1 La représentation de la femme dans l`œuvre de quelques artistes
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1 La représentation de la femme dans l`œuvre de quelques artistes
Discours d’Annalisa Rimmaudo à l’Hôtel de Monaco, Paris, le 3 juin 2013 La représentation de la femme dans l’œuvre de quelques artistes polonaises du XX siècle L’une des premières artistes femmes polonaises reconnues au niveau international avec laquelle j’aimerai débuter cette intervention est Katarzyna Kobro. Mais au lieu de parler de ses célèbres constructions spatiales abstraites, je souhaiterai vous entretenir de ses dernières œuvres : quatre petits nus réalisés en 1948. Proches du style cubofuturiste, nettement moins audacieuses que ses compositions spatiales, ces sculptures rompent avec la recherche optimiste et utopique de l’entre deux guerres et semblent être plutôt le produit de la déception, de l’effondrement de l’engagement et du radicalisme. Il s’agit de plâtres et bronzes de 25-30 cm. représentant des femmes nues, agenouillées, recroquevillées et le plus souvent en torsion. Dans leurs gestuelles simples, ces femmes apparaissent pensives, tristes, parfois désespérées. Bien qu’anguleuses, leurs formes sont solides, massives et affichent une force, une constance et une ténacité indiscutables. Cette image de femme blessée, contraste fortement avec celle qu’a livrée Tamara de Lempicka quelques années auparavant, durant les années folles. Maria Gorska, de son vrai nom, naît à Varsovie en 1898 d’une mère polonaise et d’un père russe et gagne Paris tout de suite après la Révolution d’Octobre. Sa carrière artistique débute en 1925 et rend compte de son mode de vie luxueux, d’une attitude frivole et insouciante qui caractérise aussi la société de ces années-là. Ses personnages féminins anguleux et également ronds rappellent dans la forme ceux de Kobro. S’ils partagent avec eux la géométrie d’influence cubiste, ils présentent une fluidité, une assurance, une sensualité nouvelle. Les œuvres de Lempicka témoignent de l’émancipation de la femme et parallèlement de l’évolution de son image. Ses œuvres montrent une femme lascive et transgressive qui se dévoile sans pudeur, qui se libère, se modernise. Il s’agit très souvent d’autoportraits dans lesquels l’artiste exhibe clairement son excentricité et son narcissisme. La guerre avec ses horreurs, les persécutions, les déportations, les exterminations freine toute l’énergie créative mise en place et en particulier l’abstraction. Nonobstant les exordes polonais abstraits sur la scène internationale, le courant figuratif prend forme. Après la guerre Alina Szapocznikow et Magdalena Abakanowicz se distinguent dans un paysage artistique éminemment masculin par leurs œuvres monumentales et la force émotionnelle que dégagent ces dernières. Les deux artistes sont fascinées par le corps, par ses structures mais aussi par ses mécanismes ou par son caractère charnel. Des fragments 1 corporels habitent leurs œuvres représentés avec des formes accentuées, disproportionnées, altérées. Les Abakans, pièces sculpturales géantes en tissu (en sisal dit) peintes en noir ou, plus rarement, en rouge, orange, jaune, dessinent des fibres musculaires, des membranes, des follicules, des orifices et très souvent font clairement référence aux organes génitaux féminins. La connotation sexuelle est parfois amplifiée par une coloration dense de la fibre avec des rouges saturés, des oranges vibrants, des jaunes allumés qui déclenchent une énergie sensuelle. Le travail avec des fibres naturelles comme le sisal pour créer des formes organiques montre la volonté de retrouver la relation avec le corps qui préexistait à la révolution industrielle, brutale et aliénante. Le public est invité à toucher afin d’explorer cette matière parfois rêche, avec des plis, des trous et à se réconcilier avec une corporalité qui nous est familière mais que l’ère moderne refoule. D’autres artistes femmes comme Lee Bontecou, Eva Hesse, Louise Bourgeois, Niki de Saint-Phalle ont parallèlement mené une recherche post-minimaliste similaire. Abakanowicz, tout en ayant admiré les oeuvres de Bontecou et de Saint-Phalle à la Documenta 3 en 1964, a été influencée plus particulièrement par Alina Szapoczinkow. Cette artiste, célébrée ensuite comme proto-feministe, obtient une première rétrospective à la Zacheta Gallery en 1967. A cette occasion ses œuvres aux multiples références à l’anatomie féminine ont inévitablement marqué l’orientation sexuelle des Abakans vers la fin des années ‘60. Au fils des années les sculptures d’Abakanovicz deviennent plus monumentales et prennent davantage de relief. L’environnement Embriology réalisée à la Biennale de Venise en 1978 réunit plus de 800 sculptures molles en toile de jute et gaze. La pénétration dans cette sorte d’immense ovaire nous confronte aux tissus et aux formes cellulaires qui désignent le corps féminin et la vie qui y germe. Alina Szapocznikow a plus particulièrement concentré sa recherche sur la fusion de fragments du corps féminin. Attirée par le corps humain, « source de toute souffrance et de toute vérité » elle réalise des sculptures en plâtre, ciment, bronze mais aussi en chewing gum, cigarette, où se mélangent, dans de formes corporelles morcelées, le drame vécu dans les camps de déportation et les tensions érotiques. L’artiste a été infirmière dans le camp d’extermination (Auschwitz en 1945) tout comme Abakanowicz qui y fut très jeune infirmière assistante. Après son séjour à Paris entre 1947 et 1951, à l’époque où l’informel émerge, elle retourne en Pologne et débute sa carrière artistique. A partir de 1965, elle commence à faire des empreintes de diverses parties de son corps en particulier la poitrine, la bouche, le mollet, les jambes. Szapocznikow est particulièrement attentive à la sensualité des formes qui sont très soignées : les lèvres superbement dessinées et les seins délicatement construits dans une résine translucide qui permet de restituer la suavité de la peau. A cette volupté immédiate se superposent la gravité et le grotesque de la mutilation. L’humour avec lequel elle traite parfois la lourdeur de certaines connotations féminines n’heurte pas l’érotisme qui se dégage de ces formes. Frappée entre 1969 et 1972 par 2 un cancer qui lui sera fatal, elle accentue l’exploration d’un corps amputé ou estropié par de multiples excroissances tumorales. Stele représente un corps de femme, peut-être le sien, immobilisé, coincé dans un monolithe noir, symbole funéraire. Le corps est en partie allongé, enseveli et en partie prêt à se déployer. Les genoux fléchis et la tête émergent de cette substance ou pierre enveloppante et indiquent un élan, un espoir d’extraction et d’existence. Cette œuvre est un monument commémoratif tout à la fois personnel, intime et féministe. Avant la deuxième guerre mondiale les femmes obtiennent l’égalité des droits ; au cours de la guerre elles intègrent le marché du travail afin de combler la pénurie de main d’œuvre occasionnée par l’enrôlement des hommes dans l’armée. Avec l’avènement du nouvel ordre de l’aprèsguerre l’égalité des droits est constitutionnellement garantie. Mais au lieu de permettre aux femmes d’accéder au succès, cela devient une charge très lourde : à leurs devoirs professionnels viennent s’ajouter leurs devoirs domestiques et éducatifs. Le courant d’art féministe s‘installe en Pologne avec la première vague d’art conceptuel, dans les années 70 et utilise le corps féminin comme source et arme de réflexion sur le rôle et l’image de la femme. Parmi les artistes appartenant à cette vague figure Ewa Partum, souvent apparue nue lors de ses performances. Elle réalise depuis le début des années 70 Poems by Ewa, une forme de poésie conceptuelle qui se présente sous la forme d’objets sur lesquels elle fixe les empreintes de sa bouche maquillée de rouge à lèvres tandis qu’elle articule des onomatopées. Ces objets sont accompagné par des lettres ou par une phrase dont la plus célèbre est « My touch is the touch of a woman », sorte de statement féministe conceptuel. En 1974 elle organise la performance Change à Lodz dans la galerie Adres qu’elle a fondée et où des maquilleurs donnent à une moitié de son corps l’apparence de celui d’une vieille femme. En 1980 elle crée une de ses œuvres les plus commentées, Auto-identification, série de photomontages dans lesquelles elle apparaît nue dans divers lieux de Varsovie, souvent au milieu de foules indifférentes ou sous le regard désapprobateur des femmes-officiers ou des femmes âgées. En critiquant le rôle de la femme imposé par le patriarcat, l’œuvre d’Ewa Partum manifeste la quête exigeante d’une identité féminine. En 1980 elle attaque l’institution du mariage avec la performance Femmes, le mariage est contre vous et avec Stupid Woman, où elle parodie la façon dont la femme essaye de se conformer aux attentes masculines. Son œuvre provocante et engagée, censurée jusqu’à l’arrivé de Solidarnosc en 1981, se rapproche de celle de certaines artistes femmes allemandes telles que Valie Export ou Birgit Jürgenssen. En 1982, d’ailleurs Ewa Partum s’installe à Berlin. Dans cette première vague féministe on peut citer la série consumériste des photographies de Natalia Lach Lachowicz évoquant à la fois l’image de la femme objet des affiches publicitaires tout comme des photographies de magazines pornographiques. L’artiste se sert filles qui posent en particulier de la blonde Ela M., que l’on peut voir dans certaines séries photographique, mangeant de façon enjouée des bananes, des cerises, 3 des saucisses, et dans celle intitulée Post-Consumer Art s’empiffrant en délectation de gelée ou de pudding qui dégoulinent sur son visage. Ces images qui enferment la femme dans une sphère érotique, analysent la représentation sociale de la femme, thème qui occupe une place importante dans l’art contemporain polonais depuis 70. A partir de 1989, avec la chute du mur, une nouvelle culture des nouveaux comportements émergent favorisés par « une nouvelle économie de marché et une nouvelle liberté d’expression, une importante émancipation socio-culturelle introduisant des nouvelles normes, des nouveaux paysages [..] une nouvelle réalité avec les licenciements, divorces, mutation des schémas familiaux »1. Les artistes essayent de redéfinir le rôle et les fonctions de la femme dans la société à travers l’analyse de son image atteinte par l'arrivée massive du porno, de la marchandisation capitaliste du corps féminin. La sexualité, la beauté, la condition sociale, politique et spirituelle sont les thématiques majeures. En 2004 l’espace Apollonia présente l’exposition Anne, Marie, Madeleine la photographie polonaise contemporaine: y sont exposées les œuvres entre autres de Katarzyna Kozyra et de Marta Deskur. Katarzyna Kozyra est l'une des plus populaires, et en même temps les plus controversées artistes polonaises de ces vingt dernières années. Dans ses œuvres provocatrices, combinant la sculpture, la photographie, la performance, l'installation vidéo, la musique et le théâtre elle se déguise en diva, madone, pom pom girl2 en jouant avec les clichés de la féminité. Dans cette œuvre elle se met en scène comme l’Olympia de Manet, au moment où atteinte d’un cancer elle suit une chimiothérapie. Allongée sur le lit elle affiche un corps qui malade soulève des sentiments de désir et de répulsion. L’amère ironie déclenchée par la mise en scène dans laquelle la femme de chambre est transformée en infirmière conduit à une réflexion plus vaste sur la condition de la femme3. Brusquement la femme de l’ère postcommuniste se trouve entraînée dans un système dicté par le marketing et fondé sur de nouveaux canons esthétiques régissant la nature et la durée de tous les rapports sociaux et construits essentiellement sur l’apparence. La série Unmade de Monika Duda se compose d’une douzaine de portraits photographiques réalisés en six mois entre janvier et juin 1999. L’artiste y apparaît non maquillée, toujours dans la même posture et avec la même expression. L’œuvre documente, en quelque sorte, une inspection systématique de la surface de son propre visage. En montrant une peau rougie, parfois squameuse, les yeux éteints, une coiffure négligée, elle dénonce le stéréotype du look, et le diktat social de la beauté. 1 Olivier Vargin, « Le traitement de la figure féminine dans l’art contemporain estéuropéen. L’exemple polonais », dans Regards sur l’art de l’autre Europe, l’art contemporain est-éuropéen après 1989, L’Harmattan, 2008, p. 297 2 Dans le film « Cheerleaderka » qui fait partie de la série In Art Dreams come True » elle joue une star pop rock qui fait la pom pom girl dans un clip réalisé dans le vestiaire d’athlètes et en remuant essaye d’attirer l’attention. 3 Cette œuvre est très proches de pièces réalisées par Hanna Wilke durant sa maladie. 4 Dans la série de Vierges présentée par Marta Deskur à l’exposition Anne Marie Madeleine, l’artiste propose une réflexion sur la manipulation de l’image, sur la crédibilité médiatique et parallèlement sur la valeur de la virginité dans les traditions du passé. Elle utilise des boites lumineuses qui font penser aux enseignes publicitaires et aux appareils médicaux. Anna Baumgart aussi, tente avec son œuvre de déconstruire la réalité qui se bâtit sur une image médiatique. Dans Je l’ai eu de ma mère deux sculptures représentant elle et sa fille habillées en princesses conformément aux images de la presse où mère et fille offre des images idylliques, de bonheur. Mais ces princesses portent des stigmates de souffrance empruntées à l’iconographie chrétienne, des épines sur la tête pour signifier la souffrance, le poids. La mère donne sa robe à sa fille mais aussi tout son bagage de traditions fondé sur un système patriarcal. Les taches féminines ordinaires mais inintéressantes dans le système deviennent le sujet privilégié de Julita Wójcik et de Elzbieta Jablonska. De la première on rappellera la performance durant laquelle l’artiste pèle 50 kg de pomme de terre en un jour, courbée sur un tabouret au milieu d’une grande salle. La deuxième est connue pour ses performances durant lesquelles elle réalise des mets pour tous les invités de la galerie, ou par les photographies dans lesquelles elle pose au milieu d’un salon ordinaire déguisée en super-héro avec son fils dans les bras. L’artiste bien évidemment surligne le rôle de la femme, de la mère, de la superwoman, destinée à préparer à manger et à servir, gérer une maison, éduquer, câliner et s’occuper de ses enfants tout en ne négligeant pas ses tâches professionnelles. Dans nombreux poèmes, Wislawa Szymborska dessine une image d’une femme qui dépasse les catégories patriarcales mais aussi le féminisme, qui cherche une insertion dans l’histoire et qui refuse les limitations que le passé lui impose4. Une nouvelle femme qui mixe ces deux attitudes. La poétesse, qui ne s’est jamais définie comme féministe, elle était plutôt « guidée » par sa sensibilité féminine contre son rationalisme existentiel. Elle a souvent décrit des femmes ordinaires sans l’être, en marge, sans l’être et jamais si diverses des hommes. (cfr. Annexe) Les artistes plus jeunes qui ont dépassé cette phase post moderniste et post féministe, réalisent des paysages mentaux qui questionnent la structure du monde qui nous entoure. Monica Sosnowska, avec ses labyrinthes, ses pièces dont les murs dégringolent, les plafonds se fissurent, ses éléments délabrées ou tordus, elle accentue la banalité du monde matériel. Aleksandra Waliszewska née à Varsovie en 1976, a été récemment primée par les critiques à Arco, pour ses peintures illustrant les petites filles dans les situations surréalistes, préoccupantes et quasi-érotiques. Mélange de comix manga, film d’horreur, pochette de disque de de bands heavy métal et gothic avec des référence à la Renaissance, ses œuvres affichent les peurs et anxiétés qui peuplent le monde intérieur féminin. 4 Cfr. Bozèna Karwowska, « The Female Persona in Wislawa Szymborska ‘s Poems », in Canadian Slavonic Papers, vol. 48, n° 3 / 4, septembre-décembre 2006, pp. 315-333. 5 Si les premières œuvres après la guerre portent sur une analyse primaire de identité corporelle féminine, durant les années 70 ces recherches s’amplifient à l’étude de la condition sociale et aux questions du gender. Au cours des années 90 les artistes somment les quêtes précédentes avec des interrogations historiques sur la conciliation du passé et du présent, sur le difficile bagage socio politique à résoudre pour d’accéder à une identité propre. L’espace mentale ne semble plus donner refuge mais plutôt amplifier un désordre enraciné. Annalisa Rimmaudo Service des Collections Contemporaines Musée National d'Art Moderne Centre Georges Pompidou 6 Annexe Portrait de femme par Wyslawa Szymborska Elle doit se prêter à son choix. Changer de sorte que rien ne change. C'est facile, impossible, difficile, ça vaut la peine. Elle a les yeux bleus ou gris, s'il le faut noirs, joyeux, sans raison pleins de larmes. Elle couche avec lui comme la première venue, comme sa seule et unique. Elle lui donnera quatre enfants, pas d'enfant, un enfant. Naïve, elle est son meilleur conseiller. Faible, c'est elle qui supporte. Si elle n'a pas la tête sur les épaules, elle l'aura. Elle lit Jaspers et les magazines féminins. Elle ne sait pas à quoi sert une vis mais peut bâtir un pont. Jeune, toujours jeune, comme toujours encore jeune. Elle tient dans ses mains un moineau à l'aile cassée, son argent à elle pour un long et lointain voyage, un hachoir, une compresse et un verre de vodka. Où est-ce qu'elle court comme ça? N'est-elle pas fatiguée? Mais non, pas du tout, un peu, beaucoup, ce n'est rien. Ou bien elle l'aime, ou bien elle s'obstine. Pour le meilleur et pour le pire et pour l'amour du ciel. (Traduction Isabelle Macor-Filarska) 7