession, lequel n’affectait pas la nuepropriété de la réserve héréditaire, et qu’en conséquence,
l’usufruit du droit d’exploitation des œuvres du défunt dont
elle bénéficiait en vertu de l’article L. 123-6 du Code de la
propriété intellectuelle n’était pas soumis à réduction au
profit de l’héritier réservataire.
Le fils forme un pourvoi en cassation, en tentant de se
prévaloir de l’article L. 123-6 du Code de la propriété intellectuelle qui dispose notamment que « si l’auteur laisse
des héritiers à réserve, cet usufruit est réduit au profit des
héritiers, suivant les proportions et distinctions établies
par l’article 913 du Code civil ». Il tentait donc de faire valoir que la question de la réduction éventuelle de l’usufruit
du conjoint survivant sur les droits d’auteur devait s’apprécier au regard de la quotité disponible ordinaire prévue
aux articles 913 et suivants du Code civil, et non au regard
de la quotité disponible spéciale entre époux.
Son pourvoi est rejeté au motif que « lorsqu’en application
de l’article 1094-1 du Code Civil, le conjoint survivant est
donataire de l’usufruit de la totalité des biens de la succession, l’usufruit du droit d’exploitation dont il bénéficie
en application de l’article L. 123-6 du Code de la propriété
intellectuelle n’est pas réductible ».
Conditions de la révocation tacite d’un testament 253u1
1
L’essentiel La révocation tacite d’un testament ne peut
résulter que de la rédaction d’un nouveau testament
incompatible, de l’aliénation de la chose léguée ou de la
destruction ou de l’altération volontaire du testament.
84
G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1
Cass. 1re civ., 8 juill. 2015, no 14-18875, M. Y c/ Mme X, PB
(cassation partielle CA Orléans, 7 avr. 2014), Mme Batut, prés. ;
Me Le Prado, SCP Jean-Philippe Caston, av.
G a z e tte Sp é cia lisée
J u r i s p r u de n c e
P
ar un testament
olographe daté du 5 déArnaud BAUTRAITcembre 2003, une personne
LOTELLIER
lègue à un tiers une rente
viagère mensuelle à prélever sur les revenus d’une SCI.
Note par
Par un acte authentique du 28 décembre 2007, cette même
personne fait donation à sa fille de la nue-propriété des
parts de la SCI avec réserve d’usufruit à son profit sa vie
durant, puis, après son décès, au profit de la personne
désignée dans le testament de décembre 2003, sans toutefois révoquer ledit testament.
Le donataire décède en 2008 en laissant sa fille pour lui
succéder. Le légataire assigne la fille en délivrance de son
legs de rente viagère en invoquant le testament de 2003.
La cour d’appel rejette sa demande en considérant que
le testament avait été tacitement révoqué par la donation
de 2007. Elle relevait notamment qu’il résultait de la correspondance échangée entre le donateur et son notaire,
que sa volonté avait été de constituer au profit de son légataire une rente d’environ 60 000 € par an, en substituant
au mécanisme mis en place par le testament celui instauré
par la donation, plus avantageux fiscalement. Elle relevait
encore que le cumul des deux mécanismes aboutirait à
un résultat incompatible avec la volonté du donateur,
puisque dépassant de très loin la constitution d’une rente
de 60 000 € et laissant les incidences fiscales auxquelles
l’intéressé voulait échapper.
La Cour de cassation casse cet arrêt en ce qu’il a dit que la
donation de 2007 avait entraîné la révocation du testament
de 2003, incompatible avec la constitution d’une réserve
d’usufruit portant sur les parts de la SCI, pour violation
par refus d’application des articles 1035, 1036 et 1038 du
Code Civil.
Son attendu de principe rappelle les cas de révocation
tacite d’un testament, lesquels sont limitatifs : « la révocation tacite d’un testament ne peut résulter que de
la rédaction d’un nouveau testament incompatible, de
l’aliénation de la chose léguée ou de la destruction ou de
l’altération volontaire du testament ».
La cour d’appel ne pouvait donc décider que le testament
avait été révoqué en se fondant sur une donation postérieure et sur la volonté du défunt.
À défaut d’indivision entre le conjoint héritier de l’usufruit et le descendant héritier
de la nue-propriété, le recel successoral n’est pas applicable 253u2
1
L’essentiel La Cour de cassation rejette le pourvoi d’une
fille héritière de la nue-propriété du patrimoine du défunt
qui souhaite voir appliquer les sanctions du recel successoral à sa belle-mère, épouse donataire de l’usufruit
dudit patrimoine. La Haute juridiction considère que les
deux héritières ne détiennent pas des droits de même
nature, de sorte qu’il n’existe pas d’indivision entre elles
mais seulement un démembrement de propriété. Le recel
successoral ayant vocation à punir une atteinte à l’égalité
du partage (lequel suppose, par définition, une indivision),
il n’est pas applicable à l’espèce.
Cass. 1re civ., 9 sept. 2015, no 14-18906, Mme X c/ Mme Y, PB
(rejet pourvoi c/ CA Rouen, 23 oct. 2013), Mme Batut, prés. ;
SCP Delaporte, Briard et Trichet, SCP Meier-Bourdeau et
Lécuyer, av.
D
ans cet arrêt, un père
décède en 2004, laisAlice DEPRET
sant pour lui succéder son
Avocat au barreau de
épouse, mariée sous le
Paris, BWG Associés
régime de la séparation
de biens, et une fille issue
d’une première union. Par donation entre époux, il avait
gratifié son épouse de la plus forte des quotités disponibles entre époux.
Note par
Lors du règlement de la succession, l’épouse opte
pour la totalité de l’usufruit du patrimoine successoral.
Considérant que sa belle-mère a dissimulé l’origine des
fonds lui ayant permis de financer l’acquisition d’un bien et
d’alimenter des comptes personnels, et qui proviendraient
du patrimoine de son père, la fille l’assigne en liquidation
de la succession, sollicite le rapport de ces sommes à
l’actif de la succession, ainsi que sa condamnation pour
recel successoral.
Sa dernière demande est rejetée par la cour d’appel, qui
relève que l’épouse « ayant opté pour l’usufruit de la totalité de la succession, elle ne disposait pas de droits de
même nature que ceux de Mme X [la fille], nue-propriétaire,
de sorte qu’il n’y avait pas lieu à partage entre les héritiers
en l’absence d’indivision et que la dissimulation des fonds
alléguée ne pouvait être qualifiée de recel successoral ».
La fille forme alors un pourvoi en cassation, arguant du
fait que la dissimulation des fonds ayant permis à l’épouse
d’acquérir son appartement et d’alimenter ses comptes
personnels, a pour conséquence d’écarter ces biens de
l’actif de succession, et partant, de l’assiette de l’usufruit de la succession. Elle n’est pas suivie par la Cour de
cassation qui se borne à reprendre les termes de la décision de la cour d’appel : l’article 778 du Code civil relatif
au recel successoral n’est pas applicable à l’épouse qui
est héritière de droits en usufruit, alors que la fille est
héritière de droits en nue-propriété, le règlement de la
succession n’appelant pas de partage entre elles.
Il résulte de l’article 778 du Code civil que « l’héritier
qui a recelé des biens ou des droits d’une succession ou
dissimulé l’existence d’un cohéritier est réputé accepter
purement et simplement la succession, nonobstant toute
renonciation ou acceptation à concurrence de l’actif net,
sans pouvoir prétendre à aucune part dans les biens ou
les droits détournés ou recelés ».
La jurisprudence a été amenée à préciser les conditions
d’application du recel successoral, qui ne peut être retenu
que si sont caractérisés un élément matériel – une dissimulation commise par un héritier sur les biens constituant
le patrimoine successoral – et un élément intentionnel – la
G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1
85
G a ze tte Spé ci a li s é e
Jurisp rud e n ce
volonté de cet héritier de rompre l’égalité du partage
successoral.
La solution d’espèce s’inscrit dans la jurisprudence déjà
affirmée de la Cour de cassation sur ce point, qui fait une
interprétation stricte de l’élément intentionnel du recel
successoral :
- la Cour de cassation a, de très longue date, retenu le
recel et les lourdes sanctions qui y sont attachées, à la
condition que la fraude commise ait « pour but de rompre
l’égalité du partage » (Cass. civ., 15 avr. 1890 : DP 1890, 1,
p. 437) ;
- elle a, sur ce fondement, déjà été amenée à préciser,
dans un arrêt de la première chambre civile du 29 juin
2011 (Cass. 1re civ., 29 juin 2011, n° 10-13807 : Bull. civ. I,
n° 138), que dès lors qu’il n’y a pas d’indivision entre des
héritiers, et donc pas de partage, il ne peut y avoir de recel.
La fille du défunt avait en l’espèce tenté de se prévaloir
d’une définition plus large du recel qui, selon elle, devait
s’analyser comme « tout procédé tendant à frustrer les
cohéritiers d’un bien de la succession » ; elle est censurée.
Si la solution de la Cour de cassation est conforme à sa
jurisprudence, elle peut paraître laxiste à l’égard de
l’épouse, qui n’a pas à se défendre d’une accusation de
dissimulation intentionnelle des fonds ayant appartenu
à son époux, mais simplement à se protéger derrière le
« bouclier » de l’absence de partage.
Certains y verront, une fois encore, la faveur faite aux
époux(ses) dans le droit des successions actuel, qui ne
subissent pas le même traitement que les enfants (et notamment fiscalement puisque l’époux héritier est le seul
héritier exonéré de droits…), ce qui est parfois difficile à
admettre pour ces derniers dans le cas d’une seconde
union tardive de leur parent.
Mais il faut avoir à l’esprit que la règle édictée par la jurisprudence est réciproque, et l’épouse usufruitière ne
pourrait pas non plus revendiquer l’application du recel
à un enfant nu-propriétaire qui aurait dissimulé des biens
du défunt.
Surtout, le recel a vocation à sanctionner l’héritier qui
priverait un autre héritier de droits qui auraient dû lui
revenir : les effets recelés sont alors réservés à l’héritier lésé, et l’héritier receleur ne peut y prétendre. Or, en
l’espèce, si la fille avait eu gain de cause, elle se serait vu
reconnaître des droits en pleine propriété sur les sommes
considérées (l’épouse étant privée de tout droit sur ces
sommes), alors même qu’elle n’avait vocation à recevoir
que des biens en nue-propriété. La solution aurait alors
été plus loin que la sanction de l’article 778 du Code civil
en modifiant la nature des droits de l’héritier lésé, en plus
d’augmenter sa part successorale.
Bien entendu le comportement malhonnête de l’épouse
n’aurait pas dû rester sans conséquence, mais il aurait
fallu que la fille du défunt agisse sur d’autres fondements :
- tout d’abord, après avoir demandé le rapport de ces
sommes à la masse successorale, elle aurait pu arguer
d’une atteinte à sa réserve s’il s’était révélé que les fonds
en question avaient été donnés par son père au-delà de la
quotité disponible de l’épouse (étant rappelé que la plus
large quotité disponible entre époux est de trois-quarts
en usufruit et un quart en pleine propriété, et que la réserve de la fille est donc seulement de trois-quarts en
nue-propriété) ;
- elle aurait aussi pu compléter sa demande par la
condamnation de sa belle-mère à des dommages et intérêts sanctionnant son comportement frauduleux lui ayant
porté préjudice ;
- peut-être même pouvait-elle tenter de demander la déchéance de l’usufruit de sa belle-mère sur ces sommes
pour abus de sa jouissance, sur le fondement de l’article 618 du Code civil.
En tout état de cause, et sans doute parce que les sanctions qui y sont attachées sont très lourdes, et que le recel
n’a pas vocation à préserver la réserve des héritiers qui
est autrement protégée, la Cour de cassation maintient à
ce jour sa conception stricte du recel de succession, qui
n’existe qu’en présence d’une fraude portant atteinte à
l’égalité du partage.
Les droits successoraux du conjoint survivant ne font pas obstacle au droit de retour
conventionnel 253s8
1
L’essentiel La cour d’appel ayant relevé que la donation
a été consentie sous la condition résolutoire du prédécès
du donataire et que la condition s’était réalisée, la cour
d’appel, qui n’a pas procédé à une recherche que ses
propres constatations rendaient inopérante, n’a pu qu’en
déduire que le bien réintégrait le patrimoine de la donatrice.
Après avoir retenu que l’exécution du droit de retour a eu
pour effet de remettre les parties dans la même situation que si la donation n’était jamais intervenue, la cour
d’appel, à laquelle il n’incombait pas de rechercher si le
donataire et son épouse avaient exposé des impenses nécessaires et, dans la mesure de la plus-value procurée au
bien, des impenses utiles, n’a pas tiré les conséquences
légales de ses propres constatations et a violé les articles 952 et 1183 du Code civil.
86
G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1
Cass. 1re civ., 23 sept. 2015, no 14-18131, Mme Z c/ Mme Y, PB
(cassation partielle CA Grenoble, 25 mars 2014), Mme Batut, prés. ;
Me Le Prado, SCP Lyon-Caen et Thiriez, av.
P
our la Cour de cassation, cette décision est
Anne-Laure CASADO
l’occasion de rappeler le
mécanisme du droit de retour conventionnel en cas de prédécès du donataire ne
laissant pas de postérité, mais un conjoint survivant.
Note par
En l’espèce, une mère consent à son fils une donation
portant sur la nue-propriété d’un bien immobilier. Dans
l’acte de donation est stipulée une clause de retour « sur
le bien donné ou sur ce qui en serait la représentation
pour le cas de prédécès du donataire et de sa postérité ». Ultérieurement le fils se marie sous le régime de
G a z e tte Sp é cia lisée
J u r i s p r u de n c e
la communauté universelle avec attribution intégrale de
la communauté au conjoint survivant. Quelques mois plus
tard, le fils décède sans postérité. Sa mère souhaite alors
faire jouer la clause de retour conventionnel, le conjoint
survivant entend pour sa part se prévaloir de son droit viager sur le bien objet de la donation. La mère assigne donc
sa belle-fille en expulsion et en paiement d’une indemnité
d’occupation.
Par cette décision, la haute juridiction confirme donc le
mécanisme contractuel de la clause de retour, à savoir
qu’il s’agit d’une condition résolutoire de la donation, de
sorte que les biens donnés échappent entièrement à la
succession. Par conséquent, le conjoint survivant ne dispose pas de la faculté d’invoquer ses droits successoraux,
puisque le bien n’a jamais intégré le patrimoine du donataire (Cass. 1re civ., 7 juin 1995, n° 93-14620).
La Cour de cassation censure partiellement la décision
des juges du fond. En effet, elle confirme l’arrêt s’agissant
des demandes de la mère, en considérant que la donation
a été consentie sous la condition résolutoire du prédécès
du donataire ; la condition s’étant réalisée, le bien devait
réintégrer le patrimoine de la donatrice. Toutefois, la
haute juridiction casse la décision d’appel en ce qu’elle
a rejeté la demande du conjoint survivant en remboursement des dépenses engagées sur le bien donné. Elle
rappelle que les dépenses utiles et nécessaires exposées
par le donataire et son épouse doivent faire l’objet d’un
remboursement, la donation étant considérée comme non
intervenue.
La donation faisant l’objet d’un anéantissement rétroactif, le bien donné est donc restitué au donateur dans l’état
où il se trouvait au décès du donataire, et est considéré
comme n’ayant jamais quitté le patrimoine du donateur
(C. Vernières, « Le droit viager ne fait pas obstacle au
retour conventionnel » : AJ famille 2015, p. 618). Or, le
donataire ayant pu engager des dépenses vis-à-vis de ce
bien, il y a donc lieu à l’établissement de comptes pour le
rembourser desdites dépenses. Si le bien a été amélioré,
les dépenses utiles et nécessaires, à savoir celles qui ont
pour objet de conserver et d’améliorer le bien, devront
être remboursées ; celles ne répondant pas à ces caractéristiques seront définitivement assumées par le donataire.
La procédure de contrôle du partage successoral conclu pour le compte d’enfants
mineurs relève du champ d’application du Règlement Bruxelles II bis 253s9
1
L’essentiel La procédure d’approbation d’un accord de
partage successoral conclu par le tuteur pour le compte
d’enfants mineurs est une mesure relative à l’exercice de l’autorité parentale et relève donc, à ce titre,
du Règlement (CE) n° 2201/2003 du 27 novembre 2003
relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution
des décisions en matière matrimoniale et en matière
de responsabilité parentale, et non du Règlement (UE)
n° 650/2012 du 4 juillet 2012 relatif à la compétence, la loi
applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions
en matière de successions.
CJUE, 3e ch., 6 oct. 2015, no C-404/14, Matoušková, M. Ilešič,
prés. ch., M. Ó Caoimh, Mme Toader (rapp.), MM. Jarašiūnas
et Fernlund, juges, Mme Kokott, av. gén.
L
a Cour de justice de
l’Union européenne a
Valentine DARMOIS
répondu à la question de
Avocat au barreau de
l’articulation entre les disParis, cabinet Mulon
positions du Règlement (UE)
Associés
n° 650/2012 du 4 juillet 2012
relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance
et l’exécution des décisions en matière de successions et
celles du Règlement (CE) n° 2201/2003 du 27 novembre
2003 relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière
de responsabilité parentale, dit Bruxelles II bis, lorsqu’est
en cause une procédure d’approbation judiciaire d’un accord de partage successoral conclu par le tuteur pour le
compte d’enfants mineurs.
Note par
La défunte, de nationalité tchèque, dont le dernier domicile
se trouvait en République tchèque, décède aux Pays-Bas.
Elle laisse pour lui succéder son époux et ses deux enfants
mineurs, tous trois domiciliés aux Pays-Bas.
Un tribunal tchèque ouvre la procédure successorale en
désignant un notaire pour procéder aux opérations et en
nommant un tuteur ad hoc pour représenter les intérêts
des enfants mineurs dans le cadre des opérations de succession de leur mère.
Un accord de partage successoral est conclu entre les héritiers. Toutefois, un an plus tard, le conjoint survivant fait
état du fait que la défunte avait, à la date de son décès, son
domicile réel aux Pays-Bas et non en République Tchèque,
où elle ne disposait que d’un domicile enregistré. Il fait
également état de l’existence d’une procédure successorale en cours aux Pays-Bas.
L’accord de partage successoral est soumis par le commissaire judiciaire au juge des tutelles, qui renvoie le
dossier sans examiner le fond, au motif que les enfants mineurs résidaient depuis longtemps hors de la République
tchèque. Le tribunal indique qu’il ne peut ni se déclarer
incompétent, ni renvoyer l’affaire devant la Cour suprême
tchèque afin de déterminer la juridiction territorialement
compétente.
Le notaire désigné s’adresse alors directement à la Cour
suprême en lui demandant de désigner le tribunal territorialement compétent pour l’approbation de l’accord de
partage successoral en cause. Cette Cour saisit la Cour de
justice de l’Union européenne d’une question préjudicielle
afin de savoir si l’approbation, par le juge des tutelles, d’un
accord de partage successoral conclu par un tuteur pour
le compte d’enfants mineurs, relève du champ d’application du Règlement (UE) n° 650/2012 du 4 juillet 2012 relatif
aux successions (qui n’était pas applicable ratione temporis
en l’espèce) ou de celui du Règlement (CE) n° 2201/2003
du 27 novembre 2003 relatif à la responsabilité parentale.
G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1
87
G a ze tte Spé ci a li s é e
Jurisp rud e n ce
La Cour de justice juge que l’approbation d’un accord de
partage successoral conclu par le tuteur d’enfants mineurs
pour le compte de ceux-ci constitue une mesure relative
à l’exercice de la responsabilité parentale et relève donc
du Règlement (CE) n° 2201/2003 du 27 novembre 2003 dit
« Bruxelles II bis », et non du Règlement (UE) n° 650/2012
du 4 juillet 2012 relatif à la compétence, la loi applicable,
la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière
de successions. Elle estime en effet que la procédure
d’approbation est prévue par le droit tchèque en raison
de la capacité juridique restreinte des enfants mineurs,
dans un objectif de protection de l’intérêt supérieur de ces
enfants. Elle juge donc que le fait que cette approbation
ait été demandée dans le cadre d’une procédure successorale n’est pas déterminant : elle est sollicitée parce
qu’il s’agit d’un acte d’administration qui ne relève pas
d’un acte de gestion courant et qui doit dès lors être validé
par le juge des tutelles, et non pas parce qu’elle intervient
dans le cadre du règlement d’une succession.
La Cour se fonde également sur le rapport rédigé par
Paul Lagarde sur la Convention de La Haye du 19 octobre
1996, entrée en vigueur le 1er février 2011, qui indique que
« si la loi successorale décide qu’un héritier mineur ne
peut accepter une succession que moyennant certaines
mesures de protection, en raison des dangers qu’une
obligation au passif pourrait lui faire courir, la convention
ne s’appliquera pas à ces mesures de protection. Tout au
plus admettra-t-on (…) que si la loi successorale prévoit
l’intervention du représentant légal de l’enfant héritier, ce
représentant soit déterminé en application des règles de
la Convention ». La Cour en déduit que la Convention de
La Haye retient implicitement que la question de l’intervention du représentant légal de l’enfant héritier relève
de l’autorité parentale.
La CJUE relève également que le Règlement (UE) du 4 juillet 2012 exclut expressément la question de la capacité
juridique des personnes physiques, en acceptant uniquement de régir la question de la capacité de succéder et
celle du défunt de prendre une disposition à cause de
mort.
Cette solution paraît logique au regard des exclusions visées par l’un et l’autre des règlements européens précités,
tels que détaillés par la Cour de justice de l’Union européenne. Toutefois, cette solution posera sans nul doute
d’importantes difficultés pratiques dans les hypothèses
où les héritiers mineurs n’auront pas leur résidence habituelle dans le même État que le défunt, ce qui, au regard
de l’internationalisation des situations familiales, risque
de s’avérer de plus en plus fréquent.
En effet, dès lors que le Règlement (UE) n° 650/2012 du
4 juillet 2012 relatif aux successions rend compétentes
les juridictions de l’État membre de la dernière résidence habituelle du défunt, la règle de conflit de lois qu’il
édicte désigne la loi du for pour régir l’ensemble de cette
succession. Or, c’est bien cette loi qui prévoit potentiellement, comme c’était le cas en l’espèce, une procédure
d’approbation du partage successoral projeté par le juge
des tutelles lorsque certains des héritiers sont mineurs.
(...)
88
G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1
Toutefois, une fois édictées les conditions de validité de
l’accord successoral, parmi lesquelles figure cette procédure d’approbation, les juridictions de cet État membre
ne pourront pas statuer, contraintes d’effacer leur compétence au profit des juridictions de l’État membre de la
résidence habituelle des enfants. Or, cette solution ne
semble pas opportune puisqu’elle rallonge les opérations
de successions en imposant, sous couvert de protection
de l’intérêt supérieur des enfants mineurs concernés, de
saisir une juridiction dont les règles internes et procédurales du droit des successions et des tutelles seront, par
hypothèse, complètement différentes.
La Cour de justice semble avoir intégré le risque de difficultés engendré par le morcellement de la compétence entre
les juridictions de l’État membre de la résidence habituelle
du défunt et celui de l’enfant, lorsqu’une succession internationale est ouverte en présence d’héritiers mineurs,
puisqu’elle rappelle que le Règlement Bruxelles II bis ne
pose pas une compétence exclusive au profit des juridictions de l’État membre dans lequel l’enfant a sa résidence
habituelle. En effet, ce règlement prévoit, en son article 12, des hypothèses de prorogation de compétence en
matière de responsabilité parentale, d’une part au profit
des juridictions d’un État membre avec lequel l’enfant a
des liens étroits (notamment au profit de la juridiction de
l’État du lieu de résidence habituelle de l’un des titulaires
de la responsabilité parentale) et, d’autre part au profit
des juridictions d’un État membre dont la compétence a
été acceptée expressément ou de manière non équivoque
par toutes les parties à la procédure à la date à laquelle la
juridiction a été saisie.
Dès lors, la Cour de justice semble estimer que l’article 12
du Règlement Bruxelles II bis permettra d’éviter un tel
morcellement en octroyant aux juridictions saisies du règlement successoral de se reconnaître compétentes dès
lors que l’enfant aura eu un lien étroit avec cet État ou
que leur compétence aura été acceptée par toutes les parties à la procédure. Toutefois, la réalité risque d’être plus
complexe. Pourra-t-on considérer que cette prorogation
de compétence peut s’appliquer à une procédure de partage successoral, dès lors que l’article 12 du Règlement
vise la « matière de responsabilité parentale dans des
procédures autres que celles visées au paragraphe 1 » ?
De même, lorsque le défunt était titulaire de l’autorité
parentale sur l’enfant mineur, pourra-t-on considérer
que « l’un des titulaires de la responsabilité parentale y a
sa résidence habituelle », postérieurement à son décès ?
Enfin, comment la compétence des juridictions statuant
sur le règlement de la succession pourrait être acceptée
par toutes les parties à la procédure, dès lors que cette
acceptation ne pourrait être opérée, au profit des enfants
mineurs, que par leur tuteur ? Il paraîtrait en effet étonnant
que le tuteur puisse accepter la compétence des juridictions chargées de vérifier que l’accord successoral qu’il
projette de conclure pour le compte d’enfants mineurs est
bien conforme à l’intérêt supérieur de ces enfants.
G a z e tte Sp é cia lisée
J u r i s p r u de n c e
X. ÉTAT DES PERSONNES
A. Nom et prénom
Du bon usage des procédures en matière de changement de nom 253u3
1
L’essentiel Trois arrêts récents de la première chambre
civile de la Cour de cassation illustrent les voies procédurales ouvertes en matière de changement de nom, et
témoignent d’une nette tendance à favoriser le recours à
la procédure administrative prévue à l’article 61 du Code
civil.
Cass. 1re civ., 8 juill. 2015, no 14-19131, M. Z, PB (rejet pourvoi
c/ CA Rennes, 14 avr. 2014), Mme Batut, prés. ; SCP Piwnica et
Moliné, av. - Cass. 1re civ., 8 juill. 2015, no 14-50062, Procureur
général près la CA de Rennes, PB (cassation sans renvoi CA Rennes,
10 sept. 2013), Mme Batut, prés. ; SCP Waquet, Farge et Hazan,
av. - Cass. 1re civ., 9 sept. 2015, no 14-19876, Mme X Y c/ M. Z,
PB (rejet pourvoi c/ CA Paris, 12 nov. 2013), Mme Batut, prés. ;
SCP Waquet, Farge et Hazan, av.
R
appelons que l’article 61
Note par
du Code civil prévoit
Julie PIERROTque « toute personne qui
BLONDEAU
justifie d’un intérêt légitime
Avocat au barreau de
peut demander à changer de
Paris, BWG Associés
nom. La demande de chanet
gement de nom peut avoir
Marion GALVEZ
pour objet d’éviter l’extincAvocat au barreau de
Paris, BWG Associés
tion du nom porté par un
ascendant ou un collatéral
du demandeur jusqu’au quatrième degré. Le changement
de nom est autorisé par décret ».
Cette procédure administrative, initialement conçue pour
permettre à une personne de changer un nom ridicule ou
à consonances négatives, se trouve en fait, de plus en plus,
utilisée, notamment pour des considérations familiales,
afin surtout de faire correspondre le nom à une réalité
familiale ou affective, étant précisé que les juges du fond
apprécient souverainement si le requérant a un intérêt
légitime à demander le changement de son nom.
Le juge judiciaire est aussi amené à intervenir en matière
de changement de nom, notamment dans le cadre de la
procédure de rectification d’état civil prévue à l’article 99
du Code civil, selon lequel « La rectification des actes de
l’état civil est ordonnée par le président du tribunal (…). La
requête en rectification peut être présentée par toute personne intéressée ou par le procureur de la République ;
celui-ci est tenu d’agir d’office quand l’erreur ou l’omission porte sur une indication essentielle de l’acte ou de la
décision qui en tient lieu (…) ».
Mais cette intervention fait aujourd’hui l’objet d’un encadrement très strict, comme en témoignent les deux arrêts
rendus par la première chambre civile de la Cour de cassation le 8 juillet 2015 (pourvois n°s 14-19131 et 14-50062) (I).
Tel est d’autant plus le cas que, depuis le 1er juillet 2006,
il n’est aujourd’hui plus possible de saisir le juge aux
affaires familiales pour obtenir, en l’absence d’accord
des parents, une modification du nom de l’enfant issu de
parents non mariés (substitution du nom dont la filiation a
été établie en second ou accolement des deux noms), à la
suite de l’abrogation de l’ancien article 333-4 du Code civil
par l’ordonnance n° 2005-759 du 4 juillet 2005.
Le recours à la procédure administrative de changement
de nom, qui se trouve dès lors encouragé, n’est cependant
pas exclusif de l’intervention du juge judiciaire, lequel peut
en effet être amené à intervenir pour autoriser le recours
à la procédure administrative de changement de nom.
Mais comme le souligne la Cour de cassation dans son
arrêt du 9 septembre 2015 (pourvoi n° 14-19876), son
champ d’intervention est néanmoins strictement limité (II).
I. LA LIMITATION DU RECOURS
À LA PROCÉDURE EN RECTIFICATION
D’ÉTAT CIVIL
Les deux arrêts rendus par la première chambre civile de
la Cour de cassation le 8 juillet 2015 illustrent parfaitement la limitation du champ d’application de la procédure
en rectification d’état civil prévue à l’article 99 du Code
civil qui profite à la procédure administrative de l’article 61
du même code.
1. Dans la première espèce (Cass. 1re civ., 8 juill. 2015,
n° 14-19131), un enfant reconnu par sa mère quelques
jours après sa naissance en 1978, se voit attribuer le nom
de sa mère.
Cette dernière s’est ensuite mariée et a, avec son mari,
procédé, en 1983, à une déclaration conjointe par laquelle
les époux ont substitué le nom du mari au nom de la mère
dévolu initialement à l’enfant. Ils ont ainsi procédé à une
dation de nom par le mari de la mère, permise par l’article 334-5 du Code civil alors en vigueur.
Vingt-cinq ans plus tard, soit en 2008, l’enfant est reconnu
par son père. Devenu adulte, l’enfant a alors, en 2011, saisi
le président du tribunal de grande instance d’une requête
en rectification de son acte de naissance afin de porter le
nom de sa mère, et non plus celui du mari de cette dernière avec lequel il n’avait aucun lien de filiation. Il a été
débouté de sa demande en première instance ainsi qu’en
appel.
La cour d’appel a notamment considéré que les conditions
d’application des anciennes dispositions de l’article 334-5
du Code civil relatives à la dation de nom, qui avait été
effectuée en 1983 par la mère et son mari, étaient pleinement réunies en l’absence d’établissement d’une filiation
paternelle à cette date, et que cette dation continuait
alors à produire ses effets, et ce quand bien même les
articles relatifs à la dation de nom avaient été abrogés
entre-temps.
Le requérant a alors formé un pourvoi en cassation au
soutien duquel il faisait valoir :
- d’une part, que la reconnaissance de paternité d’enfant
étant un acte déclaratif dont les effets remontent au jour
de la naissance, la dation de nom effectuée en 1983 n’était
pas possible compte tenu de l’existence d’une filiation
G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1
89
G a ze tte Spé ci a li s é e
Jurisp rud e n ce
paternelle, de sorte que la mention du nom du mari de sa
mère était erronée ;
- d’autre part, « que les dispositions de l’article 334-5 alinéa 2 du Code civil qui enfermaient dans un délai de deux
ans après sa majorité la possibilité pour l’enfant à qui le
mari de sa mère avait donné son nom, de reprendre le
nom qu’il portait antérieurement, ayant été abrogées, la
personne qui, pendant son enfance, a bénéficié d’une telle
dation de nom, peut toujours reprendre le nom porté auparavant », nul ne pouvant être contraint de porter le nom
d’une personne avec laquelle aucun lien de filiation n’a été
établi, à moins d’y avoir expressément consenti.
La Cour de cassation n’a pas été sensible à ces arguments : elle a rejeté le pourvoi, validant ainsi la dation de
nom effectuée en l’absence de filiation paternelle établie
lors de la déclaration des époux, mais surtout, en relevant expressément que le requérant n’avait pas exercé,
dans le délai de deux ans suivant sa majorité, le droit de
reprendre le nom de sa mère dans les conditions prévues
par le second alinéa de l’article 334-5 du Code civil. En
d’autres termes, aucune erreur justifiant une rectification
de l’acte de naissance sur le fondement de l’article 99 du
Code civil ne pouvait être caractérisée, ce qui est logique
car aucune filiation paternelle n’avait été établie lors de la
déclaration de dation de nom.
Pour autant, la Cour de cassation ne laisse pas les parties sans solution ni explication, puisqu’elle indique la voie
procédurale adaptée en précisant que le requérant pouvait
solliciter une autorisation de changement de son nom en
suivant la procédure prévue par l’article 61 du Code civil.
Cette procédure administrative suppose néanmoins la caractérisation d’un intérêt légitime, qui relève donc d’une
appréciation subjective, contrairement à la procédure
judiciaire de rectification d’état civil, qui nécessite simplement de caractériser une erreur ou une omission, et
relève donc d’une appréciation plus objective. C’est d’ailleurs peut-être pour cette raison que le requérant avait
préféré la voie judiciaire à la voie administrative...
2. Dans la seconde espèce (Cass. 1re civ., 8 juill. 2015,
n° 14-50062), le requérant, né au Mexique le 2 septembre
1928 (la naissance ayant été déclarée par le père), de
nationalité espagnole, sous le nom de son père et de sa
mère, française, a, en 1954, fait transcrire son acte de
naissance étranger sur les registres de l’état civil français.
L’officier d’état civil consulaire ayant procédé à la transcription lui a attribué comme nom le seul nom de son père,
sans adjonction de celui de sa mère.
L’intéressé a d’abord sollicité auprès du procureur de
la République la rectification de la transcription de son
acte de naissance au motif que l’officier d’état civil aurait
outrepassé les limites de sa compétence en attribuant le
seul nom de son père, demande dont il a été débouté.
Il a donc ensuite, avec son conjoint et ses enfants, saisi le
président du tribunal de grande instance de Nantes aux
fins de rectification judiciaire de leurs actes de naissance
sur le fondement de l’article 99 du Code civil.
Leur demande a été accueillie favorablement en première
instance ainsi que devant la cour d’appel de Rennes, cette
dernière ayant confirmé le jugement ordonnant la rectification des actes de l’état civil en cause en adjoignant au
nom du père celui de la mère.
90
G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1
La cour d’appel a, tout d’abord, retenu que l’officier d’état
civil qui avait transcrit l’acte étranger en attribuant à l’enfant le seul nom de son père, n’avait pas commis d’erreur
ni outrepassé les limites de sa compétence, dès lors que
les règles de dévolution du nom en vigueur en France lors
de la transcription conduisaient à l’attribution du nom du
père. Elle précisait en outre que le fait que l’intéressé soit
autorisé à porter à titre d’usage les deux noms accolés
n’était pas de nature à lui conférer le droit de modifier son
nom à l’état civil.
Néanmoins, elle fait droit à la demande des requérants
en considérant qu’il est conforme au principe de nondiscrimination et de libre circulation des ressortissants
de l’Union européenne que le requérant puisse disposer
du même état civil quant à son nom patronymique dans
les deux États membres (France et Espagne) dont il est
ressortissant.
Saisie par d’un pourvoi du procureur général (il faisait
valoir que les conditions de la jurisprudence de la CJUE
permettant à un ressortissant de l’Union européenne de
disposer du même état civil dans les pays membres dont il
est ressortissant en vertu du principe de non-discrimination et de libre circulation n’étaient pas réunies, renvoyant
aux décisions suivantes : CJCE, 2 oct. 2003, n° C-148/02,
Garcia Avello c/ Belgique ; CJCE, 14 oct. 2008, n° C-353/06,
Grunkin-Paul), la Cour de cassation a censuré les juges du
fond au visa des articles 99 et 61 du Code civil, en énonçant
« qu’en statuant comme elle l’a fait, alors qu’il résultait
de ses constatations que les prétentions des consorts X
s’analysaient en une demande de changement de nom,
relevant de la procédure prévue à l’article 61 du Code civil,
la cour d’appel a excédé ses pouvoirs et violé les textes
susvisés ».
Là encore, la solution est logique : la procédure en rectification d’état civil prévue à l’article 99 du Code civil, sur
laquelle s’étaient fondés les requérants, requiert la caractérisation d’une erreur de l’officier d’état civil.
Or la cour d’appel, qui a fait droit à leur demande, avait expressément relevé cette absence d’erreur, et pour cause,
l’officier d’état civil avait seulement fait application de la
loi en vigueur.
La haute juridiction vient donc, par cette espèce, rappeler
que le domaine d’application de la procédure en rectification d’état civil est limité, cette procédure ne pouvant
être mise en œuvre en l’absence d’irrégularité (erreur ou
omission), et qu’il existe dans cette hypothèse la procédure spécifique de l’article 61 du Code civil permettant
d’obtenir la modification du nom, sous réserve, là encore,
de la justification d’un intérêt légitime.
II. L’ARTICULATION DES POUVOIRS
DU JUGE JUDICIAIRE ET DE L’AUTORITÉ
ADMINISTRATIVE POUR L’AUTORISATION
DE CHANGEMENT DE NOM D’UN ENFANT
MINEUR
Un autre arrêt récent de la première chambre civile de
la Cour de cassation du 9 septembre 2015 illustre l’articulation des pouvoirs entre le juge judiciaire et l’autorité
administrative en matière de changement de nom (Cass.
1re civ., 9 sept. 2015, n° 14-19876).
Cet arrêt a déjà le mérite de rappeler la règle prévue
par l’article 2, 7° du décret n° 94-52 du 20 janvier 1994
G a z e tte Sp é cia lisée
J u r i s p r u de n c e
relatif à la procédure de changement de nom, modifié par
le décret n° 2005-1678 du 28 décembre 2005 relatif à la
procédure civile, à certaines procédures d’exécution et à
la procédure de changement de nom, aux termes duquel,
lorsque la demande de changement de nom sur le fondement de l’article 61 du Code civil faite pour le compte d’un
mineur n’est pas présentée par ses deux parents exerçant en commun l’autorité parentale, le juge aux affaires
familiales exerçant les fonctions de juge des tutelles doit
autoriser le parent demandeur à former cette demande.
En l’espèce, dans cet arrêt, une femme a donné naissance
à un enfant le 23 novembre 2011, inscrit à l’état civil sous
le nom de sa mère. Sa filiation paternelle a ensuite été
établie par reconnaissance effectuée le 21 janvier 2012.
Face au refus de la mère de procéder à une déclaration
conjointe de changement de nom de l’enfant par substitution du nom du père à l’un de ses deux noms, le père a
saisi le juge aux affaires familiales statuant comme juge
des tutelles des mineurs, afin d’être autorisé à déposer
une demande de changement de nom sur le fondement de
l’article 61 du Code civil. Le JAF a fait droit à sa demande
et la mère a alors interjeté appel de cette décision.
La cour d’appel de Paris a, par un arrêt du 12 novembre
2013, autorisé le père à présenter une demande de changement de nom de son enfant auprès du garde des Sceaux,
arrêt contre lequel la mère a formé un pourvoi en cassation. Elle reproche à la cour d’appel, en substance,
d’avoir violé l’article 4 du Code civil en refusant d’examiner le moyen selon lequel le père avait utilisé de manière
détournée la procédure administrative de changement de
nom pour obtenir, de l’autorité administrative, une modification ne pouvant plus être demandée au juge judiciaire.
La Cour de cassation a rejeté son pourvoi au motif :
- qu’il n’appartenait pas au JAF exerçant les fonctions de
juge des tutelles d’apprécier l’existence d’un éventuel
détournement de la procédure administrative de changement de nom prévue à l’article 61 du Code civil, ce contrôle
relevant de la seule compétence de l’autorité administrative chargée d’apprécier l’intérêt légitime de la demande ;
- qu’il incombe seulement à ce juge, saisi d’une demande
d’autorisation à agir en changement de nom par l’administrateur légal d’un enfant mineur, d’apprécier si le
changement envisagé, qui est sans incidence sur le lien
de filiation, présente un intérêt pour l’enfant.
Si la solution semble logique, elle a le mérite de définir
clairement le rôle de l’autorité administrative et celui du
juge judiciaire, chacun dans son domaine de compétence :
pour la première, l’intérêt légitime de procéder à un changement de nom, et pour le second, l’intérêt de l’enfant que
soit examinée une demande de changement de nom le
concernant.
En résumé, ces arrêts illustrent une certaine tendance
à un glissement des demandes de changement de nom
au profit de la procédure administrative de l’article 61 du
Code civil. La raison est peut-être de vouloir faciliter l’accès à cette procédure, ouverte à tous les justiciables qui
justifient d’un intérêt légitime, sans avoir à recourir aux
services d’un avocat.
Reste à savoir néanmoins si la Chancellerie, dont les
moyens du Service du changement de nom sont aujourd’hui très limités, avec des délais de plus en plus longs
pour l’examen des requêtes, va pouvoir faire face au traitement de toutes les demandes.
B. Sexe
Reconnaissance, pour la première fois en France, de la mention « sexe neutre »
sur l’état civil 253q2
1
L’essentiel Le tribunal de grande instance de Tours admet
pour la première fois la reconnaissance de la mention
« sexe neutre » sur l’état civil en la substituant à celle de
« sexe masculin ». Le requérant justifiait en effet de l’impossibilité d’être rattaché à l’un des deux sexes, si bien
que la mention « sexe masculin » qui lui avait été imposée
à la naissance était une fiction juridique et contrevenait
à l’article 8 de Convention de sauvegarde des droits de
l’Homme et des libertés fondamentales.
TGI Tours, 2e ch. civ., 20 août 2015, M. Augiron, prés. ;
Me Petkova, av.
C
ette décision inédite rendue par le tribunal de
Béatrice BLOQUEL
grande instance de Tours
Avocat au barreau de
reconnaît pour la première
Paris, Mulon Associés
fois la possibilité pour une
personne intersexuée (1) de
se voir apposer la mention de « sexe neutre » sur son acte
d’état civil.
Note par
(1) On qualifie d’intersexes les personnes qui, compte tenu de leur sexe chromosomique, gonadique ou anatomique, n’entrent pas dans la classification établie par
les normes médicales des corps masculins et féminins. Ces spécificités se manifestent, par exemple, au niveau des caractéristiques sexuelles secondaires comme
la masse musculaire, la pilosité et la stature, ou des caractéristiques sexuelles primaires telles que les organes génitaux internes et externes et/ou la structure chromosomique et hormonale. V. à ce sujet D. C. Ghattas, Human Rights between
the Sexes: A preliminary study in the life of inter individuals, Henrich Böll Stiftung,
Publication Series on Democracy, 2013, vol. 34, p. 10.
G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1
91
G a ze tte Spé ci a li s é e
Jurisp rud e n ce
En l’espèce, le requérant était né intersexué et avait été
déclaré par ses parents de sexe masculin à sa naissance,
mention qui figurait sur son acte d’état civil. Il saisit la
juridiction de Tours pour solliciter la modification de son
acte d’état civil afin que soit substituée la mention « sexe
neutre » ou la mention « intersexe » à celle de « sexe
masculin », estimant que cette dernière est erronée. Au
soutien de sa demande, le requérant invoque l’article 57
du Code civil qui, selon lui, n’impose pas la binarité des
sexes, mais également l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme qui garantit
le respect à la vie privée. Le ministère public s’oppose à sa
demande, estimant que l’article 57 du Code civil et les circulaires relatives à l’état civil imposent que tout individu
soit rattaché à l’un des deux sexes. Les juges décident
de ne pas suivre les réquisitions du ministère public. Le
TGI de Tours ordonne ainsi la substitution de la mention
« sexe neutre » à celle de « sexe masculin » dans l’acte de
naissance du requérant, et fonde sa décision au regard de
l’article 8-1 de la Convention européenne de sauvegarde
des droits de l’Homme et de l’article 57 du Code civil.
La question posée aux juges du fond était inédite, tout
comme l’est leur réponse. Il était en effet déjà admis par la
jurisprudence que lorsque le sexe d’une personne venait
à être modifié suite à un traitement médical, cette dernière
pouvait solliciter, sous certaines conditions, la modification de son état civil, celle-ci étant justifiée au regard du
respect dû à sa vie privée (2). En l’espèce, la question posée
était autre puisque le requérant était né avec les attributs
des deux sexes, ce qui avait été constaté médicalement, et
considérait ainsi que le sexe masculin qui lui avait été attribué ne correspondait pas à la réalité. Ainsi, ne se posait
pas la question de la reconnaissance du changement de
sexe mais celle du sexe indéterminable, à laquelle le droit
positif n’apporte aujourd’hui aucune réponse.
En effet, l’article 57 du Code civil prévoit que l’acte de naissance énonce notamment « le jour, l’heure et le lieu de la
naissance, le sexe de l’enfant, les prénoms qui lui seront
donnés et le nom de famille ». Par dérogation, il est prévu
par l’article 55 de la circulaire du 28 octobre 2011 relative
aux règles particulières à divers actes d’état civil qu’il est
possible de ne donner aucune indication sur le sexe de
l’enfant dans l’acte de naissance en raison de l’indétermination de ce dernier, ce qui est exceptionnel. Cependant,
cette dérogation est limitée à l’hypothèse où le sexe peut
être déterminé dans un délai maximum de deux ans à la
suite d’un traitement médical. Autrement dit, soit le sexe
est déterminable dès la naissance et doit être mentionné
à l’acte civil, soit il l’est dans une période maximale de
deux ans et sera ultérieurement porté à l’état civil. Mais
quid s’il ne peut jamais l’être, comme c’est le cas en
l’espèce ?
C’est à cette délicate question qu’ont dû répondre les
juges du fond en apportant une solution justifiée, à notre
sens, bien que suscitant de nombreuses interrogations.
Le raisonnement des juges est le suivant : si l’article 57
du Code civil impose la mention du sexe sur l’état civil à la
naissance de l’enfant, encore faut-il que celui-ci puisse
(2) Cass. ass. plén., 11 déc. 1992, nos 91-11100 et 91-12373. V. égal. la proposition
de loi AN n° 3084 du 29 sept. 2015 visant à faciliter la modification de la mention du sexe à l’état civil pour les personnes transsexuelles.
92
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être déterminé, ce qu’il peut être par dérogation dans un
délai maximum de deux ans. La mention « masculin » ou
« féminin » doit ainsi, en l’état des textes, obligatoirement
figurer sur l’état civil. Cependant, force est de constater
qu’en l’espèce, le requérant rapportait la preuve de l’impossibilité de définir son sexe d’un point de vue génital,
hormonal et psychologique. Or, aucun texte en droit français, comme il l’a été rappelé, ne règle la situation du sexe
indéterminable. De même, l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme garantit
le respect du droit à la vie privée, notion qui, selon la jurisprudence européenne rappelée par les juges tourangeaux,
englobe également l’identité sexuelle de l’individu. Ainsi,
le sexe imposé au requérant apparaissant comme une
pure fiction, ce dernier ne pouvait que contrevenir à l’article 8, alinéa 1, de la Convention. Enfin, les juges du fond
estiment que cette demande ne se heurte pas à l’ordre
public, celle-ci ne remettant pas en cause le système de
binarité des sexes, ne faisant que constater que la mention
qui figure sur l’acte d’état civil du requérant est erronée
et qu’il est impossible de le rattacher à tel ou tel sexe. À la
mention de « sexe masculin » est donc substituée celle de
« sexe neutre », ce qui nous semble fondé juridiquement.
Cependant, sûrement conscients des débats qu’allait susciter leur décision, les juges du fond ont tenu à préciser
sa portée. Ils indiquent ainsi expressément qu’il ne s’agit
« aucunement dans l’esprit du juge de voir reconnaître
l’existence d’un quelconque troisième sexe […] mais de
prendre simplement acte de l’impossibilité de rattacher
en l’espèce l’intéressé à tel ou tel sexe et de constater que
la mention qui figure sur son acte de naissance est simplement erronée ». Autrement dit, la décision ne reconnaît
aucunement l’existence d’un troisième genre et ne crée en
aucune manière un droit pour toute personne à se prévaloir de l’inscription « neutre » à sa convenance.
Cette précision est-elle cependant suffisante pour balayer
toute discussion relative à la reconnaissance d’un troisième genre ? Rien n’est moins sûr.
Si la majeure partie des États de l’Union européenne,
à l’instar de la France, autorisent que le sexe de l’enfant
soit enregistré ultérieurement, dans un délai limité, s’il ne
peut être déterminé immédiatement après la naissance ;
ce n’est pas le cas de l’Allemagne. Ainsi, la loi du 7 mai
2013 portant modification de la législation sur le statut
personnel, en vigueur depuis le 1er novembre 2013, prévoit
qu’il puisse n’y avoir aucune mention concernant le sexe
sur l’acte d’état civil, et ce pour une durée indéterminée (3).
Autrement dit, les personnes intersexuées ne se verront
jamais imposer la mention F ou M sur leur état civil,
contrairement aux législations des autres États membres.
En Allemagne, les personnes intersexuées disposent ainsi
du choix d’opter pour l’un des deux sexes ou de rester leur
vie durant sous un statut indéterminé.
Sur le plan international, hors Union européenne, certains
pays vont aujourd’hui encore plus loin. L’Inde reconnaît ainsi trois catégories : « féminin », « masculin » et
« autre » (4). Certains pays autorisent sur le passeport la
(3) Loi du 7 mai 2013 : JO fédéral I n° 23 2013, 14 mai 2013, p. 1122 ; correctif
du 12 juill. 2013 : JO fédéral I n° 38 2013, 18 juill. 2013, p. 2440.
(4) V. « Droits de l’homme et personnes intersexes », rapp. publié par le commissaire aux droits de l’Homme du Conseil de l’Europe, 23 juin 2015.
G a z e tte Sp é cia lisée
J u r i s p r u de n c e
mention « X » en sus des mentions M ou F, comme l’Australie, la Malaisie, l’Afrique du Sud ou encore le Népal. La
Haute cour australienne est d’ailleurs allée jusqu’à reconnaître en 2014 l’inscription « sexe non spécifique » sur les
registres d’état civil, pour une personne ayant entrepris
des actes médicaux de transition sexuelle (5).
Récemment, le commissaire aux droits de l’Homme du
Conseil de l’Europe a même publié un rapport dans lequel il recommande aux États membres de « faciliter la
reconnaissance des personnes intersexes devant la loi
en leur délivrant rapidement des actes de naissance,
des documents d’état civil, (…) et autres documents
personnels officiels, tout en respectant le droit de ces
personnes à l’autodétermination. L’assignation de sexe/
(5) Haute cour d’Australie, 2 avr. 2014, NSW Registrar of Births, Deaths and Marriages c/ Norrie ; V. B. Moron-Puech, « Création d’un sexe “non spécifique” par
la Haute Cour d’Australie » : RTDH, Actualités Droits-Libertés, mis en ligne
le 10 avr. 2014.
genre (…) dans les documents officiels devrait offrir la
possibilité de ne pas choisir un marqueur de genre spécifié, « masculin » ou « féminin ». Les États membres
devraient examiner la nécessité d’indiquer le genre dans
les documents officiels » (6).
La décision du TGI de Tours du 20 août 2015 est donc bien
plus qu’une simple décision de rectification. Elle s’inscrit dans un mouvement de réflexion plus vaste en faveur
de la reconnaissance des droits fondamentaux des personnes intersexuées, déjà entamée sur le plan européen
et international.
Le ministère public ne s’y est d’ailleurs pas trompé et a
d’ores et déjà fait appel de la décision, craignant un débat
national sur la reconnaissance d’un troisième sexe. Affaire
à suivre donc…
(6) V. rapport préc.
Nouvelle étape dans la protection des familles non traditionnelles : la CEDH impose
de fournir aux couples de même sexe un cadre juridique à leur union 253t6
1
L’essentiel Si la Cour de Strasbourg maintient sa jurisprudence antérieure selon laquelle l’article 12 de la
Convention européenne des droits de l’Homme n’impose pas aux États une obligation d’autoriser le mariage
entre personnes de même sexe, l’Italie se voit néanmoins condamnée sur le fondement de l’article 8 de la
Convention (violation de la vie privée et familiale) pour
ne pas avoir mis en place un quelconque cadre juridique
permettant la reconnaissance et la protection des unions
entre personnes de même sexe.
CEDH, 4e sect., 21 juill. 2015, no 18766/11, 36030/00,
Oliari et a. c/ Italie, P. Hirvela, prés., G. Raimondi, L. Bianku,
N. Tsotsoria, P. Mahoney, F. Vehabovic, Y. Gronzev, juges
D
epuis les premières décisions visant à éradiquer
Isabelle REINles sanctions pénales contre
LESCASTEREYRES
l’homosexualité (CEDH,
22 oct. 1981, n° 7525/76,
Dudgeon c/ Royaume-Uni), jusqu’à l’affirmation selon
laquelle les couples de même sexe doivent pouvoir bénéficier d’un cadre légal pour leur union, la Cour européenne
des droits de l’Homme a fait beaucoup pour lutter contre
les législations nationales discriminatoires sur la base de
l’orientation sexuelle.
Note par
Si l’on s’en tient à la jurisprudence la plus récente de la
Cour de Strasbourg, la première étape significative remonte à la décision Schalk et Kopf c/ Autriche du 24 juin
2010, dans laquelle la Cour affirme, pour la première fois,
que les couples de même sexe bénéficient d’un droit à
la protection de leur vie familiale garanti par l’article 8
de la Convention européenne des droits de l’Homme, et
non pas seulement d’un droit à la protection de leur vie
privée (CEDH, 24 juin 2010, n° 30141/04, Schalk et Kopf
c/ Autriche).
Il a ensuite fallu attendre la décision Vallianatos c/ Grèce
du 7 novembre 2013 pour que la Cour de Strasbourg
franchisse une nouvelle étape dans la protection des
couples de même sexe (CEDH, 7 nov. 2013, nos 29381/09
et 32684/09, Vallianatos c/ Grèce). Les requérants se
plaignaient de ce que le nouveau partenariat civil qui venait d’être adopté par la Grèce n’ouvrait celui-ci qu’aux
couples de sexe différent, excluant de facto les couples de
même sexe. La CEDH a conclu à une violation de l’article 8
combiné à l’article 14, en s’appuyant notamment sur le fait
que sur les dix-neuf États qui connaissent un partenariat,
seuls deux le réservent aux couples de sexe différent, et
que la Grèce n’apportait pas la preuve qu’il serait nécessaire et proportionné d’exclure ces couples d’une telle
forme d’union.
Avec la décision Oliari, la CEDH fait un pas supplémentaire.
En l’occurrence, six couples d’hommes italiens se plaignaient de ce que le droit italien ne leur donnait accès
ni au mariage, ni à une autre forme d’union comme un
partenariat civil, et sollicitaient sa condamnation sur le
fondement des articles 8 et 12, combinés à l’article 14
(en l’espèce, discrimination à raison de l’orientation
sexuelle). Tout au plus le droit italien permet-il désormais
de conclure un contrat de cohabitation sous seing privé,
sans que sa forme ou son contenu soit régi par la loi, et
ce n’était même pas le cas pour les requérants avant décembre 2013. Le droit italien permet également de saisir
les tribunaux dans des situations où les couples de même
sexe ne bénéficient pas concrètement des mêmes avantages que les couples de sexe différent mariés. Enfin, il
est possible, dans certaines mairies seulement, de faire
G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1
93
G a ze tte Spé ci a li s é e
Jurisp rud e n ce
enregistrer l’union des couples de même sexe, mais cet
enregistrement a un caractère essentiellement symbolique. Les plus hautes juridictions italiennes ont pourtant
attiré l’attention des autorités sur la nécessité de modifier la législation pour mettre en place un cadre juridique
protecteur.
La CEDH commence par constater que, tandis que dans
l’affaire Schalk et Kopf, à la date où elle s’était penchée
sur l’affaire, un partenariat civil était devenu accessible en
Autriche aux couples de même sexe, la situation en Italie
est toujours, cinq ans plus tard, celle d’une impossibilité
de se marier, comme de conclure un partenariat civil.
Elle considère que le simple enregistrement de l’union,
outre qu’il n’est disponible que dans à peine 2 % des mairies, ne confère aux requérants aucun statut civil officiel.
Quant aux accords de cohabitation, en dehors d’être
ouverts à tous ceux qui cohabitent, sans condition d’une
relation de couple stable, ils ont un cadre trop restreint
pour assurer la reconnaissance de ces unions et la protection du couple.
En outre, le fait qu’il soit possible de saisir les juridictions nationales pour voir reconnaître certains droits n’est
pas suffisant aux yeux de la CEDH dans la mesure où,
d’une part, les décisions sont prises au cas par cas, de
telle sorte qu’aucune cohérence n’est assurée et, d’autre
part, imposer d’en passer par une telle saisine constitue une contrainte non négligeable pour les personnes
concernées.
Par conséquent, en l’absence d’une possibilité de se
marier, les couples italiens de même sexe ont un intérêt
particulier à pouvoir conclure une forme de partenariat
enregistré.
La Cour de Strasbourg poursuit en mettant en balance
cet intérêt particulier avec les intérêts de la communauté
dans son ensemble. Or, sur ce point, elle estime que le
gouvernement italien n’a pas explicité ce qui, à ses yeux,
constituerait les intérêts de la communauté qu’il faudrait
protéger. Tout au plus s’est-il contenté de prétendre qu’il
fallait laisser le temps nécessaire à l’évolution des mentalités sur un sujet qu’il considère comme sensible. Sur
94
G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1
ce point, la CEDH conteste d’abord que le sujet présente
des éléments qui soient particulièrement sujets à controverse. Elle s’appuie en outre sur le mouvement progressif
constant en Europe vers une reconnaissance de plus en
plus large de ce type d’unions, sur l’opinion majoritaire en
Italie, et sur le fait que les plus hautes autorités judiciaires
italiennes ont appelé à une telle évolution.
Elle en déduit qu’en l’absence d’un intérêt prévalant de
la communauté qui viendrait s’opposer à l’intérêt individuel des couples de même sexe comme les requérants, le
gouvernement a outrepassé sa marge d’appréciation et a
manqué à ses obligations positives de protéger la vie privée et familiale de ces derniers.
L’Italie est donc condamnée pour ne pas avoir mis en place
un cadre juridique ouvert aux couples de même sexe.
La CEDH maintient en revanche sa jurisprudence antérieure (Schalk et Kopf préc. et CEDH, 16 juill. 2014,
n° 37359/09, Hämäläinen c/ Finlande) en rappelant que, en
dépit du nombre croissant d’États autorisant le mariage
entre personnes de même sexe, les États n’ont pas l’obligation de l’autoriser.
Ainsi, si les États conservent une large marge d’appréciation lorsqu’il s’agit d’autoriser ou non le mariage entre
personnes de même sexe, ils ne peuvent plus aujourd’hui
priver ces mêmes couples d’une forme d’union alternative
et ont, au contraire, l’obligation positive de la mettre en
place.
L’évolution très rapide de la jurisprudence de la CEDH
sur ces questions témoigne de ce que la Convention est
un instrument vivant qui doit être interprété à la lumière
des transformations sociales. Cette décision illustre également le fait que la Cour de Strasbourg ne veille pas
seulement à ce que les États n’interfèrent pas de manière
excessive avec le droit des citoyens à la protection de leur
vie privée et familiale ; l’article 8 de la Convention met à
leur charge un certain nombre d’obligations positives pour
assurer le respect effectif de ces droits. C’est ainsi que,
peu à peu, la CEDH participe à une meilleure protection
des familles non traditionnelles.
251u2