Corpus Texte A : Montesquieu, De l`esprit des

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Corpus Texte A : Montesquieu, De l`esprit des
Corpus
Texte A : Montesquieu, De l'esprit des lois, « De l'esclavage des nègres » (1748)
Texte B : Chevalier de Jaucourt, Encyclopédie, article « Traite des nègres » (1766)
Texte C : Voltaire, Candide (1759)
Texte D : Marivaux, L'île des esclaves (1725)
Questions sur le corpus (4 points)
1. Précisez la spécificité de chaque texte du corpus : genre, registre, procédés retenus
pour dénoncer l'esclavage.
2. Présentez une synthèse rapide des arguments développés contre l'esclavage dans les
différents documents du corpus.
Travaux d'écriture (16 points)
Commentaire
Vous ferez le commentaire du texte de Marivaux, L'île des esclaves (texte D).
Dissertation
Est-il plus efficace de défendre une cause ou de dénoncer une injustice à travers une fiction
ou à travers une argumentation ?
Vous répondrez à la question en prenant appui sur le corpus proposé, sur les textes que vous
avez étudiés en classe, sur vos lectures personnelles et sur les films que vous avez pu voir.
Écriture d'invention
« Si j'avais à soutenir... ». A la manière de Montesquieu, vous dénoncez un scandale du monde
contemporain en imaginant les arguments de vos adversaires. Votre texte commencera par la
formule initiale du texte de Montesquieu.
Texte A
Montesquieu, De l'esprit des lois, « De l'esclavage des nègres » (1748)
Au début du livre XV, Montesquieu prend clairement parti contre l'esclavage en disant :
« l'esclavage n'est pas bon par sa nature ». Dans ce texte, cependant, il feint d'adopter le
point de vue des esclavagistes et imagine leurs arguments.
Si j'avais à soutenir le droit que nous avons eu de rendre les esclaves nègres, voici ce
que je dirais :
Les peuples d'Europe ayant exterminé ceux de l'Amérique, ils ont dû mettre en
esclavage ceux de l'Afrique, pour s'en servir à défricher tant de terres.
Le sucre serait trop cher, si l'on ne faisait travailler la plante qui le produit par des
esclaves.
Ceux dont il s'agit sont noirs depuis les pieds jusqu'à la tête ; et ils ont le nez si
écrasé qu'il est presque impossible de les plaindre.
On ne peut se mettre dans l'esprit que Dieu, qui est un être très sage, ait mis une âme,
surtout une âme bonne, dans un corps tout noir.[...]
On peut juger de la couleur de la peau par celle des cheveux, qui, chez les Egyptiens,
les meilleurs philosophes du monde, étaient d'une si grande conséquence qu'ils faisaient
mourir tous les hommes roux qui leur tombaient entre les mains.
Une preuve que les nègres n'ont pas le sens commun, c'est qu'ils font plus de cas d'un
collier de verre que de l'or, qui, chez des nations policées, est d'une si grande conséquence.
Il est impossible que nous supposions que ces gens-là soient des hommes ; parce que, si
nous les supposions des hommes, on commencerait à croire que nous ne sommes pas nousmêmes chrétiens.
De petits esprits exagèrent trop l'injustice que l'on fait aux Africains. Car, si elle
était telle qu'ils le disent, ne serait-il pas venu dans la tête des princes d'Europe, qui font
entre eux tant de conventions inutiles, d'en faire une générale en faveur de la miséricorde et
de la pitié ?
Montesquieu, De l'Esprit des lois, IIIe partie, livre XV, 5
Texte B
Chevalier de Jaucourt, Encyclopédie, article « Traite des nègres » (1766)
Si les articles de l'Encyclopédie sont l'occasion de classer les connaissances accessibles au
XVIIIe siècle, conformément à l'esprit des Lumières, ils ont surtout vocation à provoquer
une réflexion chez le lecteur et à dénoncer toutes formes d'injustices. Ce texte est extrait
de l'article « Traite des nègres ».
TRAITE DES NÈGRES (Commerce d'Afrique). C'est l'achat des nègres que font les
Européens sur les côtes d'Afrique, pour employer ces malheureux dans leurs colonies en
qualité d'esclaves. Cet achat de nègres, pour les réduire en esclavage, est un négoce qui viole
la religion, la morale, les lois naturelles, et tous les droits de la nature humaine.
Les nègres, dit un Anglais moderne, plein de lumières et d'humanité, ne sont point
devenus esclaves par le droit à la guerre ; ils ne se dévouent pas non plus volontairement euxmêmes à la servitude, et par conséquent leurs enfants ne naissent point esclaves. Personne
n'ignore qu'on les achète de leurs princes, qui prétendent avoir droit de disposer de leur
liberté, et que les négociants les font transporter de la même manière que leurs autres
marchandises, soit dans leurs colonies, soit en Amérique où ils les exposent en vente.
Si un commerce de ce genre ne peut être justifié par un principe de morale, il n'y a
point de crime, quelque atroce qu'il soit, qu'on ne puisse légitimer. Les rois, les princes, les
magistrats ne sont point les propriétaires de leurs sujets, ils ne sont donc pas en droit de
disposer de leur liberté et de les vendre pour esclaves.
D 'un autre côté, aucun homme n'a le droit de les acheter ou de s'en rendre maître ;
les hommes et leur liberté ne sont point un objet de commerce ; ils ne peuvent être ni vendus,
ni achetés, ni payés à aucun prix. Il faut conclure de là qu'un homme dont l'esclave prend la
fuite, ne doit s'en prendre qu'à lui-même, puisqu'il avait acquis à prix d'argent une
marchandise illicite, et dont l'acquisition lui était interdite par toutes les lois de l'humanité
et de l'équité.
Il n'y a donc pas un seul de ces infortunés que l'on prétend n'être que des esclaves, qui
n'ait droit d'être déclaré libre, puisqu'il n'a jamais perdu la liberté ; qu'il ne pouvait pas la
perdre ; et que son prince, son père, et qui que ce soit dans le monde n'avait le pouvoir d'en
disposer ; par conséquent la vente qui en a été faite est nulle en elle-même ; ce nègre ne se
dépouille jamais de son droit naturel ; il le porte partout avec lui, et il peut exiger partout
qu'on l'en laisse jouir. C'est donc une inhumanité manifeste de la part des juges des pays
libres où il est transporté, de ne pas l'affranchir à l'instant en le déclarant libre, puisque
c'est leur semblable, ayant une âme comme eux.
On dira peut-être qu'elles seraient bientôt ruinées, ces colonies, si l'on abolissait
l'esclavage des nègres. Mais quand cela serait, faut-il conclure de là que le genre humain doit
être horriblement lésé, pour nous enrichir ou fournir à notre luxe ? Il est vrai que les bourses
des voleurs des grands chemins seraient vides, si le vol était absolument supprimé : mais les
hommes ont-ils le droit de s'enrichir par des voies cruelles et criminelles ? Quel droit a un
brigand de dévaliser les passants ? A qui est-il permis de devenir opulent, en rendant
malheureux ces semblables ? Peut-il être légitime de dépouiller l'espèce humaine de ses
droits les plus sacrés, uniquement pour satisfaire son avarice, sa vanité, ou ses passions
particulières ? Non... Que les colonies européennes soient donc plutôt détruites, que de faire
autant de malheureux !
Mais je crois qu'il est faux que la suppression de l'esclavage entraînerait leur ruine.
Le commerce en souffrirait pendant quelque temps : je le veux, c'est là l'effet de tous les
arrangements, parce qu'en ce cas on ne pourrait trouver sur-le-champ les moyens de suivre un
autre système ; mais il résulterait de cette suppression beaucoup d'autres avantages.
C'est cette traite des nègres, c'est l'usage de la servitude qui a empêché l'Amérique
de se peupler aussi promptement qu'elle l'aurait fait sans cela. Que l'on mette les nègres en
liberté, et dans peu de générations ce pays vaste et fertile comptera des habitants sans
nombre. Les arts, les talents y fleuriront ; et au lieu qu'il n'est presque peuplé que de
sauvages et de bêtes féroces, il ne le sera bientôt que par des hommes industrieux. C'est la
liberté, c'est l'industrie qui sont les sources réelles de l'abondance. Tant qu'un peuple
conservera cette industrie et cette liberté, il ne doit rien redouter. L'industrie, ainsi que le
besoin, est ingénieuse et inventive ; elle trouve mille moyens différents de se procurer des
richesses ; et si l'un des canaux de l'opulence se bouche, cent autres s'ouvrent à l'instant.
Les âmes sensibles et généreuses applaudiront sans doute à ces raisons en faveur de
l'humanité ; mais l'avarice et la cupidité qui dominent la terre, ne voudront jamais les
entendre.
Chevalier de Jaucourt, Encyclopédie, article « Traite des nègres ».
Texte C
Voltaire, Candide (1759)
En approchant de la ville, ils rencontrèrent un nègre étendu par terre, n’ayant plus que la
moitié de son habit, c’est à dire d’un caleçon de toile bleue ; il manquait à ce pauvre homme la
jambe gauche et la main droite. « Eh, mon Dieu ! lui dit Candide en hollandais, que fais-tu là,
mon ami, dans l’état horrible où je te vois ?
– J’attends mon maître, monsieur Vanderdendur, le fameux négociant, répondit le nègre.
– Est-ce monsieur Vanderdendur, dit Candide, qui t’a traité ainsi ? – Oui, Monsieur, dit le
nègre, c’est l’usage. On nous donne un caleçon de toile pour tout vêtement deux fois l’année.
Quand nous travaillons aux sucreries, et que la meule nous attrape le doigt, on nous coupe la
main ; quand nous voulons nous enfuir, on nous coupe la jambe : je me suis trouvé dans les deux
cas. C’est à ce prix que vous mangez du sucre en Europe. Cependant, lorsque ma mère me
vendit dix écus patagons sur la Côte de Guinée, elle me disait : « Mon cher enfant, bénis nos
fétiches, adore-les toujours, ils te feront vivre heureux ; tu as l’honneur d’être esclave de nos
seigneurs les blancs, et tu fais par là la fortune de ton père et de ta mère ». Hélas ! je ne sais
pas si j’ai fait leur fortune, mais ils n’ont pas fait la mienne. Les chiens, les singes et les
perroquets sont mille fois moins malheureux que nous ; les fétiches hollandais qui m’ont
converti me disent tous les dimanches que nous sommes tous enfants d’Adam, blancs et noirs.
Je ne suis pas généalogiste ; mais si ces prêcheurs disent vrai, nous sommes tous cousins issus
de germains. Or vous m’avouerez qu’on ne peut pas en user avec ses parents d’une manière plus
horrible.
- Ô Pangloss ! s’écria Candide, tu n’avais pas deviné cette abomination ; c’en est fait, il
faudra qu’à la fin je renonce à ton optimisme. – Qu’est-ce qu’optimisme ? disait Cacambo. –
Hélas ! dit Candide, c’est la rage de soutenir que tout est bien quand on est mal. » Et il versait
des larmes en regardant son nègre ; et en pleurant, il entra dans Surinam. »
Voltaire, Candide, chapitre 19
Texte D
Marivaux, L'île des esclaves (1725)
Iphicrate et son valet Arlequin ont fait naufrage sur une île fondée, il y a une centaine
d'années, par des esclaves révoltés. Dans cette île, les maîtres deviennent valets et les valets
deviennent maîtres.
Scène 1
IPHICRATE, après avoir soupiré. - Arlequin !
ARLEQUIN, avec une bouteille de vin qu'il a à sa ceinture. - Mon patron.
IPHICRATE. - Que deviendrons-nous dans cette île ?
ARLEQUIN. - Nous deviendrons maigres, étiques, et puis morts de faim : voilà mon sentiment.
IPHICRATE. - Nous sommes seuls échappés du naufrage ; tous nos amis ont péri, et j'envie
maintenant leur sort.
ARLEQUIN. - Hélas ! ils sont noyés dans la mer, et nous avons la même commodité.
IPHICRATE. - Dis-moi : quand notre vaisseau s'est brisé contre le rocher, quelques-uns des
nôtres ont eu le temps de se jeter dans la chaloupe ; il est vrai que les vagues l'ont
enveloppée, je ne sais ce qu'elle est devenue ; mais peut-être auront-ils eu le bonheur
d'aborder en quelque endroit de l'île, et je suis d'avis que nous les cherchions.
ARLEQUIN. - Cherchons, il n'y a pas de mal à cela ; mais reposons-nous auparavant pour boire
un petit coup d'eau-de-vie : j'ai sauvé ma pauvre bouteille, la voilà ; j'en boirai les deux tiers,
comme de la raison, et puis je vous donnerai le reste.
IPHICRATE. - Eh ! ne perdons point de temps, suis-moi, ne négligeons rien pour nous tirer
d'ici. Si je ne me sauve, je suis perdu, je ne reverrai jamais Athènes, car nous sommes seuls
dans l'île des Esclaves.
ARLEQUIN. - Oh ! Oh ! qu'est-ce que c'est que cette race-là ?
IPHICRATE. - Ce sont des esclaves de la Grèce révoltés contre leurs maîtres, et qui depuis
cent ans sont venus s'établir dans une île, et je crois que c'est ici : tiens, voici sans doute
quelques-unes de leurs cases ; et leur coutume, mon cher Arlequin, est de tuer tous les
maîtres qu'ils rencontrent, ou de les jeter dans l'esclavage.
ARLEQUIN. - Eh ! chaque pays a sa coutume ; ils tuent les maîtres, à la bonne heure ; je l'ai
entendu dire aussi, mais on dit qu'ils ne font rien aux esclaves comme moi.
IPHICRATE. - Cela est vrai.
ARLEQUIN. - Eh ! encore vit-on.
IPHICRATE. - Mais je suis en danger de perdre la liberté et peut-être la vie : Arlequin, cela
ne suffit-il pas pour me plaindre ?
ARLEQUIN, prenant sa bouteille pour boire . - Ah ! je vous plains de tout mon cœur, cela est
juste.
IPHICRATE. - Suis-moi donc.
ARLEQUIN, siffle. Hu ! hu ! hu !
IPHICRATE. Comment donc ! que veux-tu dire ?
ARLEQUIN, distrait, chante. - Tala ta lara.
IPHICRATE. - Parle donc, as-tu perdu l'esprit ? À quoi penses-tu ?
ARLEQUIN, riant. - Ah ! ah ! ah ! Monsieur Iphicrate, la drôle d'aventure ! je vous plains, par
ma foi, mais je ne saurais m'empêcher d'en rire.
IPHICRATE, à part les premiers mots. - Le coquin abuse de ma situation ; j'ai mal fait de lui
dire où nous sommes. Arlequin, ta gaieté ne vient pas à propos ; marchons de ce côté.
ARLEQUIN. - J'ai les jambes si engourdies !...
IPHICRATE. - Avançons, je t'en prie.
ARLEQUIN. - Je t'en prie, je t'en prie ; comme vous êtes civil et poli ; c'est l'air du pays qui
fait cela.
IPHICRATE. - Allons, hâtons-nous, faisons seulement une demi-lieue sur la côte pour
chercher notre chaloupe, que nous trouverons peut-être avec une partie de nos gens ; et, en
ce cas-là, nous nous rembarquerons avec eux.
ARLEQUIN, en badinant. - Badin ! comme vous tournez cela ! (Il chante).
L'embarquement est divin
Quand on vogue, vogue, vogue,
L'embarquement est divin,
Quand on vogue avec Catin.
IPHICRATE, retenant sa colère. - Mais je ne te comprends point, mon cher Arlequin.
ARLEQUIN. - Mon cher patron, vos compliments me charment ; vous avez coutume de m'en
faire à coups de gourdin qui ne valent pas ceux-là ; et le gourdin est dans la chaloupe.
IPHICRATE. - Eh ! ne sais-tu pas que je t'aime ?
ARELQUIN. - Oui ; mais les marques de votre amitié tombent toujours sur mes épaules, et
cela est mal placé. Ainsi, tenez, pour ce qui est de nos gens, que le ciel les bénisse ! s'ils sont
morts, en voilà pour longtemps ; s'ils sont en vie, cela se passera, et je m'en goberge.
IPHICRATE, un peu ému. Mais j'ai besoin d'eux, moi.
ARLEQUIN, indifféremment. - Oh ! cela se peut bien, chacun a ses affaires : que je ne vous
dérange pas !
IPHICRATE. - Esclave insolent !
ARLEQUIN, riant. - Ah ! ah ! vous parlez la langue d'Athènes ; mauvais jargon que je
n'entends plus.
IPHICRATE. - Méconnais-tu ton maître, et n'es-tu plus mon esclave ?
ARLEQUIN, se reculant d'un air sérieux . - Je l'ai été, je le confesse à ta honte ; mais va, je
te le pardonne : les hommes ne valent rien. Dans le pays d'Athènes, j'étais ton esclave, tu me
traitais comme un pauvre animal, et tu disais que cela était juste, parce que tu étais le plus
fort. Eh bien ! Iphicrate, tu vas trouver ici plus fort que toi ; on va te faire esclave à ton
tour ; on te dira aussi que cela est juste, et nous verrons ce que tu penseras de cette justice
là ; tu m'en diras ton sentiment, je t'attends là. Quand tu auras souffert, tu seras plus
raisonnable ; tu sauras mieux ce qu'il est permis de faire souffrir aux autres. Tout en irait
mieux dans le monde, si ceux qui te ressemblent recevaient la même leçon que toi. Adieu, mon
ami, je vais trouver mes camarades et tes maîtres.
Il s'éloigne.
IPHICRATE, au désespoir, courant après lui, l'épée à la main . - Juste ciel ! peut-on être plus
malheureux et plus outragé que je le suis ? Misérable ! tu ne mérites pas de vivre.
ARLEQUIN. - Doucement ; tes forces sont bien diminuées, car je ne t'obéis plus, prends-y
garde.
Marivaux, L'île des esclaves, scène 1.
Correction des questions sur corpus « Dénoncer l'esclavage au XVIIIe siècle »
1. Précisez la spécificité de chaque texte du corpus : genre, registre, procédés retenus pour
dénoncer l'esclavage.
Ces quatre extraits, De l'esprit des lois de Montesquieu (1748), article « Traite des
nègres » de l'Encyclopédie du Chevalier de Jaucourt (1766), chapitre 19 de Candide de Voltaire et
L'île des esclaves de Marivaux, visent à dénoncer l'esclavage.
Le premier texte du corpus est un traité de sociologie politique de Montesquieu qui
appartient au genre argumentatif car il vise à dénoncer l'esclavage. Le registre employé est ironique
puisque l'auteur écrit un texte où il dit l'inverse de ce que le lecteur doit entendre. En effet,
Montesquieu feint de s'approprier les arguments des personnages favorables à l'esclavage afin de
les tourner en dérision et de rendre cette pratique absurde aux yeux des autres. Les procédés
ironiques employés dans ce texte sont notamment l'antiphrase (« il est impossible que nous
supposions que ces gens-là soient des hommes ») et les hyperboles (« les Égyptiens, les meilleurs
philosophes du monde, étaient d'une si grande conséquence qu'ils faisaient mourir tous les hommes
roux qui leur tombaient entre les mains »).
Le second texte est un article de l'Encyclopédie intitulé « Traite des nègres ». Il appartient
au genre argumentatif et vise également à dénoncer l'esclavage. L'article commence en effet par
une définition de l'esclavage qui laisse déjà entendre l'opinion de l'auteur (« ces malheureux »). Le
texte relève par ailleurs du registre didactique car il vise à informer aussi bien qu'à convaincre. Il
présente une critique détaillée de l'esclavage et souligne les contradictions de cette pratique avec
l'esprit des Lumières. Pour mieux dénoncer l'esclavage, l'auteur se fonde sur « la morale » et « le
droit » naturel des hommes qu'il compare et oppose aux procédés liés à l'esclavage. Puis il explique
le rôle économique de l'esclavage dans le développement de pays tels que l'Amérique. Les termes
péjoratifs (« négoce qui viole la religion »), les modalisateurs (« que l'on prétend n'être que des
esclaves »), la tonalité pathétique (« ces malheureux »), les questions oratoires indignées (« Les
hommes ont-ils le droit de s'enrichir par des voies cruelles et criminelles ? ») sont autant de
procédés qui traduisent l'indignation du chevalier de Jaucourt dans cet article et qui relèvent
également du registre polémique.
Le troisième texte est extrait d'un des contes philosophiques de Voltaire. Il s'agit de la
rencontre de Candide avec « le nègre de Surinam ». Ce texte appartient au genre de l'apologue
puisqu'il s'agit d'un conte philosophique dont le lecteur peut tirer une leçon. Voltaire emploie ici le
registre ironique en laissant la parole à l'esclave de Surinam lui-même. Ce dernier évoque les excès
de la traite des esclaves et du Code Noir, et les procédés mis en œuvre dans ce réquisitoire contre
l'esclavage (registre polémique), tout comme les larmes de Candide à la fin du passage (registre
pathétique : hyperboles, apostrophes, exclamatives), traduisent l'indignation et la critique de
Voltaire.
Le quatrième texte est la scène première de L'île des esclaves de Marivaux. Cette scène
appartient au genre de la comédie puisque les rôles sont inversés, le maître devenant valet et le
valet prenant la place du maître. Cette situation permet à Arlequin de se moquer d'Iphicrate à
plusieurs reprises : « vos compliments me charment ; vous avez coutume de m'en faire à coups de
gourdin ». Le registre comique est ainsi décliné sous la forme de procédés variés : comique de
répétition lorsque Iphicrate tente en vain et à plusieurs reprises de convaincre Arlequin de le
suivre ; comique de mots lorsque ce dernier évoque ironiquement les mauvais traitements subis (« les
marques de votre amitié tombent toujours sur mes épaules ») ; comique de gestes dans l'usage
qu'Arlequin fait de sa bouteille. Mais cette scène relève également du registre polémique dans la
mesure où Arlequin dénonce les abus de l'aristocratie dans sa tirade de la fin du passage : « tout en
irait mieux dans ce monde, si ceux qui te ressemblent recevaient la même leçon que toi ».
Malgré la variété des genres de ces quatre textes, les registres et procédés utilisés pour
dénoncer l'esclavage sont souvent les mêmes.
2. Présentez une synthèse rapide des arguments développés contre l'esclavage dans les
différents documents du corpus.
Les documents du corpus présentent des arguments récurrents qui visent à dénoncer
l'esclavage. Le premier argument est relatif à une notion chère au siècle des Lumières : l'égalité.
Les auteurs se demandent comment l'on peut traiter des hommes comme du bétail ou des
marchandises (« les hommes et leur liberté ne sont point un objet de commerce »). Le second
argument critique la cruauté et la barbarie de la traite des noirs, deux choses contraires à la
morale. Le troisième argument est lié à l'idée de liberté, droit de l'homme inaliénable. Le quatrième
argument dénonce la lâcheté des esclavagistes dans la mesure où les noirs ne peuvent lutter contre
leur condition. Les idées progressistes des Lumières (liberté, égalité) fondent ainsi la plupart des
arguments présents dans ces documents.
Travaux d'écriture
Commentaire du texte de Marivaux, L'île des esclaves
Proposition de plan détaillé
Introduction
L'île des esclaves est une pièce de 1725 en un seul acte qui évoque les rapports maîtres/serviteurs
sous forme de fable philosophique. Ici, la scène d'exposition présente le valet Arlequin et son maître
Iphicrate. Nous remarquons l'apparition de personnages types de la commedia dell'arte, ainsi que
celle du registre comique, mais l'ouverture montre une révolte en action. Toute cette scène contient
déjà en germe les enjeux de la pièce dans son ensemble.
I. Une scène d'exposition
A. Les lieux
Didascalies (île, mer, rochers, maisons), exotisme (thème cher aux auteurs du XVIIIe siècle),
univers sauvage, « cases ». Espace utopique : valeurs inversées par rapport à la société
contemporaine.
B. Les personnages
Rapport social Iphicrate/Arlequin. De la commedia dell'arte à la révolte sociale.
C. L'action
In medias res (entrée en pleine action). Naufrage, dangers de l'île. Iphicrate en sait plus sur cette
île que son valet. Il connaît tout de cette île (convention théâtrale : la vraisemblance).
II. La révolte en action
Mise en scène de la révolte dès la scène 1, ce qui est original pour l'époque.
A. L'angoisse du maître
Iphicrate sait que cette île est hostile aux maîtres. Il tente de dissimuler la vérité sur cette île à
Arlequin. Il propose la fuite, veut retrouver les survivants, est terrifié face à la mort. L'historique
de cette île est résumé. L'exposition dont la fonction est de donner des informations au spectateur,
prend la forme du dialogue.
B. L'échec du maître
Indifférence du valet, ironie, hostilité. Personnification de la bouteille : effet comique du décalage
maître/esclave. Force Iphicrate à avouer en jouant l'indifférence.
C. La révolte croissante d'Arlequin
Il inverse le rapport de forces. Les connecteurs logiques d'opposition expriment la séparation.
Émergence de l'individualité de l'esclave (« moi »). Didascalies à effet comique : « boit »,
« chante », « siffle ». Signes d'insolence et de transgression. Ironie et fausse pitié sous forme
d'antiphrases : « plaindre ». Arlequin démasque l'hypocrisie d'Iphicrate. Le refrain est une revanche
éclatante, signe de l'indifférence insolente du valet.
III.
Une scène emblématique, miroir de l'œuvre
A. L'annonce de tous les enjeux de la pièce
La scène problématise les rapports maître-valet en dénonçant leur violence.
B. Entre comique et pathétique
Deux registres. Opposition entre l'angoisse d'Iphicrate et la nonchalance d'Arlequin. Comique de
situation. Renversement des rôles.
C. Des personnages symboliques
Climat ludique et rythme enlevé de la commedia dell'arte. Arlequin incarne la comédie. Iphicrate
incarne la tragédie, il est le jouet du destin, craint la fatalité, fait appel à la pitié. Le mélange des
genres comique et tragique renouvelle le théâtre classique. C'est un genre hybride.
Conclusion
− Une scène qui répond aux critères des scènes d'exposition (mise en place de l'intrigue, d'un
lieu, des personnages et d'une problématique).
− Une scène qui annonce une critique sociale, dénonce le rapport maître-valet, l'hypocrisie et la
violence de ce rapport.
− Une scène qui renouvelle le genre du théâtre, genre hybride entre pathétique, comique et
tragique.
Dissertation
Est-il plus efficace de défendre une cause ou de dénoncer une injustice à travers une fiction
ou à travers une argumentation ? Vous répondrez à cette question en prenant appui sur le
corpus proposé, sur les textes que vous avez étudiés en classe, sur vos lectures personnelles et
sur les films que vous avez pu voir.
Proposition de plan détaillé
Introduction
Illustrer son point de vue à travers une fiction est un remarquable procédé pour convaincre le
lecteur en le distrayant (persuasion et appel à la sensibilité). Mais l'apologue présente des défauts
qui peuvent laisser penser que l'essai et l'argumentation restent le moyen le plus efficace de
convaincre.
I. La fiction permet de convaincre le lecteur en le séduisant
A. L'apologue permet de charmer et de divertir le lecteur pour le convaincre
− Variété des genres et des textes, récits courts et plaisants qui peuvent être édifiants. La
Fontaine : « la morale nue apporte de l'ennui ; le conte fait passer le précepte avec lui ».
− Le merveilleux à visée éducative : les Contes de Grimm, les récits de Roald Dahl...
− Vivacité du récit, lecteur très impliqué : les Fables de La Fontaine, inspirées de celles
d'Ésope et de Phèdre. Forme peu conventionnelle. Personnages originaux, souvent des animaux
−
qui parlent et représentent des types humains. Narration et versification.
Exotisme des contes philosophiques orientaux : Zadig dans lequel Voltaire nous expose son
intention de dispenser des vérités philosophiques dans cet « ouvrage qui en dit plus qu'il ne
semble dire ».
B. L'apologue persuade le destinataire en donnant vie à des idées souvent abstraites et en
faisant appel à la sensibilité du lecteur
− Utopie et paraboles : Thomas More, vision d'une société idyllique. Évangiles du Nouveau
Testament.
− Les Misérables « visaient à dénoncer la dégradation de l'homme par le prolétariat, la
déchéance de la femme par la faim, l'atrophie de l'enfant par la nuit » (V. Hugo).
− La vie est belle de Roberto Benigni.
C. Construire la morale implicite d'une fable crée une connivence intellectuelle entre l'auteur et
le lecteur qui est actif dans l'élaboration du sens de l'œuvre
− Conclusion de Candide de Voltaire : à interpréter.
− Lettres Persanes de Montesquieu à décrypter.
II. Le plaisir de la fiction peut atténuer l'effet de l'argumentation, l'essai permet à
l'auteur de convaincre le lecteur de manière plus efficace
A. Le problème de la censure et des conventions narratives
− Fables de La Fontaine : critique de la monarchie absolue à travers un bestiaire symbolique.
− Les attaques de Voltaire contre ses contemporains (journalistes, écrivains) au chapitre 22 de
Candide, impossibles à décrypter au XXIe siècle sans l'aide des notes.
B. L'efficacité de l'argumentation directe
− Essais de Montaigne.
− Démarche intellectuelle et scientifique fondée sur un raisonnement déductif et logique : De
l'esprit des lois de Montesquieu.
C. L'engagement de l'écrivain
− Dictionnaire philosophique portatif de Voltaire.
− L'Encyclopédie.
− Le Dernier jour d'un condamné de V. Hugo.
Conclusion
Si la fiction semble une forme appropriée pour distraire le lecteur tout en illustrant le point de vue
de l'auteur, elle présente toutefois certains travers qui pourraient mener le lecteur sur une fausse
piste ; en ce sens, l'argumentation directe semble donc plus efficace pour dénoncer une injustice.
Ne perdons cependant pas de vue que lire est une expérience avant tout personnelle et que c'est à
chaque lecteur de définir le genre auquel il adhère de préférence pour se divertir tout en
s'instruisant.
Écriture d'invention
« Si j'avais à soutenir... ». À la manière de Montesquieu, vous dénoncerez un scandale du
monde contemporain en imaginant les arguments de vos adversaires. Votre texte commencera
par la formule initiale du texte de Montesquieu.
Thèmes possibles : statut des femmes dans la société, fanatisme religieux, nucléaire...
Plan
−
−
−
−
−
Commencer par la formule initiale de Montesquieu « Si j'avais à soutenir... »
Rédigez une dizaine d'arguments (un petit paragraphe de 2 ou 3 lignes par argument) sous
forme d'antiphrases ironiques.
Présenter ces arguments sous forme de gradation.
Certains arguments sont à présenter sous la forme de questions rhétoriques absurdes.
Une trentaine de lignes.