Le judaïsme et l`islam - Université de Fribourg

Transcription

Le judaïsme et l`islam - Université de Fribourg
DOSSIER
AIR DU TEMPS
Le judaïsme et l’islam
sont-ils, eux aussi,
compatibles avec la laïcité ?
L'AIR
DU TEMPS
VU PAR MICAËL
C’est dans des sociétés marquées par le christianisme que la séparation du spirituel
et du temporel est aujourd’hui la plus affirmée. Il ne faudrait pourtant pas en conclure
que cette notion est inconciliable avec les autres monothéismes. Explications.
O
ui, dès ses débuts, le christianisme était prédisposé à composer la laïcité. « Quand Jésus affronte
Hérode ou Pilate, il ne leur dit pas comment exercer le pouvoir », rappelle le théologien Pierre Gisel, professeur honoraire de l’Université de Lausanne. Le chemin
du christianisme vers la modernité a toutefois été long
« même si elle paraît y exister en germe ». Auteur d’études
comparées du judaïsme, du christianisme et de l’islam, le
chercheur affirme néanmoins « qu’actuellement la question du politique et du religieux se pose un peu partout ».
Pour le judaïsme, premier des trois monothéismes, elle a
été résolue depuis longtemps, comme l’explique François
Garaï, le rabbin de la communauté libérale de Genève.
Peuple en exil, les Juifs devaient composer avec les régimes dans lesquels ils vivaient. « Nous avons une loi qui
dit « la loi du pays est la loi ». Elle vaut pour tout ce qui ne
touche pas à l’individu et à sa liberté de pratiquer sa reli-
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gion. La laïcité ne pose donc pas de problème ». François
Garaï précise néanmoins que si « l’individu et le groupe
doivent garder leur identité, celle-ci ne doit pas être le
filtre unique par lequel on agit. Il y a une façon d’être
juif en accord avec mon être citoyen et une façon d’être
citoyen en accord avec mon être juif. »
les réformes de l’Empire ottoman
Si le débat sur la laïcité ressurgit actuellement, c’est
autour de l’islam qu’il se cristallise. Pour le professeur
Hansjörg Schmid, directeur du Centre suisse Islam et
Société (CSIS) de l’Université de Fribourg, pas de doute :
« En Europe, la séparation du politique et du religieux
en islam est possible. » Il en décèle des ébauches dans
l’histoire. « A l’époque des anciens empires musulmans,
par exemple, il y avait déjà une certaine différenciation
des pouvoirs. Le calife représentait la communauté des
croyants, le sultan régnait et des experts du Coran, les
oulémas, se prononçaient sur le droit. » Plus près de nous,
au XIXe siècle, Hansjörg Schmid rappelle les réformes de
l’Empire ottoman qui instituèrent une séparation entre un
code pénal général et la loi religieuse. « Je pense que la
laïcité en islam est devant nous. Cette religion variée et
plurielle peut faire preuve de flexibilité. Elle ne se résume
pas à des mouvements comme Daech ! »
Reste qu’aujourd’hui la notion de laïcité sous-entend
aussi un rejet du religieux hors de l’espace social. Cette
conception « à la française » ne correspond pas à la pratique suisse, mais elle inquiète nos interlocuteurs. Pour
le rabbin Garaï, « la laïcité est indissociable d’une démocratie qui assure le respect des droits fondamentaux dont
ceux de ne pas croire, mais aussi de croire et de pratiquer
sa religion ». Hansjörg Schmid, lui, déplore que « cela
conduise des musulmans à penser que la laïcité vise à la
disparition de la religion ». Alors que pour le théologien
Pierre Gisel « la séparation du politique et du religieux n’a
pas à s’étendre à l’ensemble de la société qui est pleine de
différences et qu’il faut laisser respirer. Evitons l’homogénéisation ! » Anne Kauffmann
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