L`école des fans - Michel Houellebecq

Transcription

L`école des fans - Michel Houellebecq
L'école des fans
Sur le modèle des groupies de chanteurs, des associations se créent autour d'écrivains pour
entretenir leur culte avec une ferveur de dévots. Nous avons enquêté sur ces lecteurs pas
comme les autres.
Par Sébastien LE FOL
[01 décembre 2003]
Si Jacques Martin reprenait aujourd'hui « L'Ecole des fans », il pourrait convier des écrivains à la place
des chanteurs. Non seulement le spectacle ne manquerait pas d'intérêt, mais il trouverait sans difficulté
des élèves.
Ces dernières années, en effet, le monde de l'édition a vu apparaître des groupes d'admirateurs autour
de certains écrivains, sur le modèle de ceux qui existent depuis longtemps dans la musique ou le cinéma.
Animés par la même ferveur, tournant parfois à l'idolâtrie, ces passionnés d'un nouveau genre ont fait
d'un auteur leur confident, leur ami, leur âme soeur ou même leur maître à penser.
Trois écrivains cristallisent cet enthousiasme : Michel Houellebecq, Amélie Nothomb et Bernard Werber.
Chacun entretient avec ses fans un certain type de rapport en lien avec son univers : mélancolique chez
Houellebecq, bizarre chez Nothomb et futuriste chez Werber.
L'auteur des Particules élémentaires est à ce jour le seul auteur français à être l'objet d'une association
d'amis d'écrivains. La sienne a été créée en 2000 par une admiratrice parisienne, traductrice de l'italien,
Michelle Levy.
L'association, qui compte aujour- d'hui 200 adhérents, dispose d'un site internet (1) et édite un bulletin
d'information intitulé Houelle. Toute la vie de l'association défile dans ces pages imprimées avec les
moyens du bord : rencontres avec des écrivains amis (Maurice G. Dantec, Benoît Duteurtre, Philippe
Vilain) et avec Houellebecq lui-même, voyages organisés, conseils de lecture, nouvelles analyses de
l'oeuvre houellebecquienne, dîners de l'association... Ceux-ci ont lieu tous les mois dans un lieu différent.
Le dernier s'est tenu dans un restaurant berbère, à Paris.
Au menu : nouvelles du grand homme, impressions de lectures et dégustation de chocolat noir.
L'association est un véritable club d'initiés. L'appartement de la présidente est entièrement dédié à
l'écrivain. Dans la salle à manger, les classeurs dans lesquels sont archivées toutes les coupures de
presse le concernant. Dans la cuisine, le mug estampillé « Rester vivant », titre d'un de ses recueils.
Dans la bibliothèque, les traductions de ses livres. Dans le bureau, l'ordinateur à partir duquel est mis à
jour le site. Juste au-dessus, encadrée sur le mur, une phrase de lui, révélatrice de l'esprit des lieux : «
Au milieu de la grande barbarie naturelle, les êtres humains ont parfois (rarement) pu créer de petites
places chaudes irradiées par l'amour. De petits espaces clos, réservés, où régnaient l'intersubjectivité et
l'amour. »
Michelle Levy reçoit également à son domicile le courrier de l'écrivain.
- Je suis presque devenue son attachée de presse, explique-t-elle en vous montrant une pile de lettres. Il
fait en sorte que je sache toujours où il est. Mais ces derniers temps, il est difficile à suivre.
Voilà une plainte que l'on n'entendra pas dans la bouche des fans d'Amélie Nothomb. Eux n'ont qu'à se
féliciter de la promptitude de la romancière à leur répondre. Son éditeur, Albin Michel, reçoit chaque
semaine des dizaines de lettres à son intention. Les enveloppes sont soigneusement conservées au
service de presse. Amélie prend le temps de les lire et d'y répondre.
Une vraie pro, Nothomb. Ses missives sont longues et personnalisées.
- Elle est toujours amicale, assure Caroline Met, manager de McDo, qui a eu le coup de foudre pour la
romancière et ses écrits lors d'une séance de dédicace l'année dernière. Elle parle rarement d'elle et se
montre très attentive à nos préoccupations.
Caroline Met reçoit dans sa chambre de bonne, tôt le matin. Elle est vêtue de noir comme l'est souvent la
romancière. Son poste de télévision est branché sur M6. Elle parle avec émotion de ce qu'elle appelle les
« after » d'Amélie.
- Après ses signatures, des cocktails sont organisés. Elle y convie toujours des lecteurs. Récemment, je
l'ai suivie à Plaisir, dans les Yvelines, où elle signait son dernier roman, Antéchrista. Elle a demandé au
libraire qui organisait la dédicace, en me désignant avec deux autres lecteurs : « Je peux emmener mes
acolytes ? » Quand je suis sortie de là, j'étais heureuse comme tout, j'avais envie d'exploser.
Ce jour-là, ils étaient des dizaines, accroupis à ses pieds, à la dévorer des yeux, à guetter un signe
d'elle. Parmi eux, beaucoup de péplautes, ainsi que se surnomment ses fans les plus fervents sur leur
site internet (2), en référence à son livre Péplum. Les péplautes sont les gardiens vigilants du culte
amélien. Patrick Besson en sait quelque chose : sa critique au vitriol d'un roman de madame a suscité
des dizaines de réactions indignées.
A la même heure, dans une autre ville de France, Bernard Werber dédicaçait son dernier livre, Nos amis
les humains. Même affluence. Mais dans les yeux de ses lecteurs, c'est un autre sentiment que l'on
pouvait lire, moins adorateur et plus complice.
L'auteur des Fourmis entretient avec ses lecteurs un rapport de bon copinage.
- Je ne suis pas un émetteur et mes lecteurs des récepteurs, prévient-il. Je ne propage pas une bonne
parole. Au contraire, je me nourris d'eux.
- C'est une éponge, ajoute aussitôt Sabine Crossen, une jolie comédienne aux yeux bleus.
Passionné de nouvelles technologies, l'auteur a créé son propre site (3). Il reçoit environ deux cents
messages par jour lors de la sortie d'un livre et répond à un mail sur cinq.
- Depuis que les Fourmis ont obtenu le grand prix des lectrices de Elle, mon public a changé, dit-il.
Avant, il était composé de 80 % d'hommes. Maintenant, c'est 80 % de femmes.
Les écrits de Werber stimulent l'imagination de ses lecteurs. Il y a un an, une association s'est créée
autour de son livre l'Arbre des possibles.
Sites internet et flûtes à champagne
- C'est un observatoire du futur, qui donne la parole au grand public et non aux spécialistes, explique sa
secrétaire, Dominique Charabouska.
Cette professionnelle du multimédia a rencontré Bernard Werber en 1995. Elle voulait donner à
l'entreprise qu'elle s'apprêtait à créer un nom tiré d'un de ses livres.
L'arbre des possibles organise des réunions tous les deux mois à la Fnac Digitale, à l'Odéon. Les
participants sont invités à donner leur vision du monde de demain. Un site internet (4) accueille leurs «
scénarios du futur ». Allergiques à Nostradamus s'abstenir.
- Nous avons reçu plus de 75 000 visites et plus de 2 000 scénarios, constate Dominique Charabouska.
Bernard répond à des attentes en termes de science et d'ouverture.
Aussi passionnés les uns que les autres dès qu'il s'agit de leur écrivain préféré, les fans de Houellebecq,
Nothomb et Werber ne recherchent pas la même chose dans leur statut de fan.
Dans le cas de Houellebecq et de Nothomb, la relation désirée est souvent d'ordre très intime.
Ainsi, Michelle Levy parle de son écrivain préféré comme d'un « jumeau ».
- J'ai reçu un véritable choc en lisant son roman Extension du domaine de la lutte, confie-t-elle. Michel
formulait ce que je ressentais de manière diffuse, à savoir le sentiment de n'être nulle part à ma place,
comme étrangère à notre monde.
Le langage employé par Caroline Met n'est pas si éloigné :
- Amélie est pour moi une grande soeur, une confidente, un maître à penser.
La romancière exerce sur elle un magnétisme qu'elle n'avait pas ressenti depuis sa découverte... de la
chanteuse bimbo Mylène Farmer.
- Ce sont deux femmes très mystérieuses et en même temps très marginales. Je me sens beaucoup de
points communs avec elles. Je sens qu'elles ont vécu ce que j'ai vécu. Dans presque tous ses romans,
Amélie parle d'une passion féminine. Je me reconnais dans sa manière d'aborder le sujet.
Les deux femmes ont une manière parfois inattendue de manifester leur reconnaissance à leur écrivain
préféré.
Ainsi, dans un éditorial du bulletin de son association, Michelle Levy salue l'arrivée dans la vie de
Houellebecq d'un « compagnon chien » prénommé Clément. « Un welsh corgi pembroke », précise-t-elle,
avant de conclure :
- C'est une source de bonheur apaisant et rassurant de les voir ensemble, totalement complices.
Ouaf ouaf !
Dans la chambre de bonne de Caroline Met, une flûte à champagne trône sur l'étagère de la bibliothèque
comme une relique.
- C'est le verre dans lequel Amélie a bu après une séance de dédicace où j'étais présente. Je le garde
comme le souvenir heureux d'un moment où nous étions toutes les deux.
Ni mug ni flûte à champagne pour les fans de Werber.
Fan de Johnny, dingue d'Amélie...
- Mes correspondants me signalent les coquilles dans mes livres, me font part de découvertes, me
conseillent des lectures. L'un d'eux s'est même amusé à décrypter la signification symbolique des chiffres
que j'utilise dans mes romans.
Avec l'auteur des Fourmis, on échange un savoir avant d'entrer, si affinités, dans son intimité.
- J'ai rencontré Bernard pour les besoins d'une nouvelle émission sur laquelle je travaillais, se souvient
Pascal Le Guern, journaliste à France Info. Nous en sommes venus à parler de ma passion pour la magie.
Il m'a posé des tas de questions. Comme j'avais le projet d'écrire un polar, je lui ai, à mon tour,
demandé des conseils. C'est ainsi que je suis devenu son professeur de magie et lui mon éditeur
personnel en quelque sorte.
Hier, les fans rêvaient de subtiliser la chemise de Johnny Hallyday à la fin d'un concert. Aujourd'hui, ils
veulent devenir l'ami de Bernard Werber, le correspondant d'Amélie Nothomb ou le conseiller de
Houellebecq. A chaque époque ses idoles. En février prochain, l'écrivain Yann Moix sortira sur les écrans
l'adaptation de son roman Podium, plongée drolatique dans la vie d'un fan de Claude François. Avec ceux
de Nothomb, Houellebecq et consorts, il a déjà un sujet pour son prochain livre.

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