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[« Fantômas », Annabel Audureau]
[Presses universitaires de Rennes, 2010, www.pur-editions.fr]
INTRODUCTION
Si le public du vingt-et-unième siècle ne reconnaît plus Fantômas que sous
les traits grotesques et grimaçants du masque bleu porté par Jean Marais, cette
postérité due aux films d’André Hunebelle 1 dissimule, sous des dehors de comédie populaire, la complexité du personnage. En effet, avant de devenir l’alibi des
facéties de Louis de Funès 2, alias le commissaire Juve, Fantômas terrifia des milliers
de lecteurs de la Belle Époque au fil de ses aventures, nées de l’imagination fertile
de deux auteurs : Pierre Souvestre et Marcel Allain. Il n’était pourtant pas acquis
par avance que cet héritier du bandit masqué, précédé et suivi de tant d’autres
tombés dans l’oubli, survive à ses aventures de papier bon marché. Cependant, ce
personnage s’est constitué au fil du vingtième siècle en mythe autonome par un
processus de libération, de ses géniteurs, puis du cadre romanesque, seul survivant
du naufrage de l’univers pourtant prolixe des personnages créés par Allain 3, l’un
de ses pères. « De revival en éternel retour, de trous de mites en trouées mythiques,
à force de crimes répétés et d’automatisme 4 », ce fascinant personnage, véritable
dandy moderne, a séduit de nombreux artistes qui ont su percevoir le potentiel
mythique de cet antihéros. Autant de cinéastes, d’écrivains, de peintres, de musiciens qui, dans cette pluridisciplinarité disparate, ont apporté force et vitalité à ce
mythe moderne traduisant dans cette recherche « le besoin lancinant qu’éprouve
notre époque de remagnétiser la vie 5 ».
1. HUNEBELLE André, Fantomas (1964), Fantomas se déchaîne (1965), Fantomas contre Scotland
Yard (1967).
2. Qui joue le rôle du commissaire Juve dans les adaptations d’Hunebelle.
3. Voir bibliographie complète de Pierre SOUVESTRE et Marcel ALLAIN in Fantômas, tome II édition
établie par Francis LACCASSIN, Paris, Robert Laffont, coll. « Bouquins », 1988, p. 1253-1300.
4. AZOURY Philippe et Lalanne Jean-Marc, Fantômas, style moderne, Paris, Éditions du Centre
Pompidou, 2002, p. 13.
5. GRACQ Julien, préface à sa pièce de théâtre, Le Roi Pêcheur, Paris, Corti, 1948, p. 8.
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FANTÔMAS
Mis en scène pour la première fois à l’écran par Louis Feuillade en mai 1913,
Fantômas impressionne, entre réalité et fiction, déclenchant la peur chez les spectateurs encore novices de cette époque, allant même jusqu’à provoquer des arrêtés
préfectoraux interdisant sa diffusion. René Navarre est associé au personnage qu’il
joue à l’écran et reçoit des menaces de mort 6. Fantômas appartient au quotidien
de l’homme de la Belle Époque au même titre que la « Bande à Bonnot ». Déjà,
sans le savoir, Feuillade « a cet instinct poétique prodigieux qui lui permet de faire
du surréalisme comme on respire 7 ».
Ce sont cependant les artistes d’avant-garde qui, sensibles aux films 8 de
Feuillade, érigent Fantômas en mythe moderne par le biais de Max Jacob 9 et de
Guillaume Apollinaire 10, mais également de Blaise Cendrars qui qualifie la somme
de Marcel Allain et Pierre Souvestre d’« Enéide des temps modernes11 ». Puis, cette
figure libertaire à coloration anarchiste, ce voleur sanguinaire, séduit et fascine les
mœurs révolutionnaires d’André Breton 12 et du jeune Louis Aragon 13, lui-même
en quête d’identité et qui ne pouvait éviter de s’identifier à ce nouveau Protée.
Bientôt, des peintres tels que le cubiste Juan Gris, ou les surréalistes René Magritte
et Yves Tanguy 14, puisent aussi dans cette source d’inspiration. Contaminant alors
les arts, le « phénomène Fantômas » semble ainsi acquérir une forme de légitimité
artistique, devenant une complainte sous la plume de Robert Desnos, interprétée
à la radio et dirigée par Antonin Artaud, ou un roman parodique chez Louis
Aragon.
Mais la carrière de ce héros de roman populaire ne s’arrête pas au mouvement surréaliste et poursuit son évolution au sein du vingtième siècle de manière
toujours transdisciplinaire, protéiforme à l’image de son héros. Jean Cocteau, en
6. Fantômas sort le 9 mai 1913 au Gaumont Palace à Paris.
7. RESNAIS Alain in Louis Feuillade par Francis LACASSIN, Paris, Seghers, 1964.
8. FEUILLADE Louis, Fantômas, 1913, suivi de Juve contre Fantômas, 1913, Le Mort qui tue, 1913,
Fantômas contre Fantômas, 1914 et Le Faux magistrat, 1914.
9. JACOB Max, « Fantômas », « Encore Fantômas », Les Soirées de Paris, n° 26, juillet-août 1914,
in Le Cornet à dés, Paris, Gallimard, 1945, collection « Poésie ».
10. Soirées de Paris, 15 juin 1914, cité par Francis LACASSIN in Fantômas, tome I, op. cit., p. 53.
11. « Club des Amis de Fantômas ».
12. BRETON André, ELUARD Paul, Dictionnaire du Surréalisme, 1938. On y trouve comme illustration du terme « sainteté », une couverture de Fantômas : Le Cercueil vide, dessinée par Starace.
13. ARAGON Louis, Anicet ou le Panorama, roman, (1921).
14. GRIS Juan, Pipe et Journal (1915), Magritte René, L’Assassin menacé (1926), L’Homme du large
(1927), Le Retour de flamme (1943), Tanguy Yves, Fantômas (1925).
INTRODUCTION
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parle dans Léone 15 en 1945. En 1950, dans Bâtons, Chiffres et Lettres 16, Raymond
Queneau établit la liste des méfaits du génie. En 1951, Guillaume Harreteau,
reprend la Complainte de Fantômas 17 au cabaret La rose rouge, sous forme dramatique. Pablo Neruda, dans un recueil de poèmes intitulé Memorial de Isla Negra,
évoque la postérité internationale du criminel. « Les femmes Pachedo lisaient/
Dans la nuit Fantômas […] 18 », écrit-il en 1964, alors que Julio Cortázar en fait
un super-héros défendant la démocratie dans une fable politique sous forme de
bande dessinée en 1975 19. Mais n’est-ce pas le propre de Fantômas que de se
trouver là où on ne l’attend pas, par exemple la littérature pour enfant, avec le
personnage de Fantômette ? Ainsi, créant une mise en abyme de l’aspect protéiforme constitutif du personnage de Fantômas, sa dimension mythique en fait un
creuset d’inspiration, mais aussi un support d’expression pluridisciplinaire pour
des artistes aussi diversifiés que des cinéastes, des écrivains, des peintres, des illustrateurs et des musiciens.
Ce panorama, que l’on peut retrouver de façon plus complète dans le corpus
de cette étude 20, illustre la permanence de Fantômas dans les arts du vingtième
siècle et souligne l’importance de cette figure paralittéraire encore peu étudiée.
Ses origines populaires ont, sans doute, retardé son entrée dans le domaine de
la recherche littéraire institutionnelle, de même que la parodie cinématographique d’André Hunebelle. Fantômas constitue pourtant un sujet d’étude complexe,
permettant d’étudier la création et l’évolution d’un mythe au sein d’un corpus
qui multiplie les supports artistiques. Vaste champ d’étude comparatiste, il rend
possible le croisement des arts, mais également des registres. Littérature et paralittérature, cinéma commercial ou d’auteur, peinture et bande dessinée se rencontrent
grâce à Fantômas.
Sa faculté à traverser les espaces, se glissant par une porte escamotée de l’envers du décor parisien peuplé d’Apaches et de pierreuses, à l’endroit des brillants
salons mondains où Fantômas devient alors un voleur dandy, capable de séduire
15. COCTEAU Jean, « Léone » (1945), in Œuvres Poétiques complètes, Paris, Gallimard, 1999, coll. :
« La Pléiade ».
16. QUENEAU Raymond, Bâtons, Chiffres et Lettres, Paris, Gallimard, 1950.
17. DESNOS Robert, « La Grande Complainte de Fantômas » (1933), in Desnos, Œuvres, Paris,
Gallimard, 1999, p. 736-759, collection : « Quarto Gallimard ».
18. NERUDA Pablo, Memorial de Isla Negra, (1964), Barcelona, Delosilla, 2003, (Mémorial de l’Île
Noire), Paris, Gallimard, p. 35-37.
19. CORTÁZAR Julio, Fantomas contra los vampiros multinacionales, (1975), Barcelona, ed. Destino,
2002/Fantômas contre les vampires des multinationales, traduit de l’espagnol par Ugné Karvelis,
Paris, La Différence, coll. « Les voies du Sud. Fiction », 1991.
20. Voir sources documentaires.
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FANTÔMAS
les femmes du « Grand Monde », semble ainsi s’être déplacée du personnage vers
le mythe, lui aussi fédérateur des arts institutionnalisés et de ceux dits « populaires » ou « de masse ». Il permet ainsi d’établir un lien au sein de la fracture qui
ne manque pas d’exister dans l’univers culturel et d’associer ces deux sphères de
création, constituant finalement l’envers et l’endroit d’une même médaille…
Cette infralittérature, qui a conduit Emma Bovary au désespoir puis au
suicide, aurait-elle sa place dans le monde intellectuel ? C’est en tout cas ce que
tend à démontrer le cas de Fantômas par l’intérêt qu’il provoque tant dans les arts
populaires comme le cinéma ou la bande dessinée que dans des courants intellectuels et artistiques comme celui des surréalistes. Ainsi, par le biais de l’analyse de ce
mythe moderne, il devient possible de questionner conjointement deux domaines
autrefois séparés. Mais les frontières entre les genres sont faites pour rassurer et
pour être dépassées, la paralittérature ayant remplacé le roman, genre qui ne reçut
ses lettres de noblesse qu’au dix-neuvième siècle, lui aussi conspué et déclassé par
les siècles précédents. Dans un mémoire rédigé à l’attention de la Librairie Fayard
et terminé le 5 novembre 1938 21, Allain présente une tentative de définition du
roman populaire. Cet « essai théorique » se révèle particulièrement intéressant car
il fait de nombreuses fois référence à la série des « Fantômas » et témoigne, « de
l’intérieur », de la conception d’une œuvre populaire au début du vingtième siècle.
Ainsi, selon le plus jeune des pères du « Génie du Crime », un roman populaire
a pour unique fonction d’être « amusant et bon marché 22 ». Or, l’auteur ajoute :
« S’adressant à un public divers, le roman populaire aura souci, tout d’abord de
ne choquer aucun des éléments constitutifs de ce public 23. » Conscient de la fonction commerciale d’une telle production, Marcel Allain affiche ainsi des stratégies
d’écriture visant à fédérer le plus de lecteurs possible, de l’ouvrier à la bourgeoisie
et de préciser :
Il ignorera toute question politique, toute discussion religieuse : ce serait restreindre,
a priori, le nombre des lecteurs éventuels, il évitera – et c’est plus difficile- tout ce
qui pourra donner matière à critique, en quoi que ce soit […] 24.
La nature consensuelle de ces propos peut choquer, mais elle apparaît ici totalement assumée par l’auteur et souligne la visée mercantile qui a tant nui à cette
littérature diamétralement opposée à la littérature en tant qu’objet artistique unique
21. Mémoire rédigé à l’attention des éditions Fayard, rendu le 5 novembre 1938, consultable dans sa
totalité dans Fantômas, tome II, Paris, Robert Laffont, coll. « Bouquin », 1988, p. 1238-1250.
22. Ibid., p. 1238
23. Ibid., p. 1241.
24. Ibid.
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et non monnayé. Récemment en cours de réhabilitation, ne serait-ce que par sa
nouvelle appellation, cette « infralittérature », devenue « la paralittérature » intéresse
maintenant les chercheurs et se constitue en tant qu’objet d’étude. Autoréflexive,
elle montre ainsi qu’elle ne peut se résumer à un produit jetable, mais que comme
tout objet d’art, elle constitue un miroir des questionnements de son époque. Allain
témoigne d’ailleurs d’une réelle réflexion théorique sur un genre lorsqu’il écrit :
Les maîtres de jadis, restreignaient leur public, alors limité nettement à la classe
populaire, faisant jouer ce que nous appellerons les « ficelles » sentimentales. Des
titres justement célèbres viennent à l’esprit : La Porteuse de Pain, Les Deux Gosses…
Hélas ! à l’heure actuelle, le genre est complètement périmé : éprise de sports, libre
dans ses allures, rude dans ses sentiments et ses ambitions, la jeunesse actuelle se
détournerait de tels ouvrages 25.
L’écrivain, ou faut-il dire « l’écrivain populaire », rappelle ensuite l’évolution
du genre et la vogue pour le roman d’aventures policières dans lequel s’inscrit
Fantômas. Dressant un panorama paralittéraire, il explique comment ce nouveau
genre donne ensuite naissance au roman policier avant de disparaître à son
tour. Cependant, ces nouveaux succès parus sous des collections telles que : « Le
Masque » ou « L’Empreinte » se révèlent moins lucratifs que leurs aînés car ils limitent, par leur contenu, le nombre de lecteurs. Plus réalistes, plus logiques, ces récits
visent, selon Allain, un lectorat plus évolué alors que des textes comme Fantômas,
exposant des aventures totalement irréalisables et extravagantes, fonctionnant
uniquement sur le principe du plaisir et non d’une quelconque vraisemblance
ou idéologie, permettent de toucher un public très large. Bien qu’essentiellement
tournées vers un souci de rentabilité, les remarques d’Allain n’en demeurent pas
moins extrêmement éclairantes sur la « littérarité » paradoxale d’un texte comme
Fantômas qui constitue finalement l’essence même du « romanesque », de l’invention et de l’imaginaire poussés à l’extrême : un monde fantaisiste que ne manqueront cependant pas d’entrevoir les surréalistes et de nombreux autres artistes sensibles à la richesse d’une telle littérature. Elle demeure cependant problématique
ainsi que l’explique Daniel Couégnas :
Le mot « paralittérature » est de ceux que l’on ne saurait employer, entendre ou lire
en toute sérénité. Boîte de Pandore, boîte infernale, ce terme porte en lui un certain
nombre de conflits méthodologiques, culturels, voire idéologiques 26.
L’étude du champ d’investigation « fantômassien » engage cependant le
chercheur à aborder sereinement les différents registres artistiques et les liens qui
25. Ibid.
26. COUÉGNAS Daniel, Introduction à la Paralittérature, Paris, Le Seuil, coll. « Poétique », 1992, p. 16.
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FANTÔMAS
les unissent. Fantômas apparaît donc comme un trait d’union entre la culture
populaire et celle de l’Institution, tout comme il permet de rassembler différents
supports, notamment l’écrit et l’image.
De même, le personnage de Fantômas permet de suivre la naissance et l’évolution d’un mythe dans les arts du vingtième siècle. Le sujet est complexe comme
la notion de mythe elle-même. Ce mot, si galvaudé, doit en effet être utilisé avec
prudence. Fantômas n’est pas un mythe, au sens ethno-religieux, même si ses origines populaires tendent à le rapprocher de la définition que donne Pierre Brunel
dans le Dictionnaire des mythes littéraires :
[…]comme un récit fondateur, anonyme et collectif, qui fait baigner le présent dans
le passé et est tenu pour vrai, dont la logique est celle de l’imaginaire et qui fait
apparaître à l’analyse de fortes oppositions structurales […] 27.
En effet, la littérature populaire, dans sa forme et sa pratique, tient souvent du
récit mythique. L’idée même de signature, c’est-à-dire de reconnaissance de l’unicité artistique d’une œuvre, est étrangère à la littérature de masse où la production
compte plus que la création. De même, la lecture des méfaits du criminel dépasse,
aidée en cela par sa médiatisation cinématographique, le domaine de l’imaginaire.
Inscrit dans le quotidien de ses lecteurs, Fantômas fait partie de leur vie, contamine
le réel. Il est permanent dans ses attributs, notamment son masque et son allure de
dandy criminel dont l’image, dessinée par Gino Starace, marque fortement les esprits.
On retrouve également des éléments constitutifs du mythe de Fantômas comme
la technologie moderne, la ville de Paris ou le labyrinthe. Ils seront aussi utilisés
par les artistes qui opèreront des adaptations que l’on peut classer selon les trois
catégories que propose Gilbert Durand dans son article : « Permanence du mythe et
changement de l’histoire 28. » La première dérivation du mythe : celle de l’exagération
du trait d’un mythème au détriment des autres, liée à la subjectivité d’une époque
et d’un moment culturel, se retrouve dans l’interprétation « hérétique », selon les
mots de Gilbert Durand, des surréalistes érigeant Fantômas en figure de proue d’un
mouvement libertaire occultant alors les contingences commerciales de l’œuvre de
départ et les nombreux consensus auxquels elle a été soumise. La seconde, constituée par l’ajout de mythèmes extérieurs : celle que Durand nomme « syncrétique »,
se remarque également avec, par exemple, les films de André Hunebelle influencés
27. Dictionnaire des mythes littéraires, sous la direction de Pierre BRUNEL, Monaco, Éditions du
Rocher, 1988, préface de Pierre Brunel, p. 12.
28. DURAND Gilbert, « Permanence du mythe et changement de l’histoire », Le mythe et le mythique,
Colloque de Cerisy, 1987, Cerisy-La-Salle, Paris, Dervy, coll. « Les Cahiers de l’Hermétisme »,
1987. INTRODUCTION
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par un autre personnage fameux : James Bond. Enfin, la dérivation éthique opère
également dans l’histoire de ce mythe moderne. Ainsi, la confrontation éthique et
sociologique d’une mentalité ou d’une époque avec l’énoncé mythique produit-elle
des renversements dans l’interprétation de certains mythèmes. Celui du labyrinthe
devient ainsi une métaphore heureuse de l’imaginaire libéré du poète surréaliste revivifié par une plongée dans les profondeurs de l’âme humaine alors qu’il représentait
l’envers angoissant d’un urbanisme en voie vers l’ordre depuis Haussmann. Fantômas
n’est pas non plus uniquement un mythe littéraire, même si les artistes d’avant-garde
lui ouvrent les portes de l’institution littéraire et que les surréalistes l’inscrivent dans
leur Panthéon, puisqu’il poursuit en parallèle une carrière cinématographique, mais
aussi picturale. Échappant à toute classification, fidèle à sa nature insaisissable, le
phénomène est difficile à circonscrire.
Notre démarche consistera donc à suivre le parcours de ce personnage, au fil
du siècle et des arts qu’il traverse, en analysant sa nature et sa constitution mythique. Partant d’une analyse des trente-deux romans imaginés par Souvestre et Allain,
nous mettrons en évidence le potentiel mythique de l’insaisissable Fantômas, que
nous tenterons justement de définir. Puis, nous aborderons la carrière cinématographique du bandit masqué car elle apparaît comme un élément majeur de la
constitution du mythe. Enfin, nous étudierons l’entrée de Fantômas dans l’institution littéraire pour suivre son trajet artistique 29 et mythique. Notre approche se
veut comparatiste en abordant les différents transferts médiatiques de Fantômas.
Mais elle suivra aussi un ordre chronologique qui nous permettra d’étudier l’évolution de ce mythe moderne. Les citations des romans qui composent la série
des Fantômas sont tirées des textes complets et non réécrits par Marcel Allain a
posteriori comme cela fut le cas pour certaines rééditions. Dans le meilleur des cas,
nous avons fait référence à l’édition originale. Quand cela n’était pas possible, nous
avons utilisé les éditions de Francis Lacassin. Dans les années 1980, il a décidé de
publier le récit complet des douze dernières aventures de Fantômas qui étaient les
plus rares sur le marché. La Bibliothèque Nationale a récemment acquis l’ensemble des trente-deux romans de Souvestre et Allain. Mais les éditions choisies ne
sont pas les originales. Devenus introuvables ou vendus à des prix prohibitifs, les
romans ont cependant été réédités en respectant le texte originel dans des collections dont Francis Lacassin donne la liste à la fin de son deuxième tome publié
chez Laffont 30. Ce sont ces ouvrages que nous utilisons.
29. Voir bibliographie pour le détail des œuvres.
30. Fantômas, tome II comprenant : Le Cercueil vide, Le Faiseur de reines, Le Cadavre géant, Le Voleur
d’or, op. cit., p. 1253-1264.

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