la chouette enchaînee 2

LA CHOUETTE
ENCHAÎNEE
Deuxième numéro pour deux fois plus de
plaisir !!!! La chouette is back cette semaine
pour vous parler de musique et d’histoire.
Alors accrochez-vous à la branche, on va
tout scier !
INSTANT CULTURE : La politique il l’a comprise, les banlieues sont chargées
Chargé, Kaaris
Certains diront que l’actuel rap français à la mode est une usine à fric sans aucun
fond. Que ses auteurs sont des faiseurs de bruit, des « barbares qui nous attaquent ».
Cependant, il n’en est rien, et c’est notre devoir, à nous défenseurs des arts et lettres, de
rétablir la vérité. A ceux qui disent que le rap est creux on vous dit qu’il est porteur de sens.
A ceux qui se plaignent des topoï sexistes, violents et décadents, on vous répond que la
nouvelle scène critique est bien celle squatte les cages en bas des tours.
Kaaris, qui s’est « emparé » de ce rap français comme il le dit, est un de ces héraults 2.0 dont
la prose ne cesse de montrer un sens aigu de l’analyse politique au fil de textes au lyrisme
aussi élégant qu’efficace. A l’image de son album, les traits d’esprit de l’homme sont de l’Or
noir face à l’insipide mélodie prépubéro-intellectuelle des jeunes artistes qu’on appelle
l’avenir de la chanson française.
On vous propose dès lors de décortiquer la profondeur d’un des morceaux phares du
troubadour de Sevran, petit coin de paradis littéraire en banlieue parisienne.
(Refrain)Kalash est chargé, kalash est chargé, kalash est chargé
Kaaris est un homme prêt à tout lorsqu’il s’agit de se faire entendre.
Cuisine du cke-cra, cuisine du cke-cra, cuisine du cke-cra
Son discours, il le prépare minutieusement.
Roule sur les zé-bra, roule sur les zé-bra, roule sur les zé-bra
Il n’hésite pas à emprunter des voies détournées s’il s’agit d’argumenter.
J'ai dit kalash est chargé, j'ai dit kalash est chargé, j'ai dit kalash est chargé
S’il faut le répéter, notre homme est préparé à tous les types de situations.
(Couplet 1)Roule un gros pilon, rouge au fond des yeux en dit long
Quand il est certain de la qualité de son argument, il n’hésite pas à exposer son
assurance et sa fierté, quitte à avoir une petite larme à l’œil.
La chambre est gée-char, j'pars en guerre déter' comme César
Avec son équipe auprès de lui, la référence à l’impérator n’est pas de trop pour juger
de son efficacité.
J'rêve de faire sauter le Ministère, et de me faire schnicav par la veuve du
commissaire
C’est un homme qui n’a pas peur de revendiquer son opposition au gouvernement
pour rétablir l’ordre légitime.
Ce monde t’avale et te digère, écoute les balles siffler du 93 au Niger
La compétition politique ne se cantonne pas aux frontières d’un pays, elle est
aujourd’hui internationale.
J'reconnais que le ventre que j'ai quitté, ma vélocité vient de Kounta Kinte
Parfois dans sa bulle, Kaaris n’oublie pas les principes et la cause pour laquelle il se
bat.
Reconnais qu'une arme peut nous acquitter, et l'animal grâce à sa pilosité
Notre poète ne pratique pas la langue de bois, il ne se présente jamais les mains
vides dans un débat, tout comme l’animal et sa pilosité sont inséparables dans la
mise en contexte.
2.7. 2.7. 93, en dessous de 07 c'est de la synthèse
Tout en faisant référence aux espaces bétonnés qui l’ont vu grandir, Kaaris exige
des débats politiques qu’ils soient de qualité.
Tu vends d'la merguez et sniffes de la mauvaise, on s'en fout d'tes recettes, c'est de
la foutaise
Il dénonce l’amateurisme de ses adversaires sans oublier de rappeler que l’argent ne
détrône pas les qualités morales et rhétoriques d’un vrai politicien.
Écoute le fond de ma rime, canon au fond d'tes narines
Formule proleptique de Kaaris qui appelle l’attention sur l’annonce de son
programme
J'm'arrêterai quand j'aurais posé ma euq et mes yeucs sur le front de Marine
Il ne s’arrêtera jamais de porter haut les couleurs qui sont les siennes sans pour
autant rejeter le discours avec les extrêmes.
J'rappe comme un Desert Eagle, mais qui va s'faire allumer?
Politique forte et directe, Kaaris s’en prend à la source de ses détracteurs.
MC t'as la bêtise d'ouvrir ta gueule, aies au moins l'intelligence d'assumer
Fervent défenseur de l’intégrité, l’habile orateur fait là aussi un geste vers la majorité.
(Refrain)
(Couplet 2)La vie de John Gali, en True
Religion dans la Bugatti
Se sentant comme « Dans la peau d’un
bonhomme », Kaaris n’aime que les esprits
de qualité.
J'insulte ta daronne comme Materazzi, j'suis
plus talentueux que Salvador Dali
Le gardien de Sevran sait faire ce qui est
« Un vrai trône du ghetto, c’est une vitre de merco !! »
nécessaire pour donner à son parti les meilleurs chances de l’emporter. En témoigne
sa grande faculté à raisonner dans l’abstrait.
J'suis venu vendre ma gue-dro, j'cogne si fort que j'en fais d'la confiture
Encore et toujours, il est question de venir parler politique, un point c’est tout. Des
idées dont le sérieux et la solidité sont à toute épreuve.
Le rap en perd son que-fro, Tyson en perd sa ceinture
Il n’hésite pas à faire part de ses ambitions de conquête dans un milieu qu’il
maîtrise.
Dis à ta bitch négro, qu'elle se pose dans le VIP à l'aise
Kaaris dans sa grande sagesse sait qu’il faut parfois demander à une tierce
personne de tenir un rôle d’arbitre
Son boule est tellement gros que sa shneck avale la chaise
Métaphore subtile de l’importance que l’on doit ,selon lui, accorder à cette intermède.
J'sors des entrailles d'une louve, mon art va se bicrave au Louvre
Léger étalage culturel de Kaaris qui narcissiquement se compare à une icône
mythologique de la construction du politique : Romulus.
Même les portes les plus blindées s'ouvrent, nul ne résiste à mon groove
L’adversité ne fait pas peur au colosse à la barbe brousailleuse qui sait son talent
apte à tous les types de duels.
2.2.2.7.Z.E.R., brave, la bouche c'est comme le trou, ça se lave
A Sevran, le dicton veut qu’avant tout l’honnêteté doit régner si l’on doit prendre des
responsabilités.
J'descends d'un négrier d'esclave, j'ferai pas de feat avec tous ces travs'
En pesant d’un côté les principes qui l’ont vu grandir et d’un autre côté ceux que
défendent ceux qui veulent se rallier à lui, Kaaris sait rester juste.
Le soleil s'lève pas sur la cave, armes, bitchs, y'à de quoi bédave
Quand il travaille, il n’est pas question de déranger le lyriciste si ce n’est pas d’une
extrême importance.
Bien sur le fournisseur est slave, j'viens de Sevran et les vrais le savent
Certainement une référence à un penseur dont il tire quelques-unes de ses
principales idées.
(Refrain)
(Couplet 3)Les bouteilles viennent vers nous et les balles vont vers vous
Cette fois-ci encore Kaaris fait l’éloge des individus qui pensent comme lui, tout en
s’en prenant aux autres. C’est certes un peu exagéré, mais la politique est un jeu
cruel pour les plumes qui ne savent pas défendre leur position.
Tous mes kheys au rendez-vous, si tu veux faire le con, faire le fou
Elle est comme lui cette équipe : forte et déterminée.
J'ai dit les bouteilles viennent vers nous, et les balles vont vers vous
Répétition.
Tous mes kheys au rendez-vous, si tu veux faire le con, faire le fou
Répétition. (L’Art au service du message bien évidemment)
J'vais les aligner comme des cibles, j'vais les allumer je les crible
Une image un tant soit peu violente pour témoigner de son zèle dans la lutte
menée…
Je les évite et je les dribble, mais elle la mange j'crois qu'elle est comestible
…habilement rattrapée par une métaphore sportive annonçant à quel point certains
sont prêts à tout pour qu’il les accepte.
J'passe les rapports avec le plat du pied, c'est du Cîroc non c'est pas du thé
La musique engagée requiert parfois de montrer une certaine aisance, une richesse
d’esprit qui doit prendre « de la bouteille » (au passage nous noterons la référence à
cette inspiration slave décidemment très prégnante)
Le 9.3 ne sait pas sucer, et l'ours noir est mal léché
Sa banlieue ne s’abaisse pas à la moindre infamie ministérielle, et la grande famille
de Sevran, tout comme son poète, sait se montrer capable de défendre ses intérêts
(métaphore filée avec l’animal pileux du couplet 1).
(Refrain x2)
« Et la tte-choue est mal plumée ! T’en pense quoi poto, c’est lourd ou quoi ? J’suis
un peu une machine, tu vois? »
Bref, Kaaris est un de ces esprits modernes comme il en faudrait plus.
Dédaigné par une société qui ne parvient pas à analyser l’immense profondeur de
ses textes, il n’est pas encore reconnu à sa juste valeur. La virtuosité de sa prose est
une perle noire perdue dans l’éclatante étendue de médiocrité qui envahit les ondes
de nos ghettos blasters. La prochaine fois, nous étudierons donc un des auteurs
sacrés du Game, mais d’ici là nous vous souhaitons d’agréables séances d’écoute.
Et rappelez-vous, le bruit est une douce mélodie dans le cœur des abrutis.
Flash(back) News :
Tout l’été, on vous a bassiné avec le phénomène viral de l’ALS Ice Bucket
Challenge. Toutes les plus grandes (et moins grandes) célébrités se sont prêtées à
une douche froide afin de récolter des fonds pour qu’une association puisse lutter
contre la maladie de Charcot. Cependant, ce n’est pas aussi original que vous auriez
pu le penser.
Pour vous chers lecteurs, l’équipe de votre canard préféré a enquêté sur
l’histoire de cette pratique (n’oubliez jamais que ce n’est pas la pratique en ellemême qui est intéressante mais l’histoire de celle-ci). Voici deux grandes versions
primitives de ce qui a inondé vos pages d’accueil Youtube tout l’été.
Les prémices : N’en déplaise aux
Américains, mais la pratique a fait ses
lettres de noblesse entre la Vieille Dame
et le Nouveau Monde, à l’initiative d’un
commandant de bord boute-en-train.
En Afrique du Nord durant le conflit
algérien, les Français s’inspirent du vieil héritage historique de la noyade artificielle et
innovent dans cette ligne. Enfin, les Américains, toujours à l‘affut de la bonne idée,
ont su populariser cet amusant rafraichissement en le faisant découvrir à leurs invités
en terres tropicales.
Avec la participation de Raphaël
Marteau (asko’parrainage) et Juliette Auclair
(Asko’web). Merci à eux !