Remarques sur une description du duel judiciaire

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Remarques sur une description du duel judiciaire
1
Remarques sur une description du duel judiciaire
dans
la Br. VI du Roman
de Renart
FUKUMOTO Naoyuki
Nous savons bien que, comme procede judiciaire au moyen age, l'ordalie et le duel etaient
communement admis chez les peuples chretiens d'Europe. Le duel ou le combat judiciaire ,
appele aussi le gage de bataille ou la monomachie, etait d'apres GUIZOT«les seules garanties
auxquelles on ait confiance, et qu'on les institue, qu'on les regle avec soin, parce qu'on y a plus
souvent recours...»' La justice du moyen age ayant souvent recours a ce procede, on pourrait
presque dire qu'au moyen age dans une certaine mesure le jugement n'etait rien d'autre que le
duel.' Par consequent on rencontre le duel judiciaire dans nos ceuvres litteraires ou it y a une
scene de jugement; personne n'hesitait a l'accepter volontiers, meme les femmes et les
ecclesiastiques.3
Il y a déjà longtemps que les historiens ou les litteraires ont aborde sous divers aspects
cette coutume comme sujet de leurs etudes; les exemples abondent dans les «Recueils» de la
Societe Jean BODIN.4
Dans les branches du Roman de Renart le sujet est adopte par les auteurs des branches VI,
XIII et XVII de l'edition MARTIN.Certains de nos collegues y ont déjà apporte a juste titre
beaucoup d'attentions.5 Par exemple, MmeNIEBOER,a la fin de son excellent article,6 propose la
necessite d'une analyse plus detaillee et l'etude comparative des resultats obtenus dans les
branches avec d'autres tels qu'ils figurent dans d'autres domaines litteraires. Fort de cette
proposition, nous voudrions rapporter dans cet article une petite observation comparative des
descriptions du combat dans la Br. VI du Roman de Renart avec celle qui est rapportee dans
certaines chroniques du quinzieme siècle. Et si possible, nous voudrions aussi ajouter quelques
commentaires sur Faeces du texte afin d'eclaircir les caracteristiques de cette branche.
Commengons par la comparaison des deux textes dont la datation differe de deux cent
cinquante ans; la Br. VI de Renart date de 1190,' et l'autre est un rapport d'un incident qui s'est
passé en 1455. Cet incident, c'est le duel judiciaire qui a eu lieu entre deux roturiers, l'un
Mahiot Cocquiel, accuse d'assassinat et l'autre Jacotin Plouvier, parent de la victime, le 20 mai
1455 a Valenciennes (Nord), qui en ce moment-la faisait partie du duche de Bourgogne. Cette
affaire a tant attire l'attention des chroniqueurs de l'epoque tels que Georges CHASTELLAIN,
Mathieu d'EscoucHY, Olivier de LA MARCHE,mais c'est surtout la citation par J. HUIZINGA
qui
nous l'a rendue familiere.8
2
Examinons de pres: pour le stade preparatif d'avant le combat, it n'est rien d'etonnant de
trouver une mention analogue dans les deux textes. Car 1' auteur de la Br. VI elabore avec tant
de precisions l'actualite, en se conformant aux usages de son temps ou le combat judiciaire se
trouvait a son apogee.' La vraisemblance d'une description du duel dans la Br. VI est telle que
L. FOULETI'approuve: «C'est aussi que, dans ce duel d'un goupil et d'un loup, on observe
religieusement toutes les formalites que prescrivait, pour un combat singulier, la justice
medievale. Il y a a s'instruire dans tout cela, et un historien verrait peut-etre dans tout le
developpement un document point meprisable.»'0 Par contre les annalistes du quinzieme siècle
laissent une description fidele des scenes deroulees devant leurs yeux, ou l'on avait fait le grand
effort de copier minutieusement les coutumes et ceremonies du temps jadis.
Voici ce qu'on doit faire avant de se battre:
I
Avant
le combat
gage (vv. 1043-46)
Por combatre son gage tent
Ysengrin, et li rois le prent;
Renart apres le son tendi,
Si que li rois bien I'entendi.
... et jettant son gage (Jacotin) promist de le
(=Mahienot) monstrer et faire bon de son corps. Sy
fut leve le gage et les deux personnes furent mises
en arrest et en main de justice pour en decider au
droit de chascun. (G) p. 42
... (J) jetta ung petit de gaige devant ledit Mahiot,
disant... que sur ceste querelle le combatteroit.
Ausquelles parolles ledit Mahiot rendit response, ...
se receut et leva ledit gaige. (M) p. 299-300
habillementlarmement(vv. 111
Cote a guise et armeure,
Escu et bone afeutreure,
Chauces et jambieres bien fetes
Qu'il a entor ses jambes traites.
cautele
Bien fu armez au jor du plet.
Renart qui a maint escharniz
Ne refu mie decgarniz;
Assez avoit de bons amis
Qui de lui se sont entremis.
Escu bien fet a sa maniere
Et conmande que l'en li quiere;
.I. en ont quis qui fu toz jaunes.
En sa cote n' of pas AII. aunes;
N'ot
chauce
ne fust gambaisie.
Qui mout estoit bone en plevine
En li fu mout bien emploiez;
De corroies fu bien liez,
De chief en autre bien en tret;
Issi armez a la cort vet.
et agu devant,
(G) p. 38
... et par ladicte sentence fut ordonne:
que chascun
d'eulx averoit les cheveux couaoez tous ius, vestus
coustez, et depuis lesdis coustez le remanant estre
tout nud; et iceux palletos venans par dessoubz
jusques ung petit plus bas que ne seroit ung
pourpoint et une chausse, qui yroient jusques ung
petit dessoubz le genouil, et le residu, aveuc les piez,
demourroit nud; et ayant chascun en leur poing ung
baston de mellier, de la longueur d'une aulne, ou
ung you moins, bien nouteilleux, et en l'autre poing
avernient chascun ung escu de bois. lesdis bastons et
longueur, sauf qu'ilz pooient faire chascun sur son
escu telle painture de saints ou sainctes que bon leur
sambleroit. (M) p. 300-01
3
texte de la Br. VI"
Renart ne fu pas esperduz;
Haut fu reoinniez
et tonduz,
Et col et barbe se fist rere
Por le despit de son compere.
Ysengrin l'ot en grant despit,
Et sa force prisa petit,
Ainz n'i daingna oster chevol.
3) serment (vv. 1316-67)
Li rois apele .I. chapelain,
Mon seignor Belin le mouton,
Que sages est, point n'en douton.
Cil aporte
le saintuaire
Sor quoi durent
serement
faire.
Mout fu li rois de grant justice,
Du serement fait la devise.
Dant Brichemer et Brun li ors,
Que I'en tenoit as .II. meillors,
Deviserent le serement
Oiant trestoz apertement.
«Seignors, fait il, or entendez;
Se je di mal, si m'amendez.
Renart jurra premierement
Et metra en son serement
Qu'a Ysengrin n'en a tort fait,
textes
Les champions estoient semblables d'abillemens: ilz
avoient les testes raises, les piedz nuz, et les ongles
coppez des mains et des piedz; et au regard du
corps, des jambes et des bras, ilz estoient vestuz de
cuyr bouilly, cousu estroictement sur leurs
personnes, et avoient chascun une bannerolle ... Et
tantost leur fut apporte a chascun ung escu peint
vermeil, a une croix de Sainct George; ... Item, leur
furent bailiez deux bastons de mesplier, d'ung poix
et d'une grandeur; ... (0) p. 404-05
Droit-la assis donques, fut apporte un missel et,
icelui ouvert a l'endroit de l'evangile, le vint-on
presenter a Jacotin pour jurer dessus, et Jacotin jura
avoir bonne
et le baisa.
Baise la terre, si se dresce;
querelle,
Donc,
tenant
la main
ce fait, on touma
sur l'evangile,
vers Mahienot
qui pareillement jura et dist que l'autre estoit un
faux mauvais menteur, et cela lui feroit congnoistre,
et baisant le livre devint mort comme cendre et
changea de couleur. (G) p. 46
et tantost
entrarent
ce lx de 1a lnv commis
qui portoient
qui
portoient ung
ung grant
grant missel;
missel; et
et
!'ung contre l'aultre, assavoir
avoit tue son homme de beau
Plouvier jura le contraire. (0)
Mahienot,
«Renart, faites le sairement,
Ci oiant nos apertement.»
Renart s'agenoille en la place,
Mout s'apareille et se rebrace,
Desus les sains estent sa main,
Si a jure par saint Germain
Et par les sains que illuec voit
Que de cel plet nul tort n' avoit;
Les sains besa et puis se lieve.
A Ysengrin durement grieve
Que it fet acroire por voir
La menconge sor le savoir;
A tant se rest a genouz mis.
Dist Brichemer: «Biau doz amis,
Vos jurez que Renart est faux
Du serement et vos loiaux.»
Dist Ysengrin: «Je le creant.»
Les sains bese, si lieve a tant;
Puis s'est levez et si s'en vait
des chroniques
terre,
(G) p. 45
lequel
d'entree
a ce ,
nt le serement
que
not jura qu'i!
faict,
et
J
faict.
acotin
p. 404-5
se mist a
enoux
en
4
D'apres
des «otages»
le Grand
comme
vv. 1051-66:
Coutumier
Renart
normand
et Ysengrin
on presente
non seulement
des «gages»
mais
aussi
le font dans la Br. VI:
Li rois demande ses ostages,
Qui mout estoit cortois et sages,
A nul d'els nes a pardonnez.
Ysengrin a les suens livrez:
Por lui a fet Brun l' ors entrer,
Tybert ii chaz et Chantecler
Et le lievre sire Coart;
Ceus ot Ysengrin a sa part.
Renart en ot des miex senez
Que ii ot a sa part tornez:
Bruiant et Baucent le sengler
Qu'il ot fait a soi assembler;
Et Espinart le herigon,
Grimbert son eosin le tesson,
Cil firent a Renart secors,
Mout en pesa a Brun li ors.
Les armes du duel etaient des armes fort primitives; c' etaient le baton et le bouclier des
l'origine de ce procede judiciaire, pour les nobles ainsi que pour les roturiers. Quant a
l'habillement des champions, Ysengrin s'est procure une cotte et une garniture de feutre, des
chausses rembourrees, et un jambart bien fait; la veture de Renart est presque pareille. On pree
beaucoup d'attention aux jambes: «Le bouclier, ainsi que l'armure destinee a proteger les
jambes, ne pouvaient etre faits qu'avec du bois, du cuir, du drap, de la laine et des etoupes.»'2
L'habit des champions de Valenciennes est un cas un peu special; ils ont ete tout a fait
enveloppes en cuir, du menton jusqu'a la cheville, comme une poupee d'animal en peluche. Et
les champions devaient etre tete nue, tonsures jusqu'aux oreilles, pieds nus et ongles coupes.
Aussi dans la Br. VI, on voit qu'il va en couter cher a Ysengrin qui a neglige ces regles:
vv. 1147-54:
Ysengrin
l' of en grant despit,
Et sa force prisa petit,
Ainz n'i daingna
Ja fussent
oster chevol.
ensemble
son voil,
Mes ainz que it le tiengne
Sera plus malades
Mout desirre
as mains,
que sains;
qu'a poins le tiengne,
Ja ne cuide qu'a tens i viengne.
Et maintenant ils font l'entree en lice, mais toujours suivant les coutumes et les traditions;
chacun porte une banderole pleine d'images ou de devotions en signe de bon chretien, ainsi que
chez les combattants de Valenciennes. L'esplanade est recouverte de sable, voire de fumier, ou
ils s'agenouillent, baisent la terre. Les adversaires se tenaient par les mains, comme dans la Br
VI, l'accusateur a droite et le defenseur a gauche:
5
vv.
Si les ont mis el champ
1313-15:
ensemble;
Li plus hardiz de peor tremble,
L'un tenoit l'autre
par la main.
Its avaient a repondre, dans la meme position, en disant leur nom de bapteme, en affirmant
par serment qu'ils possedaient la foi chretienne, et qu'ils n'etaient pas charges d'objets
magiques ou sorciers. Its juraient chacun a son tour la main sur une relique qu'ils n'avaient pas
tort dans le litige et baisaient la relique.
Et la bataille commence:
II
Le combat:
textes
des chroniques
combat avec des batons (vv. 1425-38)
A cest mot Ysengrin acort,
Renart n'a talent qu'il s' en tort,
(Mahienot) sy s'avanca a grant pas vers son homme
bien fierement et ainsi qu'il estoit souple de corps et
petit, bouta son escu de la pointe en terre et levant le
Met pie avant, sovent s'esgront.
Mout le va Ysengrin hastant,
Renart se va bien desfendant;
Ainz qu'Isengrin
part de l'asaut,
Jacotin
Le fiert Renart
que pas ne faut;
et aveuques
ce marcha
dedens
luy et lui
dehors du haut jusques en terre et que de l'un et de
l'autre ne faillit gueres qu'il ne perdist vue, ... (G)
p. 47
Et apprez que on eut ordonne que chascun d'eulx
De sa main
se prist a seignier;
Mahiot
se deffendoit
et blechia
ledit Jacotin
(M) p. 304
combat corps a corps (vv. 1513-83)
Ysengrin nel doutoit ancois.
Renart l'estraint, pas ne se faint,
Jambet li fet, de lui l'empaint;
playe et sang. (0) p. 406
Les denz li brisa en la bouche,
En la chierre li crache et moche,
Es eulz li boute le baston
Sy (Mahienot) commenca a chanceler comme si les
jambes lui faillissent et le courrage aussi, ... se
laissa cheoir a terre d'un coste et son baston de
Et poile as ongles le grenon,
Traire li a fait male fin;
Sy prist Mahienot
Le poil et le cuir en esrache;
Bien le voudroit
avoir
l'un des dois de
Jacotin ne veoit maniere de le ravoir, ... Sy (Jacotin)
alla bouter son pousse de l'autre main en ses yeux et
X commenca a fouiller dedens jusqu'au parfont
tellement qu' it lui tirat les yeux hors jusques a
pendre sur les joues. Lors abandonna-il le doy
conquis,
Jacotin
prist les deux bras de Mahienot
et les tourna
6
textes
des chroniques
Ysengrin tient por non sachant
Andeus li va les eulz cerchant;
Mes par sa grant mesaventure
Li avint tel male aventure:
Ses doiz en la bouche dedenz
a devant darriere, ... jusques a tout les derrompre, et
saillant et hondissant des genoux sur le dos. lui
En tele guise le destraint
Que voille ou non le fet descendre
Et desoz lui le fet estendre.
Ore est Renart en mal trepail,
S' it a peor ne me merveil.
cuidoit
ainsy
greyer.
attaint
Mais quant
dudit sablon,
ledit Jacotin
it marcha
se sentit
auprez
dudit
oti it lui fit grant
ongles lui creva les
et l'estrangla de ses mains, et puis le jetta hors
desdictes lices. (M) p.304-5
Mais ledit Jacotin,
qui estoit homme
fort et puissant
poursuivit
tellement
et si aigrement
sa bataille
ledit Mahuot fut abatu a bouchon,
et Jacotin
que
adversaire, et puis luy donna ung grant cop de son
baston, dont it l'assomma, et le mist hors de la lice;
(0) p.406
C'est surtout la ressemblance des scenes de bataille entre les deux textes qui est
surprenante; comment la fiction precedente peut-elle etre si analogue qu'on voit les memes
scenes dans une histoire posterieure de deux cent cinquante ans? Apres un court combat avec
des batons, voici maintenant le combat corps a corps; on se jette du sable ou de 1a poudre afin
d' aveugler son adversaire; par une lutte a bras le corps, on renverse 1'autre par terre pour avoir
le dessus, et attaque les yeux avec le baton ou les doigts et ongles; l'un met le doigt dans la
bouche de l'autre et l'autre tranche le doigt avec les dents; pour rompre les bras ou l' echine,
crever le cceur, etrangier, le pugilat continue sans cesse. Et finalement, dans tous les deux
combats, le vaincu crie merci malgre la fanfaronnade d'avant le combat.
HI
Apres
le combat:
texte de la Br. VI
1) pendaison (vv. 1617-23)
Li parent
Renart
ont grant honte;
Noble n'en velt oir le conte,
Ainz conmande
que l'en le pende.
Tybert li chaz les eulz li bende
Et Roonel les poins li lie;
Bien ont Renart en for baillie,
De pasmoisons
est revenuz;
textes
... et, en ce faisant,
des chroniques
mourut
ledit Mahuot,
et fut
condamne a estre mene au gibet et pendu; (0) p.406
7
texte de la Br. VI
2) confession
Renart,
textes
(vv. 1629-43)
Et combien
por sa vie tenser,
pluseurs
des chroniques
que ledit Mahiot,
fois avoir
confession.
en ce martire,
neantmoins
cria
n'en
peut
onques finer. (M) p.305
Prie que l'en le lest aler,
Qar a regehir li covient
Les pechiez dont it li sovient.
Lors li firent venir Belin
Par la priere son cosin,
Le tesson, mon seignor Grimbert;
De grant duel a le cuer covert.
Renart se fist a lui confes,
Et cil l'en a chargie son fes
Selonc les pechiez qu'il a fes,
Dont it a envers Dieu mesfez.
Si con it confessoit
Renart,
A tant es vos sire Bernart
Qui de Grant Mont fu repairiez.
Le vaincu, it va de soi qu'il est le coupable et it est destine a etre pendu comme resultat
legitime du jugement. Malgre la mention de Mathieu d'EscoucHY qui ne donne pas au vaincu
l'occasion de se confesser, it semble que, dans les deux duels on ait eu la magnanimite
d'appeler le confesseur pour le condamne; Renart fait sa confession a Belin:
vv. 1633--40:
Lors li firent venir Belin
Par la pfiere
Le tesson,
son cosin,
mon seignor
Grimbert;
De grant duel a le cuer covert.
Renart
se fist a lui confes,
Et cil l' en a chargie
Selonc
les pechiez
Dont it a envers
son fes
qu' it a fes,
Dieu mesfez.
et juste au moment de la pendaison voila frere Bernart de Grant Mont qui vient et sauve la vie
de Renart:
vv.
1641ss:
Si con it confessoit Renart,
A tant es vos sire Bernart
Qui de Grant Mont fu repairiez.
Renart trove qui fu liez;
Mout se demente, forment plore,
Ysengrin maudit et deveure;
Enquis ii a et demande
Que li rois en a conmande:
Dans le cas de Valenciennes le vaincu se confesse a un pere carme, et dans ce cas-lä c'est
Philippe le Bon qui vient jouer le role de frere Bernart, mais sa demande sera refusee par le
magistrat de la ville de Valenciennes. Celui-ci est histoirque, celui-la est romanesque.
8
Ces deux combats a outrance sont aussi adequats pour le contenu que pour le degre de
barbarie. D'oui vient cette similitude? L'episode raconte dans la Br. VI, qui serait influence
jusqu' a un certain point par Chretien de TROYES,13
ne serait bien probablement qu'une copie de
modeles reels du douzieme siècle. Et la description en est beaucoup plus realiste que celle des
scenes jouees trop chavaleresquement et idealement par Lancelot et Meleagant. Le realisme des
scenes attire aussi l'attention de J. FLINN,qui dit: «Dans ce passage de la branche VI, on a
l'impression que le trouvere, racontant un combat judiciaire dont une femme legere avait ete la
cause et qui devait etre mortel pour un des combattants, a exprime des sentiments sinceres,
inspires peut-etre par de tres reels combats de cette sorte.»14
Pour les gens du douzieme siècle, tout ce qui est raconte dans la Br. VI n'aurait pas ete si
cruel et desagreable que les posterieurs le croyaient. Au douzieme siècle, on sait bien qu' it
existait deja beaucoup d'opposants a l'ordalie, mais le duel judiciaire etait justifie dans une
mentalite populaire par la croyance au secours divin pour les justes ou les innocents. Rappelons
que la datation de la Br. VI est presumee en 1190, anterieure de plus de vingt ans au Concile de
Paris (1212-13) et de Latran (1215),15ou la participation du clerge au duel judiciaire sera
interdite, et pour l'ordonnance de Saint Louis (1260)16it nous faut attendre encore soixante-dix
ans jusqu'au milieu du siècle suivant. Au moins on pourrait dire que le combat a outrance de ce
style n'etait pas desagleable ni cruel ni honteux pour les lecteurs de la Br. VI, mais etait naturel
et normal pour eux.
Le cas de Valenciennes n'est pas du tout pareil; la caracteristique de ce combat consiste en
l' archaisme et la cruaute." Cela voulait dire que ce spectacle s' est deroule d' une facon tout a
fait contraire a ce qu'on attendait a cette époque. Un des chroniqueurs qui mentionnent cette
affaire, Mathieu d'EscoucHY, exprime son impression avec le mot «abominable».'8 Mais ou
faut-il chercher la cause de cette cruaute? Il ne serait pas difficile d'en deduire qu'elle vient de
la reproduction artificielle de la realite du douzieme siècle par les magistrats de la ville de
Valenciennes, qui se donnaient de la peine pour proteger leur «franchise», leur prerogative, vu
d'un mauvais ccil par les seigneurs de cette époque. Le dernier duel que les Valenciennois ont
connu date du 1384, presque soixante-dix ans auparavant de cet incident de 1455.'9 Ne faut-il
pas croire que ce qui rend fameux ce combat ne repose pas sur les costumes etranges de cuir
des combattants, mais sur la rarete du duel lui-meme et sa cruaute?
Il nous reste encore a raisonner sur la conduite des deux roturiers a Valenciennes; pourquoi
ont-ils agi tout a fait pareil que les deux protagonistes du roman du douzieme siècle, Renart et
Ysengrin? Cet accord curieux nous semble tres naturel et s'explique assez facilement; car, sauf
les cas ou l'expert en arts martiaux se mesure avec un autre specialiste, ou bien avec un profane
completement ignorant de ces arts, le style du combat parmi des amateurs, qui deploient leur
instinct de combativite primitive et momentanee, est limite a une forme analogue a travers le
temps et l'espace. En definitive, les techniques qui leur restent applicables ne sont pas tres
nombreuses ni experimentees; la principale est le pugilat qui se transforme tout de suite en lutte
a bras le corps, accompagne de l'attaque aux yeux, de l' etranglement, du brisement des
membres ou de l'echine. En empruntant l'expression de notre collegue M. SUBRENAT,
on dirait
a juste titre que «les dents et les griffes sont plus efficaces que le baton et le bouclier.»20
Ce style de combat deplait aux bourgeois de Valenciennes, qui souhaitaient voir une
bataille tout a fait differente. La fin du rapport du duel en 1455 par Olivier de LA MARCHEest
9
conclue comme voici: « ...et tenoit on la bataille faicte entre Jacotin Plouvier et Mahuot plus
honte que honneur, a cause du murdre perpetre en la presance du prince.»21 Pour savoir ce
qu'ils esperaient, it faut tenir compte du changement qualitatif du duel. Au cours des
quatorzieme et quinzieme siècle, on remarque une evolution qui se produit dans la conception
meme du duel. De preuve judiciaire le duel tend a devenir un combat d' honneur entre
gentilhommes; a savoir, du procede judiciaire permis a tous les gens de classes sociales, mais
odieux et grotesque a voir, it est devenu une demonstration spectaculaire par les experts des
arts martiaux. Le prestige de la force ou l'habilete aux armes expliquent la persistance du duel
dans certains milieux ou chez certains peuples.22En effet, a partir du quatorzieme siècle le duel
n'est plus autorise que devant certaines hautes juridictions, celles de l'empereur ou des princes.
«Au XVe siècle le duel persiste dans vingt villes relevant de la juridiction des eveques de
Constance, Augsbourg, Spire, Wurtzbourg.»23 Et les Valenciennois poussent des cris de joie,
trois ans apres le duel de 1455 pour enlever 1'arriere-gout de cet incident amer, en voyant cette
fois-ci le duel impeccable par deux chevaliers «envoyes par Dieu». D'apres Olivier de LA
MARCHE,ces chevaliers «... armes comme it appertenoit pour combatre a pied, et devoient
iceuls jecter ung gect de lance, et puis combatre de haches, jusques a vingt cinq coups. Les
deux nobles hommes se comparurent parez de leurs cottes d' armes, et se combatirent
chevaleureusement, sans faire grant foulle l'ung sur l'aultre, et ainsi se partirent icelles armes;
et disoit on que Dieu avoit envoye ces deux nobles hommes pour faire honneur a Valenciennes,
...»24
Relisons encore une fois notre texte concernant le duel judiciaire, et tournons et retournons
attentivement pour y deceler les caracteristiques de la Br. VI. La Br. VI contient 1840 vers dans
notre edition et elle debute par un prologue trop long qui depasse 1000 vers et qui n'est qu'un
résumé des episodes dans les branches anterieures. C'est donc dans un tiers du texte qui suit
que l'auteur fait derouler le theme du duel judiciaire; la une fois de plus, la nouvelle accusation
contre Renart et les plaintes des autres animaux se ramenent a la dispute sans issue entre Renart
et Ysengrin. C'est Renart qui propose le premier la solution par le duel judiciaire:
vv. 749-52
Et pres sui de mostrer sans faille
Ou par juIse ou par bataille,
Einssi con l'en esgardera
Et que la cort le jugera.»
Et un peu plus loin Ysengrin l'accepte pour sa part:
vv. 1038-41
— Hai! Renart, trop ai soufert
Ton grant anui et ton desroi;
Mes se j' en ai congie du roi,
Ja avras la bataille a l' ueil.»
Ensuite commence la description sur le combat de ces deux protagonistes et
c'est
justement le theme principal que l'auteur a choisi pour sa branche.
L'auteur
de la Br.
VI est
possesseur
d'une
parfaite
connaissance
sur la procedure
du duel
10
judiciaire. I1 a du succes a decrire le duel en detail faisant partie du proces de cette époque. On
sait bien que le duel n'est qu'un biais du jugement et n'est jamais le but lui-meme. Le but du
jugement au moyen age n'etant pas toujours la poursuite de la verite ni de la justice, sa seule et
meilleure solution etait la reconciliation ou le compromis par 1'arbitrage. Et le duel judiciaire
etait jugement un des moyens les plus usites pour ce but. Dans les cinq cents vers oii it traite le
duel judiciaire, le combat propre n'apparait que dans la moitie, le reste est consacre aux
incidents d'avant et d'apres la bataille. C'est surtout cette partie qui nous renseigne sur ce
qu' etait le duel, ce qui en etait l'essentiel. Originellement le duel judiciaire n' etait pas a
accomplir, mais it etait a abandonner a michemin par la conciliation; la paix etait toujours la
solution la plus souhaitee.25
Tout etait fait pour realiser ce but. Pour affaisser le courage des champions, on mettait
dans l'esplanade une biere ouverte prete a recevoir le cadavre du vaincu et le gibet dresse pour
lui; meme le bourreau y etait déjà present.26 On adoptait aussi, comme nous l'avons vu, des
preparatifs plus concrets pour diminuer le rendement du combat lui-meme: le graissage qu'on
voit au cas de Valenciennes est une prevention non seulement pour ne pas etre attrape par le
vetement, mais aussi pour affaiblir 1'efficacite et la force des coups; cette procedure est surtout
utile quand on est habille en cuir. La distribution des epices serait aussi pour recouvrer la salive
et l'haleine, comme le dit Olivier de LA MARCHE,27
mais elle etait aussi efficace pour diminuer
l'envie de combattre et ralentir les muscles. Tonsures, ongles coupes sont aussi des preparatifs
pour eviter les pires scenes dont on craint la realisation. Mais le moyen le plus frequemment
utilise, ce sont des recommandations a la reconciliation qu'on repete dans chaque phase de
procedure du duel. Dans la Br. VI, les juges du roi commencent a pousser a un compromis
avant d'inviter les adversaires a «faires armes».
vv. 1225-30
Tuit .IIII. en sont venu au roi
Et si li ont dist en recoi:
«Sire, vostre baron loassent
Que cil champion s' acordassent;
Sauve t'onor et to querele,
Mout tenisson la pes a bele.»
Mais le refus d'Ysengrin, qui s'obstine a montrer sa justice par le duel, vexe le roi et enfin
ouvre les lices pour les deux. Meme apres le commencement du combat, cet effort se continue.
Dans le debat juste avant de se battre, Renart en tant que defenseur propose a Ysengrin une
reconciliation assez conciliante d'aller outre mer:
vv.
1407-12
Renart respont: «Sire, mal dites,
Otroiez que je soie quites.
Fere vos fere grant honmage
As chevaliers de mon parage;
Puis ire por vos outre mer,
Se me volez quite darner.
Mais
donner
Ysengrin
le refuse
un coup suffisant
de nouveau.
pour causer
Des
les premiers
une commotion
coups
cerebrale;
echanges
en profitant
Renart
de cette
a pu lui
occasion
11
Renart
recommence
vv. 1471-76
sa proposition
de reconciliation
a la fagon du «coup-le-roi»
28.
... «Sire Ysengrin,
Diex, qui sor toz est vrai devin,
Set bien quel droit a moi avez;
Baston vos faut, si nel veez,
Qar feson pes a mon seignor,
Angois q'aions honte greignor.»
Et Ysengrin la refuse obstinement.
Jusqu'ici it semble que le duel marche sous l'initiative de Renart qui a l'avantage sur
Ysengrin. Mais l'auteur ne manque pas de suggerer la destinee de Renart, en lui faisant jouer
deux graves derogations dont le sens aurait ete bien compris, nous semble-t-il, par les lecteurs
de son temps. Le duel judiciaire etait accompagne des 1'origine d'un rituel religieux, et l'Eglise
etait toujours mefiante et attentive a la penetration des malefices dans ce procede ou des secours
diaboliques des adversaires. En effet, Renart malgre ses serments, avait l' intention d'invoquer
l'appui de la magie et de recourir aux protections magiques dont it ignorait la formule:
vv. 1379-82
Renart sot letres en s'enfance,
Si ot of de nigromance,
Tant ot puis entendu aillors
C'oublIez ot des moz meillors.
Nous rencontrons dans le texte deux fois la «poudre» que Renart jette aux yeux de son
adversaire pour 1'aveugler:
v. 1534
De la poudre li gete es eulz.
v. 1560
De la poudre li jete el vis.
Mais la possession de la «poudre» est interdite ainsi que talisman, amulette et arme
cachee;29afin de vouloir souligner la diabolie ou la renardie, l'auteur aurait attribue ces fraudes
a Renart.
Soit demandeur, soit defenseur, a moins que les deux n' acquiescent pas a la reconciliation
proposee, le vaincu est destine a aller au gibet, vif ou mort. Voila la consequence legitime du
litige juge par le duel judiciaire representant le jugement et la solution inevitable du
contentieux tranche par ce procede. Dans la Br. VI, seule la peripetie (vv. 1629 ss.) ne
correspond pas a la realite juridique medievale; Renart aurait du etre pendu pareil au vaincu a
Valenciennes malgre la supplication du saint clerge ou du grand prince seculier.3°
Il nous reste encore une chose a remarquer;
VI. L'auteur
nous montre Hermeline,
femme de Renart, priant chastement
pour la victoire de son mari (vv. 1155-70):
vv. 1159-66
... tuit li .III. frere,
it s'agit de la misogynie outranciere dans la Br.
avec ses enfants
12
Fesoient grant duel por for pere,
Avec for mere en la tesniere
Por Renart font a Dieu prIere;
Chascun le proie et aoure
Que it le garisse et secore,
De son anemi l'escremisse,
Qu'en bataille ne le perisse.
Par contre la femme d'Ysengrin, Hersent, dont la mauvaise reputation de conduite est déjà
connue du monde dans les branches anterieures, se montre a l'extreme opposee d'une epouse
soucieuse de son mari; loin de la elle fait la priere pour que son man soit defait et mort en
faveur de son amant Renart:
vv.
Hersent prie por son seignor
1171-76
Que Diex li face tel hennor
Que ja de la bataille n'isse
Et que Renart vaincre le puisse,
Que mout souef li fist la chose
En la tesniere ou ert enclose;
Ysengrin,
qui veut se venger
de Renart
a cette occasion,
re coit des le debut
d u combat
un
coup de baton atroce:
vv. 1431-36
Ainz qu'Isengrin
Le fiert Renart
part l'asaut,
que pas ne faut;
Tel cop lez l' oreil le li donne,
Tote la teste li estonne
Si que a poi que it ne chiet;
A cel assaut
mal lie en chiet.
Et tout de suite Ysengrin se sent trahi par sa femme, pour laquelle it se peine:
vv. 1439-41
Dieu prie, qui ne faut ne ment,
Que it le gart d' afolement:
Par sa femme est, ce dit, trahiz.
Ici, la causalite
de la trahison
Renart,
de sa femme?
la misogynie
a Ysengrin
nous semble
de l'auteur
qui est avatar
vacillante;
Au moment
devient
de l'auteur,
pourquoi
ou Ysengrin
flagrante;
les phrases
c'est
est plaque
Mes entre ses denz se demente
Et dit: «Fox est qui met s'entente
En fame n' en riens qu' ele die;
Poi sont de fames sanz boidie,
Par fame est plus noise que pais,
etre une implication
par terre et tourmente
ici que l'auteur
les plus misogynes
Renart:
vv. 1535-45
un coup recu, peut-il
par
fait dire entre les dents
de toutes
les branches
de
13
Ja la moie ne crairai
mais.
Famefait hairpere et mere,
Fame fait tuer son compere,
Par fame sont honi maint home,
De toz les max est fame some,
Fox est qui trop i met s' entente.» 31
Ysengrin, une fois en mauvaise posture, rejette la responsabilite de sa defaite sur sa
femme, et mis enfin dans la pire situation, it exprime la mefiance envers sa femme et l' accuse
de sa mechancete. Mais, ici encore, la motivation de l'auteur nous paralt forcee et appretee et la
misogynie exageree estropie la logique et la suite de l'histoire dans la Br. VI. En fin de compte,
qu'est-ce qui est un facteur principal de la victoire dans ces duels judiciaires? Le moins qu'on
puisse dire, ce n'est rien d'autre que la superiorite physique, c'est-a-dire que la puissance et la
force vitale dans la lutte a bras le corps l'emportent sur tout: sur la justice, sur la volonte de
vengeance, sur l' art de l'escrime, sur la magie. Cette misogynie de l'auteur, qu'il fait exprimer
a Ysengrin, n'est-elle pas un autre element caracteristique de la Br. VI?
NOTES:
1.
2.
3.
4.
5.
Cours d'histoire moderne, t. IV, p. 333.
Meme au debut du dix-septieme siècle le duel judiciaire etait consider& comme un procede de la
justice: «Le Second suject pour lequel les Duels ont este permis a este pour tirer vne preuue par
les armes de quique chose qu'on ne pouuoit prouuer en iustice; quand vn Gentil homme accusoit
vn autre de trahison, ou de quelqu'autre crime de leze Majeste, ou qu'il en estoit accuse luy
mesme, sans que l'vn eust moyen de verifier son accusation, ny l'autre son innocence. Alors au
lieu de s'apeller I'vn l'autre comme nous faisons au mepris de l'auctorite Royalle, ils avoient
recours au souuerain. Luy demandoient le combat auec les armes qu'ils vouloient choisir.
Lequel leur estant accorde, ils estoient introduits au camp par leurs parrains entre quatre
barrieres, le Soleil leur estoit departi par les luges, le Roy mesme present, les parrains se
retiroient au lieu de se batre comme nos seconds, les Herautz crioient de par le Roy qu' aucun
n'eust a faire signe de la vois ny de la main, ny fauoriser par aucun geste ny mouvement aucun
des querellans a peine de la vie; Et apres auoir crie. Laissez aller les bons combattans. Its
s'esmouuoient l'vn contre l'autre au son de plusieurs trompettes, premierement a coups de
lance, puis d'espee, ou de masse selon l'eslection des armes qu'ils auoient faite, iusques a ce
que la mort de l'vn eust asseure la vie de l'autre. Mais la principalle gloire du victorieux estoit a
vaincre son ennemy sans le tuer, & luy faire confesser deuant tous, qu'il 1'auoit faucement &
laschement accuse de trahison, ou (sic) bien qu' it en estoit luy mesmes attaint; & en ce cas vn
buscher ardant expiroit aussi tost son crime. (...)» (Vital d'AuDIGuIER, Le vray et ancien vsage
des dvels confirme par l'exemple des plus illustres combats & deffys qui se soient faits en la
Chrestiente, Paris, Pierre Billaine, 1617, pp. 43-45.)
Par exemple, sur les «champions» (=gladiator) des femmes et des clercs, voir: G. COHEN,`Le
duel judiciaire chez Chretien de Troyes', Annales de l'Universite de Paris, 1933, p. 526.
Recueils de la Societe Jean BODINpour l'histoire comparative des institutions, XVII, «La
Preuve», deuxieme partie: moyen age et temps modernes, Editions de la librairie
encyclopedique, Bruxelles, 1965.
En particulier: E. NIEBOER,`Le combat judiciaire dans la branche VI du Roman de Renart', dans
BEFF, 2 (1978), pp. 59-67; J. SUBRENAT,
'Trois versions du jugement de Renart (Roman de
Renart, branches VIIb, I, VIII du manuscrit de Cange)', dans Melanges de langue et de
litterature francaises du Moyen age offerts a Pierre Jonin (Aix-en-Provence: CUERMA, 1979),
pp. 623-43. / `Renart et Ysengrin, Renart et Roonel: les deux duels judiciaires dans le Roman de
Renart', dans Etudes de langue et de litterature francaise offertes a Andre Lanly (Nancy, 1980),
14
6.
7.
8.
9.
10.
11.
12.
13.
14.
15.
16.
17.
18.
19.
pp. 371-84; R. BELLON,`La Justice dans le Roman de Renart: procedures judiciaires et procedes
narratifs', dans La Justice au moyen age, Senefiance 16 (Aix-en-Provence: CUERMA, 1986),
pp. 79-96.
Cf, op. cit., p. 67.
Voir par exemple, L. FOULET,Le Roman de Renard, Paris, 1968; p. 118.
Chronique de Georges Chastellain (1454-58), publie par Kervyn de LETTENHOVE,
Bruxelles, F.
Heussner, 1964. (=G)
Chronique de Mathieu d'Escouchy, t.II, par G. du FRESNEde BEAUCOURT,Paris, Jules
Renouard, 1863. (=M)
Memoires d'Olivier de La Marche, t.II, par H. BEAUNEet J. d'ARBAUMONT,Paris, Renouard,
1884. (=0)
Johan HUIzINGA,L'automne du Moyen age, traduit du hollandais par J. BASTIN,Payot, 1975, pp.
103-04.
Cf, par exemple, M. BOULET-SAUTEL,
`Apercus sur le systeme des preuves dans la France
coutumiere du moyen age', dans Recueil de la Societe Jean Bodin, XVII, pp. 275-303. En
particulier, p. 293: «... si les premieres annees du XIII' siecle coincident a peu pres avec la
disparition de l'ordalie, en revanche elles correspondent encore au plein epanouissement du duel
judiciaire, lequel semble, lors, une preuve couramment recue devant toutes les juridictions.»
Cf, op. cit., p. 360.
L'appelation de la branche est celle de l'ed. MARTIN,mais la citation des vers est faire d'apres
notre edition F-I-I-S.
Cf: Le Roman de Renart edite d'apres les manuscrits C et M, par F-H-S, t.1; p. 453-510 (26.
C'est la bataille de Renart et de Ysengrin; = Br. VI de l'ed. MARTIN= Br. VIII de l'ed. RoQUEs)
A. CANEL,`Le duel judiciaire en Normandie', dans Memoires de la societe des Antiquaires de
Normandie, XXII (1856), pp. 575-655 (pp. 583-84).
Voir le passage analogue dans Le chevalier de la charrete (v. 3536 ss), CFMA, 86. Cf, G.
COHEN,`Le duel judiciaire chez Chretien de Troyes' dans Annales de l'Universite de Paris,
1933, pp. 510-27: «Dans Lancelot ou le Chevalier a la Charrete, comme dans Yvain ou le
Chevalier au Lion, c' est-a-dire dans les deux grands romans de la maturite de Chretien de
Troyes, entre 1168 et 1172, le combat ou duel judiciaire est une des ressorts de l'action
principale ou de l'action episodique. Tous deux ayant ete ecrits et concus a la Cour de
Champagne (le sujet du premier lui a ete, de son aveu, impose par Marie), it est certain que le
modele a ete fourni par l'usage de la Cour de Champagne, que nous fait connaitre l'enquete de
1315 revelee par M"e Nicodeme dans la Revue Belge de Philologie et d'Histoire, t. IV, 1-25.»
(`Une enquete sur le Duel judiciaire en France au debut du quatorzieme siècle') (p. 513).
«Le Roman de Renart» dans la litterature francaise et dans les litteratures etrangeres au moyen
age, University of Tronto Press, 1963, p. 75.
Par exemple, J. GAUDEMET,
`Les ordalies au moyen age' dans Recueil de la Societe Jean Bodin,
t.XVII, pp. 99-135: «Aussi en 1212-1213, les legats pontificaux font-ils prohiber par le concile
de Paris duel et ordalies dans les eglises ou au cimetiere avec participation du clerge. Et
finalement le concile de Latran de 1215 interdit d'assortir d'aucune ceremonie religieuse les
ordalies par l'eau ou le fer. Le meme texte rappelle aux clercs que le duel leur a déjà ete defendu
par le c. 20 du troisieme concile de Latran.» (p. 127-28).
Par exemple, R. C. van CAENEGAM,`La preuve dans le droit du moyen age occidental', dans
Recueil de la Societe Jean Bodin, t. XVII, pp.700-25: «En France, le duel judiciaire, cher au
milieu feodal et usite dans les cours feodales, fut aboli dans le domaine direct par Louis IX et
remplace par l'enquete sur temoins. Mais en 1306, Philippe IV le Bel dut reintroduire le duel
sous la pression des nobles, qui detestaient l'enquete comme une atteinte a leur liberte.» (p.722).
Par exemple, C. GAIER remarque ces caracteres et note: «Un duel judiciaire entre deux
bourgeois de Valenciennes fit sensation, en 1455, par son archaisme et sa cruaute.»
("Techniques des combats singuliers d'apres les auteurs bourguignons du XVe siecle', dans Le
Moyen Age, XCI, 1985, p. 426 note 30).
«... et a la verite, c'est chose abominable de le recorder, et sambloit a pluseurs y estans , que
c'estoit [faire contre] nostre Foy;» (op. cit., pp. 304-05).
Quant a la disparition du duel judiciaire a Valenciennes aux quatorzieme et quinzieme siecles,
cf: M. BAUCHOND,
La justice criminelle du Magistrat de Valenciennes au moyen age, Paris,
1904, pp. 103-13 (voir surtout aux pp.109-11).
15
20.
21.
22.
23.
24.
25.
26.
27.
28.
29.
30.
31.
Cf, `Renart et Ysengrin, Renart et Roonel: les deux duels judiciaires dans le Roman de Renart',
dans Etudes de langue et de litterature franpaises offertes a Andre Lanly (Nancy, 1980), p. 381.
Cf, op. cit., p. 407.
A part la classe sociale des chevaliers qui restaient longtemps attachee au duel judiciaire, van
CAENEGEM
nomme les Lombards et les Normands comme les peuples qui tenaient fort au duel;
cf, op. cit., p. 720.
J. GAUDEMET,
op. cit., p. 132.
Cf, op. cit., p. 406-07.
Cf, par exemple, J. DECLAREUIL,
`A propos de quelques travaux recents sur le duel judiciaire',
dans Nouvelle revue historique de droit francais et etranger, XXXIII (1909), pp. 73-95 (voir
surtout pp. 90-91).
Ibid.
Cf, op. cit., p. 405.
Cf, par exemple, M. BOULET-SAUTEL,
op. cit., p. 296-97: «A tout le plus, peut-on signaler qu'a
cette époque, devant les tribunaux relevant des clercs surtout, s'intensifie singulierement une
pratique ancienne — puisqu'on en releve des exemples des le XP siecle — a savoir l'accord des
parties avant l' issue finale du combat generalement des les premiers coups echanges, des coups
qu' on appelle vulgairementles coups-le-roi, ictus regis.>>
Par exemple, C. GAIERnote: «D'apres Jean de Bueil, Le Jouvencel, op. cit., p. 109, les
champions d'un combat a outrance doivent jurer qu'ils ne portent pas de charroi (amulette), ni
d'armes cachees ni d'alesnes, pouldres ne choses mussees.»(op. cit., p. 444, note 99).
Cf, J. SUBRENAT,
`Renart et Ysengrin, Renart et Roonel ...', p. 380: «Dans la br. VI, Renart sera
pendu; dans la br. XIII, le roi hesite entre pendaison et noyade et se decide pour la derniere
solution. (...) En tout cas, l'invention est heureuse en ce qu'elle est une variante
dramatiquement interessanteet qu'elle permet a Grimbert une intervention originale.»
J. FLINNsurpris de ces phrases virulentes commente: «Cette attaque sauvage nous surprend, car
a vrai dire rien ne nous y avait prepares. Certes, nous avons pu constater l'infidelite d'Hersent,
mais on peut pretendre que notre Renart n'est pas l'homme a regretter vraiment les faveurs que
la louve lui avait accordees. Comme nous l'avons déjà vu, les attaques contre les femmes,
frequentes dans la litteraturemedievale, reviennent souvent dans le Roman de Renart.» (op. cit.,
p. 75).
16
Votre Excellence
Madame
l'Ambassadeur,
l'Ambassadrice,
Monsieur
le Ministre
Monsieur
le Conseiller
Conseiller,
Culture!,
Mes chers amis et collegues,
En ce jour le plus brillant de ma vie, en cette occasion la plus heureuse de ma
carriere, c'est un grand honneur sans pareil pour moi de pouvoir prononcer devant
vous quelques mots pour exprimer ma gratitude et ma reconnaissance.
On dit souvent que la lumiere vient de l'Orient; mais, je dois avouer que pour
moi la lumiere est toujours venue de 1'Occident, plus precisement de la douce
France. Durant mes cinquante huit ans d'existence, j'ai ete eclaire au moins trois fois
par cette lumiere; et, chose curieuse, chaque fois a quatorze ans d'intervalle,
quatorze, c'est un chiffre sacre de la tradition biblique.
A seize ans j'ai commence a apprendre le frangais sur 1'ordre de mon pere
germaniste, a l'Institut Franco-japonais du Kansa] a Kyoto. La, a l'Institut, j'ai fait la
connaissance de Monsieur Jean-Pierre HAUCHECORNE
qui etait aussi le professeur de
Monsieur NAKASONE,
ancien premier ministre du Japon.
C'est avec lui que j'aurais aime partager en premier cette joie, mais, helas! it
nous a quittes voila déjà trois ans.
Mais it me reste encore un autre professeur de l'Institut, a qui je dois les bases
elementaires de la langue francaise, it s'agit de Monsieur Andre BRUNET,ancien
Consul General de Kobe, actuellement professeur a l'Universite Ritsumeikan de
Kyoto.
Et c'est apres quatorze ans d' etudes de la langue et de la litterature francaises
que j'ai obtenu a la Sorbonne, en 1970, le doctorat de 1'Universite de Paris sous la
direction du regrette erudit, le professeur Robert-Leon WAGNERqui nous a amene
sur le chemin de Renart. Ce fut le premier rayon de cette lumiere.
N'oublions pas que c'est a Paris, a la Maison du Japon de la Cite Universitaire,
pendant les fameux evenements de mai 68, que s'est forme notre cercle des trois
renardiens anime par le professeur MATSUBARA
qui enseignait a ce moment-la a
l'Ecole des Langues Orientales Vivantes.
Apres
notre
retour
au Japon,
nous
autres
les
trois
renardiens
avons
continue
a
17
travailler pour la realisation de la nouvelle edition critique du Roman de Renart; it
nous a fallu encore plus de dix ans avant la publication du premier volume de
l' edition complete; et c'est apres quatorze ans de travail collectif en 1984, que
l'Academie des Inscriptions et Belles-Lettres nous a decerne le prix de La Grange.
Voila le deuxieme rayon.
Et ce soir, a cette belle soirée de l'annee de la France au Japon, encore quatorze
ans apres l'attribution du prix de La Grange, je suis de nouveau touché pour la
troisieme fois par cette lumiere, car je viens d'etre decore a mon tour des Palmes
Academiques apres notre collegue renardien HARANO.
Si le ciel me prete encore quatorze annees de vie, j'aurai soixante-treize ans en
2012; vais-je attendre encore le quatrieme rayon de cette lumiere? Je ne le pense pas,
mais en revanche je voudrais faire de mon mieux pour rendre ce que je dois
tellement a la France et aux Francais. Vous me donnerez un peu de temps et vous
verrez ce que le renardien fera par "son engin et s'art".
Votre Excellence l'Ambassadeur, j'aimerais lui dire combien je suis sensible a
l'honneur qu'il m'a fait en me remettant la medallic en personne. J'en remercie
Votre Excellence.
Mes chers amis et collegues, merci d' etre venus m'entourer ce soir. Trinquons
maintenant a la renardienne: "have! guersai!"
Merci beaucoup
a tous!