chapitre iii marginalite et identite

Transcription

chapitre iii marginalite et identite
CHAPITRE III
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MARGINALITE ET IDENTITE
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«L'effet culture) du travestissement est de
destabiliser les binaires : non seulement "'male" et
""femelle"', mais aussi "homosexuel" et
"heterosexuel" et "sexe" et "genre"2».
Par le biais de l"opposition masculin-feminin et de Ia question
d'identite, le travesti se donne consciemment ou inconsciemment un
role important : celui de deranger l'equilibre du systeme binaire et
de renverser le staru quo. II est vrai que l'identitc est d'abord etablie
I «Tiacrc· is an alllhivalcncc 111 Lhc \.'Cry concept of "H.lcntuy". It professes to inform
us of what makes us all alike and recognisahlc ... At the same time, "identity 1s
differentiation"».
WEEKS Jeffrey, Scxuallly and lis Discontents. London. Routledge. Jl)~).
pp.IX7-IXX.
2 <<The cultural effect of transvestism is to dcstahil11.e all hinarics: not only "male"
and "female", hut also "gay" and "straight", and "sex" and "gender"».
l.llli1. p.l33.
104
par ce qui est directement visible, I' apparence, et tout
particulierement par le code vestimentaire :
«l'apparence est psychologiquement importante a
cause du role profond joue par son contraire -Ia
discretion- dans Ia vie de chaque homosexuell ».
Un code quelconque dans une societe donnee sert
contact et
a maintenir
a etablir le
Ia communication. Le probleme se pose
justement quand une minorite propose un code "illisible". Autrement
dit, transgresser le code implique que I' on rompe Ia communication.
Modifier le code sans qu'il y ait entente entre les divers membres de
la communaute signifie aussi que seule une partie de Ia communaute
comprend le message et que l'autre partie n'arrive pas
a le decoder.
Dans Ia perspective introduite plus haut, I' artiste ou I' ecrivain,
comme le travesti, sert
a deranger
I' opposition entre I' art et Ia vie,
l'illusion et Ia realite, Ia fiction et Ia biographie. Tremblay semble
respecter cette option. Hosanna, le prototype du travesti, agent
destabilisateur du systeme binaire, pose des questions fondamentales
sur l'identite d'un individu. Ceci constituera Ia premiere analyse de
1 «Visibility is important, psychologically, because of the profound role played by
its opposite in the life of every homosexual- that is, secretiveness».
ROBINSON Paul, "Invisible men", Esquire, December llJ6lJ, p.74. cite par
ALTMAN.
105
ce chapitre : Hosanna ou l'identite culturelle. Dans la deuxieme
partie, Identite ou alterite, nous etudierons Sainte Carmen de la
Main et Le Yrai Monde?. Par le biais de ses chansons, Carmen
cherche
a renverser
1'ordre etabli alors que Claude, le personnage
principal du Yrai Monde? souleve des vieux fantomes, de vieilles
his to ires contre son pere pour briser le silence du statu quo.
106
A)- HOSANNA ET L'IDENTITE CULTURELLE
Piece osee pour les annees 70, Hosanna met en scene deux
travestis qui, vers Ia fin de Ia piece vont se mettre
a nu
pour
s'accepter en tant que deux hommes qui s'aiment. A l'epoque de Ia
creation et de la publication d' Hosanna, Ia critique n'a pas tarde
a
etablir l'analogie entre Ia thematique de cette ceuvre et Ia situation
politico-culturelle du Quebec. Au niveau culture!, Hosanna, le
travesti, representait_le schisme identitaire du Quebec : dechire entre
un passe lie
a Ia
France, colonise par lt~s Anglais et entoure d'un
contexte nord-americain, le Quebec avait
a se definir et a affirmer sa
difference. La fin de Ia piece lance un cri vers !'affirmation de sa
propre identite, celle d'etre Quebecois. D'ailleurs Tremblay luimeme revele les raisons de cette creation :
107
<de me mis a penser a la crise d'identite que
traversait le Quebec eta chercher un personnage a
travers lequel je pourrais parler de ce que c'est de
ne pas savoir qui on est et que d'essayer de
ressembler a quelqu'un parce qu'on n'a pas
d'identite proprel ">>.
Effectivement, ce personnage fut Claude Lemieux, coiffeur
dans l'est de Montreal, qui prend le nom d'Hosanna, et vit avec
Raymond Bolduc alias Cuirette 2. Ce dernier n'a pas de travail, c'est
un "gars de bicycle"3. Hosanna avait toujours reve de jouer Elisabeth
Taylor incarnant Cleopatre. Fatigue d'entendre sans cesse ce desir
d'Hosanna, Cuirette decide de lui jouer un tour avec l'aide d'un autre
travesti, Sandra. Sandra annonce le theme du deguisement pour Ia
party annuelle d'Halloween : "les femmes celebres de l'Histoire".
Hosanna attend cette chance inou·ie avec impatience et prepare son
"entree dans Rome"4 en Cleopatre. Mais le jour venu, quand
Hosanna entre dans Ia salle, elle est eblouie par les lumieres qui
mettent en valeur de nombreuses Cleopatres, chacune mieux habillee
que l'autre. Le ridicule de son costume "cheap" lui est revele d'un
coup, dans un eclair de projecteur. La trahison lui apparait devant
1 Michel Tremblay sur Hosanna dans le programme de la production de 1YY 1 au
Theatre de Quat'sous, Montreal.
2 Designation pour celui qui s'habille en imitation du cuir. Ce soot des personnes
qui veulent se montrer robustes et durs.
3 Quelqu'un appartenant aun groupe de motards, souvent criminels.
4 TREMBLAY Michel, Hosanna, sui vi de La Duchesse de Langeais, Montreal,
Lemeac, 1984, p.60.
108
elle comme dans un miroir. Elle se rend compte qu'elle n'est plus
1'unique Cleopatre. C'est Ia fin de ses illusions, de son grand rev e.
·-
On decouvre Ia piece
a travers
les monologues d'Hosanna
(Claude) et ses repliques avec Cuirette : Ia piece commence au
moment ou elle rentre chez elle, assise devant son grand miroir. Le
critique Robert Schwartzwald remarque
a juste titre Ia tristesse et Ia
solitude du decor tel que le decrit l'auteur. Le decor souligne Ia
nature ketaine 1 de l'appartement d' Hosanna:
«Les indications sceniques de Tremblay mettent
en relief le "portatif", Ia nature ephemere des
meubles, ...Tout est maladroit : les neons de Ia
pharmacie a cote qui s'allument et s'eteignent
toute Ia nuit, l'affreuse reproduction du David de
Michel Ange qui se moque de son environnement
minuscule. Nous sommes dans le monde familier
du simulacre quebecois, le bonheur d'occasion2
d'une existence reduite, !'ambiance froide du foyer
: autrement dit, l'appartement evoque Ie
depaysement de l'etre colonise3».
1 lc kitsch
2 Bonheur d'occasion. ccrit en 1945, fut lc premier roman de Gabrielle Roy. Situe
dans Jc quarticr de Saint-Henri au debut de la Sccondc Gucrre mondiale, ce roman
est une immense fresque sociale. «Lcs personnagcs de Roy souffrent parce qu'ils
sont canadicns-fran~ais, parce qu'ils sont issus d'unc classe ouvricre dcpossedec
de ses metiers traditionnels par la technologic et lc capital, parce qu' ils sont
pauvres».
SMART Patricia, Ecrirc dans Ia maison du perc, Montreal, Quebec/ Amerique,
1990, p.207.
3 «Tremblay's directions emphasize the "portable", or transitory nature of
furnishings ... Everything is awkward, from the neon sign of the neighboring
pharmacy that blinks off and on throughout the night to the oversized, "horcndous"
c<'>py of Michelangelo's David that mocks its miniatured environment. We arc in the
familiar world of the Quebec simulacrum, the bonheur d'occasion of a reduced
109
Aussi deprimant qu'il soit, cet appartement d'une seule piece,
cette
"gar~onniere
meublee", est dominee par «une "coiffeuse",
surmontee d'un tres grand miroir, et couverte d'un nombre
incalculable de pots de cremes, de rouge
a levres,
de pinceaux et de
bouteilles de toutes les grandeurs ... !». C'est bien le miroir qui
constitue le nreud du drame. Selon Robert Nunn, Hosanna est
comparable au teatro dello speccio 2. En effet les elements qui
agrandissent cet appartement minuscule sont le miroir et une fenetre
d'ou on
aper~oit
le neon de Ia pharmacie.
Le miroir et Ia fenetre assument un role special, celui de
l'ouverture : Ia fenetre est le seul artifice theatral qui relie
l'interieur avec l'exterieur
~
le miroir aide Hosanna
a distinguer
le
masque du reel, done l'exterieur de l'interieur. Au sens classique, le
miroir et Ia fenetre ont Ia meme forme. U n cadre ou I' on peut voir
des images. Le miroir propose un prolongement de I'interieur vers
un exterieur semblable mais virtue I. Le clignotement du neon, c 'est
existence, the unhomclike ambiance of the home : in other words, the apartment
evokes the depaysement of the colonized being which it harbours».
SCHWARTZW ALD Robert, "From Authenticity to Ambivalence : Michel
Tremblay's Hosanna". American Review of Canadian Studies, vol.22. n°4, Winter
1992, p.503.
1 Hosanna. pp.11-12.
2 Theatre du miroir. Nunn propose une brillantc analogie entre le 'theatre du
miroir' de Pirandello et Ia presentc piece.
NUNN Robert, "Michel Tremblay's Hosanna and Pirandello's 'tearro della
speccio' ".Canadian Drama!L'art dramatiQYC canadien, vo1.6, n°2, automne 1980.
J J D
le reel et le signal d'alarme, par intermittences. Le miroir c'est Ia
mise en abime, au double sens, c 'est
"
a dire reflet
infini (Hosanna-
Elisabeth Taylor-Cleopatre), mais aussi ce qui conduira Hosanna
vers l'abime. Devant Ia fenetre/miroir Hosanna pen;oit une realite
dans Ia faussete, soulignee par un neon clignotant.
La fenetre propose aussi un prolongement de l'interieur vers
un exterieur non semblable mais reel. II y a une asymetrie entre ces
deux images symboliques d'Hosanna. Devant le miroir/miroir, elle
regarde une image d'autant plus reelle qu'elle est Ia replique exacte
de sa propre realite. C' est
a travers cette image virtue lie et le rappel
constant du neon qu' elle se rend compte de sa pro pre faussete. Se
deguiser en Cleopatre avait, en quelque sorte, emprisonne Hosanna,
et grace
a ces artifices theatraux - le miroir et Ia fenetre
- Hosanna
se Iibere de Cleopatre.
Miroir magique, dis, qui suis-je ?
Des le debut, I' auteur no us avertit qu' Hosanna «est un travesti
habille comme Elisabeth Taylor dans "Cleopiltre", en in.finiment plus
cheap, evidemment. Une Cleopiitre-de-la-Main.1 ». Le lecteur aussi
1 Hosanna. p.l2.
I 1I
bien que le spectateur sont avertis qu'ils ont affaire au simulacre.
Quoi de plus faux qu'un nom qui evoque l'imitation : "cuirette" est
une imitation du cuir. De plus ce dimunitif au feminin ('ette')
trompe sa virilite "construite". C'est I' element faux, le manque
d'authenticite qui fait d'Hosanna et de Cuirette des personnages
presque tragiques.
Le sou du bal costume, Ia VIe « en papier mache 1))
d'Hosanna s'ecroule. Placee devant Ia representation de plusieurs
Cleopatres rassemblees sur Ia meme scene, sa mediocrite est projetee
et amplifiee par ces multiples Cleopatres, tel un effet d'images
refletees
a l'infini dans le palais des miroirs. Elle se rend compte de
sa fragilite quand elle dit «vous avez toutes demoli rna vie en papier
mache2». Et comme pour se venger de Cuirette et pour avoir le
dernier mot, c'est precisement
a ce
moment qu'elle declare «chus
t'un homme ... va falloir que tu t'habitues
a 9a aussi .. .3»
Elle cherche
a briser l'illusion de Cuirette, car etre l'homme, constitue le pivot du
drame conjugal :
HOSANNA
«T'as le complexe du gros gars toffe, all right,
pourtant, ~a fait quatre ans que tu me sers de
1 llllih p.74.
2 Ibid.
3I.Illi1.
I I2
femme de menage ! ... C'est moe qui travaille, c'est
moe qui te fait vivre, pis c'est toe qui lave les
planchers, qui lave Ia vaisselle, pis qui fait le
"speghatti ! ... Tu te vantes partout que j'te fa is
vivre, mais tu contes a parsonne que c'est toe qui
fait le lavage, par exemple ! ... T'avais jamais pense
a ~a que c'etait toe, Ia femme, dans nous deux,
Cuirette? Tu veux savoir que c'est que chus? Ben
chus l'homme d'la maison, Cuirette!».
Plus qu'une querelle conjugale, ce besoin absolu d'affirmer
"chus l'homme" s'insere comme un intrus dans un systeme normatif.
Car dans le systeme normatif, le sexe, l'identite sexuellel et Ia
sexualite sont presque toujours fusionnes : 1'homme, le pourvoyeur
de Ia famille est celui qui prend le role 'actif' dans Ia pratique
sexuelle ~ Ia femme est celle qui s' occupe de Ia cuisine et du menage,
et prend le role 'passif' dans Ia pratique sexuelle. Dans ce contexte,
affirmer 'chus l'homme' serait reiterer l'evidence. Autrement dit,
l'identite est assuree quand il y a coherence, harmonie et continuite
entre le sexe, l'identite sexuelle et Ia sexualite. lei, Hosanna est homme de guise en femme/pourvoyeur du menage - I' hom me dans le
menage. Cuirette est - homme deguise en gars de bicycle, celui qui
fait le menage et- Ia cuisine - l'homme dans Ia pratique sexuelle.
Faute de·coherence et de continuite entre ces trois facteurs, Hosanna
et Cuirette continueront le debat sans jamais connaitre Ia reponse
pour designer l'homme parfait entre les deux.
1 Traduit de gender en anglais.
I 13
Alors qu'Hosanna trouve une discordance chez Cuirette en ce
qui conceme l'identite sexuelle, (c'est un 'gars de bicycle'
mais aussi
c..
celui qui fait le menage) Cuirette attaque Hosanna au plan de la
sexualite. Or, la sexualite contient le desir et la manifestation du
desir. La manifestation du desir peut se traduire comme la pratique
de l'acte sexuel. II peut y avoir un ecart entre desir et manifestation,
ce qui est bien le cas d'Hosanna, qui aimerait prendre la position du
sujet actif (celui qui desire) mais qui se trouve toujours dans la
position de reception (celui qui est desire) ou celle de "sodomisee".
CUIRETIE
« ... Si tu serais un homme t'agirais comme un
homme quand t'es tu-seule, mais tu continues a
faire Ia femme quand t'es tu-seule! Tu fais jamais
l'homme devant ton grand crisse de miroir, jamais!
Pis quand on est couche aussi, tu continues a faire
Ia femme ... En quatre ans, t'as pas faite un seul
geste d'homme, au lit, rna cherie, pas un seul! Tu vis
comme une femme pis tu fourres comme une
femme !1».
Cette citation confirme la fragilite des demarcations entre ces
diverses identites, entre les diversites de ces personnages. _Le resultat
de cet effet est une question permanente, q u 'est -ce qu 'un homme ?
Schwartzwald remarque que «la relation entre Claude et Raymond
1 Hosanna, pp.46-48.
1 14
semble fournir une critique devastatrice du mariage heterosexuell ».
C' est un mariage des roles, mais surtout des habits. En effet
...
Tremblay presente des roles parodies, des caricatures du modele
heterosexuel.
«La
reproduction
des
constructions
heterosexuelles dans des cadres nonheterosexuels met en relief le statut tout 'fabrique'
du modele heterosexuel original. Ainsi, le rapport
entre homosexuel et heterosexuel n 'est pas celui
d'nne copie vis-a-vis de son original, mais celui
d'une copie vis-a-vis d'une autre. La repetition
parodique de l'original ... devoile !'original comme
n'etant rien d'autre que Ia parodie de l'idee de
!'original et de Ia nature2».
a 1'infini
a constater
Ainsi, la copte peut continuer
d'ablmes, ce qui conduit Jane Moss
Tremblay ou
~elui
creant une serie
que le theatre de
de Normand Chaurette, Rene-Daniel Dubois et
1 «I remember how, when I first saw Hosanna, the relationship between Claude
and Raymond already seemed to provide a devastating critique of heterosexual
mamage».
SCHW ARTZW ALD Robert, .QJiQ.l. p.506.
2 «The replication of heterosexual constructs in non-heterosexual frames brings
into relief the utterly constructed status of the so-called heterosexual original. Thus,
gay is to straight not as copy is to original, but, rather, as copy is to copy. The
parodic repetition of 'the original', ... reveals the original to be nothing other than a
parody of the idea of the natural and the original».
BUTLER Judith, Gender Trouble, New York, Routledge, 1990, p.3l.
1I5
- -Michel Marc Bouchard I est d'une "hypertheatralite"2. Elle remarque
d'ailleurs que beaucoup de dramaturges gais quebecois se servent des
'-
«jeux de roles et de Ia mise-en-ablme pour attenuer les distinctions
entre le masculin et le feminin, l'illusion et Ia realite, l'art et Ia vie,
Ia folie et Ia raison3». Moss attribue le lien entre l'hypertheatralite et
l'homosexualite (masculine et feminine)
a un
projet postmoderne ou
participent les dramaturges et metteurs en scene gais et
feministes/lesbiennes. II s' agit de deconstruire I' ordre patriarcal et
de subvertir le modele de famille, voire de couple. Ces techniques
(mise-en-abime et jeux de roles) permettent non seulement une
distanciation, mais remettent aussi en question le "bon ordre" et tout
ce qui est accepte comme 'naturel' ou 'normal'. Ainsi, ceux qui
participent
a ce projet exigent egalement
une nouvelle definition de
Ia famille, de l'individu et surtout de l'homme (ou de Ia femme).
1 Normand Chaurette, Rene-Daniel Dubois et Michel Marc Bouchard, trois
dramaturges de renomm6c au Quebec, ont marqu~ Ia decennie 80 avec un r~pertoirc
.de pieces sur Ia thematique gaie. On retient trois pieces parmi bien d'autres qui ont
toutcs connu un succes considerable :
- CHAURETIE Normand, Provincetown Playhouse.juillct 1919.j'avais 19 ans,
Montreal, Lcm~ac, 1981.
-DUBOIS Ren~-Daniel, Being at home with Claude, Montr~al, Lcm~ac, 1<)86.
-BOUCHARD Michel Marc, L.es Eeluettcs, Montr~al. Lcmcac, I <J87.
2 MOSS Jane, "Sexual Games : Hypertheatrality and Homosexuality in Recent
Quebec plays", American Review of Canadian Studies, vol.l7, n°3, 1987, pp.287296.
3 «(They) usc role-playing and mise-en-abymc techniques to blur distinctions
between masculine and feminine, illusion and reality, art and life, madness and
sanity».
MOSS Jane, "Dramatizing Sexual Difference : Gay and Lesbian Theatre in
Quebec", The American Review of Canadian Studies, vol.22, n°4, winter 1<)<)2,
p.491.
1 16
Qu'est-ce qu'un homme?
Hosanna. entre autres, pose cette question fondamentale :
qu'est-ce qu'un homme ? Dans toute societe, le defi de devenir
homme est lance
atout gar~on des
son enfance. De cela on retient Ia
.
fragilite de ce devenir : qu'est-ce qui arrive si cet acte ne s'acheve
pas ou s'accomplit
a moitie
? Que signifie Ia "reussite" de cette
epreuve ? Un homme viril ? Aux dires de Badinter, devenir un
homme est une veritable tache
a accomplir :
«La virilite n'est pas donnee d'emblee, elle doit etre
construite, disons "fabriquee". L'homme est done
une sorte d'artefact, et comme tel il court toujours
le risque d'etre pris en defaut1».
Alors que Badinter parle de Ia masculinite "fabriquee",
Stoller, «s'appuyant sur les decouvertes de Ia biologie moderne, pose
que, .. .la masculinite psychique est seconde par rapport
a
une
feminite primordiale, ... fond de toute identite .. .2». La masculinite,
1 BADINTER Elisabeth, XY : de l'identitC masculine, Paris, Editions Odilc Jacoh,
1992, p.15.
2 MILLOT Catherine, Horsexe : essai sur lc transsexualismc. Paris, Point Hors
Ligne, 1983, p.52.
I 17
souvent un euphemisme pour Ia virilite, est, comme on Ia constate,
un concept relationnel :
«Masculinite et feminite sont des constructions
relationnelles ... personne ne peut comprendre Ia
construction sociale de Ia masculinite ou de Ia
feminite sans reference aI'autre 1»
C'est dans ce sens que les signes exterieurs assument leur role etant
donne qu'ils renforcent l'image d'une personne.
«La masculinite ou l'identire mate est etablie par le
processus constant qui consiste a repousser les
agents qui Ia menacent. Elle est precairement
accomplie par le rejet de Ia feminite et de
l'homosexualite2».
Ainsi I' attitude de Cuirette vis-a-vis d' Hosanna s' exprime dans
le rejet de sa propre homosexualite. Hosanna est traitee plusieurs fois
1 «Masculinity and feminity are relational constructs ... One cannot understand the
social construction of either masculinity or feminity without reference to the other>>.
KIMMEL Michael S., Chaneing Men. New Directions in Research on Men and
Masculinity, Newbury Park (California), Sage Publications, 1987, p.l2.
2 «Masculinity or male identity is achieved by the constant process of warding off
threats to it. It is precariously achieved by the rejection of feminity and of
homosexuality».
WEEKS Jeffrey, .Ql.l.Ql. p.l90.
II8
de "tapette" I par Cuirette qui ne veut point de cette epithete pour
lui-meme. 11 refuse categoriquement d'etre identifie ou interpelle au
feminin:
HOSANNA
«Maudite vache !
CUIRETIE
Aie, hebe, j't'ai deja dit de ne pas me parler au
feminin2».
En meme temps qu'il rejette sa propre feminite, il tient
a
convaincre Hosanna que c'est bien elle la femme. Dans la mesure ou
les concepts de masculinite et de feminite sont relationnels, il faut
qu 'elle so it la femme pour accorder le statut de male
a Cuirette.
En
le faisant, il croit que sa masculinite est mise en relief, ce qui prouve
que son identite est fragile et depend largement de Ia feminite
d'Hosanna.
La dependance de l'autre et Ia _fragilite de sa propre identite
s~mt
traduites par une certaine impuissance. L'impuissance,
a son
tour, se transforme en agressivite surtout devant les manifestations
de l'autorite face au couple.
I Designation pejorative pour un homoscxucl.
2 Hosanna, p.I8.
l 19
Les figures de l'autorite
Les figures de l'autorite apparaissent souvent dans les pieces
oil Ia thematique est homosexuelle. Chez Jean Genet, leur presence
est marquee par des personnages tels que le garde dans La Haute
Surveillance, le juge et l'avocat dans Le Balcon etc. Chez les
dramaturges quebecois, qui nous proposent une thematique
homosexuelle, on constate egalement Ia presence des figures
d'autorite. Dans les Feluettes 1 de Michel-Marc Bouchard, «des
institutions homophobiques du patriarcat sont non seulement rejetees
mais detruites. (Elles sont representees par) le couvent et ]'ecole
(symboles du pouvoir patriarcal) brfiles
a
des moments
, .
strategtques
... 2 ».
Dans Hosanna, Cuirette se sent agresse par les lumieres
.
installees au Pare Lafontaine. II faut preciser que le Pare Lafontaine
etait jadis le lieu favori de rencontre et souvent celui de Ia
consommation sexuelle pour bien des marginaux. Dans cette
perspective, les lumieres symbolisent non seulement Ia presence des
autorites - dans ce cas-ci, Ia municipalite - mais aussi leur pouvoir
d'intervention et d'interdiction.
1 BOUCHARD Michel-Marc, Les Fclucttes, Montreal, Lemeac, 1987.
2 WALLACE Robert, "Homocreation : pour une poetique du theatre gai", Jeu
n°54, Montreal, 1990, p.31.
120
«Partout, Hosanna, partout ! Y'a pas un seul p'tit
coin qui est pas eclaire ! Y doit pus avoir moyen
de fourrer pantoute, Ht-dedans .. .l ».
Ces lumieres brisent les souvenirs et les reves de Cuirette qui
trouvait un refuge dans les tenebres du Pare Lafontaine. De meme
que les lumieres
a la party d'Halloween ont brise la grande illusion
d'Hosanna, d'etre I' unique Cleopatre. de la Main, pour Cuirette les
lampadaires effacent un passe, ou les ombres du Pare Lafontaine
temoignaient pour plusieurs (du moins pour lui) des premieres
amours homosexuelles. Sa frustration le mene
homosexualite et
a proclamer
son
a defier ces autorites :
« Vous
avez peur qui reste des coins no irs, he in,
vous inettez des lumieres partout ! Ben, sacrament,
on va vous faire ~a dans'face !. .. au beau milieu du
terrain de baseball ... 2».
Autant cette partie de Ia piece nous montre le lieu et Ia
maniere de certains types de rapports homosexuels, autant le
1 Hosanna, p.l5.
2 Hosanna, pp.68-69.
I2I
monologue d'Hosanna sur sa mere devoile l'etiologie de sa sexualite.
Ce n'est pas sans raison que Tremblay fait parler Hosanna de son
<.
enfance, de son adolescence, de Ia naissance de sa sexualite, ce qui
sert de pretexte
a l'auteur pour raconter sa relation avec sa mere.
La
relation mere-fils a une source autobiographique : l'ecrivain avoue
dans une interview accordee
a Carole Vallieres.
«C.Vallieres: Quand as-tu arrete de te cacher?
M.Tremblay : Ben ...j'ai probablement.
inconsciemment attendu que rna mere meure.
C. Vallieres: Tu ne lui as jamais dit.
M.Tremblay: On n'en parlait pasl».
11 est certain
ICI
que Tremblay pmse dans sa propre
experience, et transpose dans le caractere hypocrite2 de Ia mere
d'Hosanna Ia relation fils-mere qu'il a vecue. On a tout lieu de croire
1 VALLIERES Carole, "Michel Tremblay : Homocreator", M.l!. November 1987,
p.l9.
2 Ginette Pelland endosse les opinions d'Hosanna avec une analyse
psychanalytique : «Cette mere phallique trouve en effet chez son fils son 'hilton de
vicillesse', le castrant du coup pour les hcsoins de I' edification de sa touteptiissance personnelle. Quand elle lui dit qu'il n'y a rien de hon en dehors d'elle.
d'elle-lui, qu'il n'y a pas a chercher aillcurs, les autres femmes etant toutes
dangcreuses, elle ne fait ainsi que projeter a l'extcrieur lc danger qu'elle agit
ncanmoins a l'intcricur mcme de sa relation avec lui. Toute hostilitc cventuelle
d'Hosanna ason cgard parle de cette extreme violence initiale qui lui a etC faitc».
PELLAND Girictte, Hosanna et les Duchesses. Etiologic de I' homosexualitc
masculine de Freud aTremblay, Lachine, Editions de Ia Plcinc Lune, 1994, p.l 09.
122
que ia mere, dans sa generosite et sa largesse d'esprit, dit des paroles
"positives" et "reconfortantes"
a son fils
:
«Ben, sais-tu c'qu'a m'a repondu, rna mere, quand
j'y ai dit que j'avais commence a coucher avec les
!lommes? A m'a dit: "Si t'es de meme mon p'tit gars,
au moins, choisis-toe s'en des beaux !l ».
Est-elle de mauvaise foi ? Ou est-ce que c'est Hosanna qui
de forme tout pour culpabiliser Ia mere ? En I' accusant, Hosanna
cherche
a expliquer et ajustifier I' etiologie de son homosexualite.
«Ma mere qui m'avait toujours dorlotee, pis
embrassee, pis deguisee, pis qui arretait pas de me
dire que toutes les femmes sont dangereuses pis
que j'devrais pas m'en approcher. .. parce qu' a
voulait me garder avec elle ... 2».
Mais au sens plus large, Ia mere represente-t-elle le systeme
recuperateur ? lei Ia position de Tremblay est moins claire. D'un
cote le marginal souhaite et espere Ia tolerance de Ia communaute et
I Hosanna, p.42.
2 l.b.id., pp.41-42.
123
surtout des parents. D'autre part, ceux qui sympathisent avec leur
cause sont vus avec me fiance ou accuses de mau vaise foi.
Certes, ces manifestations de l'autorite (Ia mere pour Hosanna
et les lumieres pour Cuirette) les poussent
.
a
exprimer leur
frustration et leur volonte de reagir violemment :
«Des fois, je l'hais assez, c'te femme-H1,
Raymond ... Si j'arais gagne, a soir, j'arais eu mon
portrait dans tous les p'tits journaux a potins de Ia
semaine prochaine, avec mon vrai nom ... pis
j'esperais que ~a Ia tue .. .l ».
Mais ce qui les frustre le plus, c'est Ia conscience d' a voir
incarne les stereotypes du systeme (majoritaire, heterosexuel) que
proposent ces figures d'autorite. En voulant jouer ·et affirmer leur
difference, ils ont inconsciemment reproduit les modeles du systeme
majoritaire. Le geste ultime de se mettre
a nu, face a face,
et de se
debarrasser des costumes et maquillages devenus presqu'une
· nouvelle peau, signifie que ces deux personnages se detachent de
leurs masques et de leurs illusions, qu 'ils «acceptent sereinement de
l Ihi.d_., p.42.
124
s 'aimer tels qu 'en eux-memes, enfin, ils se retrouvent, depoui lies
(moralement et physiquement) de to us leurs oripeaux 1».
Pour ces deux personnages le rituel du deguisement et du
maquillage a .cesse de ne representer que des signes exterieurs et a
.
pris une profondeur interieure psychologique. Mais comment
detruire cette image, comment abandonner les gestes quotidiens lies
a ces images meme s 'ils arrivent a se debarrasser de leurs stgnes
exterieurs, c'est-a-dire les habits et le maquillage ?
La nudite est une image theatrale puissante pour traduire Ia
recherche de Ia veritable personne2 mais c'est aussi un etat de
transition entre deux deguisements, deux habits, un hiatus entre deux
etats.
«Les habits ne sont qu'un symbole de quelque
chose cache au fond. C'etait Ia transformation en
Orlando elle-meme qui a dicte son choix d'un habit
de femme et d'un sexe de femme3».
1 GODIN Jean-Cleo, Th¢atre quebccois II, Montreal, Bibliothcquc qucbccoisc,
1988, p.264.
2 NUNN Robert, art.cit., p.211.
3 «Clothes are but a symbol of something hid deep beneath. It was a change in
Orlando herself that dictated her choice of a woman's dress and a woman's sex•>.
WOOLF Virginia, Orlando : A biography, Harmondsworth, Penguin Books,
1970, p.l33.
125
Si, effectivement, une transformation a eu lieu en Hosanna, Ia
mtse
a nu
dans Ia derniere scene ne peut pas etre vraiment
consideree comme une fin. II y a lieu de croire que c' est une fausse
.
sortie, le debut d'une autre situation car on ne sait toujours pas si
Hosanna se demaquille ou non. ( le saura-t-on jamais ? ). En effet,
une lecture attentive des indications sceniques confirme notre
argumentation en revelant l'ambigulte de !'affirmation 'chus t'un
homme':
CUIRETIE
« ... Va te demaquiller ... Va te demaquiller...
Hosanna se /eve et s'installe a sa table de
maquillage. Elle prend un pot de demaquillant,
le remet a sa placel. Elle se regarde dans le
mirozr.
HOSANNA
Cleopatre est morte, pis le Pare Lafontaine est
toute illumine !
Elle se {eve lentement, enleve. son slip et se
retourne, nue, vers Cuirette.
HOSANNA
R'garde, Raymond, chus t'un homme! .. .2».
1 C'est nous qui soulignons.
2 Hosanna, p.75.
126
Nous avons releve l'ambiguHe d'Hosanna en soulignant qu'elle
ne s 'est pas demaquillee : "Elle remet le pot de demaquillant
a sa
place ". Ce n 'est pas son propre visage qu 'elle regarde. Elle continue
peut-etre de voir Cleopatre. 11 y a lieu de croire qu'Hosanna, tout en
etant nue, garde un visage maquille.
En gmse de conclusion, remarquons que !'interpretation
politique de cette scene dans Hosanna ou meme dans Sainte Carmen
de Ia Main est bien evidente. D' apres certains critiques ces deux
pieces annoncent 1' echec du referendum de 19801 . Mais il no us
semble que Tremblay va plus loin dans Ia reflexion psychologique
d'Hosanna. Le fait de juxtaposer le corps nu d'Hosanna avec le
visage maquille de Cleopatre exprime l'impossibilite de tout etre
humain de detruire completement son passe. Meme si Hosanna n'est
a interioriser l'identite de Cleopatre, il nous semble que
residus des rituels s 'accrochent encore a sa peau com me
pas arrivee
certains
dans le cas du Lorenzaccio de Musset2.
1 «Lc questionnement des comportements sexuels ne fait que traduire d'autrcs
enjeux sociaux. Qui nierait d'abord que Ia periode ouverte par l'echcc rcfercndairc
n'a pas provoque de tensions qui se sont manifestces tant sur le plan personnel que
sur le plan social».
Voir Robert Schwartzwald, "(Homo)sexualitc et problcmatique identitaire" dans
Fictions de 1' identitaire au Quebec, Montreal, XYZ, 1991, pp.115-150.
2 Lorenzaccio : << ••• Lc vice a etC pour moi un vetement ; maintenant il est colic a ma
pcau. Je suis vraiment un ruffian, et, quand je plaisante sur mes pareils, je mcsens
scricux comme Ia mort au milieu de rna gaicte».
127
Ce vtsage maquille et ce corps nu se pretent
a
une
interpretation du schisme par excellence que I' auteur, nous semble-til, n'arrive pas
a mai'triser.
Est-ce Ia raison pour laquelle le modele
d' androgyne est une proposition plus convaincante ? Ce theme fera
l'objet d'une analyse dans le chapitre IV. En attendant, notons qu'il
existe un personnage trembleen qui a essaye de trouver des solutions
a
ses problemes de marginalite et d'identite : Carmen. Elle
symbolise,
a notre avis, Ia metaphore politique de Ia. saintete dans un
lieu de peches qui est La Main.
MUSSET (De) Alfred, Lorenzaccio, Paris, Librairie Laroussc, 1971, p.93.
128
B)- IDENTITE OU ALTERITE
Dans !'introduction de ce chapitre nous avons releve le lien
entre l'identite et l'apparence : l'identite est d'abord etablie par ce
qui est directement visible, l'apparence. Nous venons d'analyser Ia
piece, Hosanna, ou les personnages Hosanna et Cuirette soulignent
'
justement Ia precarite de 1'apparence. Toute Ia piece est une
demonstration de leur evolution vers une quete d'identite en
decouvrant progressivement Ia fragilite de 1' apparence. A Ia fin de Ia
piece, ils se deshabillent pour s' accepter comme deux hommes qui
s 'aiment ; -le depouillement des signes exterieurs, costumes,
maquillage ou epithete, est-il une quete de l'authenticite ? En meme
temps, si l'on croit qu'Hosanna garde un visage maquille, force est
d'accepter que l'authenticite laisse place aI' ambivalence. Nous avons
demontre que cette ambivalence est soulignee par le doute qui
129
persiste
a Ia
fin : est-ce qu' Hosanna s' est-elle completement
demaquillce ou .non ? Autrement dit, s 'est-elle entierement
depouillee de ses signes exterieurs tout en s' acceptant son identite
d'homme? Ce qui nous permet de questionner sur le rapport entre
l'identite et l'alterite. Rappelons Ia definition proposee par Jeffrey
Weeks
asavoir que I' identite est un concept paradoxal
:
«II y a une ambivalence dans le concept meme de
l'identite. Elle pretend nous informer de ce qui
no us rend semblaple et reconnaissable ... En meme
temps "I' identite est differenciation" 1».
Or, l'essence meme de Ia marginalite est dans son alterite. Le
marginal tout en affirmant son identite dans Ia societe majoritaire
laisse entendre qu'il est autre. De meme, par souci d'exprimer son
alterite, il se differencie de Ia societe majoritaire, etablissant ainsi sa
propre identite. Son veritable arme devient Ia parole grace
a laquelle
il s 'affirme pleinement son identite ( ou son alterite ).
Ainsi l'artiste et l'ecrivain, dans le cas de notre etude, Carmen
( de Sainte Carmen de Ia Main ) et Claude ( du Vrai Monde ? ), se
servent de Ia parole pour affirmer leur identite/alterite. De par ses
1 «There is an ambivalence in the very concept of 'identity'. It professes to inform
us of what makes us all alike and recognisable ... At the same time, "identity is
differentiation"». WEEKS Jeffrey, QD..Q.l.
13 0
chansons sur Ia Main, Carmen se donne le role du porte-parole des
gens de Ia Main, alors que Claude utilise sa plume pour exprimer
son desaccord contre son pere et sa famille. 11 croit egalement qu'il
defend les femmes de sa famille contre son pere. Par contre sa vision
des evenements n 'est pas partagee par les autres membres de sa
famille. Mais Ia conviction et Ia determination d'aller jusqu'au bout,
permettent
.
a Carmen et a Claude de maintenir leur position.
D'une
certaine fa9on, tous les deux sont jeunes et nai"fs mais sont aussi
convaincus de leur cause. Les deux pieces temoignent d'un
denouement brutal : Carmen est assassinee so us 1' ordre de son
patron/amant et le manuscrit de Claude est detroit par son pere. Les
chansons de Carmen et le livre de Claude sont le produit de leur
quete d'identite. En tuant Carmen, le patron detroit sa creation. En
detruisant Ia creation de Claude, Alex I detruit son fils,
symboliquement parlant. La reaction de l'autorite, ici le pere ou le
patron, est un acte de repression, quel soit physique ou symbolique.
Le conflit entre le marginal et 1' ordre etabli est un conflit d'identite.
Sainte Carmen de Ia Main ou Ia metaphore politique de
I'identite
Sainte Carmen de Ia Main semble avoir emprunte son intitule
de l'reuvre monumentale de Sartre sur Jean Genet dont le titre est
Saint Genet comedien et martyr. Comedienne, Carmen ne I'est peut-
I3I
etre pas, mais elle est certes martyrisee I. D' autre part, Ia thematique
de cette oeuvre est empruntee
a Ia Carmen de Pros12er Merimee dont
s 'est inspire Georges Bizet pour son celebre opera.
On se doute bien, toutefois, que ·ta Carmen de Tremblay a sa
particularite et son originalite, qui sont propres
a l'imaginaire
de
I' auteur. Elle evolue dans un espace et un temps tres defini. Elle est
Carmen non seulement du Quebec ou de Montreal, mais plus
specifiquement celle de Ia Main2. On remarque, non sans ironie,
l'analogie entre Ia Cleopatre-de-la-Main (d'Hosanna) et Sainte
Carmen de Ia Main.
La piece commence par un chceur
a Ia grecque qui attend avec
impatience le retour de Carmen, partie pour suivre un stage de
perfectionnement de six mois
a Nashville aux Etats-Unis. Le premier
soir apres son retour, Carmen chante entre autres sa propre chanson
sur les gens de Ia Main, au lieu de se contenter du repertoire des
chansons cowboy telles que I' exige son patron Maurice, qui est en
meme temps son amant et le proprietaire du Rodeo. C' est grace
a
1 Jean-Cleo Godin croit le contraire et le justifie dans Theatre yuebecois.
«Elle(Carmen) me_urt non pas martyre, victimc d' une fatalite rattachee a
l'o.:uvreentreprise, mais comme par accident, un accident qui co·incide seulement
avec Ia tragedie possible, Ia transformant en un melodrame auquelles spectateurs,
comme les choeurs, assistent impuissants et dC~US>>.
GODIN Jean-Cleo, .QlM.iL., p.l74.
2 La Main est «Ia principale rue _de Ia ville, toute Ia ville en Ia rue, le centre des
affaires de toute premiere importance».
MAILLET Andree, Nouvelles Montrealaises, Montreal, ed. du Jour, 1966, p.72.
132
1'appui financier de Maurice que Carmen est arrivee
a
se
perfectionner aux Etats-Unis. Maurice se donne le droit de refuser le
nouveau repertoire de Carmen mais celle-ci s'obstine
a continuer a
chanter sur les gens de Ia Main au lieu d'interpreter une chanson qui
ne correspond pas
a Ia situation locale.
Une discussion s'ensuit et
Maurice s'arrange pour que Carmen soit tuee par Toothpick
I
•
a coups
de carabine. Carmen est vite remplacee par Gloria, une ancienne
chanteuse du Rodeo.
Carmen est assassinee parce qu'elle tient
a assumer son choix
et sa liberte, celle de chanter ses propres chansons faites pour les
gens de Ia Main, au lieu des chansons "country". Son choix etait
politique tout comme son assassinat. Piece de theatre con9ue comme
un eloge
a Carmen
ou surtout
a l'art,
Sainte Carmen de la Main
contient tout de meme une forte dose d'ironie : une sainte de la
Main. Or, Ia Main
est le lieu par excellence des peches. C'est
l'endroit ou les personnages marginaux de Tremblay se rencontrent
tous les soirs pour se noyer dans l'alcool.
Notons que toutes les ceuvres de Tremblay se situent soit sur Ia
Main, soit sur le Plateau Mont-Royal. Ainsi, Tremblay arrive
a
montrer le contraste entre ces deux lieux presque contradictoires :
133
l'un represente Ia vertu, l'autre, le vtce
<-
~
l'un est habite par les
boones femmes-meres et I' autre par les "guidounes" I.
«La Main des annees 50 etait Ia seule porte
ouverte a Ia femme qui voulait pas etre Ia maman,
ni Ia religieuse et qui devenait pour les autres ·ta
putain. On aboutissait Ia, ou on commen~ait par la,
dans l'espoir d'aboutir ailleurs, mais c'est un cul-desac Ia Main2 ».
Deja dans les Belles-Sreurs, on est temoin du conflit entre deux
clans : celui des boones-femmes et celui des "guidounes". Une
remarque s'impose ici. Les "guidounes" ne sont pas des veritables
prostituees. Les boones-femmes les appellent ainsi parce qu'elles ont
transgresse les regles etablies. Ainsi, Carmen est mise dans le clan
des "guidounes" par sa soeur Manon (dans A toi pour toujours ta
Marie-Lou).
Rappelons que Ia Main est Ia partie sud du Boulevard Saint
-Laurent qui divise Ia ville de Montreal en deux. Jadis, les
1 les prostituees.
2 LEVESQUE Robert, "Ie Montreal de Michel Tremblay, <(Un pare, quelques rues
et deux quartiers»", Ie Devoir, Montreal, samedi I 4 novemhre I Y87,
pp. Diet 03.
134
Francophones vivaient
a I'est et
a I'ouest I. Alors
n'appartient a personne.
les Anglophones
geographiquement parlant, ce boulevard
Marginaux non seulement en esprit, ces personnages occupent
litteralement Ia peripherie, Ia frontiere ou un no man's land.2 La
Main est Ia limite de l'est. Elle represente l'ailleurs pour les
habitants du Plateau3.
Creer dans un no man's land
Peripherie, asile, refuge, no man's land, ... exil. Consideree
comme un no man's land, Ia Main symbolise egalement l'exil. La
Main represente pour Tremblay un exil imaginaire, un lieu qu' il n' a
jamais frequente. Pourtant un bon nombre de ses personnages
prennent vie et existence dans ce no man's land.
I Aujourd'hui la diff~rence n'est pas aussi ctanche ct curieuscmcnt une bonne
partie de ce boulevard est occupee par les magasins de differentes nationalites. Les
immigrants y tiennent leurs commerces. La partie sud est res tee un quartier marque
par des activite~ dites nocturnes : boltes de nuit, tavcmes, bars, licux de rencontre
pour des prostitu~s, sex shops etc.
2 «Ligne de demarcation qui etait tout lc contraire d'un No Man's L.and, Ia "Main"
finit par s'imposcr comme un axe intouchable, une fronticre sacree entre lcs
communautes anglophone et francophone, mais indifferemment frequentee par
tous, avec lcs innombrablcs avantagcs que contere cette singularite».
BOURASSA Andre & Jean-Marc Larrue, Lcs nuits de Ia "Main", Montreal, vlb
editeur, 1993, p.l7.
3 Le Plateau est une appellation courantc pour designer le Plateau Mont-Royal.
Situe a I' est de la montagne, ce quartier est franco phone.
135
«la Main que j'ai decrite est une Main
d'imagination. J'ai puise dans rna memoire
collective personnelle .. .J'ai jamais mis les pieds sur
la Main I».
L'exil etant l'utopie des artistes/ecrivains, il n'est pas etonnant
alors que Carmen se mette
a ecrire
ses propres chansons. C'est
precisement dans ce lieu, dans ce no man's land, que Carmen cree, et
voudrait chanter ses propres chansons. Aux dires de !'auteur, Sainte
Carmen de Ia Main est aussi Ie mythe de l'artiste angoisse.
L'analogie entre l'ideologie de !'auteur et celle de Carmen est
tres frappante. De meme que chanter ses propres chansons sur Ia
Main represente pour Carmen, un choix et un positionnement
politiques, pour Tremblay, l'emploi du joual, surtout dans les toutes
premieres oeuvres dramatiques, exprimait une affirmation de son
identite.
«J'ai parle de Ia Main pour cerner des probiemes
d'identite, j'ai cree des gens qui se deguisent,
comme si tout ce peuple n'avait pas le droit d'etre
lui-meme. II fallait qu'ils s'imaginent qu'ils sont
autre chose pour pouvoir survivre; le probleme
1 LEVESQUE
Robert,~
136
c'est que Ia Main est une fin en soi dans Ia culture
des autres. c'est Ia liberte avec menottesl».
Ce deguisement dont parle Tremblay, impliquait aussi le fait
de·patler ou plutot d'ecrire dans la langue de 1' Autre. Ecrire en
joual, equivaut
a 1' affirmation
Belair remarque
a juste
d 'une identite quebecoise2. Michel
titre qu'il semble exister «une relation
constante entre le joual et ce que I' on pourrait appeler }'affirmation
de Ia culture populaire3». D'ailleurs, Ia premiere piece de Tremblay,
les Belles-Sreurs, a provoque une serie de critiques dont plusieurs
condamnaient I' emploi du joual.
«Langage du desespoir, de l'impuissance, de Ia
dereliction et de I' alienation .. .le parler populaire se
revele incapable de prendre son elan vers les
sommets ...de l'ideai4»
1 Ibid.
2 Dans son brillant livre, Sociocritique de Ia traduction, Annie Brisset constate que
«Ia traduction quebCcoise (des tcxtes ctrangers) est presque toujours fondce sur une
proletarisation. Cette pauperisation du signifiant met en abyme 1' alienation du
public qucbecois auquel est destine le tcxte».
BRISSET Annie, Sociocritiquc de Ia traduction : theatre et altcrite au OuCbcc
( 1968-1988), Montreal, Le Prcambule, 1990, pp.294-295.
3 BELAIR Michel, Le nouveau theAtre qucb¢cois, Montreal, Lcmcac, coil.
dossiers, 1973, p.l20.
4 LAROCHE Maximilien, "Le langage thcatral", Voix et Images du Pays III, 1970,
p.l69.
137
Alors que certains critiques se montraient plus tolerants
a
l'egard du joual, il y en avaient meme qui trouvaient le joual
poetique sous Ia plume de Tremblay. «Tremblay magnifie le joual
qui devient, par sa vulgarite meme, incantatoirel))
metteur en scene Andre Brassard qui etait associe
declare le
a toutes
les
productions de Tremblay. Dans son article sur Sainte Carmen de Ia
Main., Renate Usmiani prouve que le joual peut etre poetique.
«Contrairement aux avertissements de plusieurs
critiques a propos des limites du joual, ce texte,
ecrit entierement dans Ia langue du ~uple, atteint
des sommets remarquables de poesie ».
Aussi poetique qu 'il soit, invoquer les images des plaines du
Colorado ou celles du Tennessee semble aux yeux de Carmen,
inapproprie. Elle trouve plus pertinent de parler de Ia Main et de ses
clients.
I BRASSARD Andre, "Quand le metteur en scene ... ", dans Michel Tremblay, Lcs
Belles-Sreurs, Montreal, Lemeac, 1972, p.I29.
2 «Contrary to the dire warnings of many critics concerning the severe limitations
of the joual, this text, written entirely in the language of the people, achieves
remarkable heights of poetry>>.
USML~NI Renate, "Michel Tremblay's Sainte Carmen : Synthesis and
Orchestration", Canadian Drama/1' Art dramatigue canadien, vol.2, n°2, Automne
1976, p.207.
I 38
«~a fait des annees que je leur parle des plaines du
Colorado, pis de la June au-dessus du
Tennessee ... La Main a besoin qu'on y parle de la
Main ... Maurice, avec rna voix, j' ai decide
d'essayer d'aider Ia Main a sortir de son trou. Si y
faut y montrer a respirer, j'y montrerais a
.
. resprrer
... 1».
En meme temps que Carmen refuse de chanter les westerns,
elle n'abandonne point son style de chanter, et ne fait que remplacer
les paroles. En fait, Carmen cherche une synthese entre les "yoddles"
et les paroles sur la Main.
«Carmen polarise les oppositiOns, sert de pont
entre l'univers sombre de Ia ville - telle qu'elle
apparait dans Ia piece - et Ia liberte propre a
l'imaginaire de Ia chanson western, qu'elle tente de
transposer et d'adapter a Ia vie de Ia Main ..2»
Mais c'est surtout son exil aux Etats-=Unis qui lui permet de
retrouver son identite creatrice dans Ia Main. Vue sous cet angle,
I Sainte Carmen de La Main, pp.57-63.
2 CHASSAY Jean-Fran\ois, "Eloge du faux", Lc Monde de Michel Tremblay,
Montreal, Jeu!Editions Lansman, 1993, p.l47.
139
Carmen n' est pas unique dans le repertoire de Tremblay. Le cas
d'Edouard
dans Des Nouvelles d'Edouard nous en offre un autre
'exemple. Son voyage en bateau declenche l'ecriture sous forme d'un
journal adresse
a sa belle-sreur. Edouard adopte egalement La Main
et se transforme aussi tous les soirs, en Duchesse. Nous aurons
1' occasion de revenir en detail sur Edouard qui est, de 1'aveu meme
de !'auteur, son personnage favori. En attendant, notons que
1'identite creatrice que cherche Carmen provoque une rupture
dangereuse dont elle est pleinement consciente.
Destabiliser le statu quo c'est briser le pacte
«Dans Sainte Carmen de la Main, la scene meme est le lieu du
mensonge. Les seuls evenements "vrais" se deroulent en coulisses I».
Un veritable theatre, ou Carmen devient la comedienne et Maurice
(le proprietaire) le metteur en scene. La mort de Carmen s'explique
alors
~omme
la consequence d'un pacte brise ; un pacte entre le
comedien et le metteur en scene. La mort, c'est le prix
sortir de son role. Rappelons Ia replique de Maurice
I lb.i.d.., p.146.
a payer pour
a ce sujet :
140
MAURICE
«Ton role consiste ate deguiser en cow-girl a tous
les soirs en montrant tes ]ambes le plus possible, a
grimper sur le stage pis a faire haver les hommes en
te faisant aller ...
CARMEN
Pis si moe je continue a vouloir faire d'autre
chose?
MAURICE
T'auras pas Ia chance de faire d'autre chose, rna
p tite fill
1 e... 1».
I
•
Le role exige consiste
a se travestir en cow-girl. La realite n'a
pas de place dans ce jeu : ceux qui essayent d'infiltrer le vrai dans le
mensonge ne connaissent que l'echec. Telle est Ia devise de Ia Main,
le Lethe 2 montrealais. Maurice, le chien de garde de ce statu quo,
tient le role de celui qui trace, maintient et defend Ia ligne de
demarcation entre le Plateau Mont-Royal et Ia Main, entre Ia
conscience et l'oubli. Sainte Carmen de Ia Main met en scene le
conflit entre ceux qui defendent le changement et ceux qui
maintiennent Ie statu quo. Une conjoncture de plusieurs oppositions,
Sainte Carmen de Ia Main jux_tapose entre autres, Ia liberte et Ie
compromis, le plaisir et Ia rentabilite.
1 Sainte Carmen de la Main, pp.69-70.
2 Fleuve de l'oubli dans 1a mythologie grecque.
14 1
Avec Ia disparition physique de Carmen de Ia scene, il serait
faux de croirtt que sa tentative est un echec total. Du moins il ne 1'est
pas pour les clients du Rodeo. Les clients avaient l'air d'apprecier les
chansons de Carmen mais ce n'est pas Ia l'essentiel selon Maurice,
lequel craint le pouvoir de ses chansons qui, a Ia longue, lui feraient
perdre sa clientele. Donner Ia conscience et l'identite a ses clients
signifie qu'ils seront capables de se relever plus tard: Or, cela met en
peril !'existence meme du Rodeo qui vit sur le malheur des clients
qu 'il cherche a attirer. Maurice cherche Ia securite dans les gestes
repetitifs sans qu'il y ait une remise en question. 11 a interet ace que
le travestissement de Carmen (en cow-girl) soit une perpetuation du
meme rituel. Mais Carmen propose plut6t une reactualisation.
«Le travestissement est par nature une denn!e
perissable, qui ne peut survivre ason temps, et qui
doit etre constamment reactualise, c'est a dire en
fait remplace par une autre actualisation plus
actuelle 1».
Carmen, qui cherchait peut-etre a realiser cette reactualisation,
y a laisse sa vie ; mais le message politique que Tremblay lui fait
porter ne meurt peut-etre pas avec elle, comme le suggerent les
reactions du chreur des marginaux qui, determine a retarder le lever
1 GENETTE Gerard, Palimvsestcs, Paris, Editions du Scuil, coli. Points, 11182,
p.83.
142
du solei I, parle d'un "jour de delivrance". Tout comme Genet,
Tremblay lutte pour les fantomes de larue Fabre, avec sa plume, de
sa residence d'Outremontl, un des quartiers les plus riches de
Montreal. Mais Carmen represente la mauvaise conscience de tous
les "ecrivains maudits " devenus conformistes soit par lachete soit
par besoin ou meme Ies deux. Carmen est devenue Ie symbole
d~
Ia
revolte jusqu'a la mort. Sa purete est le paradis perdu de Tremblay.
Elle est l'objet virtuel d'une image reelle que Tremblay a perdue
quelquepart dans Ia rue Fabre au moment de sa sortie. Laissons Ie
expliquer:
Pour garder Carmen pure, je 1' ai tuee. La seule
que Carmen peut rester pure, c' est de se
faire assassiner. A cote de toute creation sincere, il
y a toujours une recuperation possible. C' est-adire que si Carmen aurait continue a vivre et a
chanter, elle se serait laissee recuperer comme moi
qui ai abouti sur Ia rue Davaar, a Outremont!2».
«
fa~on
En sortant de la rue Fabre, en s 'eloignant de cette "grande
noirceur", Tremblay a perdu une purete qui se materialisera en
Carmen. "Enfant de Jocaste"3, Tremblay assassine Carmen, pour
purifier sa propre image ternie par Ia platitude d'une vie aisee qui
1 Tremblay habitait Outremont, un quartier considcrc bourgeois, lors de Ia creation
de Sainte Carmen de Ia Main.
2 TREMBLAY Michel dans une entrevue avec Smith Donald (Ed.), Ecrjvain
dcvant son a:uvre, Montreal, Quebec/Amerique, 1983, p.226.
3 LEBLANC Alonzo,« Michel Tremblay, !'enfant de Jocastc »,Quebec fran<;ais,
dccembre 1981, p. 41.
143
est desormais Ia sienne. Ses remords se manifestent d' une faryon
beau coup moins discrete dans Le Yrai Monde ?.
Le Yrai Monde ?
Tout comme Hosanna qui questionne Ia definition de l'homme
ou de Ia femme, Le Yrai Monde? conteste Ia validite d'une seule
verite, nie !'existence meme de Ia verite universelle. La
theatralisation de cette contestation est sans doute puissante. Claude,
le personnage principal, ecrit une piece de theatre avec trois
personnages tires de sa famille. II met en scene son pere (Alex), sa
mere (Madeleine) et sa soeur (Mariette) sans changer leur nom ni
leur apparence : «J'ai reconnu rna robe, Claude, j'ai reconnu rna
coiffure mais j'me sus pas reconnue, moi! 1 », accuse sa mere. En
effet, Madeleine I, Ia mere, est effrayee par l'anamorphose, alprs
qu'elle esperait un reflet tout pur, voire positif. Citons
a ce propos
Paul Watzlawick, qui conteste Ia purete de l'image premiere :
«De toutes les illusions, Ia plus perilleuse consiste a
penser qu'il n'existe qu'une seule realite. En fait ce
qui existe, ce ne sont que differentes versions de
celle-ci, dont certaines peuvent etre
1 TREMBLAY Michel, Le Yrai Monde'!, Montreal, Lemeac, 1989, p.23.
144
contradictoires, et qui sont toutes des effets de
communication, non le reflet de verites objectives
et etemelles 1».
<.
Ainsi dans Le Yrai Monde?, deux Alex, deux Madeleine et
deux Mariette se croisent dans le meme decor, sur la meme scene et
s' opposent
a un seul Claude.
Pour eviter toute confusion, Tremblay
les baptise et les divise comme Alex I, Madeleine I et Mariette I dans
la piece et les personnages de Claude s'appellent Alex II, Madeleine
II et Mariette II. L'espace scenique ou physique demeure le meme,
mais la difference dans l'espace imaginaire est connotee par la
musique : «On entend le troisieme mouvement de La cinqieme
symphonie de Mendelsohn» avant I'entree de Madeleine II et «on
entend une chanson populaire de 652»
a I'entree d' Alex I et Claude.
La piece debute avec l'entree d' Alex I le pere, un vendeur
d'assurances, quelqu'un qui se deplace continuellement. En meme
temps entre Claude, qui vient voir sa mere, Madeleine I. Claude
ressent une certaine froideur. L'atmosphere est tendue, Madeleine I
exprime son desaccord : elle a lu le manuscrit de Claude. De la
commence une discussion sur "ce qui s'est passe en realite" et Ia
famille de Claude le traite de fou, de quelqu'un possedant une
I W ATZLA WICK Paul, How real is real?, New Y orkfforonto, Random House,
1976; trad.fran~aise: La n~alite de Ia realite, Paris, Seuil, 1978, p.7.
2 Lc Yrai Monde?, p.17.
145
imagination maladive. En effet, Ia piece presente deux 'histoires' ou,
plutot, deux versions intercalees. Le lecteur fait un va-et-vient
constant entre Madeleine I et II, Alex I et II etc. Chacun defend sa
cause, :;un point de vue. Dans Ia version de Claude, le pere a un
caracter~
monstrueux, voire incestueux, Ia mere celui d'une femme
SOUifi.ISt..
Les relations emotionnelles entre les divers personnages
fictifs/reels, tictifs/fictifs de cette piece semblent compliquees au
premier abord. On peut eventuellement les expliquer
a travers
des
schema'i· tbut en gardant en vue qu'il n'est pas toujours possible
( fort heureusement d' ailleurs ) de schematiser dans une figure
geonietrique toutes les nuances relationnelles. Nous proposons trois
schemas qui eclaireront d'une nouvelle lumiere le chevauchement
entre deux types de famille dans cette piece. Pour Ia simplification
de ,Ia demonstration nous designerons Ia piece de Claude comme Ia
fiction et Ia situation de depart comme le reel.
Repetons une evidence. Tout tourne autour de Claude. Sa
situation pourrait etre symbolisee par un prisme
a travers lequel
les
rayons de lumiere subissent une deviation ou une deformation. C' est
le cas du schema no I. Ou bien no us considerons Claude comme un
centre de symetrie autour duquel gravitent tous les personnages du
Vrai Monde ?. C'est le cas des schemas n°2 et 3.
146
Mariette I
Madeleine II
Alex II
Alex I
Mariette I
Madeleine I
Si nous suivons le schema ci-dessus (schema n°1), le rayon qui
emane de Madeleine I subit une deformation -en angle- au contact
de Claude et devient Madeleine II. II en est de meme pour
Mariette I et II. Le traitement est different pour Alex. Le rayon
.
Alex I ne subit aucune deformation : Alex I et Alex II se
retrouvent sur une horizontale parfaite. Que peut-on deduire de
cette constatation ? Que Claude dessine un portrait tres realiste
d' Alex I puisque Alex II est I' image d' Alex I dans le schema ?
Le lecteur croit-il effectivement qu' Alex I est ausst
monstrueux qu' Alex II ? Cela n' entra.lne pas necessairement que le
lecteur se precipite pour designer Claude de pervers. Meme si
147
Tremblay avoue les raisons de cette creation
a savoir que le lecteur
prend Ia parole de l'auteur trop au serieux, il n'est pas exclu que le
lecteur soit convaincu par les propos de Claude.
Passons au deuxieme cas ou Claude n 'est pas un prisme mais
seulement un centre de symetrie. Nous avons demontre dans le
deuxieme chapitre que Ia structure fondamentale chez Tremblay est
un triangle!. Ceci nous donne le schema suivant.
Alex I
Madeleine II
Mariette II
----Mariette I
Triangle I
(realite)
Madeleine I
Alex II
Triangle II
(fiction)
I Nous pouvons partir du principc que toutes lcs relations sont au depart egales.
Au qucl cas, cela dcvient un triangle equilateral. Ces triangles ont alors Ia
particularitc d' a voir leur centre de symctrie et leur centre de _gravite confondus.
Nous parlerons done de l'un ct de l'autre sans qu'il y ait une distinction
particuliere.
148
Le triangle II est le reflet du traingle I. Le triangle II est
l'image symetrique du triangle II dont le centre de symetrie est
Claude 1. La piece de theatre est en fait une superposition de ces
deux triangles dont le centre de gravite est Claude. Les personnages
de Ia realite dialoguent avec ceux de Ia fiction. En faisant glisser ces
deux triangles de telle sorte que Claude reste toujours le centre de Ia
figure, nous obtenons le schema n°3. C'est celui d'un hexagramme.
D'apres cette nouvelle formation, les personnages du
triangle I de Ia realite sont tous separes par le triangle II de Ia
fiction. Autrement dit, il y a toujours un element de Ia fiction qui
separe deux de Ia realite. La fiction succede
a Ia realite
ou vice-
1 Mentionnons ~ titre d"information que 1e schema ne sera pas le meme si Ia
symctrie (au lieu d'etre autour d'un centre de symetrie) s'opere suivant un axe.
En effet Ia symetrie par rapport ~ un axe ne reflete pas Ia situation de Claude pour
au moins deux raions qui sont les suivants :
1)- Claude ne peut pas etre symbolise par un axe car il n' y a pas deux Claude
(I et II) comme les autres personnages. C'est ~travers sa vision creatrice que Ia
piece est con~ue.
2)- Dans un tel schema, les deux triangles I et II seront exactement symctriques
done analogues sans subir de deformation comme le montre Ia figure suivante.
M&ll.
I
----- -- - - --- --- -- -- ---- - 1'\Le
)C..
II.
Or, ceci est contraire a Ia thcmatique de Ia piece puisque Alex I, Madeleine I et
Mariette I reprochentjustement a Claude que leur image fictive n'est pas conformc
a Ia realite.
14'}
versa. Cette constatation nous encourage
a trouver
des nouveaux
triangles que no us ._allons completer par des pointilles.
Alex I
Mariette II
Madeleine II
Mariette I
......
Madeleine I
Alex II
Si nous laissons
a ~ote
les deux triangles de depart, et si nous
n' etudions que les nouveaux triangles, no us obtenons le result at
suivant : chaque triangle reconstitue Ia famille ( sans Claude ) mais
avec Ia difference fondamentale suivante. Aucun de ces nouveaux
traingles ne nous renvoie soit la famille de la realite, soit celle de Ia
fiction. Que peut-on deduire de cette obser"vation ? Apres le
1 50
traitement de choc qu'a fait subir Claude
a la famille,
elle ne sera
plt,!s jamais pareille. II y aura toujours cette obsession que la fiction
fait maintenant une partie integrante de leur vie. II y aura toujours
cette obsession du regard de 1' autre. Po us sons plus loin cette
logique. Me me sans Claude, chacun se verra oblige de vi vre
desormais so us le regard createur de 1' autre. Madeleine semble
resumer cette affreuse constatation.
MADELEINE I
«Reste pas a souper avec nous autres, a
soir .. .J 'aurais l' impression que tu no us espionnes,
encore, pis j's'rais pas capable de rien dire, pis
j' guetterais tout ce que ton pere dirait. ..J' ai peur
de pus jamais pouvoir etre naturelle avec toi
Claude ... 1».
Cette hexagramme se prete
a une
formation de multiples
triangles, etablissant certainement de nouveaux liens entre les divers
personnages. No us n' allons pas rentrer dans les dedales de ce
labyrinthe. Quoi qu'il en soit, ce schema a au moins un aspect qui est
veridique : tous les personnages sont des satelites de Claude et
gravitent autour de lui. Ces satelites du reel et de Ia fiction alternent
pour_renforcer l'ambiguite et dissimuler Ia "realite". Mais d'apres ce
schema, Claude se trouve aussi au centre du reel. Peut-on en deduire
que 1'identification entre Claude et I' auteur est complete? Tremblay
1 Lc Vrai Mondc?, p.92.
15 1
a signe Le Yrai Monde? pour se reconcilier avec ses propres
remords ; il l'avoue lors de !'interview accordee
a Quebec
Studies :
«Q: Ce personnage, Claude, on se demande
forcement' si c'est vous ; c'est-a-dire, il y a des
details biographiques - il est imprimeur, par
exemple.
Oui. je voulais l'approcher le plus pres de moi
de fa~on a pouvoir m'initier a l'interieur de lui plus
facilement, mais c'est un personnage qui n'a rien de
trop biographique. II est biographique dans ce
sens qu'avec Les Belles-Sreurs je pense que j'ai
vole a mon entourage un peu ce que Claude a
vole a son entourage avec sa piece 1».
R:
Une scene en particulier plonge toute Ia famille dans un
malaise. II s'agit ici d'une soiree ou Madeleine I avait demande
a son
mari de garder les enfants. Dans sa piece de theatre, Claude accuse le
pere d'une tentative de viol, Ia victime etant sa fille, Mariette II.
Mariette I,
a son tour, traite Claude de pervers car elle interprete le
geste d' Alex I comme celui d'un pere affectueux.
MARIEITE II
Y'a pas d'explications, pis y'a pas
d' excuses a ~a papa ! c;a a detruit
tout c' que je pensais de toi...toute
I' admiration ... Pis Ia Claude est
arrive, juste au bon moment, pis y'a
faite sa crise .. sa m'a sauvee ...
1 ANTOSH Ruth, "Interview avec Michel Tremblay", Quebec Studies, n°7, 1988,
p.l47.
"
152
physiquement ... Parce que si y'etait
pas arrive ...
MARIETTE I
Quand t'es venu te coucher a cote
de moi, ce soir-la, ~a regie ben des
choses .. .Je retrouvais mon vieux
popa pis ~a me faisait du bien ... Mais
le senteux est arrive ! Les cris, les
larmes, le drame ... pis tout a fini dans
un epouvantable malentendu ... (A
Claude : ) A cause de toi...
Ceci n'est qu'un exemple parmi bien d'autres, ou il y a un
grand ecart dans les points de vue de Claude et des trois autres
personnages. D'ailleurs, Alex I et Claude connaissent, pour Ia
premiere fois, un affrontement ou le fils critique le pere
violemment. Le Vrai Monde? se termine par un denouement brutal :
Alex I brUle le manuscrit. Geste tres violent qui pourrait etre
interprete comme Ia castration du fils. C'est aussi l'eloge du silence,
Ia consecration du saint ou du bouc emissaire.
L'eloge du silence. 1'eloge du statu quo.
«Celui qui parle pour les autres, celui qui se dresse
hors du sein du groupe social pour en denoncer
les carences herite souvent du double statut de
153
saint et de renegat, en tout cas de bouc
emissairel ».
Claude se donne Ia nusswn de parler pour les autres, de
defendre ceux qui preferent sombrer dans le silence. Alors que
Madeleine I parle de son silence comme d'une arme, Claude le voit
comme une soumission, une humiliation :
MADELEINE I
« ...j'voulais
te parler d'une chose que t'as oubliee
dans ta piece .. .le silence. C'est a cause de lui que
les murs tiennent encore debout. C'est ~a rna force.
c;a a toujours ete ~a. Le silence.
CLAUDE
... Mais je continue a penser que le silence, c'est
malsain. Tu peux pas vivre toute une vie dans le
silence ... 2».
Vers Ia fin de Ia piece, avant de partir, comme pour avoir le
dernier mot, Claude parle
a son pere du me me incident qui I' a hante
depuis son enfance.
l RYNGAE~T Jean-Pierre, "Faut-il faire parlcr lc vrai monde?", Lc Monde de
Michel Tremblay, Montreal, Editions Lansman/Jeu, 1993, p.204-205.
2 Le Vrai Monde?, pp.41-44.
154
CLAUDE
«Si j 't.~tais pas arrive, ce soir-Ht, papa, je le sais que
tu l'aurais violee, Mariette, pis que ~a serait
devenu un sujet tabou dans'maison ... On aurait
to us ete ...complices, une fois de plus I».
Claude se retrouve une fois de plus, devant le silence de son
pere. Mais ce demier se venge en brGlant le manuscrit, en mettant
fin
a Ia parole du fils. La violence de ce geste, est-elle comparable a
I' assassinat de Carmen, qui elle aussi tentait de changer le statu quo ?
Le silence n'est-il pas l'ambigui'te ? II est evident que le lecteur ne
saura jamais Ia verite. Est-ce que Claude a tout invente ? Est-ce que
le manuscrit de Claude raconte Ia verite alors que les autres tentent
d'effacer cette verite ? Mais y a-t-il une verite ?
« .. .il
est des
evenements qui derangent les "bonnes consciences" dont l'hypocrisie
prefere le silence
aIa verite2» dit Jean Boisson.
Si I' on se rappelle le constat de Jane Moss
a savoir que
<<les
dramaturges gais se servent des techniques de la mise en ablme et des
jeux de roles pour attenuer les distinctions entre le masculin et le
I J.l2i.d.. p. 105 .
.
2 BOISSON Jean, Le triangle rose : Ia deportation des homosexuels (I 933-45),
Paris, Robert Laffont.. I988, p.9.
155
feminin, I' illusion et Ia realite, Ia folie et Ia raison 1» on pourrait y
ajouter egalement Ia notion ... de 1'ambigulte. Et sa meilleure
manifestation au theatre serait le silence. Mais aux dires de Claude,
ce projet de piece avait comme but de briser le silence : le silence
qui entourait certaines histoires de famille et le silence entre pere et
fils.
CLAUDE
«Dechire-Ui, rna piece, situ veux, papa, mets le feu
dedans, c'est plein de ... (Silence) Mensonges. J'ai
essaye, a travers des mensonges, de dire ce qui
etait vrai. Pis j'pense que j'ai reussi jusqu'a un
certain point parce que j'pense que c'que j'ai ecrit
est bon. Mais a quoi ~a sert. A quoi ~a sert papa, si
j'peux pas me rendre jusqu'a ton coeur?2».
Qui dit que le phenomene du pere absent dans Ia litterature ou
Ia dramaturgie quebecoise fait vieux jeu ? Alors qu'en 1974, quand
Tremblay ecrit Bonjour.
une distanciation
Ia.
bonjour, il jugeait necessaire de creer
a I' aide des dialogues intercales3 dans Ia scene ou le
1 MOSS Jane, "Dramatizing Sexual Experience : Gay and Lesbian theatre in
Quebec", .a.n..dL
2 Lc Vrai Monde?, p.l05.
3 Tremblay justifie I'emploi de cette technique : <de I' ai fait joucr distancie. J' ai
ajoute deux tantes en arriere qui parlent de gateaux, de Ia television qui est plate,
des commerciaux qui sont pas comiques. J'ctais pas capable d'ccrire unc scene ou
lc fils dit tout sirnplement ason pere qu'ill'aime parce que <;a se peut pas dans Ia
vie».
ARBIC Therese, "Entrevue avec Andre Brassard et Michel Tremblay",
Chroniques, n °22, octobre 197 6, p.15.
156
fils declare a son pere "Popa, je t'aime", dans Le Yrai Monde? ecrit
en 1989, Claude s'emporte dans un sentimentalisme presque melo.
Tout en affirmant leur propre identite, Carmen se donne le
rOle d'un Messie, qui sauvera les gens de la Main par son amour
.
altruiste, et Claude, se croit defendeur des femmes de sa famille.
Mais tous les deux expriment leur solidarite avec ceux qu'ils croient
sont des marginaux : pour Carmen se sont les gens de la Main, pour
Claude c'est Madeleine I et Mariette I. De toute evidence, leur
discours est non seulement idealiste mais aussi moralisateur. Peut-on
parler pour les autres ? Voila une question que pose Tremblay par la
voix de Madeleine I. Apres presque 25 ans, il semble dire. l'identite
et avant tout une question personnelle.
157
Pour conclure ce chapitre, constatons en prenuer lieu que
toutes les trois pieces manifestent Ia quete de Ia verite, et aussi celle
de I' authenticite. Si Cuirette se met
a nu
c 'est pour assumer son
identite d'homme. Et Hosanna, qui tout en etant nu garde un visage
maquille, est pleinement consciente de sa nouvelle identite. Carmen
son tour tient
a chanter ses propres chansons
a
sur les gens de Ia Main
pour affirmer son propre identite. Grace aux techniques de Ia forme,
celles de Ia mise'en abime et des jeux de miroir, Ia notion d'une seule
verite est detruite. A cet egard, le Yrai Monde? parait comme Ia
theatralisation de Ia verite qui est une notion abstraite. Si Hosanna et
Carmen veulent se debarrasser de leur deguisement, Claude, Jui,
cherche
a exorciser
les
vieu~
phantomes, les vieilles histoires de sa
famille. Est-ce que Ia famille de Claude vit dans le mensonge ou c'est
Claude qui travestit sa piece, Ia deforme ? Quoi qu'il en soit, Claude
tient
a montrer (a sa fayon) l'envers de Ia medaille.
I 58
Que cette opposition soit soulignee n'a rien de surprenant etant
donne que Tremblay semble affectionner les contraires, les opposes
et les doubles tellement inherents
a Ia
nature humaine. Dans la
presque totalite de 1' reuvre de Tremblay, les oppositions abondent.
Les conflits proviennent essentiellement des oppositions telles que
illusion-realite, bien-mal, sexualite-religion et ainsi de suite. Ces
oppositions qui sont aussi de 1' ordre relationnel mettent en scene les
rapports comme homme-femme, pere-fils, employeur-employe etc.
Nous avons souligne dans Ia deuxieme partie, 1' opposition
geographique et culturelle entre Ia Main et le Plateau Mont-Royal.
Bien que le travesti symbolise cette opposition, le
travestissement, lui, peut etre vu comme un rituel pour atteindre
1'androgynisation. Bref, pour atteindre
a une
totalite. Si Tremblay
souligne !'opposition indeniable chez uncouple ou chez l'individu, il
fait egalement une tentative de les reintegrer, de les reunir.

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