2° dimanche de Pâques

Transcription

2° dimanche de Pâques
Si je ne mets la main dans son côté, non, je ne croirai pas ! (Jean 20,25)
L’apôtre saint Thomas est-il cet incroyant qu’une lecture trop rapide de l’Evangile suggère
parfois ? En ce jour de Pâques, en l’absence de Thomas, Jésus ressuscité a rendu à ses
apôtres une longue et riche visite. Mais pour tout compte-rendu, ils n’ont rien d’autre à lui
dire que : « Nous avons vu le Seigneur ! ».
Saint Thomas pourrait leur répondre : « C’est un peu court, jeunes hommes ! On pourrait
dire euh… bien des choses en somme ! Quoi ! Vous l’avez croisé un instant et cela vous
suffit ? Est-ce que nous n’avons pas appris pendant trois ans avec Lui à ne plus désirer que
Lui ? N’avons-nous pas bu à longs traits à la source même de la Sagesse ? Vous l’avez vu : je
vous crois volontiers, j’attendais moi-même sa résurrection avec impatience. Mais je
m’étonne que Jésus ressuscité se contente de nous rendre une simple visite de courtoisie.
Vous l’avez vu : pourquoi ne l’avez vous pas retenu ? Ne connaissez-vous pas cette phrase du
Cantique : j’ai saisi mon Bien-Aimé et je ne le lâcherai pas (Ct 3,5) ! Sans doute, c’est peu de
connaître Jésus si on ne le voit ; mais c’est peu de le voir si on ne le touche ! »
Vous qui désirez non seulement connaître, mais encore toucher Dieu, suivez l’exemple de
saint Thomas. Son audacieuse exigence nous enseigne à ne pas nous contenter de peu. Car ce
n’est pas seulement saint Thomas, c’est tout un peuple d’aveugles, de sourds qui s’écrie :
« Ah ! Dites ce que vous voudrez ! si je ne le touche pas, si je ne mets mes mains dans son
côté, je ne croirai pas » (Jn 20,25). Dieu en Jésus n’est pas venu pour se faire comprendre,
il est venu se faire constater. L’expression la moins insuffisante de ce commerce immédiat
n’est pas celle de « connaissance », au sens purement mental que l’on donne à ce mot, c’est
celle de contact.
Pour croire, Thomas demande à mettre la main dans le côté transpercé de Jésus. Oseronsnous comparer son geste à celui d’un voyageur assoiffé qui tend une main avide vers la
source jaillissante et claire qui s’offre à lui ? Saint Paul compare en effet Jésus au rocher
où les Hébreux burent dans le désert desséché avec tout leur bétail (1Co 10,5). Mais
surtout, du côté transpercé de Jésus ont coulé l’eau et le sang (Jn 19,34). Dans ces deux
liquides, les Pères de l‘Eglise se sont plu à reconnaître l‘eau du baptême et le sang de
l’Eucharistie. Thomas était donc un peu prophète ! En demandant à tendre la main vers la
source qui jaillit du cœur de Jésus, il signifie que c’est au premier chef par les sacrements
que le Seigneur tient sa promesse de demeurer avec nous jusqu’à la fin du monde
(Mt 28,20). Les sacrements ; ainsi que le disait saint Augustin, sont des signes visibles d’une
réalité invisible. Et cette réalité, c’est sa propre vie que le Christ nous communique par la
vertu de sa Passion.
Jésus nous sauve par sa Passion, parce que son amour pour son Père et pour ses frères y
triomphe de toutes les forces de mort. On le méprise, on l’outrage. On rajoute à son
humiliation. Mais aucun supplice, pas même la mort, ne pourra venir à bout de son amour
inconditionnel. Bafoué, giflé et cloué, Jésus ne cesse pas un instant de se remettre à son
Père. Lui demande-t-on de haïr cette foule égarée ? Il ne cesse pas un instant de l’aimer du
plus profond de son cœur : « Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’il font » (Lc 23,34).
Je crois que jamais son amour pour nous n’a été aussi incandescent que sur cette croix, où il
passe avec succès l’épreuve la plus redoutable. C’est pourquoi une fois mort, la dernière
chose que Jésus montre de lui, c’est son cœur, transpercé par la lance. Cet amour
indéfectible nous sauve. En effet, rien ne peut en arrêter le cours impétueux. Mais cet
amour-là, nous, comment est-ce qu’il nous atteint ? Toute cette œuvre magnifique ne
servirait pas à grand chose, si elle devait rester un simple souvenir. C’est pour qu’elle ne
reste pas cantonnée à un seul moment de l’histoire que la messe la représente, c‘est-à-dire
la rend de nouveau présente : Ceci est mon corps donné pour vous.
Chacune des Eucharisties nous plonge dans ce maintenant éternel. Ce n’est pas seulement
pour une date précise, c’est pour tous les temps que ce corps est livré pour notre salut. Car
ce n’est pas seulement pour un temps et pour quelques hommes que Dieu s’est fait chair,
c’est pour tous les temps et pour tous les hommes.
L’Eucharistie est par excellence le lieu de la présence de Dieu parmi nous. Mais allons plus
loin. Au désir qu’exprime Thomas de le voir et d’être avec lui, Jésus répond en offrant une
vraie nourriture. Il a voulu que le sacrement définitif de sa présence parmi nous soit aussi la
seule nourriture que tolèrent nos estomacs difficiles de croyants sculptés par la grâce. Il
ne suffit pas que le Christ nous ouvre les yeux, si nous ne pouvons lui ouvrir la bouche.
Dans l’Eucharistie, Dieu se place en nous à cet endroit où se fait la vie, et où nous la puisons.
Il devient réellement pour nous nourriture et breuvage, quelque chose de directement
accessible à nos organes corporels, à notre compréhension physique. Dieu ne se contente
pas envers nous du rôle de raison d’être, il veut aussi devenir notre moyen d’existence.
Les aliments biologiques conviennent à la vie biologique. Mais un aliment spirituel seul peut
convenir à la vie spirituelle. Cet aliment, c’est la chair glorifiée du Sauveur. Vouloir la vie de
Dieu sans la demander à l’autel de l’Église, c’est aussi inconsidéré que de mettre de l’eau
dans le réservoir de sa voiture en croyant que cela la fera avancer. La chair de Jésus n’est
pas une simple farine, elle est unie en union de personne au Fils de Dieu, pleine de grâce et
toute remplie de sa divinité. C’est par cette chair que nous avons la vraie vie : vos Pères ont
mangé la manne dans le désert et ils sont morts, mais celui qui mangera de ce pain vivra
éternellement. (Jn 6,49;51).
L’Eucharistie est donc faite pour contenter le désir que nous avons de vivre, non seulement
en ce monde-ci, mais dans l’autre et dans l’éternité. Elle donne la vie éternelle à l’âme qu’elle
nourrit de la vérité, et au corps en qui elle prépare la résurrection. Car elle communique ce
qu’elle est elle-même. Qu’ai-je donc à désirer, Seigneur, sinon de vivre en toi ; de vivre pour
toi, de vivre de toi, de vivre dans mon âme et de vivre dans mon corps, de ne jamais perdre
la vie, de vivre toujours. J’ai tout cela dans l’Eucharistie, il ne reste plus qu’à en jouir.
Que je m’unisse donc à Jésus-Christ corps à corps, et esprit à esprit. Qu’on ne dise point
que l’esprit suffit. Car le corps est le moyen pour s’unir à l’esprit : chose facilement
compréhensible aux époux et épouses que vous êtes peut-être. C’est en se faisant chair que
le Fils de Dieu vient jusqu’à nous. Si je dédaigne de m’unir à lui corps à corps dans
l’Eucharistie, je méprise aussi la chair qu’il a prise pour moi en venant dans le monde. Il me
faut donc m’unir à la chair que le Verbe a prise, afin de m’unir par cette chair à la divinité
du Fils.
Alors, comment comprendre cette étonnante parole de Jésus ? C’est un gain pour vous que
je m’en aille (Jn 16,7). Comment peux-tu dire cela Seigneur ? J’ai bien retenu tes paroles
d’autrefois : les amis de l’époux peuvent-ils mener le deuil tant que l’époux est avec eux ?
Mais viendront des jours où l‘époux leur sera enlevé, et alors ils jeûneront (Mt 9,15). Est-ce
que ta présence ne nous comble pas de joie ? Est-ce que ton absence ne nous remplit pas le
cœur de peine ?
Vois Marie-Madeleine se précipiter sur toi sitôt qu’elle t’a retrouvé ; vois les pèlerins
d’Emmaüs qui te prient de rester quand baisse le jour. Mais tu nous dis : si je ne pars pas,
l’Esprit votre défenseur ne viendra pas vers vous, mais si je pars, je vous l’enverrai
(Jn 15,7). Alors, oui, va-t-en vite Seigneur ! Car si Jésus est notre frère, Dieu-avec-nous,
l’Esprit-Saint est Dieu en nous. En Jésus, Dieu se manifeste comme l’un de nous ; en l’Esprit,
Il se manifeste comme plus intime à nous-mêmes que nous-mêmes. Il est Dieu répandu à
l’intérieur de nous, selon une certaine identification intime. On n’imite pas l’Esprit, parce que
c’est par l’Esprit que l’on peut imiter. L’Esprit, c’est Dieu divinisant ce qui n’est pas lui.
C’est donc l’Esprit-Saint qui opère en nous la vie divine. Pour le dire de manière un peu
provocante : sans la Pentecôte, l’œuvre du Christ serait vaine, car la grâce de Jésus ne
deviendrait pas la nôtre, propre, personnelle. C’est dans l’Esprit que Jésus vient avec son
Père vers nous pour y faire sa demeure. « C’est un gain pour vous que je m’en aille » : c’est
qu’il vaut mieux avoir Jésus dans son cœur que dans sa maison.
Sans ce départ de Jésus, cette parole serait vaine : le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac, le
Dieu de Jacob le Dieu des chrétiens, est un Dieu d’amour et de consolation ; c’est un Dieu
qui remplit l’âme et le cœur de ceux qu’il possède ; c’est un Dieu qui leur fait sentir
intérieurement leur misère et sa miséricorde infinie ; qui s’unit au fond de leur âme ; qui la
remplit d’humilité, de joie, de confiance, d’amour ; qui les rend incapables d’autre fin que de
lui-même.

Documents pareils