droit de la famille
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5 JANVIER 2016 Nouvelle formule Hebdo 136e ANNÉE . NO 1 À la une Les avocats à leur tour menacés d’ubérisation ? Le vrai danger, c’est que les avocats deviennent dépendants des plateformes qui s’offrent aujourd’hui sous le visage rassurant d’innocentes vitrines. Le danger est aussi réel que l’existence de ces sites apparaît inéluctable Actualité « En enfermant les mineurs délinquants, on en fait des exclus de la société qui deviendront des bombes vivantes » entretien avec Dominique ATTIAS Le business de l’expertise judiciaire en matière de dommages corporels libres propos par Nicole CHABRUX Doctrine La réforme du droit des contrats et le monde des affaires : une nouvelle version du principe comply or explain ! © FOTOLIA par Mustapha MEKKI Jurisprudence Depuis un an, les sites de référencement d’avocats se multiplient sur Internet Chronique de jurisprudence de droit des contrats par Dimitri HOUTCIEFF Gazette Spécialisée DROIT DE LA FAMILLE SOUS LA RESPONSABILITÉ SCIENTIFIQUE DE •Élodie MULON, Avocat au barreau de Paris, associé, Mulon Associés •Béatrice WEISS-GOUT, Avocat au barreau de Paris, associé, BWG Associés AVEC LA PARTICIPATION DE Camille Anger, Arnaud Bautrait-Lotellier, Lou Ben Simon, Béatrice Bloquel, Anne-Laure Casado, Olivia Cros, Valentine Darmois, Alice Depret, Laurie Dimitrov, Bertille Ducene, Marion Galvez, Sarajoan Hamou, Delphine Hornecker, Sophie Malbaut-Manas, Héloïse Malherbe, Niamh Ní Ghairbhia, Paula Peltzman, Julie Pierrot-Blondeau, Isabelle Rein-Lescastereyres, Charlotte Robbe, Anne Sannier, Clara Schlemmer-Bégué et Stéphanie Travade-Lannoy www.gazettedupalais.com Tr i b un e RIEN NE SE PERD… TOUT SE TRANSFORME 253a4 253a4 L François Xavier CHARVET Président du Conseil d’administration de la Gazette du Palais, avocat au Barreau de Paris “ Les choses évoluent. Et c’est ce qui fait toute la saveur du monde juridique et judiciaire ” e rideau s’est baissé sur l’année 2015 avec ses discussions sur l’avocat en entreprise et l’AJ, le vote au parlement de dispositions sécuritaires, la loi Macron 1, les campagnes pour les élections aux bâtonnats et/ou aux conseils de l’ordre, etc. Et le rideau se lève sur 2016 avec de nouvelles discussions sur l’avocat en entreprises, sur l’AJ, le probable vote de nouvelles dispositions sécuritaires, la loi Macron 2, de nouvelles campagnes pour les élections aux bâtonnats et/ou aux conseils de l’ordre (souvent avec les mêmes candidats déçus que la fois précédente), etc. On prend donc les mêmes ingrédients et l’on recommence… Malgré tout, les choses évoluent. Et c’est ce qui fait toute la saveur du monde juridique et judiciaire. Si l’avocat demeure l’homme du contentieux, ses casquettes se multiplient au fil des ans. Tout comme le magistrat qui est contraint de repenser sa façon de travailler face au manque de moyens. Tous les acteurs du palais voient ainsi leur profession muter, mutation accélérée tant par le contexte économique que par les nouvelles technologies qui bouleversent le paysage judiciaire. C’est dans ce mouvement que s’inscrit la nouvelle formule de la Gazette du Palais que vous tenez entre vos mains. Comme nous n’avons de cesse de vous écouter, vous, nos chers lecteurs, nous avons gardé la ligne éditoriale qui vous tenait à cœur : de l’actualité toujours (et même davantage) au plus près de votre profession, des analyses juridiques réactives de grande qualité ainsi qu’un temps spécifique dédié à une spécialité en particulier. Toutefois, sensibles à vos attentes, nous avons changé ce qui ne vous convenait pas : la forme. Jusqu’alors journal tri-hebdomadaire, la Gazette du Palais devient ainsi une belle revue hebdomadaire, haute en couleurs. Vous retrouverez donc les mêmes plumes de qualité, la même quantité d’informations, les mêmes Gazette spécialisées, les mêmes thèmes, tous choisis en fonction de vos préoccupations quotidiennes, mais désormais concentrés en un seul numéro hebdomadaire, résolument plus pratique. Nous avions à cœur que la Gazette, qui entre dans sa 136e année, conserve son ADN tout en devenant un véritable outil à part entière pour les praticiens. La forme se devait donc d’évoluer pour servir le fond. Une Gazette du Palais plus pratique, plus lisible, pour davantage mettre en valeur un contenu au plus près de vos attentes : voici le souhait que vous, lecteurs, avez émis et auquel nous avons ici le plaisir de répondre. La Gazette du Palais se réjouit donc de se parer de ses plus beaux atours pour vous accompagner dans cette année 2016, qui, nous l’espérons, vous apportera de beaux dossiers comportant des questions juridiques passionnantes ! • 253a4 G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1 3 S o m m air e Actualité ■■Accès Directeur honoraire : Jean-Gaston Moore Président : François-Xavier Charvet Directeur de la publication : Pierre-Yves Romain Rédacteur en chef : Clémentine Kleitz Rédacteur en chef adjoint : Iris Joussen Rédacteurs : Catherine Berlaud, Philippe Graveleau, Marie Rajchenbach Assistante d’édition : Elsa Boulinguez Assistante de direction : Evelyne Chelza Direction : 12, place Dauphine 75001 Paris Tél. : 01 44 32 01 50 / Fax : 01 46 33 21 17 Rédaction : 70, rue du Gouverneur Général Félix Eboué 92131 Issy-les-Moulineaux Cedex Tél. : 01 40 93 40 00 / Fax 01 41 08 23 60 Courrier : [email protected] Tarifs 2016 * Prix TTC au n° Abonnés : n° normal : 15,32 € + frais de port * Abonnement France (un an) : Journal seul : 362,46 € TTC Recueils + table seuls : 372,67 € TTC Journal, recueil + table : 513,56 € * Abonnement étranger (un an) : Journal seul : 405 € Journal, recueil + table : 621 € Éditeur : LA GAZETTE DU PALAIS – SOCIÉTÉ DU HARLAY SA au capital de 98 460 € Président : François-Xavier Charvet Directeur Général : Pierre-Yves Romain 12, place Dauphine 75001 Paris Internet : www.gazettedupalais.com Twitter : @gazpal Commission paritaire n° H 0518T83097 ISSN 0242-6331 Imprimé par Jouve 1, rue du Docteur Sauvé 53100 Mayenne ■■Les aux CRFPA : l’examen unique est acté ! 5 avocats à leur tour menacés d’ubérisation ? 9 ■■« En enfermant les mineurs délinquants, on en fait des exclus de la société qui deviendront des bombes vivantes » entretien avec Dominique ATTIAS, vice-bâtonnière du barreau de Paris, secrétaire générale de l’association Louis-Chatin pour la défense des droits de l’enfant 12 ■■Le business de l’expertise judiciaire en matière de dommages corporels libres propos par Nicole CHABRUX 15 Doctrine ■■La réforme du droit des contrats et le monde des affaires : une nouvelle version du principe comply or explain ! note par Mustapha MEKKI sous Proj. ord., 25 févr. 2015, portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations ■■Du regrettable art perdu du secret étude par Emmanuèle PIERROUX 18 23 Jurisprudence ■■La loyauté de la concurrence entre avocats : états des lieux et prospective au détour de la validité d’une clause note par Dominique PIAU sous Cass. 1re civ., 10 sept. 2015 ■■Chronique de jurisprudence de droit des contrats par Dimitri HOUTCIEFF ■■Panorama de jurisprudence de la Cour de cassation ■■Panorama de jurisprudence du Conseil d’État par Catherine BERLAUD par Philippe GRAVELEAU 27 31 40 46 Illustration de la Gazette spécialisée sur la couverture : Fanny Dallé-Asté / Da-fanny Gazette Spécialisée Toute reproduction, même partielle, est interdite, sauf exceptions prévues par la loi. Projets d’articles : les manuscrits doivent être adressés par courriel en format word à [email protected] et comporter 17 000 caractères maximum (notes de bas de page et espaces compris). Nous vous remercions par ailleurs d’indiquer vos coordonnées complètes ainsi que vos titres ou fonctions professionnels. La rédaction n’est pas responsable des manuscrits communiqués. 4 DROIT DE LA FAMILLE Sous la responsabilité scientifique de Élodie MULON, Béatrice WEISS-GOUT G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1 49 Ac tu a l it é 254n0 254m9 La phrase “ 254m0 Le chiffre Je suis beaucoup plus sûr que nous avions en urgence besoin d’État ” Fréderic Sicard, à propos de l’état d’urgence. 254n0 L’indiscret 1,5 milliard d’euros C’est le chiffre de réserves pour les retraites d’avocats accumulées par les anciennes générations pour les nouvelles. (source : CNBF) 254m9 254n5 Pour cette promotion de la Légion d’honneur du 1er janvier 2016, aucun avocat parisien mais cinq avocats provinciaux dans le « panier de la Chancellerie », contrairement à l’usage qui procède d’habitude à un équilibrage. Une mesure de rétorsion de la part de Christiane Taubira, selon Pierre-Olivier Sur. La ministre s’était publiquement agacée de « propos mensongers » tenus, selon elle, par le bâtonnier de Paris, dans la crise de l’aide juridictionnelle en octobre dernier. 254m0 Professions Accès aux CRFPA : l’examen unique est acté ! 254n5 Le secrétaire d’État chargé de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, Thierry Mandon, a confirmé le 18 décembre 2015, l’accord intervenu entre son ministère et la Chancellerie sur le principe d’un examen unique d’entrée aux CRFPA. C’est un paradoxe. Alors que la matière juridique n’est pas enseignée au lycée, c’est pourtant la première formation choisie par les étudiants. C’est par conséquent une filière importante. À l’occasion d’une réunion du Conseil national du droit organisée le 18 décembre dernier, le secrétaire d’État chargé de l’Enseignement supérieur et de la Recherche Thierry Mandon a rappelé qu’avec 210 000 étudiants, la filière juridique est la plus nombreuse (15 % des effectifs), mais aussi celle qui connaît la plus forte croissance (+12 % en 2015 contre 3 % en moyenne dans les autres filières). Pour le ministre, la filière « droit » est donc très importante et c’est la raison pour laquelle il a voulu avoir un juriste, Thomas Clay, à ses cotés en tant que conseiller personnel. C’est ainsi qu’ont été identifiées plusieurs pistes de réformes : La première consiste à renforcer dès cette année le taux d’encadrement jugé insuffisant (actuellement un enseignant pour 66 étudiants). La deuxième réforme en cours d’élaboration porte sur le master. « Tous les étudiants de M1 doivent pouvoir accéder à un M2 » a déclaré le ministre qui entend néanmoins solenniser l’accès à cette étape de la formation universitaire. Par ailleurs, il attend la décision du Conseil d’État sur le recours formé par les étudiants contre les sélections à l’entrée du M2 – annoncée mi-février – afin d’avoir une base légale stabilisée pour prendre un décret. La troisième réforme porte sur le doctorat et l’agrégation. « Il faut être pragmatique, je n’ai jamais compris la question de la thèse en trois ans » a souligné Thierry Mandon qui souhaite instaurer un système intelligent, lisible et souple. Il pense également réviser le nombre de thèses susceptibles d’être dirigées par une même personne. S’agissant de l’agrégation, l’idée n’est pas de réduire sa place, à l’instar de ce qui s’est fait en économie et gestion, mais de la moderniser en ouvrant la possibilité de présenter des publications en langue étrangère et en avançant les dates de concours pour que le jury ait plus de temps pour lire les travaux. “ Les taux de réussite varient de 13 à 58 %, tandis que l’on dénombre pas moins de 704 sujets d’examen différents chaque année ” Enfin, le ministère prépare une réforme de l’examen d’entrée dans les centres de formation de la profession d’avocat. « Nous avons travaillé extrêmement étroitement avec la Chancellerie et nous avons dégagé une position conjointe sur la création d’un examen national unique » a-t-il déclaré. L’objectif consiste à simplifier et assurer l’égalité d’accès à l’examen. À l’heure actuelle en effet les taux de réussite varient de 13 à 58 %, tandis que l’on dénombre pas moins de 704 sujets d’examen différents G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1 5 A ct u al i t é chaque année. Les deux ministères ont donc décidé la création d’une épreuve unique, organisée le même jour, avec des critères de correction uniques. Les corrections seront confiées à des jurys composés d’universitaires et d’avocats. Le ministre a pris soin d’insister sur le fait qu’en dehors de la création de cet examen unique, les IEJ, dont il a salué a qualité du travail, conserveraient toutes leurs prérogatives. Plusieurs points doivent encore être discutés, par exemple le lieu de l’examen ou encore la contribution financière qui sera réclamée aux avocats. La réforme pourrait intervenir dès 2016 et devra être en place au plus tard en 2017. Quelques changements de bâtonniers au 1er janvier 2016 254h3 il a fait partie du Bureau, au sein du conseil de l’ordre où il a été élu en 2001 pour remplir quatre mandats, au sein du conseil d’administration de la CARPA avec deux mandats, mais également en politique, occupant actuellement la place de premier adjoint au sein du conseil municipal. GRENOBLE Né en 1967 en République du Congo, Wilfried Samba Sambeligue arrive à Grenoble au lycée. Se spécialisant en droit social, il accède à la profession d’avocat le 20 avril 2004 après un parcours professionnel comme conseiller juridique et s’installe dès le 10 mai 2004. Il a été élu au conseil de l’ordre depuis 2011 avec des responsabilités comme président de la commission Droit social, membre de la commission Barreau et Justice, a occupé la fonction de secrétaire du conseil de l’ordre ainsi que de président de l’association culturelle du barreau. Il a été élu bâtonnier du barreau de Grenoble le 16 juin dernier. Olivia Dufour 254h3 AIN Agnès Bloise exerce la profession d’avocat au barreau de l’Ain depuis 30 ans et est titulaire de la mention spécialisation « droit pénal ». AIX-EN-PROVENCE Philippe Klein a prêté serment en janvier 1984. Il exerce à présent dans un cabinet généraliste à dominante civile et commerciale. Il a été élu avec 441 voix sur 777 votants. Il succède à Josianne Chaillol pour un mandat de deux ans. BOURGOIN-JALLIEU Laurent Maguet, né à Chartres en 1970, effectue ses études à Lyon et prête serment en décembre 1994. Habitant Bourgoin-Jallieu depuis 1980, il exerce actuellement au sein d’un cabinet interbarreaux. Il s’agira de son troisième mandat en tant que bâtonnier de Bourgoin-Jallieu, après l’avoir été entre 2002 et 2003 puis entre 2010 et 2011. CHAMBÉRY Olivier Fernex de Mongex a été élu bâtonnier le 9 juin dernier. CHATEAUROUX Pascaline Courthès remplace ainsi son époux Daniel Guiet, avec qui elle a prêté serment le 8 février 1995, après des études de droit effectuées ensemble à Poitiers et sanctionnées par un DEA en droit pénal et sciences criminelles, et avec qui elle est associée au sein du cabinet Avocats Centre. GRASSE Jean-Marc Farneti, après des études à la faculté de droit de Nice, prête serment en 1994 et s’inscrit au barreau de Grasse. D’abord collaborateur pendant sept ans au sein du cabinet de François-Marie Postic, il créé ensuite son propre cabinet avec Stéphanie Garcia. Il s’est notamment investi au sein de l’UJA dont 6 G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1 GUYANE Magali Robo-Cassilde, née le 4 mars 1969 à Cayenne, a effectué ses études de droit en Guyane puis en Martinique avant d’obtenir un DEA de droit international et européen à Rouen et son CAPA à Bordeaux. Elle a prêté serment le 18 mars 1998 devant la cour d’appel de Fort-de-France et a travaillé en tant que collaboratrice dans le cabinet de son père avant de se lancer à son compte. Magali Robo-Cassilde a été membre du conseil de l’ordre à l’occasion de 3 mandats, le dernier en qualité de secrétaire du Bâtonnier sortant, Régine Guéril-Sobesky. Elle représente les 75 avocats du barreau. LYON Avocate depuis le 1er janvier 1982, Laurence Junod-Fanget exerce en cabinet individuel depuis près de 27 ans. Spécialisée en droit du travail, son domaine d’activité principal est le droit de la famille et du patrimoine. Elle a été tour à tour secrétaire du stage en 1986, puis deux fois membre du conseil de l’ordre et présidente de commissions (droit 254n5 Actual ité des personnes en 2006 et modes amiables de résolution des différends (MARD) depuis 2010). Par ailleurs, elle a été à l’initiative des formations pour les avocats sur les MARD et de la création en juin 2014 du centre de justice amiable des avocats (CJ2A). Deuxième femme à la tête du barreau de Lyon, elle a été élue le 10 mars 2015. MARTINIQUE Né en Martinique, Dominique Nicolas étudie à Paris et est diplômé de l’université de Paris I Panthéon Sorbonne en droit, sciences économiques et sciences politiques. Exerçant tout d’abord la fonction de directeur général des services dans la collectivité de la Martinique, il prête serment en avril 1994. Entre 1994 et 2005 il créé quatre cabinets, puis la société Juriscarib, cabinet interbarreaux d’Antilles-Guyane, spécialisée en droit public. PARIS Frédéric Sicard, avocat associé au sein du cabinet La Garanderie & Associés, est spécialisé en droit social. Il est particulièrement investi sur les sujets les plus sensibles de la profession, qu’il a notamment défendus en tant que membre et secrétaire du conseil de l’ordre de Paris et du Conseil national des barreaux de 2007 à 2011. Sa vice-bâtonnière, Dominique Attias, est associée au sein de la SCP Attias & Jauze. Ils ont été élus en juin dernier. STRASBOURG Avec avoir obtenu une maîtrise de droit privé et l’examen du CRFPA, Pascal Créhange travaille d’abord chez un expert-comptable, puis un administrateur judiciaire avant de se lancer dans la profession d’avocat. Prêtant serment devant la cour d’appel de Colmar, il commence comme collaborateur d’un grand cabinet d’affaire strasbourgeois. Il créé son propre cabinet en 1997 au moment où il est élu président de l’UJA et développe une activité importante en matière de droit de la propriété intellectuelle dont il a obtenu une spécialisation, en droit commercial et en droit pénal spécial. Responsable pédagogique au sein de l’École régionale des avocats du grand-est où il enseigne l’art de la plaidoirie depuis 2006, il est élu au conseil de l’ordre en 2007. Enfin, Pascal Créhange est membre d’Amnesty international et d’Avocats sans frontière. TOULON Éric Goirand, avocat depuis le 14 mars 1994 au sein du barreau de Toulon, a intégré très tôt l’UJA Toulon et en a été son président en 1997, siégeant à la Fédération nationale durant plusieurs années. Quatre fois élu au conseil de l’ordre du barreau de Toulon, il a également été administrateur de la CARPA, délégué au conseil d’administration de l’EDA sud-est et chargé de communication de l’ancien bâtonnier Michel Mas. VALENCIENNES À 64 ans, Pascal Vanhelder succède à Magali Grillet en tant que bâtonnier désigné du barreau de Valenciennes. Il compte 42 années de barrreau à son actif et a été élu en mars dernier avec 80 % de voix au premier tour. VERSAILLES À 48 ans, Jean-Marc André, avocat depuis le 4 mars 1996, se consacre au droit pénal et droit du travail. Il a reçu solennellement, le 15 décembre dernier en mairie, « le bâton » de son prédécesseur Frédéric Landon. VIENNE Noëlle Gille a prêté serment à la cour d’appel de Lyon en décembre 1995. D’abord collaboratrice pendant 12 ans au sein du cabinet de Léon Paillaret à Vienne, elle créé ensuite son propre cabinet en 2007. Plutôt spécialisée en droit de la famille et en droit civil, elle s’investie également dans plusieurs institutions avec notamment deux mandats de suite au sein du conseil de l’ordre des avocats de Bourgoin-Jallieu. 254h3 254n3 Textes Relèvement des revenus permettant l’attribution de l’AJ 254n3 La loi n° 2015-1785 du 29 décembre 2015 de finances pour 2016, publiée au JO du 30 décembre 2015, prévoit notamment le relèvement des revenus permettant l’attribution des aides juridictionnelles totale et partielle. Ces aides seront ainsi respectivement accordées aux personnes dont les revenus mensuels sont inférieurs à 1 000 € (contre 941 € jusqu'alors) et à 1 500 € (contre 1 411 € jusqu'alors). Dorénavant, ces aides permettront également de bénéficier d'une médiation judiciaire ou d'une médiation conventionnelle. Le ministère de la Justice a émis une note explicative sur ces nouvelles dispositions, disponible sur le BOMJ du 31 décembre 2015. Cette note sera remplacée par une autre lors de la parution du décret relatif à la simplification de l'AJ partielle, prévue courant janvier 2016, qui doit diminuer le nombre de parts contributives de l'État. Source : L. fin. n° 2015-1785, 29 déc. 2015, art. 42 G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1 254n3 7 A ct u al i t é 254j7 Veille normative (du 19 déc. 2015 au 5 janv. 2016) 254j7 ACTION SOCIALE AIDE JURIDICTIONNELLE DROIT EUROPÉEN FISCAL L. 28 déc. 2015, n° 2015-1776, relative à l’adaptation de la société au vieillissement : JO 29 déc. 2015 p. 24268 Note Min. Justice, 30 déc. 2015, NOR : JUST1532602N, relative au montant des plafonds de ressources, des correctifs pour charges familiales et des tranches de ressources pour l’admission à l’aide juridictionnelle à compter du 1er janvier 2016 : BOMJ 31 déc. 2015 L. 22 déc. 2015, n° 2015-1714, autorisant la ratification du protocole n° 15 portant amendement à la Conv. EDH : JO 23 déc. 2015, p. 23806 L. fin. 29 déc. 2015, n° 2015-1785, pour 2016 : JO 30 déc. 2015, p. 24614 L. fin. rect. 29 déc. 2015, n° 2015-1786, pour 2015 : JO 30 déc. 2015, p. 24701 L. 21 déc. 2015, n° 2015-1703, visant à pénaliser l’acceptation par un parti politique d’un financement par une personne morale : JO 22 déc. 2015, p. 23683 Circ. Min. Justice, 24 nov. 2015, NOR : JUSD1528567C, relative au traitement judiciaire des évasions : BOMJ 31 déc. 2015 PÉNAL Circ. Min. Justice, 24 nov. 2015, NOR : JUSD1528583C, relative à la situation du Calaisis, à la lutte contre l’immigration irrégulière organisée et la délinquance connexe : BOMJ 31 déc. 2015 Circ. Min. Justice, 18 déc. 2015, NOR : JUSD1531771C, relative à la lutte contre le terrorisme – Commission d’attentat(s) sur le territoire national, coordination de la réponse judiciaire : BOMJ 31 déc. 2015 D. 30 déc. 2015, n° 2015-1841, relatif à la délivrance des extraits de casier judiciaire : JO 31 déc. 2015, p. 25275 D. 29 déc. 2015, n° 2015-1839, relatif au traitement de données à caractère personnel dénommé « Cassiopée » : JO 31 déc. 2015, p. 25270 PROCÉDURE PÉNALE D. 29 déc. 2015, n° 2015-1840, modifiant le Code de procédure pénale et relatif au fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infractions terroristes : JO 31 déc. 2015, p. 25271 D. 29 déc. 2015, n° 2015-1798, modifiant le décret n° 2014-1162 du 9 octobre 2014 relatif à la création de la Plate-forme nationale des interceptions judiciaires : JO 30 déc. 2015 p. 24861 PROFESSIONS PUBLIC A. 17 déc. 2015 autorisant au titre de l’année 2016 l’ouverture des concours externe et interne pour le recrutement des directeurs des services de greffe judiciaires : JO 27 déc. 2015 L. org. 22 déc. 2015, n° 2015-1712, portant dématérialisation du Journal officiel de la République française : JO 23 déc. 2015, p. 23804 L. 22 déc. 2015, n° 2015-1713, portant dématérialisation du Journal officiel de la République française : JO 23 déc. 2015, p. 23805 L. 21 déc. 2015, n° 2015-1702, de financement de la sécurité sociale pour 2016 : JO 22 SÉCURITÉ SOCIALE déc. 2015, p. 23635 SOCIAL D. 30 déc. 2015, n° 2015-1842, révisant le barème des saisies et cessions des rémunérations : JO 31 déc. 2015, p. 25276 SOCIÉTÉS D. n° 2016-2, 4 janv. 2016, relatif à l’information triennale des salariés prévue par l’article 18 de la loi n° 2014-856 du 31 juillet 2014 relative à l’économie sociale et solidaire : JO 5 janv. 2016, texte n° 26 254j7 8 G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1 Ac tu a l it é 254k8 AVOCAT Les avocats à leur tour menacés d’ubérisation ? 254k8 L’essentiel Depuis environ un an, les sites de référencement d’avocats se multiplient sur Internet. Inquiet des risques pour les justiciables, le CNB réplique en lançant sa propre plateforme d’ici juin prochain. Qui sont les fondateurs de ces sites ? Que cherchent-ils ? Que proposent-ils ? Nous les avons rencontrés. La nouvelle économie entre avec fracas dans le monde des avocats. Avec ses bénéfices, mais aussi ses dangers. « On en reçoit un par jour » soupire Didier Adjedj, préOlivia DUFOUR sident de la commission Exercice du droit au CNB « ça a commencé en début d’année et ça s’est accéléré d’un coup ». « Ça » c’est la floraison soudaine et massive de sites Internet qui se proposent de mettre en relation les avocats et leurs clients potentiels. L’idée est presque aussi ancienne qu’Internet, mais elle semble avoir connu soudain un coup d’accélérateur avec la loi consommation dite Hamon au printemps 2014 qui a assoupli la publicité des avocats en autorisant la sollicitation personnalisée. Il n’en fallait pas plus pour que les férus d’Internet, ces trentenaires imprégnés de culture 2.0 ne caressent l’idée de créer le service de demain, celui qui leur assurera un succès comparable à TripAdvisor, Booking et autres Blablacar…. C’est d’ailleurs ainsi que l’un des trois acteurs que nous avons choisi de rencontrer, Avostart, a présenté à la presse la naissance de son site en octobre dernier : « Nous voulons être le tripadvisor des avocats ». Pas sûr que la formule soit très bien choisie. Certes, pour les passionnés de nouvelles technologies, elle évoque un nouveau service d’avenir en lien avec son temps. Mais dans le monde des avocats, elle renvoie surtout à la jungle d’Internet avec son lot de risques déontologiques et sa menace de dumping sur les honoraires. D’où encore des réactions de méfiance, voire de rejet. « Accepter d’être noté, recommandé comme une chambre d’hôtel ?! Jamais ! » s’indigne un pénaliste parisien à peine trentenaire. Preuve que l’inquiétude n’est pas une affaire de génération, mais peut-être plutôt de profil d’exercice. Il est vrai que cet avocat n’est pas en panne de visibilité, il travaille chez l’un des pénalistes les plus célèbres de France. Mais pour qui veut se lancer, ces sites sont attractifs. C’est le cas de Nicolas Mermillod, avocat à Besançon. Inscrit au Barreau depuis 2011, il a débuté chez Fidal, avant de décider de créer son cabinet avec une associée, Stéphanie Broggini : ISACC pour « Immobilier, Social, Affaires, Commercial et Civil », précise-t-il. Il s’est inscrit il y a un mois sur mon-avocat. fr. « Le droit est un marché, nous sommes en concurrence quoi qu’en pensent nos institutions, il faut donc développer une stratégie commerciale » affirme le jeune avocat. À Besançon, il y a 200 avocats et 3 ou 4 cabinets d’affaires, la jeune structure veut donc faire sa place. « Nous avons choisi mon-avocat.fr pour la visibilité et le service personnalisé. Ce qui est important pour nous c’est de ne pas être sur un annuaire indifférencié, sans pour autant entrer dans le jeu de la notation » et l’avocat de commenter « on a beau être moderne, on reste avocat, la notation, c’est non ! ». Comme lui, ils sont des centaines à avoir fait le saut dans l’inconnu. Ces sites attirent des avocats de tous Par les profils. Jeunes inscrits ou très expérimentés, parisiens et provinciaux, hommes et femmes, seuls ou en cabinet. Tous confient ressentir la même nécessité dans un monde de communication : se faire connaître. Aux États-Unis, ce genre de site est valorisé 850 millions de dollars. Les avocats ne sont pas les seuls à faire cette analyse. En face d’eux, les clients sont démunis quand il s’agit de trouver un conseil. Tous les projets de site partent du même constat : il existe un problème d’accès aux avocats. Ces derniers n’ont pas de vitrine, pas de tarif affiché devant la porte, bref, rien qui permette de se faire une idée de son expérience, de ses compétences et du prix que ses services vont coûter. À ces questions de mise en relation, Internet a montré qu’il sait répondre de manière optimale. Alors pourquoi ne pas appliquer cette recette aux avocats ? « Aux États-Unis, le principal site de mise en relation entre avocats et clients, Avvo.com, fait l’objet d’une valorisation d’environ 850 millions de dollars ! » confie Pierre Aïdan, fondateur et directeur général d’avostart. Titulaire d’un doctorat en droit consacré au droit financier, diplômé de Harvard, il a exercé chez Linklaters et Davis Polk, partageant son temps entre Londres et les États-Unis. À ses côtés, Stéphane Le Viet, diplômé de polytechnique, que Pierre Aïdan a rencontré à Harvard et Timothée Rimbaud, ingénieur des mines de Paris, qui a débuté chez Goldman Sachs. Ils ont commencé par lancer Legalstart en mars 2014 . « Il s’agit d’une solution logicielle à destination des TPE et PME qui permet aux entrepreneurs de répondre eux-mêmes à un certain nombre de besoins juridiques de base, par exemple, la création de société ou le recouvrement de créance. Dès que la question se complique, le site renvoie à des avocats » explique Pierre Aïdan. C’est précisément en renvoyant les internautes vers des avocats qu’ils ont pris la mesure du besoin de mise en relation. « Le raisonnement est finalement assez simple : 90 % des gens estiment que les avocats sont nécessaires et ils sont à peu près aussi nombreux à confier ne pas savoir comment choisir un avocat. Ajoutez à cela l’importance prise aujourd’hui par les moteurs de recherche dans tous les secteurs et l’idée d’une plateforme de mise en relation avec des avocats s’impose d’elle-même » confie Pierre Aïdan. Leur modèle ? Ils ont utilisé les données en libre accès que sont les annuaires des ordres et inscrit sur leur site la quasi-totalité des avocats de France dans un système d’opt out. En clair, chaque avocat est enregistré par défaut et prévenu en même temps par courriel qu’il a la possibilité soit de demander à disparaître du site soit de devenir un membre actif. Avostart revendiquait déjà midécembre 1 500 membres actifs. C’est une version bêta, G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1 9 A ct u al i t é autrement dit test, où les premiers inscrits font leurs commentaires et proposent des améliorations. Sur la page d’accueil, une jeune femme en tailleur engage l’internaute à poser une question ou chercher un avocat. Les logos de quelques grands médias rassurent avec leur petit côté « vu à la télé ». Le message est engageant : « Trouvez l’avocat qu’il vous faut ». La fiche d’un avocat prise au hasard renseigne sur l’adresse, le domaine de compétence et l’ancienneté, agrémenté d’une photo. L’inscription est gratuite. Le business model, non encore définitivement arrêté, consistera sans doute dans la facturation aux avocats de services premium. À terme, ils imaginent proposer des prestations à coûts fixes sous forme de package. Les fondateurs d’Avostart envisagent également de permettre aux utilisateurs de formuler des avis. « La question de l’avis utilisateur est un sujet à la fois complexe et particulièrement sensible dans le domaine juridique. Nous procédons actuellement à des tests et études afin de concevoir un système qui soit à la fois utile et strictement conforme sur le plan réglementaire » confie Pierre Aïdan. Au-delà des problématiques d’authenticité communes à tous les sites e-commerce, nous sommes confrontés à des questions spécifiques telles que par exemple, le caractère absolu du secret professionnel de l’avocat. En tout état de cause, notre système d’avis ne sera mis en service que s’il répond aux préoccupations des avocats » insiste le cofondateur d’Avostart. Imiter le modèle des médecins ? Benjamin Bing lui, n’a pas été jusqu’à passer le CAPA, mais il est juriste également. Fort d’une licence de droit à Assas, il s’est inscrit à l’EDHEC de Lille, a fait un stage chez PICTET, une banque privée de gestion de grande fortune, un autre de conseil en stratégie auprès de Patrick Le Lay l’ancien président de TF1. Et puis il a eu envie de se lancer. Fils de médecin, il observe que dans ce domaine en France, plusieurs sites montés en 2013 mettent en relation avec succès médecins et patients, avec l’approbation du conseil de l’ordre et du ministère. « J’ai pensé assez naturellement que la solution méritait d’être étendue à une autre profession réglementée soumise à déontologie et posant les mêmes questions d’accessibilité que les médecins » confie-t-il. L’idée de mon-avocat.fr vient de naître. Son slogan : « le bon avocat près de chez vous ». L’inscription sur le site est payante, à partir de 259 € par an. « Pour ce prix, l’avocat est référencé sur le site, avec une notice évoquant sa formation, ses diplômes, ses domaines d’intervention et sa pratique tarifaire - taux horaire, premier rendez-vous gratuit ou pas, possibilité de payer en plusieurs fois - rédigée par l’équipe du site. L’internaute peut contacter directement l’avocat par mail ou par téléphone sans numéro surtaxé ». Le site, qui revendique sa neutralité face à ceux qui proposent des classements et autres formes de recommandations, est conçu pour apporter aux utilisateurs les informations leur permettant de faire leur choix de manière éclairée sans notation, sans mise en concurrence ni incitation à baisser les tarifs. « Sur les pages jaunes, c’est plus de 1 000 € par an rien que pour un nom et un numéro de téléphone » souligne Benjamin Bing pour relativiser le prix de la prestation. « Tous les trois mois, nous faisons le point avec les inscrits et ils apprécient ce suivi ». Sobre, le site s’emploie à l’évidence à offrir une vitrine aux avocats sans tomber dans le racolage bas de gamme. Des fiches pédagogiques 10 G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1 expliquent aux internautes les éléments fondamentaux à connaître sur les honoraires, la déontologie, la préparation d’un premier rendez-vous, etc. Et l’équipe innove en permanence. « Nous avons conclu un partenariat avec Drop Cloud pour offrir une solution de partage et de conservation de fichiers volumineux » souligne-t-il, ce service sera disponible début 2016 ». Et quand on lui pose la question de la sécurité indispensable aux avocats, il répond « cette société travaille pour Suez Environnement, Arkema et Groupama ». Un projet de permanence téléphonique et de prise de rendez-vous est aussi à l’étude. Et pourquoi pas un volet international qui permettrait aux avocats de trouver des correspondants à l’étranger ? Peut-on noter un avocat ? Troisième site et troisième modèle, Alexia. Celui-là est le plus ancien. Il a été créé en 2012 par Benoit Chancerel un diplômé d’école de commerce qui a cofondé dans les années 2 000 le fameux CFJ. À l’origine le site s’appelait avocat.net, mais le CNB a assigné devant le TGI de Paris et gagné sur plusieurs points dont celui-ci : le site a dû changer de nom (TGI Paris, 30 janv. 2015 – CNB c/ Jurisystem). « Après tout, Google ne s’appelle pas « moteur de recherche » souligne avec humour le fondateur. On a donc arrêté de chercher en vain un nom de domaine avec le mot « avocat » et opté pour Alexia ». C’est le seul des trois rencontrés à avoir été pour l’instant attaqué par le CNB. C’est aussi le plus ancien et le plus abouti. Il faut dire qu’il a osé affronter tous les tabous. Dès la page d’accueil il annonce la couleur : c’est un comparateur d’avocats. L’annonce Google est claire « Trouvez le bon avocat au meilleur tarif ». En page d’accueil, une personne en costume dont on n’aperçoit que les bras croisés donne une impression de sérieux. Le site affiche ses performances : 159 322 mises en relation, 4 758 avocats disponibles, 462 033 visiteurs mensuels. Chaque avocat a sa fiche avec photo, cursus, pratique d’honoraires, il y a aussi des fiches pratiques et surtout un forum dans lequel les avocats inscrits répondent aux questions des internautes. « L’inscription est gratuite, explique Benoit Chancerel. Les avocats inscrits souscrivent ensuite à un abonnement compris entre 100 à 1 000 € qui donne accès à des crédits d’unités. À chaque fois qu’ils répondent à une demande de devis de la part d’un internaute, cela leur coûte une unité, soit 10 euros pour un forfait de 100 € et 7 € pour le forfait de 1 000 ». Théoriquement, le site propose aussi une notation fondée sur les avis des clients, mais un arrêt de la cour d’appel de Paris du 18 décembre (CA Paris, P. 5, ch.2, 18 déc. 2015, n° 15/03732) sur recours contre le jugement du 30 janvier interdit d’établir un comparateur et, a priori, de noter les avocats. Le CNB reprochait aussi au site l’inscription d’une avocate qui s’était omise du Barreau, mettant en lumière un des risques de l’exercice : comment garantir que le client est bien mis en relation avec un vrai avocat ? « Ils en ont trouvé une, une seule sur 4 500. Depuis, nous réclamons les photocopies de carte professionnelle et travaillons à une solution sécurisée inspirée de celle de Airbnb » assure Benoit Chancerel. Le jugement du 30 janvier a également interdit au site d’utiliser ce slogan « le comparateur d’avocats numéro 1 en France » qu’il a qualifié de pratique commerciale trompeuse. En revanche, il a rejeté les arguments du CNB estimant le mode de facturation contraire aux règles de déontologie en matière de partage d’honoraires. Et la cour d’appel a confirmé ce rejet. Actual ité Le combat inlassable du CNB pour protéger les clients Ah le CNB ! C’est un peu leur espoir et leur bête noire. Ils l’ont sollicité à de multiples reprises pour présenter leur projet, réclamer un avis et s’assurer ainsi une parfaite conformité aux règles professionnelles… en vain. Lorsque le CNB leur adresse la parole, disent-ils, c’est pour réclamer un peu sèchement des précisions et, dans un cas, assigner. « Dans certaines régions, des avocats auraient reçu des mails les mettant en garde contre les nouveaux annuaires en ligne » confie un peu étonné Benjamin Bing. Une réaction qui suscite l’incompréhension : « les institutions n’ont pas l’air de comprendre que concevoir techniquement ce genre de site, c’est un métier. Et lancer un tel site, c’est encore un autre métier, tout ça ne s’improvise pas » confie l’un d’entre eux, en off, pour ne pas offenser l’institution qu’il ne désespère pas de convaincre de sa bonne foi et de l’intérêt de son projet. « Ces sites ne garantissent pas la qualité d’avocat. Quant à la notation et à la prétendue comparaison pour identifier le meilleur, ça ne peut être qu’une tromperie. Et la rémunération s’assimile à un partage d’honoraires prohibé » rétorque Didier Adjedj qui tient à rappeler pourquoi l’institution est aussi vigilante : « les règles d’exercice du droit protègent le client, il faut le dire et le répéter. Si la mise en relation n’est pas réalisée par les avocats eux-mêmes, il y a forcément un risque pour le client ». Le CNB prépare sa propre plateforme qui devrait être opérationnelle en juin au plus tard. Sécurité est le maître-mot du CNB et sur ce terrain là au moins, il aura certainement une longueur technologique d’avance. « La plateforme du CNB sera exclusivement accessible via la clef d’accès personnelle au RPVA, seule garantie réelle dans cette mise en relation virtuelle que l’internaute a bien un avocat en face de lui » explique Didier Adjedj. En réalité, le vrai danger que le CNB ne pointe pas mais qui motive sans doute sa méfiance, c’est qu’il arrive un jour aux avocats ce qui est en train de se passer pour les chauffeurs Uber : qu’ils deviennent dépendants des plateformes qui s’offrent aujourd’hui sous le visage rassurant d’innocentes vitrines. Le danger est aussi réel que l’existence de ces sites apparaît inéluctable. Pour quel bénéfice ? Alexia publie les avis de ses inscrits. La satisfaction semble au rendez-vous : les mises en relation sont réelles, le site est bien fait, il existe une vraie dynamique. Certains avocats sont toutefois revenus de l’exercice. « Ces sites vous inscrivent parfois d’office, cela ne me dérange pas de figurer dans plusieurs annuaires, au contraire, les avocats aujourd’hui ont besoin de visibilité, mais pour que cela soit efficace, je pense qu’il faut être prêt à répondre tout de suite aux sollicitations et être le mieux-disant au niveau des tarifs souvent tirés vers le bas » confie Yves Toledano, un avocat parisien spécialisé en divorce, actif sur Internet et prisé des médias. « Comme je ne passe pas mon temps les yeux rivés sur mon écran d’ordinateur, cela ne m’intéresse pas de payer pour ce genre de services, surtout que les offres ne sont pas toujours adaptées aux besoins des avocats. Je préfère peaufiner mon site et améliorer son référencement, ça me semble plus efficace ». C’est l’une des faiblesses en effet de ces annuaires, très nombreux : à quoi bon s’inscrire sur des annuaires où tout le monde est inscrit ? « Bonne question », répond Benoit Chancerel. « Être référencé pour être référencé, ça ne sert en effet à rien. Pour qu’un site apporte visibilité et clientèle aux avocats qui y sont inscrits, il faut qu’il génère du trafic, d’où l’intérêt de publier des articles et d’animer un forum ». Autrement dit, une fois identifié le site qui semble offrir une visibilité tout en ne heurtant aucune règle déontologique, encore faut-il déterminer ce qu’on en attend comme type de bénéfice. « À terme, tous les avocats seront inscrits sur au moins une plateforme » affirme un observateur avisé. Il y a de fortes chances en effet. Reste à trouver le bon modèle, c’est-à-dire celui qui répondra aux attentes des avocats et aux besoins des clients. La course est lancée ! ALEXIA.FR Nom du site : alexia.fr Date de création : juillet 2012 Lieu du siège : Paris Nom du responsable : Benoit Chancerel Coût de l’inscription : gratuit Services proposés à l’avocat et tarifs : affichage de son offre aux demandeurs, forfait entre 100 et 1 000 € en fonction du nombre d'affichages. Services proposés au client et tarifs : gratuit pour les justiciables Nombre d’inscrits : 4 500 comptes d’avocats AVOSTART.FR Nom du site : avostart.fr Date de création : novembre 2015 (version bêta) Lieu du siège : Paris Nom du responsable : Pierre Aïdan Coût de l’inscription : gratuit Services proposés à l’avocat et tarifs : visibilité et identification de clients potentiels / service gratuit Services proposés au client et tarifs : moteur de recherche et système de questions/réponses / service gratuit Nombre d’inscrits : plus de 600 avocats Pistes de développement : services premiums à destinations des avocats MON-AVOCAT.FR Nom du site : mon-avocat.fr Date de création : février/mars 2015 Lieu du siège : Paris Nom du responsable : Benjamin Bing Coût de l’inscription : à partir de 259 € HT par an pour un avocat de moins de 5 années de Barreau (tarif fixe, peu importe le nombre de prospects). Tarifs dégressifs suivant la taille de la structure Services proposés à l’avocat : création de la fiche par une équipe de communication, création d’une messagerie dédiée au sein de l’espace avocat, suivi trimestriel, possibilité pour l’avocat de mettre en ligne gratuitement ses articles dans l’espace « Actualité » toute l’année. Un accès à des services négociés comme le cloud. Une mise en relation gratuite, aucune commission Services proposés au client et tarifs : service gratuit pour l’utilisateur. L’équipe répond quotidiennement par téléphone ou courriel aux interrogations des internautes pour les aider à utiliser l’outil Nombre d’inscrits : près de 200 Pistes de développement : un espace recrutement, des partenariats négociés (permanence téléphonique, etc.), une application mobile 254k8 G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1 11 Actualité 253x3 PROFESSIONS « En enfermant les mineurs délinquants, on en fait des exclus de la société qui deviendront des bombes vivantes » 253x3 Entretien avec Dominique Attias, vice-bâtonnière du barreau de Paris, secrétaire générale de l’association Louis-Chatin pour la défense des droits de l’enfant Dominique Attias L’enfant n’est pas une victime comme les autres. Fragile, en proie à des conflits de légitimité, égaré dans un monde d’adultes qu’il ne comprend pas, il nécessite une attention et une adaptation spécifiques du système judiciaire. Dominique Attias, vice-bâtonnière du barreau de Paris mène ce combat depuis des années. Elle vient de publier avec Lucette Khaïat un ouvrage collectif intitulé Le parcours judiciaire de l’enfant victime dans lequel une vingtaine d’acteurs, avocats, magistrats, médecins, administrateur ad hoc et défenseurs des enfants partagent leur savoir. Un enfant victime dont Dominique Attias nous rappelle opportunément, alors que la Chancellerie doit publier son projet de réforme sur l’ordonnance de 1945, qu’il n’est souvent que l’autre visage de l’enfant auteur d’infraction. Gazette du Palais : Qu’est-ce qui vous a amenée à défendre les enfants ? Gaz. Pal. : L’enfant victime n’est-il pas souvent aussi enfant auteur ? Dominique Attias : Un jour, je me suis aperçue que mon métier d’avocat d’affaires ne me faisait plus battre le cœur. À cette époque, j’ai lu un livre de Tobie Nathan intitulé L’influence qui guérit dans lequel il explique comment écouter les gens d’une manière différente et les soigner non pas seulement avec des médicaments mais avec la parole. Cela a sans doute été un déclencheur. Je me suis inscrite à une formation à Paris 8 et Tobie Nathan m’a proposé de faire un DEA avec lui. C’était en 2000. J’ai découvert l’existence du droit des mineurs et du tribunal pour enfants. Beaucoup de dysfonctionnements m’ont sauté aux yeux, mais je n’ai pas réussi alors à les corriger. C’est ce qui m’a donné l’envie d’intégrer les institutions de la profession pour faire bouger les choses. Je me suis présentée au conseil de l’ordre et au CNB et là j’ai commencé à faire évoluer la situation. C’était en 2008. Il y avait tant de choses à faire. Quand j’ai débuté, un enfant qui faisait l’objet de plusieurs procédures avait un avocat par procédure. Résultat, le mineur n’identifiait pas son avocat. Quant aux avocats, aucun n’avait de connaissance complète de son client. À cela s’ajoutaient des formations insuffisantes en psychologie, traumatologie, dialogue avec l’enfant. J’ai obtenu que la Chancellerie signe une convention avec le CNB aux termes de laquelle était préconisé qu’un seul avocat désigné assiste l’enfant dans toutes ses procédures. Autre exemple, l’enfant victime contrairement à l’enfant auteur n’a pas le bénéfice de l’aide juridictionnelle de plein droit. Il y a donc encore beaucoup à faire. D. A. : Si, bien sûr, c’est souvent le même mais on ne découvre parfois l’enfant victime qu’après avoir appréhendé l’enfant auteur et qu’a été menée une enquête au cours de laquelle l’enfant a fini par se livrer. J’ai l’exemple d’un jeune de 12 ans et demi qui a agressé un de ses copains lors d’une partie de foot, ce qui lui a valu des poursuites pour violences volontaires et une condamnation avec inscription au casier judiciaire. Il a fini par se confier à une éducatrice et on a découvert qu’il était martyrisé par son beau-père depuis l’âge de 6 ans. Il avait suivi le parcours classique, baisse des résultats scolaires, fugues et finalement violences. 12 G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1 Gaz. Pal. : Cet aspect doit forcément entrer en ligne de compte dans le choix d’une réponse pénale… D. A. : En effet, hélas, contrairement à ce que l’on pense, nous avons en France un droit pénal des mineurs extrêmement répressif. Le droit français prévoit des sanctions éducatives partir de 10 ans, et la prison à partir de 13 ans ainsi que l’inscription au fichier des empreintes génétiques. Il n’y a pas d’âge minimum chez nous en dessous duquel il serait interdit de poursuivre un mineur, on se réfère uniquement à la notion de discernement. En ce sens, nous sommes en contravention avec la Convention des droits de l’enfant du 20 novembre 1989 ratifiée par la France le 7 août 1990. Nous sommes les seuls en Europe à ne pas avoir fixé cet âge minimum, les autres pays ont opté en Actual ité moyenne pour l’âge de 14 ans. Avant cet âge, l’enfant doit être pris en charge mais dans un cadre éducatif, pas pénal. En pratique, chez nous, à partir de 13 ans un enfant peut être enfermé dans un centre éducatif fermé (CEF). Résultat, l’enfant auteur qui a le plus souvent été aussi un enfant victime, une fois enfermé se dit « plus jamais ça » et se transforme en caïd. Très vite, il est stigmatisé par la formule « un individu défavorablement connu des services de police ». L’une des conséquences de ce traitement, c’est que dès l’âge de 13 ans certains ont un casier judiciaire qui leur interdit à vie l’exercice de certaines professions. Gaz. Pal. : La journée des violences faites aux femmes, en novembre dernier, a révélé des statistiques effrayantes, mais on découvre en lisant votre livre que les enfants victimes de ces violences sont encore plus nombreux. D. A. : Effectivement, ce sont souvent des témoins oculaires et auditifs de ces violences. Ces traumatismes sont invisibles car les enfants sont en outre coincés dans des conflits de loyauté et ne parlent pas. Les conséquences traumatiques peuvent être dramatiques : prise de substance, mise en danger de soi-même, reproduction du comportement pour les garçons. J’ai le cas de deux parents (avocats de surcroît, ce qui signifie que ce fléau touche toutes les couches de la société), dont l’enfant, témoin des violences, a fini par en devenir lui-même l’auteur : il imitait son père et tapait sa mère. Des formations obligatoires sont désormais en place pour les médecins. Il existe aussi, mis désormais en ligne, deux guides à destination des avocats, l’un sur les violences faites aux femmes, l’autre sur la prise en charge des enfants. Gaz. Pal. : Votre livre montre que l’enfant est un client très singulier pour l’avocat. D. A. : En effet. Il ne faut pas croire que parce que vous êtes désigné comme son avocat, l’enfant va vous faire confiance tout de suite. Vous êtes un adulte, donc un objet de méfiance. La première étape consiste à établir un rapport de confiance, ce qui suppose d’être à l’écoute et capable de communiquer avec l’enfant en parlant de musique, de foot, etc. Ensuite il faut lui expliquer que ce qu’il va vous dire, vous ne le direz à personne, pas même à ses parents. La posture à l’égard des parents est capitale. Respectueuse certes, mais empreinte de distance, sauf bien évidemment, si le parent est auteur de violences où dans ce cas il n’est pas envisageable d’avoir le moindre rapport avec lui. Puis, quand l’enfant parle, il est important de connaître parfaitement le dossier au préalable pour éviter autant que possible de lui faire répéter des paroles qui sont forcément douloureuses. Une des difficultés à ce stade consiste à écouter sans prendre la confidence de l’enfant pour parole d’évangile. L’enfant peut être tenté de dire ce qu’il pense que l’adulte attend de lui, ou ce qu’on lui a dit de dire, ou encore de donner sa vision des choses qui n’est pas forcément la réalité. On ne doit jamais oublier qu’on a affaire à un enfant, avec sa vision, le poids de son histoire, les manipulations dont il peut faire l’objet. Et pour comprendre ce que l’enfant dit, il est nécessaire d’être formé en traumatologie et en psychologie afin de décrypter ce qu’il y a derrière ses réponses. Gaz. Pal. : Comment l’avocat de l’enfant est-il perçu par les autres professionnels ? D. A. : Dans notre société, l’avocat fait peur. C’est donc à lui d’aller vers les autres, d’expliquer son métier et le rôle particulier qu’il joue auprès de l’enfant. Quand il y a une problématique familiale, dire qu’on est désigné par le bâtonnier, c’est-à-dire un tiers indépendant, cela permet d’ouvrir le dialogue. Il est notamment important quand l’enfant est hospitalisé de nouer le dialogue avec les médecins. C’est souvent long et difficile, il faut apprendre à ne pas se décourager, trouver des appuis dans l’entourage du médecin pour finir par rentrer en contact avec lui. Lorsqu’un enfant est hospitalisé, s’il y a une confrontation avec l’auteur, c’est une faute professionnelle de ne pas avoir rencontré l’enfant et les médecins pour leur expliquer la situation et éventuellement reporter la confrontation si le personnel médical estime que l’enfant n’est pas en état de le supporter. À charge pour l’avocat d’aller négocier avec le juge d’instruction. Quand l’enfant voit que vous parlez au médecin, à l’infirmière, à l’assistante sociale, cela crée un environnement harmonieux, réconfortant autour de lui ; des professionnels qui chacun dans leur rôle, l’assistent. Gaz. Pal. : Un des auteurs de votre livre évoque l’exemple de cet enfant de 9 ans enfermé une matinée entière dans la salle des témoins et devenu incontrôlable. Pensez-vous qu’il faille effectuer des adaptations de procédure ? D. A. : Il existe déjà des unités spécialisées au stade de l’enquête préliminaire, créées par l’association « La Voix de l’enfant », qui permettent une prise en charge globale dans un lieu adapté. La question la plus difficile est celle de la confrontation. Le jeune se retrouve dans un bureau face à son éventuel agresseur, lequel souvent conteste les faits, obligeant l’enfant à répéter, à se justifier. Pour gérer au mieux ce moment très pénible, certains envisagent de procéder par visioconférence. J’ai un avis assez partagé sur cette idée. D’un côté cela crée une distance, mais de l’autre nous sommes déjà tellement devenus des hommes et des femmes d’écran que je m’interroge sur les risques notamment pour le magistrat de ne pas apercevoir ces frissons, G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1 13 A ct u al i t é cette pâleur, ce mouvement de recul, ces larmes qui ont tant d’importance pour se faire un jugement sur une situation. Un autre moment sensible est bien sûr celui de l’audience, mais aussi juste avant l’audience. Le manque de moyens a pour conséquence que les enfants victimes se retrouvent à attendre sur le même banc que les auteurs présumés, y compris quand les auteurs ont l’interdiction de revoir la victime. C’est aberrant. À Paris, nous avions obtenu au tribunal pour enfants, une salle pour éviter cela, mais au bout de deux ans, on nous l’a reprise. Je surveille le chantier du palais de justice des Batignolles pour que cette fois on aménage les lieux afin d’éviter cette situation épouvantable. Gaz. Pal. : L’un des grands chantiers de la Chancellerie est la réforme de l’ordonnance de 1945 sur les mineurs. Où en sont les travaux ? D. A. : Ce projet, c’est un peu comme la boîte de farce-et-attrape qu’on ouvre et dont jaillit un diable. Mes premières interventions sur le sujet remontent à 2009, c’est dire si le projet est ancien. Deux cents professionnels ont déjà été consultés dont les derniers en décembre 2014 sur un premier avant-projet de réforme. Je viens d’apprendre que de nouvelles auditions allaient commencer. Nous n’avons pas le nouveau texte sur lequel on annonce des auditions, ce qui signifie que nous sommes encore très loin d’une inscription à l’agenda du Parlement. La problématique de la jeunesse est maintenant récupérée par la politique politicienne, c’est un scandale, et je crains fort que le sujet devienne un hochet électoral à l’occasion des présidentielles. Il y avait de très bonnes idées dans le premier avant-projet, la meilleure étant de redonner du sens aux sanctions. Si les politiques croient qu’enfermer les jeunes est une réponse pertinente à la délinquance des mineurs, cela nous confirme l’idée qu’ils sont effectivement complètement déconnectés de la réalité. En les enfermant, on en fait des exclus de la société qui deviendront les bombes vivantes dont on essaie aujourd’hui de se préserver. Mettre ensemble des jeunes qui ont de grandes difficultés aggrave leur violence par un effet de déstructuration. De même, quand on les écarte des quartiers où ils ont commis des actes de délinquance, c’est bien, ensuite on les prend en charge, mais à la sortie ils sont de nouveaux livrés à eux-mêmes. Dans un centre éducatif fermé, il faut un minimum de 24 éducateurs pour 10 jeunes car la prise en charge s’effectue 24 heures sur 24. Imaginez quand tout ça s’arrête… Gaz. Pal. : Mais alors quelle peut être la solution ? D. A. : Éviter ce mécanisme d’encadrement répressif suivi d’un brutal abandon, et travailler au contraire sur la réparation pénale et l’accompagnement. Nous savons le faire, c’est simplement une question de volonté politique et d’investissement. Il ne s’agit pas bien 14 G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1 entendu de décerner des satisfecit, mais bien de réprimer, simplement en permettant la réinsertion, plutôt qu’en leur collant une étiquette de multirécidivistes. Il faut que les chefs d’entreprise et les institutions publiques permettent à ces jeunes de payer par la réparation, c’està-dire en pratique en travaillant pour la collectivité sous le contrôle de leurs éducateurs et en coopération avec les familles. Si on continue de les appeler racaille, vermine, sauvageon, ils le deviendront. En revanche, si on leur dit qu’ils ont mal fait, qu’ils doivent payer et réparer, alors on pourra les réinsérer. Cela n’existe pas un jeune qui ne soit pas susceptible d’être réinséré. Par contre à 25 ans, minés par la drogue, le désespoir et la haine, c’est fini, on ne peut plus rien. Gaz. Pal. : Que pensez-vous des jeunes qui partent faire le djihad ? D. A. : Qu’il faut arrêter de prendre les jeunes pour des abrutis. On ne leur parle pas de morale de façon positive, on les laisse livrés à eux-mêmes et soudain, ils tombent sur des gens qui leur donnent un cadre même perverti, avec un pseudo idéal, des règles de conduite, des interdits. On leur offre de donner un sens à leur existence même s’il s’agit de mourir. Leur quotidien est sans espoir, sans travail, sans reconnaissance. Le prétendu djihad leur procure à nouveau l’envie de se lever le matin et donne un but à leur haine contre une société qui, à leurs yeux, les exclut, et tout de suite ils adhèrent. Cela doit nous interroger sur ce que nousmêmes sommes capables de proposer. D’un point de vue très pratique, cela impose de former notamment les éducateurs, les avocats et magistrats… à l’Islam pour qu’ils puissent répondre et déconstruire ces discours. Gaz. Pal. : Quelle formation recommandez-vous à ceux de vos confrères qui souhaiteraient se spécialiser dans les enfants ? D. A. : Cela ne s’improvise pas. Si on n’est pas formé, on va ajouter du traumatisme au traumatisme. Il faut donc se renseigner, travailler, apprendre. Toute l’année se déroulent des colloques passionnants sur le monde de l’enfance en traumatologie, psychologie, droit. Ces formations sont souvent pluridisciplinaires car être avocat d’enfants implique une connaissance approfondie de divers domaines. Il existe aussi des quantités de livres sur le sujet. Sans compter les formations dispensées dans l’ensemble des écoles du Barreau. Être avocat d’enfants est à l’heure actuelle un acte de militantisme puisque nous ne sommes rétribués qu’à l’aide juridictionnelle, c’est-à-dire une misère. Mais notre gageure : faire reconnaître aux professionnels, au monde judiciaire, à la Chancellerie et à nos confrères, que l’avocat d’enfants a toute sa place pour permettre à l’enfant de faire reconnaître et respecter ses droits. Propos recueillis par Olivia Dufour 253x3 Ac tu a l it é 254h0 PROFESSIONS Le business de l’expertise judiciaire en matière de dommages corporels 254h0 L’essentiel L’auteur dénonce les dérives inacceptables et illégitimes de l’expertise judiciaire à temps plein. C onscients que l’expertise judiciaire est un véritable Nicole CHABRUX marché, l’idée de sa profesAvocat sionnalisation se fait jour. Certains experts n’ont d’ailleurs pas attendu et en ont déjà fait un véritable business. Libre propos par Pourquoi cette idée a-t-elle germé dans l’esprit de certains experts et pourquoi cette professionnalisation est-elle à bannir ? Le recours systématique à une mesure d’instruction La preuve du dommage corporel constituant un préalable à toute réparation, la recherche d’une vérité médicale est nécessaire afin de pouvoir déterminer l’obligation juridique d’indemnisation qui en découle. Aujourd’hui, même si la victime qui demande réparation fournit au juge des documents médicaux attestant de la réalité des dommages, le juge confie systématiquement à un technicien (médecin) une mission à la fois pour l’informer et pour donner un caractère contradictoire à la recherche de la vérité médicale D’où l’importance donnée à l’expert judiciaire dans le processus indemnitaire qui génère chez certains le sentiment d’être indispensable. Une augmentation du contentieux Outre les accidents de la circulation, on constate une augmentation des accidents liée à la pratique d’activités sportives de plus en plus nombreuses et dangereuses pratiquées par un nombre croissant d’adeptes, et parallèlement un développement des contrats d’assurance de personne (contrats Garantie accident de la vie privée). L’on assiste également à une augmentation notable du contentieux de l’indemnisation du dommage corporel (relative toutefois puisque 98 % des dossiers font l’objet d’une transaction) du fait de la prise de conscience des victimes que leurs intérêts personnels et ceux des assureurs sont divergents, du fait également du nombre croissant d’avocats spécialisés en matière d’indemnisation du dommage corporel qui n’hésitent plus à saisir les tribunaux face à une absence d’offre ou d’offres d’indemnités incomplètes et/ou a minima. Le recours à l’expertise est donc de plus en plus fréquent et le besoin d’experts croissant. Des missions d’expertise dont le contenu ne cesse de s’étendre et qui ont pour effet pernicieux une véritable délégation inconsciente de la fonction de juger Pour aborder ce point, il faut évoquer la nomenclature Dintilhac qui a listé et mis en lumière des préjudices indemnisables qui, jusqu’alors, n’étaient pas toujours pris en considération, avec en regard une définition du contenu de chacun de ces postes de préjudices. Le juge, de par le contenu des missions qu’il confie à l’expert, délègue - consciemment ou non - une partie de son domaine réservé, l’expert étant sollicité pour donner son avis sur ce qui ne relève pas de la seule compétence médicale, empiétant ainsi insidieusement sur ce qui relève de la compétence du juge. Il en résulte une véritable délégation inconsciente de la fonction de juger. L’évaluation des besoins en tierce personne et les répercussions des séquelles sur le plan professionnel sont un exemple flagrant de cette dérive. Quels sont les experts qui prennent le soin, afin d’éclairer le juge, de détailler précisément quels sont les actes au quotidien que la victime ne peut plus réaliser seule, les conséquences du handicap dans la vie en société au regard notamment de la définition du handicap issue de la loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées ? L’on constate ainsi qu’un nombre croissant d’experts fixent, sans aucune motivation et donc arbitrairement, un nombre d’heures d’aide auquel la victime a droit. Chiffrage que les juges, peu ouverts aux critiques, entérinent quasi systématiquement. L’on assiste d’ailleurs à une banalisation, voire une barémisation choquante du nombre d’heures de tierce personne alloué par des experts judiciaires particulièrement frileux sur le nombre d’heures estimé. Combien de fois n’entend-on pas en expertise, l’expert déclarer « pour un paraplégique, on donne normalement 3 à 4 heures de tierce personne par jour, alors vous comprenez que pour votre client qui n’est amputé que d’une jambe, même si l’appareillage est très loin d’être satisfaisant, je ne peux accorder autant » ! Même constat concernant l’impact des séquelles dans la vie professionnelle. C’est l’expert qui décide si telle ou telle victime est capable ou non de reprendre totalement ou partiellement son activité professionnelle (tiers temps, trois quart temps…), sans même se donner la peine de dresser un bilan descriptif de l’impact des séquelles en regard de la spécificité du métier, des tâches professionnelles que doit accomplir la victime et des conditions d’exercice. Un exemple récent : l’expert désigné dans le cadre d’un accident de la circulation indiquait dans ses conclusions que la victime aurait pu reprendre son métier d’artisan charpentier avec toutefois des restrictions nécessitant de se faire aider et d’acquérir différents matériels (la victime ne pouvait lever les bras en l’air) et précisait même G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1 15 A ct u al i t é la date à laquelle, selon lui, cette victime aurait donc pu reprendre son travail. Sans répondre aux arguments de la victime, le magistrat a suivi à la lettre les conclusions pourtant aberrantes de cet expert en indemnisant la victime d’une perte de revenu de la date de l’accident jusqu’à la date retenue par ce dernier, alors que pour retrouver un niveau de revenu identique à celui qui était le sien avant l’accident la victime aurait dû embaucher et acheter du matériel. On se demande bien avec quels revenus dès lors que la victime, du fait de l’accident, avait perdu toute sa clientèle, de sorte que la reprise d’activité antérieure était au cas d’espèce totalement illusoire. Ce genre d’appréciation portée par un expert, qui relève pourtant de la seule appréciation du juge ne choque pas ces derniers, bien au contraire, la situation leur semble confortable, n’ayant plus qu’à monétiser l’avis de l’expert. Il n’est donc pas étonnant d’assister à un empiètement croissant du pouvoir des experts sur l’impérium du juge, l’indemnisation de la victime ne dépendant plus désormais du juge mais de l’expert qui sera désigné. Un désengagement progressif des magistrats en cette matière Le caractère systématique du recours à l’expertise, des missions au contenu de plus en plus large qui ne relèvent pas « que » du médical, empiètent sur la fonction de juger pourtant dévolue aux seuls magistrats dans l’exercice de leur « pouvoir souverain ». L’on constate ainsi dans la pratique qu’il y a très peu de place à la critique, puisque la majorité des décisions entérinent de façon quasi automatique les conclusions des experts. Cette démission du pouvoir judiciaire conforte d’autant plus les experts dans leur conviction de détenir « La » vérité scientifique que de nombreux rapports d’expertise ne comportent aucune explication, aucun raisonnement logique permettant au juge de vérifier le bien-fondé de leurs avis, le technicien ayant, par nature, toujours raison et se permet ainsi d’affirmer sans démontrer. “ La démission du pouvoir judiciaire conforte les experts dans leur conviction de détenir « La » vérité scientifique ” Pourquoi donc une telle passivité de la part de nombreux magistrats avec une sacralisation du rapport d’expertise ? Serait-ce un sentiment d’incompétence face à une matière technique, par manque de temps, d’esprit critique, d’intérêt pour la matière, pour éviter d’ordonner de nouvelles mesures d’instructions ce qui aurait pour effet d’allonger les délais de procédure, par manque de courage, ou tout simplement par facilité ? Cette situation déplorée par les avocats spécialisés est également dénoncée par de nombreux juristes et par les magistrats eux-mêmes qui tirent la sonnette d’alarme (J. Guigue, « Rendre au juge sa place en matière d’expertise » : Gaz. Pal. 30 juill. 2015, p. 5, n° 235h4). 16 G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1 Un sentiment de toute-puissance Un constat : cette implication insuffisante des juges et l’importance grandissante des experts dans le processus indemnitaire génère chez nombre de ces derniers un sentiment de toute-puissance que certains tirent déjà du titre « d’expert », qu’ils mettent en évidence sur leur papier en-tête alors même qu’ils ne sont ou ne devraient être que des collaborateurs occasionnels au service de la justice. Certains experts se sentent investis d’une totale liberté, sinon d’impunité, qu’ils n’hésitent pas à prendre tantôt la casquette de médecin conseil d’assureur tantôt celle d’expert judiciaire sans même juger utile d’en informer les instances idoines, ni le tribunal qui les désigne, ni bien évidemment les victimes. Ainsi, alors même que le juge en charge du contrôle des expertises est informé par le conseil de la victime que l’expert désigné officie régulièrement pour différentes compagnies d’assurances, la demande en changement d’expert est rejetée, l’expert n’y voyant aucun conflit d’intérêt arguant qu’au cas particulier, il n’était pas le médecin conseil habituel de l’assureur partie au procès dans lequel il a été désigné. Selon certains magistrats, le simple fait que l’expert soit un technicien suffit à asseoir, outre sa compétence, son indépendance, son impartialité et peu importe qu’il tire tout ou partie de ses revenus de son activité de médecin conseil d’assureurs ! Au diable le respect de la déontologie par l’expert, il est ainsi exigé plus de vertus du juge qu’à l’expert ! Tous ceux qui connaissent cette matière savent bien que ce mélange des genres est totalement incompatible avec leurs devoirs d’indépendance et d’impartialité. Les médecins conseils d’assureur sont formés par les assureurs qui n’hésitent pas dans certains cas à leur donner des consignes. Le titre même de « médecin conseil d’assureur » est révélateur de sa mission, consistant avant tout à défendre les intérêts de son mandant, et donc nécessairement à minorer les postes de préjudice de la victime. Qui peut raisonnablement croire que celui qui tire tout ou partie de ses revenus de l’activité de « médecin conseil d’assureur » a l’esprit libre et aborde avec conscience, objectivité et impartialité la mission qui lui est confiée par un juge ? L’activité régulière de médecin conseil d’assureur est de nature à générer des conflits d’intérêts entre l’activité privée et l’activité au service des missions d’expertise. Dès lors que les intérêts des assureurs et des victimes sont totalement divergents, il faut se garder du mélange des genres, le soupçon n’a pas sa place. Il en va de la crédibilité de la justice. Ce conflit d’intérêts évident est largement dénoncé depuis des années par de très nombreux auteurs, professeurs de droit, magistrats, avocats et tout dernièrement encore par notre confrère Nicolas Gemsa et par la vice-présidente de l’ANAMEVA, Jacqueline Rossant (N. Gemsa et J. Rossant, « Le conflit d’intérêts dans l’expertise médico-légale » : Gaz. Pal. 6 juin 2014, p. 41, n° 182b0). Il faut dire que la Cour de cassation ne contrôle pas les qualités du postulant à l’inscription sur les listes d’experts, Actual ité se contentant d’une analyse a minima des manquements graves. Ainsi pouvait-on lire dans un arrêt rendu en 2008 : « n’est pas justifié le refus d’inscription par l’assemblée des magistrats du siège pour le seul motif qu’un expert a réalisé des expertises pour le compte de sociétés d’assurance » (Cass. 2e civ., 22 mai 2008 n° 08-10314 : Bull. civ. II, n° 122 : D. 2008, p. 2635, note L. Morlet-Haïdara). MAIS qu’en est-il lorsque l’expert inscrit réalise de façon habituelle de telles expertises pour le compte de sociétés d’assurance ? La revendication de la professionnalisation de l’expertise judiciaire Face à ces constats, de nombreux experts ont compris qu’il y avait là un « Marché de l’expertise judiciaire » très attractif en termes de revenus, et sans commune mesure avec les responsabilités engendrées par l’exercice plein et entier de la médecine. Certains n’ont pas attendu et en ont déjà fait un véritable business : il y a quelques mois, devant le juge en charge du contrôle des expertises, l’expert, dont le remplacement était sollicité par la victime au profit d’un expert relevant d’une spécialité particulière, s’est présenté devant le juge afin de voir sa désignation maintenue et n’a pas hésité, comme gage d’une compétence avérée et large, à revendiquer 600 expertises judiciaires par an ! Il s’avère que cet expert n’exerce - depuis son inscription sur les listes en 1985, soit depuis 30 ans - ni la chirurgie, ni l’activité de médecin, ayant, en pratique, fait de l’expertise judiciaire son « métier ». Il n’est pas certain que les magistrats qui le désignent fréquemment soient au fait de cette situation. Cet expert ne pratique donc pas la médecine, il est expert en barème du concours médical depuis trente ans ! Au regard de la facturation appliquée sur une base moyenne de 2 200 € l’expertise, il paraît en effet beaucoup plus rentable et confortable d’exercer le métier d’expert judiciaire en barème que d’exercer la médecine avec son cortège de responsabilités et ses contraintes financières (primes d’assurance en hausse constante et pouvoirs publics qui se désengagent au profit des mutuelles). C’est la raison pour laquelle, sous couvert d’une meilleure formation des experts, certains avancent l’idée de la professionnalisation de cette activité. La professionnalisation serait une nécessité sous prétexte que le technicien, pour bien remplir son office, doit connaître les principes de droit qui gouvernent l’expertise, la procédure et la déontologie afin d’éviter que les rapports ne soient rejetés, ce qui aurait pour conséquence d’engendrer un accroissement des coûts et des délais de procédure. Les rapports seraient mieux rédigés, plus complets, répondant davantage aux attentes des juges. Tels sont les éléments justificatifs qui semblent être mis en avant par certains experts pour devenir des professionnels de l’expertise, disons plutôt des experts en barème. Mais où est la médecine dans tout cela ? Si la formation du médecin candidat à l’inscription sur les listes de la Cour de cassation et des cours d’appel nécessite une formation juridique préalable plus approfondie que celle actuellement exigée (principes directeurs du procès et règles de procédure applicables aux mesures d’instruction), elle ne saurait pour autant justifier d’en faire une profession à part entière. Rappelons que les experts ont déjà deux outils à leur disposition : ––la liste (non exhaustive) des préjudices émanant de la Commission Dintilhac (dite nomenclature Dintilhac) d’ailleurs reprise dans la plupart des missions qui leur sont confiées, l’expert n’ayant plus qu’à répondre point par point; ––le Barème indicatif d’évaluation des taux d’incapacité en droit commun dit Barème du concours médical pour la détermination du déficit fonctionnel au soutien de leurs observations. Désignés pour leur compétence médicale, c’est leur expérience de médecin au quotidien qui permet d’éclairer le tribunal et c’est donc essentiellement à cette dernière qu’il faut s’attacher. L’expertise ne peut donc être qu’accessoire à l’activité de médecin, sinon les médecins perdent leur compétence, car déconnectés des pratiques et avancées médicales, et perdent alors toute légitimité. “ L’expertise ne peut être qu’accessoire à l’activité de médecin Les effets pervers de la professionnalisation ” Outre l’absence de la pratique de la médecine au quotidien et la perte de compétence médicale, seule cause justificative de leur désignation, pointent les dangers de la routine qui, comme dans toutes professions, annihile les facultés de réflexion et tend vers une certaine systématisation ou banalisation dans l’approche des dossiers, voire à une totale déshumanisation faute d’une compétence objective (M. Girard, « La souffrance dans le paysage médical » : Gaz. Pal. 14 févr. 2014, p. 13, n° 165v9) Mais ce qui est plus grave encore, c’est la perte totale d’indépendance et d’impartialité des experts puisque au final c’est le débiteur d’indemnité, c’est à dire l’assureur, qui assume intégralement la charge de leurs honoraires. À cet égard, il n’est pas anodin de relever que les honoraires d’expert judiciaire augmentent de façon substantielle sans que les assureurs se plaignent, chacun y trouvant son compte. La professionnalisation n’est d’ailleurs pas mal perçue par les assureurs qui voient là sans doute une occasion de mieux contrôler encore ceux qui, dans le processus indemnitaire, ont pris la main sur le juge. La professionnalisation de l’expertise judiciaire étant la négation de tous les principes qui gouvernent le procès civil sur le respect de l’indépendance et de l’impartialité, l’encourager serait ouvrir la porte à l’incompétence médicale et aux dangers de la routine, elle est donc à bannir. L’expertise judiciaire ne peut et ne doit être qu’accessoire à l’activité principale de médecin et le juge doit retrouver sa véritable mission comme seul rempart contre l’arbitraire. 254h0 G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1 17 AU LIEU DE € HT 355 NOUVELLLE FORMULE Une revue D o ctr ine 252v0 CONTRATS La réforme du droit des contrats et le monde des affaires : une nouvelle version du principe comply or explain ! 252v0 L’essentiel La réforme du droit des obligations est, à l’instar de toute réforme, source de nouveaux risques. La réforme n’est pas un frein à la pratique des affaires. En revanche, les professionnels du droit, avocats, notaires, juristes d’entreprises, vont devoir relire leurs actes et réécrire leurs clauses. Pour ne pas subir la réforme mais l’accompagner, les professionnels du droit doivent, dans un premier temps, identifier les risques afin, dans un deuxième temps, de mieux les gérer. À défaut d’une telle anticipation conventionnelle, les acteurs économiques devront en subir les conséquences. En d’autres termes, la réforme nous offre une version détournée du comply or explain : soit les parties se soumettent aux nouvelles dispositions de la réforme qui attribuent plus de pouvoir au juge, soit elles font le choix de les écarter ou de les aménager en expliquant la démarche contractuelle des parties. Proj. ord., 25 févr. 2015, portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations R éforme et bonnes affaires. Avec la réforme du droit des obligations qui se profile à grands pas, pourra-t-on encore à l’avenir faire de bonnes affaires ? tradition romano-germanique et de common law. Quant aux valeurs prônées par le projet, elles reposent essentiellement sur la nécessité de protéger la partie faible, au nom d’une certaine conception de la justice contractuelle, et sur la nécessité de promouvoir l’efficacité économique dans les relations contractuelles. La réforme du droit des obligations était clairement attendue par les experts que sont, selon une appellation plus noble, les membres Note par de la doctrine. Il a fallu Mustapha MEKKI près de dix années depuis Agrégé des facultés l’avant-projet Catala de 2005 de droit, professeur à pour avoir enfin un projet l’université Sorbonne Paris Cité (Paris 13), quasi-définitif de réforme directeur de l’IRDA du droit des obligations. Actuellement devant le Conseil d’État, ce dernier doit veiller à ce que le projet soit, notamment, conforme au principe de sécurité juridique. Cela laisse tout de même une marge de manœuvre importante aux conseillers d’État. Un projet définitif devrait être soumis au Parlement en février 2016 et la promulgation interviendrait en avril 2016 au plus tard, avec une entrée en vigueur retardée afin de laisser le temps à la rédaction de circulaires interprétatives qui seront très précieuses pour les différents interprètes. Une réforme nécessaire ? Que doit-on penser de cette réforme si on se met quelques instants dans la peau de ceux qui sont en permanence confrontés à ce monde des affaires, monde des activités économiques où s’imposent avec force les principes de sécurité, de rapidité et d’efficience ? On pense spécialement aux services juridiques des entreprises françaises, aux chambres du commerce et aux avocats d’affaires. Il n’est pas certain, tout d’abord, que ces professionnels aient vraiment demandé une telle réforme. Le besoin le plus pressant ne semble pas être, selon quelques témoignages, la réforme du droit des obligations. Les réformes du droit du travail, du régime fiscal, du droit processuel (action de groupe, médiation…) préoccupent davantage ces professionnels du droit, relais entre les producteurs de droit (législateur, juges et autorités diverses) et les acteurs économiques. Quant aux objectifs poursuivis, les acteurs économiques doutent que l’attractivité de la place de Paris soit conditionnée par une telle réforme. Ce que recherchent avant tout les entreprises étrangères ce sont, d’une part, un droit prévisible, où la volonté des parties au contrat est rigoureusement respectée, et, d’autre part, une procédure civile et commerciale efficace qui repose sur des délais raisonnables, faisant intervenir des magistrats intègres et compétents et qui garantit la bonne exécution des décisions de justice. Réforme : objectifs et valeurs. Le projet d’ordonnance du 25 février 2015 se veut, selon la loi d’habilitation, un travail de codification à droit constant. L’essentiel réside dans la consolidation et le résiduel dans quelques innovations. Les objectifs poursuivis par le projet sont clairement affichés : rendre le droit des obligations plus attractif, plus simple et plus lisible. Pour ce faire, il convient de le moderniser, d’alléger certaines dispositions et d’intégrer les acquis jurisprudentiels en s’inspirant des projets antérieurs (Catala, Terré, projets de la chancellerie de 2008, 2009 et 2013), des codes savants (principes d’Unidroit, principes du droit européen du contrat, cadre commun de référence) et des systèmes juridiques européens de 18 G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1 Un législateur au milieu du gué. Les valeurs prônées par la loi d’habilitation et qui se dégagent de certaines dispositions, ne sont-elles pas un message optimiste adressé au monde économique ? L’efficacité économique est en effet plusieurs fois évoquée et les notions de coût, de raisonnable ou de prix du marché devraient rassurer sur la philosophie néo-libérale de la future réforme. Pourtant, les acteurs du monde économique font observer que les lignes directrices du projet ne sont pas claires et ils n’ont Do ctr in e pas tort. Le projet, indépendamment de la qualité de ses dispositions, donne l’impression d’hésiter entre plusieurs voies. Vouloir concilier la protection des faibles et l’efficacité économique n’est pas impossible. L’Europe sait depuis longtemps que protéger les « faibles » c’est aussi les mettre en confiance afin qu’ils consomment et contribuent ainsi à développer l’activité économique. Cependant, cette hésitation est plus visible au sein de nombreuses dispositions pour lesquelles le législateur a refusé d’opérer un choix tranché : résolution par notification mais exclusion pour la nullité qui doit être judiciaire ou conventionnelle ; exception d’inexécution par anticipation mais pas de résolution unilatérale par anticipation ; exécution forcée en nature sauf coût manifestement déraisonnable ; prise en compte de l’imprévision mais sans révision judiciaire ; admission d’une révision du prix en cas de fixation abusive mais limitée aux seuls contrats à exécution successive et aux contrats-cadres… Autre ambivalence, non seulement une place plus importante est attribuée au juge au sein du droit des contrats (multiplication des standards juridiques) et au sein de la relation contractuelle (pouvoirs de réfaction plus importants), mais se dessine aussi une incitation plus grande des parties à anticiper, à prévoir l’imprévisible par la rédaction de clauses contractuelles ; l’abandon d’un droit des contrats appréhendé sous le prisme des obligations est d’ailleurs en ce sens flagrant. Une réforme qui crée une véritable « peur du juge ». Plus original encore, il semble y avoir dans cette réforme un message subliminal qui se confirmera très certainement en pratique. Ce message consiste à présenter le juge comme une mesure ultime. Ce que crée, volontairement ou non, la réforme du droit des obligations c’est une « peur du juge ». L’objectif poursuivi ou du moins le résultat obtenu est de dissuader les parties et les justiciables de solliciter trop souvent l’intervention du juge. Cela se traduit de deux manières. D’une part, les parties sont invitées à rédiger de nombreuses clauses contractuelles pour encadrer au plus près leur relation amenée à s’inscrire dans la durée. Ce n’est peut-être pas le meilleur côté du droit américain qui a inspiré le législateur français, mais c’est un fait : le contrat sans se réduire à un ensemble de clauses doit « tout » prévoir pour limiter le contentieux et prévenir au mieux l’intervention du juge qui dispose désormais de nombreux outils juridiques pour s’immiscer dans le contrat. Ensuite et surtout, puisque la saisine du juge devient plus aléatoire en raison des notions souples à sa disposition et des pouvoirs plus importants qui lui sont octroyés, les parties sont invitées, de manière implicite, à préférer les modes alternatifs de règlement des conflits, mettant la réforme du droit substantiel en conformité avec la « Justice du 21e siècle » (Projet J21) (sur cette interprétation, S. Amrani-Mekki, Allocution lors de la conférence sur le projet de réforme du droit des obligations et les tribunaux de commerce, 28 nov. 2015). Identifier et gérer les risques. Quoi qu’il en soit, la réforme se profile et les acteurs du monde économique doivent s’en accommoder. Comme toute réforme, elle sera, du moins pendant un temps, source d’interrogations. Toute réforme fait naître de nouveaux risques. Risques générés par de nouveaux principes, de nouveaux concepts, de nouveaux standards, de nouveaux pouvoirs. Le plus important pour les acteurs économiques consiste, tout d’abord, à identifier ces risques. L’identification des risques limite ainsi la part d’aléa qui accompagne toute réforme. Une fois ces risques identifiés, l’imagination des praticiens sera mise au service des parties pour une meilleure gestion des risques. Le contrat et les clauses contractuelles sont ici à l’honneur confortant cette formule éclatante de vérité lancée il y a quelques années par le professeur Mousseron : le contrat est un instrument de gestion des risques. Les praticiens sont invités à relire et à réécrire. Alors pourra-t-on encore faire de bonnes affaires au lendemain de la réforme du droit des obligations ? Absolument, à condition de prendre le temps, avant l’entrée en vigueur de la loi, d’identifier les risques (I), afin de mieux les gérer (II). I. IDENTIFICATION DES RISQUES L’objectif n’est pas de dresser un panorama complet des risques que peut faire naître cette réforme du droit des obligations mais de cibler les principales sources d’incertitudes. À la lecture de la réforme, il existe deux séries de risques à l’égard desquels les praticiens du monde des affaires devront se montrer particulièrement vigilants. Ces risques renvoient principalement à l’imprévisibilité de la réforme : imprévisibilité de la loi et imprévisibilité du contrat. A. Imprévisibilité de la loi Pulvérisation des standards juridiques. Le projet d’ordonnance du 25 février 2015 comporte pour l’essentiel une consolidation des acquis jurisprudentiels. On observe cependant au sein du futur Titre III du Livre III un phénomène prégnant : la multiplication des standards juridiques. Les standards juridiques ne sont pas un phénomène inconnu du droit civil. Que l’on songe à la notion d’ordre public, de bonnes mœurs, d’intérêt de la famille, d’intérêt de l’enfant et bien d’autres encore. La nouveauté réside, d’une part, dans la pulvérisation de ces standards. Les exemples sont légion : « incompatibilité » entre les conditions générales (art. 1120, al. 2), « confiance » (art. 1129), « opération d’ensemble » (art. 1186, al. 2), délai et personne « raisonnable » (art. 1116, 1118, 1125, al. 3, 1157, 1188, al. 2, 1198, 1212, 1222, 1226, 1301-1, 1305-1, al. 2, et 1307-1), « déraisonnable » (art. 1121), « raisonnablement » (art. 1218), « certain temps » (art. 1124), inexécution « imparfaite » (art. 1223), « déséquilibre significatif » (art. 1169), « substance de l’obligation essentielle » (art. 1168), « état de nécessité » (art. 1142), « attentes légitimes » (art. 1163, al. 2, 1164 et 1166), « intérêt général » et « intérêt particulier (art. 1178 et s.), proportionnalité (art. 1102, al. 2), « bonne foi » (art. 1103), « abus » (art. 1163, al. 2, 1212, al. 2, et 1142). Les standards juridiques entendus au sens large, intégrant ainsi les notions souples, les notions à contenu variable, les délégations de pouvoir…, sont l’expression d’un « autoscepticisme » du législateur (G. Cornu). En tout état de cause, les juges deviennent par nécessité des auteurs-acteurs de la norme (G. Timsit). L’autre particularité de ces nouveaux standards réside dans le fait qu’ils se situent moins, comme leurs prédécesseurs, dans un rapport vertical (bonnes mœurs, ordre public) mais produisent leurs effets dans les rapports horizontaux entre les parties. De cette manière, ces standards invitent le juge à s’immiscer davantage dans la relation contractuelle. G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1 19 D octr i n e “ L’imprévisibilité de la loi réside également dans la persistance de certaines lacunes auxquelles le juge va devoir remédier ” Les incohérences du projet de réforme. L’imprévisibilité de la loi réside également dans la persistance de certaines lacunes auxquelles le juge va devoir remédier. La réforme le confirme : le juge n’est pas seulement cette « bouche qui prononce les paroles de la loi » selon la belle formule de Montesquieu. Intervenant praeter legem, il veille à maintenir la cohérence du système en présence de cas difficiles, les « hard cases ». Il use de ce « jugement réfléchissant », selon l’idée d’Emmanuel Kant reprise par Ronald Dworkin : il doit penser une loi et garantir son unité lors de son application par référence à un critère fondamental : la cohérence. Or, la réforme sans en être truffée comporte quelques incohérences. Que l’on songe à ce nouvel article 1169 qui généralise les clauses abusives, même si le ministère devrait en limiter la portée dans la dernière mouture aux seuls contrats d’adhésion. Comment va-t-on combiner ce texte avec l’article L. 132-1 du Code de la consommation ? Doit-on mettre à la disposition des consommateurs une option ou doit-on au contraire privilégier l’adage selon lequel la règle spéciale déroge à la règle générale ? Quant à l’article L. 442-6 du Code de commerce, qui prévoit comme seule sanction une responsabilité civile à mettre en œuvre devant les huit juridictions commerciales compétentes, le professionnel pourra-t-il demain combiner l’octroi de dommages et intérêts et la « suppression » de la clause au fondement de l’article 1169 ? Pourra-t-il à titre principal se prévaloir de l’article L. 442-6 du Code de commerce, dont les conditions sont plus strictes (négociation imposée et déséquilibre significatif), et à titre subsidiaire invoquer l’article 1169 du Code civil ? C’est au juge qu’il reviendra encore de le dire. Dans le même esprit, l’action interrogatoire de l’article 1183 qui prévoit que sans réponse dans un délai de six mois de celui qui est interpellé et qui pourrait se prévaloir de la nullité il est forclos. Comment combiner cette restriction du délai à six mois avec d’autres dispositions ? Cet article est-il compatible avec les délais imposés par une disposition d’ordre public de protection comme on en rencontre en droit de la consommation ? Comment admettre que six mois est un délai suffisant quand la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 introduisant un article 2254 au sein du Code civil prévoit qu’une clause réduisant le délai de prescription ne peut le réduire en dessous d’un an. Une année n’est-ce pas dans l’esprit du législateur un délai minimum en deçà duquel l’effectivité des droits serait menacée ? Enfin, la suppression de l’actuel article 1107 du Code civil, faisant le pont entre le droit commun et le droit spécial, rend fragile certaines dispositions du droit commun. Si l’article 1124 du Code civil prévoit l’exécution forcée en nature de la promesse unilatérale de contrat, qui empêchera demain un avocat de soutenir qu’il ne s’applique pas au droit spécial de la vente et donc ne s’applique pas à la promesse unilatérale de vente ? Sur ce dernier point, cependant, le ministère 20 G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1 semble admettre qu’il s’agit d’une scorie qui sera dans la version finale corrigée. Les sources d’interrogation sont encore nombreuses : la définition de la stipulation pour autrui exclut toute stipulation avec charge ! La résolution judiciaire qui peut « toujours » être demandée menace les clauses de renonciation anticipée à la résolution judiciaire. La « suppression » de la clause abusive visée à l’article 1169, est-elle une nullité partielle ou une clause réputée non écrite dont les régimes juridiques respectifs sont radicalement différents ? Au-delà d’une loi qui, sur certains aspects fondamentaux, manque de prévisibilité, c’est la substance même de certaines dispositions qui menace la prévisibilité des contractants. B. Imprévisibilité du contrat La réforme du droit des obligations est globalement satisfaisante. Cependant, confrontés à la réalité économique, de nombreux pans de cette réforme pourraient poser de sérieuses difficultés. Précisons au préalable qu’il ne s’agit pas d’un jugement de valeur, approuvant par ailleurs le pouvoir plus important accordé au juge dans le contrat, mais d’attirer l’attention sur les « zones de risques » qui devront être identifiées par les acteurs économiques afin d’anticiper sur certains effets pervers. Le détournement de règles protectrices. Tout d’abord, certaines techniques ne renforcent pas la pérennité du lien contractuel. Prenons le cas du pacte de préférence très souvent utilisé dans les pactes extrastatutaires et dans les cessions de droits sociaux. L’article 1125 prévoit la possibilité pour un tiers, qui soupçonnerait l’existence d’un pacte de préférence, d’interpeller le potentiel bénéficiaire. L’absence de réponse dans un délai raisonnable fait perdre au bénéficiaire le droit de demander la nullité ou la substitution dans les droits du tiers. Sauf, précise le texte, s’il existe une clause de confidentialité, qui autorise sans conséquence le bénéficiaire à ne pas répondre. Voilà une disposition qui prive cette action interrogatoire de toute utilité car les rédacteurs se feront un point d’honneur à introduire dans chaque pacte de préférence une clause de confidentialité pour contourner les effets de cette disposition, sauf peut-être à considérer que le tiers n’ayant pas eu de réponse du bénéficiaire ignorait l’existence du pacte de préférence ce qui serait un obstacle au prononcé de la nullité ou de la substitution. « Présumer l’existence » ce n’est pas connaître. Mais alors c’est la clause de confidentialité qui est privée d’efficacité et le sens du dernier alinéa in fine de l’article 1125 qui est privé de portée ! Menace pour la force obligatoire du contrat. D’autres techniques portent une atteinte directe à la force obligatoire du contrat dans un domaine où ce qui est dit devrait être dû sans possibilité d’échapper à ses obligations. Tel est l’effet pervers de l’article 1121 du projet rappelant le principe de l’exécution forcée en nature mais admettant en même temps son éviction en cas de coût manifestement déraisonnable. N’est-ce pas dans les projets contractuels les plus importants économiquement, notamment immobiliers, inciter le contractant à ne pas respecter les termes de son contrat en pariant et en budgétant son droit de ne pas exécuter son obligation ? En outre, comment un juge devra-t-il apprécier le coût manifestement déraisonnable ? Doit-il tenir compte du déséquilibre entre le préjudice causé et le coût de l’exécution en nature ou Do ctr in e doit-il comparer la capacité économique du débiteur de l’obligation ? Dans le même ordre d’idées, l’article 1223 dispose que « le créancier peut accepter une exécution imparfaite du contrat et réduire proportionnellement le prix ». Le pouvoir ainsi accordé au créancier lui permet, sans modalités ni contrôle préalable du juge, de faire pression sur son cocontractant et de lui imposer une révision unilatérale du prix. Mais dans quel but ? Il serait opportun que les parties évincent à l’avenir une telle disposition. Un risque d’impressionnisme jurisprudentiel. D’autres dispositions accordent aux juges un pouvoir sans précédent au sein du contrat pouvant donner naissance à une certaine forme d’impressionnisme jurisprudentiel. Que l’on songe à l’article 1102 alinéa 2 qui consacre un contrôle de proportionnalité pour les contrats portant atteinte aux droits fondamentaux. La consécration est bienvenue car le mécanisme existe déjà depuis longtemps dans la jurisprudence, mais il serait de bon aloi que les circulaires interprétatives éclairent un peu plus sur ce que la loi entend par « droits et libertés fondamentaux reconnus dans un texte applicable aux relations entre personnes privées » et sur le mode de raisonnement des juges. Doit-on par exemple légitimement exclure le cas des personnes publiques intervenant dans le domaine privé ? Que l’on songe encore au pouvoir de révision unilatérale, accordé au juge en cas de fixation abusive du prix, révision qu’il devra opérer par référence notamment aux usages, aux prix du marché et aux attentes légitimes des parties. Pouvoir plus important également de ces juges qui, au moyen de « l’état de nécessité » de l’article 1142 ou du « déséquilibre significatif » de l’article 1169, peuvent lutter contre les déséquilibres excessifs. Or, la notion d’état de nécessité n’est pas simple à délimiter, fruit en droit pénal d’un raisonnement en équité prêté au « bon juge » de Château-Thierry, le juge Magnaud. Quant au déséquilibre significatif limité aux contrats d’adhésion, les incidences en droit des affaires seront moins importantes. Cependant, ne nous voilons pas la face, il suffira de simuler une fausse négociation, ce qui est déjà le cas dans le contentieux allemand des contrats, pour échapper à cette disposition. Les mêmes interrogations existent à l’égard de l’article 1168 qui dispose que « toute clause » qui porte atteinte à la substance de l’obligation essentielle est réputée non écrite. La marge de manœuvre est importante, le « toute clause » renvoyant aux clauses exonératoires certes mais aussi aux clauses de divisibilité, clauses relatives à preuve, clauses de réclamation des victimes. Ce sont toutes les clauses qui peuvent être réputées non écrites à l’aune d’un article dont les termes sont relativement larges. Imperfections législatives. Parfois l’imprévisibilité provient d’un manque de clarté des dispositions, sources d’insécurité. Tel est le cas lorsque le législateur pose un devoir général d’information dont on ignore les contours : ne faisant aucune référence à l’obligation de renseigner pour être informé, cela signifie-t-il qu’une telle obligation du contractant a disparu ? En abordant l’obligation d’information de manière générale en la rattachant à la réticence dolosive, introduit-elle l’obligation par exemple pour l’acquéreur d’informer le vendeur de la valeur du bien vendu ? Probablement pas et le projet définitif devrait en principe apporter une telle précision. À cet ensemble, il faut ajouter les imperfections du régime général des obligations : la cession de dette sans le consentement du créancier ni même une notification risque de réduire la capacité de réactivité d’un créancier qui ignore qui est son débiteur principal ? Encore une fois, le législateur devrait sur ce point corriger sa copie dans la version finale. Dans la cession de contrat (art. 1340, al. 3) et la cession de dette (art. 1338, al. 2), qui est ce fameux « garant » dont on peine à déterminer le statut ? Il serait plus prudent de le qualifier de co-débiteur. Quant au paiement en monnaie étrangère, pourquoi le limiter aux seuls « contrats internationaux » là où la jurisprudence actuelle l’étend aux paiements internationaux (art. 1321-3). En ce sens, le remboursement d’un prêt destiné à financer une opération en Argentine est actuellement un paiement international. Le prêt consenti en dollars peut être remboursé en dollars sur le territoire français. En revanche, ce n’est pas un contrat international et à l’avenir donc ce type de paiement sera prohibé. Enfin, laissons de côté le droit des restitutions (art. 1353 et s.) dont on peine à comprendre la philosophie d’ensemble (objective ou subjective) et la cohérence des dispositions pour la plupart mal pensées et mal ordonnées. Les autres sources d’imprévisibilité sont nombreuses mais il semble inutile de continuer ce catalogue qui n’a pas le charme d’une liste à la Prévert. Probablement un mal nécessaire, spécialement au lendemain d’une réforme de cette envergure, cette « zone de risques » doit susciter une réaction des acteurs économiques. Ils se doivent, à l’aide des juristes qui les accompagnent, de penser aux meilleurs moyens de gérer cette imprévisibilité. II. GESTION DES RISQUES La culture du contrat doit devenir dans l’esprit des rédacteurs, juristes d’entreprise et avocats d’affaires, une culture à l’américaine. Il faut tout prévoir et tout anticiper avec le risque d’entraîner une enflure du contenu et une indigestion contractuelle. La gestion des risques nés de la réforme du droit des obligations est à ce prix. Cette gestion du risque passe donc principalement par les contractants. Au-delà, cependant, la gestion du risque doit être relayée par la collaboration des différents pôles émetteurs du droit (juges et autorités administratives). A. La gestion du risque par les contractants Confrontés aux incertitudes de la réforme, les praticiens vont devoir rédiger avec précaution un grand nombre de clauses contractuelles qui ne supprimeront pas le risque créé mais limiteront l’étendue de l’aléa. En quelque sorte, la réforme du droit des obligations en vient à intégrer dans le droit des contrats le principe bien connu en droit des sociétés : comply or explain ! Soit les parties prennent la peine de rédiger des clauses contractuelles limitant le risque, soit elles supportent les risques d’une intervention judiciaire. Clauses et « révision » pour imprévision. Certaines clauses devront par anticipation répartir les risques entre les parties. On pense immédiatement à la résiliation pour imprévision, qui dans sa dernière version devrait devenir une véritable révision pour imprévision (art. 1196). Cet article précise qu’en cas d’imprévision l’une des parties peut demander à renégocier le contrat. « En cas de refus ou d’échec », les parties peuvent demander l’adaptation du contrat. Enfin, « à défaut », une partie peut demander au juge de « mettre fin » au contrat. Cette disposition n’est pas d’une grande clarté. La tentative de renégociation doit-elle G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1 21 D octr i n e nécessairement précéder la requête conjointe en adaptation ? La demande de résiliation n’est-elle possible qu’« à défaut » d’adaptation ou « qu’à défaut » de renégociation préalable ? Autrement dit, faut-il tenter la renégociation et/ ou l’adaptation avant de demander au juge de mettre fin au contrat ? Le plus simple pour les parties est d’anticiper. Deux solutions sont envisageables, soit on exclut l’application de cette disposition car le texte réserve lui-même le cas d’une clause par laquelle une partie accepterait d’assumer les risques d’une imprévision (mais alors n’y a-t-il pas un risque de la voir qualifier d’abusive au sens de l’article 1169 ou de clause portant atteinte à la substance de l’obligation essentielle au sens de l’article 1168 ?) ; soit on aménage le processus de « révision » pour imprévision en prévoyant l’absence ou l’existence d’une hiérarchie entre les étapes de renégociation, d’adaptation et d’extinction du contrat. Clauses contractuelles versus standards juridiques. En outre, les clauses contractuelles permettent de limiter la marge de manœuvre accordée aux juges par les standards juridiques. Par exemple, toutes les dispositions invitant le juge à tenir compte des « attentes légitimes » des parties doivent inciter les contractants à être très précis sur leurs intentions. Tel est le cas notamment pour la révision du prix en cas de fixation abusive. Dans le même ordre d’idées, le spectre du délai raisonnable plane sur de nombreuses dispositions. Il est une invitation à peine cachée des parties à prévoir un délai conventionnel pour éviter toute discussion. Notamment dans l’hypothèse d’une offre (art. 1116 et 1118), du préavis avant rupture (art. 1212) ou de l’option du créancier en cas d’obligations alternatives (art. 1307-1, al. 2)… Dans tous ces cas, l’existence d’une clause prévoyant et imposant un délai conventionnel est plus prudente. Dans le même esprit, l’abus d’un état de nécessité ou de dépendance auquel la version finale devrait ajouter l’existence d’un avantage excessif, oblige le rédacteur à justifier l’économie générale du contrat. Des clauses expliqueront pourquoi il n’y a pas abus car le contrat est globalement équilibré, que la situation de la « partie en état de faiblesse » a été prise en considération et que cette dernière tire un avantage satisfaisant du contrat conclu. Clauses contractuelles et clauses abusives. Quant aux clauses abusives, l’existence d’un contrat d’adhésion devrait à l’avenir circonscrire le champ d’application de l’article 1169 du projet. Le contrat d’adhésion est défini à l’article 1108 alinéa 2 comme celui « dont les stipulations essentielles, soustraites à la libre discussion, ont été déterminées par l’une des parties ». Pour échapper à cette disposition, il suffit que les parties négocient les stipulations objectivement ou subjectivement essentielles. Il est important d’insister dans l’acte sur le caractère essentiel des stipulations concernées et d’expliquer de quelle manière la négociation est intervenue afin de parer à toute contestation ultérieure. Au surplus, en déterminant le caractère essentiel de certaines clauses, peut-être pourra-t-on échapper à la suppression de la clause en exigeant la suppression du contrat dans son intégralité. Encore faut-il que le mot « supprimer » renvoie à une nullité partielle et non au réputé non écrit. Dans ce dernier cas, quand bien même la clause serait la cause impulsive et déterminante de l’engagement, elle pourrait être supprimée et le contrat maintenu s’il a encore un intérêt. Clauses et ensembles contractuels. Pour éviter les mauvaises surprises, certaines clauses vont devoir anticiper sur 22 G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1 les incertitudes de l’article 1186 alinéa 2. Selon ce texte, si le contractant a eu connaissance de l’opération d’ensemble lorsqu’il a donné son consentement, le principe de l’anéantissement en cascade des contrats prévaut. Ce principe est dangereux car il étend considérablement le principe de l’anéantissement en cascade. Il fallait autrefois constater une indivisibilité, selon les derniers arrêts, plutôt subjective, pour pouvoir invoquer un tel principe. Avec la notion de « connaissance de l’opération d’ensemble » des ensembles contractuels pourraient devenir « indivisibles » sans que les parties ne le sachent ni même qu’elles le souhaitent. Il faudra peut-être à l’avenir exclure cette disposition ou du moins par une clause contractuelle exclure tout anéantissement en cascade. Cependant, un autre aléa apparaît ici : les juges ne vont-ils pas considérer que toute clause de divisibilité est exclue car elle contredit l’économie générale de l’ensemble contractuel ? Cela n’est pas exclu au regard de la jurisprudence actuelle de la Cour de cassation. Les clauses contractuelles permettent de limiter les risques nés de la réforme en cours, risques notamment dus à l’immixtion potentiellement plus importante du juge. Pour réduire cette part d’aléa il faut également compter sur l’intervention d’acteurs extérieurs au contrat. B. La gestion du risque au-delà des contractants Cour de cassation et autorités administratives au service d’une plus grande sécurité juridique. Pour finir et au-delà des anticipations conventionnelles, d’autres acteurs, pôles émetteurs de droit, devraient intervenir pour réduire la part d’aléa qui entoure la réforme. De quelle manière les autorités pourraient-elles accompagner cette réforme pour un monde des affaires plus sûr ? Tout d’abord, il est primordial, devant la prolifération des standards juridiques, que la Cour de cassation considère a maxima qu’il s’agit pour certains d’entre eux de notions de droit (état de nécessité par exemple) sur lesquelles elle sera amenée à exercer un contrôle strict, ou a minima à se livrer à un contrôle strict de la motivation des juges du fond. Très certainement également la Cour de cassation sera saisie rapidement pour avis pour fixer et clarifier, par une série d’« arrêts de règlement » (J. Carbonnier) les techniques les plus sensibles. Ensuite, il faut encourager une entrée en vigueur décalée dans le temps pour laisser le temps aux interprètes (notaires, avocats, magistrats, juristes d’entreprise) de se familiariser avec les nouveaux termes de la loi et laisser également le temps à l’élaboration de circulaires interprétatives. En outre, il ne serait pas inutile de penser à confier à une autorité, la commission des clauses abusives ou la commission d’examen des pratiques commerciales, le soin de dresser, sous forme de recommandations, une liste des clauses contractuelles sensibles qui pourraient ainsi attirer l’attention des rédacteurs d’actes. Enfin, on l’aura compris, la saisine doit rester une mesure ultime et les parties doivent, ce qui est la tendance générale, prévoir la rédaction de clauses de conciliation ou de médiation qui devraient réduire l’incertitude liée à l’immixtion d’un juge auquel la loi a décidé de confier une boîte à outils contractuels plus importante. Qui aurait cru que la réforme du droit des contrats inviterait les parties à se détourner du juge ? Il n’est pas certain que les rédacteurs de la réforme en aient pris réellement conscience. En tout cas soyons rassurés : la réforme du droit des obligations n’empêchera pas de continuer à faire de bonnes affaires ! 252v0 D oc tr i ne 252n9 AVOCAT Du regrettable art perdu du secret 252n9 L’essentiel La transparence est à la mode. Le secret à proscrire. Et les secrets professionnels à lever. Partout. Plus que jamais. Le droit a placé la société française en général et l’avocat en particulier dans cette situation délicate, non sans art, comme il en a le secret. Au droit de leur permettre de voir leur droit au secret enfin respecté. « Rien ne pèse tant qu’un secret ». La Fontaine, déjà, Emmanuèle PIERROUX avouait combien il est diffiAvocat au barreau de cile, même pour un honnête Paris homme, de ne pas divulguer ce qu’autrui lui a confié (1). Quelques siècles plus tard, cela l’est toujours, sinon davantage. Aujourd’hui, tout, absolument tout, semble devoir être révélé. La transparence est à la mode. Plus que jamais. Rien ne paraît devoir demeurer caché des autres, du public, voire du monde via Internet (2). Étude par Le droit interne participe, malheureusement, à cette œuvre collective de révélation de nos vies, personnelles comme professionnelles. Du droit civil au droit du travail, du droit des sociétés au droit bancaire et financier, en passant par le droit de la concurrence et le droit pénal, spécialement des affaires, sans oublier le droit processuel et les différents corps de règles déontologiques, aucune matière ne semble épargnée. Partant, aucun pan de la société civile française non plus. Membre de celle-ci et acteur majeur de la vie juridique et judiciaire, l’avocat, lui-même, ne l’est guère. Souvent contre son gré. Spécialiste ou généraliste, exerçant en contentieux ou en conseil, conciliateur, médiateur ou arbitre, il se trouve de plus en plus acculé à divulguer certaines confidences de ses clients quand cet homme ou cette femme de parole devrait, pourtant, parvenir à un équilibre entre le secret, « face noble de l’opacité » (3), loué par Maître Jean-Denis Bredin et « la transparence névrotique » (4), vilipendée par le regretté Guy Carcassonne. Le droit a placé la société dans son ensemble et l’avocat en particulier dans cette situation critique non sans subtilité, comme il en a le secret. Au droit de leur assurer, enfin, le droit au secret. I. LES SECRETS DU DROIT « Le Droit est la plus puissante des écoles de l’imagination ». Rarement la célèbre citation de Giraudoux n’aura sonné plus juste que ces quinze dernières années (1) Le secret est entendu comme « l’ensemble de connaissances, d’informations, qui doivent être réservées à quelques-uns et que le détenteur ne doit pas révéler », Le nouveau petit Robert, V° Secret, 1°. Pour de plus amples développements, v. spéc. Le secret et le Droit, travaux de l’association Henri Capitant, 1974, t. XXV, visionnaires et redoutables d’actualité. (2) V. spéc. D. Soulez Larivière, La transparence et la vertu, Albin Michel, 2014. (3) J.-D. Bredin, « Secret, transparence et démocratie », in Transparence et secret : Pouvoirs avr. 2001, n° 97, p. 5. (4) G. Carcassonne, « Le trouble de la transparence », in Transparence et secret : Pouvoirs avr. 2001, n° 97, p. 17. s’agissant des atteintes portées au secret, en droit en général et à celui de l’avocat singulièrement. Que de résonances, d’abord et avant tout, dans le monde de l’entreprise ! À l’échelle familiale, nombreux sont les voiles pouvant désormais être levés sur des secrets autrefois tus. Afin d’assurer l’exercice de ses droits de la défense et en application du principe de l’égalité des armes résultant du droit au procès équitable garanti par l’article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, un employeur peut, par exemple, obtenir communication du dossier médical d’un salarié (5), faire procéder à l’ouverture de l’armoire individuelle de celui-ci (6) ou encore accéder à ses fichiers informatiques (7). À plus grande échelle, où le capitalisme familial a cédé la place à celui de l’endettement, le financement par les marchés financiers a scellé, lui aussi, la fin du secret et consacré la publicité d’informations jadis confidentielles (8). Des agences en conseil de vote d’actionnaires (proxies), d’autres de notation et des conseillers financiers sont devenus indispensables aux investisseurs institutionnels, précisément pour les aider, en amont, à opérer les vérifications commandées par des exigences déontologiques, éthiques et de transparence, chaque jour plus conséquentes. Et à prétendre ainsi éviter, en aval, des scandales tels ceux, récents, ayant éclaboussé la Société Générale ou Volkswagen, et, plus largement, moraliser l’économie (9). Le résultat de telles pratiques, inventées et consacrées par le droit, peut toutefois s’avérer mortifère pour des entreprises. Plus les révélations sont importantes, en quantité ou en qualité, plus le risque l’est. Moins les zones grises – si propices à la réflexion et sources de créativité – demeurent, plus celles de turbulence peuvent devoir être traversées, la réputation lato sensu être entachée et les difficultés économiques et financières croître. Sans que le redressement ne soit nécessairement au bout du tunnel. (5) V. par ex. Cass. 2e civ., 7 oct. 2010, n° 09-16829 : Bull. civ. II, n° 167 – Cass. 2e civ., 25 juin 2009, n° 08-15084 – Cass. 2e civ., 19 févr. 2009, n° 08-11888 : Bull. civ. II, n° 62. (6) V. par ex. Cass. soc., 15 avr. 2008, n° 06-45902 : Bull. civ. V, n° 85. (7) V. par ex. Cass. soc., 19 juin 2013, n° 12-12138 : Bull. civ. V, n° 158 – Cass. soc., 15 déc. 2009, n° 07-44264 : Bull. civ. V, n° 284 – Cass. soc., 18 oct. 2006, n° 04-48025 : Bull. civ. V, n° 308. (8) V. A. Moreaux, « Où placer le curseur de la transparence ? » : www.affichesparisiennes.com, 9 nov. 2015. (9) Adde : sur la question, originale et incontournable, de la transparence boursière, v. « Secret des affaires et transparence boursière », in Peut-on réformer la France ? Les Assises du droit et de la compétitivité, Université Panthéon-Assas, 9 janv. 2015, Les actes, Le Club des juristes, août 2015, p. 168-194. G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1 23 D octr i n e “ En pratique, le secret de l’instruction est devenu de Polichinelle, son champ d’application est restrictif, les poursuites sont rares ” De ce regrettable dévoilement de secrets à leur dévoiement, il peut, en outre, n’y avoir qu’un pas, légalement franchi avec l’aide de la procédure pénale. Censée protéger, notamment, le monde des affaires, celle-ci contribue, tout au contraire, à l’affaiblir. En pratique, le secret de l’instruction est devenu de Polichinelle, son champ d’application est restrictif, les poursuites sont rares (10) ; le secret bancaire a été « abandonné en rase campagne » (11) ; une levée de confidentialité est possible (12). Sans oublier les apports législatifs et réglementaires en matière d’écoutes téléphoniques, de perquisitions et de surveillance des communications électroniques internationales (13), jugés nécessaires par le Gouvernement en suite des attentats parisiens des 11 janvier et 13 novembre 2015 et, semble-t-il, approuvés par la majorité de la population française (14). Mais vivement critiqués par le monde judiciaire (15). La procédure civile peut, elle aussi, autoriser des révélations hasardeuses. Habilement maniée, grâce à la mise en œuvre du droit positif de l’article 6, § 1, précité, elle légitime la production en justice d’écrits indiscrets, par exemple, et de manière inattendue, dans des affaires de droit des sociétés (16). Malicieusement utilisée, elle rend publique des confessions intimes, spécialement lors de litiges de droit du travail (17), de sécurité sociale (18) ou de droit patrimonial et extrapatrimonial de la famille (19). Âmes vertueuses s’abstenir ! Adieu bienheureuse réserve, bonjour maudite indélicatesse ! (10) Pour de plus amples développements, v. S. Guinchard et J. Buisson, Procédure pénale, LexisNexis, 2013, 9e éd., n° 1857. (11) Me M. Bonnant, Migros Magazine, 14 avr. 2009, cité in La parole est à l’avocat d’O. Duhamel et J. Veil, Dalloz, 2015, 2e éd., V° Secret bancaire, p. 148. (12) V. par ex. Cass. crim., 14 déc. 2011, n° 10-85293. (13) V. L. n° 2015-912, 24 juill. 2015, relative au renseignement : JO 26 juill. 2015, p. 12735, validée, en la majorité de ses articles, par la décision Cons. const., 23 juill. 2015, n° 2015-713 DC ; D. n° 2015-1475, 14 nov. 2015 portant application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 modifiée, instituant un état d’urgence : JO 14 nov. 2015, p. 21297 et L. n° 2015-1556, 30 nov. 2015 relative aux mesures de surveillance des communications électroniques internationales : JO 1er déc. 2015, p. 22185. (14) V. « Les Français plébiscitent la politique sécuritaire du gouvernement » : www. lemonde.fr, 22 nov. 2015 ; « Les Français prêts à restreindre leurs libertés pour plus de sécurité » : www.lefigaro.fr, 17 nov. 2015. (15) V. O. Dufour, « Le monde judiciaire en état d’alerte sur les libertés publiques » : Gaz. Pal. 21 nov. 2015, p. 3, n° 248f8 ; O. Dufour, « Loi Renseignement : avocats et journalistes judiciaires saisissent la Cour européenne des droits de l’Homme », entretien avec Maître Patrice Spinosi : Gaz. Pal. 31 oct. 2015, p. 5, n° 245y3. (16) V. par ex. Cass. com., 15 mai 2007, n° 06-10606 : Bull. civ. IV, n° 130. (17) V. par ex. Cass. soc., 12 mai 2010, n° 09-40997. Adde : notes 6 à 8 supra. (18) V. par ex. Cass. 2e civ., 7 oct. 2010, n° 09-16829 : Bull. civ. II, n° 167. (19) V. par ex. Cass. 1re civ., 22 mai 2002, n° 00-16305 : Bull. civ. I, n° 144. Adde : sur l’absence de violation du secret bancaire dans une instance en divorce : Cass. 1re civ., 9 juill. 2014, n° 12-25355. 24 G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1 Et le plus petit dénominateur commun de ces révélations est : l’avocat. Rarement de son propre gré, souvent malgré lui. Parfois, comme l’a illustré, de manière éclatante, la récente affaire dite du Thalys (20), cet artisan du droit, auquel il prête sa plume et sa parole, semble perdre de vue qu’il s’exprime pour son client, sur le fondement du mandat que celui-ci lui a conféré et dans le nécessaire respect de la loi. L’avocat colporte dans des médias ce que ce client lui a confié. Il s’y répand. Il ne devrait pourtant pas être attiré par les lumières de la Ville et méconnaître les obligations liées à son secret professionnel, outre qu’il prend ainsi le risque d’être rappelé à l’ordre par son bâtonnier (21). Plus fréquemment, c’est l’avocat, lui-même, qui subit les conséquences de l’érosion constante, minutieuse et insupportable du secret professionnel auquel il est tenu. Et ses clients en sont les premières victimes. À cet égard, les tout derniers mois ont été édifiants : la loi n° 2015-912 du 24 juillet 2015 sur le renseignement, par son imprécision, permet de mettre sur écoute des suspects grâce à une procédure simplifiée, contrôlée par le Premier ministre, légitimant les écoutes directes, indirectes, ou par ricochet, dites « à filets dérivants », entre un avocat et son client (22). Le juge pénal considère ainsi que le seul secret professionnel protégé est celui liant le justiciable à son avocat désigné. Et pourrait faire trembler de colère ceux qui ne le sont pas, au sens du Code de procédure pénale, tels des avocats commercialistes ou fiscalistes (23). Partant, leurs clients. De même, la loi n° 2015-1556 du 30 novembre 2015 relative aux mesures de surveillance des communications électroniques internationales autorise-t-elle la collecte massive de données, dont celles figurant dans les correspondances téléphoniques et électroniques entre un avocat et ses clients (24), et conforte-t-elle, en ce sens, la loi d’actualisation de la programmation militaire pour les années 2015-2019 (25). Enfin, le coup de massue a été porté par le Conseil constitutionnel. Statuant sur une question prioritaire de constitutionnalité, il a énoncé que « si le droit au respect de la vie privée et le secret des correspondances, la liberté d’expression, les droits de la défense et le droit à un procès équitable sont protégés par les dispositions de la Déclaration des droits de l’Homme de 1789 (20) V. L. Heinich-Luijer, « Thalys : le secret professionnel des avocats à l’épreuve de BFM » : rue89.nouvelobs.com/blog/derrière-le-barreau.fr, 24 août 2015. (21) À rapprocher de la situation belge : v. G. Dupont, « Menaces terroristes : les avocats rappelés à l’ordre » : www.lalibre.be, 28 nov. 2015. (22) V. spéc. les décisions de justice formant la jurisprudence dite « Herzog-Sarkozy », notamment l’arrêt rendu le 7 mai 2015 par la cour d’appel de Paris. Adde : F. Sicard, « Avocats, protégeons les libertés de nos clients au son du silence » : www.lesechos.fr, 18 juin 2015. (23) Pour de plus amples développements, v. E. Daoud, entretien avec J.-P. Viart : www.affiches-parisiennes.com, 1er décembre 2015 et « Le secret professionnel de l’avocat est mort, resterons-nous les bras croisés ? » : rue89.nouvelobs. com/blog/oh-my-code, 8 juin 2015. Adde : « Loi renseignement : les avocats craignent pour le secret professionnel » : www.latribune.fr, 8 oct. 2015. (24) Préc. note 15. (25) L. n° 2015-917, 28 juill. 2015 actualisant la programmation militaire pour les années 2015 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense, JO 29 juill. 2015, p. 12873. Do ctr in e (articles 2, 4, 11 et 16), aucune disposition constitutionnelle ne consacre spécifiquement un droit au secret des échanges et correspondances des avocats » (26). Le secret semble donc se réduire comme peau de chagrin dans nos vies, et de citoyen et d’avocat. En toute légalité. Sans protection digne de ce nom. Tel est le constat, triste et amer. Est-ce sous ce règne de la transparence, élaboré, instauré et consacré par le droit, qu’il convient de vivre ? Le secret n’est-il pas « l’écrin du bonheur » (27) ? Il devrait l’être. Tout particulièrement dans notre société si troublée. Puisse-t-il le redevenir. Grâce au droit et à ses acteurs, dont l’avocat. II. LE DROIT AU SECRET « L’imagination, et non l’invention, est le maître suprême de l’art, comme de la vie » (28). Du droit aussi. À elle, aujourd’hui et avec harmonie, de contribuer à instaurer, à défaut de restaurer, une protection efficiente du secret, de l’avocat en particulier et dans notre société de manière générale. Que d’imagination d’abord au sein de la profession d’avocat ! Unie, barreaux de Paris et de province réunis. Clamant d’une seule voix : le secret professionnel de l’avocat est mort ! Vive le secret professionnel ! L’écrivant aussi. Comme en attestent nombre de publications et autres tribunes récentes de la presse, judiciaire comme généraliste, la rédaction, par les uns, en mai 2015, d’un projet de loi (29) et le dépôt, par d’autres, le 15 septembre dernier, d’une proposition de loi (30). Général, absolu et illimité en théorie, le secret professionnel de l’avocat devrait l’être en pratique. Loin de permettre aux avocats de s’y « draper comme dans la peau du lion de Némée » (31), le secret professionnel est « la pierre angulaire de toute défense, de toute justice » (32). Il est « consubstantiel à l’exercice des droits de la défense » (33). C’est pourquoi, d’une part, l’avocat ne devrait jamais pouvoir être écouté, sauf s’il est établi, au regard d’éléments précis et circonstanciés qu’il est préalablement suspecté d’avoir commis une infraction et, d’autre part, les conversations entre un avocat et son client ne devraient pouvoir faire l’objet d’une transcription que dans la mesure où (26) Cons. const., 24 juill. 2015, n° 2015-478 QPC, association French Data Network et a., 16e consid. V. « Pas de protection spécifique pour le secret professionnel de l’avocat » : www.dalloz-actualite.fr, 27 juill. 2015 ; A. Moreaux, « Le Conseil constitutionnel valide l’accès de l’État à nos données de connexion » : www.affiches-parisiennes.com, 27 juill. 2015. (27) A. Ferney, La conversation amoureuse, Actes Sud, 2000, p. 413. (28) J. Conrad, Souvenirs personnels, éditions Autrement, 2012, p. 20. (29) V. « Les avocats rédigent un « projet de loi » pour protéger le secret professionnel » : www.dalloz-actualite.fr, 1er juin 2015, obs. A. Portmann. (30) V. « Secret professionnel de l’avocat : un projet de réforme à l’Assemblée nationale » : www.dalloz-actualite.fr, 18 sept. 2015, obs. C. Fleuriot. (31) V. de Séneville, « Avocats : ce que cache la grève de l’aide juridictionnelle » : www.lesechos.fr, 9 nov. 2015. (32) Me F. Szpiner, in La parole est à l’avocat, op. cit., V° Secret professionnel, p. 149. (33) In pétition du 12 novembre 2014 lancée par Me E. Dupond-Moretti, Me P. Haïk et Me H. Temine. celle-ci ne porte pas atteinte à l’exercice des droits de la défense (34). Les avocats français ne sont d’ailleurs pas isolés dans leur combat actuel pour le respect de leur secret professionnel. Une action a été intentée en ce sens, en avril 2015, aux Pays-Bas par un cabinet d’avocats (35) et une décision majeure a été rendue, le 17 juillet 2015, par la High Court of Justice, sanctionnant la collecte de données au détriment du secret professionnel de l’avocat (36). Le modèle d’une loi de l’État de New-York a également inspiré des avocats parisiens, qui ont suggéré de le transposer en droit positif français : aucune écoute directe ne pourrait être pratiquée sans avoir été préalablement autorisée et appréciée par le président du tribunal de grande instance compétent mais sans lien avec l’affaire ; aucune écoute indirecte ne serait possible, à tout le moins pour les avocats ayant déclaré leurs numéros de téléphone, techniquement neutralisés en cas de tentative d’interceptions de communications (37). Sans oublier la proposition d’une constitutionnalisation du secret professionnel de l’avocat et ce, à l’instar de l’Allemagne protégeant, en l’article 10 de sa Loi fondamentale, le secret des correspondances (38). Quelle que soit la solution retenue, le secret professionnel de l’avocat doit être un droit. Non pas pour l’avocat lui-même, mais pour ses clients. Car si la parole est au premier, c’est pour lui permettre de parler au nom et pour le compte des seconds. L’avocat, c’est celui qui, étymologiquement, « parle pour » ; l’avocat, c’est celui en lequel un client place sa confiance ; l’avocat, c’est celui auquel un client fait des confidences sans imaginer la moindre trahison. En cela, le secret de l’avocat diverge d’autres secrets professionnels – médical, bancaire ou de la confession, par exemple. Médecin, banquier ou prêtre : aucun d’eux n’est en droit de refuser de répondre à la demande expresse d’un juge ; l’avocat, lui, le peut. Il est maître de la parole de son client. De ses mensonges. De ses silences aussi. Il est seul juge pour déterminer, en conscience, avec discernement et en accord avec son client, ce qu’il est utile de rendre public pour la défense de celui-ci et ce qu’il importe de conserver dans le secret de son cabinet ou d’un parloir (39). (34) V. la pétition et la proposition de loi précitées. Celle-ci suggère de modifier le Code de procédure pénale en ce que l’interception, l’enregistrement et la transcription de correspondances émises par la voie des télécommunications par un avocat ne pourraient être effectuées qu’après autorisation du juge des libertés et de la détention, que ces interceptions ne pourraient excéder deux mois et que les conversations d’un bâtonnier dans l’exercice de sa fonction ou relevant de l’exercice des droits de la défense ne pourraient être transcrites. (35) Affaire Wijngaarden et a. c/ The Netherlands, dont la procédure est consultable sur le site du cabinet d’avocats ayant intenté l’action : www.prakkendoliveira. nl. (36) Pour de plus amples développements, v. www.lawsociety.org.uk/news/pressreleases/mass-data-retention-legislation-rule, 17 juill. 2015 : « Mass data retention legislation ruled illegal by the High Court ». (37) Transposition évoquée par M. le bâtonnier Sur lors du colloque de l’Institut de droit pénal du barreau de Paris consacré au secret professionnel de l’avocat, Maison du barreau, Paris, 4 mars 2015. (38) F. Sicard, art. préc. des Echos du 18 juin 2015. (39) Pour de plus amples développements, v. spéc. Secrets professionnels, M.-A. Frison-Roche (dir.), éditions Autrement, 1999. Adde : Lord Denning, The Due Process of Law, Oxford University Press, USA, 1er mai 2005. G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1 25 D octr i n e Le secret professionnel oblige l’avocat. Il lui impose discrétion, délicatesse et dignité. Comme le lui rappelle, sans cesse, son serment. C’est un devoir (40). Il ressemble, en ce sens, au secret qui devrait demeurer dans une société démocratique. C’est une valeur de civilisation à l’aune de laquelle peut se mesurer l’état moral de celle-ci. Une certaine réserve, de la discrétion voire le silence devraient être préférés au règne, sinon diktat, ambiant de la transparence, qui n’est qu’apparence. Et ce, d’autant plus que cette détestation manifeste du secret est contre-productive en cette époque engluée dans des querelles idéologiques. Peu importe, en effet, la masse d’informations secrètes collectée en amont si aucun traitement utile n’en est fait en aval. La récente lutte contre le terrorisme sur le sol français ne l’a-t-elle pas démontré (41) ? De surcroît, une transparence ainsi portée aux nues n’estelle pas dangereuse ? Dans quelle mesure, sous couvert de protection de l’ordre public, de lutte contre le fondamentalisme religieux et de souci de sécurité des citoyens, n’existe-t-il pas un risque de contrôle de la société par une restriction des libertés, notamment individuelles ? Éternelle lutte entre Antigone et Créon. (40) V. H. Leclerc, « Les secrets de l’avocat », in Secrets professionnels, op. cit., p. 209225, spéc. p. 225. (41) V. spéc. le billet du 22 oct. 2015 du blog du Monde intitulé « Terrorismes, guérillas, stratégie et autres activités humaines » (aboudjaffar.blog.lemonde.fr). 26 G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1 De même, une course effrénée aux informations, en tous genres et en tous lieux, ne dissimule-t-elle pas une volonté, non pas de recherche louable de la vérité (42), notamment judiciaire, mais celle, non avouable, de contrôle étatique de l’individu qui s’opèrerait de manière sournoise, sinueuse et insinuante ? Le doute est permis. Et la vigilance de rigueur (43). Car, comme l’a rappelé Maître Henri Leclerc, « un monde où l’on ne pourrait plus partager ses secrets sans craindre qu’ils ne se transforment en informations serait un monde où l’individu serait privé de liberté » (44). Puisse donc le droit au secret, « seul garant matériel pour les libertés effectives » (45), être consacré. Juridiquement et judiciairement. En attendant, il reste un souhait à formuler, peut-être un rêve à réaliser : persuader celui qui ne l’est pas, citoyen ou avocat, que ne rien dire des secrets des autres, de ses clients et des siens, c’est mieux dire… 252n9 (42) V. G. Cornu, « La vérité et le droit », in L’art du droit en quête de sagesse, PUF, 1998, p. 211-226. (43) À rapprocher du questionnement actuel relatif à l’État d’urgence et à sa prorogation des 18 et 19 novembre 2015. V. spéc. F. Saint-Bonnet, « État d’urgence : « Plus la latitude du pouvoir est grande, plus les citoyens doivent être vigilants » » : www.lemonde.fr, 26 nov. 2015 ; « État d’urgence : les avocats restent vigilants » : Bulletin du barreau de Paris, 2 déc. 2015, éditorial. (44) H. Leclerc, « Les secrets de l’avocat », in Secrets professionnels, op. cit., p. 225. (45) J.-C. Milner, La Politique des choses. Court traité politique I, Verdier, 2011, p. 22 cité par D. Soulez-Larivière, La transparence et la vertu, op. cit., p. 186. Jur i sp rud ence 254g9 AVOCAT La loyauté de la concurrence entre avocats : états des lieux et prospective au détour de la validité d’une clause 254g9 L’essentiel Une clause de non-concurrence, même non limitée géographiquement, peut toutefois être valable dès lors que ne concernant que des clients prédéfinis sur une période donnée. Il y a lieu de rechercher si cette obligation de non-concurrence est proportionnée aux intérêts légitimes à protéger. Cass. 1re civ., 10 sept. 2015, no 14-24541, Fidufrance c/ M.X, D (Cassation partielle, CA Paris 2 juill. 2014), Mme Batut, prés.; SCP Bénabent et Jéhannin, SCP Ortscheidt, av. P armi les principes essentiels dont le respect s’impose à tout avocat figure le principe de loyauté. Loyauté à l’égard des clients, mais aussi loyauté à l’égard des confrères. La concurrence entre avocats doit être loyale et ceux-ci peuvent en encadrer les modalités, notamment, à Note par travers des clauses de nonDominique PIAU concurrence. Pour autant, il Avocat au barreau de convient de concilier ce prinParis, ancien membre cipe avec le principe du libre du conseil de l’ordre, exercice de la profession membre du Conseil national des barreaux d’avocat et, surtout, celui du libre choix de l’avocat par le client. L’équilibre n’est pas toujours simple à trouver et la nécessaire protection des parties faibles justifie que soient prohibées les clauses de non-concurrence au sein de la profession d’avocat (1) s’agissant des contrats de collaborations libérales ou des contrats de travail des avocats salariés (2). Il y a alors lieu d’analyser les clauses des contrats afin d’annuler celles qui s’analyseraient comme portant atteinte à la liberté d’établissement ultérieur qu’il s’agisse de clauses de non-concurrence, de non-rétablissement (3), ou encore de « respect de clientèle » (4). C’est ainsi que dans une affaire qui concernait le contrat de travail d’un avocat salarié comportant deux clauses qualifiées de « respect de la clientèle », qu’une cour d’appel avait validé réformant la décision d’un conseil de l’ordre, et stipulant respectivement, d’une part, que l’avocat ne pouvait, sans accord écrit du cabinet, succéder à celui- (1) Y. Serra, « La prohibition des clauses de non concurrence dans la nouvelle profession d’avocat » : D. 1992, chron. p. 11. (2) L. n° 71-1130, 31 déc. 1971, art. 7, al. 5 : « Le contrat de collaboration ou le contrat de travail ne doit pas comporter de stipulation limitant la liberté d’établissement ultérieure du collaborateur ou du salarié » : RIN, art. 14.2. (3) CA Angers, 2 oct. 1992 : D. 1992, p. 522, note Y. Serra. (4) CA Nîmes, 10 août 1993 : D. 1994, somm. p. 218, note Y. Serra ; JCP G 1994, II, 22209, note R. Martin – CA Versailles, 16 févr. 1994 : Gaz. Pal. 12 mai 1994, p. 14, note A. Damien – Cass 1re civ., 21 mai 1996, n° 94-13760 : Bull. civ. I, n° 218 – Cass 1re civ., 14 oct. 1997, n° 95-13532 : Bull. civ. I, n° 274 ; D. 1997, IR p. 233. ci dans des dossiers ou des travaux en cours, et, d’autre part, qu’il avait comme seule obligation, avant d’accepter de prêter ses services à un ancien client de son ancien cabinet et pendant la durée de deux ans à compter de la cessation du contrat de travail, d’en aviser celui-ci par lettre recommandée, la Cour de cassation, tout en considérant que la seconde stipulation mettait simplement le cabinet d’avocats en mesure de s’assurer que son ancien client ne le confondait pas avec son ancien salarié, sans que ce client fût contraint à quelque révélation que ce fût sur l’affaire en cours, et donc, sans que ses intérêts fussent lésés, et qu’elle était donc légitime, casse l’arrêt de la cour d’appel en tant qu’il a validé la première stipulation dès lors que celle-ci subordonnait la succession de l’avocat dans les dossiers à l’accord écrit de son ancien employeur, ce qui portait une atteinte excessive au principe du libre choix de l’avocat (5). Pour autant, au-delà de ces interdictions expresses, rien de ne s’oppose à ce que des avocats conviennent entre eux d’une clause de non-concurrence, clause dont il a pu être jugé que dès lors qu’elle est souscrite au profit d’un confrère à l’occasion de la cession des éléments constitutifs de son cabinet, elle doit être, sauf clause contraire expresse, présumée comme étant comprise parmi les droits transmis par le cessionnaire lorsqu’il vient, à son tour, à procéder à la même opération au profit d’un tiers (6). La mise en œuvre de ces clauses, dont le non-respect peut conduire à l’allocation de dommages et intérêts, suppose leur validité. C’est la question de cette validité d’une clause de non-concurrence qui faisait l’objet de l’arrêt commenté. En l’occurrence, un avocat avait, en vue de son intégration comme associé (7), conclu plusieurs conventions avec une structure d’exercice : l’une dite de successeur moyennant paiement d’une indemnité, une autre dite de collaboration d’une durée de quatre ans pour assurer l’efficacité de la présentation de clientèle, et une troisième dite de non-concurrence pendant trois ans. Un tel montage est (5) Cass 1re civ., 17 nov. 1998, n° 96-17749 : JCP G 1999, II, 10006, note R. Martin. (6) Cass 1re civ., 3 déc. 1996 n° 95-10913 : Bull. civ. I, n° 436 ; JCP E 1997, II, 22799, note J.-J. Daigre. (7) Sur cette question, v. D. Piau, « Collaboration libérale : revenir aux fondamentaux » : Gaz. Pal. 27 juill. 2010, p. 7, n° I2464. G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1 27 Jur i s p r u de nc e classique dès lors que l’efficacité d’un accord de présentation de clientèle implique que l’avocat présentant ne soit pas en mesure de se réinstaller en reprenant cette même clientèle. L’avocat cédant ses parts ou sa clientèle un autre s’engage à une obligation de non-concurrence vis-à-vis du cessionnaire qu’il doit, le cas échéant, faire respecter dans la structure qu’il rejoindrait par la suite y compris par ses coassociés (8). Précisément, la collaboration avait été difficile, et l’avocat s’était réinstallé, probablement en continuant de travailler avec tout ou partie de la clientèle cédée. La société d’avocat reprochait à l’avocat de ne pas avoir exécuté de bonne foi les conventions et d’avoir ainsi compromis le transfert de la clientèle et avait sollicité l’arbitrage du bâtonnier, compétent en la matière (9), pour obtenir le paiement de dommages-intérêts. Elle fut déboutée de ses demandes en paiement de la somme de 653 000 €, d’abord partiellement devant l’arbitre désigné par le bâtonnier (10), qui avait condamné l’avocat à payer une somme de 320 000 € au titre du manquement à son obligation de présentation de sa clientèle, notant que si celui-ci n’avait pas mis en œuvre les moyens nécessaires afin de permettre la transmission complète et effective de la clientèle, la société avait elle-même contribuée par son comportement à son propre préjudice, puis intégralement devant la cour d’appel qui avait considéré que l’avocat s’était bien acquitté de son obligation (de moyen) de présentation de la clientèle laquelle n’avait échoué que du seul fait de l’attitude de la société d’avocat, qui avait refusé d’annoncer aux clients le transfert de clientèle devant s’opérer à son profit et omis de mettre en œuvre les moyens nécessaires au succès de l’opération. Pour autant, la cour (11), comme l’arbitre, avait également cru pouvoir annuler la clause de non-concurrence souscrite par l’avocat, pour une durée de trois ans, au motif que faute d’être limitée géographiquement, elle apparaissait disproportionnée au regard de la liberté d’exercice de cet avocat. S’ensuivit un pourvoi en cassation, qui donne l’occasion à la Cour de cassation de casser, sur la question de la validité de la clause de non-concurrence, l’arrêt de la cour d’appel, en considérant, au visa de l’article 1134 du Code civil et du principe de la liberté d’exercice de la profession d’avocat, qu’ « en se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si cette obligation de nonconcurrence était proportionnée aux intérêts légitimes à protéger, dès lors qu’elle ne concernait que les clients de la SCP, définis comme les personnes physiques ou morales destinataires des factures établies par celle-ci au cours des douze derniers mois précédant la signature de la convention de présentation de clientèle, la cour d’appel a privé sa décision de base légale » (12). En effet, une clause de non-concurrence est valable dès lors qu’elle est proportionnée au regard des intérêts légitimes à protéger (13) et ce, même si elle n’est pas limitée géographiquement, faisant que l’engagement de non-sollicitation de clientèle souscrit n’en demeure pas moins, a priori, valable dès lors (8) CNB, Comm. RU, avis n° 2005-037, 26 sept. 2005. (9) D. n° 91-1197, 27 nov. 1991, art. 1791-1 et s. (10) Sent. arb. du bâtonnier de Paris, 25 juill. 2012, n° 733-225169. (11) CA Paris, 2 juill. 2014, Pôle 2, ch. 1, n° 12-15995. (12) Cass 1re civ., 10 sept. 2015, n° 14-24541. (13) Cass. soc., 14 mai 1992, n° 89-45300 : Bull. civ. V, n° 309 ; D. 1992, p. 350, note Y. Serra. 28 G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1 que les clients concernés étaient limitativement énumérés ce qui permettait de satisfaire le critère de proportionnalité (14) requis. Ce faisant la Cour de cassation opère une inflexion de sa jurisprudence antérieure, par laquelle elle avait considéré, ici encore au visa de l’article 1134 du Code civil et du principe de la liberté d’exercice de la profession d’avocat, s’agissant d’une clause qui interdisait au cédant toute forme d’exercice de la profession d’avocat qui viendrait en concurrence du cessionnaire sans limitation de temps, ni de lieu et que la cour d’appel avait cru pouvoir valider au motif que « l’illicéité de la clause de nonconcurrence (…) est d’autant moins démontrée qu’il s’agit d’une cession pour départ à la retraite » (15), que « seules sont licites les clauses de non-concurrence limitées dans le temps et l’espace, proportionnées à leur finalité » (16). Il semble donc que le critère géographique, dont il faut bien reconnaître qu’il appert quelque peu désuet s’agissant de prestations de service intellectuelles qui peuvent, en grande partie, pour un client donné, être exercées en tout point du territoire, soit désormais abandonné en tant que tel (17) au profit d’une appréciation plus subjective de la proportionnalité de la clause aux intérêts légitimes à protéger. Lorsqu’elle est valablement stipulée, la clause de nonconcurrence se doit d’être respectée et ne saurait être contournée par l’avocat, tel que celui qui qui poursuivait son activité professionnelle en constituant une société unipersonnelle et prétendant que l’obligation de nonconcurrence ne s’appliquerait pas à ladite société (18). Mais, même en l’absence d’une telle clause l’avocat est tenu d’une obligation de garantie (19) en cas de cession de clientèle ou de parts sociales, cession dont l’exécution de bonne foi implique que les cessionnaires s’interdisent de conserver ou reprendre les clients constituant la clientèle cédée. C’est ainsi que fut condamné pour concurrence déloyale, sur le fondement de l’article 1382 du Code civil, un avocat qui avait notamment informé, par voie de presse, le public de son inscription, fût-ce à un autre barreau et ce, sans mentionner la cession de clientèle, continué à défendre les intérêts de clients figurant sur la liste annexée à l’acte de cession, et tenté de poursuivre sa relation professionnelle avec un correspondant du cabinet cédé. Ces agissements lui ayant permis de reprendre une partie de la clientèle cédée et ce, nonobstant le strict respect de la clause de non-rétablissement prévue par ailleurs et dont les effets étaient limités au ressort du barreau d’origine (20). L’action en concurrence déloyale tend ainsi à sanctionner des actes contraires à la loyauté en prenant en compte le caractère libéral de la profession qui implique que chaque avocat ait la liberté de changer de structure, et que chaque client soit libre de choisir son avocat, faisant (14) Cass. com., 4 janv. 1994, no 92-14121 : Bull. civ. IV, n° 4. (15) CA Paris, 1er févr. 2010, Pôle 2, ch. 1, n° 08-20431. (16) Cass 1re civ., 6 oct. 2011, n° 10-24158. (17) Cass 1re civ., 11 mai 1999, n° 97-14493 : D. 1999, 385, note J. Penneau ; G. Thuillier, « Les conditions de licéité des clauses de non-concurrence » : D. 2003, chron. p. 1222. (18) CA Rennes, 27 janv. 2015, n° 13-09002 : D. avocats 2015, p. 195, note Ph. Touzet. (19) C. civ., art. 1626 et C. civ., art. 1628. (20) Cass 1re civ., 15 oct. 2014, n° 13-24948. Jur ispr ude nc e qu’il convient d’apprécier l’attitude des avocats à l’aune des principes précités. Il n’est ainsi pas interdit à un avocat de solliciter la clientèle d’un autre avocat, mais cela ne doit pas se faire aux termes de manœuvres de détournement de clientèle, manœuvres qui seraient constitutives d’une faute, engageant dès lors la responsabilité de leurs auteurs sur le fondement de l’article 1382 du Code civil. L’appréciation est ici plus stricte que celle d’un simple manquement à l’obligation de loyauté sur le plan déontologique (21) et il est nécessaire qu’une telle faute soit en lien de causalité avec le préjudice, ce qui ne saurait résulter de la seule violation d’une ou plusieurs règles déontologiques. Comme l’a affirmé sur ce point la Cour de cassation : « Un manquement à une règle de déontologie, dont l’objet est de fixer les devoirs des membres d’une profession et qui est assortie de sanctions disciplinaires, ne constitue pas nécessairement un acte de concurrence déloyale », une faute déontologique ne pouvant constituer un acte de concurrence déloyale que s’il est établi qu’elle est à l’origine du transfert de clientèle (22) impliquant des manœuvres illicites (23). “ L’action en concurrence déloyale tend ainsi à sanctionner des actes contraires à la loyauté en prenant en compte le caractère libéral de la profession ” C’est ainsi que le seul transfert de la clientèle suite à un débauchage ne saurait, en soi, constituer un acte de concurrence déloyale dès lors qu’« en vertu du principe de la liberté du commerce et de l’industrie, le démarchage de la clientèle d’autrui, fût-ce par un ancien salarié, est libre, dès lors que ce démarchage ne s’accompagne pas d’un acte déloyal » (24). Cette solution est logique : un ancien salarié ou collaborateur est en droit de constituer une société ayant le même objet social, d’exercer la même activité et de démarcher la même clientèle et ce, même si ce dernier était également associé de la société (25). Le client disposant d’une liberté pleine et entière du choix de son avocat, il n’y a concurrence déloyale de la part d’un avocat que et seulement si ce dernier s’est livré à des manœuvres frauduleuses caractérisées par des actes positifs et non une simple abstention ou omission, afin de capter la clientèle d’un autre avocat (26), ce qui ne saurait résulter d’un « simple manque de vigilance et d’une légèreté blâmable » dont il est démontré qu’ils n’ont pas empêché le cabinet d’avocat de poursuivre ses prestations pour le compte de ses clients (27). De même que le simple fait d’adresser une lettre circulaire informant de son départ (21) D. Piau, « De la portée des règles déontologiques : chronique d’un revirement à l’aune de la causalité oubliée » : D. avocats 2013, p. 417. (22) Cass. com., 10 sept. 2013, n° 12-19356 : D. avocats 2013, p. 417, note D. Piau. (23) Cass. com., 21 juin 1988, n° 86-19017 : Bull. civ. IV, n° 210. (24) Cass. com., 10 sept. 2013 n° 12-19356 : D. avocats 2013, p. 417, note D. Piau. (25) Cass. com., 19 mars 2013, n° 12-14407. (26) CA Paris, 28 nov. 2012, Pôle 2, ch. 1, n° 11/00882. (27) Sent. arb. du bâtonnier de Paris, 22 janv. 2014, n° 721-236955. en utilisant le fichier client, et d’apposer une plaque précisant ses nouvelles coordonnées, dès lors qu’elle conserve une dimension et un aspect raisonnable, constitue une simple information professionnelle, faisant qu’il ne saurait être fait grief aux avocats retrayants d’avoir averti leurs clients de leur départ, dès lors qu’il n’est pas établi que cette information ait été délivrée à l’ensemble de la clientèle du cabinet (28). Mais le fait pour un associé d’informer ses clients de son départ en accompagnant cette information d’une offre de service précise et d’une proposition de rencontre caractérise une faute pouvant engager la responsabilité de l’avocat dès lorsqu’il est avéré que plusieurs clients ont demandé le transfert de leur dossier, à condition toutefois que la réalité et le quantum du préjudice subi soient établis (29). Par ailleurs, un débauchage ne doit pas s’accompagner d’une désorganisation du cabinet privant ce dernier de certains de ses associés et collaborateurs, et conduisant à une baisse de ses facturations. Tel ne sera pas le cas si le cabinet d’avocat, qui n’apporte pas la preuve que l’associé retrayant ait incité des collaborateurs à le suivre et a pu reconstituer son équipe dans l’année qui a suivi les départs, démontrant sa capacité à compenser ceux-ci (30). Inversement, tel sera le cas si les membres d’un cabinet d’avocats viennent débaucher un collaborateur en se rendant, à l’invitation de ce dernier, dans les locaux du cabinet pour y procéder à un véritable audit à la suite duquel deux autres collaborateurs donneront leur démission pour suivre le premier dans sa nouvelle structure, tout en incitant une grande partie de la clientèle du cabinet à rejoindre le nouveau cabinet, justifiant une condamnation à indemniser le préjudice financier lié à la perte de la clientèle ainsi que le préjudice moral (31). La faute est souvent caractérisée à travers la brutalité du départ, comme l’associé emportant avec lui trois autres associés, une collaboratrice et des clients du cabinet, en ayant pris soin de dissimuler ce projet à ses autres associés (32). La Cour de cassation a ainsi récemment eu à connaître du cas de deux avocats qui avaient refusé la proposition de retour en France qui leur a été faite par leur propre cabinet comme alternative aux difficultés rencontrées avec les autorités administratives chinoises, faisant le choix d’un retrait avant de s’investir sans délai dans une nouvelle structure créée quelques jours après. De plus, ils avaient attiré certains membres des équipes de l’ancien cabinet, et bénéficié des réseaux constitués depuis des années en Extrême-Orient par ce même cabinet, profitant ainsi de l’investissement de ce dernier et entraînant une désorganisation de ses bureaux en Chine, notamment la fermeture de l’un d’entre eux, situation qui a, en outre, porté atteinte à l’image internationale du cabinet. Ces éléments caractérisant, pour la Cour de cassation, une attitude déloyale fautive en lien de causalité avec le préjudice allégué, justifiant la condamnation des avocats concernés à payer chacun 100 000 €, au titre du préjudice (28) CA Versailles, 11 oct. 2012, n° 10-05550 – CA Paris, 28 nov. 2012, Pôle 2, ch. 1, n° 11/00882. (29) CA Paris, 21 janv. 2015, Pôle 2, ch. 1, n° 13-02033. (30) CA Paris, 21 janv. 2015, Pôle 2, ch. 1, n° 12-19304. (31) CA Paris, 26 oct. 2010, Pôle 2, ch. 1, n° 09-07022. (32) Sent. arb. du bâtonnier de Paris, 2 juill. 2015, n° 734-258242. G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1 29 Jur i s p r u de nc e causé par la désorganisation des bureaux, et 50 000 €, au titre du préjudice d’image (33). La question de la concurrence déloyale au sein de la profession d’avocat, qu’illustre un contentieux en plein essor, est aujourd’hui prégnante, et au-delà des rapports entre associés, et associés et collaborateurs, s’étend désormais aux rapports entre avocats dans le cadre de leur exercice professionnel même, justifiant que des garde-fous soient posés par voie normative tel que s’agissant des noms de domaine des sites Internet (34), ou des dénominations sociales des cabinets d’avocats (35). Et ce, d’autant que l’usage des nouvelles technologies est devenu un terrain propice aux litiges en la matière. C’est ainsi que l’usage de terme générique pour dénommer un site Internet, qui entretient une confusion à l’égard des clients potentiels et est de nature à détourner une partie de la clientèle a été considéré comme constituant un acte de concurrence déloyale (36), tout comme le recours par un avocat à un site d’intermédiation, dont l’activité même n’est pas soumise aux règles de la profession, a pu être jugé comme constitutive d’un acte de concurrence déloyale dès lors que le développement de la clientèle est alors fondé sur des agissements contraires à la déontologie (37), justifiant qu’une injonction soit faite aux avocats concernés de cesser d’utiliser le nom de domaine ou leur collaboration avec le site. Il en est de même du recours à des méthodes de référencement susceptibles de conduire à des actes de concurrence déloyale, tel que l’avocat qui avait inséré un lien entre son site inter- (33) Cass. 1re civ., 16 avr. 2015, nos 13-28681 et 14-10250 – Cass. 1re civ., 16 avr. 2015, n° 14-10257 PB. (34) RIN, art. 10.5 ; CNB, Comm. RU, avis n° 2014-36, 4 déc. 2014 ; CNB, Comm. RU, avis n° 2015-07, 27 mars 2015 ; CNB, Comm. RU, avis n° 2015-08, 27 mars 2015 - CE, 9 nov. 2015, n° 384728 - CE, 23 déc. 2015, n° 390792. (35) RIN, art. 10.6.3. nouveau issu de la DCN n° 2015-002 portant réforme de l’article 10 du RIN visant à encadrer les dénominations des structures d’exercice ou de moyens pour assurer le respect des principes essentiels de la profession et une bonne information du public, AG CNB 20 et 21 nov. 2015. (36) CA Paris, 17 déc. 2014, Pôle 2, ch. 1, n° 11-19174 confirmant – Sent. arb. du bâtonnier de Paris, 23 sept. 2011, n° 740-213226 – CA Paris, 18 déc. 2015, Pôle 5, ch. 2, n° 15-03732 (37) Sent. arb. du bâtonnier de Paris, 17 sept. 2013, n° 734/237739. 30 G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1 net et celui d’un autre avocat renommé dans sa matière, lien constitué par le propre nom de ce dernier avocat, faisant que : « L’évidence d’un lien informatique entre le site du premier avocat et le nom du second comme unique critère de recherche, (…) rapprochement de nature à créer une confusion entre deux avocats ayant la même activité spécialisée, était à l’origine d’un trouble manifestement illicite (…) » (38) qu’il convenait de faire cesser, en référé, sur le fondement des articles 809 du Code de procédure civile et 1382 du Code civil. Plus encore, il est certain que la libéralisation de la communication des avocats et l’ouverture à la sollicitation personnalisée (39), sollicitation qui peut se faire en direction de clients ayant déjà un conseil, accompagnée d’un renforcement de la transparence (40) liée tant à la généralisation de l’obligation de conclusion préalable d’une convention d’honoraire (41), qu’à l’affirmation de la pleine et entière application du droit de la consommation à la profession d’avocat (42), nécessiteront d’être ferme sur les principes essentiels afin d’éviter autant que possible un accroissement prévisible des litiges en la matière. Car la faute disciplinaire, de par son autonomie récemment réaffirmée (43), reste plus souple et malléable que la faute civile, et est seule de nature à permettre une régulation préventive efficiente. 254g9 (38) Cass. 1re civ., 12 juill. 2012 n° 11-20687: Bull. civ I, n° 133; JCP G 2012, 1121, n° 11, obs. F. G’Sell. (39) D. Piau, « Publicité et site Internet : l’évolution tranquille » : Maître, n° 231, janv. 2015 p. 22 ; A. Coignac, « Quand les avocats font leur publicité » : JCP G 2015, 577. (40) A. Portmann, « Transparence des honoraires : la DGCCRF pointe des “anomalies” » : Dalloz actualité, 9 sept. 2015. (41) L. n° 2015-990, 6 août 2015, art. 51, pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques. (42) CJUE, 15 janv. 2015, n° C‑537/13, Birutė Šiba c/ Arūnas Devėnas : D. 2015, 213 ; D. 2015, 588, obs. N. Sauphanor-Brouillaud ; D. avocats 2015, p. 268, note C. Caseau-Roche – CJUE, 3 sept. 2015, n° C-110/14, Costea c/ SC Volksbank România SA ; JCP G 2015, 1110, note G. Paisant – Cass. 2e civ., 26 mars 2015, n° 14-11599 – Cass. 2e civ., 26 mars 2015, n° 14-15013 – Cass. 2e civ., 10 sept. 2015, n° 14-24301. (43) D. Piau, « Effets du sursis à statuer et autonomie de la faute disciplinaire : O tempora. O mores… » : Gaz. Pal. 17 oct. 2015, p. 9, n° 244a8. Jur i sp rud ence 251s6 Chronique de jurisprudence de droit des contrats 251s6 L’essentiel Par Dimitri HOUTCIEFF Agrégé des facultés de droit, avocat au barreau de Paris, associé, Berger, Houtcieff Associés, professeur à l’université Paris-Saclay La jurisprudence anticipe la réforme annoncée. À l’instar de l’avant-projet d’ordonnance portant réforme des contrats, la cour régulatrice admet ainsi désormais clairement l’indivisibilité des contrats de vente et de crédit au-delà des dispositions du Code de la consommation. De manière moins nette, elle laisse également entendre que la réticence dolosive peut être constituée quoique l’erreur provoquée porte sur la valeur de la chose, participant ce faisant à lever quelques doutes doctrinaux. Encore la réforme qui s’annonce n’est-elle pas une révolution : nombre de solutions plus classiques y survivront. La cause aurait beau disparaître, les clauses tendant à restreindre la durée de la garantie de l’assureur au regard de la responsabilité de l’assuré n’en seront par exemple pas moins réputées non écrites, tout comme le contractant dans l’incapacité de recopier la mention manuscrite demeurera contraint de recourir à l’acte authentique, peut-être à « l’acte d’avocat ». Si l’année qui s’ouvre porte ainsi la promesse d’une nouvelle aube, le changement paraît devoir s’opérer dans une tranquille continuité. PLAN I. F ORMATION DU CONTRAT........................ p. 31 A. R encontre des volontés......................... p. 31 B. Vice du consentement et capacité........ p. 32 C. Matière du contrat................................. p. 35 II. EFFET DU CONTRAT................................ p. 36 A. Force obligatoire et bonne foi contractuelle.......................................... p. 36 B. Exécution et inexécution contractuelles....................................... p. 37 C. E ffet relatif du contrat........................... p. 38 III. FIN DU CONTRAT.................................... p. 38 IV. RÉGIME GÉNÉRAL DES OBLIGATIONS.............................. (néant) I. FORMATION DU CONTRAT A. Rencontre des volontés Le formalisme n’est pas donné à tout le monde 253r3 1 L’essentiel La personne physique qui ne se trouve pas en mesure de faire précéder sa signature des mentions manuscrites exigées par les articles L. 341-2 et L. 341-3 du Code de la consommation destinées à assurer sa protection et son consentement éclairé, ne peut valablement s’engager que par acte authentique en qualité de caution envers un créancier professionnel. Cass. 1re civ., 9 juill. 2015, no 14-21763, Banque populaire Côte d’Azur c/ S., F–PB (rejet pourvoi c/ CA Aix-en-Provence, 22 mai 2014), Mme Batut, prés. ; SCP Célice, Blancpain, Soltner et Texidor, SCP Richard, av. : Contrats, conc. consom. 2015, n° 10, comm. n° 240, obs. G. Raymond L e formalisme ne doit pas être si desséché que la protection qu’il assure ne se fane. Ainsi en va-t-il par exemple des mentions manuscrites s’imposant parfois en matière de cautionnement. Ici comme ailleurs, la lettre doit être vivifiée par l’esprit, ce à quoi s’emploie une jurisprudence profuse : le formalisme ne se ravale pas à un moyen trivial permettant à la caution d’échapper à son engagement au prétexte d’une mauvaise copie qui n’a guère nuit à sa compréhension (1). Réciproquement, la caution qui n’est pas en mesure de saisir la portée de la mention, soit qu’elle l’imite servilement, soit qu’elle la fasse transcrire par un tiers, ne saurait valablement s’engager, si même la copie est fidèle : c’est ce dont témoigne cette Note (1) Par ex. Cass. com., 5 avr. 2011, n° 09-14358 : Bull. civ. IV, n° 55 ; D. 2011, p. 1132, obs. V. Avena-Robardet, D. 2012, p. 1578, obs. P. Crocq ; RD bancaire et fin. 2011, n° 89, obs. D. Legeais ; RDC 2011, p. 906, obs. D. Houtcieff – Cass. com., 5 avr. 2011, n° 10-16426 : Bull. civ. IV, n° 54. G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1 31 Jur i s p r u de nc e décision rendue par la première chambre civile de la Cour de cassation le 9 juillet 2015. Une personne physique s’était portée caution d’une société auprès d’une banque. Après la liquidation judiciaire, la banque assigna la caution en exécution de son engagement. Les juges du fond annulèrent le cautionnement, estimant que les prescriptions de l’article L. 341-2 du Code de la consommation n’avaient pas été respectées (2) : c’est que la caution était illettrée et, quoiqu’elle ait signé l’acte, elle n’avait pas reproduit elle-même la mention manuscrite. La banque se pourvut en cassation. Elle fit valoir que lorsque la caution est illettrée, il est licite de recourir à un tiers afin qu’il rédige la mention manuscrite : à suivre le demandeur au pourvoi, « la caution qui signe un engagement dont, en raison de son illettrisme, la mention manuscrite a été rédigée par un tiers, s’approprie la mention manuscrite rédigée pour son compte à la première personne du singulier et reconnaît avoir eu connaissance du contenu de cette mention ». Le pourvoi est heureusement rejeté : « La personne physique qui ne se trouve pas en mesure de faire précéder sa signature des mentions manuscrites exigées par les articles L. 341-2 et L. 341-3 du Code de la consommation destinées à assurer sa protection et son consentement éclairé, ne peut valablement s’engager que par acte authentique en qualité de caution envers un créancier professionnel ».Dès lors qu’elle avait relevé que la caution était illettrée et qu’elle n’était pas le scripteur des mentions manuscrites portées sur l’acte de caution que la banque avait fait écrire, la cour d’appel avait donc pu en déduire qu’elle ne pouvait se porter caution de la société selon un acte sous seing privé. Le présent arrêt va cependant plus loin, il interdit à la personne physique ne se trouvant pas en mesure de faire précéder sa signature de la mention manuscrite de recourir à l’acte sous seing privé. Sans doute n’est-ce pas non plus la première fois que l’illettrisme de la caution débouche sur la nullité du cautionnement, certes sur un autre terrain que celui du formalisme. Ainsi dans cette décision bien connue, où un créancier avait affirmé à deux cultivateurs illettrés que le cautionnement – qu’il ne leur avait pas lu – avait pour seul effet de faciliter l’octroi d’un prêt (4) : l’engagement fut annulé sur le fondement de l’erreur sur la substance, les cautions ayant donné leur consentement à une convention ayant un objet autre que celle à laquelle elles pensaient adhérer. En pareilles circonstances, la mention manuscrite ne saurait dissimuler l’absence de consentement sous le vêtement de la forme : n’a-t-elle pas précisément vocation à assurer la protection et le consentement éclairé de la caution ? En thèse générale, le formalisme ne peut être retourné contre celui qu’il protège afin de valider en apparence un engagement qui n’a pas été voulu : à cet égard, la solution était prévisible (5). La solution n’est pas totalement nouvelle. La chambre commerciale de la Cour de cassation a déjà affirmé que lorsque les mentions manuscrites du cautionnement ont été rédigées par un tiers – fût-il la secrétaire de la caution ! – l’acte devait être annulé, ceci quand bien même la signature de la caution n’est pas contestée (3). Après tout, en pareil cas, l’acte ne comporte pas la mention exigée par l’article L. 341-2 du Code de la consommation, qui impose que ce soit la caution qui « s’engage » en faisant précéder sa signature de la mention manuscrite. Qu’une personne ne soit pas en mesure de recopier la mention manuscrite – pour des raisons pouvant tenir à sa langue natale ou bien encore à une incapacité physique – ne signifie pas pour autant qu’elle ne puisse saisir la portée de l’engagement : on ne saurait donc admettre qu’elle soit intégralement dépouillée de sa liberté de contracter. Le devoir de conseil du notaire peut pallier ces difficultés : on sait du reste que l’exigence de la mention manuscrite de l’article L. 341-2 du Code de la consommation n’est imposée que s’agissant des engagements sous seing privé. On s’étonnera cependant de ce que seul l’acte authentique soit évoqué par cette décision : l’article 663-3 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 ne prévoit-il pas que « l’acte sous seing privé contresigné par avocat est, sauf disposition dérogeant expressément au présent article, dispensé de toute mention manuscrite exigée par la loi » ? L’acte contresigné par un avocat étant un acte sous seing privé particulier, il est en l’état exclu par la motivation retenue : une authentique erreur de plume ? (2) Selon cet article, comme on sait : « Toute personne physique qui s’engage par acte sous seing privé en qualité de caution envers un créancier professionnel doit, à peine de nullité de son engagement, faire précéder sa signature de la mention manuscrite suivante, et uniquement de celle-ci : « En me portant caution de X, dans la limite de la somme de … couvrant le paiement du principal, des intérêts et, le cas échéant, des pénalités ou intérêts de retard et pour la durée de …, je m’engage à rembourser au prêteur les sommes dues sur mes revenus et mes biens si X n’y satisfait pas lui-même ». (3) Cass. com., 13 mars 2012, 10-27814. (4) Cass. 1re civ., 25 mai 1964 : Bull. civ. I, n° 269 ; D. 1964, p. 626 ; RTD civ. 1965, p. 105, obs. J. Chevallier. (5) V. en ce sens, A.-S. Barthez et D. Houtcieff, Les sûretés personnelles, LGDJ, 2010, n° 545. B. Vice du consentement et capacité La réticence dolosive : l’erreur sur la valeur gagnerait à être reconnue ! 253r4 1 L’essentiel La réticence dolosive n’est pas constituée dès lors qu’il n’est pas établi que l’acheteur disposait d’informations que le vendeur n’était pas en mesure d’obtenir. 32 G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1 Cass. 3e civ., 16 sept. 2015, no 14-11912, SCI Vence c/ M. et Mme X, D (rejet pourvoi c/ CA Grenoble, 3 déc. 2013), M. Terrier, prés. ; Me Balat, SCP Bénabent et Jéhannin, av. : LEDC nov. 2015, p. 4, n° 160, M. Latina Jur ispr ude nc e F ondée sur l’article 1116 du Code Note civil, la réticence dolosive est un silence volontairement gardé sur un fait que l’autre partie aurait dû connaître et qui l’aurait dissuadé de contracter ou conduit à conclure à des conditions différentes. Par évidence, elle ne se conçoit pas sans l’existence d’une obligation d’information (1) : nul ne peut être puni de s’être tu qui n’était pas obligé de parler. L’existence d’une telle obligation à la charge de l’acheteur a parfois laissé dubitatif. On se souvient du fameux arrêt Baldus selon lequel l’acheteur n’est pas tenu d’informer le vendeur de la valeur de la chose vendue (2). Certains observèrent que cet arrêt attestait sans doute d’un refus jurisprudentiel de sanctionner l’erreur sur la valeur (3). Il faut espérer que non : l’erreur indifférente est ordinairement sanctionnable en matière de dol, ainsi que le réaffirme opportunément l’avant-projet d’ordonnance de réforme du droit des contrats (4). Il nous semble pour notre part que le défaut de sanction peut s’expliquer de meilleure façon, par le caractère accessible de l’information dissimulée (5). Ainsi, dans l’arrêt Baldus, l’acheteur de clichés photographiques connaissait la célébrité de leur auteur, ce que la venderesse ignorait : n’était-il pas légitime qu’il ne soit pas sanctionné – voire qu’il soit en quelque sorte récompensé – des diligences accomplies pour se saisir d’une information accessible à tous ? Un brin de diligence ne saurait nuire, et l’on ne saurait donc imposer à un contractant d’informer l’autre de ce qu’il aurait pu connaître ou est censé savoir. Cette décision rendue le 16 septembre dernier par la troisième chambre civile de la Cour de cassation conforte cette intuition. Une société civile immobilière (SCI) avait vendu à un couple une maison d’habitation implantée sur une parcelle partiellement boisée faisant partie d’un lotissement. La SCI refusa de réitérer l’acte devant notaire et les acheteurs l’assignèrent en perfection de la vente. Le vendeur fit valoir un dol par réticence, prétendant que des informations relatives à la modification des caractéristiques essentielles du bien vendu n’avaient pas été portées à sa connaissance par les acheteurs. La SCI affirmait en effet n’avoir pas été informée de l’adoption d’un nouveau plan local d’urbanisme rendant la parcelle boisée constructible. L’argumentation fut écartée par les juges du fond et le pourvoi de la SCI rejeté par la Cour de cassation : la (1) En ce sens, P. Jourdain, « Le devoir de « se » renseigner » : D. 1983, chron. p. 139. (2) Cass. 1re civ., 3 mai 2000, n° 98-11381 : Bull. civ. I, n° 131 ; JCP G 2001, II, 10510, note C. Jamin ; Defrénois 15 oct. 2000, p. 1110, obs. D. Mazeaud ; Defrénois 15 oct. 2000, p. 1114, obs. P. Delebecque ; RTD civ. 2000, p. 566, obs. J. Mestre et B. Fages. Adde : Cass. com., 12 mai 2004 : RTD civ. 2004, p. 500, obs. J. Mestre et B. Fages. (3) Un arrêt paraît d’ailleurs s’inscrire dans ce courant : Cass 3e civ, 17 janv. 2007, n° 06-10442 : Bull. civ. III, n° 5 ; JCP G 2007, II, 10042, C. Jamin ; Contrats, conc. consom. 2007, comm. n° 117, L. Leveneur ; D. 2007, p. 1051, D. Mazeaud ; D. 2007, p. 1054, P. Stoffel-Munck ; Defrénois 30 mars 2007, p. 443, n° 38562-28, E. Savaux ; RDC 2007, p. 703, Y.-M. Laithier ; RTD civ. 2007, p. 335, J. Mestre et B. Fages. (4) Art. 1138 de l’avant-projet d’ordonnance portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations : « L’erreur qui résulte d’un dol est toujours excusable ; elle est une cause de nullité relative alors même qu’elle porterait sur la valeur de la prestation ou sur un simple motif du contrat ». (5) Sur ce point, D. Houtcieff, Droit des contrats, Larcier, 2015, n° 283. réticence dolosive ne pouvait pas être admise dès lors qu’il n’était pas établi que les acheteurs « disposai[en]t d’informations que la SCI n’était pas en mesure d’obtenir ». Voici donc une nouvelle fois l’acheteur dispensé d’une quelconque obligation d’information au bénéfice du vendeur, lors même que cette information est décisive de la valeur du bien. La motivation est cependant moins systématique et plus pragmatique que dans la « jurisprudence Baldus ». Il n’est guère fait état d’une dispense absolue de l’acheteur d’informer relativement à la valeur du bien, lors même que les juges de première instance avaient expressément affirmé, sans être démentis sur ce point par la cour d’appel, que « l’erreur provoquée dont se prévaut la SCI en ce qui concerne la constructibilité du terrain porte en réalité sur la valeur vénale de ce dernier [et que] la victime d’une erreur sur la valeur n’est pas légalement protégée sauf le cas de la lésion ». Certes, le pourvoi s’est prudemment abstenu de se placer sur ce terrain… Reste que la motivation retenue, sans lever tous les doutes, n’exclut pas que l’erreur provoquée porte sur la valeur, pour peu que l’information non transmise soit difficilement accessible et qu’elle soit déterminante du consentement de l’autre partie. Un acquéreur professionnel ne saurait par exemple dissimuler aux vendeurs profanes les ressources géologiques du terrain qu’ils cèdent (6), pas plus qu’un garagiste ne devrait masquer l’ancienneté réelle du moteur du véhicule à son client (7). Si l’information est censément connue de tous, il ne saurait en revanche exister aucune obligation de la transmettre : l’acheteur ne peut par exemple se plaindre de l’existence dissimulée par le vendeur d’une carrière s’il a visité la maison et que la carrière est parfaitement visible (8), pas plus que la caution ne peut se prévaloir du dol du créancier s’il ne dispose pas d’informations dont elle-même ne disposait pas (9). Le trouble social constitué par le comportement dolosif justifie pleinement la sanction d’erreurs indifférentes sur le terrain de l’erreur sur la substance, y compris lorsqu’elles portent sur la valeur. L’exigence d’une information « privilégiée » et d’un manquement à l’obligation contractuelle de bonne foi, nécessaires à la caractérisation de la réticence, permettent d’éviter qu’elle ne confine à un instrument de contournement des règles restrictives de la lésion. Souhaitons que la cour régulatrice en vienne à l’affirmer sans réticence. (6) Cass. 3e civ., 15 nov. 2000, n° 99-11203 : Bull. civ. III, n° 119 ; D. 2002, p. 928 obs. O. Tournafond ; JCP G 2002, II, 10054, note C. Lièvremont ; Defrénois 28 févr. 2001, p. 242, obs. E. Savaux ; RTD civ. 2001, p. 355, obs. J. Mestre et B. Fages. (7) Cass.1re civ., 19 juin 1985, n° 84-10934 : Bull. civ. I, n° 201 ; Defrénois 1986, p. 786, J.-L. Aubert. (8) Cass. 3e civ., 5 déc. 2012, n° 11-20689 – Adde : Cass. 3e civ., 28 mai 2013, n° 12-12054. (9) Cass. com., 28 janv. 2014, n° 12-27703 : Bull. civ. IV, n° 20 ; Gaz. Pal. 10 avr. 2014, p. 17, n° 174d8, obs D. Houtcieff – Cass. com., 3 déc. 2003, n° 00-22584 – Cass. com., 27 juin 2006, n° 04-19239 – Cass. 1re civ., 12 janv. 2012, n° 10-18516. G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1 33 Jur i s p r u de nc e L’obligation d’information du vendeur professionnel à l’égard du consommateur n’est pas une obligation de conseil 253r5 1 L’essentiel Le vendeur ou le prestataire de service professionnel n’est pas tenu d’une obligation de conseil à l’égard du consommateur au regard de l’article L. 111-1 du Code de la consommation. Cass. 1re civ., 30 sept. 2015, no 14-11761, M. X c/ Sté Aquadouce service, FS–PB (rejet pourvoi c/ CA Versailles, 28 nov. 2013), Mme Batut, prés. ; SCP Nicolaý, de Lanouvelle et Hannotin, SCP Yves et Blaise Capron, av. I l n’est pas si loin le temps où Jean Foyer qualifiait le droit de la consommation de « droit des « pauvres types », des « paumés » » (1). La protection que cette branche confère au contractant, parfois contre ses propres négligences, peut sans doute quelquefois être jugée excessive. Le droit commun tend cependant aujourd’hui également à conférer une forte protection à certaines parties supposément faibles : voire il arrive qu’il leur soit plus accort que le droit de la consommation lui-même, ainsi qu’en atteste cette décision rendue le 30 septembre 2015 par la première chambre civile de la Cour de cassation. Note Un particulier fit installer un abri de piscine à son domicile, sans toutefois prendre garde aux règles d’urbanisme. Ayant contrevenu à ces dernières, il fut contraint de déposer l’ouvrage. Aussi assigna-t-il le vendeur en annulation du contrat de fourniture et d’installation du matériel. Il prétendit en substance qu’en tant que professionnel, le vendeur ne pouvait ignorer les caractéristiques essentielles du bien – en l’occurrence la sujétion aux règles de l’urbanisme compte tenu de la dimension de l’abri – et qu’il lui appartenait de le mettre en mesure de les connaître : l’acheteur invoqua donc un double manquement aux règles de l’article 1147 du Code civil et de l’article L. 111-1 du Code de la consommation. La Cour de cassation écarta le moyen en ce qu’il était pris d’une violation de l’article 1147 du Code civil, en ce qu’il était nouveau et mélangé de fait. Restait à trancher la question de l’obligation d’information sur le terrain de l’article L. 111-1 du Code de la consommation : le pourvoi est également rejeté sur ce point. Selon la Cour de cassation, « le vendeur-installateur d’un abri de piscine n’étant pas tenu, au regard de l’article L. 111-1 du Code de la consommation, d’informer l’acquéreur des conséquences d’une telle installation sur la surface hors œuvre nette dont dispose le propriétaire du terrain supportant l’ouvrage, c’est à bon droit que la cour d’appel a retenu que la société n’avait pas manqué à son obligation précontractuelle d’information ». lisible et compréhensible, les informations suivantes : 1° Les caractéristiques essentielles du bien ou du service, compte tenu du support de communication utilisé et du bien ou service concerné ; 2° Le prix du bien ou du service, en application des articles L. 113-3 et L. 113-3-1 ; 3° En l’absence d’exécution immédiate du contrat, la date ou le délai auquel le professionnel s’engage à livrer le bien ou à exécuter le service ; 4° Les informations relatives à son identité, à ses coordonnées postales, téléphoniques et électroniques et à ses activités, pour autant qu’elles ne ressortent pas du contexte, ainsi que, s’il y a lieu, celles relatives aux garanties légales, aux fonctionnalités du contenu numérique et, le cas échéant, à son interopérabilité, à l’existence et aux modalités de mise en œuvre des garanties et aux autres conditions contractuelles. La liste et le contenu précis de ces informations sont fixés par décret en Conseil d’État. Le présent article s’applique également aux contrats portant sur la fourniture d’eau, de gaz ou d’électricité, lorsqu’ils ne sont pas conditionnés dans un volume délimité ou en quantité déterminée, ainsi que de chauffage urbain et de contenu numérique non fourni sur un support matériel. Ces contrats font également référence à la nécessité d’une consommation sobre et respectueuse de la préservation de l’environnement », cercle les contours de l’obligation précontractuelle d’information dont le vendeur ou le prestataire de services professionnel est tenu à l’égard du consommateur : ainsi lui impose-t-il notamment d’informer ce dernier des caractéristiques essentielles du bien. Elle ne va cependant pas jusqu’à charger le professionnel d’une obligation de conseil ou de mise en garde. Sèche, l’obligation d’information impose seulement de transférer des indications objectives sur l’objet du contrat ou bien encore sur l’opération envisagée. Au contraire de l’obligation de conseil, elle n’implique pas de suggérer en outre au créancier de l’information ce qu’il doit en faire en tenant compte de ses besoins ou de sa situation, pas plus qu’elle ne contraint à informer des risques ou désavantages de la prestation fournie. Bref, l’article L. 111-1 du Code de la consommation n’impose qu’une simple obligation d’information, non une obligation de conseil ou de mise en garde. Le demandeur au pourvoi regrettera donc certainement de n’avoir pu se prévaloir de l’article 1147 du Code civil. La jurisprudence n’hésite pas en effet à charger le vendeur professionnel d’une obligation de conseil sur ce terrain, au point de le contraindre de s’informer pour informer son contractant sur le fondement du droit commun (2). Par où l’on voit que le Code civil est parfois plus protecteur encore que le Code de la consommation. L’article L. 111-1 du Code de la consommation, lequel dispose : « Avant que le consommateur ne soit lié par un contrat de vente de biens ou de fourniture de services, le professionnel communique au consommateur, de manière (1) J. Foyer, « Le terme du renouvellement en matière de marques » : JCP E 1993, 301. 34 G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1 (2) Par ex. Cass. 1re civ., 3 déc. 2014, n° 13-27202 : Contrats, conc. consom. 2015, comm. n° 56, obs. L. Leveneur : L’obligation de conseil imposait au vendeur de s’informer des besoins de l’acheteur afin d’être en mesure de lui fournir tous les renseignements indispensables à l’utilisation prévue du véhicule vendu. Jur ispr ude nc e C. Matière du contrat La durée de la garantie de l’assurance ne saurait être moindre que la durée de la responsabilité de l’assurée 253r6 1 L’essentiel Toute clause ayant pour effet de réduire la durée de la garantie de l’assureur à un temps inférieur à la durée de la responsabilité de l’assuré est génératrice d’une obligation sans cause et doit être réputée non écrite. Cass. 3e civ., 26 nov. 2015, no 14-25761, Sté Axa France IARD c/ Sté Thelem, PB (cassation CA Paris, 10 sept. 2014), M. Chauvin, prés. ; SCP Célice, Blancpain, Soltner et Texidor, SCP Sevaux et Mathonnet, av. S i l’avenir de la cause est compromis par l’avant-projet d’ordonnance portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, elle n’est pour l’heure pas encore morte. En témoigne cette décision rendue le 26 novembre 2015 par la troisième chambre civile de la Cour de cassation, où le droit commun croise le droit des assurances. Note Un couple avait conclu un contrat de construction de maison individuelle avec une société, laquelle sous-traita les travaux de gros œuvre. Près de dix ans après la réception sans réserve des travaux, des fissures se révélèrent sur un mur de soutènement : les acheteurs assignèrent la société et son assureur, lequel appela celui du sous-traitant en garantie. Les juges du fond rejetèrent cette dernière demande, relevant que la police souscrite prévoyait une période de garantie plus réduite que celle pendant laquelle la responsabilité de l’assuré pouvait être engagée, la responsabilité du sous-traitant relevant d’une assurance facultative et l’assureur était libre de fixer la durée de sa garantie au délai de dix ans à compter de la réception des travaux. La décision est censurée sous le triple visa des articles 1131 du Code civil, et L. 124-1 et L. 124-3 du Code des assurances. La motivation est implacable : « Toute clause ayant pour effet de réduire la durée de la garantie de l’assureur à un temps inférieur à la durée de la responsabilité de l’assuré est génératrice d’une obligation sans cause et doit être réputée non écrite ». La cause demeure décidément un instrument de police judiciaire de l’équilibre contractuel. Sans aborder ici les questions propres au droit des assurances, l’on rappellera toutefois que c’est en ce domaine que cette fonction de la cause s’est précisée. On se souvient ainsi de cette série de décisions rendues au seuil des années quatrevingt-dix en matière de « clauses de réclamation » (1), où la cour régulatrice affirmait que « le versement des primes pour la période qui se situe entre la prise d’effet du contrat d’assurance et son expiration a pour contrepartie nécessaire la garantie des dommages qui trouvent l’origine dans un fait qui s’est produit pendant cette période » pour en (1) Il s’agit, comme on sait, des clauses stipulant que seules sont garanties « les réclamations survenues durant la période de validité de la police ». déduire que « la stipulation de la police selon laquelle le dommage n’est garanti que si la réclamation de la victime, en tout état de cause nécessaire à la mise en œuvre de l’assurance de responsabilité, a été formulée au cours de la période de validité du contrat, aboutissait à priver l’assuré du bénéfice de l’assurance en raison d’un fait qui ne lui est pas imputable et à créer un avantage illicite comme dépourvu de cause au profit de l’assureur qui aurait alors perçu des primes sans contrepartie » (2). Fertilisés sur ce terreau, ces principes ont fructifié et sont à l’origine de la jurisprudence dite « Chronopost » (3) et de ses avatars (4)… Cette jurisprudence prospère donc encore en droit des assurances. Peu importe qu’il s’agisse ou non d’une clause de réclamation : quelles que soient leurs modalités – clause de réclamation ou encore de survenance du dommage, la jurisprudence écarte systématiquement les stipulations ayant pour effet de dissocier la durée de la garantie et celle de la responsabilité (5). Tout au plus les clauses correspondant à des clauses types édictées dans le cadre d’une assurance obligatoire (6) : voilà qui renvoie également au droit commun, où la cause se dissimule mal sous les traits de l’obligation essentielle. On sait en effet qu’il est admis que « si une clause limitant le montant de la réparation est réputée non écrite en cas de manquement du transporteur à une obligation essentielle du contrat, seule une faute lourde, caractérisée par une négligence d’une extrême gravité confinant au dol et dénotant l’inaptitude du débiteur de l’obligation à l’accomplissement de sa mission contractuelle peut mettre en échec la limitation d’indemnisation prévue au contrat type établi annexé au (2) Cass. 1re civ., 19 déc. 1990, nos 88-12863, 87-15834 et 87-11717 : Bull. civ. I, n° 303 ; Gaz. Pal. Rec. 1991, 1, p. 81 ; D. 1991, IR p. 13 ; JCP E 1991, n° 170, obs. J. Bigot ; JCP G 1991, II, 21656, note J. Bigot ; RTD civ.1991, p. 323, obs. J. Mestre ; RGAT 1991, p. 155, concl. Charbonnier, note J. Bigot ; RDI 1991, p. 78, obs. G. Legay. V. pour la solution contraire, Cass 3e civ., 4 déc. 1984, n° 83-15065 : RGAT 1985, p. 410, obs. G. Viney. (3) Cass. com., 22 oct. 1996, n° 93-18632 : Bull. civ. IV, n° 261 ; D. 1997, p. 121, note A. Sériaux ; D. 1997, p. 175, obs. P. Delebecque ; JCP G 1997, I, 4025, n° 177, obs. G. Viney ; Defrénois 15 mars 1997, p. 333, obs. D. Mazeaud ; RTD civ. 1997, p. 418, obs. J. Mestre. (4) On sait que la jurisprudence affirme désormais que « seule est réputée non écrite la clause limitative de réparation qui contredit la portée de l’obligation essentielle souscrite par le débiteur » : par ex. Cass. 3e civ, 23 mai 2013, n° 12-11652 : D. 2013, p. 2142, note D. Mazeaud – Cass. com., 29 juin 2010, n° 09-11841 : Bull. civ. IV, n° 115 ; JCP G 2010, 787, note D. Houtcieff ; D. 2010, p. 1832, note D. Mazeaud ; D. 2010, p. 1697, note. F. Rome ; D. 2011, p. 35, obs. P. Brun et O. Gout ; D. 2011, p. 472, obs. S. Amrani-Mekki et B. FauvarqueCosson ; RTD civ. 2010, p. 555, obs. B. Fages ; Contrats, conc. consom., 2010, p. 220, obs. L. Leveneur ; Dr. et patr. 2011, p. 200, obs. P. Stoffel-Munck ; RDC 2010, p. 1220, obs. Y.-M. Laithier ; RDC 2010, p. 1253, obs. O. Deshayes. Adde : Cass. com., 9 juin 2009, n° 08-10350 : JCP G 2009, doctr. n° 273, n° 14, J. Ghestin ; Gaz. Pal. 7 janv. 2010, p. 19, n° I0121, obs. D. Houtcieff – Cass. com., 18 déc. 2007, n° 04-16069 : Bull. civ. IV, n° 265 ; JCP G 2008, I, 125, obs. P. Stoffel-Munck. (5) Cass. 1re civ., 16 déc. 1997, nos 94-17061 et 94-20060 : JCP G 1998, II, 10018, rapp. P. Sargos. (6) Par exemple celle édictée par l’arrêté du 1er septembre 1972 concernant l’assurance de syndics de copropriétés (Cass. 1re civ., 1er févr. 2000, n° 97-16057). G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1 35 Jur i s p r u de nc e décret » (7). Ces solutions ne devraient pas subir le contrecoup de l’éventuelle réforme : la jurisprudence pourra en effet convoquer l’article 1168 du projet de texte, selon lequel « toute clause qui prive de sa substance l’obligation essentielle du débiteur est réputée non écrite ». On le voit, pour peu que la cause disparaisse du Code civil, nul doute que son fantôme hantera longtemps la jurisprudence ! (7) Cass. ch. mixte, 22 avr. 2005, n° 03-14112 : Bull. ch. mixte, n° 4 ; D. 2005, p. 1864, note J.-P. Tosi ; RDC 2005, p. 651, avis M. de Gouttes ; RDC 2005, p. 673, note D. Mazeaud ; RDC 2005, p. 753, note P. Delebecque – Cass. ch. mixte, 22 avr. 2005, n° 02-18326 : Bull. ch. mixte, n° 3. II. EFFET DU CONTRAT A. Force obligatoire et bonne foi contractuelle L’effet obligatoire n’est subordonné à aucune formule sacramentelle 253r7 1 L’essentiel Dès lors que le contrat comporte, au recto, une mention de renvoi aux conditions générales du contrat figurant au verso, l’application de ces dernières ne saurait être écartée au motif que la formule d’usage de prise de connaissance des conditions générales figurant au verso et de leur acceptation n’y figure pas. Cass. com., 2 juin 2015, no 14-11014, Sté BNP Paribas Lease Group c/ Sté Toucopy-Sodeb et a., F–D (cassation partielle CA Toulouse, 8 oct. 2013), Mme Mouillard, prés. ; SCP Bénabent et Jéhannin, SCP Delvolvé, SCP Lyon-Caen et Thiriez, SCP Marc Lévis, av. : Contrats, conc. consom. 2015, n° 10, comm. n° 225 C elui qui s’apprête à contracter doit faire preuve d’un peu d’attention. Sans doute n’est-il censé avoir consenti qu’à ce qu’il a pu connaître : encore lui revient-il de lire chaque clause de la convention envisagée, fût-elle rédigée en petits caractères ou figurerait-elle au dos de l’instrumentum, ce que rappelle cette décision rendue par la chambre commerciale de la Cour de cassation le 2 juin 2015. Note Un commerçant avait souscrit un contrat de crédit-bail en vue de financer un photocopieur. Il cessa plus tard de régler ses loyers : le crédit-bailleur résilia le contrat et l’assigna en paiement. Les juges du fond écartèrent les demandes d’indemnités de résiliation et de frais de représentation au motif que si le contrat comportait au recto une mention de renvoi aux conditions générales du contrat au verso, la formule d’usage de prise de connaissance des conditions générales figurant au verso et de leur acceptation n’y figurait toutefois pas. Leur décision est censurée sous le visa de l’article 1134 du Code civil : en statuant ainsi, alors qu’elle avait constaté que le contrat comportait, au recto, une mention de renvoi aux conditions générales du contrat figurant au verso, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses constatations. 36 G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1 La solution est incontestable. Sans doute l’acceptation ne peut-elle porter que sur ce dont le destinataire de l’offre a eu connaissance. L’avant-projet d’ordonnance portant réforme des contrats affirme du reste que « les conditions générales invoquées par une partie n’ont effet à l’égard de l’autre que si elles ont été portées à la connaissance de celle-ci et si elle les a acceptées » (1), reprenant la solution expressément admise par la jurisprudence (2). Cette connaissance est cependant ordinairement présumée. Ce n’est que dans la mesure où il est établi que telle partie n’a pas eu connaissance de telle clause que le juge considérera celle-ci comme « inopposable » à l’acceptant (3). Certes, il s’attachera à vérifier la connaissance réelle de la stipulation en cas de circonstances particulières, par exemple si elle est notamment discrète (4) : il n’en résulte pas cependant que l’acceptation d’une clause soit subordonnée à une quelconque formule d’usage sacramentelle. La protection du consentement ne passe en principe par aucun formalisme ! (1) Art. 1120 de l’avant-projet d’ordonnance portant réforme des contrats. (2) Cass. 1re civ., 11 mars 2014, n° 12-28304 : Gaz. Pal. 3 juill. 2014, p. 14, n° 184u1, obs. D. Houtcieff. (3) Cass. com., 9 juill. 1991, n° 90-10535 : Bull. civ. IV, n° 256 ; RTD civ. 1991, p. 389, obs. J. Mestre. (4) Par ex. parce qu’elle est écrite en petits caractères : Cass. 1re civ., 31 mai 1983, n° 82-10530 : Bull. civ. I, n° 159 – Cass. com., 14 avr. 1992, n° 90-15373 – Adde : Cass. 1re civ., 3 mai 1979, n° 77-14689 : Bull. civ. I, n° 128. Jur ispr ude nc e B. Exécution et inexécution contractuelles L’extension du domaine de l’indivisibilité 253r8 1 L’essentiel L’affectation d’une offre de crédit au contrat principal peut caractériser l’existence d’une indivisibilité conventionnelle entre les contrats de vente et de prêt au sens de l’article 1218 du Code civil (1re espèce). L’indivisibilité d’un contrat de vente et d’un contrat de crédit est caractérisée dès lors que le second est l’accessoire du contrat de vente auquel il est subordonné, et que l’emprunteur a attesté de l’exécution du contrat principal afin d’obtenir la libération des fonds par le prêteur, lequel a mis ceux-ci à la disposition du vendeur (2e espèce). Cass. 1re civ., 10 sept. 2015, no 14-13658, Sté Groupe Sofemo c/ Époux X, PB (rejet pourvoi c/ CA Aix-en-Provence, 26 nov. 2013), Mme Batut, prés. ; SCP Vincent et Ohl, SCP de Nervo et Poupet, av. : LEDC oct. 2015, p. 1, n° 136, M. Latina - Cass. 1re civ., 10 sept. 2015, no 14-17772, ECLI:FR:CCASS:2015:C100922, Époux Y c/ Sté Financo, PB (rejet pourvoi c/ CA Paris, 28 févr. 2014), Mme Batut, prés. ; Me Le Prado, SCP Boutet-Hourdeaux, av. : LEDC oct. 2015, p. 1, n° 136, M.Latina L ’interdépendance des contrats, fondée sur le lien d’indivisibilité unissant certaines conventions, s’installe dans le droit commun des obligations (1) : récemment encore, la cour régulatrice rappelait que la nullité avérée d’une convention principale entraîne la caducité de l’autre (2). La solution prend d’autant plus d’ampleur que l’indivisibilité tend à échapper à l’influence des parties : elle s’impose parfois malgré la volonté des contractants. Dans certains cas, la jurisprudence a en effet considéré que les parties ne pouvaient pas écarter l’indivisibilité des contrats : selon une chambre mixte de la Cour de cassation, « les contrats concomitants ou successifs qui s’inscrivent dans une opération incluant une location financière, sont interdépendants (…) : sont réputées non écrites les clauses des contrats inconciliables avec cette interdépendance » (3). Ainsi qu’on le pouvait penser à la lecture de ces décisions, l’expansion de l’indivisibilité n’est sans doute pas achevée (4), ce que confirment Note (1) V. J. Boulanger, « Usage et abus de la notion d’indivisibilité des actes juridiques » : RTD civ. 1950, p. 1. (2) V. Cass. com., 4 nov. 2014, n° 13-24270 : JCP G 2015, 54, note J.-J. Barbieri ; Gaz. Pal. 9 avr. 2015, p. 20 n° 219t2, obs. D. Houtcieff : Selon cette décision « l’anéantissement du contrat principal est un préalable nécessaire à la caducité, par voie de conséquence, du contrat lié ». Adde : parmi d’autres, Cass. com., 5 juin 2007, n° 04-20380 : Bull. civ. IV, n° 156 ; JCP G 2007, II, 10184, note Y.-M. Serinet ; Dr. et patr. 2007, p. 89, obs. L. Aynèset P. Stoffel-Munck – Cass. 1re civ., 4 avr. 2006, n° 02-18277 : Bull. civ. I, n° 190 ; D. 2006, p. 2656, note R. Boffa ; Defrénois 30 août 2006, p. 1194, n° 38431, note J.-L. Aubert ; RDC 2006, p. 700, obs. D. Mazeaud – Cass. 1re civ., 1er juill. 1997, n° 95-15642 : Bull. civ. I, n° 224 ; D. 1998, p. 32, note L. Aynès. (3) Cass. ch. mixte, 17 mai 2013, nos 11-22768 et 11-22927 : Bull. ch. mixte, n° 1 ; D. 2013, p. 1658, note D. Mazeaud ; JCP G 2013, p. 674, note J.-B. Seube ; Gaz. Pal. 4 juill. 2013, p. 18, n° 136c6, obs. D. Houtcieff. (4) V. en ce sens, D. Houtcieff, Droit des contrats, Larcier, 2015, n° 448. ces deux arrêts du 10 septembre 2015, rendus par la première chambre civile de la Cour de cassation et publiés au Bulletin. Dans ces deux espèces, les juges du fond avaient prononcé la résolution d’un contrat de crédit après avoir prononcé celle du contrat de vente. Le premier arrêt rejette le pourvoi au motif qu’« ayant constaté que l’offre de crédit était affectée au contrat principal et avait été renseignée par le vendeur, et que le prêteur avait remis les fonds empruntés entre les mains de ce dernier, la cour d’appel a caractérisé l’existence d’une indivisibilité conventionnelle entre les contrats de vente et de prêt au sens de l’article 1218 du Code civil ». La seconde décision approuve également la décision attaquée : « La cour d’appel, qui n’a pas appliqué les dispositions du Code de la consommation, a fait ressortir l’indivisibilité des contrats litigieux en énonçant, d’une part, que le contrat de crédit était l’accessoire du contrat de vente auquel il était subordonné, d’autre part, que l’emprunteur avait attesté de l’exécution du contrat principal afin d’obtenir la libération des fonds par le prêteur, lequel avait mis ceux-ci à la disposition du vendeur ; qu’elle en a justement déduit que la résolution du contrat principal emportait l’anéantissement du contrat accessoire ». Ces arrêts affirment ainsi clairement que l’indivisibilité contractuelle se dispense de l’onction du Code la consommation, ce dont il était encore permis de douter (5). Encore faut-il que le lien d’indivisibilité soit caractérisé. Le détour par la notion d’accessoire pour en attester a sans doute ses limites : à s’en contenter, on pourrait croire que le contrat principal doit survivre à l’anéantissement de la convention accessoire. Sans doute ce critère n’est-il cependant pas décisif : l’essentiel est tout entier dans la volonté des contractants. L’indivisibilité ne saurait en effet être ici objective : contrairement à la location financière, la conclusion d’une vente et d’un contrat de prêt – en dehors des dispositions du Code de la consommation – n’implique pas, par elle-même et objectivement, une relation d’interdépendance. La volonté des parties est le seul ciment de l’indivisibilité, dès lors que la loi ou l’économie des conventions n’y suffisent pas. Cette décision paraît au fond anticiper la réforme à venir : l’article 1186, alinéa 2, du projet prévoit en effet la caducité « lorsque des contrats ont été conclus en vue d’une opération d’ensemble et que la disparition de l’un d’eux rend impossible ou sans intérêt l’exécution d’un autre. La caducité de ce dernier n’intervient toutefois que si le contractant contre lequel elle est invoquée connaissait l’existence de l’opération d’ensemble lorsqu’il a donné son consentement ». (5) V. par ex. Cass. 1re civ., 20 nov. 1974, n° 72-13117 – Cass. com., 14 déc. 1977, n° 75-12206 ; v. ensuite Cass. 1re civ., 17 juin 2003, n° 01-11723 – Cass. 1re civ., 19 juin 2008, n° 06-19753 – v. cependant, Cass. 1re civ., 1er juill. 1997, n° 95-15642. G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1 37 Jur i s p r u de nc e C. Effet relatif du contrat Le créancier ne saurait décharger le débiteur à l’égard d’un tiers 253v2 1 L’essentiel La convention par laquelle un créancier décharge un époux de ses obligations nées du bail portant sur le domicile conjugal étant susceptible de nuire à son épouse, elle ne saurait avoir d’effet à son égard. Cass. 1re civ., 17 juin 2015, no 14-17906, Mme Z c/ M. Y, F– PB (cassation partielle CA Versailles, 29 oct. 2013), Mme Batut, prés. ; SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, SCP de Chaisemartin et Courjon, av. : D.2015, p. 1756, note M. Nicole L e créancier qui entend décharger un codébiteur solidaire de sa dette ne saurait le faire que pour autant qu’il préserve les droits des autres, ce que rappelle notamment cette décision. Note Deux époux avaient pris un appartement en location. Le temps passant et l’amour finissant, l’époux quitta le domicile conjugal. Une ordonnance de non-conciliation attribua la jouissance de l’appartement à l’épouse, cependant que le bailleur accepta la « désolidarisation» du bail de l’époux. Délaissée, l’épouse cessa de régler les loyers. Le bailleur assigna alors Mme Z et M. Y en paiement solidaire des charges et loyers impayés. Les juges du fond mirent l’époux hors de cause et rejetèrent la demande de l’épouse tendant à le voir déclaré solidairement responsable de la dette locative. Leur décision est censurée sous le double visa des articles 1165 et 220 du Code civil : « en statuant ainsi, alors que la convention par laquelle [le bailleur] avait déchargé [le mari] à compter d’une certaine date, de ses obligations nées du bail portant sur le domicile conjugal, était susceptible de nuire [à l’épouse], au titre de la créance résultant de la contribution à la dette locative, la cour d’appel a violé les textes susvisés ». L’article 220 du Code civil permet à chaque époux de passer seul les contrats ayant pour objet notamment l’entretien du ménage. Ces dettes ménagères engagent cependant solidairement les époux. La convention conclue entre le bailleur et le mari ne pouvait pas nuire à ce tiers qu’était l’épouse, à peine de blesser le principe de l’effet relatif des conventions posé par l’article 1165 du Code civil ! Les règles convoquées en l’espèce s’articulent aux principes ordinaires de la solidarité. Quoique le terme de convention de « désolidarisation » évoque une simple remise de la solidarité, il semble bien, à en croire la cour régulatrice, qu’il se soit agi d’une véritable « décharge de la dette au profit d’un seul codébiteur : on ne saurait pourtant admettre que le codébiteur demeurant soit chargé de l’intégralité de sa dette, sans avoir consenti à ne plus disposer d’aucun recours en contribution. Pour ainsi dire, ceux que le Code civil unit solidairement, le bailleur ne saurait les séparer… III. FIN DU CONTRAT Le prêteur est maître de la chose avant Dieu 253r9 1 L’essentiel La libre disposition d’une salle pour la pratique du culte dans le cadre d’un prêt à usage, dès lors qu’il n’y a aucun terme convenu ni prévisible, peut être résilié à tout moment en respectant un délai de préavis raisonnable, sans devoir justifier d’un besoin pressant et imprévu de la chose prêtée. Cass. 1re civ., 30 sept. 2015, no 14-25709, M. X et a. c/ Sté Adoma, PB (rejet pourvoi c/ CA Paris, 10 juill. 2014), Mme Batut, prés. ; SCP Coutard et Munier-Apaire, SCP Tiffreau, Marlange et de La Burgade, av. : LEDC nov. 2015, p. 4, n° 162, G. Guerlin L es droits et libertés fondamentaux envahissent le vieux droit civil des contrats. Il n’est plus rare aujourd’hui que la liberté de conscience ou de religion s’invite dans le contentieux de l’exécution ou de la résiliation des contrats, comme dans cette décision rendue le 30 septembre 2015 par la première chambre civile de la Cour de cassation. Note Une société gérant des foyers avait prêté une salle polyvalente à ses résidents afin qu’ils l’utilisent en tant que 38 G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1 lieu de prière. Quarante années passèrent : mal entretenu, le local se dégrada. Le prêteur fit savoir qu’il entendait reprendre le local pour y procéder à des travaux de réaménagement. Ceux-ci ne purent se dérouler : certains utilisateurs de la salle de prière refusèrent de la quitter. Ils assignèrent la société afin qu’il lui soit fait interdiction de supprimer la mise à leur disposition d’une salle de culte. Cette prétention fut rejetée par les juges du fond. Les demandeurs au pourvoi firent alors valoir, d’une part, que le prêteur ne s’était prévalu d’aucun « besoin pressant et imprévu » de nature à permettre la résiliation unilatérale d’un commodat sans terme convenu et, d’autre part, que la fermeture de la salle de prière constituait une atteinte directe à la liberté de cultes des résidents, convoquant ainsi la loi du 9 décembre 1905 relative à la séparation des Églises et de l’État et la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales. Le pourvoi est rejeté par la Cour de cassation sur ces deux points. La cour régulatrice affirme d’abord « qu’ayant retenu que la libre disposition d’une salle pour la pratique du culte musulman relevait d’un prêt à usage qui n’avait aucun terme convenu ni prévisible, la cour d’appel en a exactement déduit que la société [prêteuse], propriétaire Jur ispr ude nc e des lieux, pouvait y mettre fin en respectant un délai de préavis raisonnable, sans devoir justifier d’un besoin pressant et imprévu de la chose prêtée ». Cette solution est constante (1). La jurisprudence n’exige heureusement plus que le prêteur fasse preuve d’un besoin de la chose plus vif que celui de l’emprunteur qui la détient à titre gracieux pour pouvoir la récupérer (2). La Cour de cassation écarte également le grief tiré de l’atteinte prétendue aux libertés fondamentales des résidents : la société n’était pas en charge d’assurer aux résidents la possibilité matérielle d’exercer leur culte et ceux-ci pouvaient pratiquer leur religion sans utiliser la salle de prière, qui facilitait seulement leur pratique religieuse. La cour d’appel en a ainsi « justement déduit » que le prêteur n’avait pas porté atteinte à une liberté fondamentale en décidant la fermeture de cette salle pour procéder à des travaux de modernisation (1) Cass. 1re civ., 3 févr. 2004, n° 01-00004 : Bull. civ. I, n° 34 ; D. 2004, p. 903, note C. Noblot ; RTD civ. 2004, p. 312, obs. P.-Y. Gautier ; RDC 2004, p. 647, obs. P Stoffel-Munck ; RDC 2004, p. 714, obs. J.-B. Seuben – Cass 3e civ., 19 janv. 2005, n° 03-16623 : Bull. civ. III, n° 12 ; D. 2005, p. 2439, note Y. Dagorne-Labbe ; Contrats, conc. consom. 2005, n° 103, note L. Leveneur – Cass 1re civ., 10 mai 2005, n° 02-17256 : Bull. civ. I, n° 204 – Cass. 3e civ., 4 avr. 2007, n° 06-12195 : Bull. civ. III, n° 56. (2) V. par ex. Cass 1re civ., 3 févr. 1993, n°89-18467 : D. 1994, jur. p. 248, note A. Bénabent. (...) et de sécurisation. L’arrêt n’étonne pas davantage sur ce point. Il est acquis que les pratiques religieuses n’entrent guère dans le champ contractuel, sauf convention contraire (3). Elles ne sauraient y croître et multiplier qu’après consécration des contractants, à moins qu’un contexte particulier ne leur permette apparition. On sait par exemple que si les clauses d’un contrat de travail interdisant le divorce sont contraires à l’ordre public, il en va autrement lorsque l’on se trouve dans le cadre d’une école catholique qui exige l’adhésion des enseignants à ses principes (4). Mutatis mutandis, l’on peut donc se demander si la solution aurait été différente, si c’est un établissement culturel qui avait été prêté (5). Somme toute, s’il n’est pas douteux qu’il faille rendre à César ce qu’il lui appartient, il n’est pas certain qu’il faille le rendre à Dieu… (3) Cass. 3e civ., 18 déc. 2002, n° 01-00519 : Bull. civ. III, n° 262 ; RTD civ. 2003, p. 290, obs. J. Mestre et B. Fages ; ibid., obs. R. Libchaber. (4) Cass. ass. plén. 19 mai 1978, n° 76-41211 : Bull. ass. plén., n° 1 ; D. 1978, p. 541, note P. Ardant ; JCP 1979, II, 19009, note R. Lindon. (5) Comp. R. Libchaber, préc. 251s6 G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1 39 J u ris pr udenc e 251s3 Panorama de jurisprudence de la Cour de cassation 251s3 ■■AVOCAT 253c4 Par Catherine BERLAUD ■■ASSURANCES DE PERSONNES 253e4 Durée de garantie de l’assurance de responsabilité Toute clause d’un contrat d’assurance ayant pour effet de réduire la durée de la garantie de l’assureur à un temps inférieur à la durée de la responsabilité de l’assuré est génératrice d’une obligation sans cause et doit être réputée non écrite. Cass. 3e civ., 26 nov. 2015, no 14-25761, Sté Axa France IARD c/ Sté Thelem assurances, FS–PB (cassation CA Paris, 10 sept. 2014), M. Chauvin, prés. – SCP Célice, Blancpain, Soltner et 253e4 Texidor, SCP Sevaux et Mathonnet, av. 253e4 ■■ASSURANCES (EN GÉNÉRAL) 253f1 Attention aux mentions du contrat d’assurance concernant la prescription Aux termes de l’article R. 112-1 du Code des assurances, dans sa rédaction applicable, les polices d’assurance doivent rappeler les dispositions des titres Ier et II du livre 1er de la partie législative du Code des assurances concernant la prescription des actions dérivant du contrat d’assurance. Il en résulte que l’assureur est tenu de rappeler dans le contrat d’assurance, sous peine d’inopposabilité à l’assuré du délai de prescription biennale, les différents points de départ du délai de la prescription biennale prévus par l’article L. 114-1 dudit code. Ne donne pas de base légale à sa décision la cour d’appel qui énonce que l’action en garantie de l’assuré est irrecevable par application de l’article L. 114-1 du Code des assurances qui fixe à deux ans le délai de prescription des actions dérivant d’un contrat d’assurance, expressément rappelé dans le contrat, et qui prévoit que, quand l’action de l’assuré contre l’assureur a pour cause le recours d’un tiers, le délai ne court que du jour où ce tiers a exercé une action en justice contre l’assuré ou a été indemnisé sans rechercher, comme elle y était invitée, si le contrat d’assurance rappelait le point de départ de la prescription de l’action de l’assuré ayant pour origine le recours d’un tiers. Cass. 2 civ., 10 déc. 2015, n 14-18012, M. X c/ S Foncia gestion immobiliière IDF et a., F–PB (cassation partielle CA Paris, 19 sept. 2014), Mme Flise, prés. – Me Haas, SCP Boulloche, SCP Lyon253f1 Caen et Thiriez, av. e o Cass. 2e civ., 10 déc. 2015, no 14-29871, F–PBI (cassation partielle CA Grenoble, 29 oct. 2014), Mme Flise, prés. – SCP Waquet, 253c4 Farge et Hazan, Me Haas, av. ■■AVOCAT 253c2 té 253f1 ■■ASSURANCES (EN GÉNÉRAL) 253f2 La clause qui pénalise l’assuré pour résiliation anticipée est illicite Si l’article L. 113-12 du Code des assurances prévoit la faculté de déroger à la périodicité de la résiliation, ce texte n’autorise pas à limiter le droit de l’assuré de mettre fin au contrat au terme convenu. La cour d’appel qui relève que l’article 69 du contrat d’assurance réduisait l’indemnisation versée en cas de résiliation du contrat par l’assuré et que cette limitation, qui aboutissait à indemniser dans ce cas l’assuré dix fois moins que ce qu’il aurait perçu s’il avait conservé le contrat pendant un an, ne pouvait que le dissuader de résilier le contrat, en déduit exactement que cette clause est illicite. Cass. 2e civ., 10 déc. 2015, no 14-14512, Sté Galain assurances et a. c/ Sté Macif et a., F–PB (rejet pourvoi c/ CA Paris, 23 janv. 2014), Mme Flise, prés. – SCP Célice, Blancpain, Soltner et Texidor, SCP 253f2 Nicolaý, de Lanouvelle et Hannotin, av. 40 G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1 Conséquence sur la convention d’honoraires du dessaisissement de l’avocat avant la fin de l’instance Il résulte de l’article 10, alinéa 2, de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 que lorsqu’à la date du dessaisissement de l’avocat, il n’a pas été mis fin à l’instance par un acte ou une décision juridictionnelle irrévocable, la convention préalable d’honoraires cesse d’être applicable et les honoraires correspondant à la mission partielle effectuée par l’avocat jusqu’à cette date doivent être appréciés en fonction des seuls critères définis par l’article 10, alinéa 2, de la loi du 31 décembre 1971. Un salarié ayant confié à un avocat la défense de ses intérêts dans un litige l’opposant à son employeur, il est prévu un honoraire de diligence au taux horaire de 180 euros HT et un honoraire complémentaire de résultat d’un montant de 7,5 % des sommes recouvrées soit par voie amiable soit par voie prud’homale. En cours de procédure, le salarié décharge l’avocat de la procédure et refuse de lui verser les honoraires complémentaires que ce dernier lui réclame. Viole le texte susvisé le premier président qui, pour fixer à la somme de 13 455 euros TTC le montant de l’honoraire de résultat dû par le client à l’avocat et condamner le premier à payer cette somme au second, énonce qu’en cas de dessaisissement anticipé de l’avocat avant qu’une décision juridictionnelle irrévocable ne soit rendue ou une transaction ne soit conclue, l’avocat ne peut en principe se prévaloir d’une convention d’honoraires de résultat mais que, toutefois, la transaction intervenue postérieurement au dessaisissement de l’avocat est partiellement due à l’activité de celui-ci préalablement à la rupture du mandat et que donc le client, qui a rompu sans motif et donc abusivement le mandat donné à l’avocat, ne peut prétendre échapper au paiement de l’honoraire de résultat conventionnellement prévu, alors qu’il constate que le client a, en cours de procédure, avant la signature d’un protocole d’accord transactionnel, mis fin au mandat confié à l’avocat. 253f2 Le conseil en assurance donnait des consultations juridiques réservées aux avocats Reprochant à un courtier et conseil en assurance d’exercer une activité juridique et de représentation réservée à la profession d’avocat, un ordre des avocats l’assigne en référé afin de l’entendre condamner, sur le fondement de l’article 809 du Code de procédure civile, à cesser cette activité. Donne des consultations juridiques qui ne relèvent pas de son activité principale au sens de l’article 59 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, modifiée, le courtier en assurances qui fournit, à titre habituel et rémunéré, aux victimes de sinistres qui le mandatent à ces seules fins, un avis personnalisé sur les offres transactionnelles des assureurs, en négocie le montant et, en cas d’échec de la négociation, oriente les bénéficiaires de la consultation vers un avocat, dès lors que ces prestations ne participent ni du suivi de l’exécution d’un contrat d’assurance souscrit par son intermédiaire ni de travaux préparatoires à la conclusion d’un nouveau contrat. La cour d’appel qui relève que l’intéressé a, à l’occasion d’une activité de « consultant en règlement amiable de litiges d’assurance », assuré le suivi des dossiers d’indemnisation de trois victimes d’accidents de la circulation, étrangères à son portefeuille de clientèle, sans avoir reçu de mandat de gestion des sociétés d’assurances tenues à garantie, ayant exactement retenu qu’une telle intervention, rémunérée et répétée, 253c4 Jur ispr ude nc e caractérise l’exercice illégal de la consultation juridique, peut décider qu’il convient de faire cesser ce trouble manifestement illicite par des mesures d’interdiction et de publicité. Cass. 1re civ., 9 déc. 2015, no 14-24268, FS–PBI (rejet), Mme 253c2 Batut, prés. – SCP Odent et Poulet, av. réception que l’avocat a adressée à ses clients pour obtenir le paiement de ses honoraires. 253c2 ■■AVOCAT 253d9 Modalités et qualification de la collaboration d’avocat Une avocate, conclut un contrat de collaboration libérale avec une société d’avocats et s’engage, le même jour, par acte séparé, à apporter sa clientèle moyennant une rétrocession d’honoraires. Seul le contrat de collaboration est communiqué au conseil de l’ordre. Après avoir remis une lettre de démission un peu plus de deux ans plus tard, l’avocate saisit le bâtonnier de l’ordre des avocats au barreau de Paris en annulation de la convention d’apport de clientèle, restitution des honoraires, requalification du contrat de collaboration libérale en contrat de travail et paiement de diverses indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. En premier lieu, après avoir énoncé que la convention d’apport de clientèle constituait un avenant au contrat de collaboration, qui aurait dû être transmis au conseil de l’ordre en vue du contrôle de sa conformité aux règles essentielles de la profession, la cour d’appel ne dit pas que la méconnaissance de cette obligation n’est susceptible d’aucune sanction, mais relève que la nullité de la convention, non prévue par la réglementation applicable, ne peut être encourue pour une contravention aux règles déontologiques. En second lieu, la cour d’appel relève que la convention devait rémunérer un apport de la clientèle dont disposait l’avocate avant son entrée au cabinet, et ce, pendant la durée de sa collaboration, qu’elle était justifiée par le fait que cette avocate n’était pas en mesure de traiter seule l’intégralité des dossiers confiés par ses clients et présentait un intérêt certain pour elle, lui évitant les aléas d’une installation autonome et du recrutement des collaborateurs nécessaires. Elle relève encore que l’accord ne prévoyait pas un prélèvement sur les honoraires générés par le travail de l’avocate au profit de sa clientèle personnelle mais la remise à cette dernière d’une fraction des honoraires résultant du travail des associés et collaborateurs du cabinet sur des dossiers de clients apportés par elle. La cour d’appel qui constate que la convention litigieuse ne portait que sur la rémunération de l’apport de clientèle au cabinet, peut rejeter la demande en restitution des honoraires perçus par le cabinet. Dès lors qu’elle relève que, conformément aux clauses du contrat de collaboration, la société d’avocats a mis à la disposition de la demanderesse, qui ne le conteste pas, une installation lui garantissant le secret professionnel ainsi que les moyens matériels et humains lui permettant de constituer et développer une clientèle personnelle, que la collaboratrice a conservé son indépendance statutaire et que l’évaluation de sa participation au fonctionnement de la structure, pratique courante dans les cabinets d’avocats destinée à favoriser la progression des collaborateurs, n’est pas de nature à caractériser, à elle seule, l’existence d’un lien de subordination, peut déduire de ce faisceau d’indices l’absence de salariat. ■■AVOCAT 253c5 Protection du « consommateur » de services d’avocat : l’inexorable prescription biennale Prive sa décision de base légale le premier président qui déclare recevable la demande d’un avocat en fixation de ses honoraires sans rechercher, comme il y était invité, si cette demande a été formée dans le délai de deux années à compter de la fin de sa mission, lequel ne peut avoir été interrompu par l’envoi d’une lettre recommandée avec demande d’avis de 253c5 ■■CONSOMMATION 253e7 Cass. 1re civ., 9 déc. 2015, no 14-28237, F–PB (rejet pourvoi c/ CA Paris, 5 nov. 2014), Mme Batut, prés. – SCP Célice, Blancpain, Soltner et Texidor, SCP Masse-Dessen, Thouvenin et Coudray, 253e7 av. Cass. 2e civ., 10 déc. 2015, no 14-25892, F–PBI (cassation CA Versailles, 27 août 2014), Mme Flise, prés. – SCP Richard, SCP 253c5 Coutard et Munier-Apaire, av. Le GFA bailleur professionnel ne profite pas de la protection contre le taux d’usure Des prêteurs, qui avaient consenti un prêt à un groupement foncier agricole, au taux effectif global de 17,06 %, lui délivrent un commandement de payer valant saisie immobilière, avant de l’assigner à l’audience d’orientation. La cour d’appel qui constate que le GFA a pour objet la propriété et l’administration de tous les immeubles et droits immobiliers à destination agricole composant son patrimoine, et relève que la plupart de ses parcelles sont données à bail conformément aux statuts interdisant toute exploitation en faire-valoir direct, en déduit exactement que le GFA exerce une activité professionnelle non commerciale au sens de l’article L. 313-3 du Code de la consommation, en sorte que les dispositions relatives au taux d’usure ne lui sont pas applicables. Cass. 1re civ., 25 nov. 2015, no 14-23224, Sté Bois Hipel c/ M. X et a., F–PB (rejet pourvoi c/ CA Caen, 3 juin 2014), Mme Batut, prés. – SCP Foussard et Froger, SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, 253d9 av. ■■CONSOMMATION 253e2 Un syndicat de copropriétaire représenté par un syndic professionnel reste un consommateur Le syndic de plusieurs syndicats de copropriétaires conclut avec une société divers contrats de prestation de services, renouvelables par tacite reconduction, sauf préavis donné par lettre recommandée avec demande d’avis de réception trois mois avant leur terme. Se prévalant des dispositions de l’article L. 136-1 du Code de la consommation, elle résilie ces contrats sans respecter le délai de préavis et le prestataire l’assigne en paiement de dommages-intérêts au titre de leur inexécution. Viole les articles 1984 du Code civil et L. 136-1 du Code de la consommation, ce dernier dans sa rédaction issue de la loi n° 2008-3 du 3 janvier 2008, la cour d’appel qui, pour accueillir cette demande, retient que, si l’article L. 136-1 est applicable aux personnes morales, un syndicat de copropriétaires qui confie à un syndic professionnel le soin de négocier, conclure et assurer le suivi des contrats relatifs à la copropriété, ne saurait bénéficier d’une telle disposition, alors que la représentation d’un syndicat de copropriétaires par un syndic professionnel ne lui fait pas perdre sa qualité de non-professionnel, en sorte qu’il peut bénéficier des dispositions de ce texte, nonobstant cette représentation. Cass. 1re civ., 25 nov. 2015, no 14-20760, Sté Foncia Arc de Seine c/ Sté Christal, F–PBI (cassation partielle CA Versailles, 6 mai 2014), Mme Batut, prés. – SCP Boulloche, SCP Foussard et Froger, 253e2 av. NOTE Voir aussi Cass. 1re civ., 25 novembre 2015, n° 14-21873 253e2 ■■CONTENTIEUX ADMINISTRATIF 253e6 253e7 Travaux de réfection de voirie et absence de voie de fait Une communauté d’agglomération fait réaliser, sur le territoire d’une commune, des travaux de réfection de la voirie. Lui reprochant d’avoir, à cette occasion, endommagé et/ ou rendu inaccessibles des infrastructures de génie civil lui appartenant, la société Orange l’assigne, sur le fondement de la voie de fait, en cessation des travaux et réparation de son préjudice. La communauté d’agglomération revendique la propriété des infrastructures en cause et, contestant l’existence d’une voie de fait, soulève l’incompétence de la juridiction judiciaire au profit de la juridiction administrative. G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1 41 253d9 Jur i s p r u de nc e Il n’y a voie de fait de la part de l’administration, justifiant, par exception au principe de séparation des autorités administratives et judiciaires, la compétence des juridictions de l’ordre judiciaire pour en ordonner la cessation et la réparation, que dans la mesure où l’administration a soit procédé à l’exécution forcée, dans des conditions irrégulières, d’une décision, même régulière, portant atteinte à la liberté individuelle ou aboutissant à l’extinction d’un droit de propriété, soit pris une décision qui a les mêmes effets d’atteinte à la liberté individuelle ou d’extinction d’un droit de propriété et qui est manifestement insusceptible d’être rattachée à un pouvoir appartenant à l’autorité administrative. Viole la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III la cour d’appel qui, pour retenir l’existence d’une voie de fait et rejeter l’exception d’incompétence soulevée par la communauté d’agglomérations, énonce qu’il résulte des procès-verbaux de constat d’huissier de justice produits, d’abord, qu’un certain nombre de chambres de transport et de distribution de services de communications électroniques ont été verrouillées et sont devenues inaccessibles, du fait de la mise en place de serrures à clefs ou de la création d’emplacements de parking, ensuite, que des atteintes ont été portées à des infrastructures portant le logo France Télécom et, enfin, que des chambres ont été cassées et des trappes d’accès à ces chambres remplacées, motifs impropres à caractériser l’extinction du droit de propriété de la société Orange et dont il ressort que les travaux de réfection entrepris par la communauté de communes ne sont pas manifestement insusceptibles d’être rattachés à un pouvoir appartenant à cette dernière. Cass. 1re civ., 9 déc. 2015, no 14-24880, Communauté d’agglomération de Saint-Quentin-en-Yvelines c/ Sté Orange, FS–PBI (cassation partielle sans renvoi CA Versailles, 5 mai 2014), Mme Batut, prés. – SCP Garreau, Bauer-Violas et Feschotte-Desbois, 253e6 SCP Nicolaý, de Lanouvelle et Hannotin, av. affecté est décidée, s’il y a lieu, par le tribunal saisi de la contestation sur l’exécution du contrat principal, le prêteur intervenant à l’instance ou étant mis en cause par le vendeur ou l’emprunteur. Une banque consent à des emprunteurs un crédit destiné à financer la fourniture et l’installation de panneaux photovoltaïques par une société, que les emprunteurs assignent, ainsi que banque devant un tribunal d’instance aux fins d’annulation ou de résolution du contrat principal, puis assignent la banque devant le juge des référés aux fins de suspension de l’exécution du contrat de crédit affecté. Viole le texte susvisé la cour d’appel qui, pour accueillir cette dernière demande, retient que le texte ne dit pas que seul le tribunal saisi de la contestation sur l’exécution du contrat principal a le pouvoir de suspendre l’exécution du contrat de crédit affecté. Cass. 1re civ., 9 déc. 2015, no 14-23272, Sté banque Solfea c/ M. X et a., F–PB (cassation CA Rennes, 6 juin 2014), Mme Batut, prés. 253e9 – SCP Marc Lévis, av. ■■IMMOBILIER 253f6 253e6 ■■CONSTRUCTION 253f8 Responsabilité de l’entrepreneur en l’absence de maître d’oeuvre Un entrepreneur, chargé par une société de la réalisation d’une plate-forme routière, l’assigne en paiement de solde, tandis que cette dernière, invoquant une faute de conception et un manquement au devoir de conseil de l’entrepreneur, forme une demande reconventionnelle en indemnisation. Viole l’article 1147 du Code civil la cour d’appel qui, pour rejeter cette demande reconventionnelle, retient que, par temps de pluie, l’eau forme un miroir sur la plate-forme et s’évacue lentement de telle sorte qu’il reste des flaques variant entre cinq et vingt-cinq millimètres, mais que, malgré ces désordres dus à un tassement du terrain, la plate-forme, dont la composition est conforme au devis qui ne mentionne ni le nombre de véhicules ni leur nature, a été utilisée sans interruption pour le stationnement des poids lourds et que la société, qui a fait le choix de l’économie d’un maître d’oeuvre et n’a pas sollicité de travaux de sondage, ne peut reprocher à l’entrepreneur d’avoir omis de préconiser une étude géotechnique et d’avoir commis une erreur de conception ou manqué à son devoir de conseil, alors que l’absence de prise en compte de la nature du sol sur lequel a été construite la plate-forme constitue une faute de conception de l’ouvrage commise par l’entrepreneur intervenu en l’absence de maître d’œuvre. Cass. 3e civ., 10 déc. 2015, no 15-11142, Sté Sotraloma c/ Sté Travaux publics Tinel, FS–PB (cassation partielle CA Rouen, 25 jui 2014), M. Chauvin, prés. – SCP Piwnica et Molinié, SCP de 253f8 Chaisemartin et Courjon, av. ■■CRÉDIT 253e9 Compétence pour la suspension d’un crédit affecté pour contestation de l’exécution du contrat principal Il résulte de l’article L. 311-32 du Code de la consommation que la suspension de l’exécution du contrat de crédit 42 G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1 253e9 Publicité foncière : point de départ du délai de recours contre le refus du dépôt Lorsqu’un document sujet à publicité dans un service chargé de la publicité foncière a fait l’objet d’un refus du dépôt ou d’un rejet de la formalité, le recours de la partie intéressée contre la décision du service chargé de la publicité foncière est porté, dans les huit jours de la notification de cette décision, devant le président du tribunal de grande instance dans le ressort duquel sont situés les immeubles. À la suite d’un jugement irrévocable signifié le 14 janvier 2013, une caisse d’épargne adresse le 27 mars 2013 au service de la publicité foncière de Créteil deux bordereaux d’inscription d’hypothèque judiciaire définitive concernant des immeubles situés à Thiais et à Choisy-le-Roi sur lesquels elle avait fait inscrire des hypothèques judiciaires provisoires. Seule l’hypothèque concernant l’immeuble de Thiais ayant été inscrite, la Caisse d’épargne met en demeure, le 30 juillet 2013, le service de la publicité foncière de régulariser l’inscription relative à l’immeuble de Choisy-le-Roi et, le 1er août 2013, le service de la publicité foncière ayant opposé un refus de dépôt en raison de la tardiveté de la demande, la Caisse d’épargne conteste ce refus devant le président du tribunal de grande instance. Viole l’article 26 du décret n° 55-22 du 4 janvier 1955 en excédant ses pouvoirs la cour d’appel qui, pour accueillir le recours et ordonner la publication du bordereau de l’inscription d’hypothèque judiciaire définitive, retient qu’il appartient au juge d’examiner si la requérante avait formé une première demande dans les délais requis alors même que l’absence de réponse du service de la publicité foncière à la demande initiale avait empêché toute régularisation de cette requête en temps utile et généré une nouvelle demande effectivement tardive, alors qu’elle devait examiner le bien-fondé de la décision déférée en l’état de la demande dont avait été saisi le service de la publicité foncière et non d’une demande formulée antérieurement à laquelle il n’avait pas été répondu. Cass. 3e civ., 10 déc. 2015, no 14-26895, État français c/ Caisse d’épargne et de prévoyance d’Ile de France, FS–PB (cassation CA Paris, 30 sept. 2014), M. Chauvin, prés. – SCP Delaporte, Briard 253f6 et Trichet, SCP Foussard et Froger, av. ■■PROCÉDURE CIVILE 253n7 253f8 Le juge ne peut examiner la demande subsidiaire avant la demande principale Le juge ne pouvant examiner la demande subsidiaire avant la demande principale, en application des articles 4 et 5 du Code de procédure civile, il ne peut déclarer le licenciement sans cause réelle et sérieuse, sans se prononcer au préalable sur les demandes relatives à la nullité du licenciement ou à son caractère illicite, présentées à titre principal. 253f6 Jur ispr ude nc e Cass. soc., 10 déc. 2015, no 14-16214, Sté Optimum c/ Pôle emploi, FS–PB (cassation partielle CA Paris, 25 févr. 2014), M. Frouin, prés. – SCP Célice, Blancpain, Soltner et Texidor, SCP 253n7 Rocheteau et Uzan-Sarano, av. 253n7 ■■PROCÉDURE PÉNALE Cass. 2e civ., 10 déc. 2015, no 14-25757, Mme X es qual. et a. c/ Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et autres infractions, FS–PB (rejet pourvoi c/ CA Versailles, 8 nov. 2012 et 16 janv. 2014), Mme Flise, prés. – SCP Boré et Salve de Bruneton, 253n6 SCP Lyon-Caen et Thiriez, av. 253n6 253d8 ■■RURAL 253e5 Défaut de notification de ses droits au gardé à vue La notification à la personne concernée des droits attachés à la prolongation de la garde à vue est une condition d’effectivité de leur exercice. Cass. crim., 1er déc. 2015, no 15-84874, FS–PB (rejet pourvoi 253d8 c/ CA Nancy, 29 juill. 2015), M. Guérin, prés. 253d8 ■■PROCÉDURE PÉNALE 253d6 Secret professionnel versus lutte contre le dopage Le mari et entraîneur d’une sportive est mis en examen des chefs d’importation de marchandises prohibées, infractions aux réglementations sur le commerce ou l’emploi de substances vénéneuses, importation sans raison médicale dûment justifiée de produits dopants et le juge d’instruction ordonne une expertise aux fins d’analyser le dossier médical de la sportive, saisi dans les locaux de la Fédération française de cyclisme, tandis que le prévenu dépose une demande aux fins d’annulation de pièces de la procédure. En vertu des articles 81, 156 et suivants du Code de procédure pénale, le juge d’instruction peut ordonner une expertise ayant pour objet des constatations d’ordre technique nécessitant la communication et l’examen de pièces utiles à la manifestation de la vérité, et les dispositions relatives au secret imposé aux professionnels de santé ne font pas obstacle à la désignation d’un expert pharmacien pour examiner un dossier contenant des renseignements médicaux et détenu par une fédération sportive investie de prérogatives de puissance publique en matière de lutte contre le dopage. Cass. crim., 24 nov. 2015, no 15-83349, FS–PB (rejet pourvoi c/ CA Grenoble, 8 avr. 2015), M. Guérin, prés. – SCP Odent et 253d6 Poulet, SCP Waquet, Farge et Hazan, av. 253d6 ■■PROTECTION SOCIALE 253c9 Prestations d’accident du travail accordées par décision de justice : prescription biennale La durée de la prescription étant déterminée par la nature de la créance, dès lors que cette dernière ne résulte pas d’un titre exécutoire, la prescription de l’article L. 431-2 du Code de la sécurité sociale est applicable à la victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle qui réclame le paiement des sommes qui lui ont été allouées par une décision. Cass. 2 civ., 26 nov. 2015, n 14-23220, CPAM du Puy-de-Dôme c/ M. X et a., F–PB (cassation CA Riom, 16 juin 2014), Mme Flise, 253c9 prés. – SCP Foussard et Froger, av. e o ■■RESPONSABILITÉ CIVILE 253n6 Réparation de la victime d’une rixe par le FIVA : déduction des prestations versées S’agissant de la victime d’une rixe entre bandes rivales dont le préjudice a donné lieu à la saisine de la commission des victimes d’infraction et qui a été placée sous curatelle, les dispositions de l’article 31, al. 2, de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985, dans sa rédaction issue de l’article 25 de la loi n° 2006-1640 du 21 décembre 2006 qui instituent un droit de préférence au profit de la victime subrogeante lorsqu’elle n’a été indemnisée qu’en partie, ne peuvent s’appliquer à l’indemnisation de la victime par le Fonds d’indemnisation des actes de terrorisme et d’autres infractions à l’égard duquel les tiers payeurs ne disposent d’aucun recours subrogatoire. Il en résulte que la réparation doit être fixée en déduisant poste par poste, les prestations visées à l’article 706-9 du Code de procédure pénale. 253c9 Application d’un accord professionnel étendu et séparation des pouvoirs L’organisation interprofessionnelle des vins AOC Côtes du Rhône et Vallée du Rhône, se prévalant d’accords professionnels étendus par arrêtés ministériels, assigne un groupement foncier agricole en paiement de cotisations résultant de ces accords. Après avoir rappelé qu’il résulte de l’article L. 632-4, alinéa 3, du Code rural et de la pêche maritime que, lorsque l’extension d’accords conclus au sein d’une organisation interprofessionnelle reconnue est décidée, les mesures ainsi prévues sont obligatoires, dans la zone de production intéressée, pour tous les membres des professions constituant cette organisation interprofessionnelle, la cour d’appel en déduit exactement que, dès lors que l’arrêté ministériel d’extension a été publié, ces mesures produisent effet pour l’ensemble de la campagne considérée, les dates de sortie de chais postérieures à la date de conclusion des avenants étendus devant être prises en considération pour l’appréciation du bien-fondé des demandes de paiement des cotisations. En cas de contestation sérieuse portant sur la légalité d’un acte administratif, les tribunaux de l’ordre judiciaire statuant en matière civile doivent surseoir à statuer jusqu’à ce que la question préjudicielle de la légalité de cet acte soit tranchée par la juridiction administrative, sauf s’il apparaît manifestement, au vu d’une jurisprudence établie, que la contestation peut être accueillie par le juge saisi au principal. Viole l’article 13 de la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III la cour d’appel qui, pour dire que le GFA ne doit pas les montants de certaines factures, retient que l’association Inter-Rhône n’a pas respecté la règle de l’unanimité prévue par l’article L. 632-4, alinéa 1er, du Code rural, dès lors que le procès-verbal de l’assemblée générale du 6 novembre 2006 fait apparaître que le barème a été adopté par « 20 voix pour ; 6 abstentions ; 9 contre », alors qu’elle aurait dû rechercher, même d’office, s’il était manifeste, au vu d’une jurisprudence établie, que la contestation de la légalité de l’acte administratif en cause pouvait être accueillie par le juge judiciaire, saisi au principal, sans qu’il soit besoin de renvoyer au juge administratif pour statuer sur cette contestation par voie de question préjudicielle. Cass. 1re civ., 9 déc. 2015, no 14-16548, Association Inter Rhône c/ GFA Domaine des Goubins, FS–PBI (cassation partielle CA Nîmes, 13 févr. 2014), Mme Batut, prés. – SCP Didier et Pinet, 253e5 SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, av. ■■TOURISME 253d4 Forfait de voyage comprenant une croisière : nature et étendue des responsabilités Une justiciable, qui avait conclu avec un voyagiste un contrat ayant pour objet un forfait touristique comprenant une croisière sur un bateau, est victime d’une chute sur le pont du bateau lors de la croisière. Après avoir assigné le voyagiste, son assureur et la société organisatrice de la croisière, elle saisit le juge de la mise en état d’une demande visant à l’institution d’une expertise et à l’allocation d’une provision à valoir sur l’indemnisation de son préjudice. L’organisateur d’une croisière qui présente les caractères d’un forfait touristique, au sens de l’article L. 211-2 du Code du tourisme, relève du régime de la responsabilité de plein droit institué par l’article L. 211-16 du même code, issu de la loi n° 92པ645 du 13 juillet 1992 fixant les conditions d’exercice des activités relatives à l’organisation et à la vente de voyages G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1 43 253e5 Jur i s p r u de nc e ou de séjours, laquelle a transposé en droit interne la directive 90/314/CEE du Conseil, du 13 juin 1990, concernant les voyages, vacances et circuits à forfait. Après avoir constaté que la société a organisé, non le seul transport des passagers, mais la totalité des opérations composant la croisière, en ce compris l’ensemble des services touristiques complémentaires offerts à ce titre, la cour d’appel en déduit à bon droit que, dès lors que la combinaison de ces opérations constitue un forfait touristique, au sens de l’article L. 211-2, précité, la société, en sa qualité d’organisateur de voyages, est responsable de plein droit de la bonne exécution des obligations résultant du contrat conclu par la victime. De plus, il résulte des articles L. 211-16 et L. 211-1, I du Code du tourisme que toute personne physique ou morale qui se livre à une opération consistant en l’organisation ou la vente de voyages ou de séjours individuels ou collectifs est responsable de plein droit à l’égard de l’acheteur de la bonne exécution des obligations résultant du contrat. Par suite, la mise en oeuvre de cette responsabilité à l’encontre de l’organisateur du voyage ou du séjour n’est pas subordonnée à l’existence d’un lien contractuel entre ce dernier et l’acheteur. Enfin, ayant retenu l’absence des causes exonératoires prévues par le second alinéa de l’article L. 211-16 du Code du tourisme, la cour d’appel en déduit à bon droit, sans inverser la charge de la preuve, que la responsabilité de plein droit de la société n’est pas sérieusement contestable. Après avoir constaté que les prestations proposées par le voyagiste relèvent du champ d’application des articles L. 211-1 et L. 211-2 du Code du tourisme, dès lors qu’elles constituent un forfait touristique, la cour d’appel décide exactement que le voyagiste est responsable de plein droit, en sa qualité de vendeur, des préjudices subis par la victime, peu important que le dommage soit survenu au cours du transport, dès lors que cette opération était l’une de celles composant le forfait touristique. Cass. 1re civ., 9 déc. 2015, no 14-20533, Sté société Costa Crociere c/ Mme X, FS–PBI (rejet pourvoi c/ CA Toulouse, 13 mai 2014), Mme Batut, prés. – Me Le Prado, SCP Masse-Dessen, Thouvenin 253d4 et Coudray, av. correspondant, au sein de cet établissement, à un secteur d’activité, peu important qu’il n’y travaille pas, dès lors qu’il relève du secteur géographique d’implantation du CHSCT, ce qu’il appartient au juge de vérifier lorsqu’il est saisi d’une contestation de la désignation. Cass. soc., 25 nov. 2015, no 14-29850, Synd. Fédération nationale des mines et de l’énergie CGT et a. c/ M. X et a., FS–PB (cassation TI Puteaux, 17 déc. 2014), M. Frouin, prés. – SCP Piwnica et 253c7 Molinié, SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, av. ■■TRAVAIL 253n8 Convocation à l’entretien préalable : portée du procès-verbal de carence de délégués Viole l’article 90 de la convention collective nationale des sociétés d’assurances du 27 mai 1992 et l’article L. 1235-3 du Code du travail la cour d’appel qui, pour dire que le licenciement du salarié est sans cause réelle et sérieuse, retient que la lettre de convocation à l’entretien préalable au licenciement ne comporte pas l’indication que le salarié a la possibilité de saisir une commission composée de trois représentants de l’employeur et de trois représentants du personnel et que le fait que l’employeur invoque l’absence de délégués du personnel, outre le fait que le salarié puisse réclamer luimême que soient organisées les élections, laisse à la charge de l’employeur l’obligation de mettre en place un tel conseil en le dotant de trois représentants du personnel, au besoin désignés à cette fin, alors qu’elle constate que l’employeur produit un procès-verbal de carence, dont la validité n’était pas contestée. Cass. soc., 10 déc. 2015, no 14-16214, Sté Optimum vie c/ Pôle emploi, FS–PB (cassation partielle CA Paris, 25 févr. 2014), M. Frouin, prés. – SCP Célice, Blancpain, Soltner et Texidor, SCP 253n8 Rocheteau et Uzan-Sarano, av. 253c8 253d4 253p0 Calcul de l’octroi d’un repos et critère d’attribution d’une prime L’étendue des droits d’un salarié de La Poste, en matière de repos exceptionnel est déterminée par référence aux périodes de présence et d’activité dans l’entreprise au cours de l’année écoulée et non en fonction de la durée hebdomadaire de travail. Le « complément poste » institué par la décision n° 717 du 4 mai 1995 du président du conseil d’administration de La Poste, est appelé à rétribuer un niveau de fonction en tenant compte de la maîtrise personnelle du poste. Ces critères devant être seuls pris en considération, encourt la cassation l’arrêt qui rejette la demande d’un agent contractuel en se référant à l’ancienneté respective du fonctionnaire et de l’agent qui exercent au même niveau les mêmes fonctions. ■■TRAVAIL 253c7 Condition de désignation d’un membre du CHSCT qui ne travaille pas dans le secteur d’activité Tout salarié d’un établissement au sens de l’article L. 2327-1 du Code du travail peut être désigné membre du CHSCT 44 G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1 253n8 ■■TRAVAIL ■■TRAVAIL Cass. soc., 9 déc. 2015, no 14-10874, Mme X c/ DOTC Auvergne de La Poste, FP–PB (cassation partielle CA Riom, 19 nov. 2013), M. Frouin, prés. – SCP Boré et Salve de Bruneton, SCP Lyon253p0 Caen et Thiriez, av. 253c7 Demande en référé de nullité d’un licenciement pour harcèlement moral Encourt la cassation l’arrêt qui, pour rejeter la demande en nullité du licenciement présentée en référé par une salariée invoquant des faits de harcèlement, estime que le trouble manifestement illicite n’est pas caractérisé, alors qu’il lui appartenait de se prononcer sur la mauvaise foi de la salariée lorsqu’elle a dénoncé les faits de harcèlement moral, pour déterminer si le licenciement constituait un trouble manifestement illicite. Cass. soc., 25 nov. 2015, no 14-17551, Mme X c/ Sté Orange Caraïbe, FS–PB (cassation CA Basse-Terre, 17 mars 2014), M. Frouin, prés. – SCP Célice, Blancpain, Soltner et Texidor, SCP 253c8 Rocheteau et Uzan-Sarano, av. 253c8 ■■TRAVAIL 253c6 253p0 Désignation du délégué syndical : condition de résultat aux « élections professionnelles » Dès lors que l’organisation syndicale qui entend désigner un délégué syndical dans un établissement d’une UES, dispose de candidats ayant obtenu au moins 10% des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections professionnelles, le délégué syndical doit être choisi parmi ceux-ci conformément aux dispositions de l’alinéa 1° de l’article L. 2143-3 du Code du travail, l’alinéa 2 de ce texte ne s’appliquant que lorsque la condition prévue à l’alinéa 1° n’est pas remplie. Cass. soc., 25 nov. 2015, no 15-14061, Sté Orange et a. c/ Fédération syndicaliste des activités postales et de télécommunication Sud PTT et a., FS–PB (cassation TI Paris 7ème , 19 fév. 2015), M. Frouin, prés. – SCP Célice, Blancpain, Soltner et 253c6 Texidor, SCP Lyon-Caen et Thiriez, av. 253c6 Jur ispr ude nc e ■■TRAVAIL 22 mai 2014), M. Frouin, prés. – SCP Bouzidi et Bouhanna, SCP 253n9 Gatineau et Fattaccini, av. 253d1 Licenciement d’un pilote d’Air France : obligations de l’employeur en matière de sécurité et portée du règlement intérieur S’agissant d’un pilote d’Air France qui, en 2006, a été pris d’une crise de panique qui a donné lieu à un arrêt de travail et qui a engagé une action contre son employeur en lui reprochant d’avoir manqué à son obligation de sécurité après les attentats du 11 septembre 2001, puis a été licencié en 2011 pour ne s’être pas présenté à une visite médicale destinée à ce qu’il soit statué sur son aptitude à exercer un poste au sol, justifie légalement sa décision de débouter l’intéressé de sa demande de dommages-intérêts, pour manquement à l’obligation de sécurité, l’arrêt qui constate que l’employeur avait pris en compte les évènements violents auxquels le salarié avait été exposé, avait fait accueillir celui-ci et tout l’équipage par l’ensemble du personnel mobilisé pour assurer une présence jour et nuit et orienter les intéressés vers des consultations psychiatriques, et que l’intéressé déclaré apte en 2002 et 2005 avait exercé ses fonctions jusqu’en avril 2006 sans difficulté, les éléments produits par lui en 2008 étant dépourvus de lien avec les évènements dont il avait été le témoin, étant précisé, en effet, que l’employeur, qui justifie avoir pris toutes les mesures prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-1 du Code du travail, ne méconnait pas l’obligation légale lui imposant de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Encourt la cassation de ce chef, l’arrêt qui déboute un pilote de sa demande de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, sans répondre aux conclusions de l’intéressé qui, licencié pour ne s’être pas présenté à une visite médicale destinée à apprécier son aptitude à un poste au sol, invoquait les dispositions du règlement intérieur d’Air France, ne prévoyant la possibilité de sanctionner un salarié qu’à la suite d’une non présentation répétée à une convocation du service de médecine du travail ou d’expertise, et faisait valoir qu’aucun refus réitéré et délibéré ne pouvait être retenu contre lui. Cass. soc., 25 nov. 2015, no 14-24444, M. X c/ Sté Air France, FP–PBRI (cassation partielle CA Paris, 6 mai 2014), M. Frouin, prés. – SCP Masse-Dessen, Thouvenin et Coudray, SCP Rocheteau 253d1 et Uzan-Sarano, av. ■■TRAVAIL 253n9 Nouveau prestataire de nettoyage : conséquence de l’absence d’affectation de six mois sur le marché Le salarié d’une entreprise de nettoyage qui, au jour du changement de prestataire, ne remplit pas la condition d’affectation sur le marché d’au moins six mois prévue par l’article 7-2 de la convention collective nationale des entreprises de propreté et services associés du 26 juillet 2011, ne passe pas au service de l’entreprise entrante et l’entreprise sortante reste son employeur. Cass. soc., 10 déc. 2015, no 14-21485, Sté Entreprise Guy Challancin c/ Sté Probus et a., FS–PB (cassation partielle CA Paris, 253n9 ■■VENTE 253f7 Connaissance par l’acquéreur de la réelle superficie du bien vendu La connaissance par l’acquéreur, avant la vente, de la superficie réelle du bien ne le prive pas de son droit à la diminution du prix. Cass. 3e civ., 10 déc. 2015, no 14-13832, Sté PACA Invest c/ M. X et a., FS–PB (cassation partielle CA Aix-en-Provence, 12 nov. 2013), M. Chauvin, prés. – SCP Boré et Salve de Bruneton, SCP Garreau, Bauer-Violas et Feschotte-Desbois, SCP Jean-Philippe 253f7 Caston, SCP Nicolaý, de Lanouvelle et Hannotin, av. 253f7 ■■VENTE 253e3 Fondement exclusif de l’action en réduction du prix pour surface inexacte du bien immobilier Lorsque l’acquéreur d’un lot de copropriété agit contre le vendeur en invoquant un déficit de superficie, son action est régie exclusivement par les dispositions de l’article 46 de la loi du 10 juillet 1965. La cour d’appel, saisie de demandes en indemnisation fondées sur l’article 1604 du Code civil, en déduit exactement que ces demandes sont irrecevables. Cass. 3e civ., 26 nov. 2015, no 14-14778, FS–PB (rejet pourvoi c/ CA Montpellier, 18 avr. 2013), M. Chauvin, prés. – SCP Célice, Blancpain, Soltner et Texidor, SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, 253e3 av. 253e3 ■■VENTE 253f0 253d1 Vente d’un chiot « non conforme » L’acquéreuse d’un chiot de race bichon frisé, à usage de compagnie, invoquant un défaut de conformité constitué par une cataracte héréditaire entraînant de graves troubles de la vision, sollicite la réparation de ce défaut et l’allocation de dommages-intérêts, tandis que la vendeuse, éleveuse professionnelle, propose le remplacement de l’animal, estimant le coût de la réparation manifestement disproportionné. Le tribunal qui relève que le chien en cause est un être vivant, unique et irremplaçable, et un animal de compagnie destiné à recevoir l’affection de son maître, sans aucune vocation économique, faisant ainsi ressortir l’attachement de la demanderesse pour son chien, en déduit exactement que son remplacement est impossible, au sens de l’article L. 211-9 du Code de la consommation. Retenant ensuite que le défaut de conformité de l’animal est présumé exister au jour de sa délivrance, concomitante à la vente, sans que soit démontrée une acquisition en connaissance de cause, le tribunal considère implicitement mais nécessairement que l’éleveuse, réputée connaître le défaut de conformité du bien vendu en sa qualité de vendeur professionnel, a commis une faute. Cass. 1re civ., 9 déc. 2015, no 14-25910, F–PB (rejet pourvoi c/ TI Vannes, 28 août 2014), Mme Batut, prés. – SCP Monod, Colin et 253f0 Stoclet, SCP Yves et Blaise Capron, av. G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1 45 251s3 253f0 J u ris pr udenc e 251s5 Panorama de jurisprudence du Conseil d’État cocontractants ne pourrait pas être utilement recherchée, de mettre en cause, sur le terrain quasi-délictuel, la responsabilité des participants à une opération de construction avec lesquels il n’a pas conclu de contrat de louage d’ouvrage, mais qui sont intervenus sur le fondement d’un contrat conclu avec l’un des constructeurs. S’il peut, à ce titre, invoquer, notamment, la violation des règles de l’art ou la méconnaissance de dispositions législatives et réglementaires, il ne saurait, toutefois, se prévaloir de fautes résultant de la seule inexécution, par les personnes intéressées, de leurs propres obligations contractuelles. En outre, alors même qu’il entend se placer sur le terrain quasi-délictuel, le maître d’ouvrage ne saurait rechercher la responsabilité de participants à l’opération de construction pour des désordres apparus après la réception de l’ouvrage et qui ne sont pas de nature à compromettre la solidité de l’ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination. Par Philippe GRAVELEAU ■■CONTENTIEUX ADMINISTRATIF 252h9 Non-lieu sur une demande d’annulation d’une décision de retrait de points du permis de conduire Des conclusions tendant à l’annulation d’une décision du ministre de l’intérieur portant retrait de points d’un permis de conduire sont dépourvues d’objet si la décision par laquelle ce ministre a constaté la perte de validité de ce permis pour solde de points nul est devenue définitive. CE, 5e sous-sect., 7 déc. 2015, no 388926, Min. de l’intérieur, Mentionnée au Recueil Lebon (Annulation partielle TA Montreuil, 252h9 22 janv. 2015), L. Collet, rapp.; L. Marion, rapp. publ. 252h9 CE, 7e et 2e sous-sect., 7 déc. 2015, no 380419, Cne de Bihorel, Publiée au Recueil Lebon (Annulation partielle CAA Douai, 4 mars 252h6 2014), F. Dieu, rapp.; G. Pellissier, rapp. publ. ■■CONTENTIEUX ADMINISTRATIF 252n0 Référé provision : compétence en premier et dernier ressort des tribunaux administratifs Les ordonnances rendues par le juge des référés du tribunal administratif statuant sur une demande de provision sur le fondement de l’article R. 541-1 du code de justice administrative sont rendues en dernier ressort lorsque l’obligation dont se prévaut le requérant pour obtenir le bénéfice d’une provision se rattache à l’un des litiges énumérés aux 1° à 8° de l’article R. 811-1. Dans le cas où l’obligation se rattache à une action indemnitaire autre que celles portant sur des litiges énumérés aux 1° à 7° de l’article R. 811-1, le montant de l’obligation en cause doit être regardé comme excédant le montant déterminé par les articles R. 222-14 et R. 22215 lorsque les conclusions présentées en référé tendent au versement d’une provision d’un montant supérieur à 10 000 euros. A défaut, lorsque le montant demandé à titre de provision n’atteint pas cette somme, l’étendue de l’obligation doit être appréciée au vu de ce qui est exposé à l’appui de la demande de provision et, le cas échéant, de l’existence d’une demande corrélative d’expertise. En particulier, quand le requérant a, parallèlement à sa demande de provision, demandé qu’une expertise soit ordonnée afin de déterminer l’étendue de son préjudice, en se réservant de fixer le montant de sa demande au vu du rapport de l’expert, le montant de l’obligation dont il se prévaut pour obtenir une provision ne peut être tenu comme étant inférieur au montant fixé à l’article R. 222-14. Ainsi, dans ce dernier cas, la décision du juge des référés statuant sur la demande de provision est susceptible d’appel. CE, 2e et 7e sous-sect., 9 déc. 2015, no 391626, Cne du Cannet, Publiée au Recueil Lebon, C. Barrois de Sarigny, rapp.; X. 252n0 Domino, rapp. publ. ■■CONTRATS ET MARCHÉS PUBLICS 252h6 Responsabilité quasi-délictuelle des participants à une opération de construction Il incombe au juge administratif, lorsqu’est recherchée devant lui la responsabilité décennale des constructeurs, d’apprécier, au vu de l’argumentation que lui soumettent les parties sur ce point, si les conditions d’engagement de cette responsabilité sont ou non réunies et d’en tirer les conséquences, le cas échéant d’office, pour l’ensemble des constructeurs. Il appartient, en principe, au maître d’ouvrage qui entend obtenir la réparation des conséquences dommageables d’un vice imputable à la conception ou à l’exécution d’un ouvrage de diriger son action contre le ou les constructeurs avec lesquels il a conclu un contrat de louage d’ouvrage. Il lui est toutefois loisible, dans le cas où la responsabilité du ou des 46 G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1 251s5 NOTE cf. CE, 30 juin 1999, n° 163435, Cne de Voreppe, Gaz. Pal. Rec. 2000, somm. p. 438 252h6 ■■ORGANISATION ADMINISTRATIVE 252f8 Compétence fiscale des collectivités d’outre-mer Il appartient à une collectivité d’outre-mer régie par l’article 74 de la Constitution d’exercer pleinement la compétence que lui a conférée le législateur organique lorsque, intervenant dans un domaine réservé, en métropole, au législateur par l’article 34 de la Constitution, elle crée un régime juridique et ne diffère pas son entrée en vigueur. Il revient à cette collectivité, lorsqu’elle exerce des compétences qui relèvent, en principe, du domaine de la loi, d’assortir les éventuelles mises en cause des droits et principes constitutionnellement protégés des garanties de nature à permettre que ces mises en cause soient conformes à la Constitution. Il s’ensuit que lorsqu’elle définit, dans le cadre de ses compétences, une imposition, la collectivité d’outre-mer de Saint-Martin doit déterminer de manière complète et suffisamment précise son assiette, son taux, ainsi que ses modalités de recouvrement, lesquelles comprennent les règles régissant le contrôle, le recouvrement, les garanties et les sanctions applicables à cette imposition. CE, sect. cont., 30 nov. 2015, no 388299, Préfet délégué de SaintBarthélemy et de Saint-Martin, Publiée au Recueil Lebon, A. Iljic, 252f8 rapp.; E. Crépey, rapp. publ. NOTE cf. CE, 16 oct. 2013, n° 358701, Sté EDF, Gaz. Pal. 31 oct. 2013, p. 28, 151z8 252f8 ■■ORGANISATION ADMINISTRATIVE 252j0 252n0 Nouvelle-Calédonie : répartition des compétentes en matière de lutte contre le bruit La lutte contre le bruit et la prévention des nuisances sonores peuvent avoir notamment pour objectif le maintien de la tranquillité publique, la protection de la santé et la préservation de l’environnement. La détermination de l’autorité compétente pour édicter une réglementation dans ce domaine dépend donc de la nature de la finalité qui lui est assignée. La préservation de l’environnement ne fait pas partie des compétences que l’article 21 de la loi organique du 19 mars 1999 attribue à l’État. L’article 22 ne la mentionne pas au titre des compétences de la Nouvelle-Calédonie. Aucune disposition de la législation applicable en Nouvelle-Calédonie ne confie cette compétence aux communes. Il s’ensuit que les provinces sont compétentes pour édicter une réglementation en matière de lutte contre le bruit et de prévention des nuisances Jur ispr ude nc e sonores lorsqu’elle tend à la préservation de l’environnement. Il résulte de l’article 22 de la même loi organique que la Nouvelle-Calédonie est compétente pour édicter une réglementation en matière de lutte contre le bruit ou de prévention des nuisances sonores à des fins de protection de la santé publique. Ces compétences doivent être exercées sans préjudice du pouvoir de police générale attribué au maire par l’article L. 131-1 du code des communes de la Nouvelle-Calédonie, le haut-commissaire dans la commune de Nouméa et les commissaires délégués dans les communes de leur subdivision étant seuls chargés du maintien de l’ordre public. CE, avis, 10e et 9e sous-sect., 7 déc. 2015, no 393473, Assoc. Ensemble pour la planète, Mentionnée au Recueil Lebon, I. 252j0 Lemesle, rapp.; A. Bretonneau, rapp. publ. CE, 8e et 3e sous-sect., 9 déc. 2015, no 391961, Sté La Perla Romana, Mentionnée au Recueil Lebon (rejet pourvoi c/ TA Nice, 6 juill. 2015), K. Ciavaldini, rapp.; B. Bohnert, rapp. publ. 252n1 NOTE Comparer avec CE, 20 janv. 1992, n° 130250, Sté Jules Viaux et fils, Gaz. Pal. Rec. 1992, panor. adm. p. 113 252n1 ■■POLICE ADMINISTRATIVE 252m7 252j0 ■■PATRIMOINE PUBLIC 252h7 Atteinte au domaine public et contravention de grande voirie Il appartient aux juges du fond de rechercher, au besoin d’office, si, à la date des faits relevés à l’encontre de l’auteur d’atteintes portées au domaine public, ces atteintes étaient réprimées par une contravention de grande voirie. Ils doivent dans ce cas, avant de statuer au titre de l’action publique, également vérifier qu’à la date à laquelle ils statuent, l’atteinte portée au domaine public constitue toujours une telle contravention. La circonstance qu’à cette date, l’atteinte portée au domaine public ne soit plus réprimée par une contravention de grande voirie ne fait en revanche pas obstacle à ce qu’ils statuent sur la contravention dont ils ont été saisis au titre de l’action tendant à la réparation des dommages portés au domaine public. Il leur appartient, en outre, de rechercher, même d’office, si les faits constatés par un procès-verbal constituent une contravention à d’autres dispositions que celles expressément mentionnées dans ce procès-verbal. CE, 8e et 3e sous-sect., 7 déc. 2015, no 362766, Sté CMA CGM, Mentionnée au Recueil Lebon (Annulation CAA Douai 12 juill. 252h7 2012), E. de Moustier, rapp.; N. Escaut, rapp. publ. 252h7 ■■PATRIMOINE PUBLIC 252n1 Expulsion du domaine public d’un occupant placé en procédure de sauvegarde Si l’article L. 622-21 du code de commerce fixe le principe de la suspension ou de l’interdiction, à compter du jugement d’ouverture de la procédure de sauvegarde, de toute action en justice tendant au paiement d’une somme d’argent ou à la résolution d’un contrat pour défaut de paiement d’une somme d’argent, de la part de tous les créanciers autres que ceux détenteurs d’une créance postérieure privilégiée, il ne comporte aucune dérogation aux dispositions régissant les compétences respectives des juridictions administratives et judiciaires. Il est, en tout état de cause, sans influence sur la compétence du juge administratif pour se prononcer sur des conclusions tendant à l’expulsion d’un occupant irrégulier du domaine public, dès lors que celles-ci ne sont entachées d’aucune irrecevabilité au regard des dispositions dont l’appréciation relève de la juridiction administrative. 252m7 252j1 Gestion d’une dépendance du domaine public par un tiers Un contrat par lequel le propriétaire d’une dépendance du domaine public confie la gestion de cette dépendance à un tiers n’est pas opposable à la personne publique à qui ce bien a été loué pour y exercer une mission de service public sans que cette dernière y ait consenti. ■■PATRIMOINE PUBLIC CE, 2e et 7e sous-sect., 9 déc. 2015, no 386817, M. C., Mentionnée au Recueil Lebon, S-C. de Margerie, rapp.; X. Domino, rapp. 252m7 publ. ■■PROCÉDURE PÉNALE 252k6 CE, 8e et 3e sous-sect., 7 déc. 2015, no 375643, Société nationale immobilière, Mentionnée au Recueil Lebon, M. Herondart, rapp.; 252k6 N. Escaut, rapp. publ. Sortie du territoire d’une mineure à destination de la Syrie Les articles 371-1 et 371-3 du code civil n’imposent pas aux autorités compétentes d’instituer un dispositif général exigeant des ressortissants français mineurs d’être munis d’une autorisation de leurs parents pour quitter seuls le territoire français. Le règlement (CE) n° 562/2006 du 15 mars 2006 établissant un code communautaire relatif au régime de franchissement des frontières n’est pas méconnu par la circulaire du 20 novembre 2012 qui prescrit à ces autorités de vérifier, dans tous les cas, outre la validité du titre de voyage, que le mineur ne fait pas l’objet d’une interdiction judiciaire de sortie du territoire ou d’une opposition à sortie du territoire. Une mineure, qui était en possession d’un passeport en cours de validité et d’un billet d’avion à son nom, remplissait les conditions légales de sortie du territoire à destination de la Turquie, aux fin de rejoindre la Syrie. Les fonctionnaires en charge du contrôle des frontières ont, d’une part, vérifié la conformité du nom figurant sur la carte d’embarquement de la jeune fille avec celui figurant sur son passeport et, d’autre part, consulté le fichier national des personnes recherchées pour s’assurer qu’elle ne faisait pas l’objet d’une interdiction judiciaire de sortie du territoire ou d’une opposition à sortie du territoire. Ils n’ont commis aucune faute dans l’exécution de leur mission de surveillance de nature à engager la responsabilité de l’État 252k6 Régime applicable aux détenus particulièrement signalés : autorité compétente Le pouvoir réglementaire est compétent pour édicter le régime applicable aux détenus particulièrement signalés, qui a pour seul effet de prescrire aux personnels et autorités pénitentiaires de faire preuve d’une vigilance particulière s’agissant de certains individus. Les limites éventuellement portées aux droits des détenus par le régime ainsi défini ne peuvent cependant légalement intervenir que dans le respect des conditions définies par le législateur, notamment aux articles 22 et suivants de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009. CE, 10e et 9e sous-sect., 7 déc. 2015, no 393668, Min. de la justice, Mentionnée au Recueil Lebon (Annulation TA Lille, 7 sept. 2015), 252j1 A. Iljic, rapp.; A. Bretonneau, rapp. publ. ■■PROFESSIONS 252h4 Droits de la défense devant les juridictions ordinales Les principes généraux du droit disciplinaire impliquent que, lors de l’audience, la personne poursuivie soit mise à même de prendre la parole en dernier. CE, 4e et 5e sous-sect., 7 déc. 2015, no 376387, Mme D., Publiée au Recueil Lebon, D. Moreau, rapp.; G. Dumortier, rapp. publ. 252h4 NOTE cf. CE, 1er déc. 1993, n° 129048, Cne de Saint-Cyprien, Gaz. Pal. Rec. 1994, panor. adm. p. 91 252h4 ■■RESPONSABILITÉ PUBLIQUE 252h5 Régime d’indemnisation des victimes d’essais nucléaires Il résulte de la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 que le législateur a entendu faire bénéficier toute personne souffrant G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1 47 252j1 Jur i s p r u de nc e d’une maladie radio-induite ayant résidé ou séjourné, durant des périodes déterminées, dans des zones géographiques situées en Polynésie française et en Algérie, d’une présomption de causalité aux fins d’indemnisation du préjudice subi en raison de l’exposition aux rayonnements ionisants due aux essais nucléaires. Toutefois, cette présomption peut être renversée lorsqu’il est établi que le risque attribuable aux essais nucléaires, apprécié tant au regard de la nature de la maladie que des conditions particulières d’exposition du demandeur, est négligeable. A ce titre, l’appréciation du risque peut notamment prendre en compte le délai de latence de la maladie, le sexe du demandeur, son âge à la date du diagnostic, sa localisation géographique au moment des tirs, les fonctions qu’il exerçait effectivement, ses conditions d’affectation et, le cas échéant, les missions de son unité au moment des tirs. Le calcul de la dose reçue de rayonnements ionisants constitue l’un des éléments sur lequel l’autorité chargée d’examiner la demande peut se fonder afin d’évaluer le risque attribuable aux essais nucléaires. Si, pour ce calcul, l’autorité peut utiliser les résultats des mesures de surveillance de la contamination tant interne qu’externe des personnes exposées, il lui appartient de vérifier, avant d’utiliser ces résultats, que les mesures de surveillance de la contamination interne et externe ont, chacune, été suffisantes au regard des conditions concrètes d’exposition, et sont ainsi de nature à établir si le risque attribuable aux essais nucléaires était négligeable. En l’absence de mesures de surveillance de la contamination interne ou externe et en l’absence de données relatives au cas des personnes se trouvant dans une situation comparable à celle du demandeur du point de vue du lieu et de la date de séjour, il appartient à cette autorité de vérifier si, au regard des conditions concrètes d’exposition de l’intéressé, de telles mesures auraient été nécessaires. Si tel est le cas, l’administration ne peut être regardée comme rapportant la preuve de ce que le risque attribuable aux essais nucléaires doit être regardé comme négligeable et la présomption de causalité ne peut être renversée. CE, 7 et 2 sous-sect., 7 déc. 2015, n 378325, Mme A., Publiée au Recueil Lebon (rejet pourvoi c/ CAA Lyon, 20 févr. 2014), C. 252h5 Nicolas, rapp.; G. Pellissier, rapp. publ. e e l’opération projetée et ses modalités d’application et, d’autre part, sur le projet de licenciement collectif et, à ce titre, sur le PSE. L’employeur n’étant pas tenu de soumettre pour avis au comité d’entreprise les éléments du projet de licenciement collectif fixés par l’accord collectif majoritaire qu’il soumet à la validation de l’administration, le moyen tiré de ce que la décision validant un tel accord serait illégale en raison d’un vice affectant la consultation du comité d’entreprise sur ces mêmes éléments est inopérant. Si l’employeur était, lors des réunions du comité d’entreprise, assisté d’un collaborateur de plus que le nombre prévu par l’article L. 2325-1 du code du travail, il n’est ni établi ni même sérieusement soutenu que cette présence a pu exercer une influence sur les membres du comité d’entreprise. L’obligation faite à l’employeur d’adresser aux représentants du personnel et, le cas échéant, aux organisations syndicales, la copie des réponses qu’il fait à l’administration, ne trouve à s’appliquer que dans les cas où l’administration lui a fait des observations ou des propositions au sens l’article L. 123357-6 du même code. Des vices affectant, le cas échéant, les conditions de négociation d’un accord collectif conclu sur le fondement de l’article L. 1233-24-1 du code du travail ne sont susceptibles d’entraîner l’illégalité de l’acte validant cet accord que s’ils sont de nature à entacher ce dernier de nullité. CE, 4e et 5e sous-sect., 7 déc. 2015, no 383856, Fédération CGT des personnels du commerce, de la distribution et des services, Publiée au Recueil Lebon (Annulation CAA Versailles, 24 juin 252k8 2014), D. Moreau, rapp.; G. Dumortier, rapp. publ. NOTE cf. CE, ass. cont., 22 juill. 2015, n° 383481, Syndicat CGT de l’Union locale de Calais, Gaz. Pal. 3 sept. 2015, p. 30, 236k2 ; CE, ass. cont., 22 juill. 2015, n° 385816, Min. du travail, Gaz. Pal. 3 sept. 2015, p. 30, 236k5 252k8 ■■TRAVAIL 252k9 o 252h5 ■■TRAVAIL 252h8 Autorisation de licenciement de salariés protégés : mention des délais de recours Il résulte des articles 18 et 19 de la loi du 12 avril 2000 que les délais de recours contre une décision administrative prise en matière d’autorisation de licenciement d’un salarié protégé ne sont opposables qu’à la condition d’avoir été mentionnés, soit dans sa notification si la décision est expresse, soit dans l’accusé de réception de la demande l’ayant fait naître si elle est implicite. Il en va ainsi, y compris lorsque la décision, prise à la suite de l’exercice d’un recours hiérarchique qui n’est pas un préalable obligatoire au recours contentieux, ne se substitue pas à la décision qui a fait l’objet de ce recours. CE, 4e et 5e sous-sect., 7 déc. 2015, no 387872, M. D., Mentionnée au Recueil Lebon (Annulation CAA Douai, 11 déc. 2014), J-F. de 252h8 Montgolfier, rapp.; G. Dumortier, rapp. publ. ■■TRAVAIL 252k8 Procédure de validation d’un plan de sauvegarde de l’emploi : consultation des représentants du personnel Lorsqu’elle est saisie par l’employeur d’une demande de validation d’un accord collectif conclu sur le fondement de l’article L. 1233-24-1 du code du travail et fixant le contenu d’un PSE, il appartient à l’administration de s’assurer, sous le contrôle du juge de l’excès de pouvoir, que la procédure d’information et de consultation du comité d’entreprise prescrite par ces dispositions a été régulière. Elle ne peut ainsi légalement accorder la validation demandée que si le comité a été mis à même d’émettre régulièrement un avis, d’une part sur 48 G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1 PSE : critères d’ordre des licenciements Il résulte de l’article L. 1233-5 du code du travail, dans sa version en vigueur avant l’intervention de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015, que sauf accord collectif conclu au niveau de l’entreprise ou à un niveau plus élevé, les critères déterminant l’ordre des licenciements doivent être mis en œuvre à l’égard de l’ensemble du personnel de l’entreprise. En l’absence d’accord collectif d’entreprise ou d’accord conclu à un niveau plus élevé, un document unilatéral portant PSE élaboré par l’employeur ne pouvait prévoir la mise en œuvre des critères déterminant l’ordre des licenciements à un niveau inférieur à celui de l’entreprise. CE, 4e et 5e sous-sect., 7 déc. 2015, no 386582, Sté Mory-Ducros, Mentionnée au Recueil Lebon (rejet pourvoi c/ CAA Versailles, 22 oct. 2014), J-F. de Montgolfier, rapp.; G. Dumortier, rapp. publ. 252k9 252k9 ■■TRAVAIL 252m0 252h8 PSE : observations de l’administration sur la procédure d’information et de consultation des représentants du personnel Lorsque les observations de l’administration concernent la procédure d’information et de consultation des institutions représentatives du personnel, les suites qui leur sont données par l’employeur comme le respect par celui-ci de l’obligation d’adresser copie de sa réponse aux représentants du personnel et, le cas échéant, aux organisations syndicales, doivent être pris en compte par l’administration dans l’appréciation globale de la régularité de cette procédure d’information et de consultation. Si la méconnaissance par l’employeur de cette obligation n’est pas de nature à entraîner nécessairement l’irrégularité de la procédure d’information et de consultation, elle doit être prise en compte dans l’appréciation globale portée par l’administration sur sa régularité. CE, 4e et 5e sous-sect., 7 déc. 2015, no 381307, Me C., Mentionnée au Recueil Lebon (rejet pourvoi c/ CAA Marseille, 15 avr. 2014), P. 252m0 Pannier, rapp.; G. Dumortier, rapp. publ. 251s5 252m0 AU LIEU DE € HT 355 NOUVELLLE FORMULE Une revue Gazette Spécialisée DROIT DE LA FAMILLE Sous la responsabilité scientifique de Élodie MULON Béatrice WEISS-GOUT Avocat au barreau de Paris, associé, Mulon Associés, membre du Conseil national des barreaux, ancien membre du conseil de l’ordre Avocat au barreau de Paris, associé, BWG Associés, ancien membre du Conseil national des barreaux Doctrine ■■ Le nouvel article 267 du Code civil : une extension bienvenue des pouvoirs du juge du divorce en matière liquidative étude par Élodie Mulon51 Jurisprudence ■■ Chronique de jurisprudence de droit de la famille sous la direction d’Élodie Mulon et Béatrice Weiss-Gout avec la collaboration de Camille Anger, Arnaud Bautrait-Lotellier, Lou Ben Simon, Béatrice Bloquel, Anne-Laure Casado, Olivia Cros, Valentine Darmois, Alice Depret, Laurie Dimitrov, Bertille Ducene, Marion Galvez, Sarajoan Hamou, Delphine Hornecker, Sophie Malbaut-Manas, Héloïse Malherbe, Niamh Ní Ghairbhia, Paula Peltzman, Julie Pierrot-Blondeau, Isabelle Rein-Lescastereyres, Charlotte Robbe, Anne Sannier, Clara Schlemmer-Bégué et Stéphanie Travade-Lannoy56 G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1 49 G a ze tte Spé ci a li s é e É d itori a l Accompagner et anticiper : le crédo de l’année 2016 ! 253w2 253w2 Béatrice WEISS-GOUT Avocat au barreau de Paris, associé, BWG Associés, ancien membre du Conseil national des barreaux et Élodie MULON Avocat au barreau de Paris, associé, Mulon Associés, membre du Conseil national des barreaux, ancien membre du conseil de l’Ordre “ L’année 2016 sera celle de l’accompagnement et de l’anticipation des crises, mais également d’une nouvelle manière d’exercer et de servir les intérêts des justiciables ” L ’année 2016 commence à peine, et s’annonce pleine d’espoir pour les praticiens de la famille. L’avenir est à l’anticipation des crises familiales, qui sera justement le thème central des prochains États généraux du droit de la famille et du patrimoine qui se dérouleront les 28 et 29 janvier prochains. Cela n’est pas un hasard puisque le message doit passer auprès de tous ceux qui pratiquent la matière, et l’événement s’y prête à merveille avec ses quelques 2 000 participants. Anticiper, c’est prévoir et c’est conseiller. S’interroger sur les familles en mouvement et apporter les réponses les plus adaptées, tant sur le plan patrimonial qu’extra-patrimonial, est un défi que la profession d’avocat doit relever, avec l’aide des magistrats et des notaires. La modification de l’article 267 du Code civil participe de cette volonté d’anticipation. Le nouveau texte va permettre aux justiciables de régler plus en amont les conséquences patrimoniales de leur séparation. Certes, cela ne sera pas toujours possible, mais le mouvement est lancé. Reste à la machine judiciaire à se voir offrir les moyens d’aller jusqu’au bout de celui-ci. Ce n’est pas la seule réforme qui entre en vigueur au 1er janvier, mais audelà de celles-ci, un constat s’impose : les praticiens du droit de la famille sont fatigués des crises et la majeure partie d’entre eux ont la volonté d’être désormais des accompagnateurs, conscients que leur véritable plus-value n’est pas dans la gestion du conflit mais dans la recherche de solutions adaptées à leurs clients, à chaque fois que cela est possible. Dès lors, on ne peut que saluer la création en cours, par le Conseil national des Barreaux, d’un Centre national de la médiation qui permettra de centraliser les demandes et les besoins des justiciables en la matière et d’y apporter des réponses. De même, l’engouement que connaît enfin la procédure participative, non exclusive des autres modes de règlement amiable des différends, constitue un message clair de la profession en direction tant des pouvoirs publics que des citoyens : l’avocat du 21ème Siècle prend toute sa place dans la cité. Il n’est plus celui que l’on vient voir en fin de course pour gérer un conflit déjà trop exacerbé, à un moment où le rapport de forces devient la seule réponse possible. Non. Il est désormais celui que l’on vient voir avant même la crise, auquel on demande conseil pour l’éviter ou pour la gérer en en sortant par le haut. L’année 2016 sera donc celle de l’accompagnement et de l’anticipation des crises, mais également d’une nouvelle manière d’exercer et de servir les intérêts des justiciables. Bonne année à tous ! • 50 G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1 253w2 G a z e tte Sp é cia lisée Doctrine 253q3 FAMILLE Le nouvel article 267 du Code civil : une extension bienvenue des pouvoirs du juge du divorce en matière liquidative 253q3 L’essentiel Illustrant la volonté affirmée du législateur de voir la liquidation-partage réglée au stade de la procédure de divorce, la récente ordonnance du 15 octobre dernier portant simplification et modernisation du droit de la famille est venue modifier l’article 267 du Code civil dans le sens d’une augmentation des pouvoirs du juge du divorce en matière liquidative, ce dernier pouvant désormais statuer sur la liquidation et le partage. Néanmoins ce nouvel article 267 laisse en suspens certaines questions, et non des moindres… L Étude par Élodie MULON Avocat au barreau de Paris, associé, Mulon Associés, membre du Conseil national des barreaux, ancien membre du conseil de l’Ordre ’ordonnance n° 2015-1288 du 15 octobre 2015 portant simplification et modernisation du droit de la famille vient étendre de manière significative les pouvoirs du juge du divorce en matière de liquidation. En effet, le titre 1er modifie, en son article 1er, les dispositions de l’article 267 du Code civil et abroge l’article 267-1 du même code. I. L’ACTUEL ARTICLE 267 DU CODE CIVIL Les pouvoirs du juge. Actuellement, le juge aux affaires familiales, aux termes de l’article 267 du Code civil, n’a pas le pouvoir de liquider le régime matrimonial des époux. Il est contraint d’ordonner la liquidation et le partage de leurs intérêts patrimoniaux, sauf à homologuer l’accord des époux qui aurait été trouvé en application de l’article 265-2 du même code (homologation alors demandée sur le fondement de l’article 268 qui prévoit cette possibilité pour tout accord portant sur les effets du divorce). Le JAF peut seulement statuer sur les demandes, limitées par le texte, que formeraient les époux (maintien dans l’indivision, attribution préférentielle, avance sur la liquidation du régime matrimonial). La possibilité dont le juge dispose, sur le fondement de ce même texte, de statuer, à la demande des époux, sur les désaccords persistants – possibilité qui suppose, comme double condition préalable, qu’un notaire ait été désigné sur le fondement de l’article 255-10 et que le rapport établi par ce dernier contienne des informations suffisantes –, ne le dispense pas d’ordonner la liquidation et le partage des intérêts patrimoniaux. Ainsi, s’il fixe dans ce cadre le principe d’une récompense ou créance, celle-ci ne sera liquidée qu’au cours des opérations de liquidation et partage. L’article 267-1, pour sa part, renvoie actuellement les époux aux dispositions du Code de procédure civile, soit aux articles 1358 et suivants dudit code pour les opérations de liquidation et de partage des intérêts patrimoniaux. Les limites du droit actuel. Les praticiens du divorce mesurent bien la difficulté des limites actuelles du pouvoir du juge du divorce en matière liquidative. Ainsi, il est difficile pour le juge de fixer en toute connaissance de cause le montant de la prestation compensatoire, dès lors que les droits définitifs des époux ne sont souvent connus qu’à l’issue des opérations de liquidation et de partage et que le montant exact de leurs patrimoines respectifs ne l’est pas non plus, ce qui rend assez aléatoire (sauf en cas de liquidations simples ou d’absence de patrimoine à partager) l’appréciation de la disparité qui va naître de la dissolution du mariage. De plus, les opérations de liquidation et de partage, une fois le divorce prononcé, peuvent prendre des années, laissant les ex-époux en indivision ou dans l’attente d’un patrimoine souvent gelé pendant cette période, sans compter la complexité des comptes qui doivent être faits entre les ex-époux, laquelle va croissante au fil des années. Certes, il est possible d’objecter que lier la procédure de divorce à la liquidation du régime matrimonial risque d’augmenter encore la durée des procédures de divorce. C’est oublier que, dans la majeure partie des cas, la procédure de divorce est allongée en raison des opérations d’expertise, ordonnées sur le fondement des articles 255-9 et 225-10 du Code civil, qui prennent plusieurs mois (voire des années), sans pour autant, en l’état, permettre au juge du divorce de liquider, au moment du prononcé du divorce, le régime matrimonial des époux. De plus, les opérations de liquidation et partage prennent souvent des années, non pas parce que le Code de procédure civile impose de tels délais, mais parce que les acteurs de la procédure prennent ce temps, à commencer par les époux qui, une fois divorcés, ne ressentent pas la même urgence à liquider leur régime. Cela peut être vrai parfois pour l’un des deux seulement, qui voit dans la durée de la procédure le moyen de nuire à l’autre. Enfermer les opérations de liquidation dans des délais plus courts, les lier au prononcé du divorce peut être un moyen efficace de contraindre chacun à accélérer le traitement de la séparation sous tous ses aspects. G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1 51 G a ze tte Spé ci a li s é e Doc tri ne II. LE NOUVEL ARTICLE 267 DU CODE CIVIL Sa teneur. Le nouvel article 267 prévoit désormais, en son alinéa 1er, que le juge aux affaires familiales « statue » sur les demandes des époux de maintien dans l’indivision, d’attribution préférentielle et d’avance sur part de communauté ou de biens indivis, sauf si les époux ont réglé conventionnellement leur liquidation. Le juge « statue » également, aux termes de son alinéa 2, « sur les demandes de liquidation et de partage des intérêts patrimoniaux, dans les conditions fixées aux articles 1361 à 1378 du code de procédure civile, s’il est justifié par tous moyens des désaccords subsistant entre les parties, notamment en produisant : - une déclaration commune d’acceptation d’un partage judiciaire, indiquant les points de désaccord entre les époux ; - le projet établi par le notaire désigné sur le fondement du 10° de l’article 255 ». L’alinéa 3 prévoit in fine que le juge « peut, même d’office, statuer sur la détermination du régime matrimonial applicable aux époux ». Ce nouvel article est entré en vigueur le 1er janvier 2016 et s’applique à toutes les procédures de divorce pour lesquelles l’assignation n’a pas encore été délivrée. “ Les pouvoirs du juge du divorce en matière liquidative sont augmentés puisqu’il peut désormais statuer sur la liquidation et le partage ” Une extension bienvenue. Les pouvoirs du juge du divorce en matière liquidative sont ainsi augmentés puisqu’il peut désormais statuer sur la liquidation et le partage. Le texte ne prévoit plus que le juge renvoie les parties à la liquidation et au partage de leurs intérêts patrimoniaux à défaut d’accord. Il prévoit, seulement dans cette hypothèse, les conditions dans lesquelles il peut statuer sur cette liquidation et ce partage au stade du divorce. Cette omission est sans importance puisque les articles 1136-1 et 1136-2 du Code de procédure civile renvoient les époux aux règles du partage telles qu’elles sont organisées par les articles 1358 à 1378 du même code. Les parties, une fois divorcées, n’ont donc pas besoin de l’autorisation du juge du divorce pour engager les opérations de liquidation et de partage, à défaut de règlement au stade du divorce. On peut cependant s’interroger à cet égard sur le sort que la jurisprudence va réserver à ce silence de la loi puisque la Haute juridiction semblait déjà trouver insuffisant que le juge du divorce puisse seulement renvoyer les parties à la liquidation et au partage, et lui faisait plutôt obligation – même si les juges du fond n’ont pas tous eu la même lecture de cette jurisprudence… –, sur le fondement combiné des articles 267 alinéa 1 du Code civil et 1361 alinéa 2 du Code de procédure civile, de désigner un notaire, désignation qui n’était pourtant prévue par aucun texte au stade du divorce (Cass. 1re civ., 4 mars 2015, n° 13-19847 ; Cass. 1re civ., 12 avr. 2012, n° 11-20195 ; Cass. 1re civ., 7 nov. 2012, n° 12-17394 ; Cass. 1re civ., 12 juin 2013, n° 12-18211 ; Cass. 1re civ., 11 sept. 2013, n° 12-18512 ; 52 G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1 Cass. 1re civ., 14 mai 2014, n° 12-29205) et que ne prévoyait pas non plus la circulaire ministérielle n° CIV/10/10 du 16 juin 2010. Il eut donc peut-être été préférable, afin d’éviter une nouvelle distorsion entre les textes et la jurisprudence, de prévoir qu’à défaut d’avoir statué sur la liquidation et le partage, le juge l’ordonne en renvoyant aux règles de procédure civile en la matière, avec la possibilité de désigner, le cas échéant, un notaire. S’il est vrai que cette désignation peut avoir pour effet de faire échapper les parties à la phase de partage amiable, elle a le mérite considérable d’accélérer la procédure de liquidation qui intervient souvent après une procédure de divorce déjà longue. Nous pouvons interpréter cette omission du législateur comme la volonté affirmée de voir la liquidation-partage réglée au stade de la procédure de divorce, laissant à leur triste sort les époux qui préfèrent s’engager dans un long combat pour régler leurs intérêts patrimoniaux. Des questions en suspens… Cependant, le nouvel article 267 laisse en suspens quelques questions, et non des moindres. La liste n’en est pas exhaustive et s’allongera certainement au fil de la pratique… D’abord, le texte semble faire obligation au juge de statuer sur les demandes de liquidation et de partage des intérêts patrimoniaux des époux dès lors qu’il est justifié par tous moyens des désaccords subsistant entre les parties. En effet, contrairement à l’alinéa 3 qui offre au juge la faculté de statuer (« il peut, même d’office, statuer (…) ») sur le régime matrimonial des époux, les alinéas 1 et 2 ne donnent pas au juge une telle marge de manœuvre (« le juge statue » ; « il statue »). Pour autant, les juges du fond vont-ils faire la même exégèse et s’estimer tenus par la demande des parties dès lors que l’existence de désaccords sera établie ? Ensuite, les parties peuvent justifier de ces désaccords en produisant « notamment » soit une déclaration commune d’acceptation du partage qui porte la liste de ceux-ci, soit le projet établi par le notaire désigné sur le fondement de l’article 255, 10° du Code civil. Si la production du rapport notarié ne pose pas de difficulté en pratique, qu’en sera-t-il en revanche de celle de la déclaration d’acceptation commune ? Une seule des parties peut-elle la produire à l’appui de son assignation ou de ses conclusions ultérieures ou la déclaration doit-elle être annexée à une requête introductive conjointe ou à des conclusions concordantes ? Il va de soi que contraindre les parties à procéder par voie d’écritures conjointes serait de nature à les décourager d’avoir recours à cette déclaration, dans laquelle le seul point d’accord réside a priori dans l’acceptation du partage judiciaire à ce stade (ce qui n’est déjà pas si mal…). Le terme « notamment » susvisé signifie que la liste des désaccords n’est pas exhaustive. Les parties, ou l’une d’elles, peuvent donc demander au juge du divorce de statuer sur la liquidation et le partage, dès lors que sera apportée la preuve des désaccords qui subsistent entre elles. Cette preuve peut être apportée par « tous moyens ». Quelles possibilités sont ainsi offertes aux parties ? Suffira-t-il pour une partie de revendiquer des créances ou des récompenses et d’attendre la réaction de l’autre pour que le juge du divorce soit saisi de cette difficulté ? Suffirat-il de sommer l’autre époux d’avoir à répondre sur telle G a z e tte Sp é cia lisée Doctrine ou telle difficulté ou de produire des attestations faisant état des désaccords ? La proposition de règlement des intérêts pécuniaires des époux, prévue aux articles 257-2 du Code civil et 1115 du Code de procédure civile, peut-elle servir à rapporter la preuve du désaccord alors qu’il n’est pas fait obligation au défendeur de procéder de même ? Elle ne constitue pas en outre une prétention au sens de l’article 4 du Code de procédure civile. Quid, à cet égard, des points de désaccords entre les époux, qu’ils soient listés dans la déclaration d’acceptation, dans le projet du notaire ou ailleurs ? Dès lors que le juge va avoir à statuer sur la liquidation et le partage des intérêts patrimoniaux entre les époux au vu des désaccords qui subsistent entre eux, il va devoir être saisi de demandes. De la même manière qu’il l’est d’ailleurs aujourd’hui lorsqu’il lui est demandé de statuer sur les désaccords persistants sur le fondement de l’actuel article 267. Comment va-t-on passer de la liste des désaccords, sorte de sésame, à celle des demandes ? Dans certains cas, les parties semblent pouvoir se contenter, dans un premier temps, d’un simple exposé des difficultés liées à la liquidation et au partage de leurs intérêts patrimoniaux, exposé fait dans le cadre de la proposition de règlement des intérêts pécuniaires ou de la déclaration d’acceptation, pour ensuite former les demandes de liquidation et de partage au vu des désaccords qui existeront entre eux, la preuve en étant rapportée par leurs exposés réciproques. En revanche, lorsqu’un notaire aura été désigné sur le fondement de l’article 255, 10° du Code civil, la liste des désaccords sera établie à l’issue des opérations d’expertise au cours desquelles les parties se seront expliquées sur leurs différentes revendications liquidatives, comme cela se passe aujourd’hui (tout au moins en principe…). Ne serait-il pas plus simple de parvenir à un régime uniforme ? Le rapport notarié établi sur le fondement de l’article 255, 10° va s’avérer particulièrement utile dans bien des cas et de nature à faciliter le travail du juge, même si ce dernier est le seul à pouvoir trancher les difficultés, comme le rappelle souvent la jurisprudence. La désignation d’un notaire sera donc sans doute plus fréquemment demandée. En effet, supporter, comme actuellement, les délais d’une expertise ou régler des droits de partage pour un projet d’état liquidatif dont il n’est pas toujours fait usage est tout à fait différent que de supporter ces mêmes délais (qui peuvent être raccourcis en pratique…) ou de régler des droits pour un projet qui va permettre à l’une des parties, sans la condition des « informations suffisantes », de solliciter qu’il soit statué sur la liquidation et le partage. Cependant – et c’est là une des autres questions que pose le texte –, le juge ne pouvait, en l’état et sur le fondement des articles 255-10 et 267 combinés, statuer que sur les désaccords persistant entre les parties, dans les conditions déjà rappelées. Il ne statuait pas sur la liquidation et le partage des intérêts patrimoniaux des époux. Or, le nouvel article 267 lui demande de statuer sur les demandes formées à cet égard dès lors que les parties justifient de désaccords subsistant entre elles. La mission du juge ne semble donc pas se limiter à trancher ces désaccords mais lui permet de juger les difficultés qui lui sont soumises par les époux concernant la liquidation de leur régime matrimonial. Mais est-ce si certain ? “ Le juge pourra-t-il être saisi d’autres demandes que celles naissant des « désaccords subsistants » dont il aura été justifié ab initio par les époux ? ” Ne peut-on considérer que les demandes visées à l’alinéa 2 de l’article 267 sont seulement celles issues des désaccords dont les parties auront justifié ab initio, ou s’agit-il, plus généralement, de toutes demandes des parties portant sur la liquidation et le partage de leurs intérêts patrimoniaux ? La question peut sembler absurde puisque l’on peut estimer que, par définition, les époux demandent au juge de trancher leurs désaccords dans la liquidation de leur régime matrimonial, et que l’on voit mal la distinction qui devrait être faite entre « demandes » et « désaccords subsistants ». Pour autant, cela n’est pas toujours si simple en pratique et nous le constatons avec les désaccords persistants de l’actuel article 267. Ainsi, les époux ont pu faire valoir devant le notaire un certain nombre de difficultés qui deviendront, à défaut d’accord entre eux, les désaccords persistants dont sera saisi le juge. Or, il peut arriver que d’autres difficultés liquidatives surgissent ensuite, soit qu’elles aient été oubliées devant le notaire, soit qu’elles surviennent postérieurement à propos des comptes d’administration. À l’heure actuelle, le juge du divorce ne peut en être saisi. Qu’en sera-t-il sous l’empire du nouveau texte ? Le juge pourra-t-il être saisi d’autres demandes que celles naissant des « désaccords subsistants » dont il aura été justifié ab initio par les époux, notamment par la production de la déclaration commune ou du rapport du notaire ? Nous pensons qu’il pourra l’être car le texte ne limite la présentation des désaccords ni à un moment précis de la procédure ni à un formalisme défini, ce qui doit permettre aux parties de former leurs demandes – sous réserve des règles de procédure évidemment – à tout moment de la procédure dès lors qu’elles justifient d’un nouveau désaccord. La possibilité de statuer sur la détermination du régime matrimonial. La possibilité donnée au juge de statuer, même d’office, sur la détermination du régime matrimonial applicable aux époux constitue une formalisation bienvenue de la jurisprudence (Cass. 1re civ., 21 oct. 2015, n° 14-23302 ; Cass. 1re civ., 20 mars 2013, n° 11-27845). La difficulté qui peut être liée à la détermination du régime matrimonial applicable – difficulté qui existe essentiellement dans les mariages bi-nationaux – est le pendant naturel du pouvoir donné au juge de statuer, sous certaines conditions, sur la liquidation du régime matrimonial au jour du prononcé du divorce, ce qui serait bien évidemment impossible en cas de doute sur la nature de ce régime. La détermination du régime matrimonial constitue également un élément essentiel pour fixer la prestation compensatoire car, même dans les hypothèses où la liquidation n’intervient pas au stade du divorce, la disparité entre les époux est évidemment différente selon le régime choisi. G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1 53 G a ze tte Spé ci a li s é e Doc tri ne Cette faculté du juge est en outre un préalable indispensable pour trancher les demandes d’attribution préférentielle, de maintien dans l’indivision ou d’avance sur la liquidation du régime matrimonial. Pour conclure, le nouvel article 267 du Code civil est un texte bienvenu qui devrait permettre, dans bien des cas, de régler enfin dans une seule et même décision le divorce et la liquidation-partage des intérêts patrimoniaux des époux. Pour autant, cette faculté offerte aux parties et au juge du divorce doit s’accompagner d’un changement de culture et d’organisation de la part des praticiens du divorce qui doivent s’emparer de ce nouveau texte. Les juges aux affaires familiales vont désormais devoir être magistrats liquidateurs à part entière. Or, en pratique, on constate que, très souvent, cet office est réservé à seulement certains d’entre eux, ce qui, du reste, est tout à fait compréhensible lorsque l’on voit la charge de travail qui est la leur du fait des réformes intervenues ces dernières années sans que les moyens mis à leur disposition n’aient suivi. Dès lors, les demandes qui seront formées sur le fondement du nouvel article 267 risquent de recevoir un accueil différent selon le juge aux affaires familiales saisi, cette jurisprudence à géométrie variable étant permise par les questions qui restent en suspens. Nous attendons dès lors avec impatience le décret d’application de ce texte (peut-être déjà paru au moment où nous publions le présent article…), dont nous espérons qu’il éclaircira certains points, tout comme la circulaire qui suivra et qui sera sans doute un guide utile pour tous les praticiens du divorce. Restera ensuite à voir ce que la jurisprudence fera de ce texte qui offre enfin aux justiciables une vraie opportunité, tant en termes de durée de la procédure que de coût de celle-ci. 253q3 54 G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1 G a ze tte Spé ci a li s é e Jurisp rud e n ce 251u2 Chronique de jurisprudence de droit de la famille Sous la direction de Élodie MULON Avocat au barreau de Paris, associé, Mulon Associés, membre du Conseil national des barreaux, ancien membre du conseil de l’Ordre et Béatrice WEISS-GOUT Avocat au barreau de Paris, associé, BWG Associés, ancien membre du Conseil national des barreaux L’essentiel En matière de régimes matrimoniaux, la 1re chambre civile de la Cour de Cassation rappelle les conditions d’évaluation des récompenses. Elle indique également les conditions de la renonciation à se prévaloir d’une clause d’emploi. En matière de divorce, la même chambre précise que le juge du divorce peut se prononcer sur le régime matrimonial et rappelle les conditions de révocation des donations entre époux. Elle précise également que l’abandon par un époux de ses droits dans la communauté en exécution de la prestation compensatoire (PC) ne constitue pas un partage inégal. Elle opère en outre des rappels s’agissant des conditions de révision de la PC versée sous forme de rente viagère, et du fait que la PC n’a pas pour objet de corriger le choix d’un régime matrimonial. Elle clarifie par ailleurs les conséquences de la transcription du jugement de divorce sur le domicile conjugal loué. Une précision intéressante est aussi apportée sur la date d’introduction de l’instance en divorce. Sur le plan international, la CJUE précise les conditions de litispendance dans le cadre d’une procédure de divorce. En matière de minorité, la 1re chambre civile rappelle les conditions de fixation et de modification de la résidence des enfants, le caractère fondamental de l’intérêt supérieur de l’enfant ainsi que les règles du rattachement fiscal des enfants. La CJUE apporte des précisions sur l’application du Règlement Bruxelles II bis aux obligations alimentaires et sur la notion de responsabilité parentale au sens dudit règlement. En matière de filiation, la Cour de cassation se prononce sur la loi allemande qui prévoit l’imprescriptibilité de l’action en recherche de paternité. Par ailleurs, la cour d’appel de Rennes montre à deux occasions sa résistance aux arrêts rendus par la CJUE en matière de GPA. En matière d’incapacités, la 1re chambre civile rappelle les conditions d’exercice de l’action en nullité pour insanité d’esprit et les obligations du tuteur. En matière de successions, la même chambre clarifie la combinaison entre l’usufruit du conjoint survivant et celui sur les droits d’exploitation. Les conditions du recel successoral sont également rappelées, ainsi que le mécanisme du droit de retour conventionnel. Enfin la CJUE précise que la procédure de contrôle du partage successoral conclu pour le compte d’enfants mineurs relève du champ d’application du Règlement Bruxelles II bis. PLAN I. R ÉGIMES MATRIMONIAUX........................ p. 57 A. R égime primaire impératif................ (néant) B. Changement de régime matrimonial....................................... (néant) C. Communautés....................................... p. 57 D. Séparation de biens............................... p. 59 E. Avantages matrimoniaux................... (néant) F. Partage.................................................. p. 60 G. Procédure.......................................... (néant) II. DIVORCE................................................... p. 61 A. N ullité du mariage............................. (néant) B. Prononcé du divorce.......................... (néant) C. Mesures provisoires.......................... (néant) D. Date et effets du divorce....................... p. 61 E. Prestation compensatoire..................... p. 62 F. Divorce et liquidation............................. p. 63 G. Divorce et questions procédurales....... p. 67 H. Divorce et droit international privé....... p. 68 56 251u2 G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1 III. CONCUBINAGE................................... (néant) IV. MINORITÉ................................................ p. 70 A. Autorité parentale................................. p. 70 B. Résidence de l’enfant............................ p. 73 C. A udition de l’enfant........................... (néant) D. Assistance éducative......................... (néant) E. M inorité et procédure........................ (néant) F. M inorité et droit international privé...... p. 74 V. FILIATION................................................. p. 76 VI. OBLIGATIONS ALIMENTAIRES........... (néant) VII. INCAPACITÉS......................................... p. 80 VIII. SUCCESSIONS ET LIBÉRALITÉS.......... p. 84 IX. D ROIT PÉNAL DE LA FAMILLE........... (néant) X. É TAT DES PERSONNES........................... p. 89 A. Nom et prénom...................................... p. 89 B. Sexe....................................................... p. 91 G a z e tte Sp é cia lisée J u r i s p r u de n c e I. RÉGIMES MATRIMONIAUX (...) C. Communautés Rappels sur l’évaluation et le calcul des récompenses 253r0 1 L’essentiel Pour renvoyer les parties devant notaire pour établissement d’un acte de liquidation-partage conforme à l’acte du 24 août 2007, l’arrêt énonce que ledit acte indique que la récompense est fondée sur l’encaissement par la communauté de fonds propres de M. X et calculée en fonction du montant de la somme encaissée, que ce n’est que dans le développement suivant, qui permet de connaître l’utilisation de ces fonds par la communauté, que sont mentionnées diverses opérations financières et immobilières dont l’acquisition est antérieure à la vente des vignes, et qu’il est dès lors sans intérêt de savoir si l’argent en question a servi à renflouer les comptes bancaires communs épuisés par l’acquisition immobilière ou à restaurer la maison ainsi acquise ou à la peindre, ni même sans intérêt de savoir à quoi il a servi, les deux époux s’étant mis d’accord par compromis sur le fait que la somme litigieuse avait bien été encaissée par la communauté ; qu’en statuant ainsi par des motifs inopérants, alors que la destination des fonds propres de M. X avait une incidence sur l’évaluation de la récompense due par la communauté à la suite de leur encaissement, la cour d’appel a violé l’article 1469 du Code civil. Cass. 1re civ., 10 juin 2015, no 14-15608, Mme Y c/ M. X, D (cassation CA Bordeaux, 11 févr. 2014), Mme Batut, prés. ; SCP Lyon-Caen et Thiriez, av. C et arrêt permet de rappeler que la méthode de Olivia CROS calcul d’une récompense Avocat au barreau de dépend de la destination Paris, Mulon Associés des fonds propres suite à leur encaissement par la communauté. L’arrêt semble également admettre la possibilité, pour les parties, de revenir sur un accord trouvé dans le cadre de la liquidation, ce qui contreviendrait à la tendance actuelle consistant à favoriser les accords. Or, il n’en est rien. Note par En l’espèce, le juge de la conciliation avait mandaté un notaire pour « établir un projet de liquidation de la communauté » sur le fondement de l’article 255, 10° du Code civil. Les parties, à partir de ce projet d’acte, avaient signé un compromis chez le notaire dans lequel figurait une récompense chiffrée due à l’époux qui avait investi dans la communauté des fonds propres issus de la vente d’un bien immobilier. Les époux s’étaient mis d’accord pour que la récompense due au mari soit calculée selon « le montant de la somme encaissée », alors pourtant qu’il était évoqué dans l’acte des dépenses de travaux et d’acquisition. Le juge du divorce avait ordonné la liquidation des intérêts pécuniaires des époux et désigné un notaire pour établir l’acte de partage définitif. Or, celui-ci n’est jamais intervenu. Bien que le projet d’acte de partage n’ait jamais été homologué ni par un juge, ni par un notaire, les époux avaient tout de même exécuté les modalités dont ils étaient convenus. Le juge du divorce avait par ailleurs fixé le montant de la prestation compensatoire due à l’épouse en tenant compte du fait que « chacun des époux bénéficie d’ores et déjà, au titre de la vente de l’immeuble de communauté, de la remise de fonds substantiels soit (…) 325 714,55 € pour Monsieur M. bénéficiaire d’un droit à récompense » (1). Dans le cadre de la liquidation, l’épouse a contesté l’existence de cette récompense, car les sommes litigieuses avaient en réalité été encaissées par la communauté une année après l’acquisition du bien commun. La cour d’appel avait privilégié l’accord des parties, qui avaient tous deux signé l’acte sous seing privé avec la mention « bon pour accord et bon pour partage » et avait relevé qu’il était dès lors « sans intérêt de savoir si l’argent en question, provenant de la vente d’un bien propre du mari et encaissé par la communauté, a servi à renflouer les comptes bancaires communs épuisés par l’achat de 2004 ou à restaurer la maison ainsi acquise, ou à la peindre, ni même sans intérêt de savoir à quoi il a servi, les deux époux s’étant mis d’accord par compromis sur le fait que la somme en question avait bien été encaissée par la communauté ». Or, la Cour de cassation, sans remettre en cause le principe de la récompense, rejette néanmoins cette analyse aux motifs que « la destination des fonds propres de Monsieur M. avait une incidence sur l’évaluation de la récompense due par la communauté à la suite de leur encaissement », revenant sur les modalités de calcul de celle-ci. Ces modalités prévues à l’article 1469 du Code civil vont de la prise en compte de la « dépense faite » à celle du « profit subsistant ». Le profit subsistant, défini par la Cour de cassation comme « l’avantage réellement procuré au patrimoine emprunteur » (2) doit, selon ce texte, être préféré à la dépense faite toutes les fois que « la valeur empruntée a servi à acquérir, à conserver ou à améliorer un bien qui se retrouve, au jour de la liquidation de la communauté, dans le patrimoine emprunteur ». En l’espèce, les juges du fond devront donc rechercher quelle a été la destination des fonds pour procéder au calcul de la récompense due. À première lecture, cet arrêt interroge sur la possibilité qu’ont les parties et le juge de revenir sur un accord qui avait initialement dérogé aux règles de droit en vigueur. En principe, les règles relatives au fondement et au calcul des récompenses ne sont pas considérées comme d’ordre public et « les dispositions de l’article 1469 qui fixent le mode de calcul des récompenses s’imposent, lorsqu’elles n’ont pas été écartées par le contrat de mariage ou par (1) CA Bordeaux 24 mars 2009, n° 08/03054. (2) Cass. 1re civ., 6 nov. 1984, n° 83-15231. G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1 57 G a ze tte Spé ci a li s é e Jurisp rud e n ce une convention passée pendant l’instance en divorce ou postérieurement à la dissolution de la communauté » (3). Les époux ont donc la possibilité de renoncer à faire valoir une récompense (4) ou bien de déroger à son mode de calcul (5), soit dans une clause du contrat de mariage, soit dans une convention de liquidation anticipée, sur le fondement des articles 265-2 et 1451 du Code civil, ou encore après le prononcé du divorce. Ainsi, l’acte en question n’étant qu’un projet, il n’entre pas dans le champ d’application de l’article 265-2 du Code civil, notamment parce qu’il portait sur des biens immobiliers au jour où il a été signé et qu’il aurait dû faire l’objet d’un acte notarié. Cela explique pourquoi la Cour de cassation ne tient pas compte de l’accord des parties concernant le calcul de la récompense et renvoie aux règles de calcul légales, ce qui ne surprend guère. La cour d’appel, qui intervenait en tant que juge liquidateur, déduisant de l’acte qu’il s’agissait d’un « projet d’acte de liquidation-partage soumis à la condition suspensive du divorce », avait donc décidé que cet acte constituait un « compromis de partage » et avait renvoyé les parties devant leur « notaire liquidateur pour établissement d’un acte de liquidation-partage conforme à ce compromis ». Au-delà du rappel sur le calcul des récompenses, cet arrêt met en lumière la nécessité de faire homologuer les éventuels accords entre les époux, dans le respect des modalités des articles 265-2 ou 268 du Code civil, dès qu’ils ont été trouvés car, à défaut, les parties risquent, postérieurement au divorce, de revenir sur ceux-ci. (3) Cass. 1re civ., 28 juin 1983, n° 82-12926 : Defrénois 1984, p. 345, note G. Morin ; D. 1984, p. 254 ; JCP 1985, II, 20330, note J.-F. Pillebout. (4) Cass. civ., 24 janv. 1894 : DP 1894, I, p. 337, note Planiol – Cass. 1re civ., 8 déc. 1982, n° 81-14093. (5) Cass. 1re civ., 8 déc. 1982, n° 81/10093, préc. – Cass. 1re civ., 28 juin 1983, n° 82-12926, préc. La renonciation non équivoque à se prévaloir d’une clause d’emploi 253p7 1 L’essentiel La renonciation à un droit peut être tacite dès lors que les circonstances établissent, de façon non équivoque, la volonté de renoncer. La cour d’appel a rappelé que, pour apprécier la prestation compensatoire, l’époux avait soutenu que le bien litigieux constituait un bien commun, ce dont le juge du divorce avait tenu compte. Ces énonciations caractérisent une renonciation non équivoque de l’époux à se prévaloir du caractère propre de ce bien lors de la liquidation du régime matrimonial. Cass. 1re civ., 23 sept. 2015, no 14-20168, M. Y c/ Mme X, PB (rejet pourvoi c/ CA Aix-en-Provence, 16 mai 2013), Mme Batut, prés. ; SCP Foussard et Froger, av. Note par Anne-Laure CASADO Avocat au barreau de Paris, associé, Mulon Associés P ar cet arrêt, la Cour de cassation illustre une nouvelle fois sa jurisprudence quant aux conditions de la révocation non équivoque à un droit. En l’espèce, durant le mariage, l’époux a acquis un bien au moyen de fonds propres ; la double déclaration d’emploi exigée par l’article 1434 du Code civil est stipulée dans l’acte d’acquisition. Dans le cadre de la procédure de divorce, l’époux inclut ce bien dans le patrimoine commun ; dès lors le magistrat en tint compte pour fixer la prestation compensatoire. Cependant, dans le cadre de la liquidation du régime matrimonial, l’époux tente de qualifier ce bien de propre. La cour d’appel refuse de considérer le bien litigieux comme propre et procède à une double analyse : le bien sera commun dans les rapports entre les époux, et propre à l’égard des tiers. 58 G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1 La Cour de cassation rejette le pourvoi formé par l’époux ; pour autant elle ne reprend pas la dichotomie de la cour d’appel. Elle rappelle que la renonciation à un droit peut être tacite si elle est non équivoque au vu des circonstances. Elle précise qu’il a été retenu, pour l’appréciation de la prestation compensatoire, que ledit bien était commun et que les énonciations de l’époux dans le cadre de la procédure de divorce caractérisaient une renonciation non équivoque à son droit de se prévaloir de la déclaration d’emploi lors de la liquidation. L’analyse des juges d’appel repose sur une confusion entre la déclaration d’emploi initiale et la déclaration d’emploi a posteriori. En effet, l’article 1434 du Code civil ne distingue pas la nature du bien dans les rapports entre époux et dans les rapports à l’égard des tiers en présence d’une clause d’emploi. Cette distinction ne s’opère qu’en présence d’un emploi a posteriori, ce qui n’est pas le cas en l’espèce. Par cette décision, la haute juridiction rappelle sa jurisprudence traditionnelle quant aux conditions de la renonciation à un droit (1), à savoir que celle-ci doit être certaine, expresse et non équivoque, c’est-à-dire que les circonstances doivent établir clairement que la personne a eu la volonté de renoncer à un droit. Une telle renonciation ne peut pas se présumer (2). Ainsi, en considérant le bien comme commun dans le cadre de la procédure de divorce, l’époux avait expressément renoncé à se prévaloir de la déclaration d’emploi et de son caractère propre dans le cadre de la liquidation du régime matrimonial. (1) Cass. 3e civ., 30 sept. 2015, n° 14-22943 – Cass. 3e civ., 29 sept. 2015, n° 14-16486 – Cass. 3e civ., 25 mars 2015, n° 14-11978 – Cass. 3e civ., 18 janv. 2012, n° 11-10389. (2) Cass. 2e civ., 10 mars 2008, n° 03-11302. G a z e tte Sp é cia lisée J u r i s p r u de n c e Cette position doit être saluée puisqu’elle permet d’éviter les situations où l’un des époux a tout intérêt, afin de limiter le montant de la prestation compensatoire, à augmenter le patrimoine commun en minimisant son patrimoine propre. En appliquant les conditions de la renonciation, il ne pourra pas réclamer la nature propre du bien dans la liquidation, mais uniquement un droit à récompense. article 267 du Code civil permettra au juge du divorce, à partir du 1er janvier 2016, de liquider sous certaines conditions le régime matrimonial des époux. Ainsi, la qualification des biens, tout comme le fait de renoncer ou non à une déclaration d’emploi, pourront être traités en parallèle de la prestation compensatoire, permettant au juge du divorce de connaître l’exacte situation patrimoniale des époux lors de la fixation de la prestation compensatoire. Au vu de l’ordonnance du 15 octobre 2015 portant simplification et modernisation du droit de la famille, le nouvel D. Séparation de biens Créances entre époux séparés de biens : quel point de départ des intérêts ? 253t0 1 L’essentiel Les intérêts d’une créance entre époux mariés sous le régime de la séparation de biens, due par l’un au titre du financement par l’autre d’un bien, courent, lorsque ce bien a été aliéné en cours d’union, à compter de l’aliénation du bien, et non de la liquidation du régime matrimonial. Cass. 1re civ., 23 sept. 2015, no 14-15428, M. X c/ Mme Y, PB (rejet pourvoi c/ CA Montpellier, 6 nov. 2013), Mme Batut, prés. ; Me Le Prado, SCP Waquet, Farge et Hazan, av. E n régime de séparation de biens, il peut y avoir Bertille DUCENE créance entre époux dès Avocat au barreau de lors qu’il y a transfert entre Paris, BWG Associés les masses personnelles des époux. Les règles applicables à ces créances sont, sur renvoi de l’article 1543 du Code civil, prévues par l’article 1479 du même code, qui renvoie lui-même, en ce qui concerne leur évaluation, aux dispositions de l’article 1469 alinéa 3 relatif aux récompenses dans le régime de la communauté. Note par La créance est en principe égale au nominal de la dépense faite, sauf s’il s’agit d’une dépense d’investissement (acquisition, conservation ou amélioration d’un bien) pour laquelle le montant de la créance ne peut être moindre que le profit subsistant, évalué, dans l’hypothèse où le bien a été aliéné avant la liquidation, au jour de l’aliénation. C’est ce cas précis qui est soumis à la Cour de cassation dans l’arrêt du 23 septembre 2015, qui tranche la question particulière du point de départ des intérêts attachés à une créance liée au financement d’un bien aliéné en cours d’union. En l’espèce, un époux marié sous le régime de la séparation de biens utilise les revenus de son épouse, dont il dispose seul, pour financer l’acquisition d’un immeuble qu’il acquiert en son nom personnel et qu’il revend par la suite, sans utiliser les fonds qu’il retire de cette vente pour acquérir un nouveau bien, ni rembourser son épouse. Une procédure de divorce est engagée et des difficultés naissent lors de la liquidation du régime matrimonial des époux. L’épouse revendique alors logiquement une créance au titre du financement de cet immeuble. La cour d’appel de Montpellier, saisie de cette question, condamne l’époux au paiement d’une somme de 114 100 €, et ajoute que cette somme est porteuse d’intérêts à compter du 30 mai 2007, date du procès-verbal de difficultés dressé par le notaire liquidateur prenant acte de la revendication de l’épouse au titre de sa créance. C’est ce point de départ qui est notamment contesté devant la Cour de cassation par l’époux, qui fait valoir que « le point de départ des intérêts d’une créance calculée selon les règles du profit subsistant est fixé au jour de la liquidation ». L’époux se fonde, pour soutenir sa thèse, sur les disposions de l’alinéa 2 de l’article 1479 du Code civil selon lesquelles les intérêts attachés à la créance déterminée en application de l’article 1469 alinéa 3 du même code courent du jour de la liquidation. La Cour de cassation rejette cette analyse et considère, au contraire, que « les intérêts d’une créance d’un époux séparé de biens, évalués selon les règles de l’article 1469, alinéa 3, du Code civil, courent, lorsque le bien a été aliéné avant la liquidation, à compter du jour de l’aliénation, qui détermine le profit subsistant ». Cette solution peut a priori surprendre au regard des dispositions de l’article 1479 du Code civil, dont se prévalait d’ailleurs l’époux devant la Cour de cassation. En réalité, elle conduit à distinguer deux hypothèses : - les créances ordinaires, pour lesquelles, conformément au droit commun des obligations repris à l’alinéa 1er de l’article 1479 du Code civil, les intérêts courent à compter de la date de la sommation ; - les créances liées à une dépense d’investissement, pour lesquelles la Cour de cassation fait coïncider la date d’évaluation de la créance et celle du point de départ des intérêts qui y sont attachés, soit : (i) lorsque le bien n’a pas été aliéné en cours d’union, et se retrouve donc dans le patrimoine emprunteur lors de la liquidation : le montant de la créance est déterminé selon le profit subsistant évalué au jour de la liquidation (1re hypothèse de l’article 1469 alinéa 3 du Code civil), et les intérêts courent à compter de la date de la liquidation, conformément à l’article 1479 alinéa 2 du Code civil ; (ii) lorsque le bien a été aliéné en cours d’union, sans que cette cession ne soit suivie d’une subrogation : le montant de la créance est alors déterminé selon le profit subsistant évalué au jour de l’aliénation (2de hypothèse de l’article 1469 alinéa 3), et G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1 59 G a ze tte Spé ci a li s é e Jurisp rud e n ce les intérêts courent à compter de l’aliénation, par exception à l’article 1479 alinéa 2. Cette solution s’explique par le fait que, dans cette dernière hypothèse, l’absence de remboursement de la créance au jour de l’aliénation, et alors que cette créance est évaluée selon le profit subsistant à cette date, sans réévaluation postérieure, fait peser sur le créancier les effets de la dépréciation monétaire, mais aussi le prive d’une éventuelle plus-value ultérieure. En faisant courir les intérêts à compter de la date de l’aliénation, la Cour de cassation compense cette dépréciation ; la plus-value est remplacée par les intérêts. Il est légitime de se demander si cette solution doit être considérée comme valant également pour les récompenses en régime de communauté, l’arrêt du 23 septembre 2015 visant, dans son dispositif, l’article 1469 alinéa 3 du Code civil relatif à l’évaluation des récompenses. Rien n’est moins sûr, la Cour de cassation prenant la peine, dans le présent arrêt, de rattacher le point de départ, qu’elle fixe ainsi au jour de l’aliénation, aux « intérêts d’une créance d’un époux séparé de biens ». La portée de l’arrêt serait donc limitée aux seules créances entre époux. Cette différence de traitement s’explique alors par le fait que, contrairement aux créances, les récompenses ne peuvent être réglées en cours de mariage (Cass. 1re civ., 15 mai 2008, n° 06-16939). S’agissant des récompenses, les intérêts courent donc a priori toujours, et même en cas d’aliénation du bien en cours d’union, à compter de la dissolution, conformément aux dispositions de l’article 1473 alinéa 1er du Code civil. Par le passé, la Cour de cassation a d’ailleurs expressément refusé, dans un arrêt de la première chambre civile du 26 septembre 2007 relatif à une récompense due à la communauté pour la construction d’une maison sur un terrain propre au mari, de faire courir les intérêts à compter de la date de l’aliénation (Cass. 1re civ, 26 sept. 2007, n° 06-15954). Il serait intéressant que la question lui soit à nouveau soumise. (...) F. Partage L’obligation de procéder au tirage au sort des lots en cas de partage judiciaire en nature et en l’absence d’accord des copartageants 253t1 1 L’essentiel Lorsque le partage en nature est ordonné, à défaut d’accord entre les copartageants, il doit nécessairement être procédé au tirage au sort des lots, sans que le juge ne puisse procéder lui-même aux attributions des lots aux indivisaires. Cass. 1re civ., 28 mai 2015, no 14-17656, M. Y c/ M. X, D (cassation partielle CA Amiens, 19 sept. 2013), Mme Batut, prés. ; Me Delamarre, SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, av. L ’arrêt du 28 mai 2015 de la première chambre ciLou BEN SIMON vile de la Cour de cassation, Avocat au barreau de bien que rendu sous l’emParis, BWG Associés pire de textes aujourd’hui abrogés, a pour intérêt de rappeler une règle classique du partage judiciaire d’indivision. Note par En l’espèce, différents lots d’un immeuble en copropriété (deux appartements réunis, une cave et un droit de jouissance d’un parc, d’un hangar et d’un abri de jardin, outre des tantièmes de parties communes) avaient été acquis en indivision par un homme et une femme, probablement en couple. Des difficultés naissent par la suite entre ces deux indivisaires concernant le partage de leurs biens. Devant les juridictions saisies, Mme Y sollicitait la licitation des lots litigieux, considérant qu’un partage en nature n’était pas possible. De son côté, M. X en demandait le partage pour que chacun d’eux se voit attribuer un appartement. 60 G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1 En première instance, les juges du fond avaient considéré que les biens indivis ne pouvaient être commodément partagés en nature et avait ordonné leur licitation, faisant ainsi droit aux demandes de Mme Y. À la suite de l’appel interjeté par M. X, la cour d’appel d’Amiens a, dans un arrêt du 19 septembre 2013, infirmé cette décision et ordonné un partage en nature des lots litigieux, attribuant principalement à M. X un appartement et une cave évalués à 400 000 €, et à Mme Y un appartement estimé à 150 000 €, à charge pour eux de faire réaliser les travaux nécessaires pour rendre ces deux appartements indépendants l’un de l’autre et d’assumer le coût des travaux à hauteur de leurs droits. Mme Y forme un pourvoi en cassation à l’encontre de cette décision. Celle-ci soutenait en premier lieu que le partage en nature ne pouvait être ordonné, celui-ci supposant que les biens en cause puissent être commodément partagés ou attribués et que les lots à répartir soient, autant que possible, d’une valeur équivalente, ce qui n’était pas le cas en l’espèce. Mme Y soutenait également que lorsque le partage en nature est ordonné, à défaut d’accord entre les copartageants, les lots doivent impérativement être tirés au sort sans que les juridictions ne puissent procéder ellesmêmes aux attributions, ce que la cour d’appel n’avait pas respecté. C’est sur ce deuxième motif que la Cour de cassation se prononce, précisant ainsi les conditions dans lesquelles le partage en nature peut être effectué à défaut d’accord entre les indivisaires. Dans son arrêt du 28 mai 2015, la Cour de cassation casse l’arrêt de la cour d’appel et rappelle que lorsque le partage en nature est ordonné, à défaut d’accord entre les G a z e tte Sp é cia lisée J u r i s p r u de n c e copartageants, il doit être nécessairement procédé au tirage au sort des lots, sans que le juge ne puisse procéder lui-même aux attributions. Cette décision, rendue en l’espèce au visa des articles 831 et 834 du Code civil dans leur rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006 portant réforme des successions et des libéralités, reprend une solution jurisprudentielle bien établie (encore récemment : Cass. 1re civ., 20 juin 2012, n° 10-26022). Cette solution est transposable aux articles 1363 et 1375 du Code de procédure civile qui portent sur le tirage au sort après la loi du 23 juin 2006. Il convient toutefois de rappeler une décision relativement ancienne de la Cour de cassation, dans laquelle la règle du tirage au sort des lots est écartée lorsque son application est constitutive d’un abus de droit (Cass. 1re civ., 28 nov. 2007, n° 06-18490). Dans cette espèce, le tirage au sort pouvait conduire à la dévolution, à chacune des deux branches d’une famille, du lot situé devant la propriété de l’autre, de sorte que la cour d’appel avait valablement pu se dispenser de procéder au tirage au sort des lots pour attribuer à chacune des deux familles le lot situé devant sa propriété. L’abus de droit constitue donc une limite à la règle du tirage au sort des lots en cas de partage en nature judiciaire. (...) II. DIVORCE (...) D. Date et effets du divorce Les conséquences de la transcription du jugement de divorce sur le domicile conjugal loué 253s5 1 L’essentiel 1. La Cour de cassation considère que la convention par laquelle le bailleur avait déchargé l’époux, à compter d’une certaine date, de ses obligations nées du bail portant sur le domicile conjugal, était susceptible de nuire à l’épouse, au titre de la créance résultant de la contribution à la dette locative, de sorte que la convention ne peut lui être opposable. 2. La haute juridiction confirme que la transcription du jugement de divorce ayant attribué le droit au bail à l’un des époux met fin à la cotitularité du bail, tant légale que conventionnelle. Cass. 1re civ., 17 juin 2015, no 14-17906, Mme Z c/ M. Y, PB (cassation partielle CA Versailles, 29 oct. 2013), Mme Batut, prés. ; SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, SCP de Chaisemartin et Courjon, av. - Cass. 3e civ., 22 oct. 2015, no 14-23726, SCI Via Pierre I c/ M. Y, PB (rejet pourvoi c/ CA Paris, 26 juin 2014), M. Chauvin, prés. ; Me Bertrand, SCP Baraduc, Duhamel et Rameix, SCP Bouzidi et Bouhanna, av. L e logement de la famille fait l’objet d’une « proPaula PELTZMAN tection particulière et obéit Avocat au barreau de à des règles spécifiques qui Paris, Mulon Associés peuvent être source de bien des difficultés » tout au long de la procédure de divorce (Gaz. Pal. 22 mai 2010, p. 8, n° I1682, étude E. Mulon). Les deux arrêts commentés en sont une illustration. Note par La Cour de cassation considère, de jurisprudence constante, que le paiement du loyer constitue une dette d’entretien (Cass. 1re civ., 11 janv. 1984, n° 82-15461 – Cass. 1re civ., 7 juin 1989, n° 87-19049 – Cass. 1re civ., 13 oct. 1992, n° 90-18404). Sur le fondement de l’article 220 du Code civil, les époux demeurent donc solidaires du paiement des loyers jusqu’à la transcription du jugement de divorce. Ainsi, l’attribution de la jouissance du domicile conjugal à l’un des époux, au titre des mesures provisoires, n’est pas opposable au bailleur qui a la faculté, jusqu’au prononcé du divorce, de poursuivre les deux époux en paiement des loyers au titre de la contribution à la dette. 1. Les faits qui ont donné lieu à l’arrêt du 17 juin 2015 sont singuliers. Le juge conciliateur avait attribué la jouissance du domicile conjugal à l’épouse. Le bailleur, représenté par une agence immobilière, avait accepté la désolidarisation de l’époux et de son père, caution. Par la suite, le propriétaire avait assigné les deux époux et la caution en paiement des loyers impayés. Les juges du fond, après avoir constaté la désolidarisation de l’époux, ont déclaré que la responsabilité de l’époux et de la caution ne pouvait être recherchée, le bailleur ayant renoncé à cette solidarité. La haute juridiction n’a pas suivi ce raisonnement. Elle a, au contraire, considéré, au visa des articles 1165 et 220 du Code civil, que la convention par laquelle le bailleur avait accepté de décharger l’époux de ses obligations était susceptible de nuire à l’épouse au titre de la créance résultant de la contribution à la dette locative. Partant, la convention entre l’époux et le bailleur ne pouvait être opposable à l’épouse, l’obligation entre époux aux dettes ménagères n’étant pas susceptible d’aménagement. Ainsi, malgré l’accord du bailleur, l’époux reste tenu solidairement responsable de la dette locative de sa future ex-épouse. La Cour de cassation s’est fondée sur l’article 220 du Code civil, disposition d’ordre public, et sur l’effet relatif des contrats pour justifier sa décision. Toutefois, l’intérêt pratique de cette solution demeure contestable puisqu’elle a pour effet d’avantager le propriétaire qui avait renoncé, par l’intermédiaire de son G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1 61 G a ze tte Spé ci a li s é e Jurisp rud e n ce mandataire, à l’un de ses débiteurs, et encourage l’épouse à ne pas honorer le règlement de ses dettes qui seront pourtant in fine supportées par elle seule. En effet, si la solidarité prévue à l’article 220 du Code civil bénéficie au tiers, celle-ci cesse entre les époux et rétroagit, en principe, à la date de l’ordonnance de non-conciliation. L’obligation finale de cette dette incombera entièrement à l’épouse ; son ex-époux sera donc fondé à revendiquer une créance à son encontre, au stade de la liquidation. 2. Comme le rappelle le second arrêt, la transcription du jugement de divorce ayant attribué le droit au bail à l’un des époux met fin à la cotitularité du bail, tant légale que conventionnelle (Cass. 3e civ., 2 févr. 2000, n° 97-18924 – Cass. 2e civ., 3 oct. 1990, n° 88-18453). En l’espèce, les époux étaient tous deux signataires du contrat de bail, de sorte que le bailleur pensait pouvoir faire échec à la fin de la cotitularité légale prévue par l’article 1751 du Code civil. Le bailleur estimait ainsi que les deux époux étaient toujours tenus par un lien contractuel, l’époux n’ayant pas donné congé au bail, et soulevait, en outre, qu’il n’avait pas été informé du jugement de divorce. La jurisprudence est constante à cet égard, et l’attendu de la Cour de cassation est sans équivoque : la transcription du jugement de divorce sur les registres de l’état civil rend la décision opposable aux tiers, notamment aux bailleurs. Cette règle peut paraître sévère envers les bailleurs dans la mesure où les locataires ne sont pas tenus d’informer leur propriétaire de leur divorce, d’autant que les bailleurs ne sont pas habilités à commander les actes d’état civil de leurs locataires. En cas de défaut d’information des locataires, les bailleurs se trouvent donc privés d’une information pourtant essentielle et lourde de conséquences. E. Prestation compensatoire La prestation compensatoire fixée sous forme de rente viagère peut être révisée en cas de changement important dans les ressources ou les besoins des parties 253s6 1 L’essentiel Pour rejeter la demande de M. Y tendant à la révision de la rente, l’arrêt retient que rien ne prouve que le débiteur ait été contraint de prendre sa retraite plus tôt que prévu. En se déterminant ainsi, par un motif inopérant, sans rechercher, comme elle y était invitée, si la diminution de revenus invoquée par le débiteur constituait un changement important dans sa situation, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision. Cass. 1re civ., 23 sept. 2015, no 14-21793, M. Y c/ Mme X, D (cassation CA Riom, 27 mai 2014), Mme Batut, prés. ; SCP Rousseau et Tapie, av. S elon les termes de l’article 276-3 du Code civil, Niamh NÍ GHAIRBHIA la prestation compensaAvocat à la Cour, Mulon toire fixée sous la forme Associés d’une rente viagère peut être révisée, suspendue ou supprimée en cas de changement important dans les ressources de l’une ou l’autre des parties. Note par Dans la présente décision, la Cour de cassation rappelle que le seul et unique critère que les juges du fond doivent prendre en compte, lorsqu’ils sont saisis d’une demande de révision d’une prestation compensatoire fixée sous la forme d’une rente viagère, est l’intervention d’un changement important dans les ressources ou besoins du débiteur ou du créancier (Cass 1re civ., 15 févr. 2012, n° 11-11342). En l’espèce, l’époux a été condamné, lors du prononcé du divorce, à verser une prestation compensatoire sous la forme d’une rente mensuelle viagère. Ultérieurement, ses revenus ayant diminué de moitié suite à sa décision de prendre sa retraite, il a sollicité la révision de la prestation compensatoire allouée à son épouse. La cour d’appel ne fait pas droit à la demande de l’époux, considérant qu’il ne justifie pas de la raison l’ayant contraint à prendre sa retraire. Comme le rappelle la Cour de cassation, la révision de la prestation compensatoire ne peut résulter que d’un changement important dans les revenus ou besoins de l’une ou l’autre des parties. Les juges du fond doivent statuer sur l’importance du changement survenu, sans se fonder sur l’origine de cette diminution, comme ils l’ont fait à tort en l’espèce (J.-R. Binet, Dr. famille 2015, n° 11). La prestation compensatoire n’a pas pour objet de corriger le choix d’un régime matrimonial et doit être fixée sans considération de l’origine des biens 253q1 1 L’essentiel 1. Après avoir analysé l’ensemble du patrimoine des époux, l’arrêt relève que Mme X ne justifie pas avoir contribué à la constitution de celui, plus important, de son mari, ni sacrifié sa carrière professionnelle au cours de la vie commune, et constate qu’elle ne révèle pas l’intégralité de ses revenus, notamment sa part de 62 G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1 bénéfices non distribués dans l’EURL, qu’elle ne communique pas le montant de ses charges ni ne produit d’éléments sur ses droits à la retraite ; qu’en l’état de ces énonciations, la cour d’appel, qui a justement rappelé que la prestation compensatoire n’avait pas pour objet de corriger les effets de l’adoption du régime de séparation de G a z e tte Sp é cia lisée J u r i s p r u de n c e biens, a souverainement estimé qu’il n’était pas établi que la disparité des conditions de vie respectives des parties résultait de la rupture du mariage. 2. Pour rejeter la demande de l’épouse en paiement d’une prestation compensatoire, l’arrêt retient qu’eu égard à la durée du mariage qui n’a pas été très importante, pas plus que celle de la vie commune, aux problèmes de santé très sérieux présentés par le mari ainsi qu’au fait que la communauté a été constituée exclusivement par les apports consentis par ce dernier, le divorce ne créera pas de disparité dans les conditions de vie respectives des époux. En statuant ainsi, alors que, pour apprécier la disparité résultant de la rupture du lien conjugal, il n’y avait pas lieu de tenir compte de l’origine des biens composant l’actif de communauté, la cour d’appel a violé les articles 270 et 271 du Code civil. Cass. 1re civ., 23 sept. 2015, no 14-23722, Mme X c/ M. Y, D (rejet pourvoi c/ CA Nîmes, 11 juin 2014), Mme Batut, prés. ; SCP Boré et Salve de Bruneton, SCP Bénabent et Jéhannin, av. - Cass. 1re civ., 21 oct. 2015, no 14-25316, Mme X c/ M. Y, D (Cassation partielle CA Paris, 26 juin 2014), Mme Batut, prés. ; Me Le Prado, SCP Monod, Colin et Stoclet, av. peut être le cas dans un régime de communauté lors de la liquidation. Il n’en demeure pas moins que la haute juridiction se montre particulièrement ferme quant à l’appréhension de l’entier patrimoine des époux pour apprécier la disparité qui va naître de la dissolution du lien conjugal. Ainsi, elle s’en tient à une approche objective de la situation des parties (2), sans qu’il puisse être tenu compte de leur situation avant le mariage (3). C’est dans ce registre d’objectivation que se situe le second arrêt (Cass. 1re civ., 21 oct. 2015, n° 14-25316) qui rappelle que l’origine des biens est sans incidence sur l’appréciation de la disparité entre les époux. L’originalité tenait, en l’espèce, au fait qu’il s’agissait de biens communs essentiellement apportés par l’époux à la communauté universelle. Tenir compte de l’origine des biens pour fixer la prestation compensatoire aurait d’ailleurs été un moyen – mais ici en sens inverse – de corriger les effets du régime matrimonial choisi par les époux. Il n’en demeure pas moins qu’en pratique, il n’est pas toujours aisé d’expliquer aux justiciables les subtilités de la combinaison entre le régime matrimonial et la prestation compensatoire… L e premier arrêt (Cass. 1 re civ., 23 sept. 2015, Élodie MULON n° 14-23722) est l’occasion de rappeler une nouvelle fois que la prestation compensatoire n’a pas pour objet de corriger les effets du régime matrimonial choisi par les époux (1). Cette solution, incontestable, semble témoigner de la volonté des juges d’empêcher, via la prestation compensatoire, une égalisation des patrimoines, comme cela Note par (1) Cass., 1re civ., 8 juill. 2015, n° 14-20480 – Cass. 1re civ., 14 mai 2014, n° 12-29205 – Cass. 1re civ., 15 janv. 2014, n° 13-10337 – Cass.1re civ., 18 déc. 2013, n° 13-10170 – Cass. 1re civ., 26 janv. 2011, n° 10-30262. (2) En ce sens : Cass. 1re civ., 2 avr. 2014, n° 13-15440 – Cass. 1re civ., 5 mars 2014, n° 13-12003. (3) Cass. 1re civ., 16 sept. 2014, n° 13-20159 – Cass. 1re civ., 2 avr. 2014, n° 13-15440 – Cass. 1re civ., 12 juin 2013, n° 12-12879 – Cass. 1re civ., 12 janv. 2011, n° 09-72248 – Cass. 1re civ., 18 mai 2011, n° 10-17445. F. Divorce et liquidation Rappel : la renonciation de l’époux donateur à révoquer la donation entre époux de biens présents consentie avant le 1er janvier 2005 253s3 1 L’essentiel Selon l’alinéa 1er de l’article 265 du Code civil, le divorce est sans incidence sur les donations de biens présents, quelle que soit leur forme ; de plus, selon l’article 47, III, de la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006, qui présente un caractère interprétatif pour l’application de la loi n° 2004-439 du 26 mai 2004 relative au divorce, les donations de biens présents consenties entre époux avant le 1er janvier 2005 demeurent révocables dans les conditions prévues par l’article 1096 du Code civil en sa rédaction antérieure à cette date. La cour d’appel n’a pas recherché, comme elle y était invitée, si, au cours de l’ensemble de la procédure de divorce, y compris devant la Cour de cassation, l’époux n’avait pas invité le juge du divorce à prendre en considération, pour la fixation de la prestation compensatoire, les droits de l’épouse dans l’immeuble indivis grâce à la donation qu’il invoquait et, par là même, sa renonciation non équivoque à user ultérieurement de la faculté de révocation de cette libéralité. Cass. 1re civ., 10 juin 2015, no 14-15615, Mme Y c/ M. X, D (cassation partielle CA Nîmes, 19 févr. 2014), Mme Batut, prés. ; SCP Tiffreau, Marlange et de La Burgade, SCP Waquet, Farge et Hazan, av. G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1 63 G a ze tte Spé ci a li s é e Jurisp rud e n ce P ar cette décision, la Cour de cassation rappelle Niamh NÍ GHAIRBHIA les contours de la donaet tion entre époux intervenue Anne-Laure CASADO avant le 1 er janvier 2005, ainsi que la renonciation de l’époux à toute demande de révocation dans le cadre de la procédure de divorce. Note par En l’espèce, un couple se marie en 1984 sous le régime de la séparation de biens. En 1999, les époux acquièrent en indivision, pour moitié chacun, un terrain à bâtir sur lequel ils font édifier une maison d’habitation qui constituera le domicile conjugal. Leur divorce est prononcé par jugement en date du 29 septembre 2005, et est confirmé par l’arrêt en date du 6 juin 2007. Lors des opérations de liquidation et de partage, les juges du fond, pour ordonner l’attribution préférentielle du domicile conjugal à l’époux, ont considéré que l’acquisition de l’immeuble indivis à parts égales (bien que financé uniquement par l’époux) constituait une donation non rémunératoire entre époux, révoquée par l’effet du divorce des époux, en application de l’article 265 alinéa 2 du Code civil. La Cour de cassation censure cette décision, et rappelle au visa de l’article 265 du Code civil que les donations entre époux de biens présents intervenues avant le 1er janvier 2005 sont librement révocables. De plus, elle précise, au visa de l’article 1134 du même code, que les juges du fond n’ont pas recherché si l’époux, dans le cadre de la procédure de divorce, n’avait pas renoncé de manière non équivoque à révoquer ladite donation en demandant au juge du divorce de la prendre en compte pour fixer la prestation compensatoire. Le premier rappel de la haute juridiction est relatif au régime des donations entre époux de biens présents. Elle sanctionne ici le raisonnement de la cour d’appel qui applique l’article 265 à une donation entre époux antérieure au 1er janvier 2005. Or, aux termes de l’article 47 III de la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006, ces donations sont librement révocables si elles ont été consenties avant le 1er janvier 2005 ; le régime applicable dépend donc de la date de la donation. Le second rappel porte sur la renonciation au droit de révoquer la donation entre époux. La haute juridiction a rappelé sa jurisprudence constante aux termes de laquelle le fait, pour l’époux, de se prévaloir de l’existence de la donation consentie à son épouse lors des débats sur la fixation de la prestation compensatoire constitue une renonciation non équivoque à user de son droit à révocation (Cass. 1re civ., 28 févr. 2006, n° 03-10245 – Cass. 1re civ., 18 mai 2011, n° 10-14841, D – Cass. 1re civ., 18 mai 2011, n° 10-17943 : D. 2011, p. 1557, J. Hauser ; RTD civ. 2011, p. 522 – Cass. 1re civ., 26 oct. 2011, n° 10-25078 : RTD civ. 2012, p. 102 ; D. 2011, p. 2728). Cette renonciation non équivoque se déduit donc du comportement procédural de l’époux, et notamment de la prise en compte ou non de la donation pour déterminer les effets du divorce. La solution de la Cour de cassation fait ainsi primer l’équité et permet d’éviter des situations dans lesquelles l’époux donateur obtient une solution plus favorable quant aux effets du divorce en évoquant l’existence d’une donation, puis revient dessus lors de la liquidation du régime matrimonial et dépossède l’époux donataire. Au vu du nouvel article 267 du Code civil issu de l’ordonnance n° 2015-1288 du 15 octobre 2015 portant simplification et modernisation du droit de la famille, qui entrera en vigueur au 1er janvier 2016, cette question pourrait ne plus se poser puisque le juge du divorce pourra, sous certaines conditions, liquider le régime matrimonial des époux. Ainsi, la question de la révocation ou non de la donation entre époux de biens présents survenue avant le 1er janvier 2016 sera traitée au même moment en ce qui concerne les effets du divorce et la liquidation du régime matrimonial. L’abandon par un époux de ses droits dans la communauté, en exécution de la prestation compensatoire, ne constitue pas un partage inégal 253t4 1 L’essentiel Ne caractérise pas un partage inégal l’abandon par un époux de ses droits dans la communauté en exécution de la prestation compensatoire. N’engage alors pas sa responsabilité le notaire rédacteur de l’acte liquidatif, non soumis à un devoir particulier de conseil quant aux conséquences de la prestation convenue entre les parties, et qui s’était par ailleurs enquis auprès d’elles de l’existence d’éventuelles récompenses. Cass. 1re civ., 9 juill. 2015, no 14-17666, M. X c/ Mme Y, PB (rejet pourvoi c/ CA Dijon, 3 avr. 2014), Mme Batut, prés. ; SCP Boré et Salve de Bruneton, SCP Bénabent et Jéhannin, av. L ’arrêt rendu par la Cour de cassation le 9 juillet Héloïse MALHERBE 2015 nous renseigne sur la Avocat au barreau de notion de partage inégal de Paris, BWG Associés communauté, ainsi que sur l’étendue des obligations du notaire rédacteur d’un acte liquidatif dans le cadre d’un divorce par consentement mutuel. Note par Dans cette affaire, des époux mariés en 2005, sans contrat préalable, divorcent par consentement mutuel en 2008, assistés d’un avocat commun. Aux termes de l’acte liquidatif, M. X abandonne à son épouse, en exécution de la prestation compensatoire, ses droits dans l’immeuble commun et s’engage à supporter le passif y afférent, avec affectation hypothécaire de ses biens propres en garantie. Un an plus tard, en 2009, l’état dépressif de M. X nécessite son placement sous curatelle renforcée. Constatant une disproportion entre le montant de la prestation compensatoire allouée à l’ex-épouse (216 256 €) et la courte durée du mariage, les curatrices de M. X (sa sœur et sa 64 G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1 G a z e tte Sp é cia lisée J u r i s p r u de n c e fille) l’assistent dans une action en responsabilité engagée contre le notaire. Il est reproché à ce dernier de ne pas avoir attiré l’attention de l’époux sur les conséquences de la prestation compensatoire, dont l’exécution aurait conduit à un partage inégal de la communauté, et d’avoir établi un acte incomplet et erroné, ne faisant pas état des reprises et récompenses dont aurait dû bénéficier M. X. Alors que le tribunal de grande instance de Chalon-surSaône avait retenu la responsabilité du notaire sur le fondement de l’article 1382 du Code civil, la cour d’appel de Dijon, dans un arrêt du 3 avril 2014, déboute M. X de ses demandes (CA Dijon, 3 avr. 2014, n° 12/01549). La cour d’appel de Dijon relève que dans son acte liquidatif, le notaire avait d’abord calculé les droits respectifs des parties, à hauteur de la moitié chacune de l’actif et du passif commun, garantissant l’équilibre du partage, puis pris en compte le montant de la prestation compensatoire convenue entre les époux. Selon la cour d’appel, le notaire n’était pas tenu d’informer M. X sur l’état de la jurisprudence en matière de prestation compensatoire, qui reste le domaine propre de l’avocat commun des époux dans le cadre d’un divorce par consentement mutuel. L’homologation de la convention de divorce par le juge aux affaires familiales permettait en outre de présumer que l’époux avait reçu toute l’information qui lui était due. La cour d’appel retient enfin que le notaire n’était pas davantage tenu de vérifier les déclarations des époux sur l’absence de récompenses. M. X forme un pourvoi devant la Cour de cassation, laquelle, dans un arrêt du 9 juillet 2015 promis à publication rejette les deux moyens développés par l’époux et donne raison aux juges d’appel. Sur les conséquences de la prestation compensatoire (1er moyen). La Cour de cassation retient que l’allotissement de l’intégralité de l’actif à l’un des époux et la prise en charge par l’autre de la totalité du passif, lorsqu’ils servent au paiement de la prestation compensatoire, ne caractérisent pas un partage inégal et n’imposent pas au notaire rédacteur de l’acte un devoir de conseil sur les conséquences de la prestation compensatoire. La Cour de cassation prend soin de préciser qu’il s’agit d’une prestation compensatoire convenue entre les parties, en présence de leur avocat, et soumise à l’homologation du juge. Ainsi, le déséquilibre dans les attributions faites à chacun des époux n’est pas considéré comme « inégal », car causé par la prise en compte de la créance de l’épouse au titre de la prestation compensatoire, celle-ci devant ellemême compenser une disparité entre les époux, selon l’article 270 du Code civil. Il en irait différemment si le déséquilibre dans les attributions, par l’abandon par un époux d’une soulte à laquelle il aurait eu le droit, n’était pas justifié/compensé par le notaire dans son acte liquidatif. En réalité, la contestation de M. X et de ses curatrices portait sur le bien-fondé de la prestation compensatoire, au vu des critères de l’article 271 du Code civil, alors que le mariage entre M. X et Mme Y avait duré moins de trois ans, qu’ils n’avaient pas eu d’enfant, et que chacun disposait d’un patrimoine propre. On comprend que la mention de la prestation compensatoire dans l’acte liquidatif, qui s’impose lorsqu’elle prend la forme de l’attribution de droits immobiliers communs, n’entraîne pas la responsabilité du notaire sur le caractère légitime ou non de la prestation. La Cour de cassation renvoie l’appréciation du bien-fondé de la prestation compensatoire à l’avocat des époux, rédacteur de la convention de divorce, ainsi qu’au juge, qui peut refuser d’homologuer la convention « si elle fixe inéquitablement les droits et obligations des époux » (C. civ., art. 278) ou si elle « préserve insuffisamment les intérêts des enfants ou de l’un des époux » (C. civ., art. 232), et, le cas échéant, ajourner sa décision (CPC, art. 1100). L’acte du notaire était d’ailleurs conclu sous condition suspensive du prononcé du divorce, s’en remettant ainsi à l’appréciation du juge. Sur l’absence de reprises et récompenses (2nd moyen). La Cour de cassation écarte, là encore, la responsabilité du notaire. Les hauts magistrats constatent que l’acte liquidatif précise que les époux ont déclaré ne pas avoir reçu de donation, succession, ou legs, et qu’il n’existait pas de récompense. Selon la Cour, cette mention suffit donc à prouver que le notaire s’est bien enquis auprès des parties de savoir si des biens propres avaient été financés par la communauté, sans que rien ne lui permettede douter de la véracité des déclarations des époux. Cette décision est à rapprocher de l’arrêt rendu par la Cour de cassation le 13 décembre 2012 qui, au contraire, a cassé un arrêt d’appel qui avait rejeté la responsabilité délictuelle du notaire (Cass. 1re civ., 13 déc. 2012, n° 1119098). Toutefois, dans cette affaire-là, la cour d’appel s’était fondée sur les compétences professionnelles de l’époux (un chef d’entreprise agricole) pour exclure la faute du notaire, ce qu’a sanctionné la Cour de cassation en ces termes : « il incombait au notaire, quelles que soient les compétences personnelles des parties, de s’enquérir auprès d’elles du point de savoir si les biens leur revenant en propre avaient été financés, en tout ou partie, par la communauté, et, le cas échéant, de se faire communiquer tout acte utile ». L’arrêt du 9 juillet 2015, qui déboute l’ex-époux de ses demandes, confirme toute la difficulté qu’il y a à revenir sur les dispositions d’un jugement de divorce par consentement mutuel. Privé de la voie de l’appel ou encore de l’action en nullité pour vices du consentement (Cass. 2e civ., 13 nov. 1991, n° 90-17840 ; Cass. 2e civ., 2 avr. 1997, n° 93-16995), M. X, assisté de ses curatrices, a cherché une indemnisation dans la responsabilité du notaire, en vain. La mention dans l’acte liquidatif de l’absence de récompense, selon la déclaration même des époux, n’aurait certainement pas non plus permis à M. X d’agir efficacement en partage complémentaire pour omission d’une dette commune, voie ouverte par l’arrêt précité du 13 décembre 2012. Enfin, les circonstances de l’espèce illustrent à quel point il s’avère délicat d’assurer le rôle d’avocat commun quand l’un des deux époux est psychologiquement très fragilisé par la rupture. G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1 65 G a ze tte Spé ci a li s é e Jurisp rud e n ce Le projet d’état liquidatif du notaire expert ne peut être complété ultérieurement par les époux pour permettre au juge de trancher leurs désaccords 253t3 1 L’essentiel En l’absence d’informations suffisantes contenues dans le projet d’état liquidatif établi par le notaire désigné sur le fondement de l’article 255, 10° du Code civil, le juge du divorce ne peut trancher les désaccords persistants entre les époux, même si l’un d’eux produit ensuite des éléments complémentaires éclairants. Cass. 1re civ., 23 sept. 2015, no 14-21525, Mme X c/ M. Y, PB (cassation partielle CA Paris, 13 mars 2014), Mme Batut, prés. ; SCP Delaporte, Briard et Trichet, SCP Rousseau et Tapie, av. L a loi n° 2004-439 du 26 mai 2004 avait permis Stéphanie TRAVADEau juge du divorce d’être LANNOY aussi un peu le juge de la Avocat au barreau de liquidation. L’article 267 Paris, BWG Associés alinéa 4 du Code civil l’avait ainsi notamment investi de la mission de trancher, dès le prononcé du divorce, les désaccords liquidatifs persistant entre les époux (réalité et montant d’une créance, nature d’un bien, existence d’une récompense…). Note par Il fallait pour cela que deux conditions soient remplies : 1) qu’un notaire ait été désigné, dans le cadre des mesures provisoires, sur le fondement de l’article 255, 10° du Code civil, aux fins d’établir un projet de liquidation du régime matrimonial ; 2) que ce projet contienne « des informations suffisantes ». L’objectif était louable : anticiper au maximum la liquidation pour réduire autant que possible le contentieux post-divorce, et donner une certaine cohérence aux mesures financières décidées au moment du divorce, mais en considération de ce que sera la situation de chacun des époux à l’issue de la liquidation de leur régime matrimonial. En pratique, il est vite apparu que cette disposition n’a pas eu le succès escompté, parce que l’exigence d’informations suffisantes – notion particulièrement subjective – est trop souvent devenue un prétexte pour éviter de trancher ces désaccords relatifs à la liquidation. L’arrêt commenté en donne une illustration. En l’espèce, les époux étaient mariés sous le régime de la séparation de biens et le mari revendiquait une créance à l’encontre de son épouse au titre du financement d’une pharmacie acquise par cette dernière. Un notaire avait été désigné au stade de l’ordonnance de non-conciliation, sur le fondement de l’article 255, 10° du Code civil. Il rend un rapport que le mari conteste, faisant état de nombreuses erreurs ou omissions. Après avoir demandé la désignation d’un autre notaire expert, ce que son épouse a refusé, il prend l’initiative de faire réaliser par un notaire indépendant une consultation plus complète, plus précise, mais évidemment non contradictoire. Sur la base du rapport initial du notaire expert, éclairé et complété par le rapport du notaire ensuite choisi par lui, le mari demande au juge du divorce de trancher les 66 G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1 désaccords liquidatifs persistants sur le fondement de l’article 267 du Code civil. La cour d’appel le suit, mais son arrêt est cassé par la Cour de cassation qui considère qu’elle a violé l’article 267 du Code civil. La cour d’appel est sanctionnée pour avoir énoncé, « après avoir retenu implicitement que le projet établi par le notaire désigné sur le fondement de l’article 255, 10° du Code civil ne contient pas des informations suffisantes, que la consultation que M. Y a demandée à un autre notaire, laquelle a été établie postérieurement à l’expertise du notaire commis, l’éclaire et la complète, contient des informations suffisantes pour permettre au juge d’appel de statuer sur les demandes de créances formulées par M. Y ». En clair, si le rapport du notaire désigné par le juge conciliateur ne contient pas d’informations suffisantes, ces dernières ne peuvent pas être trouvées ailleurs, notamment dans la consultation délivrée par un autre notaire. Si la solution semble conforme à la lettre de l’article 267 du Code civil dans sa version d’alors, elle apparaît contraire à l’esprit de cette disposition et inopportune en pratique. Quand l’un des époux a dû supporter une expertise notariée, qui a nécessité du temps (reculant d’autant le prononcé du divorce et allongeant la durée des mesures provisoires) et lui a coûté de l’argent, et que le projet d’état liquidatif qui en ressort n’est pas à la hauteur de ce qu’il aurait dû être parce que le notaire désigné n’a pas correctement travaillé ou que le conjoint n’a pas fait preuve de bonne volonté, la moindre des choses serait qu’il puisse faire trancher les désaccords persistants en complétant ce rapport avec les éléments extérieurs qu’il aura glanés Le législateur l’a compris puisque l’ordonnance n° 20151288 du 15 octobre 2015 portant simplification et modernisation du droit de la famille, qui entrera en vigueur à compter du 1er janvier 2016, supprime purement et simplement l’exigence d’informations suffisantes (v. l’article d’Élodie Mulon intitulé « Le nouvel article 267 du Code civil : une extension bienvenue des pouvoirs du juge du divorce en matière liquidative » dans le présent numéro, supra). Peu importe donc le contenu du rapport du notaire désigné sur le fondement de l’article 255, 10° du Code civil, le juge du divorce devra trancher les désaccords persistant entre les époux au vu de celui-ci, éventuellement complété ou clarifié par d’autres éléments. Précisons que cet article sera applicable aux requêtes en divorce introduites avant le 1er janvier 2016, à condition que l’assignation en divorce n’ait pas encore été délivrée à cette date. Mais l’innovation ne s’arrête pas là puisque l’article 267 du Code civil, dans sa version issue de l’ordonnance du 15 octobre 2015, va plus loin en permettant dorénavant au juge du divorce de « statuer sur les demandes de liquidation et de partage des intérêts patrimoniaux », et ce même en l’absence d’un projet d’état liquidatif dressé par un notaire désigné sur le fondement de l’article 255, 10° du Code civil aux termes duquel : « [le juge] statue sur les demandes de liquidation et de partage des intérêts patrimoniaux dans les conditions fixées aux articles 1361 à 1378 du Code G a z e tte Sp é cia lisée J u r i s p r u de n c e de procédure civile, s’il est justifié par tous moyens des désaccords subsistant entre les parties, notamment en produisant : une déclaration commune d’acceptation d’un partage judiciaire, indiquant les points de désaccord entre les époux ; le projet établi par le notaire désigné sur le fondement du 10° de l’article 255 ». Le juge du divorce peut statuer sur le régime matrimonial des époux 253s4 1 L’essentiel Il entre dans les pouvoirs dévolus au juge aux affaires familiales de se prononcer sur le régime matrimonial des époux. Dès lors, en rejetant la demande formée par l’époux, la cour d’appel a violé l’article 267 du Code civil. Cass. 1re civ., 21 oct. 2015, no 14-23302, M. X c/ Mme Y, D (cassation CA Versailles, 12 juin 2014), Mme Batut, prés. ; SCP Boré et Salve de Bruneton, SCP Sevaux et Mathonnet, av. L a solution retenue dans cet arrêt par la Cour de Élodie MULON cassation n’est pas nouvelle (Cass. 1re civ., 20 mars 2013, n° 11-27845) : le juge aux affaires familiales, lorsqu’il statue sur le divorce, peut se prononcer sur le régime matrimonial des époux. Note par S’il ne fait aucun doute que cela ressort de la compétence de la juridiction familiale, il peut paraître plus contestable de lui accorder ce pouvoir au stade du divorce, et encore plus de le faire au visa de l’article 267 du Code civil, particulièrement limitatif quant aux pouvoirs du juge en matière de liquidation. Pour autant, la Cour de cassation le fait en des termes particulièrement lapidaires, qui ne laissent aucune place à l’interprétation. On comprend l’intérêt de laisser cette faculté au juge au stade du divorce puisque du régime matrimonial des époux vont découler des conséquences importantes sur le plan patrimonial, ce qui constitue un élément essentiel d’appréciation de la disparité que le divorce va créer entre eux. Cette importance pratique n’a, du reste, pas échappé au législateur puisque cette faculté est désormais consacrée dans le nouvel article 267, alinéa 3 issu de la récente ordonnance n° 2015-1288 du 15 octobre 2015 portant simplification et modernisation du droit de la famille. G. Divorce et questions procédurales La date d’introduction de l’instance en divorce est celle de l’assignation, et non celle de la remise au greffe 253p8 1 L’essentiel Lorsqu’une demande est présentée par assignation, la date d’introduction de l’instance doit s’entendre de la date de l’assignation, à condition que l’assignation ait été remise au secrétariat-greffe. Après avoir constaté que l’ordonnance de non-conciliation a été rendue le 12 octobre 2006, que l’épouse a assigné en divorce son époux par acte du 10 avril 2009, qui a été remis au greffe le 22 avril 2009, la cour d’appel en a exactement déduit que l’assignation a été délivrée dans le délai de trente mois fixé par l’article 1113 du Code de procédure civile. Cass. 1re civ., 28 mai 2015, no 14-13544, M. X c/ Mme Y, PB (rejet pourvoi c/ CA Paris, 9 janv. 2014), Mme Batut, prés., Mme GuyonRenard, cons. rapp. ; SCP Gadiou et Chevallier, SCP Waquet, Farge et Hazan, av. L a question de la détermination de la date Anne-Laure CASADO d’introduction de l’instance est importante pour s’assurer du respect du délai de trente mois à compter de l’ordonnance de non-conciliation. La Cour de cassation fait ici application, pour la première fois à notre connaissance, de son avis du 4 mai 2010 (1). Note par En l’espèce, l’ordonnance de non-conciliation est rendue le 12 octobre 2006 et l’assignation en divorce est délivrée par l’épouse le 10 avril 2009 et remise au greffe le 22 avril 2009. L’époux sollicite la caducité des mesures provisoires, y compris de l’autorisation d’assigner en divorce, le placement de l’assignation étant intervenu plus de trente mois après l’ordonnance de non-conciliation. La cour d’appel, prenant en compte la date de délivrance de l’assignation, et non celle de son placement, rejette la demande de l’époux. La Cour de cassation confirme la solution des juges du fond. Elle précise que lorsqu’une demande est présentée par assignation, la date d’introduction de l’instance doit s’entendre de la date de l’assignation, à condition qu’elle ait été remise au secrétariat-greffe. Ainsi, elle estime que la cour d’appel a, à bon droit, jugé que l’assignation en divorce a été délivrée par (1) Cass., avis, 4 mai 2010, n° 10-00002 : Gaz. Pal. 11 sept. 2010, p. 30, note par E. Mulon ; RTD civ. 2010, p. 535, note J. Hauser ; RJPF 2010-9, note T. Gare. G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1 67 G a ze tte Spé ci a li s é e Jurisp rud e n ce le délai de trente mois prévu par l’article 1113 du Code de procédure civile. La présente décision constitue une parfaite application de l’avis rendu le 4 mai 2010, aux termes duquel la Cour de cassation a mis un terme à l’interrogation soulevée par les dispositions de l’article 1113 du Code de procédure civile. En effet, l’alinéa 2 de cet article dispose : « en cas de réconciliation des époux ou si l’instance n’a pas été introduite dans les trente mois du prononcé de l’ordonnance, toutes ses dispositions sont caduques, y compris l’autorisation d’introduire l’instance ». Le législateur n’ayant pas déterminé ce qu’il entendait par « l’introduction de l’instance », la haute juridiction a précisé qu’il s’agissait de la date de délivrance de l’assignation, à condition qu’elle soit remise au secrétariat-greffe. Cette formalité est essentielle pour la validité de l’assignation ; en l’absence de placement, la juridiction ne sera pas saisie (2). (2) J. Hauser, « Divorce : point de départ du délai pour assigner et de caducité des mesures provisoires » : RTD civ. 2010, p. 535. Sous l’Ancien Régime, la Cour de cassation avait adopté la solution contraire puisqu’elle considérait que l’assignation en divorce devait être délivrée et remise au greffe dans le délai de six mois ; dans le cas contraire, les mesures provisoires devenaient caduques (3). Cette position était non conforme au droit commun. En effet, aux termes de l’article 53 du Code de procédure civile, il est précisé que l’assignation est un acte de procédure qui introduit l’instance. Ainsi, la procédure est réputée introduite au jour de la signification de l’assignation, et non à la date de son placement, lequel permet uniquement d’inscrire l’affaire au rôle de la juridiction (4). Par ce changement de position, la Cour de cassation permet de rendre la procédure de divorce conforme au droit commun. (3) Cass. 1re civ., 10 juin 2015, n° 14-20344 – Cass. 2e civ., 26 juin 2003, n° 01-14317. (4) M. Kebir, « Divorce : date à prendre en compte pour le délai d’introduction de l’instance » : Dalloz actualité, 9 juin 2015. H. Divorce et droit international privé La caducité de la procédure engagée en premier dans un État membre fait obstacle à la mise en œuvre de l’article 19 du règlement Bruxelles II bis 253t5 1 L’essentiel Dans la situation où une procédure en désunion devant les juridictions d’un État membre premières saisies a expiré après que les juridictions d’un autre État membre ont été saisies, le critère de la litispendance n’est plus rempli, de telle sorte que la compétence des juridictions de l’État membre saisies en premier n’est plus établie. CJUE, 3e ch., 6 oct. 2015, no C-489/14, A c/ B, M. Ilesic, prés., M. Caoimh, Mme Toader, MM. Jarasiunas et Fernlund, juges, M. Cruz Villalon, av. gén. M me A et M. B, tous deux de nationalité française, Isabelle REINont leur résidence habituelle LESCASTEREYRES à Londres. Le mari saisit la Avocat au barreau de juridiction française d’une Paris, BWG Associés procédure en séparation de corps et une ordonnance de non-conciliation est rendue le 15 décembre 2011, de telle sorte que l’autorisation d’assigner expire le 16 juin 2014 à minuit. Ultérieurement, le 24 mai 2011, Mme A introduit une procédure en divorce au Royaume-Uni, avant de retirer sa demande dès lors que l’article 19 du règlement européen n° 2201/2003, dit Bruxelles II bis, imposait à la juridiction saisie en second de surseoir à statuer. On rappelle en effet qu’au sens du règlement, il y a identité d’objet entre une procédure en séparation de corps et une procédure en divorce. Note par M. B n’assigne pas en séparation dans le délai de trente mois, pas plus d’ailleurs que Mme A, le souhait des deux époux étant en réalité à ce stade de divorcer, chacun 68 G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1 devant la juridiction dont il estime qu’elle protègera mieux ses intérêts, c’est-à-dire en France pour M. B et au Royaume-Uni pour Mme A. L’époux tente d’ailleurs de saisir en parallèle une autre juridiction française, cette fois d’une demande de divorce, mais voit sa demande déclarée irrecevable au motif qu’une procédure en séparation de corps était alors toujours pendante. Le 13 juin 2014, c’est-à-dire trois jours avant l’expiration du délai de trente mois imparti pour assigner en séparation de corps en France, Mme A saisit à nouveau la juridiction anglaise d’une procédure en divorce, après avoir tenté vainement de faire en sorte que cette procédure ne prenne effet que le 17 juin, une minute après minuit. Le 17 juin à 8h20 du matin, M. B saisit à son tour le juge aux affaires familiales français. Concrètement, il s’agissait pour Mme A, consciente de ce que par le fait du jeu mécanique du décalage horaire, M. B était assuré de gagner la course à la juridiction en France, d’intercaler une procédure anglaise entre l’heure à laquelle la procédure française en séparation de corps devenait caduque et l’heure à laquelle M. B pouvait à nouveau saisir la juridiction française. De fait, le 17 juin 2014, entre minuit et 8h20, il n’y a qu’une seule procédure : la procédure anglaise. C’est cette demande en divorce du 13 juin 2014 qui a suscité de la part de la cour anglaise deux questions préjudicielles à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) : d’une part, celle de savoir ce qu’il fallait entendre par « compétence établie » au sens de l’article 19 du règlement, dans les circonstances rappelées ci-dessus ; d’autre part, celle de savoir si pour que cette compétence soit établie, il était nécessaire que le demandeur à la première procédure prenne les mesures nécessaires pour la G a z e tte Sp é cia lisée J u r i s p r u de n c e faire avancer, ou s’il pouvait se contenter de saisir sans rien faire par la suite. de la saisine anglaise au sens de l’article 16 du règlement (pt 41). 1. La réponse à la première question dépend de savoir si on examine la situation de litispendance au moment où la procédure est engagée ou au moment où le juge statue. En effet, au moment où la procédure au Royaume uni est engagée, il y a bien une autre procédure pendante dans un autre État membre, et qui est première dans le temps. En revanche, à la date à laquelle le juge anglais examine l’affaire, il y a deux procédures en cours, la première procédure française ayant expiré : une procédure anglaise engagée le 13 juin, et une procédure française engagée le 17 juin suivant. Au-delà de l’espèce commentée – quasiment d’école –, la solution devrait valoir toutes les fois qu’une requête en divorce, déposée en France, n’est pas suivie dans les délais d’une assignation, après l’ordonnance de non-conciliation. Ainsi se trouve rétrospectivement justifiée l’énonciation, dans un arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 26 juin 2013, selon laquelle « une juridiction est régulièrement saisie, en matière de divorce, à la date de dépôt de la requête à condition qu’il ait été suivi d’une assignation en divorce » (Cass. 1re civ., 26 juin 2013, n° 12-14001). En indiquant que l’article 19 a pour but d’éviter que des décisions incompatibles ne soient rendues dans deux États membres différents et que, lorsque la procédure engagée en premier devient caduque, il n’existe plus de litispendance, la CJUE choisit clairement la seconde solution. La cour anglaise saisie en second devient la cour saisie en premier à l’instant où la procédure française engagée en premier devient caduque. La cour anglaise peut donc retenir sa compétence, là où la juridiction française ne pourrait que surseoir à statuer. En l’occurrence M. B s‘est désisté de cette procédure. En résumé, pour gagner la course à la juridiction, il ne suffit pas de tirer le premier. Encore faut-il ne pas faire long feu. Par cet arrêt, la CJUE complète sa jurisprudence relative à la notion de « compétence établie » au sens de l’article 27 du règlement n° 44/2001, règlement Bruxelles I (en matière civile et commerciale) et l’étend à l’interprétation de l’article 19 paragraphe 1 du règlement Bruxelles II bis (en matière de désunion matrimoniale). Selon cette jurisprudence, pour « établir » la compétence de la juridiction première saisie, « il suffit » que cette juridiction « n’ait pas décliné d’office sa compétence et qu’aucune des parties ne l’ait contestée » dans les conditions prévues par le droit national (CJUE, 27 févr. 2014, n° C-1/13, Cartier parfums-lunettes et Axa Corporate Solutions assurances, pt 44). La première procédure française en séparation de corps remplissait bien ces critères. L’apport de l’arrêt sous commentaire est de préciser que lorsqu’une première procédure a été introduite devant une juridiction d’un État membre, la compétence de cette juridiction, fût-elle établie au moment de la saisine de celle-ci, ne doit plus être considérée comme « établie » lorsque cette procédure s’est éteinte, comme en l’espèce, par suite d’une caducité (pt 37). Et pour ce faire, la Cour de justice procède elle-même à l’interprétation de la notion « autonome », en droit de l’Union européenne, de « compétence établie ». Elle fait ainsi l’économie de la délicate question de savoir si, en droit procédural français, la caducité de l’instance emporte ou non disparition rétroactive de la procédure introduite. La Cour ajoute que la circonstance qu’il y ait eu une autre procédure en cours au moment de l’introduction de la procédure au Royaume-Uni n’empêche nullement la validité 2. En revanche, en réponse à la seconde question, la CJUE ne juge pas « pertinent » d’accorder un quelconque poids à la conduite du demandeur à la toute première procédure pour déterminer si la compétence des juridictions françaises est établie. L’absence de diligence après que la procédure a été engagée est sans effet dans le cas présent sur la situation de litispendance. Mme A se référait par analogie notamment à l’article 16 du règlement qui, pour retenir comme date de la saisine de la juridiction celle de l’acte introductif (c’est-à-dire en France et en matière internationale, la date du dépôt de la requête en divorce), impose au demandeur de ne pas avoir négligé les mesures qu’il était tenu de prendre pour que l’acte soit ensuite signifié ou notifié au demandeur. L’argument avait été écarté par la commission qui estime que l’article 19 ne contient aucune obligation, pour la partie requérante, de faire avancer le litige avec diligence et célérité et que chaque partie est libre de procéder de la manière qu’elle juge appropriée dans le respect de chaque législation nationale applicable. Enfin, même si la question n’était posée qu’en filigrane, dans le contexte plus général de la première question, la CJUE refuse de se préoccuper du décalage horaire, qui ne saurait, pour elle, faire obstacle aux règles de l’article 19, lesquelles sont fondées sur la primauté chronologique. Ce faisant, la CJUE maintient la solution classique en la matière et une certaine inégalité dans le rapport de force en cas de course à la juridiction entre les États de l’Est de l’Europe, qui disposent d’un avantage horaire en valeur absolue, et ceux de l’Ouest qui ne peuvent saisir que plus tard le même jour. Mais sans doute une réponse satisfaisante à ce problème est-elle à rechercher davantage dans une modification des modes de saisine, avec notamment des saisines par voie électroniques qui puissent être mises en œuvre à toute heure du jour et de la nuit. Les avocats dormiront moins bien mais la justice sera mieux assurée. (...) G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1 69 G a ze tte Spé ci a li s é e Jurisp rud e n ce IV. MINORITÉ A. Autorité parentale L’exercice de l’autorité parentale n’est pas un long fleuve tranquille 253p9 1 L’essentiel 1. La Cour de cassation approuve le maintien de la résidence des mineurs au domicile de leur mère et estime que l’arrêt a valablement apprécié les faits, compte tenu de son aptitude à respecter leurs droits, et accordé à leur père un droit de visite et d’hébergement adapté. compte notamment de l’âge de l’enfant ; 5° les renseignements qui ont été recueillis dans les éventuelles enquêtes et contre-enquêtes sociales prévues à l’article 372-2-12 ; 6° les pressions ou violences, à caractère physique ou psychologique, exercées par l’un des parents sur la personne de l’autre ». 2. L’arrêt de cassation au visa de l’article 455 du Code de procédure civile intervient à la suite de la fixation de la résidence de l’enfant au domicile du père, sans répondre aux conclusions de la mère faisant valoir qu’elle continuait d’allaiter l’enfant qui n’était pas âgé d’un an. Cette liste de critères légaux offre au juge un large panel de critères d’aide à la décision. Cependant, la pratique a également fait naître d’autres critères, dont un assez évident : l’entente entre les parents. Tant et si bien que l’on peut imaginer que ce critère intègre un jour la liste des critères légaux. Cass. 1re civ., 23 sept. 2015, no 14-23263, M. X c/ Mme Y, D (rejet pourvoi c/ CA Versailles, 24 juill. 2014), Mme Batut, prés. ; SCP Bénabent et Jéhannin, SCP Waquet, Farge et Hazan, av. Cass. 1re civ., 23 sept. 2015, no 14-25027, Mme X c/ M. Y, D (cassation CA Chambéry, 22 juill. 2014), Mme Batut, prés. ; SCP Spinosi et Sureau, SCP Waquet, Farge et Hazan, av. Un critère jurisprudentiel : l’entente entre les parents. La première espèce (n° 14-23263) est l’occasion de revenir sur la notion d’entente entre les parents. Cette notion est aussi un critère d’aide à la décision. En cas de mésentente, le juge est attentif à sa nature, à son origine et choisira le mode de résidence en fonction de l’intérêt de l’enfant. Note par Anne SANNIER Avocat au barreau de Paris, Mulon Associés C es deux décisions sont l’occasion de revenir spécifiquement sur les modalités d’exercice de l’autorité parentale dans le cas de parents séparés. Le premier arrêt (Cass. 1re civ., 23 sept. 2015, n° 14-23263) rappelle le principe selon lequel la fixation habituelle de la résidence des enfants relève de l’appréciation souveraine des juges du fond. L’intérêt de cette décision porte sur l’examen des critères, non exhaustifs, permettant au magistrat de faire ce choix. En l’espèce, la cour d’appel de Versailles a débouté le père de sa demande de fixation d’une résidence alternée. Son pourvoi a été rejeté. Le second arrêt (Cass. 1re civ., 23 sept. 2015, n° 14-25027) rappelle, assez sévèrement, l’obligation de motivation des décisions par les juges du fond, en l’espèce dans le cadre spécifique de fixation des modalités de l’exercice de l’autorité parentale. La cour d’appel de Chambéry avait fixé la résidence habituelle de l’enfant au domicile du père aux motifs que la mère a modifié seule les conditions d’exercice de la résidence alternée. L’arrêt de cassation intervient au visa de l’article 455 du Code de procédure civile selon lequel le jugement doit exposer succinctement les prétentions respectives des parties et leurs moyens. Les critères d’aide à la décision. Selon les dispositions de l’article 373-2-11 du Code civil, « lorsqu’il se prononce sur les modalités d’exercice de l’autorité parentale, le juge prend notamment en considération : 1° la pratique que les parents avaient précédemment suivie ou les accords qu’ils avaient pu antérieurement conclure ; 2° les sentiments exprimés par l’enfant mineur dans les conditions prévues à l’article 388-1 ; 3° l’aptitude de chacun des parents à assumer ses devoirs et respecter les droits de l’autre ; 4° le résultat des expertises éventuellement effectuées, tenant 70 G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1 L’entente implique notamment une confiance mutuelle des parents quant à la capacité de l’autre à accomplir son rôle de parent. Ceci évite des difficultés d’ordre pratique susceptibles de nourrir le conflit parental. Cette confiance est en quelque sorte salutaire puisqu’elle permet d’éviter l’immixtion d’un parent dans la gestion pratique de l’autre. En effet, la Cour de cassation reprend ici la motivation de la cour d’appel qui rappelle que le parent qui remet l’enfant à celui qui exerce le droit de visite et d’hébergement ne doit pas s’immiscer dans son organisation. Ce raisonnement est transposable à de nombreux cas où l’un des parents serait tenté de s’immiscer dans la sphère de l’autre en sollicitant une communication instantanée sur le déroulé des évènements. La motivation de l’arrêt de la cour d’appel est donc importante puisqu’elle aborde sans détour la nécessité de faire confiance à l’autre parent sur sa manière de prendre en charge l’enfant. La première espèce est également importante puisqu’elle fait référence à la communication entre les parents. L’entente entre eux dépend aussi de l’idée qu’ils se font de la place de l’autre en tant que parent. Il est justement précisé que chaque parent dispose d’égales qualités éducatives, même si elles ressortent de registres différents, et qu’ils sont suffisamment responsables pour prendre soin de leurs enfants quand ils vivent chez eux. Cette décision place les deux parents sur un même pied d’égalité s’agissant de l’exercice de l’autorité parentale. Celui des deux qui exerce son droit de visite et d’hébergement n’a donc pas moins d’importance dans la prise de décision que celui chez lequel réside l’enfant. En l’espèce, la question pratique qui peut paraître anodine est celle de la remise à l’autre parent du carnet de santé de l’enfant. Le parent qui exerce le droit de visite doit être placé sur un même pied d’égalité que l’autre parent et doit donc se voir remettre les éléments utiles. L’on peut imaginer le même raisonnement pour les documents administratifs ou, tout simplement, le cahier de classe. G a z e tte Sp é cia lisée J u r i s p r u de n c e L’entente entre les parents est donc facilitée par un mode de communication sain qui résulte inévitablement de l’idée selon laquelle aucun des parents n’a la primeur dans l’exercice de l’autorité parentale. L’approche de l’entente peut être différente. Pour certains juges, elle exclura par exemple la fixation d’une résidence alternée (1). Pour d’autres, elle ne suffira pas à écarter ce mode de résidence (2) (3). Pour parvenir à la décision, le juge s’attachera à la nature du conflit qui oppose les parents, parfois en ordonnant une expertise médico-psychologique (4), ce qui est le cas dans la première espèce (5). Liste de critères non exhaustive. La liste des critères visée ci-dessus n’est donc pas exhaustive. La première espèce le confirme. La cour d’appel de Versailles s’est fondée sur l’existence d’un conflit parental qualifié « d’aigu et persistant » afin de maintenir les enfants au domicile de la mère. Le refus d’accéder à la mise en place d’une résidence alternée sollicitée par le père peut presque s’analyser en une sanction des deux parents. En effet, la cour d’appel leur suggère indirectement de prendre la mesure des conséquences néfastes de leur attitude respective sur les enfants. Dans le cadre de son appréciation souveraine, le juge a également pris en considération l’état de la relation entre le père et ses enfants. C’est ensuite sous l’angle de deux critères légaux que le juge a fondé sa décision. En effet, la cour d’appel s’est référée aux besoins affectifs des enfants librement exprimés dans le cadre de l’enquête sociale. Elle a également évalué l’aptitude de chacun des parents à assumer ses devoirs et respecter les droits de l’autre. Critère et finalité recherchée : l’intérêt de l’enfant. Ces éléments ont en l’espèce permis à la cour d’appel d’apprécier de manière globale le choix de la résidence des enfants. Cependant, il est important de rappeler que la décision a été prise in fine au regard d’un critère plus élevé, à savoir l’intérêt supérieur des enfants au sens de l’article 373-2-6 du Code civil. La recherche de cet intérêt prédomine dans la décision du juge. Ce critère plus élevé s’explique par le fait que l’autorité parentale a pour finalité (1) CA Versailles, 22 juill. 2010, n° 09/06243. (2) CA Paris, 3 févr. 2011, n° 09/16638 – CA Paris, 25 nov. 2010, n° 09/17105 – CA Caen, 18 mars 2010, n° 09/01421. (3) CA Rennes, 11 févr. 2008, n° 05/07247 – CA Lyon, 21 nov. 2006, n° 06/02333 – CA Aix-en-Provence, 3 oct. 2006, n° 05/14296 – CA Dijon, 27 juill. 2006, n° 05/00139 – CA Aix-en-Provence, 2 févr. 2006, n° 04/19946 – CA Aix-en-Provence, 16 déc. 2005, n° 03/15312. (4) CA Rennes, 10 févr. 209, n° 08/01854 – CA Versailles, 4 nov. 2008, n° 07/08027. (5) Rép. min. à QE n° 12372 : JO AN Q12 août 2008, p. 6979 ; Rép. min. à QE n° 12373 : JO AN Q 12 août 2008, p. 6979. l’intérêt de l’enfant, lequel ne doit pas se confondre avec celui des parents (6). Un exercice d’autorité parentale parfois difficile à respecter. L’exercice de l’autorité parentale reste une source de conflits potentiels entre les parents dans le prolongement de leur séparation. La seconde espèce (n° 14-25027) en est la démonstration. La mère d’un nourrisson a déménagé avec lui sans prévenir le père. Ce dernier s’est alors vu privé de la possibilité d’exercer son droit de visite et d’hébergement dans des conditions normales. La mère a fait valoir qu’elle continuait d’allaiter l’enfant qui n’était pas âgé d’un an. En ne répondant pas sur ce point précis aux conclusions de la mère, la haute cour a considéré que la cour d’appel n’a pas satisfait à l’obligation de motivation au visa de l’article 455 du Code de procédure civile. En dépit de la violation flagrante par la mère de l’autorité parentale, la Cour de cassation donne à comprendre, tout en se rangeant derrière un argument procédural, que ce comportement bien qu’irrespectueux des droits de l’autre parent, force l’attention et la motivation via la prise en compte de toutes les explications. Ce que n’a pas fait la cour d’appel. Cette décision s’inscrit dans le prolongement d’une décision récente de la Cour de cassation( (7)) qui casse un arrêt de cour d’appel pour insuffisance de motivation. Dans cette espèce était en cause le déménagement soudain de la mère en violation de l’autorité parentale. La Cour de cassation considère dans cette espèce que la cour d’appel n’a pas suffisamment pris en compte la violation par la mère de l’autorité parentale. Il ressort de l’ensemble de ces décisions, tant d’un point de vue procédural que factuel, une exigence particulière dans la démonstration des modalités d’exercice de l’autorité parentale. Quelles que soient les conditions revendiquées par les parents, il leur appartient de ne pas empêcher son exercice. Il appartient ensuite au juge de statuer une fois toutes les demandes des parents prises en considération. Le critère et la finalité générale recherchée restent in fine l’intérêt de l’enfant. (6) Cass. 1re civ., 8 nov. 2005, n° 02-18360 : RJPF 2006/2-48, obs. F. Eudier – CA Versailles, 6 janv. 2009, n° 07/00294 – CA Lyon, 20 avr. 2006 : Juris-data n° 2006-312132 – CA Rennes, 20 mars 2006 : Juris-data n° 2006-316612. (7) Cass. 8 juill. 2015, n° 14-22101. Droit de visite et d’hébergement : obligation pour le juge de fixer les modalités, sans possibilité de délégation de cette tâche à la volonté du mineur 253q0 1 L’essentiel En décidant que le droit de visite et d’hébergement du père sera exercé avec l’assentiment de l’enfant, la cour d’appel, qui a subordonné l’exécution de sa décision à la volonté du mineur, a violé les articles 373-2, alinéa 2, et 373-2-9, alinéa 3, du Code civil. Cass. 1re civ., 23 sept. 2015, no 14-22636, Mme X c/ M. Y, D (cassation partielle sans renvoi CA Reims, 23 mai 2014), Mme Batut, prés. ; SCP Gadiou et Chevallier, SCP Rousseau et Tapie, av. G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1 71 G a ze tte Spé ci a li s é e Jurisp rud e n ce E ncore une fois, la Cour de cassation souligne que Delphine HORNECKER les juges du fond doivent Avocat au barreau de préciser les modalités du Paris, cabinet Mulon droit de visite et d’hébergeAssociés ment qu’ils fixent, et qu’ils ne peuvent s’en remettre à la volonté d’une tierce personne, même s’il s’agit de la volonté de l’enfant lui-même. Note par La cour d’appel décide, en l’espèce, de confirmer la résidence de l’enfant au domicile du père en prenant le soin de motiver sa décision sur la souffrance de l’enfant et son mal-être et en précisant qu’« il importe, par souci d’apaisement du mineur, de préciser que le droit de visite et d’hébergement accordé à la mère suppose l’assentiment de l’enfant (..). ». à l’enfance (3), ou encore par les services de l’espace rencontre (4). Serait-il réellement raisonnable de déléguer un tel pouvoir à une autre autorité que le pouvoir judiciaire (5) ? Une telle déjudiciarisation serait une porte ouverte à nombre de dérives dans la mesure où si on fait appel au pouvoir judiciaire, c’est bien parce que les parents n’ont pas réussi à se mettre d’accord entre eux et qu’un mineur, parfois instrumentalisé par l’un des parents, voire les deux, ne peut décider pour lui-même. C’est ce motif qui conduit la Cour de cassation à censurer l’arrêt d’appel, le droit de visite et d’hébergement ne pouvant être assorti d’une condition tenant à l’accord du mineur. Cette décision, qui doit être approuvée, s’inscrit dans le droit fil de la jurisprudence (1). En effet, celle-ci est constante pour refuser notamment que la fréquence et la durée des périodes au cours desquelles un parent pourrait exercer son droit d’accueil à l’égard de l’enfant soient déterminées par le bon vouloir des parents en l’absence d’accord entre eux (2), par le Service de l’aide sociale (1) Cass. 1re civ., 28 mai 2015, n° 14-16511 : D. 2015, p. 1207. (2) Cass. 1re civ., 23 nov. 2011, n° 10-23391 : D. 2011, p. 2934 ; D. 2012, p. 635, chron. B. Vassallo et C. Creton ; AJ famille 2012, p. 46, obs. C. Siffrein-Blanc ; RTD civ. 2012. p. 111, obs. J. Hauser. (3) Cass. 1re civ., 28 janv. 2003, n° 14-16511 : Dr et patr., mars 2003, n° 462 ; D. 2003, p. 862 – Cass. 1re civ., 13 oct. 1998, n° 98-05008 : Bull. civ. I, n° 297 ; D. 1999, p. 123, note M. Huyette ; D. 2001, obs. F. Granet ; RDSS 1999, p. 187, obs. F. Monéger ; RTD civ. 1999, p. 75, obs. J. Hauser – Cass. 1re civ., 28 janv. 2003, n° 00-05070 : RTD civ. 2003, p. 281, obs. J. Hauser – Cass. 1re civ., 13 mars 2007, n° 06-11674 : AJ famille 2007, p. 231, obs. F. C. ; D. 2007, p. 1084 ; D. 2007, p. 2192, obs. A. Gouttenoire et L. Brunet ; RTD civ. 2007, p. 329, obs. J. Hauser. (4) Cass. 1re civ., 10 juin 2015, n° 14-12592. (5) J. Hauser, « Toujours non au droit de visite purement potestatif » : RTD civ. 2015, p. 600. Conflit parental autour du baptême religieux : la recherche indispensable de l’intérêt supérieur de l’enfant 253q8 1 L’essentiel Après avoir exactement rappelé que le conflit d’autorité parentale relatif au baptême des enfants devait être tranché en fonction du seul intérêt des enfants, la cour d’appel a relevé par motifs propres et adoptés, d’une part, que les enfants âgés de six et sept ans ne souhaitaient pas être baptisés car ils ne comprenaient pas le sens de cette démarche, d’autre part, qu’ils ne souhaitaient pas, en l’état, revoir leur père, dont les droits de visite avaient été suspendus en raison de son comportement menaçant et violent, qu’elle en a souverainement déduit, sans méconnaître la liberté de conscience et de religion du père, qu’en l’état du refus de la mère, la demande de ce dernier, qui n’était pas guidée par l’intérêt supérieur des enfants, devait être rejetée. Cass. 1re civ., 23 sept. 2015, no 14-23724, M. X c/ Mme Y, PB (rejet pourvoi c/ CA Limoges, 10 sept. 2013), Mme Batut, prés. ; SCP Lesourd av. 72 G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1 Note par Sophie MALBAUTMANAS Avocat au barreau de Paris, Mulon Associés C et arrêt est une illustration supplémentaire de la place fondamentale de la notion de « l’intérêt de l’enfant » en cas de conflit parental. Il rappelle que le choix de la religion ou de l’absence de religion de l’enfant doit être guidé par ce seul intérêt. En l’espèce, un père exerçant conjointement l’autorité parentale a assigné la mère de leurs enfants nés en 2005 et 2006 afin d’être autorisé à les faire baptiser, la mère s’y opposant. La situation était d’autant plus conflictuelle que les enfants avaient fait l’objet d’un placement à l’Aide sociale à l’enfance et que les droits de visite du père avaient été suspendus en raison de son comportement violent et menaçant. Les juges du fond ont débouté le père de sa demande, en relevant, d’une part, que les enfants ne souhaitaient pas être baptisés et, d’autre part, la nature conflictuelle de la relation entre le père et les enfants. Ils en ont ainsi déduit que la demande du père n’était pas conforme à l’intérêt supérieur des enfants, sans que celui-ci puisse opposer G a z e tte Sp é cia lisée J u r i s p r u de n c e sa liberté de conscience et de religion pour imposer à ses enfants une religion dont ils ne voulaient pas. La solution pouvait difficilement être autre, en pratique, compte tenu des faits de l’espèce. Pour autant, elle n’est pas toujours aussi évidente, l’un des parents pouvant, après la séparation, évoluer dans son appréhension ou dans sa pratique de la religion, ce qui n’est pas sans poser difficulté pour les enfants, surtout lorsque cette religion a été pratiquée au cours de la vie commune par l’ensemble de la famille. Dès lors, en cas de désaccord sur cette pratique religieuse, décision qui relève de l’exercice en commun de l’autorité parentale, le juge aux affaires familiales doit être saisi par l’un des parents. Il statuera en tenant compte du choix des parents au temps de la vie familiale (1). (1) Cass. 1re civ., 11 juin 1991, n° 89-20878 : D. 1991, p. 521 note P. Mallaurie – CA Douai, ch. conseil, 8 janv. 2013 n° 12/03506 : Dr. famille 2013, n° 69, obs. C. Neirinck. Cette pratique, cependant, ne sera pas retenue lorsqu’elle présente un danger pour l’enfant ou, tout simplement, lorsqu’elle est contraire à son intérêt. Ainsi, l’importance de ce critère est ici à nouveau rappelée par la haute juridiction qui procède en matière d’orientation religieuse comme elle a eu l’occasion de le faire en matière d’orientation scolaire (2). Pour autant, cette notion doit être maniée avec précaution tant le choix et la pratique d’une religion pour les enfants peuvent être l’occasion, pour l’un des parents, d’instrumentaliser l’enfant et de l’éloigner de l’autre parent. (2) CA Paris, P. 3, 3e ch., 7 juill. 2010, n° 10/06190 : Juris-Data n° 2010-013176 – Cass. 1re civ., 8 nov. 2005, n° 02-18360 : Bull. civ. I, n° 404 – CA Douai, ch. 7, sect. 2, 28 août 2014, n° 14/05205 ; AJ famille 2014, p. 556., obs. E. Bazin. B. Résidence de l’enfant Rappel de la règle du rattachement fiscal des enfants en résidence alternée 253t2 1 L’essentiel La règle du partage de la majoration du quotient familial entre les parents en cas de résidence alternée des enfants peut être écartée s’il est justifié que l’un d’entre eux assume la charge principale des enfants. Cass. 1re civ., 9 sept. 2015, no 14-23687, M. X c/ Mme Y, PB (cassation partielle CA Colmar, 24 juin 2014), Mme Batut, prés. ; SCP Masse-Dessen, Thouvenin et Coudray, SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, av. L es conséquences fiscales des différentes organiLou BEN SIMON sations familiales sont bien souvent au centre des préoccupations des justiciables. En ce domaine, les règles fiscales ne sont pas toujours évidentes à appliquer et à anticiper. Note par Si l’arrêt du 9 septembre 2015 de la première chambre civile de la Cour de cassation n’est qu’une illustration des dispositions du Code général des impôts (CGI), il permet néanmoins de rappeler le fonctionnement du rattachement fiscal des enfants mineurs en cas de résidence alternée. Les faits de l’espèce étaient relativement simples : dans le cadre d’une instance en divorce, l’époux demandait à bénéficier de l’intégralité des parts fiscales des deux enfants résidant en alternance au domicile de chacun des parents et pour l’entretien desquels il versait une contribution à leur mère. La cour d’appel de Colmar déboute le père de sa demande au motif qu’en cas de résidence alternée, chacun des parents se voit rattacher la moitié des parts fiscales apportées par les enfants. Cette décision est cassée par la Cour de cassation au visa de l’article 194 du CGI qui vise expressément le cas de la résidence alternée, en prévoyant qu’à défaut de disposition contraire dans la convention homologuée par le juge, la décision judiciaire ou l’accord entre les parents, les enfants mineurs sont réputés être à la charge égale de l’un et de l’autre parent, ce qui entraîne un partage entre les parents des parts fiscales des enfants. Il s’agit cependant uniquement d’une présomption, ce même article disposant que celle-ci « peut être écartée s’il est justifié que l’un d’entre eux assume la charge principale des enfants ». En rejetant la demande du père tendant au rattachement des deux enfants à son seul foyer fiscal, sans rechercher si celui-ci avait ou non la charge principale des enfants, la cour d’appel de Colmar a donc violé l’article 194 du CGI, ce qui est sanctionné par la Cour de cassation. Cette possibilité est intéressante lorsque l’un des parents verse, comme en l’espèce, une contribution à l’entretien et à l’éducation des enfants, car celui-ci ne peut déduire de ses revenus imposables la pension qu’il verse pour eux s’ils sont rattachés à son foyer fiscal (CGI, art. 156 II 2°), de sorte que bénéficier de l’intégralité des parts fiscales des enfants représente nécessairement un avantage. Il convient néanmoins d’être vigilant à ce que les conditions posées par le Code général des impôts soient bien remplies dans les faits, les qualifications civiles ne s’imposant pas à l’administration fiscale. (...) G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1 73 G a ze tte Spé ci a li s é e Jurisp rud e n ce F. Minorité et droit international privé La demande relative à une obligation alimentaire concernant un enfant est accessoire à l’action relative à la responsabilité parentale 253s7 1 L’essentiel L’article 3 du règlement (CE) n° 4/2009 du 18 décembre 2008 doit être interprété en ce sens que lorsqu’une juridiction d’un État membre est saisie d’une action portant sur la séparation ou la rupture du lien conjugal entre les parents d’un enfant mineur et qu’une juridiction d’un autre État membre est saisie d’une action en responsabilité parentale concernant cet enfant, une demande relative à une obligation alimentaire concernant ce même enfant est uniquement accessoire à l’action relative à la responsabilité parentale au sens de l’article 3 d) du règlement. CJUE, 3e ch., 16 juill. 2015, no C-184/14, A c/ B, M. Ilešič, prés. ch., M. Caoimh, Mme C. Toader, rapp., MM. Jarašiūnas et Fernlund, juges, M. Bot, av. gén. D eux époux italiens, résidant de manière Sarajoan HAMOU permanente à Londres, s’opAvocat au barreau de posaient au sujet d’une Paris, associé, Mulon demande relative à une obliAssociés gation alimentaire en faveur de leurs enfants mineurs. Le père introduit une action contre la mère en Italie, visant à ce que soit ordonnée leur séparation aux torts de l’épouse et à ce que la garde des enfants soit partagée entre eux. Il propose également de verser la somme mensuelle de 4 000 € au titre de la contribution aux frais d’éducation et de soin des enfants. La mère forme une demande reconventionnelle afin que la séparation soit prononcée aux torts de l’époux avec l’octroi d’une pension mensuelle de 18 700 €, en soulevant toutefois l’incompétence du juge italien pour ce qui relève du droit de garde, du lieu de résidence et de la contribution à l’entretien des enfants dans la mesure où les enfants résident en Angleterre et que c’est donc la juridiction britannique qui devrait être compétente sur ces points, en application du règlement Bruxelles II bis. Note par Dans une première ordonnance, le tribunal de Milan se déclare compétent pour statuer sur la séparation de corps en application de l’article 3 du règlement Bruxelles II bis, mais déclare que seules les juridictions britanniques sont compétentes, sur le fondement de l’article 8 du même règlement, pour connaître des questions liées à la responsabilité parentale, les enfants résidant habituellement à Londres. L’époux introduit parallèlement un recours devant la High Court of Justice pour qu’il soit statué sur les modalités d’exercice de l’autorité parentale. S’agissant des pensions alimentaires, le tribunal italien distingue entre celle destinée à l’épouse et celle destinée aux enfants. Ainsi, il se considère compétent pour connaître de la demande de pension en faveur de l’épouse, s’agissant d’une demande accessoire à une action relative à l’état des personnes (la séparation de corps). En revanche, le tribunal décide qu’il n’est pas compétent pour statuer sur la demande de pension alimentaire relative 74 G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1 aux enfants, celle-ci étant accessoire à l’action relative à la responsabilité parentale pour laquelle la juridiction italienne n’est pas compétente. Le père forme alors un pourvoi devant la Cour de cassation qui sursoit à statuer et pose à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) une question préjudicielle sur le point de savoir si l’article 3 du règlement (CE) n° 4/2009 du 18 décembre 2008 doit être interprété en ce sens que lorsqu’une juridiction d’un État membre est saisie d’une action portant sur la séparation ou la rupture du lien conjugal entre les parents d’un enfant mineur et qu’une juridiction d’un autre État membre est saisie d’une action portant sur la responsabilité parentale concernant cet enfant, une demande relative à une obligation alimentaire concernant cet enfant peut être tranchée tant par le juge compétent pour connaître de l’action en séparation en tant qu’accessoire à l’action relative à l’état des personnes au sens de l’article 3 c) du règlement, que par le juge compétent pour connaître de l’action relative à la responsabilité parentale en tant que demande accessoire à celle-ci au sens de l’article 3 d) ou si une telle demande doit nécessairement être tranchée par la juridiction compétente pour connaître de l’action relative à la responsabilité parentale. La compétence des juridictions des États membres en matière d’obligations alimentaires est désormais réglée par le règlement (CE) n° 4/2009 qui prévoit, en son article 3, une règle de compétence générale en faveur de la juridiction du lieu où le défendeur ou le créancier a sa résidence habituelle. Est également compétente pour statuer sur les obligations alimentaires, la juridiction qui est compétente selon la loi du for pour connaître d’une action relative à l’état des personnes ou à la responsabilité parentale lorsque la demande relative à une obligation alimentaire est accessoire à cette action, sauf si cette compétence est fondée uniquement sur la nationalité d’une partie. Il convient donc d’interpréter la notion de demande accessoire au regard du règlement. La CJUE précise que cette interprétation ne saurait être laissée à l’appréciation des juridictions de chaque État membre en fonction de leur droit national, eu égard à l’exigence d’application uniforme du droit de l’Union dans la mesure où l’article 3 du règlement ne renvoie pas au droit des États membres pour la détermination du sens et de la portée de cette notion. En effet, la notion de demande accessoire doit trouver une interprétation autonome et uniforme (CJUE, 30 avr. 2014, n° C-26/13, Kasler et Kaslerné Rabai, pt 37) et doit être recherchée en tenant compte du libellé de la disposition en cause ainsi que du contexte de celle-ci et de l’objectif poursuivi par la règlementation concernée (CJCE, 2 avr. 2009, n° C-523/07, pt 34). Ainsi, la Cour se base sur une interprétation littérale de l’article 3 qui distingue bien les actions relatives à l’état des personnes de celles relatives à la responsabilité parentale. Le caractère alternatif des critères d’attribution de compétence ne permet pas d’établir sans équivoque si cela implique que les demandes relatives aux obligations G a z e tte Sp é cia lisée J u r i s p r u de n c e alimentaires pour un enfant ne sont accessoires qu’à une action relative à la responsabilité parentale ou si les demandes peuvent également être accessoires à une action relative à l’état des personnes. Il convient de relever que le règlement Bruxelles II bis opère une distinction entre le contentieux relatif au divorce, à la séparation de corps et à l’annulation du mariage, d’une part, et celui concernant l’attribution, l’exercice, la délégation, le retrait total ou partiel de la responsabilité parentale, d’autre part. La CJUE souligne qu’une demande relative aux obligations alimentaires concernant les enfants mineurs est intrinsèquement liée à l’action en responsabilité parentale. Quant aux objectifs poursuivis par le règlement (CE) n° 4/2009, il s’agit de préserver les intérêts des créanciers d’aliments et de favoriser une bonne administration de la justice au sein de l’Union. La Cour conclut, en réponse à la question posée, que l’article 3 du règlement doit être interprété en ce sens que lorsqu’une juridiction d’un État membre est saisie d’une action portant sur la séparation ou la rupture du lien conjugal entre les parents d’un enfant mineur et qu’une juridiction d’un autre État membre est saisie d’une action en responsabilité parentale concernant cet enfant, une demande relative à une obligation alimentaire concernant ce même enfant est uniquement accessoire à l’action relative à la responsabilité parentale au sens de l’article 3 d) du règlement. Nous ne pouvons que saluer la clarification apportée par la Cour sur ce point. La demande de délivrance d’un passeport au nom de l’enfant par un parent seul relève de la responsabilité parentale au sens du règlement Bruxelles II bis 253q7 1 L’essentiel L’action par laquelle l’un des parents demande d’une part au juge de pallier le défaut de consentement de l’autre parent au voyage de leur enfant en dehors de l’État membre de résidence de celui-ci, et d’autre part la délivrance d’un passeport au nom de cet enfant, relève du champ d’application matériel du règlement n° 2201/2003 dit Bruxelles II bis. CJUE, 4e ch., 21 oct. 2015, no C-215/15, Gogova c/ Iliev, M. Bay Larsen, ff. prés., MM. Malenovský, Safjan, Mmes Prechal et Jürimäe (rapp.), juges, M. Mengozzi, av. gén. D eux ressortissants bulgares, résidant en Italie, Sarajoan HAMOU ont un enfant, également de nationalité bulgare. La mère souhaite obtenir le renouvellement du passeport de l’enfant afin de pouvoir voyager avec lui en Bulgarie. Or, selon le droit bulgare, la décision concernant le voyage d’un enfant mineur et l’obtention d’un passeport à son nom est prise d’un commun accord par les parents. D’ailleurs, la demande d’un passeport doit être faite par les deux parents ensemble auprès des autorités administratives compétentes. Le père ne s’associe pas à la demande de la mère pour la délivrance d’un nouveau passeport au nom de l’enfant. La mère introduit alors une demande devant un juge bulgare afin que soit tranché leur désaccord concernant la possibilité pour leur enfant de voyager en dehors du territoire national et la délivrance d’un nouveau passeport. Dans l’impossibilité de notifier la requête introductive d’instance au père (qui était introuvable à son adresse déclarée), le magistrat désigne un mandataire ad litem pour le représenter. Ce mandataire ne conteste pas la compétence des juridictions bulgares et déclare que le litige doit être résolu en fonction de l’intérêt de l’enfant. Note par Le juge bulgare considère que la demande de la mère relève de l’article 127 a du Code de la famille bulgare et concerne la responsabilité parentale à l’égard d’un enfant, au sens de l’article 8 (1) du règlement n° 2201/2003. Ainsi, constatant que l’enfant résidait habituellement en Italie, le tribunal se déclare incompétent. La mère interjette alors appel de cette ordonnance et tente de fonder la compétence des juridictions bulgares sur l’article 12 dudit règlement (2), ce qui est également rejeté. La mère va alors devant la Cour de cassation qui sursoit à statuer et interroge la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) par le biais de questions préjudicielles afin de savoir si l’absence de consentement d’un parent pour la délivrance du passeport de l’enfant relève ou non de la compétence du règlement n° 2201/2003 dit Bruxelles II bis. Plus précisément, il s’agit de déterminer si une telle procédure concerne la « responsabilité parentale » au sens de l’article 2, point 7, du règlement. De plus, la Cour est interrogée sur la possibilité de fonder la compétence des juridictions bulgares sur l’article 12 du règlement compte tenu du fait que le mandataire désigné pour représenter le père n’a pas contesté la compétence des juridictions bulgares. S’agissant de la première question, la CJUE précise que la notion de « responsabilité parentale » fait l’objet, à l’article 2 du règlement n° 2201/2003, d’une définition large en ce qu’elle comprend l’ensemble des droits et des obligations conférés à une personne physique ou morale sur la base d’une décision judiciaire, d’une attribution de plein droit ou d’un accord en vigueur, à l’égard de la personne (1) Art. 8 : « 1. Les juridictions d’un État membre sont compétentes en matière de responsabilité parentale à l’égard d’un enfant qui réside habituellement dans cet État membre au moment où la juridiction est saisie. 2. Le paragraphe 1 s’applique sous réserve des dispositions des articles 9, 10 et 12 ». (2) Art. 12.3 : « Les juridictions d’un État membre sont également compétentes en matière de responsabilité parentale dans des procédures autres que celles visées au paragraphe 1 lorsque a) l’enfant a un lien étroit avec cet État membre du fait, en particulier, que l’un des titulaires de la responsabilité parentale y a sa résidence habituelle ou que l’enfant est ressortissant de cet État membre et b) leur compétence a été acceptée expressément ou de toute autre manière non équivoque par toutes les parties à la procédure à la date à laquelle la juridiction est saisie et la compétence est dans l’intérêt supérieur de l’enfant ». G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1 75 G a ze tte Spé ci a li s é e Jurisp rud e n ce ou des biens d’un enfant (3). Par ailleurs, l’article 1er, § 2, du règlement énumère les matières couvertes par le règlement au titre de la « responsabilité parentale », mais cette énumération n’est pas exhaustive, comme le démontre l’utilisation du terme « notamment » (4). Afin de déterminer si une demande entre dans le champ d’application du règlement Bruxelles II bis, la Cour rappelle qu’il y a lieu de s’attacher à l’objet de celle-ci. En l’espèce, dans l’action introduite par la mère, le juge est amené à se prononcer sur la nécessité, pour l’enfant concerné, d’obtenir un passeport et sur le droit du parent requérant de déposer la demande afférente à ce passeport ainsi que de voyager à l’étranger sans le consentement de l’autre parent. La Cour conclut qu’une telle action relève de la responsabilité parentale au sens de l’article 1er du règlement, d’autant qu’une telle action ne relève pas des exceptions limitativement énumérées au § 3 de cet article. La Cour prend également le soin de préciser qu’il y a lieu de considérer qu’une telle action avait bien pour objet l’exercice de la responsabilité parentale au sens du règlement, peu important que l’objectif ait été d’obtenir une décision spécifique à une difficulté ponctuelle et non de définir les modalités d’exercice de la responsabilité parentale dans son ensemble. Par ailleurs, la CJUE a l’occasion de se prononcer sur l’article 12 du règlement et sur ce qu’on entend par compétence « acceptée expressément ou de toute autre manière non équivoque par toutes les parties à la procédure ». Rappelons que l’article 8 du règlement pose une règle de compétence générale en faveur des juridictions de l’État membre dans lequel l’enfant réside habituellement en matière de responsabilité parentale. À cette règle générale s’ajoutent des exceptions et des cas de prorogation de compétence. L’article 12, § 3, prévoit ainsi que les juridictions d’un État membre sont compétentes en matière de responsabilité parentale lorsque leur compétence a été acceptée expressément ou de toute autre manière non équivoque par toutes les parties à la procédure à la date à laquelle la juridiction est saisie, et que la compétence est dans l’intérêt supérieur de l’enfant. Or, en l’espèce, il s’agissait de déterminer si ce principe s’applique dans l’hypothèse où le père ne s’est pas manifesté dans la procédure et est représenté par un mandataire. L’arrêt retient que la compétence ne saurait être considérée comme ayant été acceptée expressément ou de toute autre manière non équivoque par toutes les parties à la procédure, au seul motif que le mandataire représentant le défendeur n’a pas soulevé l’incompétence du juge. Il n’est pas certain qu’il faille tirer une règle générale de cet arrêt s’agissant de l’interprétation de l’article 12, § 3, du règlement, la position de la Cour étant plutôt liée aux faits de l’espèce, contrairement à la réponse à la première question qui peut tenir lieu d’enseignement général quant à la définition de la « responsabilité parentale » dans le cadre du règlement Bruxelles II bis. (3) CJUE, gde ch., 27 nov. 2007, n° C-435/06, EU:C:2007:714, pt 49 ; CJUE, 2e ch., 26 avr. 2012, n° C-92/12 PPU, EU:C:2012:255, pt 59. (4) CJUE, gde ch., 27 nov. 2007, préc. pt 30 ; CJUE, 2e ch., 26 avr. 2012, préc., pt 63. V. FILIATION Imprescriptibilité de l’action en recherche de paternité et ordre public international : un arrêt attendu 253q9 1 L’essentiel La Cour de cassation approuve les juges d’appel d’avoir appliqué la loi allemande à une action en recherche de paternité, même si, contrairement au droit français, le droit allemand ne prescrit pas l’exercice de cette action. En effet, la Cour de cassation considère que cette circonstance est à elle seule insuffisante à caractériser une contrariété à l’ordre public international français. Cass. 1re civ., 7 oct. 2015, no 14-14702, Consorts Y c/ Mmes X, PB (rejet pourvoi c/ CA Paris, 28 janv. 2014), Mme Batut, prés. ; SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, SCP Spinosi et Sureau, av. D ans cette espèce, deux sœurs ont été inscrites Camille ANGER sur les registres de l’état Avocat au barreau de civil français, comme nées Paris, BWG Associés de père français et de mère allemande, à la suite de leur action en reconnaissance de paternité. Note par Après le décès de leur père, elles ont assigné sa veuve et ses quatre filles légitimes pour faire constater leur filiation paternelle. Le juge de première instance a déclaré la loi allemande applicable et ordonné, avant dire droit, une expertise biologique. La cour d’appel a confirmé cette décision en ce que, selon l’article 311-14 du Code civil, la filiation est régie par la loi personnelle de la mère au jour de la naissance de l’enfant, et qu’en l’espèce, il n’est pas contesté que la mère était de nationalité allemande au jour de la naissance de Chantal X et Nadia X, les deux sœurs à l’origine de l’action. Les quatre filles légitimes du père forment donc un pourvoi contre cet arrêt, arguant du fait que la loi allemande, déclarant imprescriptible l’action en recherche de 76 G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1 G a z e tte Sp é cia lisée J u r i s p r u de n c e paternité, devait être écartée par le juge français comme contraire à l’ordre public international français. Leur argumentation est rejetée par la Cour de cassation, laquelle, dans un attendu laconique, affirme que la mise en œuvre d’une loi étrangère, valablement désignée par la règle de conflit de l’article 311-14 du Code civil français, qui « (...) ne soumettait pas l’exercice de l’action en constatation judiciaire de paternité à un délai de prescription, à la différence du droit français, cette circonstance était à elle seule insuffisante à caractériser une contrariété à l’ordre public international français conduisant à l’éviction de la loi étrangère (...) ». Dès lors que l’on touche à la paix des familles et à la stabilité des liens familiaux, la jurisprudence semble évoluer à tâtons. Ainsi la Cour de cassation a-t-elle déclaré conformes à l’ordre public international français des lois étrangères instaurant un délai plus long ou plus court que celui prévu par la loi française (1). En revanche, concernant non plus la durée du délai, mais l’imprescriptibilité de l’action, la jurisprudence de la Cour de cassation a oscillé. Elle a d’abord considéré que même les lois qui ne prescrivent aucun délai ne portent pas atteinte à l’ordre public international (2). Mais, par la suite, dans une décision du 13 novembre 1979, la Cour a estimé que la loi du 3 janvier 1972 avait fait évoluer l’ordre public international, dans un souci de stabilité des filiations, en prévoyant la prescriptibilité des actions en matière de filiation, et qu’au jour où elle statuait, cette loi traduisait une « conception actuelle fondamentale au sens de l’ordre public international français » qui justifiait d’écarter l’application de la loi étrangère, rendant imprescriptible l’action en contestation de paternité (3). Au nom de ce même principe d’actualité de l’ordre public international, il fallait s’interroger, dans l’affaire commentée, sur l’état actuel du droit interne français de la filiation, et sur une éventuelle nouvelle évolution de l’ordre public international français en la matière, susceptible de remettre en cause cette jurisprudence de 1979. En effet, la réforme de 2005 a allongé le délai de prescription de deux à dix ans. On pourrait donc considérer que l’ordonnance de 2005 entend favoriser les actions en reconnaissance de paternité en allongeant les délais, mais on pourrait également lire dans cette réforme le maintien de limites, et donc le souci de ne pas troubler les situations au-delà d’un délai raisonnable. L’arrêt du 7 octobre dernier marque donc un tournant, d’autant plus que, jusqu’à présent, aucune distinction ne semblait avoir été faite entre les actions ayant pour but la (1) Cass. 1re civ., 10 mai 1960 : Rev. crit. DIP 1960, p. 250, note H. Batiffol – CA Paris, 9 mai 1980 : Rev. crit. DIP 1980, p. 603, note J. Foyer – Cass. soc., 12 juill. 2010, n° 07-44655 : Rev. crit. DIP 2011, p. 72, note V. Parisot – Cass. 1re civ., 6 oct. 2010, n° 09-10530. Contra : Cass. 1re civ., 30 nov. 1938 : DP 1939, p. 57. (2) Cass. 1re civ., 10 mai 1960 : Rev. crit. DIP 1960, p. 250, note H. Batiffol. (3) Cass. 1re civ., 13 nov. 1979, n° 78-12634 : Gaz. Pal. Rec. 1980, t. 2, p. 764 ; Rev. crit. DIP 1980, p. 753. contestation d’une filiation déjà existante et celles tendant à faire établir l’existence d’une filiation ; les deux seules décisions précédentes concernant l’établissement de la filiation étaient des arrêts de cours d’appel, qui plus est en sens contraire (4). Ainsi donc, à contre-courant d’une jurisprudence établie quant à la contestation de paternité, la Cour de cassation statue pour la première fois sur l’hypothèse d’une imprescriptibilité de l’action en recherche de paternité. L’intérêt de l’enfant n’est évidemment pas le même dans les deux cas, puisqu’il est davantage dans son intérêt de voir déclarer une action en recherche de paternité imprescriptible que de prévoir l’imprescriptibilité de l’action en contestation de cette paternité. Cette nouvelle inflexion jurisprudentielle n’est pas sans faire écho à l’émergence d’une jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme tendant à considérer le droit de l’enfant à établir sa filiation à l’égard de son parent biologique comme un droit fondamental, garanti par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme, et à encadrer de plus en plus étroitement la marge d’appréciation laissée aux États en la matière (5). Enfin, il faut relever que, s’agissant des conditions de preuve de la paternité, cette décision s’inscrit dans un courant jurisprudentiel établi. Si la jurisprudence admet la contrariété à l’ordre public international français de décisions en établissement de paternité fondées uniquement sur les affirmations de la mère (6), elle considère en revanche que les exigences de l’ordre public international français sont remplies lorsque les déclarations de la mère sont corroborées par d’autres éléments de preuve (7). En l’espèce, la décision attaquée relève d’autres éléments tels que de nombreuses photographies des intimées avec leur père à différents âges de leur vie, des courriers, notamment entre les parents, sans équivoque, sur la nature des relations entre eux, ainsi qu’un témoignage. (4) CA Riom, 6 mai 2008, n° 07/00882 : « la conception française du droit de la filiation (…) est la recherche d’une stabilisation de la filiation au terme des délais d’action récemment unifiés par la loi du 4 juillet 2005 qui, [en portant] de deux à dix ans le délai de l’action en recherche de paternité, [n’a] pas affaibli la considération que la filiation ne peut être indéfiniment remise en cause et que sa sécurisation constitue un impératif essentiel » – CA Toulouse, 15 juin 2004, n° 01/04665 : « le droit à l’établissement de ses véritables origines constitue un droit fondamental, et le caractère imprescriptible d’une action en recherche de paternité naturelle, en l’absence de toute autre filiation paternelle préalablement établie, n’apparaît pas contraire à l’ordre public international français ». (5) CEDH, 16 juin 2011, n° 19535/08, Pasquaud c/ France – CEDH, 26 juin 2014, n° 65192/11, Mennesson c/ France – CEDH, 26 juin 2014, n° 65941/11, Labassee c/ France. (6) Cass. 1re civ., 19 déc. 1973, n° 72-14652 – Cass. 1re civ., 3 janv. 1980, n° 78-12086 : D. 1981, p. 160, note B. Audit. (7) Cass. 1re civ., 2 déc. 1992, n° 90-21448. G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1 77 G a ze tte Spé ci a li s é e Jurisp rud e n ce Réception dans l’ordre juridique français des liens de filiation résultant d’une gestation pour autrui à l’étranger : les résistances de la cour d’appel de Rennes 253r2 1 L’essentiel Les deux arrêts rendus le 28 septembre dernier par la cour d’appel de Rennes dans des affaires de gestation pour autrui, l’une avec l’Inde (arrêt n° 14/05537), l’autre avec la Californie (arrêt n° 14/07321), témoignent des réticences dont continuent à faire preuve les juges du fond en la matière, même après les arrêts Mennesson et Labassée de la Cour de Strasbourg et les décisions rendues par la Cour de cassation en assemblée plénière le 3 juillet dernier. Sans aller jusqu’à juger à rebours de ces décisions, les magistrats rennais en livrent une interprétation qui pouvait difficilement être plus restrictive, y compris s’agissant de la filiation paternelle. CA Rennes, 6e ch. A, 28 sept. 2015, no 14/05537, M. C et a. c/ Ministère public et a., Mme Calot, prés., Mmes Sochacki, Dotte-Charvy, cons. - CA Rennes, 28 sept. 2015, no 14/07321, Consorts X c/ Ministère des Affaires étrangères et a., Mme Calot, prés., Mmes Sochacki, Dotte-Charvy, cons. À l’exception du pays choisi pour le recours à la Laurie DIMITROV gestation pour autrui, les Avocat au barreau de circonstances de fait étaient Paris, BWG Associés proches dans ces deux affaires : couples commanditaires, de nationalité française, ayant fait appel à des mères porteuses à l’étranger pour mettre au monde des enfants issus – au dire des parties – des gamètes du mari. Note par Contrairement aux affaires dont la Cour de cassation avait eu à connaître en juillet dernier (1), les noms des deux parents d’intention figuraient sur les actes de naissance étrangers, la mère porteuse n’étant pour sa part pas mentionnée. La question de savoir si la filiation à l’égard de la mère d’intention pouvait également faire l’objet d’une transcription était donc ici clairement posée. Dans la première affaire, il existait, pour l’enfant né à Bombay (Inde), un acte de naissance français établi par les services consulaires français sur la base notamment de l’acte de naissance indien indiquant les époux commanditaires en qualité de parents, du (faux) certificat d’accouchement émis par l’hôpital de Bombay au profit de la mère d’intention, et du livret de famille des époux. Il semble que les parents d’intention aient cherché à obtenir la transcription de l’acte de naissance français auprès des autorités philippines en vue d’obtenir un passeport philippin pour l’enfant, et qu’à cette occasion, les autorités philippines se soient mises en rapport avec les autorités françaises, lesquelles réagirent, en la personne du procureur de la République de Nantes, en assignant les parents commanditaires aux fins d’annulation de l’acte de naissance français litigieux. (1) Cass. ass. plén., 3 juill. 2015, nos 14-21323 et 15-50002 : Gaz. Pal. 6 oct. 2015, p. 42, n° 241z6, note I. Rein-Lescastereyres ; RTD civ. 2015, p. 581, note J. Hauser ; D. 2015, p. 1819, note H. Fulchiron et C. Bidaud-Garon ; Dr. Famille 2015, étude n° 14, note I. Corpart ; JCP G 2015, 965, note A. Gouttenoire ; RJPF 2015, n° 9, note I. Corpart ; RLDC 2015, p. 129, note M.-C. Le Boursicot. 78 G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1 Dans la seconde affaire, les services consulaires chargés de l’état civil à Los Angeles, auprès desquels les parents d’intention avaient sollicité la transcription des actes de naissance de leurs jumeaux, avaient été alertés par l’absence de documents médicaux sur le suivi de la grossesse de la mère, et en avait référé au procureur de la République de Nantes, qui avait fait obstacle à la transcription. Les époux commanditaires avaient alors assigné le procureur aux fins de voir ordonner la transcription. Dans les deux cas, les premiers juges avaient suivi le ministère public sur le terrain de la fraude à la loi constituée par le recours à une mère porteuse à l’étranger, dans le but de contourner l’interdit français de la gestation pour autrui prévu à l’article 16-7 du Code civil. Toutefois, cette position ne tenait plus au regard du dernier état de la jurisprudence de l’assemblée plénière de la Cour de cassation qui, tirant les conséquences des arrêts Mennesson et Labassée de la Cour européenne des droits de l’Homme (2), considère désormais que, dès lors que les conditions de l’article 47 du Code civil sont remplies – c’est-à-dire dès lors que l’acte de naissance n’est ni irrégulier ni falsifié, et que les faits qui sont déclarés correspondent à la réalité –, la convention de gestation pour autrui ne fait pas obstacle à la transcription de l’acte de naissance sur les registres français d’état civil (3). C’est dans cette brèche que s’est engouffrée la cour d’appel de Rennes dans les arrêts commentés, considérant que les garde-fous posés par l’article 47 du Code civil n’étaient pas respectés en l’espèce, s’agissant de la filiation de la mère d’intention. Opérant une substitution de motifs, elle confirme les jugements attaqués, au motif que la condition de la correspondance entre les faits déclarés dans l’acte et la réalité fait ici défaut. Pour en arriver à cette conclusion, la cour d’appel se réfère tout d’abord à l’article 311-14 du Code civil français, aux termes duquel la filiation est régie par la loi personnelle de la mère au jour de la naissance de l’enfant ou, si la mère n’est pas connue, par la loi personnelle de l’enfant. Pour la cour d’appel, la loi personnelle de la mère doit ici s’entendre comme étant la loi nationale de la mère désignée dans l’acte de naissance étranger, à savoir celle de (2) CEDH, 5e sect., 26 juin 2014, nos 65192/11 et 65941/11, Mennesson c/ France et Labassée c/ France : D. 2014, p. 1797, note F. Chenédé ; D. 2014, p. 1787, obs. P. Bonfils et A. Gouttenoire ; D. 2014, p. 1806, note L. d’Avout, « La “reconnaissance” de la filiation issue d’une gestation pour autrui à l’étranger, après les arrêts Mennesson et Labassée » ; H. Fulchiron et C. Bidaud-Garon, « Ne punissez pas les enfants des fautes de leurs pères : commentaire prospectif des arrêts Labassée et Mennesson de la CEDH » : AJDA 2014, p. 1763 ; AJ famille 2014, p. 499, obs. B. Haftel, et p. 396, obs. A. Dionisi-Peyrusse ; RTD civ. 2014, p. 616, obs. J. Hauser ; V. Depadt, « La Cour européenne à l’aide des enfants nés d’une GPA » : RJPF 2014, p. 9. (3) Cass. ass. plén., 3 juill. 2015, nos 14-21323 et 15-50002, préc., aux termes desquels la Cour de cassation a repris le raisonnement adopté par la circulaire Taubira du 25 janv. 2013 relative à la délivrance des certificats de nationalité française (NOR:JUSC1301528C) recommandant la délivrance d’un certificat de nationalité française à l’enfant né d’une GPA à l’étranger dès lors que l’un des parents, de nationalité française, pouvait présenter un acte d’état civil probant en France au regard de l’article 47 du Code civil. G a z e tte Sp é cia lisée J u r i s p r u de n c e la mère d’intention – c’est-à-dire en l’occurrence la loi française –, ce dont on peut déjà s’étonner, comme nous y reviendrons plus loin. Relevant qu’en l’état actuel du droit positif français, la filiation maternelle ne peut être attribuée qu’à la femme qui a accouché, la cour d’appel refuse par ailleurs expressément de transposer au cas d’espèce la fiction légale de la filiation adoptive en raison de « l’absence de statut propre de l’enfant né par gestation pour autrui à l’étranger ». À cet égard, il semble d’ailleurs que la notion de fraude revienne ici par la petite porte dans le champ de l’argumentation de la cour d’appel, puisque cette dernière lie l’absence de statut propre de l’enfant né d’une mère porteuse à l’illicéité des conventions de gestation pour autrui en droit français : « (…) en l’état actuel du droit positif, la fiction légale de la filiation adoptive, non conforme à la vérité biologique, qui tend à assimiler l’adopté à un enfant légitime, ne saurait être transposée au cas de l’enfant né d’une gestation pour autrui, de façon à effacer, dans l’intérêt supérieur de l’enfant, la filiation de la mère de substitution au profit de la mère d’intention n’ayant pas accouché, en l’absence de statut propre de l’enfant né par GPA à l’étranger et vivant en France au sein d’un foyer familial qui pourvoit à son éducation et à son entretien, étant ajouté que l’incrimination de l’article 227-12 du Code pénal cristallise l’illicéité des convention portant sur la gestation pour le compte d’autrui en France, assortie d’une prohibition d’ordre public en vertu de l’article 16-7 du Code civil, comme contrevenant au principe d’ordre public de l’indisponibilité du corps humain et de l’état des personnes ». Tout d’abord, la « réalité » à laquelle se réfère ici la cour d’appel n’est pas une réalité purement factuelle, mais une réalité interprétée à travers le prisme du droit français, et plus précisément de la conception française de la maternité. La cour d’appel commence en effet par rechercher la loi applicable à la filiation et, considérant qu’il s’agit de la loi française, elle en déduit que cette loi ne permet pas de considérer la mère d’intention comme la mère « réelle » au prétexte qu’elle n’a pas accouché de l’enfant. En se plaçant à ce stade sur le terrain du droit, et non du fait, il nous semble déjà que la cour donne à l’article 47 du Code civil une portée que l’on pourrait lui contester. Ensuite, même à considérer que la « réalité » de la filiation doive être appréciée au regard du droit applicable à cette filiation, il n’est pas du tout évident qu’il s’agissait ici du droit français. Pour la mise en œuvre de la règle de conflits posée à l’article 311-14 du Code civil, la cour d’appel applique à la filiation la loi personnelle de la mère figurant sur l’acte de naissance (en application de C. civ., art. 311-25 (5)), alors même qu’elle considère dans le même temps que cet acte de naissance ne saurait faire foi dans l’ordre juridique français dans la mesure où ses énonciations ne correspondent pas à la réalité. Il nous paraît pour le moins paradoxal, dans un tel contexte, de se référer à ces mêmes énonciations pour les besoins de la mise en œuvre de la règle de conflit. Dans la mesure où l’acte de naissance étranger est écarté, il aurait semblé plus naturel de considérer comme mère celle qui a accouché de l’enfant, conformément à la lettre des autres textes visés par la cour d’appel, à savoir les articles 325, alinéa 2 (6), et 332, alinéa 1er du Code civil (7). Dans la mesure où la mère d’intention peut parfois être la mère biologique procréatrice, mais jamais la mère gestatrice, la cour d’appel en conclut que les faits déclarés dans les actes de naissance étrangers ne correspondent pas à la réalité, dès lors que le nom de la mère d’intention a été substitué à celui de la mère ayant accouché de l’enfant, en l’espèce la mère porteuse américaine dans un cas, indienne dans l’autre. Une telle interprétation aurait conduit la cour à considérer que la mère dont la loi personnelle devait être appliquée à la filiation était la mère porteuse, ce qui aurait dû l’amener à reconnaître que les énonciations des actes de naissance étaient conformes à la réalité dans la mesure où, que ce soit en vertu de la loi californienne ou en vertu de la loi indienne, il est vraisemblablement possible de déconnecter maternité et accouchement. En raisonnant de la sorte, la cour d’appel ferme la voie de la transcription de la filiation à l’égard de la mère d’intention, quand bien même il s’agirait de la mère génétique, c’est-à-dire de celle qui aurait fait don de l’ovule fécondé. Par ailleurs, sur le plan des droits fondamentaux, il est permis de se demander si, aux yeux de la Cour de Strasbourg, l’intérêt de l’enfant ne devrait pas commander de reconnaître sa filiation à l’égard de sa mère d’intention, a fortiori quand il s’agit de sa mère génétique. L’avenir, et de futurs arrêts de la CEDH, nous le diront. Pour ce faire, elle adopte l’interprétation la plus étroite possible des arrêts Mennesson et Labassée, considérant « qu’en tout état de cause, l’intérêt supérieur de l’enfant que garantit l’article 3, § 1, de la Convention internationale des droits de l’enfant, le respect de la vie privée et familiale de l’enfant et son droit à une identité qui inclut la filiation et la nationalité au sens de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, ne saurait être utilement invoqués que si la filiation paternelle est conforme à la vérité biologique, comme résultant d’une expertise biologique judiciairement établie selon les modalités de l’article 16-10 du Code civil, confiée à un laboratoire dûment agréé » (4). Un tel raisonnement peine à emporter la conviction pour plusieurs raisons. (4) NDA : nous mettons en italique. Enfin, même à l’égard de la filiation paternelle, les magistrats rennais se montrent particulièrement circonspects, exigeant des garanties poussées (certains diront peut-être disproportionnées) sur la réalité de la paternité biologique du père d’intention en présence d’une dissimulation, par les parents commanditaires, des circonstances réelles de la naissance. En effet, dans les deux affaires, la cour d’appel considère les éléments du dossier comme insuffisants à démontrer que le père d’intention était le père biologique. (5) Aux termes duquel « La filiation est établie, à l’égard de la mère, par la désignation de celle-ci dans l’acte de naissance de l’enfant ». (6) « L’action est réservée à l’enfant qui est tenu de prouver qu’il est celui dont la mère prétendue a accouché ». (7) « La maternité peut être contestée en rapportant la preuve que la mère n’a pas accouché de l’enfant ». G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1 79 G a ze tte Spé ci a li s é e Jurisp rud e n ce Or si, dans l’affaire indienne, le courrier délivré par l’hôpital de Bombay pouvait certainement être sujet à caution (dans la mesure où ce même hôpital semblait avoir délivré un faux certificat d’accouchement à la mère d’intention), il n’en allait, nous semble-t-il, pas de même de la décision rendue par la juridiction californienne sur la « paternity and maternity via gestational surrogacy », qui avait déclaré « les époux P. parents légaux d’enfants à naître entre le 1er août 2010 et le 1er janvier 2011 » et ayant précisé que « le patrimoine génétique de M. P. a été utilisé, que les embryons transférés dans l’utérus de Mme J. sont issus de la fécondation d’un ovule par don par le propre sperme de M. P. ». La cour d’appel considère pourtant que la paternité biologique n’est pas établie et que la décision américaine « ne saurait justifier de faire produire en France les effets juridiques dérivant de droits irrégulièrement acquis à l’étranger sur la base de déclarations mensongères ». Outre le fait que, là encore, l’ombre de la fraude à la loi plane sur la décision de la cour d’appel pour l’empêcher de reconnaître non seulement la filiation d’intention à l’égard de la mère, mais également la filiation à l’égard du père biologique, il semble bien que la cour place ici les parents dans une situation inextricable d’un point de vue probatoire, puisqu’elle exige une paternité biologique « judiciairement établie », tout en soulignant elle-même que, dans le cadre d’actions aux fins de transcription ou d’annulation de l’acte transcrit, le recours à une expertise génétique est fermé (8). On voit donc assez mal, dans un tel contexte, comment le père d’intention pourra faire la preuve de sa paternité biologique de manière irréfutable. Il convient toutefois de souligner que, dans les deux espèces commentées, les parents commanditaires avaient tenté de camoufler la gestation pour autrui en effectuant de fausses déclarations, et même en fournissant de faux (8) « Ni la demande à une action tendant à la transcription d’un acte de naissance d’un enfant né d’une gestation pour autrui établie par une autorité étrangère, ni la défense à une action en nullité de l’acte de naissance d’un enfant né d’une gestation pour autrui établie par une autorité consulaire française, n’est une action d’état pouvant servir de support à la prescription d’une mesure d’expertise génétique ». documents médicaux tendant à faire croire aux autorités françaises que la mère d’intention avait accouché de l’enfant. Ce comportement (qui s’expliquait sans doute par la rigueur de la position de la Cour de cassation à l’époque où ces couples avaient eu recours à la GPA (9)) eut pour résultat de jeter le discrédit sur l’ensemble du processus, y compris sur la réalité de la paternité biologique du père d’intention. Aussi, il se peut que les juges rennais fassent preuve de plus de souplesse (seulement en ce qui concerne la paternité d’intention conforme à la vérité biologique) en présence d’un couple qui se montrerait transparent sur les circonstances de la naissance de l’enfant. Dans une telle hypothèse, et en présence d’« éléments médicaux concernant le programme de fécondation artificielle » suffisamment probants et de nature à confirmer la réalité de la paternité biologique du père d’intention, on peut supposer que la transcription serait acceptée. C’est à cette seule condition qu’une telle jurisprudence nous semble pouvoir résister à l’examen de la Cour de cassation et, surtout, de la Cour européenne des droits de l’Homme qui, rappelons-le, a érigé la filiation en élément fondamental de l’identité de l’enfant, a fortiori lorsque celle-ci est conforme à la réalité biologique. Il n’en demeure pas moins qu’avec cette jurisprudence qui, si elle n’est pas fondée sur la fraude, en est fortement empreinte, les enfants auxquels la transcription de leur filiation, tant paternelle que maternelle, a été refusée, portent plus que jamais sur leurs épaules les fautes commises par leurs parents, ce dont s’était pourtant émue la Cour européenne dans ses arrêts Mennesson et Labassée. (9) Refus de transcription sur le fondement de la contrariété à l’ordre public international : Cass. 1re civ., 6 avr. 2011, nos 10-19053, 09-17130 et 09-66486 : Gaz. Pal. Rec. 2011, jur. 1512, note B. Weiss-Gout ; Rev. crit. DIP 2012, p. 722, note P. Hammje – Refus de transcription sur le fondement de la fraude : Cass. 1re civ., 13 sept. 2013, nos 12-30138 et 12-18315 : obs. I. Gallmeister ; D. 2013, p. 2384, note M. Fabre-Magnan ; D. 2014, p. 1059, obs. H. Gaudemet-Tallon ; D. 2014, p. 1171, obs. F. Granet-Lambrechts ; D. 2014, p. 1787, obs. P. Bonfils et A. Gouttenoire ; AJ famille 2013, p. 579, obs. F. Chenédé, et p. 532, obs. A. Dionisi-Peyrusse ; Rev. crit. DIP 2013, p. 909, note P. Hammje ; RTD civ. 2013, p. 816, obs. J. Hauser. (...) VII. INCAPACITÉS Exercice de l’action en nullité pour insanité d’esprit 253t7 1 L’essentiel Le légataire universel a qualité pour agir en nullité d’un acte à titre onéreux sur le fondement de l’article 489-1 ancien du Code civil. Une fondation, légataire universelle, peut ainsi demander la nullité, pour insanité d’esprit, d’actes de vente conclus par le de cujus. 80 G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1 Cass. 1re civ., 8 juill. 2015, no 14-17768, M. et Mme Y c/ Fondation pour la recherche médicale, PB (rejet pourvoi c/ CA Montpellier, 20 mars 2014), Mme Batut, prés. ; SCP Jean-Philippe Caston et Sureau, av. G a z e tte Sp é cia lisée J u r i s p r u de n c e Note par Charlotte ROBBE Avocat au barreau de Paris, BWG Associés et Clara SCHLEMMERBÉGUÉ Avocat au barreau de Paris, BWG Associés L ’action en nullité pour insanité d’esprit, qui n’est ouverte, après son décès, qu’aux héritiers de l’intéressé, peut être exercée par son légataire universel. Telle est la solution consacrée par la première chambre civile de la Cour de cassation le 8 juillet 2015. Les faits étaient les suivants : par testament olographe du 26 novembre 1985, M. X avait légué tous ses biens meubles et immeubles à la Fondation pour la recherche médicale. Quelques années plus tard, le 25 mars 1996, il avait cédé avec son épouse aux époux Y la nue-propriété de plusieurs immeubles leur appartenant. Tous deux ont ensuite été placés sous tutelle le 15 décembre 1998. Après leur décès, par actes des 14 novembre 2003 et 27 septembre 2007, la Fondation a attrait les époux Y devant le tribunal en nullité des actes de vente pour insanité d’esprit. La demande est accueillie par la cour d’appel de Montpellier qui annule les ventes litigieuses, ordonne aux époux Y de restituer les immeubles à la Fondation, et à la Fondation de leur restituer le prix de vente de chacun des immeubles. Les époux Y se pourvoient en cassation contre cette décision. Au soutien de leur pourvoi, ils invoquent, sur le fondement de l’article 414-2 du Code civil, un défaut de qualité de la Fondation à agir en nullité des ventes, avec le raisonnement suivant : les actes réalisés par le de cujus, autres que la donation entre vifs et le testament, ne pouvant être attaqués en nullité pour insanité d’esprit que par ses héritiers, et la qualité d’héritier procédant des seules dispositions des articles 734 et suivants du Code civil, la Fondation, qui était seulement légataire, n’est pas héritière et ne peut donc pas agir. Le pourvoi est rejeté par la première chambre civile de la Cour de cassation, qui énonce que le légataire universel a qualité pour agir en nullité d’un acte à titre onéreux sur le fondement de l’article 489-1 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2007-308 du 5 mars 2007, applicable en la cause. Elle relève ainsi que, ayant constaté que la Fondation avait été instituée légataire universelle par M. X, la cour d’appel en a exactement déduit qu’elle avait qualité pour agir en nullité des actes de vente pour insanité d’esprit de ce dernier. Cette décision de la Cour de cassation appelle plusieurs observations. Relevons tout d’abord qu’elle porte sur le régime des actions de droit commun en nullité d’un acte pour insanité d’esprit. Cette action de droit commun, qui n’appartient, de son vivant, qu’à l’intéressé (ou à son représentant légal), peut être exercée après sa mort sous certaines conditions qui ont été reprécisées à l’occasion de la loi n° 2007-308 du 5 mars 2007 portant réforme de la protection juridique des majeurs, mais dont l’état d’esprit demeure le même : il faut que l’acte porte en lui-même la preuve d’un trouble mental, ou qu’il ait été fait alors que l’intéressé était placé sous sauvegarde de justice, ou que des démarches aient été entreprises du vivant de la personne en vue de sa mise sous protection. Par ailleurs, la solution commentée ici est l’occasion de faire un point sur l’application de la loi dans le temps, s’agissant de cette action. En l’espèce, les époux Y critiquaient l’action exercée par la Fondation en se fondant sur l’article 414-2 du Code civil issu de la loi n° 2007-308 du 5 mars 2007. Cependant, les actes introductifs d’instance étant tous antérieurs au 1er janvier 2009, date d’entrée en vigueur de ladite réforme, l’action était en réalité régie par l’article 489-1 ancien du Code civil. Cela ressort très nettement de la décision de la Cour de cassation qui consacre ainsi une solution déjà acquise par la jurisprudence des juges du fond (v. par ex. CA Reims, ch. civ. 1, 2 mai 2011, n° 09/02089 ; CA Paris, P. 3, ch. 1, 7 mars 2012, n° 10/20385). Se posait enfin, et surtout, la question de la qualité pour exercer cette action, au cœur du pourvoi formé par les époux Y. Ces derniers invoquaient l’article 414-2 du Code civil qui attribue expressément l’action en nullité pour insanité d’esprit aux « héritiers » du défunt. La Cour de cassation les corrige laconiquement en indiquant simplement que « le légataire universel a qualité pour agir en nullité d’un acte à titre onéreux sur le fondement de l’article 489-1 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2007-308 du 5 mars 2007 applicable en la cause ». Il se trouve que, contrairement à l’article 414-2 du Code civil, l’article 489-1 ancien du même code ne précisait pas que l’action en nullité pour insanité d’esprit appartient aux « héritiers » du défunt. La lecture de la décision commentée pourrait ainsi conduire à s’interroger sur le point de savoir si l’action en nullité pour insanité d’esprit est moins largement ouverte aujourd’hui, sous l’empire de l’article 414-2 du Code civil, qu’elle ne l’était sous l’empire de l’article 489-1 ancien du même code. L’argumentation développée par les époux Y aurait-elle porté ses fruits si l’article 414-2 du Code civil avait été applicable à la cause ? Ou bien doit-on considérer que, même sous l’empire de l’article 414-2 du Code civil, le légataire universel peut exercer l’action en nullité pour insanité d’esprit ? Il nous semble que la solution est la même, que l’on raisonne sous l’empire de la loi ancienne ou de la loi nouvelle. En effet, quand bien même l’article 489-1 ancien du Code civil ne vise pas expressément les « héritiers », la jurisprudence considérait déjà que l’action en nullité prévue par le texte était une nullité de protection ouverte uniquement à la personne protégée et à ses « héritiers » (v. par ex. CA Versailles, 13 avr. 2010, n° 09/01837 ; CA Bastia, 18 avr. 2012, n° 09/00262). La solution d’espèce est donc la consécration, par la Cour de cassation, d’un raisonnement bien acquis chez les juges du fond. On peut donc retenir de cet arrêt du 8 juillet 2015 que, au sens de l’article 414-2 du Code civil, le légataire universel est un « héritier » ayant qualité pour agir en nullité d’un acte pour insanité d’esprit. La solution est en cela plus souple que celle qui s’applique aux actions en contestation de filiation en présence d’une possession d’état conforme au titre, la Cour de cassation ayant eu l’occasion de préciser que le légataire universel du titulaire de l’action prévue par l’article 333 du Code civil n’est pas un héritier au sens de l’article 322 du même code, et n’a donc pas qualité pour exercer cette action (Cass. 1re civ., 2 avr. 2014, n° 13-12480). Cette différence s’explique, à notre sens, par le caractère extrapatrimonial de l’action en contestation de filiation qui justifie d’éviter à tout prix qu’elle puisse être exercée par des personnes extérieures à la famille du défunt. G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1 81 G a ze tte Spé ci a li s é e Jurisp rud e n ce Convention d’honoraires de résultat et office du juge des tutelles 253t8 1 L’essentiel La conclusion d’une convention d’honoraires comportant un honoraire proportionnel au résultat est un acte de disposition qui nécessite, pour être valablement conclu, d’être autorisé par le juge des tutelles en cas d’administration légale sous contrôle judiciaire, et ceci en amont de sa conclusion. Cass. 2e civ., 10 sept. 2015, no 14-23959, Mme X, F-PB (cassation CA Papeete, 3 juill. 2014), Mme Flise, prés. ; SCP Waquet, Farge Hazan, av. L a convention d’honoraires prévoyant un Charlotte ROBBE honoraire proportionnel au et résultat doit être autoriClara SCHLEMMERsée par le juge des tutelles BÉGUÉ en amont de sa conclusion. Tel est le rappel opéré par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation le 10 septembre 2015. Note par Les faits étaient les suivants : la mère d’un enfant mineur, administrateur légal sous contrôle judiciaire, avait saisi le juge des tutelles afin d’être autorisée à signer, pour le compte de son enfant, une convention d’honoraires allouant un honoraire de résultat à l’avocat qui le représenterait dans le cadre d’une instance initiée à la suite du décès du père dans un accident de la circulation. Le juge des tutelles, suivi par la cour d’appel, avait « rejeté » la demande formée. Les juges ont en effet considéré qu’une convention d’honoraires proportionnels en tout ou partie à un résultat, indéterminés ou aléatoires, est un acte de disposition, mais que « le juge des tutelles ne saurait intervenir sur une telle convention passée en amont d’une décision judiciaire d’indemnisation, puisque l’inconnue, à ce stade du résultat, ne lui permet pas d’apprécier la portée de ladite convention et son impact sur le capital de l’intéressé, de sorte qu’il convient de le saisir en aval, après une telle décision, afin qu’il autorise ou non l’exécution de la convention d’honoraires et, par motifs propres, que ce juge a un rôle de protection des personnes protégées et qu’il s’avère parfois que le pourcentage de 10 % fixé par la pratique puisse s’avérer excessif, au regard de l’indemnisation reçue et des diligences effectuées ». Comme on pouvait s’y attendre, la Cour de cassation a censuré la décision d’appel, au visa de l’article 10, alinéas 2 et 3, de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 (dans sa version antérieure au 8 août 2015) et de l’article 496, alinéa 3, du Code civil, dans les termes suivants : « en statuant ainsi alors qu’aucun honoraire de résultat n’est dû à l’avocat s’il n’a pas été expressément stipulé dans une convention préalablement conclue entre celui-ci et son client, laquelle, regardée comme constituant un acte de disposition, est soumise à l’autorisation du juge des tutelles lorsqu’elle intervient au nom du mineur sous administration légale sous contrôle judiciaire, de sorte qu’en refusant de statuer sur le mérite de la demande tendant à conclure une telle convention avant que soit intervenue la décision judiciaire sur le résultat de laquelle les honoraires étaient pour partie calculés, la cour d’appel, méconnaissant l’étendue de ses pouvoirs, a violé les 82 G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1 textes susvisés ». Cette décision ne nous surprend guère tant la cassation paraissait inévitable. En effet, le juge des tutelles, repris par la cour d’appel, faisait la juste analyse en qualifiant pareille convention d’acte de disposition. Il est clair que la signature d’une convention d’honoraires est un acte patrimonial. Quant à la question de savoir s’il s’agit d’un acte d’administration ou de disposition, il faut effectuer une distinction : si les honoraires sont facturés au temps passé, alors il s’agit d’un acte d’administration ; en revanche, si les honoraires sont en tout ou en partie proportionnels au résultat, alors il s’agit d’un acte de disposition (sur cette question de qualification, v. les articles de Florence Fresnel, « L’avocat choisi dans le cadre d’une curatelle ou d’une tutelle » : D. 2014, p. 222 ; « La convention d’honoraires et l’incapable » : AJ Famille nov. 2012, p. 543 ; « Les incapables et les honoraires de l’avocat : un défi ou un combat ? » : AJ Famille mai 2012, p. 271). Dans cette seconde hypothèse, on aurait pu s’interroger sur le point de savoir si la qualification d’acte de disposition est réfragable ou irréfragable. L’analyse de la décision du juge des tutelles et de l’arrêt d’appel, aurait pu nous conduire à considérer que la qualification d’acte de disposition serait réfragable et fonction de l’ampleur du pourcentage, et donc de l’honoraire facturé, lui-même fonction du résultat obtenu. Comme le relève Ingrid Maria, « comment savoir, avant même la détermination du résultat, si la convention va affecter durablement le patrimoine de la personne protégée ? ». Selon l’auteur, cependant, « l’argument ne convainc toutefois pas pleinement car le pourcentage de rémunération fonction du résultat est un indicateur qui nous parait suffire à déterminer si la convention doit ou non être autorisée » (v. I. Maria, « Administration légale sous contrôle judiciaire et convention d’honoraires proportionnels au résultat » : Dr. famille 2015, n° 11, comm. 207). Au demeurant, la loi est ainsi faite : dès lors que l’acte est qualifié d’acte de disposition, l’autorisation du juge des tutelles est un préalable à sa conclusion. En effet, l’article 505 alinéa 1er du Code civil énonce que le tuteur ne peut, sans y être autorisé par (...) le juge, faire des actes de disposition au nom de la personne protégée, et l’article 389-6 alinéa 1er du même code énonce que « dans l’administration légale sous contrôle judiciaire, l’administrateur doit se pourvoir d’une autorisation du juge des tutelles pour accomplir les actes qu’un tuteur ne pourrait faire qu’avec une autorisation ». Or des termes du décret n° 2008-1484 du 22 décembre 2008, il faut conclure au caractère irréfragable de la qualification d’acte de disposition. En effet, ce texte prévoit, en son annexe 1, une liste des actes regardés comme d’administration et de disposition en tout état de cause : entre autres actes divers figure « la convention d’honoraires proportionnels en tout ou partie à un résultat, indéterminés ou aléatoires ». Une fois cette qualification d’acte de disposition posée par le juge des tutelles puis par la cour d’appel, on comprend mal, en revanche, comment la demande d’autorisation formée a pu être « rejetée ». En effet, lorsqu’une demande d’autorisation d’un acte de disposition est soumise au juge des tutelles, il existe alors G a z e tte Sp é cia lisée J u r i s p r u de n c e une alternative : soit le juge des tutelles autorise la conclusion de l’acte car tel est l’intérêt de la personne protégée, soit il refuse de l’autoriser. Le juge des tutelles n’a pas le loisir de différer sa décision et de se positionner a posteriori, ceci d’autant qu’un acte conclu sans son autorisation, même s’il était nécessaire, est nul de plein droit en application de l’article 465, 4° du Code civil. Le juge des tutelles doit donc intervenir en amont de la conclusion de l’acte pour l’autoriser ; à défaut l’acte est entaché de nullité. position prise. En effet, dès lors que le contrat est valablement conclu, il doit s’exécuter et le juge des tutelles, qui n’est pas juge de l’exécution du contrat, doit même inviter le protecteur récalcitrant à payer. S’il y a une difficulté s’agissant in fine du montant des honoraires eu égard aux diligences effectuées, alors ce débat doit être porté devant le bâtonnier ; le juge des tutelles ne saurait se substituer à lui pour trancher un éventuel désaccord s’agissant de l’exécution de la convention d’honoraires. Ainsi, lorsque la cour d’appel laisse entendre que le juge des tutelles doit être saisi en aval « afin qu’il autorise ou non l’exécution », on ne comprend plus du tout la Durée de la mission du tuteur et obligation d’établir un compte de gestion 253t9 1 L’essentiel 1. La durée de la tutelle des majeurs et celle des fonctions du tuteur étant indépendantes, ne méconnaissent pas l’article 453 du Code civil les juges du fond qui renouvellent une mesure de tutelle pour une durée de vingt ans sans fixer la durée de la mission du tuteur qui pourra, à tout moment, demander à en être déchargé. 2. La dispense de compte de gestion n’est qu’une faculté pour le juge et relève de l’appréciation souveraine des juges du fond. Cass. 1re civ., 7 oct. 2015, no 14-23955, M. X, PB (rejet pourvoi c/ CA Dijon, 28 mai 2014), Mme Batut, prés. ; SCP Ortscheidt, av. Note par Charlotte ROBBE et Clara SCHLEMMERBÉGUÉ L ’arrêt de la Cour de cassation du 7 octobre 2015 apporte quelques précisions quant à la fonction de tuteur et aux obligations qu’elle implique. En l’espèce, une jeune femme avait été placée sous tutelle à l’âge de 19 ans, l’exercice de la mesure étant confié à son père. Lorsque, par jugement du 30 septembre 2013, le juge des tutelles a renouvelé cette mesure pour une durée de vingt ans, en maintenant le père dans ses fonctions, ce dernier a saisi la cour d’appel de Dijon pour demander, d’une part, que sa mission soit limitée à cinq ans, d’autre part, à être dispensé d’établir les comptes de gestion de la tutelle. Sa demande ayant été rejetée, il a formé un pourvoi en cassation au soutien duquel il développait un moyen sur chacune de ses demandes. Pour contester le rejet de sa demande tendant à voir sa mission de tuteur limitée à cinq ans, il invoquait l’article 453 du Code civil qui prévoit que « nul n’est tenu de conserver la curatelle ou la tutelle d’une personne audelà de cinq ans à l’exception du conjoint, du partenaire du pacte civil de solidarité et des enfants de l’intéressé ainsi que des mandataires judiciaires à la protection des majeurs », estimant que, en le déboutant au motif qu’il « peut à tout moment et quand il l’estimera opportun, demander au juge des tutelles à être déchargé de sa mission de tuteur » et que « rien ne permet d’apprécier à quel moment il ne serait plus à même d’exercer sa mission », la cour aurait ajouté une condition à la loi et violé ce texte. Quant au refus de l’avoir dispensé de l’établissement des comptes de gestion de la tutelle, il le contestait en invoquant l’article 512 du Code civil, qui prévoit que « lorsque la tutelle n’a pas été confiée à un mandataire judiciaire à la protection des majeurs, le juge peut, par dérogation aux articles 510 et 511 et en considération de la modicité des revenus et du patrimoine de la personne protégée, dispenser le tuteur d’établir le compte de gestion et de soumettre celui-ci à l’approbation du greffier en chef ». Selon lui, la cour d’appel qui l’avait débouté de sa demande de dispense, motifs pris de ce que sa fille sous tutelle percevait l’allocation adulte handicapé et de ce que l’établissement dudit compte ne présentait pas de difficulté, sans considération de la modicité des revenus et patrimoine de la personne protégée, avait privé sa décision de base légale. La Cour de cassation rejette le pourvoi. Sur le premier moyen, elle précise que la durée de la tutelle et celle des fonctions du tuteur étant indépendantes, la cour d’appel, qui n’a pas fixé la durée de la mission du tuteur et a exactement rappelé qu’il pourrait à tout moment demander à en être déchargé, n’a pas méconnu les dispositions de l’article 453 du Code civil. Quant au second moyen, elle indique que la dispense de compte de gestion n’est qu’une faculté pour le juge, et que c’est dans l’exercice de son pouvoir souverain d’appréciation que la cour d’appel a estimé que l’établissement du compte de gestion devait permettre un contrôle des dépenses faites dans l’intérêt de la personne protégée. La solution dégagée par la Cour de cassation sur chacune des questions qui lui étaient posées nous paraît procéder d’une juste analyse des textes invoqués par le demandeur. Si la décision commentée n’est ainsi guère surprenante, elle mérite toutefois d’être relevée, ne serait-ce que pour sa vertu pédagogique. On retiendra donc en premier lieu que le renouvellement d’une mesure de protection pour une durée supérieure à cinq ans n’implique pas, pour le tuteur ou le curateur, l’obligation de conserver la fonction pour la même durée. Quelle que soit la durée de la mesure de protection, la personne désignée pour l’exercer peut ainsi à tout G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1 83 G a ze tte Spé ci a li s é e Jurisp rud e n ce moment saisir le juge des tutelles pour demander à en être déchargé, cette demande s’analysant simplement en une modification de la mesure de protection prévue par l’article 442, alinéa 3, du Code civil. Cette solution prend un relief particulier à l’aune de la récente modification, par la loi n° 2015-177 du 16 février 2015, de l’article 441 du Code civil qui s’est vu enrichi d’un alinéa 2 prévoyant la possibilité pour le juge, dès le prononcé de la mesure de tutelle (et non pas seulement à l’occasion de son renouvellement), par décision spécialement motivée et sur avis conforme d’un médecin inscrit constatant que l’altération des facultés personnelles de l’intéressé n’apparaît manifestement pas susceptible de connaître une amélioration selon les données acquises de la science, de fixer une durée plus longue n’excédant pas dix ans. On notera par ailleurs que la modicité des revenus et du patrimoine de la personne protégée n’implique pas automatiquement de dispenser le tuteur qui n’est pas mandataire à la protection des majeurs de l’établissement d’un compte de gestion soumis à l’approbation du greffier en chef. Quant aux motifs qui ont justifié en l’espèce le rejet de la demande de dispense, la Cour de cassation ne se prononce pas, considérant qu’ils relèvent de l’appréciation souveraine des juges du fond. VIII. SUCCESSIONS ET LIBÉRALITÉS L’usufruit du droit d’exploitation dont bénéficie le conjoint survivant en application du CPI n’est pas réductible s’il est donataire de la plus forte quotité disponible entre époux 253u0 1 L’essentiel Lorsqu’en application de l’article 1094-1 du Code Civil, le conjoint survivant est donataire de l’usufruit de la totalité des biens de la succession, l’usufruit du droit d’exploitation dont il bénéficie en application de l’article L. 123-6 du Code de la propriété intellectuelle n’est pas réductible. Cass. 1re civ., 8 juill. 2015, no 14-18850, M. X c/ Mme Y, PB (rejet pourvoi c/ CA Aix-en-Provence, 20 févr. 2014), Mme Batut, prés. ; SCP Gatineau et Fattaccini, SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, av. U n écrivain avait institué son épouse légataire Arnaud BAUTRAITuniverselle et gestionnaire LOTELLIER de l’ensemble de son œuvre Avocat au barreau de littéraire, par un testament Paris, BWG Associés olographe. Par un acte postérieur, il lui avait également consenti une donation portant sur l’universalité des biens de sa succession. Note par Il décède en laissant pour lui succéder son épouse ainsi qu’un fils issu d’une première union. L’épouse opte en faveur de la quotité disponible spéciale entre époux portant sur la totalité des biens en usufruit. Le fils demande la réduction de l’usufruit dont l’épouse bénéficiait sur les droits d’auteur de l’œuvre de son père, en vertu de l’article L. 123-6 du Code de la propriété intellectuelle. La cour d’appel rejette sa demande au motif que l’épouse était donataire de l’usufruit de la totalité des biens dépendant de la succession, lequel n’affectait pas la nuepropriété de la réserve héréditaire, et qu’en conséquence, l’usufruit du droit d’exploitation des œuvres du défunt dont elle bénéficiait en vertu de l’article L. 123-6 du Code de la propriété intellectuelle n’était pas soumis à réduction au profit de l’héritier réservataire. Le fils forme un pourvoi en cassation, en tentant de se prévaloir de l’article L. 123-6 du Code de la propriété intellectuelle qui dispose notamment que « si l’auteur laisse des héritiers à réserve, cet usufruit est réduit au profit des héritiers, suivant les proportions et distinctions établies par l’article 913 du Code civil ». Il tentait donc de faire valoir que la question de la réduction éventuelle de l’usufruit du conjoint survivant sur les droits d’auteur devait s’apprécier au regard de la quotité disponible ordinaire prévue aux articles 913 et suivants du Code civil, et non au regard de la quotité disponible spéciale entre époux. Son pourvoi est rejeté au motif que « lorsqu’en application de l’article 1094-1 du Code Civil, le conjoint survivant est donataire de l’usufruit de la totalité des biens de la succession, l’usufruit du droit d’exploitation dont il bénéficie en application de l’article L. 123-6 du Code de la propriété intellectuelle n’est pas réductible ». Conditions de la révocation tacite d’un testament 253u1 1 L’essentiel La révocation tacite d’un testament ne peut résulter que de la rédaction d’un nouveau testament incompatible, de l’aliénation de la chose léguée ou de la destruction ou de l’altération volontaire du testament. 84 G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1 Cass. 1re civ., 8 juill. 2015, no 14-18875, M. Y c/ Mme X, PB (cassation partielle CA Orléans, 7 avr. 2014), Mme Batut, prés. ; Me Le Prado, SCP Jean-Philippe Caston, av. G a z e tte Sp é cia lisée J u r i s p r u de n c e P ar un testament olographe daté du 5 déArnaud BAUTRAITcembre 2003, une personne LOTELLIER lègue à un tiers une rente viagère mensuelle à prélever sur les revenus d’une SCI. Note par Par un acte authentique du 28 décembre 2007, cette même personne fait donation à sa fille de la nue-propriété des parts de la SCI avec réserve d’usufruit à son profit sa vie durant, puis, après son décès, au profit de la personne désignée dans le testament de décembre 2003, sans toutefois révoquer ledit testament. Le donataire décède en 2008 en laissant sa fille pour lui succéder. Le légataire assigne la fille en délivrance de son legs de rente viagère en invoquant le testament de 2003. La cour d’appel rejette sa demande en considérant que le testament avait été tacitement révoqué par la donation de 2007. Elle relevait notamment qu’il résultait de la correspondance échangée entre le donateur et son notaire, que sa volonté avait été de constituer au profit de son légataire une rente d’environ 60 000 € par an, en substituant au mécanisme mis en place par le testament celui instauré par la donation, plus avantageux fiscalement. Elle relevait encore que le cumul des deux mécanismes aboutirait à un résultat incompatible avec la volonté du donateur, puisque dépassant de très loin la constitution d’une rente de 60 000 € et laissant les incidences fiscales auxquelles l’intéressé voulait échapper. La Cour de cassation casse cet arrêt en ce qu’il a dit que la donation de 2007 avait entraîné la révocation du testament de 2003, incompatible avec la constitution d’une réserve d’usufruit portant sur les parts de la SCI, pour violation par refus d’application des articles 1035, 1036 et 1038 du Code Civil. Son attendu de principe rappelle les cas de révocation tacite d’un testament, lesquels sont limitatifs : « la révocation tacite d’un testament ne peut résulter que de la rédaction d’un nouveau testament incompatible, de l’aliénation de la chose léguée ou de la destruction ou de l’altération volontaire du testament ». La cour d’appel ne pouvait donc décider que le testament avait été révoqué en se fondant sur une donation postérieure et sur la volonté du défunt. À défaut d’indivision entre le conjoint héritier de l’usufruit et le descendant héritier de la nue-propriété, le recel successoral n’est pas applicable 253u2 1 L’essentiel La Cour de cassation rejette le pourvoi d’une fille héritière de la nue-propriété du patrimoine du défunt qui souhaite voir appliquer les sanctions du recel successoral à sa belle-mère, épouse donataire de l’usufruit dudit patrimoine. La Haute juridiction considère que les deux héritières ne détiennent pas des droits de même nature, de sorte qu’il n’existe pas d’indivision entre elles mais seulement un démembrement de propriété. Le recel successoral ayant vocation à punir une atteinte à l’égalité du partage (lequel suppose, par définition, une indivision), il n’est pas applicable à l’espèce. Cass. 1re civ., 9 sept. 2015, no 14-18906, Mme X c/ Mme Y, PB (rejet pourvoi c/ CA Rouen, 23 oct. 2013), Mme Batut, prés. ; SCP Delaporte, Briard et Trichet, SCP Meier-Bourdeau et Lécuyer, av. D ans cet arrêt, un père décède en 2004, laisAlice DEPRET sant pour lui succéder son Avocat au barreau de épouse, mariée sous le Paris, BWG Associés régime de la séparation de biens, et une fille issue d’une première union. Par donation entre époux, il avait gratifié son épouse de la plus forte des quotités disponibles entre époux. Note par Lors du règlement de la succession, l’épouse opte pour la totalité de l’usufruit du patrimoine successoral. Considérant que sa belle-mère a dissimulé l’origine des fonds lui ayant permis de financer l’acquisition d’un bien et d’alimenter des comptes personnels, et qui proviendraient du patrimoine de son père, la fille l’assigne en liquidation de la succession, sollicite le rapport de ces sommes à l’actif de la succession, ainsi que sa condamnation pour recel successoral. Sa dernière demande est rejetée par la cour d’appel, qui relève que l’épouse « ayant opté pour l’usufruit de la totalité de la succession, elle ne disposait pas de droits de même nature que ceux de Mme X [la fille], nue-propriétaire, de sorte qu’il n’y avait pas lieu à partage entre les héritiers en l’absence d’indivision et que la dissimulation des fonds alléguée ne pouvait être qualifiée de recel successoral ». La fille forme alors un pourvoi en cassation, arguant du fait que la dissimulation des fonds ayant permis à l’épouse d’acquérir son appartement et d’alimenter ses comptes personnels, a pour conséquence d’écarter ces biens de l’actif de succession, et partant, de l’assiette de l’usufruit de la succession. Elle n’est pas suivie par la Cour de cassation qui se borne à reprendre les termes de la décision de la cour d’appel : l’article 778 du Code civil relatif au recel successoral n’est pas applicable à l’épouse qui est héritière de droits en usufruit, alors que la fille est héritière de droits en nue-propriété, le règlement de la succession n’appelant pas de partage entre elles. Il résulte de l’article 778 du Code civil que « l’héritier qui a recelé des biens ou des droits d’une succession ou dissimulé l’existence d’un cohéritier est réputé accepter purement et simplement la succession, nonobstant toute renonciation ou acceptation à concurrence de l’actif net, sans pouvoir prétendre à aucune part dans les biens ou les droits détournés ou recelés ». La jurisprudence a été amenée à préciser les conditions d’application du recel successoral, qui ne peut être retenu que si sont caractérisés un élément matériel – une dissimulation commise par un héritier sur les biens constituant le patrimoine successoral – et un élément intentionnel – la G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1 85 G a ze tte Spé ci a li s é e Jurisp rud e n ce volonté de cet héritier de rompre l’égalité du partage successoral. La solution d’espèce s’inscrit dans la jurisprudence déjà affirmée de la Cour de cassation sur ce point, qui fait une interprétation stricte de l’élément intentionnel du recel successoral : - la Cour de cassation a, de très longue date, retenu le recel et les lourdes sanctions qui y sont attachées, à la condition que la fraude commise ait « pour but de rompre l’égalité du partage » (Cass. civ., 15 avr. 1890 : DP 1890, 1, p. 437) ; - elle a, sur ce fondement, déjà été amenée à préciser, dans un arrêt de la première chambre civile du 29 juin 2011 (Cass. 1re civ., 29 juin 2011, n° 10-13807 : Bull. civ. I, n° 138), que dès lors qu’il n’y a pas d’indivision entre des héritiers, et donc pas de partage, il ne peut y avoir de recel. La fille du défunt avait en l’espèce tenté de se prévaloir d’une définition plus large du recel qui, selon elle, devait s’analyser comme « tout procédé tendant à frustrer les cohéritiers d’un bien de la succession » ; elle est censurée. Si la solution de la Cour de cassation est conforme à sa jurisprudence, elle peut paraître laxiste à l’égard de l’épouse, qui n’a pas à se défendre d’une accusation de dissimulation intentionnelle des fonds ayant appartenu à son époux, mais simplement à se protéger derrière le « bouclier » de l’absence de partage. Certains y verront, une fois encore, la faveur faite aux époux(ses) dans le droit des successions actuel, qui ne subissent pas le même traitement que les enfants (et notamment fiscalement puisque l’époux héritier est le seul héritier exonéré de droits…), ce qui est parfois difficile à admettre pour ces derniers dans le cas d’une seconde union tardive de leur parent. Mais il faut avoir à l’esprit que la règle édictée par la jurisprudence est réciproque, et l’épouse usufruitière ne pourrait pas non plus revendiquer l’application du recel à un enfant nu-propriétaire qui aurait dissimulé des biens du défunt. Surtout, le recel a vocation à sanctionner l’héritier qui priverait un autre héritier de droits qui auraient dû lui revenir : les effets recelés sont alors réservés à l’héritier lésé, et l’héritier receleur ne peut y prétendre. Or, en l’espèce, si la fille avait eu gain de cause, elle se serait vu reconnaître des droits en pleine propriété sur les sommes considérées (l’épouse étant privée de tout droit sur ces sommes), alors même qu’elle n’avait vocation à recevoir que des biens en nue-propriété. La solution aurait alors été plus loin que la sanction de l’article 778 du Code civil en modifiant la nature des droits de l’héritier lésé, en plus d’augmenter sa part successorale. Bien entendu le comportement malhonnête de l’épouse n’aurait pas dû rester sans conséquence, mais il aurait fallu que la fille du défunt agisse sur d’autres fondements : - tout d’abord, après avoir demandé le rapport de ces sommes à la masse successorale, elle aurait pu arguer d’une atteinte à sa réserve s’il s’était révélé que les fonds en question avaient été donnés par son père au-delà de la quotité disponible de l’épouse (étant rappelé que la plus large quotité disponible entre époux est de trois-quarts en usufruit et un quart en pleine propriété, et que la réserve de la fille est donc seulement de trois-quarts en nue-propriété) ; - elle aurait aussi pu compléter sa demande par la condamnation de sa belle-mère à des dommages et intérêts sanctionnant son comportement frauduleux lui ayant porté préjudice ; - peut-être même pouvait-elle tenter de demander la déchéance de l’usufruit de sa belle-mère sur ces sommes pour abus de sa jouissance, sur le fondement de l’article 618 du Code civil. En tout état de cause, et sans doute parce que les sanctions qui y sont attachées sont très lourdes, et que le recel n’a pas vocation à préserver la réserve des héritiers qui est autrement protégée, la Cour de cassation maintient à ce jour sa conception stricte du recel de succession, qui n’existe qu’en présence d’une fraude portant atteinte à l’égalité du partage. Les droits successoraux du conjoint survivant ne font pas obstacle au droit de retour conventionnel 253s8 1 L’essentiel La cour d’appel ayant relevé que la donation a été consentie sous la condition résolutoire du prédécès du donataire et que la condition s’était réalisée, la cour d’appel, qui n’a pas procédé à une recherche que ses propres constatations rendaient inopérante, n’a pu qu’en déduire que le bien réintégrait le patrimoine de la donatrice. Après avoir retenu que l’exécution du droit de retour a eu pour effet de remettre les parties dans la même situation que si la donation n’était jamais intervenue, la cour d’appel, à laquelle il n’incombait pas de rechercher si le donataire et son épouse avaient exposé des impenses nécessaires et, dans la mesure de la plus-value procurée au bien, des impenses utiles, n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé les articles 952 et 1183 du Code civil. 86 G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1 Cass. 1re civ., 23 sept. 2015, no 14-18131, Mme Z c/ Mme Y, PB (cassation partielle CA Grenoble, 25 mars 2014), Mme Batut, prés. ; Me Le Prado, SCP Lyon-Caen et Thiriez, av. P our la Cour de cassation, cette décision est Anne-Laure CASADO l’occasion de rappeler le mécanisme du droit de retour conventionnel en cas de prédécès du donataire ne laissant pas de postérité, mais un conjoint survivant. Note par En l’espèce, une mère consent à son fils une donation portant sur la nue-propriété d’un bien immobilier. Dans l’acte de donation est stipulée une clause de retour « sur le bien donné ou sur ce qui en serait la représentation pour le cas de prédécès du donataire et de sa postérité ». Ultérieurement le fils se marie sous le régime de G a z e tte Sp é cia lisée J u r i s p r u de n c e la communauté universelle avec attribution intégrale de la communauté au conjoint survivant. Quelques mois plus tard, le fils décède sans postérité. Sa mère souhaite alors faire jouer la clause de retour conventionnel, le conjoint survivant entend pour sa part se prévaloir de son droit viager sur le bien objet de la donation. La mère assigne donc sa belle-fille en expulsion et en paiement d’une indemnité d’occupation. Par cette décision, la haute juridiction confirme donc le mécanisme contractuel de la clause de retour, à savoir qu’il s’agit d’une condition résolutoire de la donation, de sorte que les biens donnés échappent entièrement à la succession. Par conséquent, le conjoint survivant ne dispose pas de la faculté d’invoquer ses droits successoraux, puisque le bien n’a jamais intégré le patrimoine du donataire (Cass. 1re civ., 7 juin 1995, n° 93-14620). La Cour de cassation censure partiellement la décision des juges du fond. En effet, elle confirme l’arrêt s’agissant des demandes de la mère, en considérant que la donation a été consentie sous la condition résolutoire du prédécès du donataire ; la condition s’étant réalisée, le bien devait réintégrer le patrimoine de la donatrice. Toutefois, la haute juridiction casse la décision d’appel en ce qu’elle a rejeté la demande du conjoint survivant en remboursement des dépenses engagées sur le bien donné. Elle rappelle que les dépenses utiles et nécessaires exposées par le donataire et son épouse doivent faire l’objet d’un remboursement, la donation étant considérée comme non intervenue. La donation faisant l’objet d’un anéantissement rétroactif, le bien donné est donc restitué au donateur dans l’état où il se trouvait au décès du donataire, et est considéré comme n’ayant jamais quitté le patrimoine du donateur (C. Vernières, « Le droit viager ne fait pas obstacle au retour conventionnel » : AJ famille 2015, p. 618). Or, le donataire ayant pu engager des dépenses vis-à-vis de ce bien, il y a donc lieu à l’établissement de comptes pour le rembourser desdites dépenses. Si le bien a été amélioré, les dépenses utiles et nécessaires, à savoir celles qui ont pour objet de conserver et d’améliorer le bien, devront être remboursées ; celles ne répondant pas à ces caractéristiques seront définitivement assumées par le donataire. La procédure de contrôle du partage successoral conclu pour le compte d’enfants mineurs relève du champ d’application du Règlement Bruxelles II bis 253s9 1 L’essentiel La procédure d’approbation d’un accord de partage successoral conclu par le tuteur pour le compte d’enfants mineurs est une mesure relative à l’exercice de l’autorité parentale et relève donc, à ce titre, du Règlement (CE) n° 2201/2003 du 27 novembre 2003 relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale, et non du Règlement (UE) n° 650/2012 du 4 juillet 2012 relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière de successions. CJUE, 3e ch., 6 oct. 2015, no C-404/14, Matoušková, M. Ilešič, prés. ch., M. Ó Caoimh, Mme Toader (rapp.), MM. Jarašiūnas et Fernlund, juges, Mme Kokott, av. gén. L a Cour de justice de l’Union européenne a Valentine DARMOIS répondu à la question de Avocat au barreau de l’articulation entre les disParis, cabinet Mulon positions du Règlement (UE) Associés n° 650/2012 du 4 juillet 2012 relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière de successions et celles du Règlement (CE) n° 2201/2003 du 27 novembre 2003 relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale, dit Bruxelles II bis, lorsqu’est en cause une procédure d’approbation judiciaire d’un accord de partage successoral conclu par le tuteur pour le compte d’enfants mineurs. Note par La défunte, de nationalité tchèque, dont le dernier domicile se trouvait en République tchèque, décède aux Pays-Bas. Elle laisse pour lui succéder son époux et ses deux enfants mineurs, tous trois domiciliés aux Pays-Bas. Un tribunal tchèque ouvre la procédure successorale en désignant un notaire pour procéder aux opérations et en nommant un tuteur ad hoc pour représenter les intérêts des enfants mineurs dans le cadre des opérations de succession de leur mère. Un accord de partage successoral est conclu entre les héritiers. Toutefois, un an plus tard, le conjoint survivant fait état du fait que la défunte avait, à la date de son décès, son domicile réel aux Pays-Bas et non en République Tchèque, où elle ne disposait que d’un domicile enregistré. Il fait également état de l’existence d’une procédure successorale en cours aux Pays-Bas. L’accord de partage successoral est soumis par le commissaire judiciaire au juge des tutelles, qui renvoie le dossier sans examiner le fond, au motif que les enfants mineurs résidaient depuis longtemps hors de la République tchèque. Le tribunal indique qu’il ne peut ni se déclarer incompétent, ni renvoyer l’affaire devant la Cour suprême tchèque afin de déterminer la juridiction territorialement compétente. Le notaire désigné s’adresse alors directement à la Cour suprême en lui demandant de désigner le tribunal territorialement compétent pour l’approbation de l’accord de partage successoral en cause. Cette Cour saisit la Cour de justice de l’Union européenne d’une question préjudicielle afin de savoir si l’approbation, par le juge des tutelles, d’un accord de partage successoral conclu par un tuteur pour le compte d’enfants mineurs, relève du champ d’application du Règlement (UE) n° 650/2012 du 4 juillet 2012 relatif aux successions (qui n’était pas applicable ratione temporis en l’espèce) ou de celui du Règlement (CE) n° 2201/2003 du 27 novembre 2003 relatif à la responsabilité parentale. G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1 87 G a ze tte Spé ci a li s é e Jurisp rud e n ce La Cour de justice juge que l’approbation d’un accord de partage successoral conclu par le tuteur d’enfants mineurs pour le compte de ceux-ci constitue une mesure relative à l’exercice de la responsabilité parentale et relève donc du Règlement (CE) n° 2201/2003 du 27 novembre 2003 dit « Bruxelles II bis », et non du Règlement (UE) n° 650/2012 du 4 juillet 2012 relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière de successions. Elle estime en effet que la procédure d’approbation est prévue par le droit tchèque en raison de la capacité juridique restreinte des enfants mineurs, dans un objectif de protection de l’intérêt supérieur de ces enfants. Elle juge donc que le fait que cette approbation ait été demandée dans le cadre d’une procédure successorale n’est pas déterminant : elle est sollicitée parce qu’il s’agit d’un acte d’administration qui ne relève pas d’un acte de gestion courant et qui doit dès lors être validé par le juge des tutelles, et non pas parce qu’elle intervient dans le cadre du règlement d’une succession. La Cour se fonde également sur le rapport rédigé par Paul Lagarde sur la Convention de La Haye du 19 octobre 1996, entrée en vigueur le 1er février 2011, qui indique que « si la loi successorale décide qu’un héritier mineur ne peut accepter une succession que moyennant certaines mesures de protection, en raison des dangers qu’une obligation au passif pourrait lui faire courir, la convention ne s’appliquera pas à ces mesures de protection. Tout au plus admettra-t-on (…) que si la loi successorale prévoit l’intervention du représentant légal de l’enfant héritier, ce représentant soit déterminé en application des règles de la Convention ». La Cour en déduit que la Convention de La Haye retient implicitement que la question de l’intervention du représentant légal de l’enfant héritier relève de l’autorité parentale. La CJUE relève également que le Règlement (UE) du 4 juillet 2012 exclut expressément la question de la capacité juridique des personnes physiques, en acceptant uniquement de régir la question de la capacité de succéder et celle du défunt de prendre une disposition à cause de mort. Cette solution paraît logique au regard des exclusions visées par l’un et l’autre des règlements européens précités, tels que détaillés par la Cour de justice de l’Union européenne. Toutefois, cette solution posera sans nul doute d’importantes difficultés pratiques dans les hypothèses où les héritiers mineurs n’auront pas leur résidence habituelle dans le même État que le défunt, ce qui, au regard de l’internationalisation des situations familiales, risque de s’avérer de plus en plus fréquent. En effet, dès lors que le Règlement (UE) n° 650/2012 du 4 juillet 2012 relatif aux successions rend compétentes les juridictions de l’État membre de la dernière résidence habituelle du défunt, la règle de conflit de lois qu’il édicte désigne la loi du for pour régir l’ensemble de cette succession. Or, c’est bien cette loi qui prévoit potentiellement, comme c’était le cas en l’espèce, une procédure d’approbation du partage successoral projeté par le juge des tutelles lorsque certains des héritiers sont mineurs. (...) 88 G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1 Toutefois, une fois édictées les conditions de validité de l’accord successoral, parmi lesquelles figure cette procédure d’approbation, les juridictions de cet État membre ne pourront pas statuer, contraintes d’effacer leur compétence au profit des juridictions de l’État membre de la résidence habituelle des enfants. Or, cette solution ne semble pas opportune puisqu’elle rallonge les opérations de successions en imposant, sous couvert de protection de l’intérêt supérieur des enfants mineurs concernés, de saisir une juridiction dont les règles internes et procédurales du droit des successions et des tutelles seront, par hypothèse, complètement différentes. La Cour de justice semble avoir intégré le risque de difficultés engendré par le morcellement de la compétence entre les juridictions de l’État membre de la résidence habituelle du défunt et celui de l’enfant, lorsqu’une succession internationale est ouverte en présence d’héritiers mineurs, puisqu’elle rappelle que le Règlement Bruxelles II bis ne pose pas une compétence exclusive au profit des juridictions de l’État membre dans lequel l’enfant a sa résidence habituelle. En effet, ce règlement prévoit, en son article 12, des hypothèses de prorogation de compétence en matière de responsabilité parentale, d’une part au profit des juridictions d’un État membre avec lequel l’enfant a des liens étroits (notamment au profit de la juridiction de l’État du lieu de résidence habituelle de l’un des titulaires de la responsabilité parentale) et, d’autre part au profit des juridictions d’un État membre dont la compétence a été acceptée expressément ou de manière non équivoque par toutes les parties à la procédure à la date à laquelle la juridiction a été saisie. Dès lors, la Cour de justice semble estimer que l’article 12 du Règlement Bruxelles II bis permettra d’éviter un tel morcellement en octroyant aux juridictions saisies du règlement successoral de se reconnaître compétentes dès lors que l’enfant aura eu un lien étroit avec cet État ou que leur compétence aura été acceptée par toutes les parties à la procédure. Toutefois, la réalité risque d’être plus complexe. Pourra-t-on considérer que cette prorogation de compétence peut s’appliquer à une procédure de partage successoral, dès lors que l’article 12 du Règlement vise la « matière de responsabilité parentale dans des procédures autres que celles visées au paragraphe 1 » ? De même, lorsque le défunt était titulaire de l’autorité parentale sur l’enfant mineur, pourra-t-on considérer que « l’un des titulaires de la responsabilité parentale y a sa résidence habituelle », postérieurement à son décès ? Enfin, comment la compétence des juridictions statuant sur le règlement de la succession pourrait être acceptée par toutes les parties à la procédure, dès lors que cette acceptation ne pourrait être opérée, au profit des enfants mineurs, que par leur tuteur ? Il paraîtrait en effet étonnant que le tuteur puisse accepter la compétence des juridictions chargées de vérifier que l’accord successoral qu’il projette de conclure pour le compte d’enfants mineurs est bien conforme à l’intérêt supérieur de ces enfants. G a z e tte Sp é cia lisée J u r i s p r u de n c e X. ÉTAT DES PERSONNES A. Nom et prénom Du bon usage des procédures en matière de changement de nom 253u3 1 L’essentiel Trois arrêts récents de la première chambre civile de la Cour de cassation illustrent les voies procédurales ouvertes en matière de changement de nom, et témoignent d’une nette tendance à favoriser le recours à la procédure administrative prévue à l’article 61 du Code civil. Cass. 1re civ., 8 juill. 2015, no 14-19131, M. Z, PB (rejet pourvoi c/ CA Rennes, 14 avr. 2014), Mme Batut, prés. ; SCP Piwnica et Moliné, av. - Cass. 1re civ., 8 juill. 2015, no 14-50062, Procureur général près la CA de Rennes, PB (cassation sans renvoi CA Rennes, 10 sept. 2013), Mme Batut, prés. ; SCP Waquet, Farge et Hazan, av. - Cass. 1re civ., 9 sept. 2015, no 14-19876, Mme X Y c/ M. Z, PB (rejet pourvoi c/ CA Paris, 12 nov. 2013), Mme Batut, prés. ; SCP Waquet, Farge et Hazan, av. R appelons que l’article 61 Note par du Code civil prévoit Julie PIERROTque « toute personne qui BLONDEAU justifie d’un intérêt légitime Avocat au barreau de peut demander à changer de Paris, BWG Associés nom. La demande de chanet gement de nom peut avoir Marion GALVEZ pour objet d’éviter l’extincAvocat au barreau de Paris, BWG Associés tion du nom porté par un ascendant ou un collatéral du demandeur jusqu’au quatrième degré. Le changement de nom est autorisé par décret ». Cette procédure administrative, initialement conçue pour permettre à une personne de changer un nom ridicule ou à consonances négatives, se trouve en fait, de plus en plus, utilisée, notamment pour des considérations familiales, afin surtout de faire correspondre le nom à une réalité familiale ou affective, étant précisé que les juges du fond apprécient souverainement si le requérant a un intérêt légitime à demander le changement de son nom. Le juge judiciaire est aussi amené à intervenir en matière de changement de nom, notamment dans le cadre de la procédure de rectification d’état civil prévue à l’article 99 du Code civil, selon lequel « La rectification des actes de l’état civil est ordonnée par le président du tribunal (…). La requête en rectification peut être présentée par toute personne intéressée ou par le procureur de la République ; celui-ci est tenu d’agir d’office quand l’erreur ou l’omission porte sur une indication essentielle de l’acte ou de la décision qui en tient lieu (…) ». Mais cette intervention fait aujourd’hui l’objet d’un encadrement très strict, comme en témoignent les deux arrêts rendus par la première chambre civile de la Cour de cassation le 8 juillet 2015 (pourvois n°s 14-19131 et 14-50062) (I). Tel est d’autant plus le cas que, depuis le 1er juillet 2006, il n’est aujourd’hui plus possible de saisir le juge aux affaires familiales pour obtenir, en l’absence d’accord des parents, une modification du nom de l’enfant issu de parents non mariés (substitution du nom dont la filiation a été établie en second ou accolement des deux noms), à la suite de l’abrogation de l’ancien article 333-4 du Code civil par l’ordonnance n° 2005-759 du 4 juillet 2005. Le recours à la procédure administrative de changement de nom, qui se trouve dès lors encouragé, n’est cependant pas exclusif de l’intervention du juge judiciaire, lequel peut en effet être amené à intervenir pour autoriser le recours à la procédure administrative de changement de nom. Mais comme le souligne la Cour de cassation dans son arrêt du 9 septembre 2015 (pourvoi n° 14-19876), son champ d’intervention est néanmoins strictement limité (II). I. LA LIMITATION DU RECOURS À LA PROCÉDURE EN RECTIFICATION D’ÉTAT CIVIL Les deux arrêts rendus par la première chambre civile de la Cour de cassation le 8 juillet 2015 illustrent parfaitement la limitation du champ d’application de la procédure en rectification d’état civil prévue à l’article 99 du Code civil qui profite à la procédure administrative de l’article 61 du même code. 1. Dans la première espèce (Cass. 1re civ., 8 juill. 2015, n° 14-19131), un enfant reconnu par sa mère quelques jours après sa naissance en 1978, se voit attribuer le nom de sa mère. Cette dernière s’est ensuite mariée et a, avec son mari, procédé, en 1983, à une déclaration conjointe par laquelle les époux ont substitué le nom du mari au nom de la mère dévolu initialement à l’enfant. Ils ont ainsi procédé à une dation de nom par le mari de la mère, permise par l’article 334-5 du Code civil alors en vigueur. Vingt-cinq ans plus tard, soit en 2008, l’enfant est reconnu par son père. Devenu adulte, l’enfant a alors, en 2011, saisi le président du tribunal de grande instance d’une requête en rectification de son acte de naissance afin de porter le nom de sa mère, et non plus celui du mari de cette dernière avec lequel il n’avait aucun lien de filiation. Il a été débouté de sa demande en première instance ainsi qu’en appel. La cour d’appel a notamment considéré que les conditions d’application des anciennes dispositions de l’article 334-5 du Code civil relatives à la dation de nom, qui avait été effectuée en 1983 par la mère et son mari, étaient pleinement réunies en l’absence d’établissement d’une filiation paternelle à cette date, et que cette dation continuait alors à produire ses effets, et ce quand bien même les articles relatifs à la dation de nom avaient été abrogés entre-temps. Le requérant a alors formé un pourvoi en cassation au soutien duquel il faisait valoir : - d’une part, que la reconnaissance de paternité d’enfant étant un acte déclaratif dont les effets remontent au jour de la naissance, la dation de nom effectuée en 1983 n’était pas possible compte tenu de l’existence d’une filiation G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1 89 G a ze tte Spé ci a li s é e Jurisp rud e n ce paternelle, de sorte que la mention du nom du mari de sa mère était erronée ; - d’autre part, « que les dispositions de l’article 334-5 alinéa 2 du Code civil qui enfermaient dans un délai de deux ans après sa majorité la possibilité pour l’enfant à qui le mari de sa mère avait donné son nom, de reprendre le nom qu’il portait antérieurement, ayant été abrogées, la personne qui, pendant son enfance, a bénéficié d’une telle dation de nom, peut toujours reprendre le nom porté auparavant », nul ne pouvant être contraint de porter le nom d’une personne avec laquelle aucun lien de filiation n’a été établi, à moins d’y avoir expressément consenti. La Cour de cassation n’a pas été sensible à ces arguments : elle a rejeté le pourvoi, validant ainsi la dation de nom effectuée en l’absence de filiation paternelle établie lors de la déclaration des époux, mais surtout, en relevant expressément que le requérant n’avait pas exercé, dans le délai de deux ans suivant sa majorité, le droit de reprendre le nom de sa mère dans les conditions prévues par le second alinéa de l’article 334-5 du Code civil. En d’autres termes, aucune erreur justifiant une rectification de l’acte de naissance sur le fondement de l’article 99 du Code civil ne pouvait être caractérisée, ce qui est logique car aucune filiation paternelle n’avait été établie lors de la déclaration de dation de nom. Pour autant, la Cour de cassation ne laisse pas les parties sans solution ni explication, puisqu’elle indique la voie procédurale adaptée en précisant que le requérant pouvait solliciter une autorisation de changement de son nom en suivant la procédure prévue par l’article 61 du Code civil. Cette procédure administrative suppose néanmoins la caractérisation d’un intérêt légitime, qui relève donc d’une appréciation subjective, contrairement à la procédure judiciaire de rectification d’état civil, qui nécessite simplement de caractériser une erreur ou une omission, et relève donc d’une appréciation plus objective. C’est d’ailleurs peut-être pour cette raison que le requérant avait préféré la voie judiciaire à la voie administrative... 2. Dans la seconde espèce (Cass. 1re civ., 8 juill. 2015, n° 14-50062), le requérant, né au Mexique le 2 septembre 1928 (la naissance ayant été déclarée par le père), de nationalité espagnole, sous le nom de son père et de sa mère, française, a, en 1954, fait transcrire son acte de naissance étranger sur les registres de l’état civil français. L’officier d’état civil consulaire ayant procédé à la transcription lui a attribué comme nom le seul nom de son père, sans adjonction de celui de sa mère. L’intéressé a d’abord sollicité auprès du procureur de la République la rectification de la transcription de son acte de naissance au motif que l’officier d’état civil aurait outrepassé les limites de sa compétence en attribuant le seul nom de son père, demande dont il a été débouté. Il a donc ensuite, avec son conjoint et ses enfants, saisi le président du tribunal de grande instance de Nantes aux fins de rectification judiciaire de leurs actes de naissance sur le fondement de l’article 99 du Code civil. Leur demande a été accueillie favorablement en première instance ainsi que devant la cour d’appel de Rennes, cette dernière ayant confirmé le jugement ordonnant la rectification des actes de l’état civil en cause en adjoignant au nom du père celui de la mère. 90 G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1 La cour d’appel a, tout d’abord, retenu que l’officier d’état civil qui avait transcrit l’acte étranger en attribuant à l’enfant le seul nom de son père, n’avait pas commis d’erreur ni outrepassé les limites de sa compétence, dès lors que les règles de dévolution du nom en vigueur en France lors de la transcription conduisaient à l’attribution du nom du père. Elle précisait en outre que le fait que l’intéressé soit autorisé à porter à titre d’usage les deux noms accolés n’était pas de nature à lui conférer le droit de modifier son nom à l’état civil. Néanmoins, elle fait droit à la demande des requérants en considérant qu’il est conforme au principe de nondiscrimination et de libre circulation des ressortissants de l’Union européenne que le requérant puisse disposer du même état civil quant à son nom patronymique dans les deux États membres (France et Espagne) dont il est ressortissant. Saisie par d’un pourvoi du procureur général (il faisait valoir que les conditions de la jurisprudence de la CJUE permettant à un ressortissant de l’Union européenne de disposer du même état civil dans les pays membres dont il est ressortissant en vertu du principe de non-discrimination et de libre circulation n’étaient pas réunies, renvoyant aux décisions suivantes : CJCE, 2 oct. 2003, n° C-148/02, Garcia Avello c/ Belgique ; CJCE, 14 oct. 2008, n° C-353/06, Grunkin-Paul), la Cour de cassation a censuré les juges du fond au visa des articles 99 et 61 du Code civil, en énonçant « qu’en statuant comme elle l’a fait, alors qu’il résultait de ses constatations que les prétentions des consorts X s’analysaient en une demande de changement de nom, relevant de la procédure prévue à l’article 61 du Code civil, la cour d’appel a excédé ses pouvoirs et violé les textes susvisés ». Là encore, la solution est logique : la procédure en rectification d’état civil prévue à l’article 99 du Code civil, sur laquelle s’étaient fondés les requérants, requiert la caractérisation d’une erreur de l’officier d’état civil. Or la cour d’appel, qui a fait droit à leur demande, avait expressément relevé cette absence d’erreur, et pour cause, l’officier d’état civil avait seulement fait application de la loi en vigueur. La haute juridiction vient donc, par cette espèce, rappeler que le domaine d’application de la procédure en rectification d’état civil est limité, cette procédure ne pouvant être mise en œuvre en l’absence d’irrégularité (erreur ou omission), et qu’il existe dans cette hypothèse la procédure spécifique de l’article 61 du Code civil permettant d’obtenir la modification du nom, sous réserve, là encore, de la justification d’un intérêt légitime. II. L’ARTICULATION DES POUVOIRS DU JUGE JUDICIAIRE ET DE L’AUTORITÉ ADMINISTRATIVE POUR L’AUTORISATION DE CHANGEMENT DE NOM D’UN ENFANT MINEUR Un autre arrêt récent de la première chambre civile de la Cour de cassation du 9 septembre 2015 illustre l’articulation des pouvoirs entre le juge judiciaire et l’autorité administrative en matière de changement de nom (Cass. 1re civ., 9 sept. 2015, n° 14-19876). Cet arrêt a déjà le mérite de rappeler la règle prévue par l’article 2, 7° du décret n° 94-52 du 20 janvier 1994 G a z e tte Sp é cia lisée J u r i s p r u de n c e relatif à la procédure de changement de nom, modifié par le décret n° 2005-1678 du 28 décembre 2005 relatif à la procédure civile, à certaines procédures d’exécution et à la procédure de changement de nom, aux termes duquel, lorsque la demande de changement de nom sur le fondement de l’article 61 du Code civil faite pour le compte d’un mineur n’est pas présentée par ses deux parents exerçant en commun l’autorité parentale, le juge aux affaires familiales exerçant les fonctions de juge des tutelles doit autoriser le parent demandeur à former cette demande. En l’espèce, dans cet arrêt, une femme a donné naissance à un enfant le 23 novembre 2011, inscrit à l’état civil sous le nom de sa mère. Sa filiation paternelle a ensuite été établie par reconnaissance effectuée le 21 janvier 2012. Face au refus de la mère de procéder à une déclaration conjointe de changement de nom de l’enfant par substitution du nom du père à l’un de ses deux noms, le père a saisi le juge aux affaires familiales statuant comme juge des tutelles des mineurs, afin d’être autorisé à déposer une demande de changement de nom sur le fondement de l’article 61 du Code civil. Le JAF a fait droit à sa demande et la mère a alors interjeté appel de cette décision. La cour d’appel de Paris a, par un arrêt du 12 novembre 2013, autorisé le père à présenter une demande de changement de nom de son enfant auprès du garde des Sceaux, arrêt contre lequel la mère a formé un pourvoi en cassation. Elle reproche à la cour d’appel, en substance, d’avoir violé l’article 4 du Code civil en refusant d’examiner le moyen selon lequel le père avait utilisé de manière détournée la procédure administrative de changement de nom pour obtenir, de l’autorité administrative, une modification ne pouvant plus être demandée au juge judiciaire. La Cour de cassation a rejeté son pourvoi au motif : - qu’il n’appartenait pas au JAF exerçant les fonctions de juge des tutelles d’apprécier l’existence d’un éventuel détournement de la procédure administrative de changement de nom prévue à l’article 61 du Code civil, ce contrôle relevant de la seule compétence de l’autorité administrative chargée d’apprécier l’intérêt légitime de la demande ; - qu’il incombe seulement à ce juge, saisi d’une demande d’autorisation à agir en changement de nom par l’administrateur légal d’un enfant mineur, d’apprécier si le changement envisagé, qui est sans incidence sur le lien de filiation, présente un intérêt pour l’enfant. Si la solution semble logique, elle a le mérite de définir clairement le rôle de l’autorité administrative et celui du juge judiciaire, chacun dans son domaine de compétence : pour la première, l’intérêt légitime de procéder à un changement de nom, et pour le second, l’intérêt de l’enfant que soit examinée une demande de changement de nom le concernant. En résumé, ces arrêts illustrent une certaine tendance à un glissement des demandes de changement de nom au profit de la procédure administrative de l’article 61 du Code civil. La raison est peut-être de vouloir faciliter l’accès à cette procédure, ouverte à tous les justiciables qui justifient d’un intérêt légitime, sans avoir à recourir aux services d’un avocat. Reste à savoir néanmoins si la Chancellerie, dont les moyens du Service du changement de nom sont aujourd’hui très limités, avec des délais de plus en plus longs pour l’examen des requêtes, va pouvoir faire face au traitement de toutes les demandes. B. Sexe Reconnaissance, pour la première fois en France, de la mention « sexe neutre » sur l’état civil 253q2 1 L’essentiel Le tribunal de grande instance de Tours admet pour la première fois la reconnaissance de la mention « sexe neutre » sur l’état civil en la substituant à celle de « sexe masculin ». Le requérant justifiait en effet de l’impossibilité d’être rattaché à l’un des deux sexes, si bien que la mention « sexe masculin » qui lui avait été imposée à la naissance était une fiction juridique et contrevenait à l’article 8 de Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales. TGI Tours, 2e ch. civ., 20 août 2015, M. Augiron, prés. ; Me Petkova, av. C ette décision inédite rendue par le tribunal de Béatrice BLOQUEL grande instance de Tours Avocat au barreau de reconnaît pour la première Paris, Mulon Associés fois la possibilité pour une personne intersexuée (1) de se voir apposer la mention de « sexe neutre » sur son acte d’état civil. Note par (1) On qualifie d’intersexes les personnes qui, compte tenu de leur sexe chromosomique, gonadique ou anatomique, n’entrent pas dans la classification établie par les normes médicales des corps masculins et féminins. Ces spécificités se manifestent, par exemple, au niveau des caractéristiques sexuelles secondaires comme la masse musculaire, la pilosité et la stature, ou des caractéristiques sexuelles primaires telles que les organes génitaux internes et externes et/ou la structure chromosomique et hormonale. V. à ce sujet D. C. Ghattas, Human Rights between the Sexes: A preliminary study in the life of inter individuals, Henrich Böll Stiftung, Publication Series on Democracy, 2013, vol. 34, p. 10. G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1 91 G a ze tte Spé ci a li s é e Jurisp rud e n ce En l’espèce, le requérant était né intersexué et avait été déclaré par ses parents de sexe masculin à sa naissance, mention qui figurait sur son acte d’état civil. Il saisit la juridiction de Tours pour solliciter la modification de son acte d’état civil afin que soit substituée la mention « sexe neutre » ou la mention « intersexe » à celle de « sexe masculin », estimant que cette dernière est erronée. Au soutien de sa demande, le requérant invoque l’article 57 du Code civil qui, selon lui, n’impose pas la binarité des sexes, mais également l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme qui garantit le respect à la vie privée. Le ministère public s’oppose à sa demande, estimant que l’article 57 du Code civil et les circulaires relatives à l’état civil imposent que tout individu soit rattaché à l’un des deux sexes. Les juges décident de ne pas suivre les réquisitions du ministère public. Le TGI de Tours ordonne ainsi la substitution de la mention « sexe neutre » à celle de « sexe masculin » dans l’acte de naissance du requérant, et fonde sa décision au regard de l’article 8-1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et de l’article 57 du Code civil. La question posée aux juges du fond était inédite, tout comme l’est leur réponse. Il était en effet déjà admis par la jurisprudence que lorsque le sexe d’une personne venait à être modifié suite à un traitement médical, cette dernière pouvait solliciter, sous certaines conditions, la modification de son état civil, celle-ci étant justifiée au regard du respect dû à sa vie privée (2). En l’espèce, la question posée était autre puisque le requérant était né avec les attributs des deux sexes, ce qui avait été constaté médicalement, et considérait ainsi que le sexe masculin qui lui avait été attribué ne correspondait pas à la réalité. Ainsi, ne se posait pas la question de la reconnaissance du changement de sexe mais celle du sexe indéterminable, à laquelle le droit positif n’apporte aujourd’hui aucune réponse. En effet, l’article 57 du Code civil prévoit que l’acte de naissance énonce notamment « le jour, l’heure et le lieu de la naissance, le sexe de l’enfant, les prénoms qui lui seront donnés et le nom de famille ». Par dérogation, il est prévu par l’article 55 de la circulaire du 28 octobre 2011 relative aux règles particulières à divers actes d’état civil qu’il est possible de ne donner aucune indication sur le sexe de l’enfant dans l’acte de naissance en raison de l’indétermination de ce dernier, ce qui est exceptionnel. Cependant, cette dérogation est limitée à l’hypothèse où le sexe peut être déterminé dans un délai maximum de deux ans à la suite d’un traitement médical. Autrement dit, soit le sexe est déterminable dès la naissance et doit être mentionné à l’acte civil, soit il l’est dans une période maximale de deux ans et sera ultérieurement porté à l’état civil. Mais quid s’il ne peut jamais l’être, comme c’est le cas en l’espèce ? C’est à cette délicate question qu’ont dû répondre les juges du fond en apportant une solution justifiée, à notre sens, bien que suscitant de nombreuses interrogations. Le raisonnement des juges est le suivant : si l’article 57 du Code civil impose la mention du sexe sur l’état civil à la naissance de l’enfant, encore faut-il que celui-ci puisse (2) Cass. ass. plén., 11 déc. 1992, nos 91-11100 et 91-12373. V. égal. la proposition de loi AN n° 3084 du 29 sept. 2015 visant à faciliter la modification de la mention du sexe à l’état civil pour les personnes transsexuelles. 92 G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1 être déterminé, ce qu’il peut être par dérogation dans un délai maximum de deux ans. La mention « masculin » ou « féminin » doit ainsi, en l’état des textes, obligatoirement figurer sur l’état civil. Cependant, force est de constater qu’en l’espèce, le requérant rapportait la preuve de l’impossibilité de définir son sexe d’un point de vue génital, hormonal et psychologique. Or, aucun texte en droit français, comme il l’a été rappelé, ne règle la situation du sexe indéterminable. De même, l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme garantit le respect du droit à la vie privée, notion qui, selon la jurisprudence européenne rappelée par les juges tourangeaux, englobe également l’identité sexuelle de l’individu. Ainsi, le sexe imposé au requérant apparaissant comme une pure fiction, ce dernier ne pouvait que contrevenir à l’article 8, alinéa 1, de la Convention. Enfin, les juges du fond estiment que cette demande ne se heurte pas à l’ordre public, celle-ci ne remettant pas en cause le système de binarité des sexes, ne faisant que constater que la mention qui figure sur l’acte d’état civil du requérant est erronée et qu’il est impossible de le rattacher à tel ou tel sexe. À la mention de « sexe masculin » est donc substituée celle de « sexe neutre », ce qui nous semble fondé juridiquement. Cependant, sûrement conscients des débats qu’allait susciter leur décision, les juges du fond ont tenu à préciser sa portée. Ils indiquent ainsi expressément qu’il ne s’agit « aucunement dans l’esprit du juge de voir reconnaître l’existence d’un quelconque troisième sexe […] mais de prendre simplement acte de l’impossibilité de rattacher en l’espèce l’intéressé à tel ou tel sexe et de constater que la mention qui figure sur son acte de naissance est simplement erronée ». Autrement dit, la décision ne reconnaît aucunement l’existence d’un troisième genre et ne crée en aucune manière un droit pour toute personne à se prévaloir de l’inscription « neutre » à sa convenance. Cette précision est-elle cependant suffisante pour balayer toute discussion relative à la reconnaissance d’un troisième genre ? Rien n’est moins sûr. Si la majeure partie des États de l’Union européenne, à l’instar de la France, autorisent que le sexe de l’enfant soit enregistré ultérieurement, dans un délai limité, s’il ne peut être déterminé immédiatement après la naissance ; ce n’est pas le cas de l’Allemagne. Ainsi, la loi du 7 mai 2013 portant modification de la législation sur le statut personnel, en vigueur depuis le 1er novembre 2013, prévoit qu’il puisse n’y avoir aucune mention concernant le sexe sur l’acte d’état civil, et ce pour une durée indéterminée (3). Autrement dit, les personnes intersexuées ne se verront jamais imposer la mention F ou M sur leur état civil, contrairement aux législations des autres États membres. En Allemagne, les personnes intersexuées disposent ainsi du choix d’opter pour l’un des deux sexes ou de rester leur vie durant sous un statut indéterminé. Sur le plan international, hors Union européenne, certains pays vont aujourd’hui encore plus loin. L’Inde reconnaît ainsi trois catégories : « féminin », « masculin » et « autre » (4). Certains pays autorisent sur le passeport la (3) Loi du 7 mai 2013 : JO fédéral I n° 23 2013, 14 mai 2013, p. 1122 ; correctif du 12 juill. 2013 : JO fédéral I n° 38 2013, 18 juill. 2013, p. 2440. (4) V. « Droits de l’homme et personnes intersexes », rapp. publié par le commissaire aux droits de l’Homme du Conseil de l’Europe, 23 juin 2015. G a z e tte Sp é cia lisée J u r i s p r u de n c e mention « X » en sus des mentions M ou F, comme l’Australie, la Malaisie, l’Afrique du Sud ou encore le Népal. La Haute cour australienne est d’ailleurs allée jusqu’à reconnaître en 2014 l’inscription « sexe non spécifique » sur les registres d’état civil, pour une personne ayant entrepris des actes médicaux de transition sexuelle (5). Récemment, le commissaire aux droits de l’Homme du Conseil de l’Europe a même publié un rapport dans lequel il recommande aux États membres de « faciliter la reconnaissance des personnes intersexes devant la loi en leur délivrant rapidement des actes de naissance, des documents d’état civil, (…) et autres documents personnels officiels, tout en respectant le droit de ces personnes à l’autodétermination. L’assignation de sexe/ (5) Haute cour d’Australie, 2 avr. 2014, NSW Registrar of Births, Deaths and Marriages c/ Norrie ; V. B. Moron-Puech, « Création d’un sexe “non spécifique” par la Haute Cour d’Australie » : RTDH, Actualités Droits-Libertés, mis en ligne le 10 avr. 2014. genre (…) dans les documents officiels devrait offrir la possibilité de ne pas choisir un marqueur de genre spécifié, « masculin » ou « féminin ». Les États membres devraient examiner la nécessité d’indiquer le genre dans les documents officiels » (6). La décision du TGI de Tours du 20 août 2015 est donc bien plus qu’une simple décision de rectification. Elle s’inscrit dans un mouvement de réflexion plus vaste en faveur de la reconnaissance des droits fondamentaux des personnes intersexuées, déjà entamée sur le plan européen et international. Le ministère public ne s’y est d’ailleurs pas trompé et a d’ores et déjà fait appel de la décision, craignant un débat national sur la reconnaissance d’un troisième sexe. Affaire à suivre donc… (6) V. rapport préc. Nouvelle étape dans la protection des familles non traditionnelles : la CEDH impose de fournir aux couples de même sexe un cadre juridique à leur union 253t6 1 L’essentiel Si la Cour de Strasbourg maintient sa jurisprudence antérieure selon laquelle l’article 12 de la Convention européenne des droits de l’Homme n’impose pas aux États une obligation d’autoriser le mariage entre personnes de même sexe, l’Italie se voit néanmoins condamnée sur le fondement de l’article 8 de la Convention (violation de la vie privée et familiale) pour ne pas avoir mis en place un quelconque cadre juridique permettant la reconnaissance et la protection des unions entre personnes de même sexe. CEDH, 4e sect., 21 juill. 2015, no 18766/11, 36030/00, Oliari et a. c/ Italie, P. Hirvela, prés., G. Raimondi, L. Bianku, N. Tsotsoria, P. Mahoney, F. Vehabovic, Y. Gronzev, juges D epuis les premières décisions visant à éradiquer Isabelle REINles sanctions pénales contre LESCASTEREYRES l’homosexualité (CEDH, 22 oct. 1981, n° 7525/76, Dudgeon c/ Royaume-Uni), jusqu’à l’affirmation selon laquelle les couples de même sexe doivent pouvoir bénéficier d’un cadre légal pour leur union, la Cour européenne des droits de l’Homme a fait beaucoup pour lutter contre les législations nationales discriminatoires sur la base de l’orientation sexuelle. Note par Si l’on s’en tient à la jurisprudence la plus récente de la Cour de Strasbourg, la première étape significative remonte à la décision Schalk et Kopf c/ Autriche du 24 juin 2010, dans laquelle la Cour affirme, pour la première fois, que les couples de même sexe bénéficient d’un droit à la protection de leur vie familiale garanti par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme, et non pas seulement d’un droit à la protection de leur vie privée (CEDH, 24 juin 2010, n° 30141/04, Schalk et Kopf c/ Autriche). Il a ensuite fallu attendre la décision Vallianatos c/ Grèce du 7 novembre 2013 pour que la Cour de Strasbourg franchisse une nouvelle étape dans la protection des couples de même sexe (CEDH, 7 nov. 2013, nos 29381/09 et 32684/09, Vallianatos c/ Grèce). Les requérants se plaignaient de ce que le nouveau partenariat civil qui venait d’être adopté par la Grèce n’ouvrait celui-ci qu’aux couples de sexe différent, excluant de facto les couples de même sexe. La CEDH a conclu à une violation de l’article 8 combiné à l’article 14, en s’appuyant notamment sur le fait que sur les dix-neuf États qui connaissent un partenariat, seuls deux le réservent aux couples de sexe différent, et que la Grèce n’apportait pas la preuve qu’il serait nécessaire et proportionné d’exclure ces couples d’une telle forme d’union. Avec la décision Oliari, la CEDH fait un pas supplémentaire. En l’occurrence, six couples d’hommes italiens se plaignaient de ce que le droit italien ne leur donnait accès ni au mariage, ni à une autre forme d’union comme un partenariat civil, et sollicitaient sa condamnation sur le fondement des articles 8 et 12, combinés à l’article 14 (en l’espèce, discrimination à raison de l’orientation sexuelle). Tout au plus le droit italien permet-il désormais de conclure un contrat de cohabitation sous seing privé, sans que sa forme ou son contenu soit régi par la loi, et ce n’était même pas le cas pour les requérants avant décembre 2013. Le droit italien permet également de saisir les tribunaux dans des situations où les couples de même sexe ne bénéficient pas concrètement des mêmes avantages que les couples de sexe différent mariés. Enfin, il est possible, dans certaines mairies seulement, de faire G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1 93 G a ze tte Spé ci a li s é e Jurisp rud e n ce enregistrer l’union des couples de même sexe, mais cet enregistrement a un caractère essentiellement symbolique. Les plus hautes juridictions italiennes ont pourtant attiré l’attention des autorités sur la nécessité de modifier la législation pour mettre en place un cadre juridique protecteur. La CEDH commence par constater que, tandis que dans l’affaire Schalk et Kopf, à la date où elle s’était penchée sur l’affaire, un partenariat civil était devenu accessible en Autriche aux couples de même sexe, la situation en Italie est toujours, cinq ans plus tard, celle d’une impossibilité de se marier, comme de conclure un partenariat civil. Elle considère que le simple enregistrement de l’union, outre qu’il n’est disponible que dans à peine 2 % des mairies, ne confère aux requérants aucun statut civil officiel. Quant aux accords de cohabitation, en dehors d’être ouverts à tous ceux qui cohabitent, sans condition d’une relation de couple stable, ils ont un cadre trop restreint pour assurer la reconnaissance de ces unions et la protection du couple. En outre, le fait qu’il soit possible de saisir les juridictions nationales pour voir reconnaître certains droits n’est pas suffisant aux yeux de la CEDH dans la mesure où, d’une part, les décisions sont prises au cas par cas, de telle sorte qu’aucune cohérence n’est assurée et, d’autre part, imposer d’en passer par une telle saisine constitue une contrainte non négligeable pour les personnes concernées. Par conséquent, en l’absence d’une possibilité de se marier, les couples italiens de même sexe ont un intérêt particulier à pouvoir conclure une forme de partenariat enregistré. La Cour de Strasbourg poursuit en mettant en balance cet intérêt particulier avec les intérêts de la communauté dans son ensemble. Or, sur ce point, elle estime que le gouvernement italien n’a pas explicité ce qui, à ses yeux, constituerait les intérêts de la communauté qu’il faudrait protéger. Tout au plus s’est-il contenté de prétendre qu’il fallait laisser le temps nécessaire à l’évolution des mentalités sur un sujet qu’il considère comme sensible. Sur 94 G A Z E T T E D U PA L A I S - M A R D I 5 JA N V I E R 2 0 1 6 - N O 1 ce point, la CEDH conteste d’abord que le sujet présente des éléments qui soient particulièrement sujets à controverse. Elle s’appuie en outre sur le mouvement progressif constant en Europe vers une reconnaissance de plus en plus large de ce type d’unions, sur l’opinion majoritaire en Italie, et sur le fait que les plus hautes autorités judiciaires italiennes ont appelé à une telle évolution. Elle en déduit qu’en l’absence d’un intérêt prévalant de la communauté qui viendrait s’opposer à l’intérêt individuel des couples de même sexe comme les requérants, le gouvernement a outrepassé sa marge d’appréciation et a manqué à ses obligations positives de protéger la vie privée et familiale de ces derniers. L’Italie est donc condamnée pour ne pas avoir mis en place un cadre juridique ouvert aux couples de même sexe. La CEDH maintient en revanche sa jurisprudence antérieure (Schalk et Kopf préc. et CEDH, 16 juill. 2014, n° 37359/09, Hämäläinen c/ Finlande) en rappelant que, en dépit du nombre croissant d’États autorisant le mariage entre personnes de même sexe, les États n’ont pas l’obligation de l’autoriser. Ainsi, si les États conservent une large marge d’appréciation lorsqu’il s’agit d’autoriser ou non le mariage entre personnes de même sexe, ils ne peuvent plus aujourd’hui priver ces mêmes couples d’une forme d’union alternative et ont, au contraire, l’obligation positive de la mettre en place. L’évolution très rapide de la jurisprudence de la CEDH sur ces questions témoigne de ce que la Convention est un instrument vivant qui doit être interprété à la lumière des transformations sociales. Cette décision illustre également le fait que la Cour de Strasbourg ne veille pas seulement à ce que les États n’interfèrent pas de manière excessive avec le droit des citoyens à la protection de leur vie privée et familiale ; l’article 8 de la Convention met à leur charge un certain nombre d’obligations positives pour assurer le respect effectif de ces droits. C’est ainsi que, peu à peu, la CEDH participe à une meilleure protection des familles non traditionnelles. 251u2