La Psychomotricité ou le soin à la jonction du corps et de l`esprit

Transcription

La Psychomotricité ou le soin à la jonction du corps et de l`esprit
cycle le corps / LNA#66
La Psychomotricité ou le soin à la jonction du corps
et de l’esprit Par Bernard MEURIN
Psychomotricien
CHRU de Lille / CRA Nord-Pas de Calais
En conférence le 15 avril
D
ans les années 1950, Julian de Ajuriaguerra, psychiatre
d’origine espagnole nommé Professeur au Collège de
France en 1975, tisse des liens entre différentes disciplines
jusqu’alors cloisonnées pour construire un modèle de soin
novateur destiné aux enfants souffrant de troubles du
comportement. Entremêlant ses connaissances issues de la
neurologie, de la psychologie génétique, de la psychanalyse
et de la philosophie phénoménologique, il trace la voie pour
les premières pratiques psychomotrices rassemblées, depuis,
au sein d’un corpus professionnel inscrit au livre IV du code
de la santé publique : la Psychomotricité.
Dès l’origine, Ajuriaguerra inscrit sa réflexion dans une
vision moniste de l’homme et, pour lui, le substratum organique ne peut être compris qu’en relation avec son environnement et les autres : « Plus l’enfant précise ses gestes et plus
il rencontre l’autre », écrivait-il. La jonction qu’il propose
entre les dimensions tonique, posturale, émotionnelle,
affective et cognitive du sujet permet de dépasser les clivages
pernicieux amenant à considérer le corps et l’esprit comme
deux entités séparées, voire autonomes. Dans la continuité
des travaux d’Henri Wallon, il propose le concept de
dialogue tonico-émotionnel pour souligner la nécessité d’une
approche plurifocale pour bien comprendre le développement
de l’enfant.
En psychomotricité, l’organisation des mouvements ainsi
que la qualité de leur ajustement sont considérées comme
participant de la capacité à penser. C’est en effet à partir
des éprouvés corporels que nous construisons progressivement les représentations que nous avons de nous-mêmes et
que nous pouvons habiter et penser le monde dans lequel
nous sommes. Comme le proposait déjà Spinoza au XVIème
siècle, nous pourrions dire que les thérapies psychomotrices
considèrent que l’esprit est l’idée du corps vivant en acte
et rien d’autre, et que tout ce qui augmente ou diminue
les puissances d’agir du corps augmente ou diminue les
puissances de penser ; inversement, tout ce qui augmente ou
diminue les puissances de penser augmente ou diminue les
puissances d’agir du corps. Le principe de l’action thérapeutique en psychomotricité s’appuie donc sur les potentialités
du sujet et non seulement sur ses manques et ses faiblesses.
Soutenir le désir, non pas en tant qu’il exprime le manque
mais la force première qui nous anime, constitue l’un des
axes thérapeutiques en psychomotricité.
C’est l’action qui médiatise la rencontre en psychomotricité.
Elle se fait auprès des enfants par une invitation à jouer et,
auprès des adolescents ou des adultes, par une invitation à renouer avec les éprouvés corporels. La rencontre
pourra, selon l’âge et la difficulté du patient, prendre
diverses formes. Il s’agira par exemple d’activités cognitives
pour exercer ses connaissances, d’une activité motrice pour
éprouver du plaisir dans les compétences corporelles, d’une
activité sensorimotrice pour éprouver son corps ou encore
d’une activité symbolique pour exprimer ses affects sur un
mode imaginaire. Il s’agit, dans ce type de pratiques, d’engager autant le corps que l’esprit tout en respectant le sujet
dans son cheminement personnel. Donner aux patients
les moyens de pouvoir s’ajuster corporellement et de développer harmonieusement leur gestualité vise à engager un
remaniement complet de l’être-sujet et de faire de chaque
instant un moment en première personne, dans lequel corps
et esprit ne sont pas perçus comme deux réalités distinctes,
mais comme deux modalités expressives à part entière. Cela
ne signifie pas que le mouvement est en soi thérapeutique,
car nous pourrions dès lors rapidement tomber dans la
simple agitation ; il s’agit de créer un espace dans lequel le
sujet peut redevenir actif, dans sa double dimension corporelle
et psychique.
Comprises sous cet angle, les thérapies psychomotrices
apparaissent comme des pratiques cliniques en appui sur les
potentialités du sujet visant à promouvoir les affects joyeux
au détriment des passions tristes : « L’Esprit humain est
capable de percevoir un très grand nombre d’objets et il en est
d’autant plus capable que son Corps peut être disposé selon un
plus grand nombre de modalités » 1.
1
Spinoza, Éthique II - Proposition 14.
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