IV Développements internes aux entreprises et leur

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IV Développements internes aux entreprises et leur
IV
Développements internes aux entreprises et leur interaction et
concurrence locale et régionale
Le chapitre IV traite, principalement, des questions de la formation professionnelle et
de la formation continue au sein de l’entreprise, des méthodes qui y sont employées et
des compétences et aptitudes visées à cet égard. Trois contributions ont été consacrées à
ce thème. La première contribution traite, sur la base d'études de quelques cas
particuliers, des évolutions les plus récentes, dans des grandes entreprises européennes, et
tente d'établir une classification des approches sélectionnées et des profils de
compétences recherchés. La contribution met l'accent sur le fait que la réorganisation en
cours de la production et des services s'accompagne de formations professionnelles et
continues au sein de l'entreprise, en vue d'une meilleure utilisation du potentiel des
travailleurs et de leur intégration plus importante dans le processus de changement de
l'organisation du travail. La seconde contribution examine les capacités concurrentielles
de petites et moyennes entreprises et l'engagement dans la formation continue de leurs
ouvriers et de leurs cadres. Les capacités de survie des PME doivent être renforcées
notamment par le biais de la formation professionnelle et de la formation continue des
cadres et des entrepreneurs eux-mêmes. Vu les charges qui pèsent sur les PME, il faudrait
emprunter des voies nouvelles et accorder aux PME, entre autres, un soutien, une
information, des conseils et une formation continue extérieurs à l'entreprise. La troisième
contribution traite de questions similaires en rapport à des approches et des expériences
pratiques. L'auteur démontre qu'on peut lancer une dynamique créatrice d'emploi et
renforcer la capacité concurrentielle des entreprises et de la région, ou du secteur, en
mettant en place une liaison plus étroite entre les efforts des collectivités publiques d'un
secteur ou d'une région, d'une part, et des entreprises locales, d'autre part. À cet égard,
l'éducation et la formation professionnelle continue, dans les écoles professionnelles,
techniques et supérieures, aura un rôle déterminant à jouer.
Barry Nyhan cible son exposé sur l'évolution des compétences qui constitue l'un des
facteurs stratégiques pour la capacité de survie et la capacité concurrentielle des
entreprises. Néanmoins, les questions sur la nature des compétences, sur la manière
grâce à laquelle les entreprises peuvent devenir une organisation d'apprentissage et sur la
façon d'instaurer un climat adéquat ont été abondamment discutées sans qu'on arrive à un
accord à ce sujet. À partir d'exemples tirés d'entreprises européennes, l'auteur propose
une taxonomie des méthodes et des compétences, pour les différents contextes
d'enseignement et d'apprentissage, discute des conditions préalables et encourage des
efforts au niveau de l'entreprise et au-delà de cette dernière afin de renforcer le lien entre
l'apprentissage et l'enseignement informels, sur le lieu de travail, et formels, dans les
écoles. Des entreprises “visionnaires” ont commencé et ont accompli des efforts
importants; d'autres, par contre, n'ont pas encore dépassé le stade des réflexions
générales.
Il faut d'abord expliquer une série de principes généralement applicables, qui doivent
accompagner les processus constants de transformation et d'adaptation, et leur
dynamique. Parmi ces principes, on trouve, entre autres, une gestion prévoyante et un
soutien de la part de la direction de l'entreprise, le fait d'être prêts à prendre des risques et
à faire confiance aux compétences des travailleurs, une conception globale du processus
de changement lui-même, ... Les profils de compétences nécessaires peuvent être rangés
dans quatre catégories: les compétences cognitives, techniques, sociales et économiques.
Le but doit être de comprendre et de maîtriser la complexité globale des rapports qui
résultent des quatre catégories de compétences. Cela n'incombe plus uniquement au
management, mais à tous les employés et ouvriers de l'entreprise.
John Konrad souligne le fait que le problème le plus urgent, en rapport avec les
petites et moyennes entreprises et la création d'entreprises, est le renforcement de
leur capacité de survie. Selon l’auteur, un grand nombre de nouvelles entreprises ne
survit pas aux difficultés de la période initiale. À cet égard, il faut améliorer l'accès à une
formation professionnelle efficace qui réponde aux besoins à court et à long termes de ce
genre d'entreprises. Cela aurait pour conséquence d'augmenter l'emploi, de soutenir un
développement économique flexible, décentralisé et adaptable et de promouvoir
l'intégration sociale. L'auteur plaide en faveur d'efforts plus importants de la part de la
recherche, afin de déterminer les mécanismes de soutien nécessaires, au niveau local et
régional, en faveur d'une reconnaissance dans toute l'Europe des formations
professionnelles effectuées, d'un engagement plus important de l'Union européenne dans
le domaine de la promotion de structures et d'actions locales, également, et, précisément,
au regard de la transposition de l'Agenda 2000 sous l'angle de l'élargissement de l'UE
vers les pays de l'Est. Il faut développer et promouvoir de nouveaux concepts, actions et
pratiques grâce à une collaboration plus étroite avec la recherche.
Dans sa contribution, Loek Nieuwenhuis se concentre sur le rôle de la formation
professionnelle et de la formation continue pour le soutien d'innovations dans les petites
et moyennes entreprises au cours de l'évolution régionale et sectorielle. L'auteur estime
qu'il est de plus en plus important de créer des réseaux locaux, entre les industries sur
place, et de les mettre en relation avec les écoles et les centres de formation
professionnelle de la région pour activer la dynamique. Des activités communes
d'apprentissage et d'enseignement ainsi qu'une interaction constante entre les écoles et les
entreprises remplaceront la formation professionnelle initiale et continue traditionnelle,
même si, à l'heure actuelle, les contributions des écoles au processus d'innovation en
cours restent encore marginales. Pour être en mesure de remplir ce rôle, les écoles ellesmêmes devraient être reliées en réseaux et devenir des “organisations d'apprentissage”.
Sur la base de quelques exemples concrets des Pays-Bas, l'auteur démontre qu'une telle
mise en réseau et une dynamique de ce genre sont susceptibles de contribuer, pour une
large part, tant aux développements locaux et régionaux qu'au renouvellement de secteurs
économiques entiers.
A.
Tendances du développement des compétences dans les entreprises
européennes1
Barry Nyhan2
Résumé
Le développement des compétences est l'un des facteurs stratégiques essentiels qui
assurent la survie et la compétitivité des entreprises. Cette question a soulevé de
nombreuses discussions, d'abord sur la nature des compétences requises, ensuite sur la
manière pour les entreprises de créer, en leur sein, un environnement d'apprentissage
organisationnel adapté au développement de ces compétences.
Le présent document étudie les expériences de plusieurs entreprises européennes qui, à
première vue, semblent partager des opinions similaires sur les catégories de
compétences requises et paraissent appliquer les mêmes types de stratégies novatrices sur
le développement des compétences et l'organisation de l'apprentissage pour favoriser ces
compétences. Toutefois, quand on approfondit l'analyse, on s'aperçoit que ces sociétés
ont des visions différentes de la place du développement des compétences dans la
hiérarchie des valeurs de l'entreprise. Trois stratégies distinctes sont ainsi mises en
évidence: une stratégie visionnaire - fondée sur les valeurs -, une stratégie centrée sur le
changement structurel/organisationnel et une stratégie orientée vers la résolution des
problèmes.
Les entreprises visionnaires - celles que l'on peut considérer comme étant allées plus loin
dans la mise en œuvre de stratégies d'organisation de l'apprentissage - et, dans une
moindre mesure, les autres entreprises possèdent cinq caractéristiques essentielles:
- un leadership visionnaire dynamique et un soutien de la direction générale;
1
2
Les idées exposées dans le présent document n'engagent que leur auteur et n'expriment en aucun cas les
politiques officielles ou les opinions de la Commission européenne.
Commission européenne, DG XXII - Éducation, formation et jeunesse.
- la prise du risque de miser sur les compétences du capital humain;
- l'existence d'un cadre général pour le processus du changement;
- la création d'une vision partagée sur la mise en œuvre d'un programme de changement
de la structure hiérarchique;
- l'engagement dans l'élaboration et le développement d'un programme pratique.
Les profils de compétences sont orientés selon quatre axes: les compétences cognitives,
techniques, sociales (organisationnelles) et entrepreneuriales (aptitude aux affaires).
L'aptitude à comprendre et à gérer la complexité sociale/organisationnelle et
technologique est une caractéristique dominante des compétences générales exigées des
employés dans les entreprises étudiées. Le type de personne recherchée est capable
d'établir, à tout moment, la relation entre les tâches spécifiques qu'elle effectue avec
l'ensemble des tâches exécutées par d'autres membres de l'entreprise. Par conséquent, elle
doit être capable d'appréhender globalement l'organisation, tout en se sentant reliée aux
différentes parties du système. Ces attributs sont traditionnellement réservés à la direction
de l'entreprise.
D'une manière générale, la plupart des entreprises étudiées a tendance à privilégier
“l'apprentissage informel” plutôt que la formation formelle. On entend par “apprentissage
informel” les effets de l'apprentissage sur le mode d'organisation du travail. La formation
formelle a joué un rôle important, notamment pour répondre aux besoins individuels de
développement des compétences techniques.
Mots clés
Développement des compétences; entreprises européennes; profils de compétences;
organisation de l'apprentissage; apprentissage informel; changement organisationnel;
processus de changement.
1
Relations entre les stratégies technologiques, organisationnelles et de
développement des compétences dans les entreprises modernes
Au cours des dix ou quinze dernières années, les entreprises européennes ont été
confrontées aux mêmes défis que d'autres entreprises du monde industrialisé. Pour être
plus précis, elles ont dû faire face à deux évolutions majeures de l'environnement
mondial de l'industrie et du commerce.
Le premier défi est la saturation de la demande en biens standard produits en série pour
le consommateur. Les marchés originairement de vendeurs sont devenus des marchés
d'acheteurs tournés non plus vers la concurrence des prix, mais vers la flexibilité, la
qualité et la rapidité des délais de livraison - en d'autres termes, vers la satisfaction des
besoins individuels du client.
Le second défi est l'apparition de technologies de la microélectronique efficaces et à des
prix raisonnables, considérées comme potentiellement aptes à automatiser de multiples
aspects des systèmes de production. (Nashold, 1993)
Les chefs d'entreprise, formés à l'école classique du management scientifique fondée sur
le taylorisme, ont pressenti que les nouvelles technologies pouvaient leur offrir la
possibilité d'automatiser leurs systèmes de production de façon à pouvoir assurer la
fabrication individualisée des produits tout en limitant l’intervention humaine. À cet
égard, il convient de se rappeler que le paradigme technique “rationnel-analytique”
prédominait derrière le concept de management scientifique, selon lequel il existe “une
meilleure méthode” d'organiser le travail. Selon cette approche, les dirigeants déterminent
cette méthode, avec l’aide d’experts, et les employés “non experts” suivent leurs
instructions à la lettre. L’apparition des technologies de l’information, dans les années 80,
a conforté cette approche en introduisant l’idée d’une usine où les hommes pourraient
être remplacés par des robots pour exécuter les opérations de fabrication, tandis que le
contrôle des tâches administratives serait centralisé par la direction.
Toutefois, de nombreux chercheurs européens sont parvenus à la conclusion que les
technologies de l’information ne pouvaient pas être mises en œuvre de manière efficace
si on ne se préoccupait pas de la question de la responsabilité, de l’initiative et des
compétences humaines (Docherty, 1991; Rauner et Ruth, 1989; Corbett, Rasmussen et
Rauner, 1991). Le succès du modèle japonais de l’organisation du travail - le “toyotisme”
-, qui respecte les dimensions humaines (“synthético-intuitives”) et techniques
(“analytico-rationnelles”), a eu un impact très important sur la réflexion des entreprises
européennes, comme dans le reste du monde industriel.
1.1
Remise en cause du modèle “rationnel - technologique” du lieu de travail
Aujourd’hui, donc, de nombreuses entreprises ont adopté des systèmes de management et
d’organisation qui diffèrent radicalement des modèles de contrôle centralisé selon une
hiérarchie descendante. Aujourd'hui, la “meilleure approche” et la “grande théorie
conceptuelle” sont perçues comme non valables, en raison de la trop grande complexité
du champ d’action de l’environnement. Les décisions uniques doivent être compatibles
avec les besoins spécifiques du client. Des études réalisées dans le secteur automobile,
notamment, ont montré que la réussite d’une entreprise repose sur la nature des
interactions dynamiques entre la technologie, l’organisation sociale du travail et les
compétences humaines.
L’évolution du marché, de la production en série vers un marché personnalisé fondé sur
la qualité, les prix et les délais de livraison, contraint les entreprises à abandonner le type
de management centralisé, autocratique, fondé sur le commandement et les pratiques de
contrôle pour adopter des types de management qui accordent aux employés une plus
grande autonomie dans leur travail.
À ce sujet, Handy (1994) a réalisé une analyse historique intéressante:
“Depuis longtemps maintenant, les dirigeants des grandes entreprises affirment que leur
véritable actif est le capital humain, mais peu d’entre eux le croient réellement et aucun
n’est allé jusqu'à l’inscrire au bas du bilan. Cela peut changer. Peter Drucker souligne que
les ‘moyens de production’, fondement traditionnel du capitalisme, sont désormais
détenus, en réalité, par les travailleurs puisqu’ils se situent dans leurs cerveaux et dans
leurs mains. Le rêve de Marx est ainsi réalisé, mais d’une manière qu’il n’aurait jamais
pu imaginer. L’intelligence ciblée, l’aptitude à acquérir et à utiliser ses connaissances et
son savoir-faire, telles sont les nouvelles sources de richesse.”
En vertu de ce qui précède, on observe un changement dans les fonctions des travailleurs
dans un nombre croissant d’entreprises.
1.1.1
Remise en cause de la division hiérarchique du travail
Cette remise en cause se traduit par le transfert de certaines fonctions traditionnelles de
contrôle et de management aux ouvriers, qui sont les véritables producteurs des biens.
Conformément à ces principes, comme par exemple la “production en flux tendu”, “le
nombre maximum de tâches et de responsabilités est transféré aux ouvriers qui ajoutent
réellement une valeur au produit fabriqué” (Womack et al., 1990). Ce principe implique
l’intégration de nombreuses tâches traditionnelles de supervision directe, d’autres tâches
indirectes, comme la planification de la production et le contrôle du processus,
auparavant confiées à l'encadrement intermédiaire spécialisé qui les réalisait avec l’aide
d’ouvriers ou d’équipes d’ouvriers affectés à la production.
1.1.2
Intégration des fonctions de travail au niveau transversal
Cette intégration implique que l'on confie au personnel chargé de la production la
responsabilité de certaines tâches, comme le contrôle-qualité et la maintenance des
machines, traditionnellement dévolues au personnel d’entretien spécialisé rattaché à des
services indépendants d’assistance à la production. Dans de nombreux cas et, notamment,
dans le contexte du travail en équipe, les ouvriers sont également supposés posséder un
éventail de compétences, être “polyvalents” ou se remplacer mutuellement.
1.1.3
Le travail en équipe apparaît comme la forme de structure organisationnelle la
plus courante permettant de réaliser l’intégration hiérarchique et transversale
Les équipes peuvent être chargées de la réalisation de tous les aspects d’un travail.
Chaque équipe, parfois appelée “îlot de production”, peut être amenée à exécuter toutes
les opérations qui lui sont confiées avec une autonomie plus ou moins grande dans la
gestion et le contrôle.
Ces évolutions, qui correspondent à ce que certains chercheurs appellent la
“spécialisation flexible”, ont une incidence sur les tendances de la production en Europe.
Les unités de production, les îlots, qui utilisent des technologies programmables et sont
constituées d’un personnel qualifié soutenu par un type de management fondé sur le
savoir, sont capables de s’adapter aux mutations rapides du marché et de livrer des
produits spécialisés à forte valeur ajoutée. (Wobbe, 1992, p.143)
La coordination globale des efforts accomplis par les différentes équipes ou unités est
assurée par un éventail de moyens, comme l’utilisation d’approches de management du
type matrices, des groupes de projet entre équipes, ou à l’échelle de l’entreprise, et,
souvent, le recours aux réseaux et aux systèmes d’information et de communication
faisant appel aux nouvelles technologies.
Le tableau ci-après établit une comparaison entre les modèles de travail traditionnels et
émergents, en liaison, plus particulièrement, avec les questions d’organisation du travail.
ORGANISATIONS
ORGANISATIONS
TRADITIONNELLES
NOUVELLES
Produit standard
Diversité des produits
Chaîne de montage
Production modulaire
Mécanisation fonctionnalisée
Mécanisation flexible
Ouvriers non qualifiés
Ouvriers qualifiés
Faible motivation dans le travail
(indifférence)
Forte motivation dans le travail
(identification)
Relations de travail conflictuelles
Relations de travail fondées sur
la coopération
Management hiérarchique
Management participatif
Division hiérarchique du travail (séparation
entre planification et mise en œuvre)
Intégration hiérarchique du travail
(enrichissement)
Contrôle “externe”
Autoréglementation interne
Division transversale du travail
Intégration transversale du
(décomposition extrême des tâches)
travail (“élargissement”)
Travailleurs liés à leur poste
Rotation
Machine cadencée
Indépendante de la chaîne de
montage
Délais standard
Délais “souverains”
Travail individuel
Travail en groupe
Source: Jürgens et al., 1989, p. 4 (cf. Naschold, F. in Thurman, J. et al., 1993, p. 212,
adapté par l’auteur)
1.2
Nouveaux rôles et compétences pour les ouvriers à la chaîne
L’entreprise décentralisée qui fonctionne sur la base d’une délégation des responsabilités
aux équipes et aux individus du niveau opérationnel (“en première ligne”) doit repenser
le rôle et les compétences de son personnel. Les opérationnels deviennent des acteurs
principaux de l’entreprise, exerçant des fonctions de planification, d’exécution et de
contrôle.
À cet égard, ils doivent posséder des “compétences clés” comme “l’aptitude à prendre
des initiatives”, “l’aptitude au raisonnement abstrait”, “le travail en équipe”, “l’aptitude à
apprendre” (compétence d’autoapprentissage), etc. Les individus dotés de ces
“compétences clés” sont capables de s'adapter aux changements industriels et
technologiques. Ils peuvent “s’autogérer” dans le contexte de mutations économiques et
sociales. Ils sont capables d’apprendre à utiliser les nouvelles technologies au fur et à
mesure de leur apparition.
Ebel (1989) propose une description de ce type de connaissances requises pour les
personnes qui travaillent sur des systèmes de fabrication intégrée par ordinateur (FIO):
“la FIO exige des individus qu'ils comprennent les méthodes et le système de production
et qu'ils soient capables de gérer une grande quantité d’informations techniques, de
prendre des décisions immédiates, d’interpréter rapidement les anomalies de
fonctionnement et d’y remédier. Le jugement fondé sur les connaissances techniques et
l’expérience, la compréhension du système et le bon sens sont des qualités humaines dont
sont dépourvus les ordinateurs et l’intelligence artificielle, même dans un avenir
prévisible. Dans les systèmes FIO, les machines et les ordinateurs peuvent certes
accomplir la plupart des tâches courantes et matérielles, mais ne peuvent se substituer aux
personnes impliquées pour réfléchir, prendre les décisions importantes et assumer les
responsabilités.” (Ebel, 1989, p. 543)
Ce type de savoir peut être défini comme “la compréhension de vos actes lorsque vous
êtes confronté à des situations concrètes, dans un système vivant, composé d’éléments
interdépendants, à caractère industriel et commercial, social et technologique.”
Ce savoir peut être appelé “holistique” ou “savoir intégré”, car il engobe à la fois les
connaissances “formelles” et “pratiques”.
Les connaissances formelles sont:
- les connaissances théoriques;
- la compréhension des principes généraux;
- la compréhension des principes et des processus technologiques;
- l'analyse objective;
- le raisonnement logique;
- le raisonnement abstrait.
Les connaissances pratiques sont:
- exprimer un jugement sur une situation concrète;
- faire face à la situation;
- savoir quel rôle assumer;
- comprendre le contexte social;
- prendre des décisions techniques;
- apprendre par l’action;
- avoir des connaissances institutionnelles;
- posséder un savoir-faire fondé sur l’expérience.
Cette division des connaissances correspond à celle soulignée par Goranzon et Josefson
(1988). D’après ces auteurs, les connaissances professionnelles sont réparties en trois
catégories: “les connaissances prépositionnelles (similaires aux connaissances formelles),
les connaissances pratiques et les connaissances de familiarisation” (acquises par l’étude
des expériences d’autrui).
Dans la classification précédente, les connaissances de familiarisation figurent dans les
connaissances pratiques sous le motif que ces dernières s’acquièrent aussi bien par les
expériences personnelles que par les expériences d’autrui. George Bernard Shaw,
dramaturge irlandais, affirmait que: “The fool is someone who learns through his own
mistakes, while the wise man learns through the mistakes of others” (Le sot apprend par
ses propres erreurs, tandis que le sage apprend par les erreurs d’autrui).
1.2.1
Efficacité personnelle
Le profil de l’employé moderne est défini comme “efficacité personnelle”. Les personnes
qui sont personnellement efficaces dans leur vie professionnelle sont capables de
s’organiser pour accomplir n’importe quelle tâche qui leur est confiée. Ils regroupent
l’ensemble de leurs compétences et de leurs ressources pour répondre à une situation
spécifique. L’efficacité personnelle fait référence à “ l’attitude ”, la force interne qui
anime l’individu.
L’action menée par un individu “personnellement efficace” se caractérise par “le sens de
l’initiative” et “le sens des responsabilités”.
“L’initiative” est l’apanage d’une personne entreprenante ou audacieuse. Néanmoins,
l’initiative seule ne suffit pas. Elle doit être contrebalancée par la “responsabilité”. Cela
signifie qu’une personne entreprenante ne se limite pas à agir seule, mais qu’elle doit
faire le bon choix dans la mise en œuvre de ses actions en tenant compte des actions
d’autrui. “L’initiative” incite une personne à agir individuellement, alors que la
“responsabilité” la relie aux autres, au groupe et à l’organisation. (AnCO, 1984). Drucker
(1992) prévoit un revirement des organisations modernes, qui ne considéreraient plus le
“pouvoir”, mais la “responsabilité” comme la variable la plus importante.
1.2.2
Gérer son rôle
Ce concept, mis au point par Reed (1985), est utile pour comprendre la situation à
laquelle sont confrontés les travailleurs modernes. Reeds souligne que les sociologues
utilisent habituellement le terme “rôle” pour décrire le comportement attendu d’un
individu. Il fait ainsi référence au rôle “sociologique” - rôle attribué à quelqu’un par
l’intermédiaire d’une description de poste, d’un titre de fonction, etc. C’est la dimension
objective du rôle. Sa contrepartie - l’aspect subjectif du rôle - “la manière de se
comporter dans la pratique”, est déterminée par le propre jugement d’un individu dans
une situation particulière. Il s’agit du “rôle psychologique” que l’individu doit “gérer” à
l’aide de son système de contrôle interne. Les circonstances changeant constamment, ce
rôle n’est jamais statique. On peut établir une analogie avec le skipper qui, pour suivre un
cap déterminé, doit constamment ajuster son gouvernail pour profiter des vents
dominants.
1.3
Le développement des compétences devient une question stratégique pour le
management - Organisation de l’apprentissage
Les entreprises modernes considérant désormais que l’acquisition de compétences
supérieures par leur personnel est un élément clé de la flexibilité et de l’avantage sur la
concurrence, le développement des compétences est en passe de devenir une question
stratégique pour le management. Quinn (1991) et Prahalad (1990), qui ont émis l’idée
d’une “stratégie fondée sur les compétences/les capacités”, soutiennent que la stratégie de
l’entreprise devrait s’appuyer sur les compétences difficiles à imiter par leurs
concurrents. Prahalad (1993) emploie l’expression “compétences clés” dans un autre sens
que celui utilisé précédemment, pour désigner “l’apprentissage collectif” d’une
organisation, et plus particulièrement l’aptitude à coordonner et à intégrer différentes
compétences et technologies.
On peut considérer que les entreprises qui tentent de mettre en œuvre cette stratégie
centrée sur les compétences aspirent à adopter les caractéristiques propres à ce que
d'autres auteurs appellent une organisation de l'apprentissage.
Il existe de nombreuses définitions de l'organisation de l'apprentissage. Certaines insistent
sur la notion de l'organisation considérée comme entité cybernétique (organe constitué)
qui fonde son apprentissage sur l'expérience, par la codification des intuitions perçues,
pour les transformer en programmes de routine spécifiques à l'entreprise. D'autres
auteurs, spécialistes de ce domaine, mettant en évidence les échecs de nombreux concepts
d'organisation de l'apprentissage dans leur tentative de combler le fossé entre la théorie et
la pratique, préfèrent insister sur le développement des aptitudes individuelles à
l'apprentissage en fonction des objectifs spécifiques de l'entreprise et des processus de
changement qui, à leur tour, influent sur l'organisation dans son ensemble. (cf. le débat
présenté par Garvin, 1993; Jones et Hendry, 1992)
Le modèle d'organisation de l'apprentissage, présenté par Stahl, Nyhan et D'Aloja (1993),
est essentiellement centré sur l'apprentissage par l'ensemble du personnel d'une
entreprise, dans un contexte organisationnel systémique ou global. L'efficacité de
l'organisation et l'apprentissage individuel sont considérés comme des facteurs
indépendants. L'efficacité de l'organisation donne un élan à l'apprentissage individuel, ce
dernier contribuant, à son tour, à améliorer l'efficacité de l'organisation.
Suivant ce modèle, une organisation de l'apprentissage peut être décrite comme une
entreprise qui implique tous ses membres dans l'amélioration de l'efficacité de
l'organisation et de l'individu, par une réflexion continue sur la manière dont les tâches
stratégiques et quotidiennes sont gérées.
Dans cette description, le terme “réflexion” renvoie à la “pensée” et à “la mise en œuvre
de nouvelles actions” destinées à améliorer les processus opérationnels stratégiques et les
produits.
Si ce modèle est mis en place dans un contexte idéal, les employés occupant des postes
fonctionnels apprennent en accomplissant les tâches stimulantes qui leur sont confiées et
en étant incités à réfléchir constamment sur ces tâches, afin d'en tirer des leçons. Le
contenu du travail devient alors contenu d'apprentissage, travail et apprentissage étant
intégrés dans une spirale d'amélioration continue qui influe sur le niveau de compétences
des individus, sur l'apprentissage de groupes de travail et sur l'ensemble de l'organisation.
Deux éléments clés probants montrent qu'une entreprise entre dans le cadre décrit cidessus:
a) les ouvriers de la chaîne de production jouissent d'un niveau élevé d'autonomie et de
contrôle sur l'exécution de leurs tâches;
b) on les aide à utiliser ces tâches comme opportunités d'apprentissage continu et de
développement constant des compétences.
La manière dont le travail est organisé garantit que tous les individus approfondissent
l'apprentissage de leur rôle et de leurs responsabilités et apprennent à restituer ceux-ci par
rapport à d'autres rôles dans l'ensemble du système.
Le fait que des changements réels se mettent en place “au bas de l'échelle” est le signe
que l'ensemble de l'organisation a changé. La philosophie du management intégrant
travail et apprentissage s'est immiscée dans l'ensemble de l'organisation. La vision du
management est devenue “une vision en action”. De nombreuses entreprises qui satisfont
aux critères ci-dessus, en adoptant des stratégies radicales de développement des
compétences, ne se sont pas encore fixées comme objectif de devenir des organisations
d'apprentissage. Elles ignorent peut-être même cette expression. Elles sont pourtant
devenues des organisations d'apprentissage, même si elles ne se désignent pas par ces
termes.
Si l’on veut prouver que l’intégration véritable de la vision d’organisation
d’apprentissage dans l’entreprise repose sur le changement de comportement de
l'ensemble du personnel, il faut établir un lien avec le rôle essentiel du management. En
réalité, le management est l’instigateur de l’ensemble du processus de changement. Sans
la compréhension, le leadership et le soutien constant de la direction générale, toute
tentative d’élargir le rôle des employés et de leur proposer un apprentissage “sur le tas”
est voué à l’échec.
Le management développe un système qui soutient et assure
l'efficacité des performances et de l'apprentissage.
EMPLOYÉS
jouissant d’un niveau de
contrôle
Les tâches
élevé sur
de travail
sont
utilisées comme
oppurtunités
d’APPRENTISSAGE
Tout changement durable portant sur les “parties” de l’organisation ont été replacés dans
le contexte de “du système dans sa globalité”. La principale responsabilité de la direction
est de garantir que l’organisation dans son ensemble est efficace, à la fois dans son
fonctionnement interne et dans ses interactions avec l’environnement extérieur, pour
répondre aux besoins du client et pour surveiller les facteurs positifs et négatifs qui
interviennent.
Cela signifie que la direction doit “penser en termes de systèmes” et favoriser l’approche
et la compréhension de l’entreprise en termes d’interrelations causales plutôt qu’en
termes de chaînes linéaires causes-effets, et en termes de processus complexes, plutôt
qu’en termes de fonctions statiques. (Senge, 1990)
2
Mise à l’épreuve de la théorie - Expériences des entreprises européennes
À quoi ressembleraient des entreprises qui mettraient en œuvre des stratégies radicales de
développement des compétences, en suivant les principes de l’organisation de
l’apprentissage, par exemple, ou qui prendraient des mesures en ce sens? Comment
conceptualiseraient-elles et formuleraient-elles ces stratégies? Quelles seraient les étapes
de ce développement? De quelle nature seraient les compétences cultivées par le
personnel? Quels types d’approche de l’apprentissage ces organisations adopteraientelles?
Un projet de recherche3 se propose de répondre à toutes ces questions sur les entreprises
européennes de fabrication et de transformation. Par l’intermédiaire des réseaux
européens de recherche et de formation, plusieurs entreprises appliquant des politiques de
développement des compétences et de développement des ressources humaines ont pu
être identifiées.
Les auteurs provenant de divers horizons - chercheurs, chefs d’entreprise, consultants en
formation et en développement - ont produit des études de cas, comparant les expériences
des entreprises en se référant à un cadre commun. Trois séminaires ont été organisés pour
analyser et débattre de ces études de cas. Parmi les onze cas étudiés, cinq concernaient
des grandes et moyennes entreprises de fabrication et de production en série dans la
mécanique et six portaient sur des industries lourdes et légères de transformation.
Ces cas ont été relevés dans cinq pays européens: la Belgique, la France (3), l’Allemagne
(2), l’Irlande, les Pays-Bas, la Suède (2) et le Royaume-Uni.
Ils ont permis d’étudier des expériences réalisées dans les entreprises suivantes:
1
Clark Hurth, filiale belge d’une entreprise américaine qui fabrique de grosses
unités de transmission;
2
Aluminium Dunkerque, nouvelle usine française d’aluminium appartenant au
groupe Pechiney;
3
Autoplastique, pseudonyme d’une entreprise française qui fabrique des éléments
en plastique pour l’industrie automobile;
4
Manducher, société française avancée qui fournit des plastiques à l’industrie
automobile;
5
3
Audi/VW, constructeur automobile allemand renommé;
Les résultats de ce projet sont décrits dans: Docherty P. et Nyhan B., Editors, Human Competence and Business
Development - Emerging Patterns in European Companies, Londres, Springer Verlag, 1997. Le présent document
s’appuie sur les résultats fournis dans cet ouvrage et sur un autre document intitulé “Learning and the Workplace:
Perspectives on Competence Development in European Companies”, présenté par l’auteur lors d’une conférence sur les
“Compétences globales - Résultats sur le lieu de travail ” donnée au Darling Harbour Convention Centre, Sydney,
Australie, 1995.
6
Felten & Guilleaume, société d’ingénierie électrique implantée à Brême;
7
Bord na Mona - producteur de tourbe situé Irlande;
8
Sara Lee, filiale hollandaise d’une entreprise américaine de produits de
consommation;
9
B&T (Byggtransportekonomi), entreprise suédoise de construction mécanique;
10
Volvo Auto (Uddevala), usine suédoise de construction d’automobiles qui a
beaucoup fait parler d’elle;
11
Cadbury, fabrique anglaise de chocolat.
2.1
Cadre commun de l’analyse
Les onze entreprises ont été étudiées par référence à un cadre commun décrivant les
différents niveaux de progression vers l’adoption de stratégies fondées sur les
compétences.
Niveau 3
Vision
Niveau 2
Modèle
d’organisation
Niveau 1
Processus de
résolution des problèmes
COMPÉTENCES
COMPETENC
E
Niveau 1 - Perspective de résolution des problèmes
Dans cette perspective, le développement des compétences est considéré comme un
moyen d’introduire dans l’entreprise de nouveaux processus de résolution des problèmes
pour répondre aux besoins existants. Il peut s’agir d’introduire de nouveaux outils, des
équipements ou des systèmes. Ce niveau ne comprend ni l’évaluation radicale ni la
révision complète des stratégies et des modèles existants en matière de gestion et
d’organisation. L’impact du développement des compétences est essentiellement limité
au niveau des ateliers.
Niveau 2 - Perspective des modèles d’organisation
Ce niveau implique l’adoption de modèles d’organisation ou de stratégies de
management radicaux comme le management de la qualité totale (TQM) ou les systèmes
de fabrication à l'échelle mondiale (World-Class Manufacturing Systems) qui exigent un
développement des compétences dans l’ensemble de l’organisation, impliquant tous les
niveaux de la hiérarchie. La caractéristique essentielle de ce changement est l’adoption
d’un modèle d’organisation externe.
Niveau 3 - La perspective visionnaire
Cette perspective implique un changement radical des valeurs de l’entreprise quant aux
rôles et aux responsabilités de tous ses membres dans la réalisation des objectifs de
l’entreprise. La mise en œuvre de la nouvelle vision de l’entreprise s’appuie sur les
compétences du personnel. La direction de l’entreprise joue un rôle clé dans la
coordination et l’adhésion de tous les membres de l’entreprise à cette nouvelle vision.
2.2
Niveaux atteints par les onze entreprises étudiées
Niveau 1
Trois entreprises, parmi les onze, Autoplastique, B&T et Clark Hurth, donnent l’exemple
de sociétés qui ont intégré des innovations dans leurs structures existantes pour faire face
aux problèmes rencontrés, sans pour cela procéder à une transformation radicale de leur
structure ou de leur gestion.
Ces entreprises ont adopté une approche de “développement maîtrisé des compétences”
dans des structures de contrôle de gestion plus ou moins classiques.
Niveau 2
Trois autres cas, Audi/Volkswagen, Cadbury et Felten & Guilleaume, illustrent
l’importation réussie d’un modèle de management ou d’organisation “à la pointe”,
induisant une transformation de la société essentiellement centrée sur le développement
des compétences.
Le changement réalisé s’est appuyé sur l’adoption réussie d’un modèle externe distinct
d’un modèle qui aurait été impulsé par une innovation interne inspirée par l’entreprise.
C’est pourquoi ces entreprises sont désignées comme des “innovateurs de deuxième
classe”, car leur processus de changement s’appuie sur la mise en place de système et de
structures de management et d’apprentissage “de meilleure pratique” existants. Par
conséquent, dans ces entreprises, le changement se situe essentiellement au niveau
structurel.
Niveau 3
On peut considérer que cinq entreprises ont adopté des politiques commerciales radicales
fondées sur un développement maximum des compétences de leur personnel opérationnel
(“en première ligne”). Ces entreprises ont adopté des stratégies qui consacrent le
développement des compétences comme valeur clé.
Dans ces entreprises, le processus de changement a été déclenché par une vision interne
de l’entreprise, qui a donné lieu à l’adoption et à l’application de “valeurs fondées sur les
compétences”. Ces entreprises, qui peuvent être désignées comme “innovateurs de
première classe” dans le processus de changement, sont Aluminium Dunkerque, Bord na
Mona, Manducher, Sara Lee et Volvo.
2.3
La nature des changements et la forme des processus de développement
2.3.1
Entreprises visionnaires
Les trois entreprises Aluminium Dunkerque, Manducher et Volvo ont un point commun:
le processus de changement a été déclenché par une nouvelle vision sur le rôle essentiel
du personnel de production dans la réalisation des objectifs de l’entreprise. C’était l'étape
1 illustrée dans le schéma ci-dessous. Les étapes 2 et 3 procèdent de cette première étape.
Les compétences du personnel sont considérées comme la clé de la réalisation, ce qui
implique de se fier à l’esprit d’innovation de l’homme.
1
Vision
Modèle
d’organisation
2
Processus de résolution
des problèmes
3
COMPÉTENCES
COMPETENC
E
2
Aluminium Dunkerque, Manducher et Volvo
Manducher, par exemple, a réalisé son changement à partir du retour d’expérience des
employés qui se plaignaient de ne pas jouir de pouvoirs discrétionnaires.
Volvo a amorcé son processus de changement avec la vision d’une usine dans laquelle les
aptitudes professionnelles créatrices des ouvriers (planification, contrôle, “sens de la
propriété du produit”) ont été mobilisées pour apporter une contribution maximale à la
mise en place d’une production fondée sur les technologies modernes.
Aluminium Dunkerque est partie de l’hypothèse que, dans une zone en déclin, les
chômeurs pouvaient être recyclés et participer au rendement d’une usine de
transformation en y jouant un rôle essentiel.
Sara Lee se distingue des trois entreprises précédentes par le fait qu’elle s’est d’abord
intéressée aux compétences des unités d'activité (étape 1) en pensant qu’elles
permettraient à l’entreprise d’innover, de tester de nouvelles voies de réalisation, suivant
ainsi un processus d’innovation continue. C’est cette valeur fondamentale qu’elle a
adopté dans le cadre d’un exercice de clarification des valeurs. Un programme de
formation interne a été mis en œuvre (étape 2). Il accorde une place centrale aux unités,
tout en les situant dans le contexte global de l’organisation (vers le haut et l’extérieur,
tourné vers l’environnement commercial extérieur de l’entreprise), et est attaché aux rôles
des individus au sein de l’unité, sous la forme d’objectifs de performances. Ce point
renforce la vision (étape 3).
3
Vision
1
COMPÉTENCES
COMPETENC
E
Modèle
d’organisation
Processus de
résolution des problèmes
2
2
Sara Lee
L’entreprise Bord na Mona est parvenue à une position de valeurs similaires, mais sans
adopter un processus actif de clarification des valeurs. Une crise a contraint l'entreprise à
adopter des mesures radicales. Cette dernière a mis en place des équipes expérimentales
fonctionnant comme des unités autonomes (étape 1) et s’est aperçu que celles-ci
fonctionnaient effectivement. Elle a donc ratifié ce système, en faisant abstraction du
poids de l'entreprise. Ainsi, un nouveau système de valeurs a été défini et mis en place
officiellement (étape 2), mais, plus important, ce système est venu s’imbriquer dans le
système de valeurs informel partagé de l’entreprise, auquel participent la direction, les
employés et leurs représentants syndicaux.
2
Vision
COMPÉTENCES
COMPETENC
E
Modèle
d’organisation
1
Processus de
résolution des problèmes
Bord na Mona
2.3.2
Entreprises adoptant de nouveaux modèles d’organisation
Trois entreprises, Audi/VW, Felten & Guilleaume et Cadbury, sont désignées comme des
“innovateurs de deuxième classe”. Les changements réalisés dans les entreprises
Audi/VW et Felten & Guilleaume peuvent être replacés dans le contexte des nouvelles
orientations des politiques nationales qui apparaissent en Allemagne, dans le cadre d'un
programme national de recherche et de développement. Ces travaux ont donné lieu à de
nouveaux modèles d'organisation, fondés sur les principes de fabrication en “îlots de
production”, et à de nouveaux instruments d'apprentissage “sur le tas” où le
développement des compétences est défini comme une stratégie primordiale (étape 1 et
étape 2).
Audi/VW et Felten & Guilleaume peuvent donc être considérés comme une illustration de
cette nouvelle politique, soutenue par la large continuité des valeurs traditionnelles
allemandes sur le rôle central de la main d'œuvre qualifiée dans les entreprises de
fabrication. On peut dire que ces entreprises ont amorcé un virement vers l'adoption de
“nouvelles” valeurs (étape 3).
3
Vision
Modèle
d’organisation
1
Processus de
résolution des problèmes
2
COMPÉTENCES
COMPETENC
E
Audi/VW, Felten & Guilleaume et Cadbury
Cadbury illustre l'application des principes de la “maintenance de la qualité totale”
(TQM) qui s'est traduit par un besoin important en développement des compétences.
2.3.3
Entreprises axées sur la résolution des problèmes
Trois entreprises, Autoplastique, B&T et Clark Hurth, donnent un exemple de réalisation
partielle de stratégies fondées sur les compétences. Les changements radicaux, introduits
dans le processus du travail et dans les niveaux de compétence des employés (étape 1),
n'ont eu qu'un impact limité sur les structures du management et sur les valeurs de
l'entreprise (étape 2).
Vision
Modèle
d’organisation
Processus de
résolution des problèmes
COMPÉTENCES
COMPETENC
E
2
1
3
Autoplastique, B&T et Clark Hurth
B&T n'a pas réussi à faire profiter l'ensemble de l'entreprise des leçons tirées par le
groupe expérimental chargé de mettre en place un nouveau système de production
flexible (FMS - Flexible Manufacturing System). L'esprit conservateur de la direction a
freiné l'adoption des nouvelles valeurs à tous les niveaux de l'entreprise.
Dans le cas d'Autoplastique, bien que l'adoption de nouveaux outils de gestion ait permis
de mettre en place des modèles dynamiques d'apprentissage, la direction s'est révélée
incapable de changer son image de représentant d'un contrôle centralisé à caractère plutôt
autocratique. Elle a considéré les changements dans l'optique d'une mise en place de
nouvelles techniques, sans une véritable remise en cause des valeurs de l'entreprise.
L'exemple de Clark Hurth illustre un vaste processus de changement et d'apprentissage. Il
s'agit d'un processus plutôt fragmentaire et sinueux, dans lequel la direction a
progressivement accordé davantage d'autonomie aux employés, ce qui a eu pour ces
derniers d'importantes répercussions sur le développement de leurs compétences. La
précaution excessive de la direction n'a cependant pas permis d'introduire des
changements de valeurs radicaux.
2.4
Caractéristiques des stratégies fondées sur les compétences dans les entreprises
Cette partie est consacrée à l'analyse et à la discussion des caractéristiques clés qui
permettent de distinguer les entreprises orientées vers les compétences.
Les entreprises “visionnaires” et, dans une moindre mesure, les autres entreprises se
distinguent par cinq caractéristiques essentielles:
- un leadership visionnaire dynamique et un soutien de la direction générale;
- la prise du risque de miser sur les compétences du capital humain;
- l'existence d'un cadre général pour le processus de changement;
- la création d'une vision partagée sur la mise en œuvre d'un programme de changement
de la structure hiérarchique;
- l'engagement dans l'élaboration et le développement d'un programme pratique.
Ces cinq caractéristiques, qui illustrent différents aspects des valeurs fondées sur les
compétences, peuvent être considérées comme les piliers sur lesquels une entreprise
“fonde” une main d'œuvre compétente.
2.4.1
Un leadership visionnaire dynamique et un soutien de la direction générale
Ce premier point reflète dans quelle mesure le chef d'entreprise adopte les valeurs
fondées sur les compétences et est prêt à engager un processus de changement de
l'organisation pour transformer son entreprise afin qu'elle intègre ces valeurs.
Ces cinq entreprises, désignées “innovateurs de première classe”, parce qu'elles s'appuient
sur des “valeurs fondées sur les compétences” et sont encadrées par une direction
générale “inspirée” qui a adopté un nouvel état d'esprit quant au niveau de liberté et de
contrôle que doivent exercer les employés. De la même manière, dans les entreprises qui
sont restées au niveau de la résolution des problèmes, comme Autoplastique, la direction
générale a manifesté sa répugnance et sa crainte à adopter une politique impliquant
l'abandon des systèmes traditionnels de contrôle du management.
Dans le processus de changement, le moteur clé est d'abord le PDG de l'entreprise. Le
directeur du Développement des ressources humaines ne peut amorcer un véritable
changement que s'il dispose du soutien total du PDG. Le rôle important de la direction
générale (PDG et administrateurs) dans l'amorce du changement est illustré par l'exemple
d'Aluminium Dunkerque, où une nouvelle usine a été volontairement conçue, dès
l'origine, en accordant des rôles déterminants aux opérationnels de base.
Le cas de Manducher montre comment les relations de coopération étroite et de
confiance, établies entre le PDG et le directeur du personnel récemment engagé, ont
participé à l'efficacité du processus de changement. La direction générale de Sara Lee a
soutenu la nouvelle orientation de l'entreprise en favorisant le développement d'un climat
porteur, au niveau de l'encadrement intermédiaire (responsables des unités), de sorte que
ceux-ci se sentent complètement impliqués dans le processus de prise de décisions. Il
semble que, ainsi, ils aient réussi à éviter certains des problèmes que les entreprises
Aluminium Dunkerque et Felten & Guilleaume avaient rencontrés dans la définition des
rôles de l'encadrement intermédiaire vis-à-vis des opérationnels.
Dans le cas de Sara Lee, la stratégie du groupe a été centrée sur le concept du
management entrepreneurial, encourageant les directeurs à se considérer et à agir comme
les propriétaires de l'unité dont ils avaient la charge. Une image visionnaire a été utilisée
pour transmettre la nouvelle philosophie de la direction et pour inciter les employés à
adopter de nouvelles méthodes de travail. De la même manière, le nouveau processus de
production chez Volvo a été inspiré par une nouvelle vision de l'ouvrier: c'est quelqu'un
qui est capable de construire seul une automobile, sous la coordination du PDG. En
même temps, on peut conclure que l'incapacité d'un groupe important de la direction
générale à adopter cette nouvelle vision a provoqué l'abandon du projet. Le fait de n'avoir
pas réussi à obtenir le consensus de la direction générale et l'émergence d'une école de
management divergente et prédominante a contraint le PDG à renoncer à sa vision
radicale du “nouvel employé”.
Le cas d'Autoplastique représente une solution que de nombreux dirigeants pourraient
être tentés d'adopter: introduire de nouvelles techniques de production et d'apprentissage
dans une structure de management traditionnel, c'est-à-dire “faire du neuf avec du vieux”.
Chez Autoplastique, le résultat est la coexistence difficile entre des stratégies de
management directif et des pratiques d'apprentissage ouvert, ce qui ne constitue pas un
cadre idéal pour un développement durable.
2.4.2
La prise du risque de miser sur les compétences du capital humain
Prendre volontairement le risque de miser sur les compétences du personnel, comme gage
de pérennité de l’entreprise, est une caractéristique que l’on retrouve également dans les
entreprises qui opèrent un véritable changement.
“La prise de risque est une caractéristique essentielle de la nouvelle Bord na Mona, mue
par une tension créatrice entre le contrôle traditionnel et la nouvelle autonomie des
équipes”. Le PDG a pris ce risque pour permettre la survie de l’entreprise, décision
fondée sur des éléments de leadership inspiré associés à des éléments de leadership
pragmatique. Cette approche a impliqué “un changement total de la culture de
l’entreprise impliquant l’adhésion de tous les membres du groupe qui acceptent de
remettre en cause leur propre identité et de décomposer leur fonction de direction pour
transférer le leadership aux équipes”. Le travail en équipe n’était pas nouveau pour
l’entreprise: “la nouveauté, c’était d’accorder un rôle central au travail en équipe”. Même
si cette prise de risque n’a obtenu qu’un “fragile consensus”, l’impact des nouvelles
valeurs ayant encore des répercussions au sein de l’entreprise, le sentiment profond des
employés, après six ans, est “qu’il n’y a pas de retour en arrière”. Le “fragile consensus”
obtenu chez Bord na Mona fait contraste avec le type de “marché” complexe chez
Autoplastique. Le consensus éphémère obtenu chez Volvo s’est, en définitive, traduit par
un échec.
Felten & Guilleaume ont effectué un changement radical, en passant d’une politique
d’investissement orientée vers la technologie à une politique fondée sur les ressources
humaines, selon le principe inconnu de “l'îlot de production”. Le risque consistait à placer
sa confiance dans l’homme plutôt que dans la technologie.
Par ailleurs, le faible niveau de risque de B&T (la crainte d’une perte de contrôle) a
empêché cette entreprise de tirer les leçons de l’interface homme-machine expérimentée
par le groupe “provisoire” créé pour assurer la mise en place du nouveau système
technologique. On peut aussi affirmer que “la peur de l’inconnu” a été l’un des facteurs
qui a empêché l’entreprise Clark Hurth d’engager une politique radicale orientée vers les
compétences.
2.4.3
Existence d’une structure globale s’appuyant sur les traditions, tout en exploitant
les nouvelles recherches
Dans la plupart des entreprises, le processus de changement a duré de trois à quatre ans,
entre la phase de “démarrage” et la réalisation d’un objectif significatif. Il n’existe pas de
cas de “réingénierie” en une nuit. Le processus de développement peut être résumé par le
leitmotiv “l’évolution, pas la révolution”.
À long terme, ce contexte requiert une structure solide pour maintenir le projet sur les
bons rails. Dans ce but, des modèles de changement organisationnels fondés sur des
concepts larges ont été développés, au sein des entreprises, ou pour le compte des
entreprises, par des agences de consultants externes ou par la participation aux
programmes nationaux de développement. À cet égard, Felten & Guilleaume et Audi/VW
ont tiré profit de leur participation au programme national “Arbeit und Technik” qui a
permis de concevoir et de développer de nouveaux modèles de qualification pour répondre
à l’introduction de nouvelles technologies et de nouvelles formes d’organisation du travail.
Aluminium Dunkerque s’est appuyée sur un concept sociotechnique et a poursuivi ses
travaux théoriques sur “l'organisation qualifiante” (organisation de l’apprentissage) mise
au point par des chercheurs français comme Phillipe Zarifian (1993). La société a adopté
la structure de la maintenance de la qualité totale (TQM) qui a servi de cadre au
programme général de développement des compétences. L’entreprise Manducher a
recruté un expert en “développement organisationnel” chargé de concevoir et d'orchestrer
un changement complet de l’entreprise.
2.4.4
Création d’une vision partagée fondée sur la mise en place d’un programme de
changement organisationnel hiérarchique
La réussite du processus de changement dans l’entreprise Bord na Mona peut être attribué
au développement “d’une compréhension informelle et d’un respect mutuel” entre les
employés et la direction. Cette question est au cœur du concept de mise en œuvre d’un
changement organisationnel hiérarchique dans lequel chaque membre de l’entreprise est
profondément impliqué.
Visions partagées
La notion de création de “visions partagées” est importante à cet égard. L’entreprise Sara
Lee a d’abord centré ses efforts sur le développement de “visions partagées” et de
valeurs, au niveau global de l’entreprise et au sein de chaque unité. Cette base, ainsi
créée, a permis d’établir des normes de performances pour chaque employé qui se
considère, désormais, comme “un partenaire d’affaires”. L’organisation de réunions de
communication efficaces, au niveau de l’ensemble de l’entreprise, a été essentielle à cet
égard.
Les longues discussions qui ont eu lieu entre les syndicats et la direction de Bord na
Mona ont permis à l’entreprise de présenter une vision partagée, résumée par le leitmotiv
“des équipes - un partenariat pour le progrès”. Compte tenu du niveau élevé de confiance
et de compréhension atteint dans l’entreprise, ce leitmotiv n’est pas un simple slogan,
mais symbolise une communauté de vues (une base de référence commune).
Projets pilotes
La participation à des projets pilotes expérimentaux, au cours de la phase de démarrage,
est une autre méthode utilisée pour garantir l’engagement de chaque membre de
l’entreprise. Felten & Guilleaume et Bord na Mona ont testé leur programme général dans
un service ou auprès d’un nombre déterminé d’employés au sein de leur entreprise. C’est
sur la base d’une évaluation des résultats du projet expérimental, par un groupe
représentant les partenaires sociaux, différents spécialistes du développement
organisationnel et des techniciens, que la phase suivante a été conçue et mise en place.
Chez Sara Lee, chaque phase du programme de développement a été examinée par tous
les acteurs clés impliqués: encadrement supérieur, encadrement intermédiaire, et ouvriers.
Ainsi, la phase suivante n’a été entreprise qu’après l’approbation de la phase précédente
par chaque partie intéressée.
Équipes fonctionnelles transversales
Une autre méthode en faveur du changement hiérarchique au niveau de l’ensemble de
l’entreprise a pu être observée dans les études de cas. Il s’agit de la création d’équipes
fonctionnelles transversales. L’objectif de ces équipes, composées de membres de
différents services, représentant différents niveaux hiérarchiques, est de faciliter la
communication hiérarchique et transversale au sein de l’entreprise. Chez Cadbury par
exemple, ces équipes ont été appelées “équipes d’action qualité”. Elles sont composées de
personnes occupant des fonctions de niveaux différents qui se réunissent régulièrement
pour s’assurer que toutes les parties intéressées sont tenues informées des problèmes de
production et de maintenance en cours.
L’entreprise Clark Hurth a créé des groupes de projet ad hoc, suivant les mêmes principes,
mais composés de personnel de formation et de production, afin de concevoir des systèmes
appropriés de développement des compétences liées au travail. Dans le cas de la société
Aluminium Dunkerque, les responsabilités de planification et de développement, comme
le développement des ressources humaines, sont confiées à la direction générale sur une
base transversale, alors que les fonctions de management opérationnel, dans les différents
services, sont exercées par l’encadrement intermédiaire. Ce schéma est l'inverse de celui
habituellement pratiqué dans la plupart des entreprises traditionnelles.
Coopération pragmatique
Chez Cadbury et Bord na Mona, la notion de coopération pragmatique a servi de principe
directeur à la direction et aux syndicats. Un type de relations industrielles fondées sur la
coopération a été établi dans l’intérêt réciproque de toutes les parties intéressées. Chez
Bord na Mona, en dernière analyse, ce système implique que les employés pourraient
fixer leurs propres niveaux de salaires conformément au principe du “partage des gains”.
Se rendant compte que des niveaux de compétence plus élevés se traduisaient par une
meilleure qualité et une plus grande flexibilité, Cadbury a récompensé les employés qui
consacraient du temps à leur formation. Cette pratique a donné lieu à l’introduction de
nouvelles structures de rémunération des ouvriers qui encouragent l’acquisition de
nouvelles compétences. L’entreprise Manducher a introduit un système novateur de
rémunération des employés en fonction des compétences acquises et d’encadrement selon
la capacité à exploiter les compétences existantes ou nouvelles de leur personnel.
2. 4. 5
Engagement dans l’élaboration et le développement d’un programme pratique
La réalisation d’objectifs ambitieux à long terme dépend de l’attention portée aux
nombreuses phases à suivre. Cela implique un engagement dans la planification: “aller
jusqu’au bout”, mettre en place et examiner chacune des phases et affecter des ressources
financières et humaines suffisantes pour l’ensemble du projet.
La direction du Développement des ressources humaines de l'entreprise Sara Lee a reçu
un fort mandat de la direction générale, laquelle lui a alloué des ressources suffisantes
pour concevoir et mettre en œuvre un programme radical. De la même manière, chez
Manducher, un directeur du personnel a été nommé pour organiser et superviser la mise
en œuvre d'un programme à long terme. Felten & Guilleaume et Audi/VW ont intégré leur
programme interne dans un programme national plus vaste qui leur a fourni des
instruments pratiques et des outils.
Nous verrons plus loin comment les entreprises ont mis en pratique leurs programmes
d'apprentissage.
2.4.6
Autres facteurs ayant une incidence sur la mise en œuvre des stratégies fondées
sur les compétences
Soutien externe
Comme cela a été indiqué précédemment, en Allemagne, le programme national de
développement a eu une très forte incidence sur l'évolution des entreprises Felten &
Guilleaume et Audi/VW. Il a orienté le processus de changement et fourni un service de
recherche et de conseil essentiel qui a permis de procéder à une expérimentation. En
France, Aluminium Dunkerque a reçu l'appui du ministère français du Travail, sous la
forme d'une aide financière et conceptuelle. Les agences régionales pour l'emploi et
l'éducation ont également apporté une contribution active à l'entreprise, notamment au
cours des phases initiales. Les entreprises Manducher et Autoplastique ont également
bénéficié, dans une certaine mesure, des initiatives inspirées du gouvernement en matière
de recherche et de développement.
Le contexte social plus large
Dans une perspective d'insertion sociale, Aluminium Dunkerque montre comment, dans
une région en déclin, il est possible de recycler des chômeurs et de les intégrer, avec
succès, dans un environnement de travail moderne exigeant des compétences sociales et
techniques avancées. Le cas de Bord na Mona illustre comment des travailleurs provenant
d'un milieu rural et habitués à des pratiques de travail fondées sur le taylorisme, y
compris dans les relations industrielles dichotomiques, étaient capables de coopérer
activement avec la direction des entreprises pour mettre en œuvre des changements
radicaux. Chez Cadbury, la direction et les employés ont réussi à négocier le passage
d'une culture de relations industrielles négatives à une culture fondée sur la coopération
pragmatique.
Alors que l'exemple de Felten & Guilleaume prouve que des employés âgés peuvent être
recyclés et s'adapter aux pratiques modernes, l'image de “l'entreprise flexible” qui se
dégage de l'expérience de Clark Hurth et d'Autoplastique est celle du remplacement des
travailleurs âgés par des travailleurs/stagiaires plus jeunes. Chez Clark Hurth, par
exemple, la moyenne d'âge des salariés est de 27 ans.
Questions spécifiques
Bord na Mona est la seule entreprise où le changement a été clairement provoqué par une
énorme crise. Bien que Felten & Guilleaume, Manducher, Cadbury, Autoplastique et Clark
Hurth aient connu de graves problèmes, elles n'avaient pas atteint un niveau de crise
comparable lorsqu'elles ont décidé de prendre des mesures. À l'exception d'Aluminium
Dunkerque, toutes ces sociétés étaient implantées dans des sites “brown-field.”
3
Nouvelles compétences exigées dans les entreprises européennes
Parmi l'ensemble des compétences exigées des employés des entreprises étudiées, une
caractéristique prédomine: l’aptitude à comprendre et à gérer la complexité
sociale/organisationnelle et technologique. Le type de personne recherchée est capable
d'établir à tout moment, la relation entre les tâches spécifiques qu'elle effectue et
l'ensemble des tâches exécutées par d'autres membres de l'entreprise. Par conséquent, elle
doit être capable d'appréhender globalement l'organisation, tout en se sentant reliée aux
différentes parties du système. Ces attributs sont traditionnellement réservés à la direction
de l'entreprise.
Cette partie présente d'abord quelques structures générales, dans lesquelles les entreprises
inscrivent une description des “compétences du salarié”, puis décrit et analyse les
configurations de compétences et d'aptitudes spécifiques relevées dans les différentes
entreprises.
Les nouvelles compétences et responsabilités du personnel s'inscrivent dans trois
structures:
- la capacité à se référer à une “approche globale”;
- l’élargissement du rôle hiérarchique;
- l’élargissement du rôle transversal, la polyvalence.
Ces deux derniers points, l’élargissement du rôle hiérarchique et du rôle transversal,
peuvent être considérés en réalité comme des illustrations du premier point, c'est-à-dire la
capacité à se référer à une “approche globale”.
3.1
Capacité à se référer à une “vue d’ensemble”
Il s’agit de la capacité de mener à terme une “tâche complète”, ou des projets de travail “à
cycle long”, de manière relativement autonome, en restituant son rôle dans l’ensemble
des tâches réalisées par le groupe ou l’organisation.
Cette notion holistique des compétences a été largement adoptée chez Volvo, Aluminium
Dunkerque, Audi/VW, Felten & Guilleaume et, dans une seule perspective, chez
Autoplastique. Chez Volvo, l’accent a été mis sur “la capacité à gérer un système de
montage complet - en replaçant les sous-systèmes par rapport au système global”. Le
travail d’assemblage sur un long cycle requiert ce type de compétences.
Chez Aluminium Dunkerque, le développement des employés a été conçu en termes
d’évolution progressive vers différents niveaux de complexité, dans “un domaine de
tâches associées”, et non en termes d’apprentissage de tâches compartimentées associées
à des fonctions isolées. Cette approche consiste à réaliser les opérations courantes
nécessaires aux différentes étapes du processus de travail, du début à la fin, tout en
approfondissant progressivement ses connaissances théoriques et pratiques, ce qui permet
d’apprendre à gérer les variances et de parvenir ainsi à une maîtrise complète du
processus.
La notion de Handlungskompetenz (compétence par l’action), attribut clé des employés
chez Audi/VW et Felten & Guilleaume, se réfère à l’aptitude à conceptualiser, à planifier
et à exécuter tous les aspects d’une tâche complexe de manière indépendante.
L’étude de cas d’Autoplastique met en évidence la nécessité pour les employés de
posséder des “compétences clés” afin de contribuer et de participer à “l’intelligence
collective” de l’organisation. On entend par “intelligence collective” les connaissances et
les compétences formelles et implicites de l’organisation dans son ensemble. Elle n’est
pas simplement la somme des connaissances des individus, mais bien plus; elle possède
une qualité d’interconnexion dynamique qui permet à chaque membre de l’entreprise de
tirer des enseignements des autres membres pour appréhender le système dans sa
globalité.
3.2
Élargissement du rôle hiérarchique
Cette approche implique la prise en charge par les employés de certaines fonctions
traditionnellement réservées à la direction ou à l’encadrement intermédiaire. Chez Board
na Mona, par exemple, les équipes autonomes exercent certaines responsabilités de
leadership. Chez Audi/VW, l’équipe, supposée s’autogérer, a un porte-parole à la place
du contremaître. Les opérateurs ont également adopté de nouveaux rôles, s’apparentant
désormais aux “ouvriers qualifiés”. Chez Cadbury, les ouvriers sont chargés de tâches
jusque-là réservées aux techniciens, alors que les opérateurs sont formés pour exercer
certaines fonctions professionnelles spécifiques au métier. B&T a montré comment, lors
de l’introduction et de l’exploitation des nouvelles technologies, les ouvriers qualifiés ont
dû assumer, par emprunt, une autorité normalement réservée à la direction. En revanche,
lorsque le nouvel équipement a commencé à fonctionner normalement, l’entreprise a fait
un pas en arrière en rétablissant les barrières traditionnelles entre le personnel exerçant
des fonctions administratives et de gestion et les exécutants.
3.3
Élargissement du rôle transversal: la polyvalence
La polyvalence est très présente chez Cadbury, où mécaniciens et électriciens pratiquent
la flexibilité transversale entre leurs métiers. Les opérateurs travaillant en équipe sont
également censés être polyvalents, capables d’exercer toutes les fonctions de l’équipe.
Chez Aluminium Dunkerque, les processus de travail s’appuient également sur le principe
d’équipes polyvalentes.
3.4
Profils de compétences individuelles
Selon les structures intégratrices dans lesquelles viennent d’être définis les rôles et les
responsabilités du personnel, les profils de compétences spécifiques peuvent être
représentés par une interconnexion de quatre axes. Les compétences globales constituent,
par conséquent, un amalgame de quatre types de compétences différentes combinés à des
degrés divers.
Profil des individus - intégration de compétences différentes
Cognitives
Sociales
(organisation)
Techniques
Entrepreneuriales
(activité)
3.4.1
Compétences cognitives, sociales et entrepreneuriales
Bord na Mona et Sara Lee insistent particulièrement sur les compétences sociales et
entrepreneuriales. Pour Bord na Mona, cela implique des compétences particulières en
gestion financière, la “compréhension des principes fondamentaux de la finance étant
considérée comme essentielle pour assurer le succès de l’équipe”. De larges compétences
en gestion d’entreprise, comme la gestion des coûts, la prévision, la planification et, plus
particulièrement, la prise de risque, sont également considérées comme essentielles.
Bord na Mona et Sara Lee
Cognitives
Sociales
(organisation)
Techniques
Entrepreneuriales
(activité)
Chez Sara Lee, l’accent a été mis sur la nécessité de développer parmi le personnel
l’esprit d’entreprise - le sentiment d’être partenaire dans l’entreprise - qui se manifeste
par des qualités d’initiative et de responsabilité.
3.4.2
Compétences cognitives, sociales et techniques: les qualifications clés
Les qualifications clés occupent une place centrale dans le concept de compétences du
personnel dans les deux entreprises allemandes Audi/VW et Felten & Guilleaume.
Audi/VW et Felten & Guilleaume
Cognitives
Sociales
(organisation)
Techniques
Entrepreneuriales
(activité)
Les qualifications clés sont divisées en trois catégories, décrites ci-dessous.
• Les compétences cognitives:
- l’observation;
- l’écoute;
- le déchiffrage et l’interprétation des plans et des données numériques;
- la connaissance de la structure des programmes PLC.
• Les compétences de coopération et de communication:
- l’échange réciproque d’informations;
- le soutien des actions de maintenance;
- la résolution commune de problèmes.
• Les compétences techniques dans les domaines suivants:
- l’électricité et l’électronique;
- l’hydraulique;
- la pneumatique.
Les qualifications clés doivent être considérées à la lumière du concept de
Handlungskompetenz (compétences par l’action) qui implique de réunir l’ensemble de ces
qualifications pour les intégrer dans la réalisation d’une tâche complète. Aluminium
Dunkerque, Manducher, Cadbury, B&T, Volvo et Clark Hurth montrent des exemples de
profils de compétences orientés vers les compétences cognitives, sociales et techniques
semblables aux qualifications clés. La matrice établie par Manducher, pour représenter le
profil optimal des compétences individuelles, inclut les compétences liées au produit, au
processus, à la qualité, à la planification, à la communication ainsi que les compétences
sociales.
3.4.3
Compétences cognitives et sociales
Chez Autoplastique, les employés ont développé des compétences clés tournées vers
“l’intelligence collective”.
Les deux types de compétences clés requises pour contribuer à “l’intelligence collective”
sont de nature sociale et cognitive:
- les compétences sociales sont nécessaires pour partager les connaissances, le savoirfaire - connaissances formelles et informelles réunies - et les aptitudes à la
communication et à la coopération;
- les compétences cognitives sont nécessaires pour créer un nouveau savoir-faire aptitude à anticiper et à réagir, c’est-à-dire à formuler un problème et à prendre une
décision.
Autoplastique
Cognitives
Sociales
(organisation)
Techniques
Entrepreneuriales
(activité)
3.5
Processus d’apprentissage pour développer les nouvelles compétences
La mise en œuvre d’un programme d’apprentissage pratique a été identifié précédemment
comme l’un des piliers de l’entreprise fondée sur les compétences. Nous allons examiner
en détail ce que cela signifie pour les entreprises étudiées ici.
En premier lieu, nous décrirons la séquence des différentes étapes de développement des
compétences réalisée par les entreprises. Nous analyserons ensuite les processus
d’apprentissage et de développement utilisés et nous terminerons en examinant la
position adoptée à l’égard des mesures d’incitation à l’apprentissage.
3.5.1
Les étapes du développement des compétences
Les entreprises ont envisagé de manière très différente les étapes du processus général de
développement. Six d’entre elles ont décidé de mettre en œuvre des programmes
préliminaires de formation ou des programmes pilotes de développement de grande
envergure. Les programmes préliminaires de formation avaient pour but de permettre au
personnel d’acquérir un niveau élémentaire de compétences techniques ou sociales de
sorte qu’il participe, ensuite, à un programme de développement plus spécifique orienté
vers le travail. Les programmes préliminaires ont insisté davantage sur les aptitudes
individuelles et l’apprentissage acquis selon un schéma formel. D’autre part, les
programmes pilotes étaient plutôt centrés sur l’organisation et ont fourni aux entreprises
l’occasion de tester et d’affiner leurs propositions avant de les appliquer sur une plus
grande échelle.
ÉTAPES DU DÉVELOPPEMENT DES
ENTREPRISES
COMPÉTENCES
1. Formation préliminaire
Aluminium Dunkerque
Manducher
Bord na Mona
2. Programmes pilotes de
développement
Bord na Mona
Felten & Guilleaume
Sara Lee
Volvo
3. Apprentissage sur le lieu de travail
Toutes les entreprises
Aluminium Dunkerque, Manducher et Bord na Mona ont adopté la formation préliminaire.
Chez Aluminium Dunkerque, les futurs employés ont bénéficié de 1 100 heures de
formation générale pour acquérir des connaissances et des compétences scientifiques,
techniques et sociales. Cette formation a été organisée en collaboration avec les
organismes régionaux, avant le démarrage de l’usine. De la même manière, Manducher a
organisé des cours d’enseignement général formel destinés aux nouvelles recrues. Bord
na Mona s’est efforcée de dispenser au personnel existant les compétences en gestion des
coûts essentielles pour garantir l’efficacité des performances des équipes autonomes
qu’elle s’apprêtait à constituer.
Pour ce qui concerne les programmes pilotes de développement, Bord na Mona a
expérimenté de nouvelles formes de travail sous le contrôle commun de la direction et
des syndicats. Felten & Guilleaume a testé et évalué la méthode des îlots de production et
des cercles d’apprentissage en se limitant, dans un premier temps, à un service de
l’entreprise. Sara Lee a également amorcé son programme global par quelques “projets de
développement”, parmi lesquels l’un des plus importants a été un cours de formation
destiné aux agents de maîtrise.
3.5.2
Mesures d’incitation à l’apprentissage
Manducher, Aluminium Dunkerque et Cadbury ont utilisé le système d’évaluation normalisé
pour établir les plans de carrière au sein de leur entreprise. Aluminium Dunkerque est allée un peu
plus loin en obtenant la reconnaissance de ses évaluations par les organismes
professionnels et de formation extérieurs officiels, œuvrant ainsi pour “ la transférabilité
des compétences ” et la mobilité de l’emploi. Cadbury est sur le point d’établir des liens
entre ses procédures d’évaluation interne et le système britannique de certification des
qualifications professionnelles nationales (National Vocational Qualifications - NVQ).
MESURES D’INCITATION À
L’APPRENTISSAGE
ENTREPRISES
Échelles formelles de plans de carrière
Aluminium Dunkerque
Primes d’apprentissage
Manducher
Reconnaissance et transférabilité
Cadbury
Évaluation fondée sur des normes
En outre, ces trois entreprises ont institué un système de primes pour récompenser le
développement de nouvelles compétences - expression concrète de leur foi dans la valeur
du développement des compétences.
3.5.3
Processus d’apprentissage et de développement
D’une manière générale, la plupart des entreprises étudiées avaient axé leur principale
approche sur ce que l’on pourrait appeler “l’apprentissage informel” plutôt que sur la
formation formelle. D’après Autoplastique, “l’apprentissage informel” se réfère aux
“effets de l’apprentissage sur l’organisation du travail”. Néanmoins, la formation
formelle joue un rôle important, comme nous l’avons vu, par exemple, avec les
programmes préliminaires. De nombreuses entreprises ont utilisé à bon escient les
programmes normalisés, en particulier pour répondre aux besoins individuels de
développement des compétences techniques.
Avant d’expliquer ce que les entreprises entendent concrètement par les approches
d’apprentissage informel, il convient d’examiner les relations entre les processus
d’apprentissage et les processus de travail.
“L’apprentissage informel” implique que les individus apprennent en saisissant les
opportunités qui leur sont offertes dans le cadre de l’exercice de leur travail. Cela n’est
possible que si certaines conditions sont réunies, la principale étant que ces individus
exercent un certain contrôle sur la manière de planifier, d’exécuter, d’évaluer et de
réfléchir sur les tâches qui leur sont confiées. L’environnement de travail dans les ateliers
peut favoriser ou, au contraire, gêner l’apprentissage. Cela dépend, d’abord, du degré
d’autonomie accordé aux employés et, ensuite, de la manière dont la direction de
l’entreprise conçoit les structures d’apprentissage sur le lieu de travail, sous la forme de
“cercles d’apprentissage”, chez Felten & Guilleaume, ou de “pédagogies sur le lieu de
travail”, chez Volvo.
LOCAL
Volvo
S.L.
CONTROL
Cadbury
WORK
PROCESSES
Audi/VW
A.D.
F&G
C.H.
CENTRAL
BnM
Manducher
Autoplastique
B&T
CONTROL
FORMAL LEARNING
INFORMAL LEARNING
LEARNING PROCESSES
+
Légende:
PROCESSUS DE TRAVAIL
Contrôle local
Contrôle centralisé
APPRENTISSAGE FORMEL
APPRENTISSAGE INFORMEL
PROCESSUS D’APPRENTISSAGE
Comme le montre le schéma ci-dessus, les entreprises étudiées ont généralement
tendance à privilégier le contrôle local et la prise de décision par la base. Si l’on
considère les processus d’apprentissage mis en place, on remarque que les processus
d’apprentissage informel ont bénéficié du niveau élevé de planification et de
structuration. Bord na Mona représente une exception, dans la mesure où l’apprentissage y
a été essentiellement acquis par les équipes, à qui l’on a confié l’entière responsabilité de
l’organisation de leur travail. “L’environnement de l’apprentissage ainsi créé était très
informel”. En fait, cela fut leur “baptême du feu”. Les intéressés ont suivi quelques cours
préliminaires, mais, dans le contexte de la crise que traversait l’entreprise, ils ont dû se
débrouiller en grande partie par eux-mêmes.
Le groupe B&T a également été “contraint” de passer par l’apprentissage, plutôt que
poussé par la nécessité “d’emprunter l’autorité de la direction” (pour prendre des
décisions) afin de résoudre les problèmes auxquels il était confronté. De même, chez
Autoplastique, les schémas d’apprentissage informel n’ont pas été accompagnés d’une
délégation de la prise des décisions à la base.
3.5.4
Approches spécifiques d’apprentissage informel
Les approches spécifiques d’apprentissage informel, adoptées par au moins huit
entreprises, couvrent un large spectre témoignant d’une grande diversité (cf. le schéma ciaprès). Chez Audi/VW par exemple, des cellules spéciales “de fabrication flexibles
orientées vers l’apprentissage” ont été mises en place sur le lieu de travail. Les méthodes
d’apprentissage adoptées s’appuient sur les “stratégies d’apprentissage cognitif” comme
les “règles heuristiques”. Chez Volvo, l’expression “pédagogie sur le lieu de travail” fait
référence à l’apprentissage dans le but de comprendre et de travailler en termes
“d’ensembles cognitifs”.
MÉTHODES D’APPRENTISSAGE
Apprentissage informel
ENTREPRISES
Audi/VW – Volvo – BnM – A.D. –
F&G – Autoplastique – B&T – C.H.
l’encadrement opérationnel dans le rôle BnM – A.D. – F&G – C.H. –
d’agents d’apprentissage
Manducher
-
-
les collègues agissant comme des
tuteurs
Manducher – Autoplastique
Apprentissage formel
Audi/VW – A.D. – F&G – S.L. –
Cadbury
- approche
Cadbury
modulaire
- autoapprentissage
Cadbury – A.D.
Assistance de consultants et
d'organismes de formation externes
A.D. – F&G – S.L. – Manducher –
Cadbury
Évaluation commune
A.D. – Manducher – Cadbury
La stratégie d’apprentissage informel mise en place par Aluminium Dunkerque
impliquait, à l’origine, un “apprentissage sur le tas planifié”. Il a été suivi par un
programme d’apprentissage continu s’appuyant sur l’étude des performances
individuelles dans “des situations de travail concrètes”. L’apprentissage au sein des
équipes a été coordonné par l’encadrement intermédiaire avec l’assistance de formateurs
internes et de consultants externes.
Chez Felten & Guilleaume, les “cercles d’apprentissage” ont servi de point de
convergence où les besoins d’apprentissage collectifs et individuels ont pu être identifiés
et les programmes de formation approuvés.
Autoplastique a adopté les stratégies dites “d’apprentissage coopératif”. Cette méthode
consiste à apprendre au sein d’une équipe de projet, l’apprentissage étant considéré
comme un sous-produit du travail d’équipe. Cette entreprise a également tiré profit des
approches d’apprentissage “au cas par cas” s’appuyant sur le “contrat d’apprentissage”
(“contrat de qualification”) et le “tutorat”.
ENTREPRISE
MÉTHODES D’APPRENTISSAGE
INFORMEL
Audi/VW
“Cellules
d’apprentissage orientées vers
la fabrication flexible” (“formation
s’appuyant sur la décentralisation du
travail”
“Stratégies d’apprentissage cognitif”
(“Règles heuristiques”)
“Leittemethode” (“guide d'apprentissage
par la découverte)
Volvo
“Pédagogie sur le lieu de travail”
Apprentissage pour comprendre et
travailler en termes d'ensembles
cognitifs
Aluminium Dunkerque
Phase de démarrage: apprentissage sur
le tas planifié conformément aux huit
étapes d’un travail
Programme d’apprentissage continu
élaboré à partir d’un examen des
performances individuelles dans des
situations de travail concrètes
Felten & Guilleaume
“Cercles d’apprentissage”
(groupes
d’apprentissage sur le lieu de
travail chargés d’identifier les besoins et
de décider du programme à suivre)
Évolution du rôle de l’encadrement
intermédiaire avec passage de
“détenteurs de savoir” à un rôle
d’examinateur et de tuteur
Autoplastique
“Stratégies d’apprentissage coopératif”
L’apprentissage comme sous-produit du
travail de l’équipe de projet
Apprentissage au cas par cas (organisé
dans le cadre d’un contrat
d’apprentissage – “contrat de
qualification”)
“Tutorat”
Manducher
“Apprentissage proche du travail”
ouvriers expérimentés (“multiplicateurs”) et
anciens ouvriers à la retraite jouant le
rôle de formateurs
“Cercles
de discussion”
L’une des expressions utilisées pour décrire l’apprentissage informel chez Manducher est
“l’apprentissage près du poste de travail”. Des employés expérimentés, désignés par le
terme de “multiplicateurs”, ont été chargés de dispenser une formation individualisée
dans des salles de formation spécifiques situées près du lieu de travail. Des anciens
employés à la retraite sont également intervenus comme formateurs à temps partiel.
Chez Clark Hurth, le formateur a identifié les besoins en formation en établissant des
contacts formels avec des groupes de travail, et des contacts informels, avec des
opérateurs et des accordeurs individuels. Des groupes de travail techniques ont été
constitués sous la supervision du formateur afin de résoudre des problèmes particuliers.
En matière d’apprentissage formel, Cadbury a adopté une approche de formation
modulaire pour favoriser le développement de compétences techniques polyvalentes au
niveau des différents métiers. Cadbury et Aluminium Dunkerque ont également proposé
des approches d’autoapprentissage.
L’assistance de consultants et d’organismes de formation externes a été déterminante
dans la stratégie de Cadbury et d’un certain nombre d’autres entreprises. Chez Cadbury,
le programme initial destiné à l’encadrement opérationnel a été conçu par des organismes
extérieurs. Comme cela a été décrit précédemment, les organismes officiels de formation
locaux ont joué un rôle très important dans les programmes de Felten & Guilleaume et
d’Aluminium Dunkerque.
Par ailleurs, dans cette dernière entreprise ainsi que chez Manducher et Cadbury,
l’apprentissage a progressé sur une base commune. C’est-à-dire que les compétences ont
été évaluées conjointement par le responsable opérationnel, l’employé et le consultant
externe. Pour faciliter ce processus, Manducher a utilisé une grille de compétences
couvrant les compétences techniques, sociales et de production.
4
Conclusion
4.1
Distinction entre théorie adoptée et théorie en action
Chris Argyris (1978) a inventé les expressions “la théorie adoptée” et “la théorie en
action” pour faire la distinction entre ce que les gens affirment faire et ce qu’ils font
réellement. La réalité correspond rarement à la théorie. C'est ce que constate la présente
étude. Alors que certaines des entreprises étudiées ont décrit leur comportement comme
étant conforme aux formes de management, avec une plus grande autonomie aux
employés et en faveur des principes et des actions d'organisation de l'apprentissage, dans
trois des cas étudiés (les entreprises affichant une désaffection pour les modèles de
management et d'organisation traditionnels étroitement contrôlés), la réalité était bien
différente. Cela est vrai pour beaucoup d'autres entreprises qui, après s'être définies, au
début du projet, comme étant orientées vers le développement novateur des compétences,
n'ont pas résisté à l'examen. La structure mise en place au cours de ce projet, pour évaluer
les trois différents niveaux de mise en place de pratiques novatrices, pourrait s'avérer un
instrument de recherche utile pour évaluer les expériences des entreprises en général.
4.2
Diversité des voies tendant vers un même but
La présente étude conduit à une autre conclusion intéressante, à savoir la diversité des
voies empruntées par les entreprises étudiées pour atteindre des objectifs similaires. Une
innovation réussie peut avoir différents points d'origine et suivre des voies diverses, à
condition, toutefois, d'accomplir toutes les étapes nécessaires. Cette constatation est
corroborée par le fait que, alors que trois entreprises, Aluminium Dunkerque, Manducher
et Volvo, ont introduit des nouveaux modèles d'organisation et d'apprentissage, de
manière très logique, en commençant par adopter de nouvelles valeurs et à établir un plan
global à long terme, d'autres entreprises (en particulier Bord na Mona), réagissant aux
événements survenus dans l'entreprise et acquérant un apprentissage de ces événements,
ont été amenées à adopter des solutions radicales impliquant d'importants changements
dans l'attitude de la direction vis-à-vis du rôle des employés considérés, désormais,
comme partenaires de l'entreprise.
4.3
Fragilité de l'innovation sociale (des ressources humaines)
Les cas étudiés dans le cadre de cette étude conduisent à une réflexion, liée au point
évoqué ci-dessus, sur la fragilité de l'innovation sociale ou des ressources humaines. En
premier lieu, il est facile de laisser passer les occasions de mettre en place un processus
de changement. L'étude a montré comment certaines entreprises saisissaient les
opportunités d'introduire des innovations radicales pour répondre aux nouveaux besoins
de ses activités, alors que d'autres laissaient passer cette chance. À ce propos, un autre
exemple, qui n'est pas mentionné dans cette étude, peut être cité. Il s'agit de l'étude de cas
de Cadbury. Une autre usine Cadbury, implantée dans le même secteur que celle dont il
est question dans notre étude, a fait l'objet d'une expérience novatrice à la même période.
Or, cette fois, le processus de renouvellement ne s'est pas produit en raison d'une
combinaison de plusieurs facteurs, notamment l'incapacité de cette société à abandonner
ses pratiques traditionnelles de relations industrielles dichotomiques. Alors qu'une usine a
saisi l'opportunité de progresser, l'usine sœur a refusé. En second lieu, cette étude a
montré que les innovations sociales, très longues à s'instaurer, peuvent être mises en
échec très rapidement. Le cas de Volvo et, dans une moindre mesure, celui de l'autre
entreprise suédoise, B&T, ont montré comment des réussites, obtenues à l'issue
d'engagements considérables et d'un travail colossal, peuvent échouer du jour au
lendemain.
4.4
L'innovation, un processus d'une grande complexité
Les expériences tentées par ces entreprises, qui ont adopté des stratégies radicales
centrées sur le capital humain, ont révélé la complexité du processus qui exige une
vision, une prise de risque et un engagement à long terme.
Comme le souligne la présente étude, les entreprises qui ont opéré un changement se
distinguent par cinq caractéristiques:
- la direction générale possédait des qualités de visionnaire et de leadership caractérisées
par la capacité à appréhender les activités de travail, les objectifs du développement et
l'apprentissage organisationnel et individuel, dans un contexte systémique;
- la direction, les employés et leurs syndicats ont révélé leur capacité et leur volonté de
prendre des risques en évoluant, en remettant en cause les mentalités traditionnelles et en
commençant à forger une nouvelle réalité de l'entreprise;
- les entreprises ont utilisé des structures solides, issues de recherches approfondies, pour
amorcer le processus de changement;
- toutes les parties intéressées de l'entreprise, direction et employés, à tous les niveaux de
la hiérarchie, et syndicats, se sont impliqués dans le processus de changement de
l'ensemble du système sans procéder du haut vers le bas de la hiérarchie, ce qui s'est
traduit par une coopération pragmatique;
- tous les partenaires du processus de changement se sont engagés dans la mise en œuvre
dans toutes les étapes du processus de changement, certaines s'avérant très longues et
parfois très difficiles. Cela est très différent du concept de “réingénierie”.
4.5
Profils de compétences
Les profils de compétences des employés des entreprises étudiées doivent d'abord être
resitués dans le contexte de l'entreprise spécifique dans laquelle ils se trouvent, puis
comparés aux profils de qualifications formelles officielles. Les employés ont à la fois
façonné et été façonnés par ce contexte. En premier lieu, l'entreprise a dû établir des
schémas de travail pour pouvoir faire face à la concurrence des marchés mondiaux, ce qui
l'a amené à définir le type de compétences qu'elle devait exiger de son personnel. En
second lieu, la nécessité pour l'entreprise de concevoir des stratégies efficaces à long
terme, pour répondre aux besoins et avoir un impact efficace sur l'environnement, ou
anticiper les changements de l'environnement, a exigé des membres de l'entreprise une
participation dans la constitution du savoir collectif ou des compétences de l'entreprise
et, en même temps, a refaçonné et élargi leurs propres profils de compétences. (Nonaka et
Takeuchi, 1995)
Dans cette étude, les connaissances exigées du personnel étaient, pour employer les
termes de Erault (1997), un savoir personnel distinct du savoir prépositionnel. Selon
Erault, le savoir prépositionnel est un savoir codifié, reconnu comme fondamental par son
intégration dans des qualifications officiellement certifiées. En revanche, le savoir
personnel non seulement “s’acquiert”, par l'utilisation du savoir officiel, mais se
construit à partir de l'expérience et de la réflexion personnelles de l'individu. Il englobe le
savoir prépositionnel, les connaissances des procédures et des processus, les
connaissances implicites et les connaissances acquises par l'expérience dans la mémoire
épisodique. “Cela permet d'établir des représentations des compétences, des capacités ou
de l'expérience intégrant l'utilisation de compétences et de savoir prépositionnel” (Erault,
1997, p. 552). C'est ce qui distingue l'employé expérimenté - un expert doté d'un savoir
personnel - de l'employé débutant - un novice possédant le savoir prépositionnel
principal. (Dreyfus et Dreyfus, 1986)
4.6
Comment l'apprentissage a-t-il été introduit?
En vertu de ce qui précède, il n'est pas surprenant que la méthode d'apprentissage
généralement adoptée par les entreprises s'appuie sur l'apprentissage par l'expérience, en
situation concrète. Bien que tous ces apprentissages soient regroupés sous l'appellation
“apprentissage informel”, ce serait une erreur de considérer cet apprentissage comme
fortuit ou non planifié, même si l'affirmation selon laquelle le meilleur moyen d'améliorer
l'apprentissage dans une entreprise serait peut-être de changer la culture de l'organisation,
à la suite de quoi l'apprentissage ira de soi, recèle une certaine vérité.
Les méthodes d'apprentissage adoptées par les entreprises visionnaires étudiées se
caractérisent, essentiellement, par une proposition planifiée d'opportunités de réflexion
collective et individuelle sur la manière dont l'entreprise pourrait améliorer ses
performances, ce qui profite, à long terme, aussi bien à l'entreprise qu'à ses membres.
Dans de nombreux cas, ces réflexions ont conduit à adopter des solutions spécifiques
d'apprentissage sur le tas s'appuyant sur le cycle d'apprentissage par la réflexion, qui
consiste, par exemple pour un expert, à former un collègue moins expérimenté, mais
comprend aussi l'introduction de programmes d'apprentissage (de formation) formel, si
nécessaire. L'appellation “apprentissage informel”, qui désigne la méthode
d'apprentissage qui prédomine dans les entreprises, s'explique par la volonté d'insister sur
l'importance de l’apprentissage conceptuel, c'est-à-dire l'apprentissage intégré dans le
processus de travail de l'entreprise, par opposition aux connaissances formelles hors
contexte. Alors que, d'une part ces connaissances pourraient être considérées, en grande
partie, comme des connaissances spécifiques à l'entreprise, et de ce fait ne pas bénéficier
aux individus pour l'évolution de leur carrière personnelle, d'autre part, il est vrai que cet
apprentissage a permis aux individus d'acquérir un savoir personnel, au sens où l'entend
Erault, ou des compétences clés qui participent à l'acquisition de leurs compétences
générales et professionnelles spécifiques et favorisent leur employabilité sur les marchés
de travail modernes.
4.7
Valeurs et traditions européennes
Tandis que les entreprises étudiées reflètent l'influence du “changement dans la
continuité” des valeurs et des politiques industrielles et sociales des entreprises
européennes dans le monde industriel d'aujourd'hui, certains signes indiquent clairement
l'apparition de tendances mondialisatrices remettant en cause ces valeurs. Sparrow et
Hiltrop (1994) ont identifié six caractéristiques des traditions européennes, en matière de
gestion des ressources humaines, qui distinguent l'Europe des États-Unis. En Europe,
d'après ces auteurs, les tendances sont orientées vers (a) une moindre autonomie des
employés; (b) une moindre insistance sur les processus du marché libre; ( c) une place
plus importante accordée au groupe par rapport à l'individu; (d) un centre d'intérêt placé
sur les employés plutôt que sur la direction; (e) un rôle accru des partenaires sociaux
dans les relations de travail; (f) une intervention ou un soutien plus importants du
gouvernement dans de nombreux secteurs de la gestion des ressources humaines.
La plupart des caractéristiques qui viennent d'être exposées se retrouvent à certains
degrés dans les entreprises étudiées, lesquelles considèrent que les employés dotés de
compétences élevées constituent le pivot de l'entreprise. Elles attribuent également un
rôle important à la représentation collective des syndicats. On peut noter, dans de
nombreux cas, l'influence des structures d'aide nationale des gouvernements, qu'il s'agisse
d'aides financières ou de conseils. Bien que cette étude n'ait pas abordé explicitement et
en détail l'importance que l'Europe accorde à la création de structures macrosociétales,
destinées à favoriser la cohésion sociale par l'intermédiaire de réglementations
gouvernementales à caractère industriel et social, cette importance est sous-jacente dans
la vie quotidienne de la plupart des entreprises étudiées.
Toutefois, il est également évident que la concurrence mondiale sur le marché libre remet
fortement en cause les valeurs du travail européennes, plus spécifiquement celles du
continent européen et des pays nordiques. À cet égard, la mondialisation exerce une
pression sur toutes les entreprises qui souhaitent être présentes sur les marchés mondiaux
- tous les marchés ayant tendance à se mondialiser de plus en plus - pour créer des
structures organisationnelles similaires, à la pointe du progrès, s’appuyant sur des
concepts d'efficacité et de flexibilité, comme par exemple le World class manufacturing
(la fabrication à l'échelle mondiale). Le développement de la flexibilité de la main
d'œuvre est souvent un défi direct à la notion de profession ou de métier, notion qui
donne à chacun une identité ou un rôle et qui est définie par des traditions, des normes,
des valeurs et l'adhésion à un groupe professionnel, qui est plus large et différente du rôle
de l'entreprise. Une vue à court terme et disproportionnée de la dimension de l'entreprise
qui apparaît dans le profil de compétences des travailleurs peut avoir un effet négatif sur
l'ensemble d'une profession au sens évoqué plus haut.
En termes de profils de compétences, la voie européenne (approche d'identité à un métier
ou une profession) peut être considérée comme à mi-chemin entre une orientation
essentiellement individualiste (fonction), adoptée par les États-Unis (fondée sur le
projet et conforme à un marché du travail flexible et non réglementé) et la perspective
corporatrice/d’entreprise (un travail pour la vie) du Japon (conforme à la notion du
clan, de la famille ou du groupe de cohésion s'appuyant sur la flexibilité interne de
l'entreprise). Dans les domaines de l'industrie, du commerce et de l'enseignement et de la
formation professionnels, les acteurs européens (partenaires sociaux, entreprises et
gouvernements) sont confrontés au défi de trouver le moyen de moderniser leurs
entreprises pour les rendre concurrentielles sur le marché mondial, sans perdre de vue les
valeurs et les objectifs “sociétaux” locaux, nationaux et européens qui assurent leur
pérennité et leur stabilité.
Un certain nombre de questions plus spécifiques, relatives au développement des
compétences des ressources humaines et des activités des entreprises en Europe,
mériteraient d'être approfondies dans une étude ultérieure:
- la création de structures associant le développement des ressources humaines et
l'orientation des activités de l'entreprise (notamment les écoles humanistes en matière de
développement des ressources humaines) avec l'identité professionnelle de
l'enseignement et de la formation professionnels et la perspective du développement
personnel;
- la création de profils homogènes holistiques de professions/de métiers (nouvelles
professions et nouveaux métiers) intégrant les perspectives d'activité et sociétale,
flexibles, suffisamment larges et complets pour faire face à la mondialisation des
échanges et prédisposés à l'apprentissage tout au long de la vie (employabilité);
- la conception de stratégies d'apprentissage et de programmes qui abordent les questions
précédentes;
- l'élaboration de systèmes d'accréditation qui servent de cadre à l'interprétation des
profils de compétences évoqués ci-dessus, intégrant le savoir personnel (Erault) ou les
compétences clés acquises afin de permettre la transférabilité vers d'autres contextes;
- le développement de formateurs professionnels qui remplissent leurs nouveaux rôles
d'animateurs d'apprentissage, dans le contexte des organisations d'apprentissage où la
direction opérationnelle est chargée d'assurer la mise en place de l'apprentissage;
- l'étude du rôle des syndicats dans la nouvelle organisation modernisée, où un équilibre
est à trouver entre les méthodes de représentation individuelle et collective.
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B
Besoins en compétences pour les petites et moyennes entreprises (PME)
existantes et pour la création de nouvelles entreprises
John Konrad
I
Contexte
1
L'Union européenne
La politique d'entreprise de la Commission européenne a été présentée au Conseil
européen de Madrid en 19951. La Commission a ensuite élaboré le Programme intégré en
faveur des PME et de l'artisanat2. Le présent rapport a été rédigé pour le Cedefop et plus
particulièrement pour sa brochure sur les Tendances européennes dans les professions et
les qualifications. Il devrait être intégré à la priorité et à l'objectif définis pour “renforcer
la compétitivité des PME et améliorer leur accès à la recherche, à l'innovation et aux
technologies de l'information ainsi qu'à la formation”. L'objectif D des objectifs de la
politique d’entreprise fait référence à un intérêt particulier pour “stimuler la formation en
gestion”3.
La Commission a adopté une recommandation i sur la définition des PME qui s'applique à
tous les programmes de l'Union européenne, résumée dans le tableau ci-après.
Entreprises
moyennes
Petites
entreprises
Microentreprises
< 250
< 50
< 10
Chiffre d'affaires maximum (en
millions d'écus)
40
7
-
Résultat global maximum (en
millions d'écus)
27
5
-
Effectif maximum
Outre le critère de l'effectif, une entreprise doit remplir l’un des critères financiers et doit
être indépendante, c'est-à-dire qu'elle doit être contrôlée à moins de 25 % par une ou
plusieurs entreprises satisfaisant à la définition précédente.
1
Rapport de la Commission au Conseil européen et au Conseil sur le rôle des petites et moyennes entreprises comme
sources dynamiques d'emploi, de croissance et de compétitivité dans l'Union européenne, CSE(95) 2087.
2
COM (94) 207 final, 3 juin 1994.
3
COM (96) 329, 20.3.1996 disponible sur le site: http://europa.eu.int/en/comm/dg23/guide_en/entpol.htm.
Le Livre blanc de la Commission européenne intitulé Croissance, compétitivité et emploi:
les défis et les pistes pour entrer dans le XXIe siècle, publié en 1993, insiste sur l'approche
européenne visant à développer l'emploi et à lutter contre l'exclusion sociale, tout en
favorisant la flexibilité et la décentralisation de l'économie.
Plus récemment, la Commission a adressé au Conseil des ministres un ensemble de
priorités visant à encourager l'esprit d'entreprise en Europe. Les priorités ainsi proposées
visent à promouvoir la formation spécialisée en management d'entreprise et à développer
une synergie entre les universités et les entreprises4.
Le rôle des PME dans l'économie de l'UE
En 1995, les PME employaient les deux tiers de la population active européenne. En
1996, 19 millions de PME se sont constituées, créant 110 millions d'emplois. Cependant,
les chiffres actuels de la Commission indiquent que seulement la moitié des entreprises
survivent au-delà de leur cinquième année d'existence5.
La création nette d'emplois dans les PME a plus que compensé les pertes d'emplois dans
les grandes entreprises pendant la période de 1988 à 1995. Les entreprises de moins de
100 employés sont à l’origine de la quasi-totalité des créations d'emploi, au rythme de
259 000 créations nettes d'emploi par an. (Commission européenne, 1995, 3)6
Ce même rapport a identifié la formation dans les PME comme un cas d'échec du marché
en termes de force de travail et de ressources humaines.
Bien que les qualifications soient l'une des clés de la compétitivité, la formation dans les
PME est beaucoup moins importante que dans les grandes entreprises, en partie parce que
la formation est inadaptée aux besoins des PME. Les programmes de formation initiale ne
dispensent pas toujours les aptitudes multidisciplinaires ni les compétences clés dont les
PME ont besoin. La formation traditionnelle, hors du lieu de travail, est souvent
inappropriée aux PME et l'infrastructure de la formation est notoirement faible dans les
secteurs dominés par les PME. Cependant, les créations d'activités et d'emplois sont
encore insuffisantes dans ce secteur (artisanat et petites entreprises), en raison d'un niveau
encore inadéquat de la formation professionnelle et de la formation en gestion pour les
apprentis et les nouveaux entrepreneurs potentiels. À moyen et à long termes,
l'enseignement et la formation devraient s'efforcer de favoriser une culture d'esprit
d'entreprise conduisant au lancement d’entreprises et à la création d'emplois.
(Commission européenne, 1995, 6, 12)
Globalement, l'image d'une apparente stabilité dans la proportion d'employés, dans les
PME, masque non seulement une rotation élevée du personnel, due aux faillites, mais
4
Encourager l'esprit d'entreprise en Europe: priorités pour l'avenir, COM (98) 222 final, Bruxelles, 07.04.98,
disponible sur le site: http://europa.eu.int/en/comm/dg23/smepol/finalen.pdf.
5
Commission européenne, Cinquième rapport sur l'Observatoire européen de la petite et moyenne entreprise: réunion
de présentation, Bruxelles, 25/11/97 - http://europa.eu.int/en/comm/dg23/guide_en/speech/eosmeen.htm.
6
Toutefois, pendant la même période (1988-1995) les entreprises employant plus de 100 personnes ont perdu, en
moyenne, 222 250 emplois par an (voir courbe 5).
également la mutation des emplois de la production vers le tertiaire, particulièrement
dans des secteurs comme le tourisme qui, en 1996, représentait jusqu'à 6 % de l'ensemble
des emplois. (Commission européenne, 1997, p. 3)
Le système “dual” de l'enseignement et de la formation professionnels, actuellement en
vigueur en Allemagne et dans quelques autres États membres de l'UE, s'est développé
dans les années 50. À cette époque, les grandes entreprises de production avaient besoin
d'une main d'œuvre rationnelle, planifiée et systématiquement formée. L'effondrement
des économies centralisées et planifiées de l'Europe de l'Est et le passage à une
production ouverte, fluctuante et orientée vers le client, qui caractérise les PME, laissent
à penser que les futurs modèles de formation et d'enseignement nécessiteront une
pédagogie ouverte, centrée sur l'apprenant. Il est probable que cette formation axée sur
l'entreprenariat devra être dispensée hors du lieu du travail afin de faire face au large
éventail des besoins et des situations. (McFarland, 1997, chapitre 11)
Une étude récente sur la prestation de la formation aux PME, commandée par le
ministère britannique de l'Éducation et de l'Emploi (DFEE), a examiné de nombreux
travaux de recherche, réalisés au Royaume-Uni, en Amérique du Nord et en Australie, et
a confirmé bon nombre des constatations énoncées ci-dessus. L'étude est notamment
parvenue aux conclusions suivantes:
- un dirigeant ou un employé de PME a moins de possibilités d’acquérir une formation
que s’il travaillait dans une grande entreprise, surtout si la formation est liée à un poste ou
aboutit à une qualification accréditée;
- il n’y a aucune raison évidente ni preuve déterminante permettant de penser que la
qualité de la formation dispensée dans les petites entreprises est moins bonne que celle
fournie dans les grandes entreprises;
- il est plus plausible d’invoquer les “tendances du marché” plutôt que “l'ignorance” pour
expliquer le moindre niveau de formation dans les PME, dans la mesure où:
- les dirigeants des PME sont davantage préoccupés par leur survie à court terme, alors
que de nombreux avantages de la formation, en particulier ceux qui conduisent à
l’acquisition de qualifications accréditées, s’acquièrent sur le long terme et procurent
d’importants retours sur investissement, pour l’individu et pour l’économie, plutôt que
pour l’employeur;
- les employeurs pensent que ceux qui bénéficient d’une formation dans les petites
entreprises risquent d’être débauchés par d’autres entreprises plus importantes7;
- les tendances du marché et les possibilités de promotion pour les dirigeants sont plus
faibles dans une PME;
7
Cependant, cette opinion est infirmée par d'autres travaux de recherche au Rotaume-Uni (qui prétendent que cette
formation ralentit la rotation du personnel) soutenant “…la thèse selon laquelle les employeurs forment le personnel
qu'ils souhaitent retenir afin de bénéficier de l'amélioration de leurs compétences acquises à l'issue de la formation.”
(Dearden et al., 1997).
- le large éventail des besoins manifestés par les PME conduit à des déséconomies
d’échelle pour les prestataires de formation.8
Un étude locale confirme l’existence d’une inadéquation entre la politique du
gouvernement, qui insiste sur l’obtention de qualifications, et la priorité des employeurs
qui mettent l’accent sur une formation hautement qualitative, flexible, personnalisée et
spécifique à l’entreprise. (Konrad et al., 1998)
2
La région Asie-Pacifique
Hors Europe, la zone la plus active de développement en faveur des PME est le groupe de
coopération économique Asie-Pacifique (APEC). A la suite de la création du groupe ad
hoc de politique sur les PME (PLGSME), en février 1995, un certain nombre de projets et
d’ateliers ont vu le jour. Pour 1998, les projets prévoient la création d’un programme de
formation et d’apprentissage à distance et l’élaboration d’un référentiel de certification
pour les conseillers en petites entreprises.9
Le compte rendu de la deuxième conférence commune États-Unis - UE intitulée
Enseignement et formation pour une force de travail innovatrice, qui s’est tenue à San
Diego, en novembre 1994, a été publié récemment par le National Center for Research in
Vocational Education at the University of California (Berkeley).10 (McFarland L 1997)
Les États-Unis et l’Europe doivent relever un défi commun, à savoir que la pression
mondiale exige une plus grande réactivité de la part des industriels, une plus grande
flexibilité de la production, une amélioration des compétences et de l’innovation de la
part des travailleurs. L’une des réponses des États-Unis à ce défi a été de créer des
“pépinières” qui resserrent les liens entre les PME et les établissements d’enseignement.11
La “pépinière d'entreprises”
Une étude sur les entrepreneurs et les dirigeants de pépinières d'entreprises a été publiée
aux États-Unis en 1996. Elle définit ainsi les caractéristiques de l'esprit d'entreprise:
- aptitude aux affaires;
- compétences entrepreneuriales;
- compétences techniques;
- aptitude à la motivation;
8
C'est une autre raison pour laquelle les prestataires de formation devraient être encouragés et aidés financièrement à
développer des méthodes ouvertes et flexibles en matière d'enseignement et de formation.
9
Policy Level Group on SMEs: Report on activities, Secrétariat de l'APEC, Singapour, 1997. Disponible sur le site:
http://www.actetsme.org/apecsme/plgsme.html.
10
Disponible sur le site: http://vocserve.berkeley.edu/MDS-1073/.
11
Les pépinières d'entreprises se définissent comme une stratégie visant à encourager le développement économique
local. (Hernades-Gantes et al., 1996).
- aptitude aux relations interpersonnelles et à la communication.
Environ un tiers des personnes interrogées ne ressent pas le besoin de recourir à des
services de formation et de développement, un tiers accorde de la valeur à la formation
individuelle, sur le lieu de travail et au conseil, et un quart opte pour l'organisation
périodique de séminaires. Le groupe le plus important des entrepreneurs (40 %) a acquis
ses compétences commerciales et techniques en “travaillant pour une entreprise” tout en
suivant des cours de premier cycle supérieur (18 %) et deuxième cycle supérieur (33 %).
Les trois domaines de compétence dans lesquels un complément d'enseignement et de
formation est nécessaire sont l'aptitude aux affaires (29 %), les compétences
entrepreneuriales (18 %) et les compétences techniques (17 %). Ces résultats confirment
l'opinion que les compétences spécifiques complètent les qualités personnelles de
l'entrepreneur. L'étude révèle également que les universités sont mieux adaptées à
dispenser cet enseignement et cette formation que les établissements d'enseignement sur
deux ans. (Hernades-Gantes et al., 1996)
Instituts locaux de recherche et de développement au Japon
Le gouvernement japonais adopte constamment des mesures d'aide en faveur de la mise à
niveau technologique des petites et moyennes entreprises (PME). Ces mesures utilisent
l'unique système du kosetsushi ou passent par les instituts publics de recherche et de
développement dont l'objectif est d'éliminer les obstacles au développement
technologique et d'inciter activement les PME à développer leurs propres technologies
pour répondre aux mutations économiques. Cette approche s'appuie sur le résultat des
études du gouvernement qui ont révélé que 70 % des PME souffraient d'une carence en
aide pour développer de nouveaux produits. Le gouvernement local (la préfecture) gère le
kosetsushi, le gouvernement central fournissant l'aide financière. Il y a actuellement deux
cents kosetsushi dans quarante-sept préfectures, ce qui représente un budget global d'un
milliard d'USD. L'institut le plus important compte deux cents ingénieurs, quatorze
instituts en ayant plus de cent. Au total, ces kosetsushi traitent environ quatre cent
cinquante mille questions et problèmes technologiques par an.
La formation technologique, nécessaire pour répondre aux besoins locaux, est payante
pour les PME locales, l'assistance et les conseils d'utilisation des dernières technologies
de traitement et de mesure étant fournis gratuitement. Cette approche a l'avantage de
favoriser les réseaux de relations et la communication qui permettent souvent aux PME
de s'entraider pour répondre à leurs besoins réciproques et d'adopter une gamme de
nouvelles technologies plus large que ne le font normalement les entreprises
individuelles. (Nakazawa, 1996)
Résumé
En réponse à ces questions, un consensus s’est dégagé pour insister sur l'importance d'une
action coordonnée au niveau local, menée par le gouvernement local, les établissements
scolaires et les organisations sociales au niveau de l’entreprise et de la communauté. Au
Royaume-Uni, les Training and Enterprise Councils et les Local Employment Companies
(conseils en entreprise et en formation et les agences locales pour l’emploi) ont joué un
rôle essentiel dans la première moitié des années 90. L'approche japonaise est très
pragmatique, car elle met l'accent sur l'importance de promouvoir la coopération, sur
l'établissement de réseaux entre les PME et sur l'aide financière du gouvernement central
par l'intermédiaire des collectivités locales.
Les influences sur l'action locale dépendent de divers facteurs. Dans les moments de
prospérité, lorsque la pénurie des compétences devient cruciale, les employeurs sont
mieux disposés à participer aux programmes qui associent l'enseignement et l'entreprise
ainsi qu'aux initiatives visant à améliorer la transmission de compétences “supérieures”.
Globalement, l'étude indique que le souci majeur de la formation technologique et
opérationnelle de base est d'aider les PME à résoudre des problèmes pratiques qui
menacent leur survie. Au fur et à mesure que ces entreprises mûrissent et se stabilisent,
leur intérêt s'éveille et elles sont mieux disposées à s'impliquer dans des problèmes à long
terme comme l'élévation du niveau des compétences formelles par l’accréditation
formelle.12
Si cette aide individualisée essentielle permet d'améliorer de manière significative le taux
de survie des PME, l'apprentissage sur le lieu de travail fournit également une base de
développement à moyen terme de compétences accréditées menant à des qualifications
professionnelles, à tous les niveaux de l’enseignement. La prestation définie dans la
partie suivante illustre le type de prestations qui atteint cet objectif.
De plus, les initiatives des gouvernements centraux ou de l'UE, comme les programmes
“New Deal” ou ADAPT, créent des structures de qualité et des mesures d'encouragement
pour les programmes locaux. La mesure d'encouragement la plus importante, au niveau
local, est la possibilité d'un investissement interne, lequel dépend, généralement, de
l'embauche de personnel doté des compétences requises, facteur qui exerce une influence
majeure sur le développement du secteur des PME intégré à la chaîne de l'offre.
12
Hardill et Wynarczyk (1996) ont mis en évidence que les PME de l'industrie qui utilisaient avec succès les
technologies de l'information, et avaient atteint un niveau de croissance plus élevé, étaient dirigées par des personnes
dotées plus souvent d'une qualification formelle qui avaient constitué une équipe de direction formelle.
II
Examen des qualifications actuellement délivrées aux PME
1
Développement des qualifications universitaires
Au cours de la dernière décennie, les qualifications ont connu un certain nombre de
développements novateurs à tous les niveaux de l’enseignement supérieur, les
programmes d’enseignement étant dans ce cas établie en fonction de l’expérience
professionnelle de l’apprenant. Le Royaume-Uni nous fournit quelques exemples de ces
innovations.
1.1
Trois études de cas au Royaume-Uni
• L’université de Stirling a instauré l’apprentissage dans les petites entreprises (LISC) qui
fonctionne en partenariat avec les établissements scolaires locaux pour créer des
programmes d’apprentissage axés sur l’expérience professionnelle, sanctionnés par un
diplôme préuniversitaire13, ainsi qu’un certificat en management des PME (Certificate in
Small and Medium Enterprise Management - CSMEM). Au total, vingt-huit entreprises
implantées essentiellement dans la zone géographique couverte par la Central Scotland
Local Enterprise Company (Forth Valley Enterprise) ont participé au projet. Ces
entreprises travaillent dans divers secteurs de l’industrie et du commerce. Leur taille va
de la microentreprise à la taille maximale des PME. Bien que certains chefs d’entreprise
manifestent moins d’intérêt que leurs employés pour les qualifications, ils sont mieux
disposés à l’égard des formations dispensées sur le lieu de travail. Ce projet a puisé dans
un réservoir de demande latente constitué par ces groupes d’employés traditionnellement
mis à l’écart de la formation professionnelle continue. L’attrait de ce certificat (CSMEM)
réside dans le fait qu’il donne une qualification personnalisée aux dirigeants des PME. 14
En concordance avec la recommandation du Livre blanc sur l’éducation et la formation,
publié par la Commission, en 1995,15 de réintroduire les mérites d’une solide base de
connaissances, le certificat CSMRM est mis au point dans le cadre d’un programme
transnational d’apprentissage à distance financé par le programme Leonardo da Vinci.16
• Le National Centre for Work-based Learning Partenerships at Middlesex University17
permet aux candidats de faire valoir leur apprentissage “sur le tas”, de suivre les
programmes académiques et de préparer les diplômes souhaités, depuis un seul module
jusqu’à l’ensemble des diplômes de l’enseignement supérieur. Les participants peuvent
établir leur propre programme d’apprentissage en associant des modules spécifiques de
13
Qualifications professionnelles écossaises (Scottish Vocational Qualifications - SVQs); Conseil d'enseignement
professionnel écossais (Scottish Vocational education Council - SCOTVEC), modules de certificat national et cours
d'accès à l'université.
14
The Executive Summary of the project report, University of Stirling, 1996 est disponible sur le site:
http://www,stir.ac.uk/epd/lisc/exect.html.
15
Disponible sur le site: http://europa.eu.int/en/comm/dg.22.html.
16
Projet européen d'apprentissage dans les petites entreprises (ELISC). Des informations sont disponibles sur le site:
http://www.stir.ac.uk/epd/elisc/index.htm.
17
Informations complémentaires disponibles sur le site: http://alpha2.mdx.ac.uk/www/ncwblp/welcome.html.
planification, de développement des connaissances et des compétences et de projet.18
Cette approche, unique par sa flexibilité, permet à chacun de satisfaire à la fois ses
propres besoins et aspirations et ceux de l’entreprise. L’un des cinquante partenariats
réalisés porte sur la préparation à un diplôme d’ingénieur, B.Eng., délivré par la Anglia
Polytechnic University aux fournisseurs de la Ford Motor Company19.
• À la School of Professional Education and Development at Leeds Metropolitan
University, le système d’accréditation d’un cycle court (Short Course Accreditation
Scheme - SCAS) fournit une structure permettant aux employeurs d’accréditer la
formation et le développement internes de leur personnel par des équivalences
académiques, reconnues par les systèmes CATS britannique et européen. La progression
de la formation est assurée par un programme, sanctionné par des diplômes universitaires
de tous niveaux, dans lequel les programmes d’apprentissage axés sur l’expérience
professionnelle peuvent être pris en compte jusqu'à 50 % dans l’évaluation de l’année.
Les autres équivalences sont obtenues à l'aide d'autres modules, association de modules
de connaissances - acquises par un enseignement direct ou un apprentissage à distance -,
des modules d'études indépendants et des projets.20 L'université s'appuie sur ses
partenariats européens transnationaux existants pour planifier l'élaboration d'un
programme de premier cycle accrédité destiné aux formateurs et aux conseillers
professionnels bénéficiant du contrat institutionnel Socrate et du mécanisme prévu par
l'action 6 du programme Erasmus.
Ces exemples de programmes qui répondent aux besoins des travailleurs à plein temps
sont particulièrement adaptés à la situation des PME caractérisées par des besoins très
variés et des effectifs insuffisants pour organiser des cours traditionnels. Dans l'exemple
de bonne pratique, illustré ici, on a pris soin de s'assurer que le personnel impliqué dans
la gestion et la dispense de ce type de programme était totalement soutenu par la politique
et l'infrastructure de l'université. Dans deux des exemples cités, les programmes de
recherche et de développement de l'UE ont fourni les moyens d'adapter l'innovation aux
différents systèmes des États membres.
Ces innovations ne sont pas limitées au Royaume-Uni. Des développements parallèles
existent en Australie, où une étude importante a identifié les caractéristiques des
méthodes pédagogiques utilisées par des programmes d'apprentissage, axés sur
l’expérience professionnelle, couronnés de succès (Candy et al., 1994):
- apprentissage assisté par des pairs et apprentissage indépendant;
- apprentissage pratique par l'expérience et la vie active;
- enseignement par les ressources et par la résolution de problèmes;
18
Informations disponibles sur le site: http://alpha2.mdx.ac.uk/www/ncwblp/wblprogrammes/hndbk_tit.html
Informations et opinions des étudiants disponibles sur le site:
http://alpha2.mdx.ac.uk/www/ncwblp/GeneralInfo/partnership.html.
20
Informations détaillées disponibles sur le site: http:/www.lmu.ac.uk/ces/ped/.
19
- pratique de la réflexion et de l’autocritique;
- apprentissage ouvert et flexible.
L'expérience australienne de l'apprentissage par la réflexion a eu beaucoup d'influence, en
particulier les concepts de préparation et de réflexion dans l'action (Boud et Walker,
1991).
1.2
L'expérience australienne
La Southern Cross University est située sur la côte septentrionale du New South Wales.
Le Master of Business Administration (MBA) délivré par le Graduate College of
Management propose un éventail de cours facultatifs par l'apprentissage à distance, y
compris la téléconférence, et offre la possibilité de rencontres, en fin de semaine, dans le
cadre d'ateliers organisés à l'intérieur et à l'extérieur du campus. Le programme
fonctionne sur une année calendaire organisée par trimestres, le personnel étant à la
disposition des étudiants quarante-quatre semaines par an. Il faut réussir 12 unités de
valeur pour obtenir le MBA complet, 8 pour le Graduate Diploma et 4 pour le Graduate
Certificate.21 Entrepreneurship and Small Business (l'entreprenariat et la petite entreprise)
constitue l'une des filières spécialisés qui permet de suivre une unité de premier niveau
sur les “concepts de l'esprit d'entreprise”.22 Cette unité constitue une partie homogène de
l'enseignement académique formel “... orientée vers la gestion des principales fonctions
commerciales et vers la stratégie de l'entreprise. ... Les outils pédagogiques sont conçus
de façon à insister sur le lien entre le bénéficiaire du savoir conceptuel et l’expérience ‘du
monde réel’.”23
Cet exemple montre jusqu'à quel point le modèle traditionnel du MBA peut être adapté
aux besoins des PME.
1.3
Amérique du Nord
Le W. Maurice Young Entrepreneurship and Venture Capital (EVC) Centre (University
of British Columbia, Canada), spécialisé dans l’entreprise et le capital-risque, a été créé
en 1992 comme centre de recherche destiné à soutenir les programmes de préparation aux
diplômes, notamment au MBA, option “entreprenariat” et aux cours de premier cycle
universitaire. Ce centre organise également des ateliers pour les PME locales,
essentiellement dans le domaine de la planification des activités de l’entreprise.
Ce MBA s’adresse aux étudiants qui souhaitent créer leur propre entreprise ou rejoindre
de nouvelles entreprises.24 Le programme a une structure classique, composée d’un
module commun de spécialisation en Entrepreneurship and New Venture Creation
(entreprenariat et création d’entreprises) et des modules en option intitulés Corporate
21
Un guide d'information sur l'ensemble du programme peut être consulté sur le site:
http://www.scu.edu.au/schools/gcm/mba/cig.htm.
22
Consulter le site: http://www.scu.edu.au/schools/gcm/mba/mn737.htm.
23
La brochure correspondante peut être consultée sur le site: http://www.scu.edu.au/schools/gcm/mba/prospect.htm.
24
Une présentation du MBA est disponible sur le site: http://pacific.commerce.ubc.ca/evec/mba.html.
Entrepreneurship, Technology Entrepreneurship et Managing the Privately-Held
Business (l’entreprenariat dans les moyennes et grandes entreprises, l’esprit d’entreprise
en technologie et le management d’une société de personnes). Bien que ce programme de
MBA soit davantage spécialisé dans les nouvelles entreprises de haute technologie que
notre exemple précédent, il est essentiellement destiné aux nouveaux entrepreneurs.
La School of Business and Economics at California State University, Los Angeles, suit
une approche similaire.25 Elle propose une option “entreprenariat” au niveau du premier
cycle universitaire et un certificat sur l’Entrepreneurship and Small Business
(l’entreprenariat et les petites entreprises).26
Le Donald H. Jones Center for Entrepreneurship in the Graduate School of Industrial
Administration at Carnegie Mellow University effectue des travaux de recherche et
propose un programme de management entrepreneurial destiné aux dirigeants et aux
créateurs de moyennes et petites entreprises.27 Ce programme vise les entreprises d’au
moins vingt salariés qui ont un résultat annuel de plus d’un million de dollars. Il
comporte une série de séminaires de trois heures étalés sur vingt semaines dont le
contenu s’appuie sur le programme de deuxième cycle en “entreprenariat”. L’école
propose également des programmes de premier et deuxième cycles dans lesquels “les
étudiants apprennent les méthodes et la philosophie de l’entrepreneur et commencent à
considérer l’entreprise du point de vue de l’entrepreneur.”28 Outre les cours en
“entreprenariat” et en management entrepreneurial, les étudiants ont la possibilité
d’obtenir des équivalences en réalisant des projets de management, en participant au
développement de nouveaux produits et en effectuant des études indépendantes. Ils sont
ainsi amenés à travailler comme consultants auprès de dirigeants de petites entreprises
dans la région de Pittsburg.
À ce propos, il convient d’évoquer le débat de Robert Reich sur le rôle des “analystes
symboliques” qui “ … simplifient la réalité en la transformant en images abstraites qu’ils
remanient, manipulent, expérimentent, communiquent à d’autres spécialistes pour enfin
les retransformer en réalité.” (Reich, 1993, p. 178)
Les plus grands universités et centres de recherche, surtout s’ils bénéficient de bonnes
communications internationales, attirent tels des aimants les individus doués des plus
grandes capacités et de l’esprit d’entreprise.
“… Les zones symboliques-analytiques de l’Amérique restent, en grande partie,
merveilleusement dynamiques. Grâce à elles, les analystes symboliques américains
améliorent constamment leurs aptitudes à résoudre et à identifier des problèmes
conceptuels de plus en plus stimulants.” (Reich, 1993, p. 240)
25
Une brochure de présentation de l'école est disponible sur le site:
http://www.calstatela.edu/academic/business/mktg/entrepre.htm.
26
Des informations détaillées sont disponibles sur le site:
http://www.calstatela.edu/academic/business/mktg/entcert.htm.
27
Des informations détaillées sont disponibles sur le site: http://www.gsia.cmu.edu/afs/andrew/gsia/EntC/managementprograms/no-js-index.html.
28
Entrepreneurship Education, http://www.gsia.cmu.edu/e-ship/education.html.
Résumé
Le développement des PME ne dépend pas seulement du développement professionnel
continu, mais, pour assurer une croissance durable, nécessite aussi le recours à des
universitaires ayant reçu un enseignement et une formation adéquats. C’est ainsi que se
caractérisent tous les programmes universitaires examinés dans cette étude.
En résumé, le succès de ces qualifications universitaires novatrices réside dans leur
aptitude à répondre aux besoins des PME en programmes flexibles et individualisés
d’apprentissage accrédité, tout en respectant les normes académiques. L’enseignement et
la formation, dispensés à des professionnels considérés comme “professionnels
pensants”29, a largement contribué à répondre aux besoins de l’organisation et des
individus au sein des PME. La pertinence de ce modèle, pour l’ensemble de l’UE et pour
des nouveaux pays candidats, devrait être testée dans les années à venir par
l’intermédiaire de projets pilotes.
2
Niveau préuniversitaire (enseignement postsecondaire)
2.1
Royaume-Uni
Quatre qualifications professionnelles nationales (NVQ), destinées aux dirigeants de
petites entreprises, ont été accréditées en juin 199630. Une seule de ces qualifications
attire un nombre important de candidats. Le tableau ci-après donne la liste des unités de
compétence de deux de ces qualifications ainsi que le nombre de certificats délivrés au
30 septembre 1997.
Qualification
Niveau
Nombre de
certificats
délivrés
Management par les chefs d'entreprise - Gestion et
développement de l'entreprise
4
1
29
Ce concept est normalement associé au modèle d'apprentissage par l'expérience de Kolb (1976) - ouvrages de Donald
Schön sur le thème de la réflexion ayant autorité en la matière: The Reflective Practitioner (1983), Educating the
Reflective Practitioner (1987) et The Reflective Turn (1990) - et le modèle d'apprentissage actif de Revans (1983).
30
Ces qualifications, élaborées par le Small Firms Lead Body, ont été accréditées en 1996 et sont délivrées par The
Institute of Management Foundation.
Unités obligatoires (5)
•
•
Élaboration d'un plan de développement de l’entreprise
Mise en œuvre d'un plan de développement de
l’entreprise
•
Amélioration de sa propre gestion de l'entreprise
•
Gestion financière de l'entreprise
•
Examen des performances de l'entreprise
Unités en option
(3 sur 9 au choix)
•
Élaboration d'une politique de contrôle du crédit
•
Élaboration et mise en œuvre d'un plan marketing
•
Élaboration et mise en œuvre d'un plan de ventes
•
Développement de la contribution du personnel à
l'entreprise
•
Exportation des produits et des services
•
Obtention de financement pour l'entreprise
•
Obtention et gestion de locaux pour l'entreprise
•
Planification financière de l'entreprise
•
Achat de produits et de services
Qualification
Niveau
Nombre de
certificats
délivrés
Management par les chefs d'entreprise- Planification
des activités de l'entreprise
3
998
Unités obligatoires (3)
•
Définition des conditions juridiques et financières
nécessaires pour créer et exploiter une entreprise
•
Élaboration d'un projet d'entreprise
•
Planification de l'exploitation de l'entreprise
Options (3 sur 4 au choix)
•
Définition des exigences en matière de surveillance et
de contrôle des opérations de l'entreprise - Qualité
•
Évaluation et mise au point de son propre code de
pratique
•
Planification du développement des ressources
humaines au sein de l'entreprise
•
Planification de la stratégie commerciale de
l'entreprise
Cette approche visant à former et à éduquer les dirigeants des PME en est encore à ses
balbutiements, ces qualifications n'étant accréditées que depuis dix-huit mois environ31.
Parallèlement, le référentiel normal du management a été révisé en 1997 pour la première
fois depuis 1990. Dans ce contexte, les presque mille certificats de niveau 3, délivrés
pour la première année, représentent un nombre relativement important. Si l'on tient
compte des améliorations en cours, dans la qualité et la fiabilité de l'évaluation des
qualifications professionnelles nationales (NVQ), la pertinence et l'impact de ces
qualifications méritent une recherche plus approfondie32.
2.2
Australie
L'apprentissage ouvert australien (Open Learning Australia) coordonne le programme de
formation en management des petites entreprises qui comprend:
- des modules individuels/des groupes de modules ayant pour thème la négociation, la
communication, management and leadership et les aptitudes aux relations
interpersonnelles;
- le Certificate in Small Business Management (cent cinquante heures minimum),
programme agréé et reconnu au niveau national, dispensé sous la forme d'un
31
Lors de leur lancement, ces qualifications ont été critiquées pour ne pas reconnaître l'approche holistique nécessaire
pour satisfaire les besoins des clients. (Banfield et al., 1996)
32
Pour de plus amples informations sur ces approches, consulter Jennings et alii, 1996.
apprentissage à distance à son propre rythme par les établissements d'enseignement
technique et postsecondaires (TAFE);
- un Graduate Certificate of Small and medium Enterprise Management est délivré par
une université à l'issue d'un enseignement à distance de six cent vingt heures réparties sur
vingt-six semaines. Ce programme est destiné à la fois à ceux qui accèdent à des
fonctions de management des PME et à ceux qui souhaitent améliorer et faire valider
leurs connaissances et leur expérience.
“Normalement, les petits entrepreneurs comme nous ne suivent pas les cours proposés
par les collèges TAFE en Australie. Cela explique peut-être pourquoi nous sommes si
nombreux à faire faillite au cours du premier exercice. Les gens qui s’inscrivent à ces
cours sont généralement des jeunes en fin d’études, ou qui viennent de trouver un emploi
pour lequel ils doivent assister à ce type de cours. Ces cours présentent également un
autre avantage, à savoir qu’ils constituent un bon tremplin pour entrer dans le monde des
grandes entreprises.”33
3
Canada
Le Sector Councils Steering Committee Secretariat at the Canadian Labour Force
Development Board a publié un guide sur les métiers à l’intention des propriétaires et des
dirigeants de petites entreprises.34
III
La nature des compétences - Exploitation des compétences sur le lieu de
travail - Expérience au Royaume-Uni
Définitions
Au début des années 90, un débat s’est développé autour de la nature et de la définition
des compétences. Il s’est centré, essentiellement, sur le but de la méthode choisie à
l’égard des compétences.
“Ces cadres de compétences s’appuient, dans une plus ou moins large mesure, sur les
modèles suivants (solutions alternatives):
- un modèle de compétences faisant référence ‘à une caractéristique sous-jacente d’un
individu ayant un rapport causal avec des performances efficaces ou supérieures dans une
fonction’ (Boyzatis, 1982). Les compétences sont définies comme les comportements
qu’un individu doit manifester;
- un modèle de compétences faisant référence à ‘l’aptitude à réaliser des activités dans
une fonction conformément à une norme prescrite’ (Fletcher, 1991). Les compétences
sont définies comme des normes minimales de performances compétentes.” (Strebler et
al., 1997, p. 3)
33
Kevin Newman, Owner of Sailz Boutique Holiday Villas (personal communication), mai 1998.
À ce jour, nous n'avons aucune information sur ce sujet, malgré notre demande par courrier électronique à
[email protected].
34
Ces distinctions sont amplifiées par une évaluation critique de la méthodologie de
l’analyse fonctionnelle utilisée pour mettre au point les qualifications professionnelles
nationales (NVQ).
“La notion de compétence, appliquée ici, comporte deux caractéristiques. La première est
que la compétence consiste en des comportements spécifiques des individus, et que
certains de ces comportements conduisent à des performances supérieures. La seconde est
que ces comportements sont associés aux qualités personnelles susceptibles d’être
apprises et développées. Boyzatis suggère que la performance efficace intervient lorsque
les trois éléments suivants sont en harmonie:
- les compétences individuelles;
- les demandes d’emploi;
- l’environnement organisationnel.
Cela suggère que la compétence est spécifique à chaque situation.” (Stewart et Sambrook,
1995, p. 97)
En fait, les études montrent que la distinction théorique entre les modèles de
comportement et de compétence s’estompe généralement dans la pratique. Le point le
plus important est que les employeurs et les employés doivent définir clairement le centre
d’intérêt - l’individu ou l’emploi - et le niveau de performance - non compétent,
compétent, efficace ou supérieur.
Le développement des qualifications liées aux compétences s’appuie sur l’analyse des
fonctions professionnelles. Cela implique l’intervention d’un groupe d’experts dans la
méthodologie de l’analyse fonctionnelle, plutôt que l’étude du domaine spécifique des
compétences professionnelles, avec une analyse descendante d’un domaine professionnel
à l’aide d’un modèle de compétences s’appuyant sur “le rôle global du travail”.35
Dans le modèle comportemental, les compétences aident à définir les valeurs de
l’entreprise préoccupée à la fois par le développement des individus et par le
développement de l’entreprise. Un exemple type est fourni par la norme nationale
britannique sur la qualité recommandant d’investir dans le capital humain.36
35
Mansfield, B., Mitchell, L., Towards a competent workforce, Londres, Gower, 1995.
Investors in People (investir dans le capital humain) est la norme nationale britannique dans la qualité recommandant
d'investir efficacement dans la formation et dans le développement individuel pour atteindre les objectifs de
l'entreprise. Cette norme fournit un cadre, et non un modèle rigide, pour améliorer les performances et la compétitivité
de l'entreprise par une approche planifiée permettant de définir et de communiquer les objectifs de l'entreprise et de
développer les capacités du personnel pour lui permettre d'atteindre ces objectifs. Cette norme reconnaît que chaque
entreprise est différente et détient des atouts et des domaines spécifiques pour progresser. Le résultat recherché est que
les capacités et les motivations des individus doivent coïncider avec ce que l'entreprise attend d'eux.
36
L’approche des compétences par les “normes minimales” est de plus en plus liée à
l’introduction de la gestion des performances et de la rémunération des compétences
(Industrial Society, 1996). Au Royaume-Uni, les secteurs nouvellement privatisés,
comme les télécommunications, les services d’eau, d’électricité et de gaz - le secteur des
“services publics” -, ont largement utilisé cette approche. Les qualifications liées au
référentiel S/NVQ ont été associées, au début des années 90, à l’accroissement du
chômage, à la précarité de l’emploi et à l’augmentation des emplois à qualifications
multiples, au détriment des emplois à qualification unique. L’impact de la contribution
des établissements financiers, soucieux de privilégier au maximum les actionnaires au
détriment des autres partenaires de l’entreprise, en particulier le personnel, a récemment
été mis en évidence et identifié comme un problème ayant des effets néfastes dans le
contexte du nombre important de création d’emplois de l’économie des Etats-Unis.
(Reich, 1998)
La faiblesse fondamentale de l’approche britannique des qualifications liées aux
compétences réside dans l’analyse fonctionnelle mentionnée précédemment.
“Il ressort clairement de l’évaluation critique, présentée ici, que l’analyse fonctionnelle
révèle, à plusieurs niveaux, des faiblesses avérées. Elle s’appuie sur une base
philosophique et conceptuelle incertaine, et l’évaluation empirique de son application
suggère l’impossibilité d’atteindre les résultats prétendus et attendus. Il en découle deux
implications essentielles.
Premièrement, cette conception des compétences et de l’analyse fonctionnelle se traduit
par une concentration sur un éventail restreint de compétences techniques. Dans ces
conditions, il est improbable que les niveaux élevés de compétences soient appelés à se
développer.
Deuxièmement, les objectifs et les valeurs non liés à l’emploi, traditionnellement obtenus
par l’éducation, risquent d’être marginalisés.
Pour nous, il est clair que cette méthode ne peut pas être considérée comme un outil
valable et fiable pour créer un système national de qualifications professionnelles.”
(Stewart et Sambrook, 1995, pp 104-105)
Cette opinion est confirmée par une étude de “salariés experts” qui montre que
l’“expertise”, contrairement à la “compétence”, dépend à la fois du nombre d’aptitudes
spécifiques et de la manière dont les travailleurs organisent leurs connaissances
(Cornford et Athanasou, 1995). De plus, les industries d’équipement au Royaume-Uni
ont prouvé leur soutien au “partenariat social” européen où les syndicats, les aspirations
des travailleurs et l’historique auront un impact déterminant sur les décisions en matière
de formation (Heyes, 1993). Les différents styles de management et les différentes
cultures d’entreprise, notamment lorsqu’ils sont liés aux nouvelles technologies et au
développement du management, limitent la portée utile de l’approche réductrice et
mécaniste du référentiel NVQ actuel. (Fletcher et Hardill, 1995)
L’analyse ci-dessus permet de conclure que le modèle original des NVQ, qui s’appuie sur
les qualifications liées aux compétences, est imparfait et soutenu par un groupe restreint
d’enthousiastes qui se sont apparemment révélé incapables de prendre en compte les
critiques méthodologiques et idéologiques fondamentales de cette approche. Le concept
de compétence professionnelle, sur lequel s’appuie la méthode d’apprentissage par
l’expérience professionnelle utilisée au Royaume-Uni, repose sur un système théorique
étroit, mécaniste et quelque peu incohérent. Cette approche a été mise en œuvre dans un
contexte de politique sociale visant à réduire les imperfections et le manque de flexibilité
du marché du travail.
Les réformes actuelles du système des NVQ, qui devraient être achevées depuis
septembre 1999, devront être solidement ancrées sur des procédures rationnelles et
cohérentes s’appuyant sur un système constructiviste et cognitif moderne et étroitement
lié aux besoins émergents de l’Union européenne élargie. D’autres travaux de recherche
seront nécessaires pour contrôler dans quelle mesure le modèle des NVQ et le
développement de qualifications similaires dans les autres États membres de l’UE
fournissent une réponse concrète aux besoins des PME qui souhaitent l’accréditation de
l’apprentissage par l’expérience professionnelle au niveau préuniversitaire.
Deg ré d e d i f f i cu l té d a n s l ’év a l u a ti on et l e d év el o p p emen t d es
co mp éten c es : o p i n i o n s d es u t i l i s a t eu rs
Évaluation aisée
Évaluation
difficile
Développement
aisé
Développement
difficile
Communication
Vision
Aptitudes
techniques
Aptitudes aux
relations
interpersonnelles
Aptitudes
techniques
Aptitudes aux
relations
interpersonnelles
Planification et
organisation
Résolution de
problèmes et prise
de décisions
Planification et
organisation
Compétences liées Communication
à la personnalité
et au
comportement
Compétences liées
à la personnalité et
au comportement
Résultats
mesurables
Résolution de
problèmes et
prise de décisions
Connaissances
Leadership et
motivation
Travail en équipe
Sensibilisation à la
gestion financière
et commerciale
Prise en compte du
client
Vision
Aptitudes à
l’analyse
Aptitudes à
l’analyse
Résultats
mesurables
Aptitudes à
l’analyse
Dans ce contexte, les compétences les plus faciles à développer et à évaluer sont celles
qui peuvent être:
- observées;
- testées;
- mesurées.
Résumé
Cette étude soulève un point intéressant, à savoir que les comportements les plus faciles à
développer et à évaluer sont ceux que les employeurs considèrent comme les moins
importants pour la croissance de l’entreprise à moyen et à long termes. Elle suggère en
outre que les compétences davantage liées à la personnalité de l’individu sont plus
difficiles à évaluer en raison de la manière dont elles sont définies, parce qu’elles se
chevauchent, s’appliquent à des situations particulières et sont difficiles à modifier.
(Strebler et al., 1997, pp 48-59)
Bien qu’il soit difficile de généraliser, certains signes indiquent une inadéquation entre
les stratégies flexibles, individualistes et basées sur la réflexion, développées au niveau
de l’université, et l’approche restreinte, standardisée et mécaniste adoptée par les
qualifications originales liées aux compétences. Au fur et à mesure que s’intensifient le
nombre et le niveau des pressions de la concurrence sur les PME, les entreprises les plus
performantes sont celles qui se caractérisent par de solides stratégies de développement
du management. (Quale, 1994; Smallbone et al., 1995)
Conclusion
Cette étude a défini un schéma cohérent des besoins des PME en qualifications
permettant d’accréditer les compétences, les connaissances et les intuitions (visions) qui
participent à la survie et à la croissance de ces entreprises. Alors que la nature des
systèmes de qualifications varient en fonction de l’organisation particulière de ces
qualifications, dans les différents États membres, les principes communs de pertinence,
de flexibilité, d’accréditation de l’apprentissage, par l’expérience professionnelle, et le
développement du “professionnel pensant” contribueront de manière évidente au succès
des PME de l’an 2000.
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1995
C
Nouveaux développements des stratégies de qualification pour
l’intégration des innovations régionales et sectorielles1
Loek F.M. Nieuwenhuis2
Résumé
Ce document étudie le rôle de l'enseignement et de la formation professionnels pour
favoriser l’innovation dans les petites et moyennes entreprises. L'innovation des
entreprises est considérée comme un processus intégré dans des réseaux régionaux,
sectoriels et en chaîne. Le rôle de l'enseignement et de la formation professionnels évolue
de l'enseignement initial des jeunes et des adultes, vers une plus grande interaction et vers
des activités d'apprentissage en commun dans les réseaux industriels locaux. Plusieurs
études de cas sont présentées afin de mieux comprendre les processus d'innovation
industrielle et les actions correspondantes dans les différents réseaux. Le rôle des
établissements d'enseignement et de formation professionnels, dans ces processus
d'innovation, est encore marginal. Pour “tisser leur toile” dans les réseaux d'innovation
régionaux, les établissements d'enseignement et de formation professionnels doivent
développer leurs propres organisations d'apprentissage et de réseaux.
Mots clés
Innovation industrielle, développement régional, réseaux d'apprentissage, réactivité de
l'enseignement et de la formation professionnels, organisation d'apprentissage.
Introduction
L'innovation et la rapidité de la mise en œuvre sont des facteurs essentiels de la
compétitivité des entreprises, des secteur industriels, des régions et des collectivités
locales. L'innovation est un processus complexe fondé sur l'apprentissage interactif en
réseau. Elle comprend d'une part les essais et les processus en atelier et, d'autre part, la
recherche et le développement des technologies. Pour les petites et moyennes entreprises,
ce processus novateur devrait être assuré par des organismes externes à l'entreprise. Les
organisations tant sectorielles que régionales devraient jouer un rôle dans le soutien à
l'innovation et au transfert des nouvelles connaissances et technologies.
1
Contribution à un ouvrage de référence du Cedefop sur les Tendances européennes dans les professions et les
qualifications (pas encore publié)
2
Stoas, département de la Recherche sur l'éducation et l'emploi, Wageningen, Pays-Bas
Ce document traite particulièrement du rôle que jouent l'enseignement et la formation
professionnels dans le processus novateur des entreprises promptes ou tardives à innover.
La condition sine qua non pour jouer ce rôle est la capacité réelle du système
d'enseignement et de formation professionnels à relever le défi de la réactivité en
proposant des réponses souples aux nouvelles exigences en termes de compétences, aussi
bien au niveau de l'enseignement initial des jeunes que pour la formation professionnelle
continue de la main-d'œuvre adulte. Un enseignement et une formation professionnels
réactifs peuvent être un outil majeur de diffusion des résultats de recherche et de
développement des PME. Les centres et les établissements d'enseignement et de
formation professionnels devraient fonctionner comme des pivots dans les réseaux
d'apprentissage novateurs des entreprises, qu'ils soient régionaux ou locaux.
1
Comprendre l’innovation
L'innovation est essentielle pour la compétitivité des entreprises, des secteur industriels,
des régions et des collectivités locales. Cette philosophie émane essentiellement de
l'économie évolutive, centrée sur les aspects dynamiques de l'économie (Dosi et Nelson,
1994). Pendant l'entre-deux guerres, Schumpeter (Kleinknecht, 1994) introduit le
processus de destruction créatrice selon lequel les entreprises qui fournissent des produits
obsolètes sont mises hors du marché par des entreprises qui fabriquent de nouveaux
produits (la concurrence par la substitution et non par les prix: voir Jacobs, 1996).
L'innovation et le développement technologique sont les outils essentiels qui permettent
de survivre dans ce processus dynamique. La protection des “vieilles” entreprises entrave
le processus de la destruction créatrice, ce qui pourrait entraîner un sous-investissement
dans l'innovation. Selon Kleinknecht, les investissements dans le secteur de la recherche
et du développement permettent d'accroître les exportations et de renforcer la croissance
de l'emploi au niveau de l'entreprise. Les entreprises novatrices résistent mieux aux crises
économiques.
Les décideurs politiques nationaux et européens considèrent que des investissements
massifs dans des programmes de recherche orientés vers les techniques sont très
stimulants pour l'innovation. Les nouvelles connaissances et les technologies constituent
le principal objectif de ces programmes qui croient fermement à l'utilité des efforts de
recherche pour les entreprises et les organisations de services. D'autre part, il n'est pas
toujours facile d'appliquer les résultats des développements scientifiques et
technologiques dans les procédures courantes et dans le processus de production des
entreprises. Les PME, en particulier, ont quelques difficultés à adopter ces nouvelles
connaissances. Pour faciliter la mise en œuvre des résultats de recherche et
développement, des centres régionaux d'innovation ont été créés aux Pays-Bas, dans les
années 80. Or, même ces centres ne touchent pas la majorité des entreprises. La plupart
des problèmes de transfert de nouvelles connaissances et de technologies aux PME sont
dus à la linéarité des modèles de transfert des connaissances utilisés. Pour comprendre
ces difficultés, le processus de transfert des connaissances a récemment été étudié plus en
détail. Des recherches menées sur l'innovation (Coehoorn, 1995; Engel, 1995; Röling,
1992) montrent que les modèles linéaires de transfert des connaissances devraient être
remplacés par des modèles interactifs, associant des processus d'apprentissage par
l'expérience (“essais-erreurs” en atelier) à la base de connaissances existante et aux
infrastructures de recherche.
Verkaik (1997) définit l'innovation comme le développement de nouveaux produits,
services et processus qui peuvent être évalués et appliqués à court terme. L'innovation
diffère du développement des technologies et de la recherche fondamentale, en termes de
temps et de contexte économico-culturel. L'innovation, le développement (technologique)
et la recherche représentent trois types de générations de connaissances différents, liés
par une sorte de relation “séparés-ensemble”: leurs liens sont parfois en forte interaction,
dans d'autres cas très lâches.
Dosi (1988) décrit le processus microéconomique de l'innovation. Les données
disponibles sur la recherche et le développement et sur les brevets ne donnent qu'un
aperçu des activités novatrices: l'innovation, très souvent, se met en place à partir de
situations d'“apprentissage par l'action”. Cet auteur distingue quatre types de processus
novateurs:
- la recherche et le développement formels;
- la diffusion de la connaissance non formelle par les journaux, les organisations, la
mobilité et l'observation;
- l'apprentissage par l'action et par le comportement de résolution des problèmes;
- l'acquisition de connaissances au travers de machines et d'outils.
Selon Dosi, l'innovation consiste à résoudre des problèmes: les problèmes techniques mal
définis doivent être résolus grâce à un apprentissage créatif, fondé sur une connaissance
formelle et tacite. La connaissance tacite est essentielle pour savoir si l'innovation est
appropriée, car les avantages comparatifs en dépendent. Les innovations se cumulent ;
elles sont bâties sur les anciennes activités et sur les connaissances internes à l'entreprise,
ce qui empêche les concurrents d'imiter l'innovation.
L'innovation n'est pas un processus aléatoire. Elle est fondée sur une tradition bien ancrée
et dépend des modèles technologiques: les produits novateurs sont construits à partir de
technologies et de produits plus anciens (l'une des raisons essentielles étant la demande
des consommateurs). L'innovation est, en partie, prévisible par les zones de
développement proche: les dernières technologies définissent les prochains problèmes qui
devront être résolus par de nouvelles inventions. Les modèles technologiques sont
caractérisés par des stratégies d'apprentissage spécifiques qui permettent de réduire
l'incertitude.
La connaissance et les routines internes à l'entreprise conduisent à une prévalence de
l'innovation interne. Même lors de l'acquisition de nouveaux outils, il faut une capacité
interne pour mettre en œuvre les nouvelles connaissances. Les entreprises innovantes
s'appuient sur leurs propres compétences de base (Hamel et Prahalad, 1992). L'intégration
des innovations dans ces compétences de base et dans les processus d'apprentissage
interne est la meilleure protection contre les imitations.
La compétitivité, l'esprit d'innovation et le savoir-faire interne sont des éléments majeurs
d'une entreprise saine. Pour conserver cet atout, il faut une gestion des connaissances
particulière. La quête et l'usage des sources de connaissances externes et la mise en place
de processus d'apprentissage interne sont un aspect fondamental du management
moderne. Oerlemans (1997) considère l'innovation comme un processus intégré dans un
contexte plus large de connaissances fondé sur l'échange de sources techniques et
d'apprentissage, notamment pour les PME. Les réseaux économiques jouent un rôle
essentiel dans la transformation des sources de connaissances hétérogènes en “neue
Kombinationen” utiles.
L'innovation mène la connaissance spécifique à l'entreprise - connaissance tacite (Dosi,
1998; Nonaka et Takeuchi, 1994, Attwell/Brown dans cette publication) -, laquelle
renforce la position de “leader” des entreprises novatrices. La connaissance tacite repose
sur l'homme: il est essentiel de passer des contrats à durée indéterminée avec la majorité
des employés. Hartog (1996) considère que le nouvel ordre économique exige une plus
grande flexibilité de la part des employés (de meilleures compétences, une formation tout
au long de la vie), mais aussi une sécurité de l'emploi. La flexibilité devrait se traduire en
possibilité de formation et d'apprentissage de compétences et non pas en flexibilité
externe.
La résolution des problèmes et l'innovation grâce aux processus d'apprentissage par
l'expérience (“essais-erreurs”) font partie intégrante des processus d'apprentissage non
formels dans lesquels les réseaux sociaux jouent un rôle important. Les employés
apprennent en partageant leurs connaissances avec le reste de l'équipe et les employeurs
apprennent en créant des réseaux, avec leurs homologues, et des conseillers. Cependant,
la relation entre l'innovation et les compétences n'est pas univoque. Il semble qu'il existe
une relation de réciprocité: le niveau de compétences interne à l'entreprise est une
condition sine qua non pour pratiquer des activités novatrices. Par ailleurs, l'innovation
peut aussi mener à une certaine obsolescence des compétences, ce qui souligne d'autant
plus le besoin de recyclage et de formation complémentaire.
2
Contexte et sources de connaissances
L'innovation de l'entreprise est un processus intégré. Les entreprises ne jouent pas en
solistes en matière de connaissances et de technologies. D'après Oerlemans (1997), les
entreprises sont intégrées dans différents espaces de connaissance. L'innovation est un
processus intégré ; les connaissances et les technologies s'échangent au travers de réseaux
d'entreprises et d'institutions coopératrices. Le processus novateur se caractérise par une
combinaison des savoirs existants en un nouveau savoir combinatoire. Pour organiser ce
processus combinatoire, les entreprises doivent collaborer avec d'autres entreprises et
établissements d’enseignement. Cela est particulièrement vrai pour les petites et
moyennes entreprises qui ne possèdent pas de vastes sources de connaissances ou de
potentiel de recherche en interne. Pour que l'innovation soit efficace, les PME doivent
donc utiliser des sources de connaissances externes. Des organismes publics ou à but non
lucratif, les centres d'innovation, au niveau régional et sectoriel, les établissements
d'enseignement technique et les universités peuvent jouer ce rôle primordial de soutien
pour les PME. De plus, des réseaux industriels locaux et régionaux sont nécessaires pour
transformer les connaissances en nouveaux produits ou combinaisons novateurs.
Le contexte des connaissances externes est relativement complexe pour les PME, comme
le montre la figure (voir le schéma à la fin de l'article, p. 369).
L'entrepreneur ou l'employeur, en collaboration avec sa main-d'œuvre qualifiée, est
impliqué de manière continue dans la résolution de problèmes et dans les processus
novateurs. Il cherchera, tout d'abord, une solution en interne. Mais, très rapidement, le
besoin d'une aide extérieure se fera sentir. Les revues professionnelles, les conseillers
financiers, les fournisseurs et les clients apporteront de nouvelles connaissances, que ce
soit de façon délibérée ou fortuite. Ainsi, un échange interactif de connaissances va se
développer autour des processus internes à l'entreprise et de ses relations externes.
L'entreprise fait partie d'un espace de connaissances en expansion. L'espace de savoir
autour des entreprises est pluridimensionnel. Il comprend au moins trois dimensions: la
chaîne du produit, le secteur professionnel et la région socio-économique.
La dimension chaîne du produit met en évidence la pertinence des relations utilisateurproducteur et produteur-consommateur. L'apprentissage et l'innovation s'instaurent par
l'échange d'exigences en matière de produits et de systèmes d'information de qualité. La
dimension professionnelle met en jeu l'échange de connaissances entre les professionnels
d'entreprises concurrentes. Dans la plupart des cas, il existe des intérêts communs qui
incitent ces concurrents à collaborer dans des activités novatrices.
Dans le cas de la troisième dimension, l'échange de connaissances est un processus qui
intervient entre entreprises de la même région (parfois virtuelle). Le contact direct par
l'observation, la discussion et l'échange de visites d'ateliers est un élément important de
l'échange des connaissances. Toutefois, l'offre de main-d'œuvre qualifiée est
géographiquement limitée.
Selon le contexte socioéconomique, des décisions stratégiques seront prises en tenant
compte de ces trois dimensions. L'équilibre entre les intérêts communs et les avantages
concurrentiels dépend de plusieurs variables.
2.1
Savoir en chaîne ou chaînes du savoir?
Les entreprises font partie de la chaîne du produit. Elles ont besoin de matières premières,
d'outillage et de machines pour pouvoir produire leurs produits et leurs services qui, à
leur tour, deviennent des besoins spécifiques et des exigences de leurs clients. La gestion
de la chaîne est un nouveau secteur particulièrement important de la gestion d'entreprise
orientée vers les relations interentreprises: la comptabilité-produit, les échanges
d'information sur la qualité et la logistique de transport et de stockage sont des thèmes
essentiels dans ce domaine.
Le développement des connaissances et l'innovation coopérative devraient également
faire partie de la gestion de la chaîne. Or, l'entreprise productrice ne dispose pas toujours
des sources d'activités novatrices en interne. D'après Von Hippel (1988), la source de
l'innovation se situe quelque part dans la chaîne fournisseur-producteur-utilisateur, selon
les avantages attendus. Les chaînes de production constituent des éléments importants
pour l'analyse des processus d'innovation.
Les aspects tacites de l'innovation, l’adéquation partielle des nouvelles technologies et le
caractère cumulatif de l'innovation font que les entreprises se développent de façon
différente ou dans différentes directions. Si l'introduction de nouveaux produits est un
succès, les entreprises novatrices sont capables d'instaurer de nouvelles règles
économiques pour leurs concurrents. L'innovation entraîne des avantages comparatifs.
L'imitation et la diffusion tendent à la convergence. Selon les données du marché, les
entreprises plaident de plus en plus pour un type d'“innovation coopératrice”. Cette
collaboration est plus facile à obtenir dans une chaîne composée essentiellement de
fournisseurs.
2.2
La dimension sectorielle
Les secteurs industriels aussi peuvent mettre en place des activités novatrices dans les
PME. Finegold (1991) considère que les secteurs industriels doivent chercher des moyens
pour favoriser la coopération entre les entreprises et les activités communes afin
d'améliorer les investissements destinés à la formation et à l'innovation. Attention
cependant au piège des faibles compétences: les entreprises individuelles réduiront leurs
investissements en ressources humaines si le comportement déloyal de leurs concurrents
les met en danger. Ainsi, les secteurs industriels doivent rechercher des politiques qui
encouragent la coopération dans la formation et l'innovation. Ici, les syndicats ont un rôle
à jouer.
En s'appuyant sur la coopération entre les entreprises, les secteurs industriels devraient
pouvoir mettre en place des infrastructures, par secteur, qui favorisent le transfert des
technologies et les politiques de formation. La mise en place de ces politiques sectorielles
implique l'instauration de systèmes assurant le suivi des développements technologiques
futurs. Les résultats des activités de suivi peuvent se traduire par des mesures d'aide au
transfert et par des prévisions des besoins de compétences.
Les enjeux sectoriels de l'innovation et des processus d'apprentissage sont: l'établissement
de conditions préalables de collaboration entre les entreprises concurrentes, dans le
secteur de la formation et de l'innovation, l'instauration de systèmes de suivi des
développements technologiques tournés vers l'avenir, la mise en place de systèmes de
soutien à l'innovation et à la formation, limités à l'entreprise, la définition de compétences
clés pour les employés qualifiés et les entrepreneurs et la création de systèmes
d'enseignement et de formation professionnels propres à chaque secteur (voir aussi
Warmerdam dans cette publication).
2.3
La dimension régionale
Morgan (1997) met l'accent sur l'importance du modèle des réseaux pour comprendre les
stratégies de développement régional. Il insiste sur le rôle majeur de la création de
régions d'apprentissage, similaires au concept d'organisations d'apprentissage, pour
mettre en place des capacités d'apprentissage collectives entre des entreprises proches
géographiquement et des prestations/possibilités infrastructurelles au niveau régional.
Des régions à forte présence industrielle semblent pratiquer des interactions
d'apprentissage entre les entreprises. En Italie, les régions et les cantons industriels sont
caractérisés par leur monostructures en termes de produits et de services: chaque région
est renommée pour un seul type de produits. L'apprentissage et l'échange de
connaissances techniques sont indispensables pour que la qualité soit garantie. D'autres
régions émergentes pratiquent, quant à elles, des relations de chaîne: l'échange
d'innovation et d'information touche les activités d'achat et de vente. La solidité de ces
types de réseaux d'apprentissage est due à leur impact sur l'activité économique.
Dans des régions moins développées, le manque d'activité économique ou l'infrastructure
insuffisante font que ces réseaux d'apprentissage sont inexistants. L'objectif des autorités
régionales et locales, dans le cadre de leur politique économique, est d'instaurer des
politiques en matière d'éducation, de formation et du marché du travail qui permettent
d'avoir un potentiel d'apprentissage élevé et de voir émerger des réseaux de soutien aux
PME et aux nouveaux entrepreneurs. Des prestations novatrices dans le domaine de
l'enseignement et de la formation professionnels aideraient à améliorer, de façon
substantielle, la capacité novatrice au sein des régions économiques (Morgan, 1997) et
permettraient, par là même, à l'économie locale et régionale de se développer. C'est
pourquoi l'un des enjeux est d'encourager ces prestations.
Pour ce faire, les prestations régionales novatrices, en matière d'enseignement et de
formation professionnels, doivent agir en interaction avec les autres prestations liées à la
connaissance, comme celles des centres d'innovation et des centres de connaissances
sectorielles. L'un des objectifs du programme de développement régional des politiques
de fonds régionaux de l'Union européenne, comme par exemple les centres d'affaires et
d'innovation européens, qui sont centrés sur la relation entre les PME et l'enseignement
supérieur, est de soutenir et de mettre en place ces programmes de développement.
Les politiques régionales tendant à améliorer l'innovation industrielle et les processus
d'apprentissage portent essentiellement: sur les réseaux d'apprentissage des entreprises,
sur l'aide à la mise en place d'infrastructures de transfert technologique et sur l'éducation
et la formation d'une main-d'œuvre hautement qualifiée. L'une des conditions essentielles
pour stimuler le développement économique régional est de relever ces défis. Toutefois,
les gouvernements régionaux et nationaux disposent de peu de moyens pour mettre en
place des réseaux d'apprentissage. Créer des organisations intermédiaires, renforcer la
recherche fondamentale et le développement, maintenir l'enseignement et la formation
professionnels sont cités comme étant les meilleurs outils dont disposent les
gouvernements à cet égard. (OCDE, 1997)
2.4
L'enseignement et la formation professionnels comme partie intégrante du
contexte du savoir
L'enseignement et la formation professionnels jouent un rôle majeur dans la construction
d'économies régionales compétitives, tout comme l'a montré récemment Rosenfeld
(1998) lors d'une conférence organisée par l'OCDE. Outre l'offre et le maintien d'une
main-d'œuvre qualifiée, les nouveaux établissements d'enseignement technique doivent
faire face à un nouveau défi: orienter les (nouvelles) connaissances vers l'économie
locale. Cela implique des stratégies régionales de développement économique auxquelles
l'enseignement et la formation professionnels participeront chaque jour davantage.
L'enseignement et la formation professionnels sont aussi très présents au niveau sectoriel.
La promotion et l'accompagnement du processus actuel de construction et de
reconstruction d'une identité professionnelle, en rapide mutation, est un instrument
essentiel pour sauvegarder les activités économiques. L'enseignement professionnel et les
qualifications ont un rôle important à jouer dans ce processus de sauvegarde (voir De
Bruyn et Nieuwenhuis, 1994). Toutefois, on assiste, parallèlement à l'élaboration, à la
mise en place et au développement de programmes et de cours techniques et
professionnels souvent fondés sur des définitions de compétences spécifiques à une
catégorie professionnelle, s’appuyant à la fois sur les compétences et sur les intérêts
professionnels, qui correspondent ou non à des besoins socioéconomiques plus larges.
Les syndicats et les organisations patronales participent à la définition des programmes
d'enseignement professionnels dans les systèmes d'apprentissage, en Allemagne et aux
Pays-Bas, et dans l'établissement de normes nationales de qualification professionnelle,
au Royaume-Uni. L'enseignement et la formation professionnels élaborent et développent
des normes professionnelles en interaction avec les différents secteurs professionnels. Les
employeurs et la main-d'œuvre qualifiée maintiennent et améliorent leurs compétences
grâce aux établissements d'enseignement professionnel. Les changements novateurs
d'exigences professionnelles proviennent, souvent, de développements au sein du système
éducatif. Ainsi, l'enseignement et la formation professionnels disposent, dans la
dimension sectorielle, d'un énorme potentiel favorisant l'innovation au sein des PME.
La chaîne de production est une nouvelle façon d'aborder l'analyse des processus
novateurs et des développements de compétences qui en découlent. Les activités
novatrices communes sont souvent fondées sur une chaîne de relation entre entreprises,
mais les développements de compétences ne sont pas encore liés aux développements des
chaînes. Cependant, alors que les chaînes de production offrent de vastes possibilités aux
perpectives économiques et novatrices, elles constituent un nouveau secteur intéressant
pour le développement de stratégies d'enseignement et de formation professionnels (voir
Bertzeletou, dans cette publication).
3
Transmission des compétences
3.1
Transmettre des connaissances sur le processus de travail
Selon la théorie du capital humain, les connaissances et les compétences sont, pour la
plupart, identifiées au niveau individuel. Hommen (1997) considère que cette approche
réfute la dimension sociale des connaissances et des compétences. Le savoir est un bien
collectif des communautés de pratiques sociales et économiques. Le savoir se développe
dans la complexité des environnements du travail, qui ne se résument pas aux individus
ou aux emplois, mais sont dispersés au sein d'un groupe de travailleurs. Cette approche
est compatible avec la vision évolutive de l'innovation: les organisations économiques
(communautés institutionnelles) constituent les unités centrales permettant de
comprendre les pratiques novatrices. L’innovation est la reconstruction active, en
commun, du travail et des processus: pro-actif plutôt que ré-actif.
Les entreprises devraient évoluer vers des communautés de réflexion fondées sur le
travail qualifié. Berryman & Bailey (1992) ont avancé une argumentation comparable
pour le développement économique des États-Unis. Les entreprises devraient se tourner
vers les organisations d'apprentissage, car elles auront besoin d'employés hautement
qualifiés à l'avenir.
La conception traditionnelle de l'enseignement et de la formation professionnels a bien
des points communs avec les lieux de travail traditionnels: l'enseignement traditionnel est
fondé sur des schémas d'apprentissage simples, compatibles avec les lieux de travail
traditionnels. Ces lieux ne sont pas adaptés à l'innovation et à la création de
connaissances: les entreprises, tout comme les systèmes d'enseignement et de formation
professionnels, doivent changer.
Caractéristiques d'un apprentissage
inefficace
Caractéristiques des lieux de travail
traditionnels
1
Transfert limité
Emplois et tâches étroitement définis
2
Les étudiants restent passifs:
Ordres reçus passivement dans une
organisation du travail hiérarchisée;
supervision lourde afin de contrôler les
travailleurs
- exploration réduite;
- dépendance vis-à-vis de l’enseignant
problèmes de “contrôle de foule”.
3
Renforcement du lien entre les stimuli
et la réponse correcte
Centrage sur des réponses spécifiques à
un nombre limité de problèmes
possibles (les cas non prévus doivent
être résolus par des spécialistes)
4
L'accent est mis sur l'obtention de la
bonne réponse:
Une tâche effectuée est plus importante
que l'amélioration de sa performance
ultérieure
- aucune tentative d'aller “plus loin”
que la réponse;
- peu d'apprentissage par l'expérience
(l'erreur);
- peu d'enseignement sur la façon
d'aborder un problème.
5
Apprentissage hors contexte
La tâche spécifique est considérée hors
de son contexte organisationnel.
(Berryman et Bailey, 1992, p. 71)
Berryman et Bailey proposent comme alternative le modèle d'apprentissage cognitif, avec
une forte tradition de recherche (Raizen, 1989; Nieuwenhuis et Mulder, 1998).
L'apprentissage de concepts symboliques et abstraits devrait être remplacé par un
apprentissage dans des contextes fonctionnels. Une élaboration de ce modèle en quatre
blocs est proposée (Collins, 1989): contenu, méthodes, séquence et sociologie de
l'apprentissage.
Contenu: un savoir tourné vers un environnement d'apprentissage idéal comprend des
connaissances conceptuelles spécialisées, des connaissances factuelles et de procédure
ainsi que trois types de savoir stratégique (astuces commerciales, stratégies cognitives et
stratégies d'apprentissage). L'école est habituellement centrée sur un enseignement
spécialisé. Pour un fonctionnement efficace avec des connaissances spécialisées, un
contenu stratégique est nécessaire.
Méthodes: les méthodes d'enseignement devraient être conçues de façon à donner aux
étudiants la possibilité d'observer, de s'engager, d'inventer ou de découvrir des stratégies
d'expert en situation.
Séquence: l'apprentissage devrait se faire par étapes, ce qui permet à l'étudiant d'acquérir
les compétences multiples exigées des performances d'expert et de découvrir dans quelles
conditions celles-ci peuvent se généraliser.
Sociologie de l’apprentissage: l'environnement d'apprentissage doit reproduire les
caractéristiques technologiques, chronologiques et motivantes du monde extérieur dans
lequel l'acquis sera utilisé.
Ce type d'apprentissage en situation ne signifie pas automatiquement un apprentissage
“sur le tas”: les lieux de travail traditionnels n'ont guère de potentiel d'apprentissage. Les
conditions préalables à un apprentissage tout au long de la vie et aux innovations
associent les cours professionnels et les lieux de travail nouvellement conçus au sein
d'“organisations de travail d'apprentissage”.
3.2
Les trois rôles dévolus à l'enseignement et à la formation professionnels
Pour améliorer le processus de transfert des connaissances, l'enseignement professionnel,
la formation ainsi que l'enseignement et la formation complémentaires ou continus ont un
triple rôle à jouer (Rosenberg, 1998):
- éduquer et former les nouveaux employés et les employeurs pour mettre en place une
base de connaissances dans les entreprises;
- fournir des informations actualisées et des équipements de formation aptes à mettre à
jour les connaissances et les compétences de la main-d'œuvre;
- organiser des réseaux d'entreprises actifs pour faciliter les processus d'apprentissage
interactifs.
Les établissements d'enseignement technique et les organismes de formation doivent
accepter de relever le défi d'améliorer, grâce à leurs efforts, le processus de transfert de
connaissances en assurant un niveau élevé de réactivité aux résultats de la recherche,
sciences et du développement technologique. Les établissements d'enseignement et de
formation technique régionaux, aidés par les centres d'innovation sectorielle, peuvent
devenir un pôle central des réseaux d'apprentissage des PME, en appliquant, dans leurs
cours, des connaissances novatrices, tirées de l'infrastructure de la recherche et du
développement, et en resserrant les liens entre les réseaux locaux et les entreprises. Les
structures intermédiaires instaurées par les secteurs économiques et industriels sont
primordiales si l'on veut améliorer la communication entre la recherche et le
développement et les systèmes d'enseignement et de formation professionnels. Ces
structures intermédiaires dépendent des caractéristiques propres au système de formation
sectorielle et à l'innovation.
L'enseignement et la formation professionnels se trouvent au carrefour des politiques
régionales et sectorielles: les marchés du travail sont définis au niveau régional alors que
l'offre et la demande d'emplois sont géographiquement limités en raison de la mobilité
réduite. L'artisanat est fortement sectorialisé à cause de l'interaction entre les métiers et
les activités économiques. Dans le domaine de l'enseignement et de la formation
professionnels, les politiques d'éducation sont plus ou moins liées aux politiques
sectorielles, selon les systèmes d'enseignement et de formation professionnels nationaux
et les contraintes socioéconomiques. Les établissements d'enseignement et de formation
professionnels doivent s'appuyer sur les réseaux, tant sectoriels que régionaux, pour
fonctionner efficacement et fournir une main-d'œuvre qualifiée et préparée à
l'apprentissage tout au long de la vie, dans un cadre socioéconomique et une situation de
l'emploi novateurs.
4
Études de cas sur les nouvelles stratégies qualifiantes
Le fondement empirique de cette publication s'appuie sur d'anciennes études de cas,
réalisées dans différents secteurs industriels aux Pays-Bas, en majorité auprès de PME
(Grooters et Nieuwenhuis, 1996; Lokman et Nieuwenhuis, 1998; Gielen et Nieuwenhuis,
1998). Ces études ont porté sur l'infrastructure intermédiaire des connaissances, dans
différents secteurs industriels, et ont permis d'effectuer des analyses comparatives sur le
rôle de l'enseignement et de la formation professionnels comme vecteurs d'innovation
dans les entreprises.
À partir de ces études, un modèle d'innovation sectoriel/régional a été élaboré, dans
lequel quatre acteurs jouent un rôle prépondérant: les PME, les infrastructures de
recherche et développement, les organismes d'innovation sectorielle et les établissements
d'enseignement et de formation professionnels. Les PME se doivent d'être novatrices si
elles désirent améliorer leur compétitivité. Elles utilisent différentes sources de
connaissances, mais elles en produisent aussi de nouvelles grâce à leurs activités
novatrices. Les instituts de recherche et développement produisent de nombreuses
connaissances nouvelles, mais rencontrent quelques difficultés pour les diffuser et, pire
encore, pour que ce savoir soit mis en œuvre dans les PME. Dans plusieurs secteurs
industriels, des centres d'innovation ont été mis en place dans le but de traduire les
connaissances novatrices auprès des entreprises liées à un secteur. Des fonds publics ont
été dégagés. Les partenaires sociaux jouent un rôle important dans la création de ces
centres.
Les centres régionaux d'innovation facilitent la diffusion des nouvelles connaissances.
L'enseignement et la formation professionnels participent aux réseaux régionaux en
éduquant les plus jeunes, en formant les adultes et en organisant les réseaux
d'apprentissage des entreprises.
Dans les six cas présentés ci-après, ces aspects liés au contexte régional/sectoriel des
connaissances sont considérés sous des angles différents. Ils sont tirés d'exemples pris
dans le contexte des Pays-Bas. Dans les deux prochaines années, la perspective
européenne sera enrichie par un projet d'étude et d'analyse, appelé Spidervet, dans le
cadre du programme Leonardo: les établissements d'enseignement et de formation
professionnels agiront comme des “araignées” tissant leur toile dans les réseaux de
connaissances régionaux.
4.1
Sauvegarde du secteur de l’équipement
Le secteur de l’équipement englobe les installations de plomberie, d'appareils de
climatisation et de chauffage central. Pendant ces vingt dernières années, ce secteur a
défendu sa part de marché de façon très efficace. Le secteur est très dépendant de
l'évolution du secteur du bâtiment: les installations mécaniques (ascenseurs,
climatisation, systèmes de chauffage et alimentation en eau) sont essentielles lors de la
conception de maisons ou de bâtiments publics. Insistant sur son professionnalisme, ce
secteur a réussi à conserver sa part de marché. Les employeurs tout comme les employés
s'accordent à affirmer leur intérêt pour leur métier et pour l'investissement dans la
formation. C'est ainsi que, chaque année, dans le cadre d'une convention collective
spéciale, 1,15% de la masse salariale est consacrée aux activités de formation et
d'innovation.
L’équipement est un secteur qui suit l’innovation: les sources d'innovation (Von
Hippel, 1988) se situent hors du secteur proprement dit. Elles sont conçues lors du
processus de conception intégrale des bâtiments publics ou au travers des activités de
recherche et de développement de l'industrie concernée (par exemple, les nouvelles
technologies du chauffage). Les innovations sont introduites dans ce secteur selon le
modèle linéaire. Afin de faciliter les processus d'innovation, les partenaires sociaux du
secteur ont créé l'agence Intechnium3, centre d'innovation et de formation sectoriel.
En cinq ans, Intechnium a obtenu une part importante du suivi des avancées
technologiques et de leur traduction dans la formation, la formation des adultes et d'autres
activités de diffusion. Un instrument particulier a été conçu à des fins de suivi, alors
qu'une directive écrite existe pour le transfert des connaissances vers les régions. Dans le
modèle de l’équipement, l'enseignement et la formation professionnels ont un rôle réactif.
Intechnium formule les exigences de formation, à partir des informations recueillies
auprès de son organisation régionale de membres, et conçoit aussi les outils
pédagogiques. Les établissements d'enseignement professionnel dispensent les cours
correspondants. De plus, le maintien de la structure de qualification de l'enseignement
initial est assuré par la même structure de suivi.
Ce modèle illustre bien l'aspect linéaire des processus d'innovation du secteur, mais cela
ne signifie pas qu'il améliore nécessairement les réseaux d'apprentissage régionaux des
entreprises et des établissements. Maintenant, les établissements d'enseignement et de
3
Intechnium, Korenmolenlaan 4, PO-box 484, 3440 AL Woerden, the Netherlands, tel. (31-348) 437437, fax (31-348)
432013.
formation professionnels doivent relever le défi de lancer ces réseaux, à partir de la
structure sectorielle d'Intechnium.
4.2
Relations en chaîne dans le secteur de la boulangerie
Dans le secteur de la boulangerie, l'artisanat s'est longtemps défendu contre la
boulangerie industrielle. Aux Pays-Bas, le marché du pain était partagé à égalité entre
l’industrie et l’artisanat. Aujourd'hui, la menace principale réside dans le changement des
points de vente: en 1994, les supermarchés ont vendu 60 % du pain. La boulangerie
traditionnelle lutte actuellement pour sa survie. Toutefois, sur le marché néerlandais, la
plupart des consommateurs devraient continuer à acheter leur pain dans les petites
boulangeries. D'où l'importance d'une bonne maîtrise du métier de boulanger, tant pour le
boulanger lui-même que pour son personnel, s'il veut conserver sa part de marché.
Aux Pays-Bas, les boulangers indépendants sont formés à l'école de boulangerie de
Wageningen, alors que les employés sont formés dans les cours d'apprentissage. Les
vendeurs sont formés par le système d'enseignement général. Les organisations
patronales et les syndicats du secteur de la boulangerie s'accordent sur l'importance de la
formation, même s'il n'existe pas de véritable tradition de formation.
Le secteur de la boulangerie est plutôt traditionnel: les grandes innovations y sont rares.
Les petites boulangeries n'ont guère changé, alors que les boulangeries industrielles ont
dû faire face à l'automatisation, bien que cette évolution soit lente. L'innovation concerne
davantage les nouveaux équipements, par exemple les fours ou les pétrins commandés
par ordinateur, ou bien l'introduction de nouvelles matières premières ou de nouvelles
recettes. L'industrie a été le moteur de ces innovations. On peut considérer que le
processus novateur du secteur de la boulangerie est plutôt lent et linéaire.
Récemment, le Centre national de la boulangerie a été créé. Il regroupe plusieurs
organisations sectorielles. Ce nouveau centre a la chance de se développer à une période
marquée par des innovations dans le secteur de la boulangerie. Toutefois, l'école de la
boulangerie ne participe pas à ce centre. L'infrastructure intermédiaire des connaissances
dans le secteur de la boulangerie en est toujours au stade du développement, les circuits
de communication et d'information n’étant pas encore clairement définis. La faible
tradition en matière de formation et d'innovation, associée à une certaine aversion pour la
centralisation, pourrait expliquer cette évolution relativement lente.
4.3
Des systèmes de connaissances pour les horticulteurs
L'horticulture est un secteur prospère de l'agriculture aux Pays-Bas. Les légumes, les
fleurs et les plantes sont exportées dans le monde entier. Toutefois, ce secteur doit
actuellement faire face à de profonds changements économiques. Le gouvernement
néerlandais abandonne son rôle prépondérant dans la politique agricole. Les évolutions
économiques du marché de l'alimentation mondiale auront des répercussions, positives et
négatives, sur le secteur agricole. La concurrence sera plus forte.
Ce changement est soutenu par une nouvelle politique de l'Union européenne. L'une des
tendances économiques essentielles est le changement de pouvoir dans les différentes
chaînes alimentaires. Grâce aux politiques européennes, les fournisseurs de la chaîne
alimentaire ont tenu, pendant des années, le haut du pavé. Cependant, ces dix dernières
années, l'équilibre des pouvoirs a changé en faveur de l'autre extrémité de la chaîne, à
savoir les consommateurs, représentés en grande partie par les supermarchés. Ce
changement a entraîné l'effondrement des structures coopératives traditionnelles,
remplacées, peu à peu, par des structures mieux préparées à la concurrence internationale.
Les changements structurels ont des conséquences sur le système de connaissances
agricoles. Le système des connaissances horticoles est traditionnellement centré sur
l'agriculteur, qui possède souvent un faible niveau d’instruction et de formation. Les
horticulteurs sont à la tête de processus novateurs interactifs. Les horticulteurs
indépendants ou organisés en réseaux ont une influence directe sur les programmes de
recherche et de développement des instituts de recherche agricole appliquée, les résultats
de la recherche étant directement mis à la disposition des horticulteurs, par
l’intermédiaire de cours du soir et de programmes complémentaires.
Les changements économiques ont aussi des conséquences sur le fonctionnement du
système de connaissances. Récemment, des groupes d'horticulteurs ont érigé des barrières
contre la concurrence, lesquelles ont affecté la coopération dans le système de
connaissances. Actuellement, les organisations d’agriculteurs cherchent de nouveaux
moyens pour promouvoir le transfert des connaissances entre les instituts de recherche,
les organisations intermédiaires et les horticulteurs/entreprises. Au sein du système de
connaissances agricoles, l'enseignement et la formation professionnels risquent d'être
marginalisés. La formation professionnelle est toujours considérée comme le meilleur
prestataire pour les futurs horticulteurs, alors que, dans le même temps, le rôle de
l’enseignement et de la formation, dans les processus novateurs du secteur, diminue.
L'enseignement agricole éprouve quelques difficultés, particulièrement au niveau
national, à obtenir les informations nécessaires pour répondre de façon adéquate à
l'innovation. Sur le plan régional, les établissements d'enseignement ne jouent pas de rôle
prépondérant dans le réseau de connaissances auprès des fermes horticoles. Le
désengagement du secteur, en matière d'enseignement et de formation, a pour
conséquence une moindre réactivité des prestations d’enseignement et de formation
agricoles face à un secteur à l’esprit ouvert et en pleine mutation.
4.4
Une approche linéaire de la technologie environnementale
NOVEM4, une entreprise mixte néerlandaise qui se consacre au développement des
économies d'énergie et des technologie de protection de l'environnement, cherche à
faciliter l'introduction et la diffusion de technologies écologiques et durables par
l'entremise des entreprises et des entrepreneurs. Dans ce but, NOVEM s'intéresse aux
techniques de diffusion des connaissances et des technologies. Les nouvelles
technologies qu’elle propose ne sont pas automatiquement utilisées par les entreprises.
Une enquête s’appuyant sur la notion de “contexte de connaissances des entreprises”
(voir le modèle paragraphe 2) a été réalisée concernant les processus de transmission des
4
Nederlands onderneming voor energie en milieu, Swnetibolstraat 21, Sittard, the Netherlands, tel (31-46) 420 22 02,
fax (31-46) 452 82 60.
connaissances au sein de différents secteurs agricoles (l'horticulture et la culture de
bulbes). Elle a permis de décrire le contexte actuel des connaissances et d’analyser le
processus de transfert des connaissances par le biais d'interviews réalisées auprès des
entrepreneurs et des organismes intermédiaires.
Le processus de transfert des connaissances et de diffusion des technologies se déroule
essentiellement en deux phases. Pour la diffusion des informations, une approche linéaire
peut être adoptée: les entrepreneurs s'informent en lisant leurs journaux économiques ou
professionnels et en parlant avec leurs collègues et leurs conseillers. L'information sur les
nouvelles technologies devrait donc être véhiculée par ces mécanismes de transfert
formels et informels. À ce stade, une grande part doit être accordée à l'information: les
informations techniques ne devraient pas être les seules disponibles, car une information
plus intégrée, par exemple à propos de l'impact des nouvelles technologies sur le chiffre
d'affaires et sur les bénéfices de l'entreprise, est plus importante.
Les entrepreneurs sont intéressés par les nouvelles technologies qui, si elles introduisent
de nouveaux outils et de nouvelles techniques, permettront d'améliorer le rapport coûtbénéfice de leurs entreprises. Une méthode de transmission des connaissances
particulièrement efficace consiste à utiliser les informations fournies par les bonnes
pratiques des entreprises novatrices elles-mêmes. Les visites d'atelier sont des outils
didactiques persuasifs.
La deuxième étape du processus de diffusion technologique est le moment de la
résolution des problèmes, ou de la prise des décisions d'investissement, tâches qui
incombent au chef d'entreprise. Au niveau régional, les conseillers et les organisations de
connaissances devraient disposer d’informations actualisées afin de faciliter le processus
de résolution des problèmes dans les PME. Les entreprises fournisseurs de technologies
devraient moins cibler les chefs d'entreprise et diriger plutôt leurs informations, leur
marketing et leurs activités de diffusion vers les organisations intermédiaires concernées.
Il est impossible aux entrepreneurs individuels et aux dirigeants des PME d’intégrer
l’ensemble des connaissances disponibles, les technologies d’économie d'énergie n'étant
pas le seul paramètre de ce processus de décision! Il est donc primordial que le contexte
de connaissances régional et sectoriel facilite l’accès aux informations pertinentes et
donne la possibilité de participer à des processus d'apprentissage interactif et de prise de
décisions.
Tel devrait être le point de départ des établissements de formation et d'enseignement
professionnels. Ils peuvent jouer le rôle de centre d'innovation et de connaissances
régional. Leur réactivité implique la coexistence d’impulsions régionales et sectorielles,
les établissements constituant, de plus en plus, un point central de compilation, de
traitement et de diffusion des connaissances novatrices dans la région. Ils peuvent
grandement soutenir les innovations, particulièrement dans les entreprises de leur région
qui tardent à les adopter. Ils peuvent, telles des “araignées”, tisser leur toile sur les
réseaux d'innovation régionaux et sectoriels.
4.5
Création de réseaux régionaux dans l'industrie néerlandaise de construction
mécanique et de machines-outils
L'économie régionale autour de Eindhoven, dans le sud des Pays-Bas, repose
essentiellement sur l’industrie mécanique. Parmi les 8 000 entreprises néerlandaises de ce
secteur, 1 100 sont installées dans la région de Eindhoven. On y trouve même les plus
grandes, telles que Philips (électronique), DAF (camions) et Océ
(photocopieurs).Cependant, la plupart de ces entreprises sont de petite taille: 75 % d'entre
elles ont dix employés ou moins. Les petites entreprises fournissent les plus grandes. La
région d'Eindhoven est reconnue comme une région particulièrement novatrice: 50 % du
budget de la recherche et du développement sont dépensés dans cette région, en
particulier par les grandes entreprises, et environ 11 % de la main-d'œuvre de la région de
Eindhoven participent aux activités de la recherche et du développement.
À la fin des années 80, la région de Eindhoven a dû faire face à une crise économique.
Cependant, grâce au soutien des fonds européens et nationaux, la région est sortie de la
crise et a mis en place une solide infrastructure régionale de réseaux et de chaînes
d'entreprises. Les organisations régionales intermédiaires, tel le centre d’innovation et un
organisme de développement régional, jouent un rôle important, dans cette structure, au
côté des organisations sectorielles du secteur de l'industrie mécanique organisées au
niveau national.
Dans la région de Eindhoven, on trouve un certain nombre d'établissements de création,
de traitement et de diffusion des connaissances, comme la Technical University of
Eindhoven, le TNO-industry (l'un des plus grands organismes mixtes de recherche et
développement), le Technical College de Fontys (niveau 5: cours professionnels) et deux
lycées d'enseignement et de formation professionnels (niveaux 2-4). L'industrie
métallurgique dispose de son propre établissement pour la formation des adultes et le
microcentre se trouve à Fontys (un laboratoire de microtechnologie). Les grandes
entreprises ont leurs propres laboratoires de recherche et développement, tel le célèbre
Natlab de Philips).
Dans les années 90, cette industrie a été très prospère dans la région, mais la pénurie de
main-d'œuvre qualifiée se profile comme une menace à l’horizon: ce sera le problème des
dix prochaines années, les jeunes ne ressentant plus autant d'intérêt pour les métiers
techniques et mécaniques. Ainsi, les employeurs de la région coopèrent de plus en plus
pour promouvoir des activités communes avec les lycées techniques, de façon à attirer de
nouveaux étudiants vers l'enseignement technique, les sciences naturelles et les métiers
de la mécanique.
Le lycée régional Eindhoven (ROC-Eindhoven5) a été créé en 1996, dans cette région
dynamique, à partir de la fusion de plusieurs établissements techniques et de formation
professionnelle (cours d’apprentissage et enseignement professionnel à plein temps). Le
ROC compte 16 000 jeunes élèves, 8 000 étudiants adultes, 1 400 employés et environ 20
5
ROC Eindhoven, PO box 6101, 5600 HC Eindhoven, the Netherlands, tel (31-40) 291 86 86.
établissements dans la région. Environ 10 % du chiffre d'affaires sont engendrés par des
cours et des activités contractuels spécifiques. La mission novatrice du ROC est fondée
sur une stratégie de réseau: partenariat, collaboration avec d'autres établissements de
connaissances régionaux, cours en coopération avec des entreprises.
Les cours dispensés par le ROC-Eindhoven s’appuient, essentiellement, sur les
technologies de l'information et de la communication et sur la notion de parcours
individuels. Le ROC se veut un institut ouvert ayant des fonctions régionales. Les
compétences clés dispensées se limitent à transmettre et à maintenir les métiers
spécialisés et hautement spécialisés dans la région. Transmettre l'innovation n'est pas
l'une de ses tâches principales. Toutefois, la stratégie de mise en place de l'innovation
repose sur la création de réseaux et sur la mise en relation des entreprises avec des
établissements d'enseignement. La transmission de compétences et de qualifications
spécialisées suppose l’organisation de tous types de cours normaux et la prise en compte
de parcours individuels en coopération avec les entreprises ou les agences pour l'emploi
régionales.
Le ROC-Eindhoven a fait le choix très clair de jouer un rôle restreint dans la région.
Malgré ces restrictions, ses compétences clés sont parfaitement élaborées.
4.6
Stratégies de gestion des établissements d’enseignement au sein des réseaux
régionaux
Une petite enquête sur les établissements d’enseignement agricole a été réalisée dans le
but de connaître leurs stratégies de gestion en tant que centres d'innovation régionaux.
Elle a été menée auprès de l’ensemble des dix-huit établissements d'enseignement et de
formation agricoles néerlandais. Le résultat le plus surprenant est que tous les
établissements sont tombés d'accord sur la nécessité de développer une nouvelles
stratégie de maillage régional, mais, en réalité, un seul de ces établissements est engagé
dans des réseaux d'innovation régionaux. La création de réseaux régionaux est considérée
comme l'une des principales priorités de la gestion des établissements, mais les outils
opérationnels n'ont pas encore été développés.
Les raisons invoquées pour avoir souligné cette nécessité de nouveaux développements
stratégiques sont liées aux propres besoins des établissements, à savoir la mise en place
de cours novateurs: baisse de la demande des métiers traditionnels, émergence de
nouvelles professions et baisse de la demande, de la part des entreprises agricoles, baisse
du soutien de processus novateurs par les établissements d'enseignement agricole. L'une
des causes essentielles de ces processus est le rythme accéléré du développement
technologique qui entraîne l'obsolescence rapide et étendue des connaissances techniques.
Le processus d'évolution des programmes d'enseignement et de formation professionnels,
traditionnellement lent, devrait être remplacé par des programmes flexibles et réactifs.
Afin d’améliorer leur réactivité, les établissements et les centres de formation doivent
jouer un rôle central dans ces réseaux novateurs. Les établissements sont conscients du
danger de rester à l’écart de ce processus de réseaux; ils savent qu'ils courent le risque de
perdre leur rôle de formateurs de main-d'œuvre qualifiée et de se voir progressivement
restreints à donner des cours aux personnes peu qualifiées, aux jeunes défavorisés et aux
chômeurs en recyclage.
Face à cette situation, les établissements d'enseignement agricole commencent
aujourd’hui à développer de nouvelles options stratégiques de création de réseaux
régionaux et de programmes de cours. L'un des problèmes majeurs est celui du personnel.
La plupart du temps, les professeurs d'enseignement et de formation professionnels sont
des généralistes, alors que le fait de fonctionner dans des réseaux novateurs requiert des
compétences spéciales. Ces nouveaux besoins et ces stratégies exigent une double
qualification des enseignants, des formateurs, des tuteurs et du personnel d’encadrement:
l'enseignement général, mais aussi les technologies/compétences spécifiques doivent faire
partie intégrante de leur qualification. Le fait de vouloir transformer les établissements
d'enseignement et de formation professionnels en acteurs de réseaux demande d'énormes
investissements dans l'enseignement et la formation du personnel enseignant. Dans tous
les cas, c’est un besoin urgent.
5
Conclusions
Ce document est consacré aux besoins de compétences et de qualifications ainsi qu’au
rôle de l'enseignement et de la formation professionnels dans le processus novateur des
entreprises promptes ou tardives à innover, particulièrement les PME. Le rythme soutenu
des innovations conduit l'enseignement et la formation professionnels à développer de
nouvelles stratégies pour fournir et maintenir une main-d'œuvre qualifiée sur le marché
de l'emploi local, régional et sectoriel. L'objectif traditionnel des programmes initiaux et
normaux doit être associé aux nouveaux objectifs, aux nouvelles tâches et stratégies des
programmes et des activités de formation des adultes visant à accompagner et à
transmettre l'innovation. Les organismes d'enseignement et de formation professionnels
ne peuvent plus faire cavalier seul, elles doivent mettre en place des stratégies orientées
vers les réseaux. Les établissements d'enseignement et de formation professionnels
doivent définir leur propre rôle au sein des “réseaux d’apprentissage des PME” et
chercher des alliances stratégiques avec d'autres établissements de connaissances, dans
leur contexte régional.
La compréhension des processus novateurs, dans les économies régionales, devrait être
intégrée dans les compétences clés des établissements d’enseignement et de formation
professionnels. Les entreprises innovent, intégrées dans les réseaux en chaîne, régionaux
et sectoriels. L’innovation des entreprises est un processus interactif consistant à résoudre
des problèmes et à combiner les éléments du savoir et les technologies en nouveaux
processus et produits. Pour favoriser ces activités novatrices spécifiques aux entreprises,
les établissements de création et de diffusion du savoir, tels que les établissements
d'enseignement et de formation professionnels, devraient fournir des informations sur les
nouvelles techniques, les méthodes et les technologies de manière efficace et “juste à
temps”. Ces établissements devraient organiser leurs propres réseaux de connaissances de
manière à répondre à la demande de connaissances “chaotique” sans cesse en
progression. Pour développer ces compétences organisationnelles et novatrices, les
établissements d'enseignement et de formation professionnels ainsi que les autres
établissement de création et de diffusion du savoir devraient devenir des organisations
d'apprentissage ouvertes à la communauté économique locale et aux processus de
développement technologique sectoriel.
Plusieurs études de cas ont été présentées pour mieux faire comprendre les processus
d'innovation industrielle et les actions correspondantes dans différents types de réseaux.
Selon des caractéristiques régionales et sectorielles, les secteurs industriels organisent des
réseaux de connaissances et de technologies afin de promouvoir, de mettre en place et
d’accompagner le processus novateur. Les gouvernements locaux, régionaux et nationaux
peuvent accompagner les processus novateurs par certaines mesures infrastructurelles,
mais dans la plupart des cas, les acteurs socioéconomiques présentent eux-mêmes leurs
propres processus novateurs dans leur région, secteur et/ou domaine
technique/professionnel respectif.
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Contexte régional/sectoriel de connaissances
Entrepreneur
Investissements
Innovation
Plan d’activités
Processus de production
Demande de connaissances et de conseils
Revues
Collègues/
professionnelles
concurrents
Conseillers
Expansion
Fournisseurs
/clients
Formation
externe
Sources de connaissances: recherche et développement
i
Définition des PME, JO L 107 du 30.4.1996, page 4, disponible sur le site: http://europa.eu.int/en/comm/dg23/guide_en/definit.htm