30 ans, célibataire, un enfant, permis B
Transcription
30 ans, célibataire, un enfant, permis B
30 ans, célibataire, un enfant, permis B Isaac Frelon 1 — Dylan grince Drôle d’époque que celle dans laquelle mes contemporains et moi vivons. Nous sommes arrivés trop tard pour voir Hendrix sur scène, nous ne sommes même pas sur le bon continent. Les pierres ont amassé mousse, Dylan grince, les scarabées se sont envolés et la grande porte s’est fermée sur le Père-Lachaise. Il ne nous reste plus que des poussières d’une comète qui se désintègre dans l’atmosphère numérique. Je me présente, Isaac. Ne vous y fiez pas, je ne suis pas juif. Je ne suis pas black. Taille : moyenne, classe : moyenne. Je ne suis ni riche ni pauvre, signe particulier : néant. Je vis dans une petite ville de la province française sur la partie grise du littoral. Je n’ai même pas la particularité de ne pas en avoir. Métier : inintéressant. J’ai tout fait pour atteindre le Graal, le summum du bonheur garanti sur facture, celui vendu par des années de propagande, la vie sans surprises et sans intérêt, la maison, l’enfant virgule huit, le Scénic garé dans l’allée en gravier et le portail qui se ferme tout seul pour que le Golden Retriever ne s’enfuie pas du aradis. Mais l’existence m’a appris à faire sans, et après réflexion, je l’en remercie. On a violé mes certitudes. Si aujourd’hui, devant un type que je déteste déjà sans l’avoir rencontré, je m’apprête à me livrer à l’exercice le plus égocentrique qui soit, à savoir lui expliquer à quel point je suis génial, c’est pour poser la première pierre de ma nouvelle vie. Tout ça a commencé quand j’ai fait la connaissance de Célia. Non, bien avant cela, bien avant d’être père. Julie. 2 — Fuis-moi je te suis, suis-moi je te fuis Quand on aime quelqu’un, on aime tout de cette personne. Ses défauts sont mignons, sa manière de monter dans les aigus lorsqu’elle crie. Son léger embonpoint, il te rassure. Son visage se fend d’un sourire et tu serais prêt à mourir pour elle. Je ne supportais plus le sourire de Julie, son rire me faisait l’effet du délicat contact d’un ongle sur un tableau noir. Ses fesses charnues, ses petits seins, tout, rien, je ne supportais plus rien chez elle. J’en ai donc conclu que je ne l’aimais pas. Ou que je ne l’aimais plus. En effet, au début de notre relation, je l’appelais ma princesse, ma puce, mon amour, traduction : gnagnagna. À croire que ses fesses charnues étaient accueillantes. Mais un jour, je l’ai vu pisser et je pense que le bruit de l’urine projetée à grande vitesse sur la céramique sonna le glas de notre vie sexuelle dans un premier temps, et amoureuse par ricochet. À la naissance d’une histoire, on est proche, on se susurre des mots doux à l’oreille. Mais après quelques mois, on s’éloigne. Voilà pourquoi on crie : pour se faire entendre. À ce moment-là, nous n’étions pas encore au paroxysme du bonheur de la vie de couple. La période qui suit celle des engueulades est bien plus intéressante, le silence. Quoi de pire que de vivre aux côtés de quelqu’un qui vous jette son dédain au visage ? Le mépris ostensible. Voilà, deux cent trente-six mots pour résumer une histoire de sept ans, c’est dire à quel point elle était ennuyeuse. À son départ, je me souviens avoir organisé une FreeNight1 pour fêter, comme il se doit, ma libération. Oui c’est salaud, je sais, car j’ai certainement perdu sept ans de ma vie amoureuse, mais pas sexuelle. Julie a dû supporter mes frasques, du moins celles qu’elle découvrait. Je ne sais pas si je la trompais pour la punir de ne pas me rendre amoureux d’elle ou pour le sport, la perf ’, les stats’, l’ego quoi. Black ü Névrosée n°1 ü Blonde ü Névrosée n°2 ü Petite ü Névrosée n°3 ü Jeune et névrosée ü Malgré cela, Julie est restée. Diminuant d’autant son pouvoir d’attraction. Nous sommes étrangement constitués. Nous sommes attirés par ce qui nous repousse et, par effet miroir, nous n’avons aucune passion pour ce qui nous court après. Le principe « suis-moi je te fuis, fuis-moi je te suis » s’est vérifié par la fin de ma relation avec Julie, mais ce fut encore plus flagrant avec Célia. 1 Morceaux passés au cours de la FreeNight : I’m Free - Stevie Wonder Free - Jack Johnson I feel free - U2 Whatever - Oasis I want to break free - Queen I’m free - Rolling stones I’m free - The Who Il est libre Max - Hervé Cristiani Free - Ultra Naté Free - Switchfoot Free - Natalia Kills Free Bird - Lynyrd Skynyrd Free as a Bird - Beatles Free Fallin’ - Tom Petty Free from desire - Gala Retrouvez Isaac Frelon : Sur Facebook https://www.facebook.com/pages/Isaac-Frelon/794560467233715?fref=ts Sur Twitter https://twitter.com/FrelonIsaac Sur le site des Éditions de la Reine EditionsdelaReine.fr Tous droits réservés © 2014 Éditions de la Reine