le luxe, la direction artistique et le digital La DA at large

Transcription

le luxe, la direction artistique et le digital La DA at large
 Magazine N° 21 – ISSN 1633-5821
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WEDNESDAY Agency - 44 GL 552 116 329 RCS PARIS
édito
Food for thoughts. Une des fonctions de la presse de style était
de nourrir les yeux des créatifs de tous poils : publicitaires,
graphistes, directeurs artistiques, étudiants… Quelques librairies
ne désemplissaient ainsi jamais, attirant une faune avide de
nouveauté. On feuilletait plus qu’on achetait et heureusement, vu
le poids ou le format de certains titres consultés. L’éclosion des
comptes Instagram a changé la donne : la nourriture est là et
sans cesse régénérée. À quoi bon, dès lors, jouer des coudes dans
les rayons exigus de quelque librairie du centre historique ?
D’abord parce qu’un journal ou un magazine ne sont pas qu’une
agglomération d’instantanés, mais l’organisation d’un discours,
parfois d’une pensée. Parce que, en dehors de l’université,
c’est l’un des derniers endroits accessibles dans lesquels on pense le présent, que ce soit à travers des chroniques,
des retours historiques ou la constitution d’un corpus. Car si le texte
nous accompagne quotidiennement, de mails en sms, le langage
et son corollaire, la pensée, sont de moins en moins les ingrédients
de nos vies.
Après la vague des magazines nourris de l’actualité mondialisée
du luxe, celle, plus récente, d’un retour sur soi avec des revues
cultivant leur jardin, bio si possible, on assiste à une nouvelle école,
plus intello, ouverte sur le monde et y cherchant un sens, avec
notamment les MacGuffin, Disegno, Flaneur… Il n’y a donc
pas de fin de l’histoire, juste une poursuite par d’autres chemins.
12.15 NOV 2015
GRAND PALAIS
angelo cirimele
sommaire
textes
p. 40, 50, 58, 64, 72 – Collection killing becher
par Swen Renault
p. 41 – Interview
hans de foer
par Cédric Saint André Perrin
p. 44 – Histoire de mode
mannequins noirs,
des sixties
à aujourd’hui
par Alice Morin
Intro
p. 10 – Brèves
p. 14 – Shopping
q u e f a i r e a v e c 4 3 7 0 8 4 € ?
Photographie : Alina Asmus
Stylisme : Clémence Cahu
p. 28 – Magazines
boycott / macguffin /
odalisque / suited / lurve
mode
p. 80 –
white noise
Photographie : Adeline Mai,
Stylisme : Romain Liégaux
p. 51 – Website
journal intime
par Céline Mallet
p. 94 –
locked in
Photographie : Sam Nixon,
Stylisme : Ruth Higginbotham
p. 54 – Off record
luxe et réseaux sociaux
par Angelo Cirimele
p. 104 –
jean clemmer
Proposé par Patrick Remy
p. 59 – Chronique mode
la petite édition de la mode
par Émilie Hammen
p. 120 – Collection
citations
compilées par Wynn Dan
p. 62 – Contre
les tatouages
par Angelo Cirimele
p. 123 – Abonnement
p. 65 – Ping Pong
ysl paris through
los angeles… ou l’invention
d’une d.a. at large
par Mathieu Buard & Céline Mallet
p. 126 – Agenda
p. 124 – Out take
p. 70 – 7 familles
maurizio cattelan
par Emma Barakatt
p. 73 – Interview art
thomas clerc
par Angelo Cirimele
magazine
6
p. 76 – Rétrovision
raw
par Pierre Ponant
Trianon
www.productiontype.com
contributeurs
magazine
Style, media & creative industry
N° 21 - Automne 2015
rédacteur en chef
Angelo Cirimele
directeur artistique at large
Charlie Janiaut
distribution france
IPS
189 rue d’Aubervilliers
75018 Paris fashion director
Arabella Mills
diffusion internationale
Pineapple
photographes
Alina Asmus, Jean Clemmer, Anne Darrigrand
& Maxime Leyvastre, Adeline Mai,
Sam Nixon, Swen Renault
Issn no 1633 – 5821
CPAPP : 0418 K 90779
guest photo editor
Thomas Bellegarde
stylistes
Clémence Cahu, Ruth Higginbotham,
Romain Liégaux
remerciements
Bruno Mouron, Wassim Saliba (DLX),
Monsieur X.
contributeurs
Emma Barakatt, Mathieu Buard, Wynn Dan,
émilie Hammen, Céline Mallet, Alice Morin,
Pierre Ponant, Patrick Remy, Cédric Saint
André Perrin
traduction
Rebecca Appel
couverture
Photographie : Alina Asmus
Stylisme : Clémence Cahu
Coiffure : Kaz
Maquillage : Satoko Watanabe
Mannequin : Natarsha chez IMG
Robe Céline, Bracelets Hermès.
design original
Yorgo Tloupas
secrétaire de rédaction
Anaïs Chourin
publicité
ACP
32 boulevard de Strasbourg
75010 Paris
T 06 16 399 242
[email protected]
retouches
Janvier
imprimeur
Graficas Irudi
alina asmus
emma barakatt
Photographer
Art advisor
directeur de publication
Angelo Cirimele
What is your good resolution for September?
Starting to work on my first book.
What is your good resolution for September?
Givenchy.
Éditeur
ACP - Angelo Cirimele
32 boulevard de Strasbourg
75010 Paris
T 06 16 399 242
What colours are you wearing today?
What colours are you wearing today?
What is the last magazine you bought?
Double Magazine.
What is the last magazine you bought?
It’s more a newspaper, but it’s my monthly essential: The Art
Newspaper.
swen renault
adeline mai
Artist
Photographer
What is your good resolution for September?
Enjoy my second trip to New York and back with plenty
of images and projects.
What is your good resolution for September?
Plan more short trips!
magazinemagazine.fr
[email protected]
© Magazine et les auteurs, tous droits
de reproduction réservés. Magazine n’est pas
responsable des textes, photos et illustrations
publiés, qui engagent la seule responsabilité
de leurs auteurs.
What colours are you wearing today?
What is the last magazine you bought?
Wallpaper.
magazine
8
What colours are you wearing today?
What is the last magazine you bought?
Ginza magazine.
magazine
9
brèves
Le vide laissé par la fermeture
de la librairie Agora dans
le Marais a créé un appel
d’air. Un concept-store,
doublé d’une librairie et d’un
b a r b i e r , devrait ouvrir en
septembre rue des Archives.
The space left by the closing
of news and magazine shop
Agora in the Marais must be
filled with something new. In
September, a concept-store—
that will double as a magazine
store and b a r b e r s h o p —is
scheduled to open on the Rue
des Archives.
Les jeunes ont encore du souci
à se faire : les photographes
des 1970s sont toujours de la
partie. On retrouvera ainsi
les images de Walter Pfeiffer
(1 9 6 9 ) dans un look book
homme chez Hermès.
The kids should be
worried: some of the best
photographers from the ’70s
are still hanging around. See
the Hermès men’s look book,
which features Images by
Walter Pfeiffer (1 9 6 9 ).
Maurizio Cattelan serait en
discussion avec la M o n n a i e
de Paris pour une exposition
en 2017. Après McCarthy, le
nouveau lieu parisien semble
donc avoir trouvé sa ligne de
programmation : des artistes
indiscutables et qui savent
manier la provocation.
Maurizio Cattelan is in
talks with the M o n n a i e de
magazine
10
Paris for a possible exhibit in
2017. After McCarthy, the
new Paris it-spot seems to
have found its niche: artists
who know how to provoke.
Il existe plusieurs chemins
quand on est un magazine
prescripteur et que la question
du e-commerce se pose.
Lancer sa propre ligne de
produits, comme Monocle l’a
brillamment fait, ou devenir le
juge des é l é g a n c e s , ce que
Wallpaper se propose d’être sur
store.wallpaper.com/
There are now many
e-commerce options for
magazine owners. Start your
own product line, like Monocle
has done brilliantly, or become
the arbiter of e l e g a n c e ,
as Wallpaper aims to be.
Check out its site, at
store.wallpaper.com/
Mais la bataille pour capter
l’attention – et les achats –
n’est pas seulement virtuelle.
Eataly, le concept store
de gastronomie italienne,
s’installerait ainsi entre
le BHV et la Fondation
Galeries Lafayette (même
groupe), construisant une
a l t e r n a t i v e à l’axe
LVMH-Samaritaine à venir.
The battle for customer
attention—and sales—is
not just virtual. Eataly, the
Italian gastronomic concept
store, is set to open between
the BHV and the Fondation
Galeries Lafayette—making it
c o m p e t i t i o n for the future
LVMH-Samaritaine.
Le lads magazine Maxim, qui
aime la mode quand elle
couvre très peu de cm2 de
peau, va lancer une collection
de b i k i n i s , conçue par
Kate Lanphear (rédactrice
en chef du titre et ex-Bazaar,
Elle, T), pour développer « une
approche plus subtile de la
sensualité ». Si c’est pour la
bonne cause…
The boys’ magazine
Maxim (which is into fashion
that covers only a tiny bit
of skin) is launching a b i k i n i
collection. Developed by
Kate Lanphear (Maxim’s
editor in chief, and formerly
of Bazaar, Elle and T), the
goal is to introduce “a
more subtle approach to
sensuality.” Well as long as
it’s for a good cause…
Le Festival des jeunes
créateurs de mode de Dinard,
qui n’était plus en cour à la
municipalité, va renaître de
ses cendres l’année prochaine
à Dinan, à savoir 20 k m plus
loin. Pas sûr qu’on y gagne
côté météo…
The Dinard young
designers’ festival will be
reborn from the ashes
next year at Dinan, 20
k m further away. Not
sure that means we’ll have
better weather though…
Le groupe Prisma Media
(Gala, Femme actuelle, Géo…)
préparerait pour la fin de
l’année un mensuel féminin
destiné aux « jeunes séniors »,
ce qui démontre leur sens
consommé de l’o x y m o r e .
On ne résiste pas à leur
suggérer une idée de titre, que
mûrissait feu Jean-François
Bizot : ¡Si Señor!
The Prisma Media Group
(Gala, Femme actuelle, Géo…)
is preparing a monthly
magazine dedicated to
“young seniors,” slated for
launch at the end of the year.
The title reflects Prisma’s
sharpened appreciation for
o x y m o r o n s —and we can’t
help suggesting another one:
¡Si Señor!
La Fédération française du
prêt-à-porter féminin lance
un salon destiné aux marques,
leur proposant expertise et
services. Traffic, dont l’affiche
a été conçue par É t u d e s
Studio, se tiendra au Carreau
du Temple (3e) les 4 et
5 novembre.
The Fédération française
du prêt-à-porter féminin is
opening a salon for brands,
to facilitate the exchange of
information about expertise
and services. É t u d e s Studio
designed the poster for the
salon, called Traffic, which
will take place at the Carreau
du Temple on November 4
and 5.
Pour sa 14e édition, la Mairie
de Paris a g r a t i f i é la Nuit
Blanche 2015 d’un thème :
le climat – si d’aventure on
n’avait pas entendu parler
de la conférence COP21…
Quelle bonne idée de donner
des thèmes aux commissaires
d’exposition ! Ils en manquent
souvent et n’ont pas la
moindre idée de ce à quoi
pourrait servir l’art…
This year, the Mairie de
Paris is a d d i n g a theme to
the city’s 14th Nuit Blanche:
climate (just in case we hadn’t
heard about the upcoming
COP21 conference). The
theme will be helpful to the
organizers, who often don’t
seem to understand how art
can be useful…
Décidément en g r a n d e
f o r m e , la même Mairie
de Paris, au sujet de
l’aménagement de sept
places parisiennes (Bastille,
Madeleine, Nation, Italie…),
prévoit de solliciter des
étudiants paysagistes, ou
en école d’archi, et les
« [inviterait] à s’inspirer des
projets des Parisiens ». C’est
vrai, pourquoi s’encombrer de
professionnels ?
That same Mairie de
Paris i n t e n d s to enlist the
advice of landscaping and
architecture students in the
planning of 7 Parisian squares
(Bastille, Madeleine, Nation,
Italie…). It’s true, why bother
the professionals?
NME (prononcer
« e n n e m i »), pour
New Musical Express, institution
britannique (1952), n’abdique
pas face au digital – et à
l’effondrement de ses ventes.
Dès septembre, le titre sera
distribué gratuitement dans les
gares, les universités et autres
lieux amis. Ou NME.
British magazine NME
(pronounced “e n e m y ”), or
New Musical Express, has been a
cultural institution since 1952.
The magazine is not shying
away in the face of the digital
onslaught—or the slump in
its sales. From September, the
title will be distributed for free
in train stations, universities
or other friendly places. Or
“NME” places.
On attendra octobre pour
découvrir la collection capsule
de Lemaire pour Uniqlo, dans
laquelle la m a i l l e devrait
tenir une place de choix.
We’ll need to wait until
October to catch a look at
Lemaire’s capsule collection
for Uniqlo, which should
feature lots of m e s h .
Quant au concurrent H&M, il
travaillerait à développer une
nouvelle marque, qui viendrait
s’i n t e r c a l e r quelque part
entre & Other stories, COS
et H&M. Mais où ?
Meanwhile, Uniqlo
competitor H&M is
developing a new brand,
that will be p o s i t i o n e d
somewhere between &
Other stories, COS et
H&M. But where?
Le digital devient central dans
les discours qui articulent luxe
et business. Mais combien
de v e n t e s sont réellement
réalisées en ligne ? En 2014,
6 %. Et même si on prédit un
triplement dans les dix ans,
82 % relèveront toujours de la
boutique physique.
Digital is becoming central
to the discourse of luxury
and business. But how many
s a l e s are really made
online? In 2014, the figure
was 6%. That means that,
even if we predict a tripling of
that rate in the next 10 years,
82% of sales will still be made
in physical boutiques.
Mais c’est un autre chiffre
qui fait sens : 68 % des ventes
de luxe en boutique ont été
i n f l u e n c é e s par le Web.
Chaque canal commencerait
donc à trouver sa place…
But there’s another figure
that matters: the 68% of sales
in luxury boutiques that were
i n f l u e n c e d by the web.
So both the physical and the
digital have their place…
Le Grand Paris avance par
morceaux et les Puces de
Saint-Ouen y contribuent.
MOB, un h ô t e l b o b o de
120 chambres, ouvrira l’été
prochain, avec un restaurant
végétalien. On le doit à
Cyril Aouizerate, qui avait
déjà commis le Mama Shelter
et se voyait bien un temps au
Musée de la Marine.
“Grand Paris” is expanding
and the Puces de Saint-Ouen
are partly responsible. Next
summer, expect the opening
of M.O.B., a 120 room
h o t e l with a vegan
restaurant. Thanks go to Cyril
Aouizerate, who has already
brought us Mama Shelter.
Après Paris, c’est New York
qui se dote d’un logo pour
sa f a s h i o n w e e k , dont
certaines lettres évoquent
un motif de couture, hum…
Londres entrera-t-elle dans la
danse ?
After Paris, it’s New York
that will be getting a coutureinspired logo for f a s h i o n
w e e k . Is London next?
Côté sponsor cette fois, la
NYFW s’est associée à Lexus.
Le label luxe de Toyota
remplacera MercedesBenz, qui trouvait que la
manifestation new-yorkaise ne
générait pas assez de b u z z .
magazine
11
New York Fashion Week
has associated with Lexus,
Toyota’s luxury brand. Lexus
replaces Mercedes-Benz, for
whom the New York event
was not seen to generate
enough b u z z .
La foire amstellodamoise
consacrée à la photographie,
Unseen (18-20/09), s’installe
chaque année davantage
et s’est trouvé une nouvelle
d i r e c t r i c e : Rixt Hulshoff
Pol, en provenance du
Stedelijk Museum.
“Unseen,” the Amsterdam
forum dedicated to
photography (from Sept.
18-20), grows by the year.
It has also found a new
d i r e c t o r : Rixt Hulshoff Pol,
of the Stedelijk Museum.
Plus besoin d’aller à Grasse
si vous avez un soudain désir
d’e f f l u v e s variées : un
musée du Parfum va être
inauguré en septembre à Paris,
par Fragonard, square de
l’Opéra (9e).
No need to go all the
way to Grasse if you have a
sudden desire for p e r f u m e :
in September, Fragonard
will be opening a perfume
museum at Opéra (9e).
C’est un passage obligé : la
crédibilité d’une marque de
mode passe par le l i v r e .
C’est du moins le pari de
Bonpoint (mode enfant),
magazine
12
dont une monographie sous
la plume de Natasha Fraser
paraîtra chez La Martinière
début octobre.
These days, releasing a
physical b o o k seems to be
the way to increase a brand’s
credibility. At least that’s the
bet being made by Bonpoint
(children’s fashion), which will
be publishing a monograph
by Natasha Fraser - and
published by La Martinière at the beginning of October.
Serpent de mer, la mode
masculine est régulièrement
annoncée comme le futur
marché à s u r v e i l l e r . C’est
du moins l’avis du CR Fashion
Book de Carine Roitfeld, mais
aussi de Stylist, qui préparent
des versions homme pour
cette rentrée.
Editors regularly describe
men’s fashion as the next area
t o w a t c h . Accordingly,
both Carine Roitfeld’s CR
Fashion Book and Stylist are
preparing men’s versions of
their titles for the fall.
Les librairies continuent de
jouer les francs-tireurs et se
cachent dans les conceptstores, dont le prochain
aura l’enseigne de E a c h x
O t h e r et sera basé dans le
Marais, avec café itou. La
marque vient par ailleurs de
lancer une collection homme.
Paris’ next concept store
will be an E a c h x O t h e r
production, based in the
Marais, with a café. The
label has just launched a
menswear collection.
Vous reprendrez bien
une c a p s u l e ? Le duo
Ich&Kar a créé des sacs
(en toile) et des carnets (en
papier) pour Eram, qui avait
déjà trop de chaussures.
Looking for another
c a p s u l e collection?
The duo Ich&Kar have
developed a range of canvas
bags and paper notebooks
for Eram, which already
had too many shoes.
Éditeur, un métier d’avenir ?
Possible, si on en juge par la
récente nomination de Lionel
Bovier, ex-JRP Ringier, à la
tête du M a m c o de Genève
pour succéder à l’historique
Christian Bernard.
Editor: job of the future?
Perhaps, to judge from
the recent nomination of
Lionel Bovier, formerly of
JRP Ringier, to head Geneva’s
M a m c o . He’ll be taking over
from Christian Bernard.
Pour un musée, la mode,
c’est montrer des vêtements
et des images. Ou pas, tant
la vague nous submerge
parfois. Alors, le Flanders
Fashion Institute d’Anvers
a décidé de miser sur l e s
m o t s et organise des fashion
talks avec des professionnels.
C’est le 3 décembre. Plus sur
fashiontalks.be/
For museums, fashion is
to be displayed. Or not? The
Flanders Fashion Institute
in Anvers has decided to
focus o n w o r d s instead.
Occuper le terrain et offrir
de multiples e x p é r i e n c e s
du luxe ; voilà ce que Gucci
a derrière la tête quand il
inaugure 1921Gucci, un
restaurant à Shanghai.
Gucci is inaugurating a
new restaurant, 1921Gucci,
in Shanghai. The eatery
will offer a range of
luxury e x p e r i e n c e s .
The Institute is organizing
a series of “fashion talks”
with professionals, from
December 3. Find out more
on fashiontalks.be/
On disait : « j ’ h a b i t e au
Barbican », on dira : « j’habite
à la résidence Versace ». C’est
du moins ce qui se dessine à la
future tour Aykon à Londres,
dont l’intérieur des 360 unités
sera conçu par Versace Home.
Livraison prévue en 2020.
London’s future Aykon
tower will f e a t u r e 360 units
designed by Versace Home.
Delivery planned for 2020.
Marie Claire, l’un des plus
anciens titres français
(1937), a décidé de faire
peau neuve. Nouveau
staff : Anne-Sophie Thomas
(ex-Jalouse) à la rédaction
en chef mode, Elsa Guiol
à la rédaction en chef
magazine, et Mathieu Meyer
à la direction de création.
Ça va t w i s t e r . Nouvelle
formule prévue en mars.
Marie Claire, one of the
oldest French titles (founded in
1937) has decided to reinvent
itself. It’s bringing on new
staff: Anne-Sophie Thomas,
formerly of Jalouse, as the
head fashion editor, Elsa Guiol
as editor of the magazine, and
Mathieu Meyer as head of
design. H e r e w e g o !
« O l y m p i c » est l’exposition
de Camille Vivier qui sera
présentée à la galerie Madé,
rassemblant des pièces
uniques, puisque Polaroid tests,
combinant nus et architecture.
On parlerait même d’une
publication… À partir du
24 septembre.
Camille Vivier’s
exhibit, “O l y m p i c ,” will
be presented at the Madé
gallery from September
24. It will bring together a
range of works, including
Polaroids, and feature both
nudes and architecture. A
publication is even rumored
to be in the works….
Une nouvelle revue va
paraître : P r o f a n e , comme
son nom l’indique, sera
consacrée aux amateurs
de tous poils, méthodiques
ou farfelus. On doit Profane
à Charlotte Halpern &
Bertrand Houdin (Anamorphée),
avec Carine Soyer.
Look out for a new
journal on the scene:
P r o f a n e , the brainchild
of Charlotte Halpern &
Bertrand Houdin (Anamorphée),
with Carine Soyer.
[…]
De revues, il sera donc
question en cette rentrée
puisque l’Ecal (École
cantonale d’art de
Lausanne) a concocté la
sienne, baptisée O f f l i n e .
Pratique pour découvrir
la nouvelle génération à
l’œuvre. Plus d’informations
online… sur ecal.ch/
In other journal news,
Lausanne’s art school, Ecal,
has started its own magazine,
called Offline. It will be a nice
way to keep an eye on the
next generation of talent. See
more information - online - at
ecal.ch/
Pendant que les étudiants
étaient en vacances, on a pu
observer une concentration
dans le petit monde des
écoles d’art : le groupe
(l u x e m b o u r g e o i s )
Galileo, déjà propriétaire
de l’Istituto Marangoni,
Lisaa et l’Atelier de Sèvres,
a acquis Studialis, qui
regroupe, entre autres,
l’Atelier Chardon Savard,
Strate et le Cours Florent.
In other art-school news,
the L u x e m b o u r g group
Galileo, already owners of
l’Istituto Marangoni, Lisaa
et the Atelier de Sèvres,
has acquired Studialis
(which includes the Atelier
Chardon Savard, Strate
and the Cours Florent).
Le « bureau parisien » du
magazine iD, dont la rumeur
bruissait, aura bien pour
projet le lancement du site i D
F r a n c e , en français donc,
et dont le contenu devrait
articuler mode, culture et
politique. Bon, il y a bien des
arrière-pensées commerciales,
mais l’équipe est prometteuse,
avec Clément Corraze à la
direction et Tess Lochanski
(ex-O) à la rédaction en chef.
Rendez-vous fin septembre.
At the brand new French
office of i - D m a g a z i n e ,
preparations are underway for
the launch of the magazine’s
French-language web site,
which will feature a mix of
fashion, culture and politics.
The team is promising, with
Clément Corraze as head and
Tess Lochanski, formerly of O,
as editor in chief. Take a look
at the end of September.
Les réseaux de diffusion de la
presse doivent se réinventer et
Condé Nast l’a bien compris :
il a proposé son numéro de
septembre à la vente sur
A m a z o n , au même prix
(6$/5€). Au passage, on voit
bien ce à quoi pourrait
servir aussi la plateforme de
e-commerce que Style.com
va devenir…
Condé Nast understands
that it needs to be open to
new avenues for selling its
titles: its September issues will
be on sale on A m a z o n , at
the newsstand price (6$/5€).
Not a bad way to utilize it’s
new e-commerce platform,
Style.com…
Justement, puisque
Style.com va se muer en site
de e-commerce, l’information
devra trouver d’autres canaux,
et Tim Blanks, chroniqueur
et editor at large de Style.com,
a décidé de rejoindre BoF
(Business of Fashion), qui
chroniquera donc à présent
les défilés. Incontournable
avec ses petites annonces BtoB,
BoF pourrait bénéficier d’une
i n d é p e n d a n c e devenue
rare, même s’il compte parmi
ses actionnaires LVMH.
Because Style.com is
shifting to e-commerce,
Tim Blanks, its editor at large,
has decided to rejoin BoF
(Business of Fashion), which
will report on the runways.
BoF could benefit from an
i n d e p e n d e n c e that has
become increasingly rare
(though it’s true that BoF is
backed by LVMH).
magazine
13
que faire avec
437 084 ?
Shopping
photographie – Alina Asmus
Stylisme – Clémence Cahu
Assistée de Laure Demonchy
Coiffure – Kaz
Maquillage – Satoko Watanabe
Mannequins – Natarsha & Thaina chez IMG
Thaina
Top en tulle jaune L é a P e c k r e , 149 €
Bandanas H e r m è s , 135 €
Pantalon M a r g i e l a v i n t a g e , 70 €
Natarsha
Top en tulle noir L é a P e c k r e , 149 €
Bandana H e r m è s , 135 €
Pantalon V é r o n i q u e L e r o y , 756 €
Robe C é l i n e , 1 800 €
Bracelets en or jaune H e r m è s , 41 800 €
Bracelet en argent style colonne H e r m è s , 5 050 €
Bracelet en argent style carré H e r m è s , 7 850 €
Top É t i e n n e D e r œ u x , 270 €
Jupe N e h e r a , 780 €
Bracelet en or jaune et cristal fumé G o o s s e n s , 690 €
Natarsha
Top E l l e r y , 902 €
Thaina
Robe M a r t i n G r a n t , 1 950 €
Body en cuir noir M a r g i e l a v i n t a g e , 400 €
Chapeau M a i s o n M i c h e l , 680 €
Caban kaki R a e y , 621 €
Chapeau M a i s o n M i c h e l , 595 €
Sac Carrousel l a C o n t r i e , 1 730 €
Pantalon kaki, M a r g i e l a x H & M , 70 €
Escarpins à bride, L o u b o u t i n , 845 €
Lys, M a i s o n D e b a u l i e u , 15 €
Veste en coton imprimé H e r m è s v i n t a g e , 650 €
Trois broches en laiton M a r g i e l a , 480 €
Body W o l f o r d , 129 €
Manchette deux ors gravés, pierre de lune, saphir, rubis et émeraude B u c c e l l a t i , prix secret
Manchette deux ors gravés, saphirs et diamants B u c c e l l a t i , prix secret
Manchette deux ors gravés et diamants blancs et jaunes B u c c e l l a t i , prix secret
Chardons M a i s o n D e b e a u l i e u , 22 €
Top court bleu gris E l l e r y , 902 €
Robe verte et dorée à franges portée en jupe E l l e r y , 5 010 €
Bague « Lion Arty » en or jaune 18 carats C h a n e l , 4 950 €
Sac tempête velours alligator D e l v a u x , 15 000 €
Chemise L a n v i n H o m m e , 475 €
Boucles d’oreilles en or jaune, émeraude et améthyste D i o r , 10 900 €
Pivoine corail M a i s o n D e b e a u l i e u , 4 €
Top ajusté turtleneck É t i e n n e D e r œ u x , 270 €
Collier or jaune, diamant et turquoise D i o r , 1 500 €
Collier or jaune, diamant et lapis-lazuli D i o r , 1 750 €
Bague K i m M e e H y e , 4 600 €
Image : Anne Darrigrand & Maxime Leyvastre
boycott
Papier
digital
Un magazine sur l’amour, que demander de plus ? Des précisions ? Masculin,
androgyne, romantique, adolescent,
à moitié nu, lascif… Le titre peu engageant cache mal la fougue derrière un
aspect dur et froid. Le magazine est des
plus classiques dans son approche : des
rencontres avec de jeunes musiciens,
stylistes ou photographes. Des discussions très libres et vite intimes, comme
si les téléphones et mails avaient balayé
les frontières inhérentes à la distance.
Au bout, une énergie et une tension
sensuelle qui ne quitte jamais les presque
200 pages. La rareté de l’approche tient
également au style des textes : littéraire,
parfois poétique, et pris dans une immédiateté. D’où probablement ce sentiment
que Boycott est pile dans l’époque et qu’il
la vit à fond. La direction artistique
parvient à tenir cet ensemble d’images à
l’identité assez transversale, malgré différents auteurs. En cela, c’est un magazine
à « patte », c’est-à-dire qui formate les
interventions. Le papier mat augmente
l’austérité de certaines séries, shootées
dans des squats, des casses, des non-lieux
abandonnés au saccage. C’est le 3e et
probablement le plus abouti des numéros de Boycott, dont l’un des fondateurs,
Nataniel N.M. Robert, est également
directeur artistique dans une autre vie.
Le site de Boycott est une overview
de l’actualité mode : défilés, campagnes
en preview, vidéos de making of…
Rien de très original même si bien fait.
On regrettera que les publirédactionnels
soient si intégrés au reste du contenu.
Instagram ? Pareil, mais en format carré.
boycott-magazine.com
France, 192 p., trimestriel, no 3, 220 x 280 mm, 15 €.
Founders: Cyrille Xavier & Nataniel N.M. Robert
Editor in chief & creative director: Nataniel N.M. Robert
Fashion director: Simon Pylyser
Publisher: Artlust Publishing
magazine
29
Image : Anne Darrigrand & Maxime Leyvastre
macguffin
Papier
digital
À mesure que la consultation d’images
sur Instagram nous devient familière
et presque naturelle, on en oublie que
la mise en forme, consubstantielle à un
magazine, constitue une valeur ajoutée
qu’une image seule peine à receler. Au
départ, il y a un mot, pour une chose qui
n’est qu’un prétexte : un « MacGuffin »,
concept qu’Alfred Hitchcock a mis
en œuvre dans de nombreux films. Ce
nouveau magazine, consacré à la vie des
objets, se penche donc sur le « lit », pour
y faire des rencontres, y dénicher des
surprises et voir au-delà. Parce que, bien
entendu, le lit fonctionne ici comme un
prisme pour évoquer des questions de
design (les fondateurs sont historien du
design et architecte), mais aussi d’aventures aussi bien éditoriales (le magazine
Nest) que culturelles (les lits des annonces
du site Airbnb), mais aussi des nids d’oiseaux. Le lit est aussi un moment, « là où
tout commence et se termine », et seront
interrogées, visuellement ou à travers
des textes, les multiples occupations qui
peuvent s’y dérouler. L’objet MacGuffin
est subtilement élaboré, avec une
direction artistique d’inspiration néerlandaise, des papiers au toucher varié,
d’aspect assez brut, mais avec des détails
qui en rehaussent le statut. MacGuffin a
une lointaine parenté avec le magazine
Nest, et ce n’est pas lui faire offense.
Le site Internet d’un semestriel n’est
pas forcément un blog compulsivement
alimenté de l’actualité la plus récente
– et partout disponible. Si la vie vous
occupe suffisamment, vous pouvez aussi
considérer cet espace comme une salle
de jeu, idéale pour twister le contenu.
Exemple : glisser la bande-son dans
laquelle Hitchcock explique ce qu’est
un MacGuffin à un journaliste. Ou
proposer aux visiteurs de publier la
photo de leur lit. Ou encore présenter
le MacGuffin Field Club, journée de
rencontres à la campagne sur un sujet
donné, sorte de salon en plein air. Du
contenu non, mais des idées, oui.
macguffin.nl
Pays-Bas, 224 p., semestriel, no 1, 210 x 275 mm, 16 €.
Editors in chief: Kirsten Algera & Ernst van der Hoeven
Editor at large: Chris Kabel
Graphic design: Sandra Kassenaar
Publisher: MacGuffin Publishing
magazine
31
odalisque
Papier
Image : Anne Darrigrand & Maxime Leyvastre
La Suède est une micro scène en termes
de mode et de direction artistique, mais
elle a longtemps entretenu un rapport
assez riche avec l’édition. La taille critique de ce marché n’étant pas suffisante,
peu de magazines y sont aujourd’hui
produits et encore moins franchissent
les frontières. D’où cette curiosité pour
Odalisque magazine, imaginé à Stockholm.
Si le format est celui d’un magazine, son
architecture ressemble davantage à une
revue : succession de séries d’images et
de mini interviews de tailles égales, qui
ne créent pas un véritable rythme malgré
les ruptures de papier, de l’offset au
brillant, et l’introduction d’un cahier plus
étroit consacré à un portfolio d’illustrations. Bref, Odalisque est aride et demande
un certain appétit pour le découvrir.
Entre coups de cœur et cartes blanches
se dessine une mode teintée de gothique,
de mystère et de noirceur. Une série
inspirée de Salò, une autre de clowns
tristes, beaucoup de grain et de noir et
blanc, des interviews très spontanées…
le cocktail d’Odalisque n’est pas commun. Qui fait quoi ? Deux sœurs, l’une
photographe, l’autre directrice artistique,
orchestrent le magazine, organisé pour
combiner showcase et public relations. Mais
tout s’éclaire à l’aune du digital…
… puisque Odalisque est un site avant
d’être un magazine. Il se considère
comme un hebdomadaire, nourri par
des contributeurs disséminés aux quatre
coins du monde. Musique, chroniques
d’expositions et surtout mode, le contenu
du site est riche, sans compter la quinzaine de blogs qui y sont rattachés. Une
plateforme de e-commerce vient opportunément compléter cette belle vitrine.
odalisquemagazine.com
Suède, 216 p., semestriel, no 1, 230 x 300 mm, 17,50 €.
Editors in chief & creative directors: Sandra & Michaela Myhrberg
Fashion director: Meghan Scott
Art directors: Liljendahl x Liljendahl
Publisher: Odalisque Magazine
magazine
33
Image : Anne Darrigrand & Maxime Leyvastre
suited
Papier
digital
Il faudrait un jour faire une thèse sur
le je-ne-sais-quoi. Cet impalpable qui
change tout, qui fait qu’à ingrédients
égaux tel est plus juste que tel autre,
plus harmonieux. Ainsi en va-t-il de
Suited. Grand format à la couverture
mate, mais à l’intérieur brillant, élégant,
mode, épuré. On ne remarque qu’à
la moitié que seul le noir et banc aura
droit de cité ; un noir et blanc qui met en
scène des Noirs et des Blancs. Le sujet
de Suited est le vêtement, interprété par
de jeunes designers new-yorkais le plus
souvent. Mais, en creusant, c’est plutôt
le lifestyle qui accompagne le vêtement
que l’objet lui-même ; on parlera donc de
style, et « suited » correspond encore dans
son acception « juste ». Ashley Owens,
qui a lancé le magazine est elle-même
designer, de la marque Grandpa style
– surnom dont elle a hérité pendant ses
études à la Parsons –, ce qui éclaire le
fait que la mode présentée dans Suited
soit graphique et peu marquée en
termes de genre. Une interrogation
cependant : que ce soit dû au format
ou au layout, difficile de ne pas penser
au semestriel Industrie ; signe qu’il faut
regarder l’ensemble de ce qui est produit
avant de poser un geste graphique.
Presque rien à signaler : un site pour
commercialiser le magazine, présentant
quelques doubles pages, la baseline
Celebrate those who have found what they are
well-suited for et le sommaire. La page
contact renvoie à un compte Instagram
qui présente le même contenu, mais en
format carré. Fallait pas se déranger.
suitedmagazine.com
Angleterre, 132 p., semestriel, no 1, 235 x 330 mm, 13 €.
Editor in chief & creative director: Ashley Owens
Art director: Hassan Rahim
Publisher: Suited LLC
magazine
35
Image : Anne Darrigrand & Maxime Leyvastre
lurve
Papier
digital
Ce qui fait l’intérêt du paysage, ce ne
sont pas les trois ou quatre incontournables, mais la pléiade de magazines
indépendants dont la couleur singulière
ajoute une touche au tableau. Ainsi Lurve,
basé à Paris, mais aux connexions autant
en Italie qu’en Angleterre. Beaucoup de
mode, mixte, au sens des couleurs et des
genres, un peu de cinéma et de musique,
avec une obsession pour la photographie,
tantôt classique, tantôt plus audacieuse.
La patte de Lurve est parisienne, avec un
faible pour les textes écrits et des sentiments jamais très lointains. Car Lurve est
une invention/déformation de love, inspirée de Woody Allen dans Manhattan. Le
fil conducteur du numéro le décline donc
en « favs », pour favorites, et « people we
lurve ». Depuis six ans, Lurve présente son
regard sur la mode deux fois par an et,
pour combiner les activités, sa fondatrice,
Lyna V. Ahanda, fait du consulting mode.
Lurve a une approche de son site très
éditoriale : chroniques d’expositions,
backstages de défilés, recyclant une
partie de ce que le magazine publie agrémentée de quelques news. La collection
de « people we lurve » mêle habilement
artistes et insiders du luxe. L’Instagram
est quant à lui plus poétique et opte
pour le crop assez systématiquement.
lurvemag.com
France, 288 p., semestriel, no 9, 200 x 280 mm, 12 €.
Editor in chief & creative director: Lyna V. Ahanda
Fashion director: Moreno Galatà
Art director: Neil MacLean
Publisher: Lurve
magazine
37
p. 40, 50, 58, 64, 72 – Collection killing becher
p. 41 – Interview
hans de foer
p. 44 – Histoire de mode
mannequins noirs,
des sixties à aujourd’hui
p. 51 – Website
journal intime
textes
p. 54 – Off record
luxe et réseaux sociaux
p. 59 – Chronique mode
la petite édition de la mode
p. 62 – Contre
les tatouages
p. 65 – Ping Pong
ysl paris through los angeles…
ou l’invention d’une d.a. at large
Rivieras Leisure Shop
Jakarta Wall
p. 70 – 7 familles
maurizio cattelan
p. 73 – Interview art
thomas clerc
p. 76 – Rétrovision
raw
killing becher
Collection
Swen Renault
hans de foer
Interview
Diplômé de l’Académie royale de beaux-arts d’Anvers,
Hans de Foer a collaboré avec Jean-Charles de Castelbajac
et Jean Paul Gaultier avant de lancer sa collection en nom
propre. Il a par la suite œuvré pour diverses lignes moyenne
gamme ou de diffusion. Plusieurs années durant, il intervint
pour enseigner le style dans des écoles comme l’IFM,
l’Ensad, l’Ensci ou l’Esmod. Directeur du Programme
Postgraduate de Création à l’IFM depuis 2012, il nous
éclaire sur le s y s t è m e é d u c a t i f propre à la mode.
Quelle est la spécificité de
l’enseignement mode dispensé à l’IFM par rapport à
celui d’une école de style ?
Nous dispensons un master en design de mode, je pense que
l’école fut l’une des premières à le
proposer en 2000. L’Institut français
de la mode, qui existe depuis 1986, fut
fondé à l’instigation de Pierre Bergé :
il s’agissait alors de créer une école
de commerce spécifiquement orientée vers les métiers de la mode et du
luxe, car à l’époque aucune école ne
formait spécifiquement aux besoins
de ces métiers. Des profils brillants
étaient certes issus des écoles de
commerce, mais ils ne connaissaient
ni les rouages, ni les fonctionnements,
ni les tenants et aboutissants propres
au secteur. Ce n’est que quatorze ans
plus tard qu’est apparu un cursus
de création – développé par Franc’
Pairon, auparavant en charge de la
section mode de l’École de la Cambre
à Bruxelles. L’idée était de créer une
formation de design en niveau master
(5e année) pour professionnaliser des
D’où qu’ils viennent,
quand les élèves arrivent
chez nous en master, ils
n’ont que très rarement
une vraie sensibilité aux
matières. Comme si le
digital avait tout effacé !
étudiants fraîchement diplômés des
écoles de mode. Moi-même, après
l’Académie d’Anvers, j’avais énormément souffert de l’écart existant entre
l’enseignement dispensé dans une
école d’art et les compétences requises
pour accéder au monde du travail.
L’enseignement de mode dans
les écoles de style vous semblet-il toujours poser problème ?
Le problème, c’est qu’il existe
une incohérence entre les demandes
du marché et ce à quoi on forme les
designers. Aujourd’hui, quand un
jeune se sent attiré par la mode, et
qu’il l’étudie, on lui enseigne à faire
un geste créatif autour du vêtement.
Globalement, on lui demande de
dessiner des collections féminines,
globalement des robes et globalement
plutôt des robes pensées pour défiler
sur un podium… C’est extrêmement
formaté ! Personne ne s’appesantit
sur le cœur de ces métiers, qui sont
très techniques. Personne n’enseigne
les règles du travail du cuir… D’où
qu’ils viennent, quand les élèves arrivent chez nous en master, ils
n’ont que très rarement une vraie sensibilité aux matières. Comme si le digital avait tout effacé ! Il ne connaissent
les échantillons de tissu que scannés.
L’adéquation forme/matière demeure
pour eux une nébuleuse. Ils sont extrêmement créatifs, très débrouillards
sur ordinateur, mais aller d’un concept
à une idée, d’une idée à un design
et d’un design à un produit – ces trois
étapes propres au processus de la
mode – ne s’enchaîne pas chez eux.
En général, ils restent coincés dans
l’idée de ce qu’ils voudraient faire.
La création ne vous semblet-elle pas primordiale dans
la formation d’un styliste ?
La création pour la création,
non, mais nous les accompagnons
pour leur apprendre à explorer et
41
Ces concours [de stylistes]
subliment l’acte de création ou
tout du moins les gestes créatifs.
Mais est-ce vraiment ce dont le
secteur a besoin aujourd’hui ?
exploiter leur univers esthétique personnel. Il est important qu’ils sachent
identifier ce qui les fait vraiment
vibrer, qu’ils apprennent à s’y référer.
L’univers propre d’un designer est
sa colonne vertébrale. Certes, il doit
savoir sentir l’air du temps, mais avant
tout la traduire avec son regard propre.
Les profils recherchés par
les entreprises évoluent-ils
beaucoup actuellement ?
Oui, et ils nous faut modifier notre enseignement en fonction.
En 2008, notre formation, qui jusquelà ne s’intéressait qu’aux vêtements
et à la chaussure, s’est également
souciée des accessoires pour répondre
aux demandes du secteur. Aujourd’hui,
65 % du chiffre d’affaires des maisons
sont générés par l’accessoire. En 2013,
nous avons fait de même pour l’image,
les maisons souhaitant des directeurs
artistiques avec un regard global,
des créatifs capables de s’occuper
de problématiques spécifiques comme
le visual merchandising, la scénographie,
les catalogues, ou le digital, qui explose
dans tous les sens en ce moment…
Instagram, Facebook, site
Internet, film de mode…
les griffes ne savent plus
où donner de la tête.
En ces domaines, les maisons
sont très en demande, mais elles ont
42
souvent à positionner des créatifs,
à leur attribuer des titres – surtout
en France, où tout est cloisonné. Elles
disposent en interne de beaucoup
de techniciens, qui gèrent les sites
par exemple, mais ce ne sont pas
des gens ayant une connaissance
mode, ils ne portent pas de vision
globale sur la griffe et ne savent pas
analyser les tendances des podiums.
Les étudiants semblent
très à l’aise avec ces nouvelles technologies…
Un peu trop même parfois ;
ils en ont presque oublié d’apprendre
à dessiner. Ils savent très bien bricoler
sur leurs ordinateurs : ils excellent pour
trouver une silhouette, la photoshoper, la retravailler… mais traduire
directement en dessin une idée est
plus difficile pour eux. Pourtant, le
lien entre les studios de création et les
ateliers, notamment pour ce qui est
des accessoires, passe par des dessins
pour développer les prototypes ; c’est
donc assez problématique ! Le dessin
demeure le moyen dont dispose un
designer pour communiquer avec les
équipes techniques chargées de traduire en volume ses idées. La concrétisation passe encore et toujours par là…
Le stage est-il devenu un passage obligé pour entrer dans
la vie professionnelle ?
Oui, malheureusement.
Mes étudiants sont très étonnés
quand je leur dis que je n’ai jamais
fait de stage, que cela n’existait pas
à l’époque… Disons qu’aujourd’hui
le stage correspond à une période
d’essai étendue. Beaucoup de stages
se transforment heureusement en
premier job. Mais je vois également nombre de profils qui passent
de stages en stages. Par rapport à
cette donne, je trouve globalement
les étudiants très dynamiques, très
optimistes et très inventifs. Ils tentent
mille solutions, ils sont multitâches,
toujours prêts à rebondir – avec
parfois en corollaire une certaine
difficulté à se concentrer, à aller au
fond des choses, à finaliser ce qu’ils
entreprennent. Ce sont des enfants
de leur temps. Pour les étrangers,
c’est parfois compliqué de comprendre comment le secteur fonctionne en France, dans d’autres pays
les rouages sont différents. Et l’accueil
à Paris n’est pas forcément chaleureux. On les accompagne là aussi.
On assiste aujourd’hui à une
démultiplication des concours.
Prix LVMH, ANDAM sponsorisé
par Kering, Festival de Hyères
estampillé Chanel… comme
si supporter la jeune création
était devenu passage obligé à la
notoriété des géants du luxe.
Le problème est similaire
à celui que l’on rencontre dans
l’enseignement, ces concours subliment l’acte de création, ou tout
du moins les gestes créatifs. Mais
est-ce vraiment ce dont le secteur
a besoin aujourd’hui ? Certes, il est
valorisant, agréable et nécessaire
de célébrer la création, mais quand
on regarde la liste des talents primés au fil des ans par ces diverses
manifestations, la plupart d’entre
eux ont disparu… Que sont devenus
des gens comme le duo Alexandre/
Matthieu ? Les sommes attribuées
sont-elles suffisantes pour véritablement pourvoir aux développements
de jeunes marques ? Beaucoup de
questions restent en suspens…
Il y a vingt ans, le fantasme
d’un jeune styliste était de lancer sa griffe, il y a une dizaine
d’années il rêvait de devenir
DA d’une grande maison…
Quelles sont désormais ses
projections professionnelles ?
C’est devenu un peu plus
complexe. Les dix dernières années,
il n’y avait plus vraiment de place pour
la jeune création ; la mode indépendante c’était mort, balayé ! Là, il y a
à nouveau de la place pour cela ; on
voit bien un certain engouement pour
des noms comme AMI ou Jacquemus.
Le rêve d’un jeune designer, c’est
donc d’aller travailler quelques années
dans l’industrie, dans le luxe ou dans
une grande maison, pour voir comment ça marche afin de développer
par la suite un projet personnel
davantage tourné vers le produit.
Car c’est la réalité d’aujourd’hui.
Moult collections – dites
créatives – de talents du
moment sont somme toute
assez commerciales.
Une marque qui ne se vend
pas n’existe pas. Tout devient très
concret aujourd’hui. On le ressent très
bien dans le contexte de l’IFM, où l’on
donne la possibilité aux étudiants en
management de travailler en binôme
avec un profil designer afin de développer un projet commun – façon
start-up. Il y a cinq ans, les étudiants
en design refusaient de parler d’argent.
Aujourd’hui, ils développent des
stratégies concrètes pour exister dans
la jungle des marques actuelles.
Stylistiquement, les vêtements de mode découlent pour
beaucoup de copier-coller.
L’acte de création, c’est
le big bang ; aujourd’hui, on est
plus dans le stylisme, sans dénigrer ce métier… Cela se rapproche de la cuisine ; il s’agit de
mettre ensemble les bons ingrédients pour définir une saveur.
Le milieu de la mode vous
semble-t-il avoir beaucoup
fluctué depuis vos débuts ?
D’une industrie, la mode
est devenue une économie. L’argent
est le nerf de la guerre. On peut être
contre, trouver ça sale, moche… mais
si l’on veut trouver sa place dans ce
milieu, on l’intègre. Cela ne veut pas
dire que l’on doive se vouer au dieu
Argent, mais l’on compose. On voit
aujourd’hui des designers qui font des
choix raisonnés, trouver facilement
leur place dans le secteur.
Quel espoir de carrière
s’offre à un jeune étudiant ?
Créateur de mode est
une carrière courte, un métier qui
s’exerce de 25 à 45 ans – après
il faut passer à autre chose. Une
carrière assez identique à celle des
sportifs de haut niveau en fait…
Propos recueillis par
cédric saint andré perrin
Images : © DR.
43
mannequins noirs,
des sixties
à aujourd’ hui
Histoire de mode
L’idée de multiculturalisme a depuis longtemps remplacé celle
de m e l t i n g - p o t , et la mode se pose comme champion de
la représentation de toutes les couleurs et de tous les héritages.
Au carrefour de réalités sociales et économiques, la présence des
mannequins noirs dans la mode nous indique la manière dont la
société évolue.
« Ils ne savaient pas que j’étais noire…
J’ai découvert bien plus tard qu’ils
pensaient que j’étais simplement très
bronzée », se souvient Ophelia DeVore,
ex-mannequin et métisse, qui avait
lancé en 1947 la Grace Del Marco
Agency, l’une des premières agences
de mannequins à se spécialiser dans
la beauté noire. Mais le combat ne
faisait que commencer, car si on voyait
régulièrement défiler des mannequins noirs, les pages des grands
magazines, américains en particulier,
leur demeuraient encore fermées.
Il faudra attendre 1966 pour
que le Vogue britannique hisse en une
l’Afro-Américaine Donyale Luna.
En 1974, le Vogue US, bible de la mode
pourtant très conservatrice, y affiche
(enfin) Beverly Johnson, cheveux lissés
et peau couleur café au lait. Car la
question de la teinte de peau est souvent soulevée. Les premiers mannequins sont pudiquement qualifiés de
sunkissed, expression intraduisible, mais
peu menaçante pour les canons de
beauté occidentaux. La peau foncée
est d’ailleurs atténuée sur les premières couvertures « noires ». Comme
en témoignent l’esquisse de Donyale
Luna sur un Harper’s Bazaar anglais
44
de 1965 et le cliché de David Bailey
pour Vogue l’année suivante, à travers
des jeux de lumières et une pose
masquant son visage. Cette timidité
semble régulièrement invalidée
par « l’explosion » de supermodels sombres aux traits marqués,
de Naomi Sims à Grace Jones.
Mais elle résonne avec celle
de la mise en scène capillaire, encore
plus délicate. L’afro, déclaration
esthétique adoptée par de nombreuses inconnues assez tôt dans les
années 1960, prend en 1970 une
dimension politique incontournable
– avec la médiatisation d’Angela Davis,
figure militante des Black Panthers.
Cependant, l’afro est très peu représentée dans les magazines, accusés de
collusion avec une industrie cosmétique enrichie par les produits lissants.
Et aujourd’hui ? La notoriété d’Iman, de Tyra Banks, de
Jourdan Dunn, ou l’omniprésence
de Naomi Campbell ne suffisent
plus à dissimuler les choix profonds
des éditeurs de magazines de mode :
seuls 6 % environ des mannequins
« magazine » sont noirs ; étonnamment, cette proportion grimpe dans
les pages de publicité. Le marketing
s’embarrasse moins de tabous quand
il s’agit de séduire des cibles latinos
ou noires, aux États-Unis notamment. Dans les pages éditoriales, une
certaine mauvaise conscience – teintée de réminiscences d’esclavage et
de colonisation – freine encore la
représentation du monde tel qu’il est.
En octobre 2009, Vogue Paris
publie une série de Steven Klein
dans laquelle pose la blonde et
Néerlandaise Lara Stone, grimée
en noire. La peau noire, d’accord,
mais comme « style », comme idée
make-up… Les mannequins noirs se
font entendre, elles s’estiment sousreprésentées dans le Vogue et lésées
dans ce cas où il est question de peau
noire. Le problème est cependant
plus profond : derrière la mise en
œuvre d’une telle idée se cache mal le
manque de curiosité pour l’extérieur
d’un monde de la mode principalement tourné vers lui-même, avec ses
50 acteurs inamovibles, photographes
et stylistes tout comme mannequins.
alice morin
Je pense que l’idée de
« numéro spécial sur/
pour les noires » est assez
étrange. C’est aussi un
peu injuste parce qu’un
numéro spécial sur les
blanches, c’est juste un
numéro normal […]
harri peccinotti,
photographe et directeur artistique.
AM : Vous avez été l’un des premiers, à la fin des années 1960,
à photographier des mannequins noirs, ce qui n’était pas
très courant à l’époque…
HP : Pas vraiment, mais il est vrai
qu’à la fin des années 1950 et au
début des années 1960, il y avait
encore beaucoup de préjugés. On
voyait quelques femmes noires dans
les magazines, mais c’était plutôt
des gens célèbres, mis en avant plus
pour leur personnalité que comme
mannequin, pour leur manière de
présenter des vêtements. Moi, ce qui
m’intéressait, c’était de photographier
de belles femmes, et comme il y avait
beaucoup de très belles femmes
noires… C’est amusant, avant de me
rencontrer, beaucoup de modèles
pensaient que j’étais noir, parce que
je photographiais tellement de mannequins noirs… puis elles étaient très
surprises de voir que je ne l’étais pas !
Comment rencontriezvous ces femmes noires
que vous avez fait travailler comme mannequins ?
Principalement via le monde de la
musique. J’ai été musicien de jazz
pendant un temps et je fréquentais
pas mal ces cercles. J’étais aussi en
contact avec une agence, à Londres,
ironiquement nommée Ugly, qui
représentait des femmes noires, des
grosses… J’aimais beaucoup travailler avec ce genre de modèle, qui
était plus qu’un joli visage. Dans
les années 1950, les mannequins
du Vogue ou autres étaient blanches,
de classe moyenne ou supérieure,
avaient au moins 25 ans, et surtout
c’était des femmes, pas des filles. Elles
posaient dans des lieux, des situations
sophistiquées, parce que le marché, à l’époque, c’était les femmes.
Et puis, dans les années 1960, tout
a changé, les jeunes filles ont commencé à travailler, à avoir de l’argent,
le prêt-à-porter leur proposait des
vêtements plus appropriés à leurs
besoins, il y avait aussi l’apparition
de la musique pop. Elles ont voulu
des trucs bien à elles. Brian Duffy,
Terence Donovan, David Bailey et
moi, on a commencé à prendre des
photos de filles « normales » dans
des situations « normales », dans la
rue, etc. Tout a vraiment changé,
et certains magazines, comme Elle
– avec le travail de Peter Knapp –,
ont saisi ça très vite. C’est dans ce
contexte qu’on a pu faire travailler
des mannequins noirs. Il y avait
des femmes noires dans la rue, partout, elles étaient présentes. On n’allait pas vraiment les chercher dans
la rue, mais les gens connaissaient
des gens, et disaient : « Oh, je connais
une fille, elle serait géniale pour ton projet… » Ça aussi c’était très différent
à l’époque, les mannequins n’étaient
pas aussi bien payés, ni aussi célèbres,
45
et on se connaissait tous, on sortait, et
on travaillait beaucoup avec ses amis.
Quand vous avez cofondé Nova
magazine en 1965, quels étaient
les enjeux d’un tel choix ?
À l’époque, la plupart des
mannequins étaient suédois, ou
au moins scandinaves – comme
aujourd’hui elles sont russes ou
d’Europe de l’Est. Et je suis allé
à contre-courant. Certains magazines, comme 19, étaient en avance.
Nova a aussi joué mon jeu, parce
qu’ils essayaient d’être antiraciaux.
Mais Nova, ce n’était pas un magazine de mode, on avait ajouté les
46
pages mode pour y mettre un peu
de couleur, pour que la maquette
ne soit pas trop ennuyeuse. En
fait, Nova avait un message à
faire passer. Je me souviens d’une
couverture qu’on avait faite avec
une petite fille noire, et en dessous
la légende : « Vous pensez peut-être
que je suis adorable, mais vous installeriez-vous à côté de chez mon papa et
ma maman ? », et à l’intérieur du
magazine, il y avait un article très
engagé. Tout cela était fait très
consciemment. Et Nova a probablement été un des premiers journaux
à le faire, comme Elle, mais c’était
plutôt des magazines de société.
Quelque cinquante ans
plus tard, selon vous, où en
est cette question ?
Aujourd’hui, on a toujours
beaucoup d’articles sur des personnalités noires pour leur célébrité
plus qu’autre chose. En ce qui
concerne la mode, je pense que
l’idée de « numéro spécial sur/pour
les noires » est assez étrange. C’est
aussi un peu injuste parce qu’un
numéro spécial sur les blanches,
c’est juste un numéro normal. Il y a
quelque chose là-dedans qui me
met un peu mal à l’aise, comme si
on se disait, ce problème-là, c’est
bon, on l’a réglé. Mais aujourd’hui,
ce sont les stylistes qui mènent la
danse, et ils suivent eux-mêmes les
règles des annonceurs ; ils transforment les mannequins en « arbres de
Noël », parce qu’ils ont une longue
liste de produits qu’ils doivent faire
apparaître dans leurs pages. Ils ne
racontent pas vraiment une histoire… alors que nous, c’est ce que
nous essayions de faire, avec toutes
sortes de personnages.
Propos recueillis par
alice morin
Deborah Riley Draper,
journaliste et réalisatrice, notamment du documentaire Versail­
les ’73*, est membre du conseil
d’administration du MODA
(Museum Of Design Atlanta).
AM : Comment s’est déroulée
l’apparition des mannequins
noirs dans la mode, et en particulier dans les magazines ?
DRD : Historiquement, les noirs ont
toujours été des acteurs importants
du monde de la mode, c’était le cas
des couturiers de la femme d’Abraham Lincoln ou de Jackie Kennedy,
par exemple… Et puis il y a eu
l’Ebony Fashion Fair, un salon
fondé en 1958 par Eunice Johnson
[femme de John H., fondateur du
magazine Ebony, ndlr], c’était une
entreprise novatrice, qui a rencontré un grand succès pendant près
de cinquante ans. En partie grâce
à l’énergie, la musique et l’interaction
avec le public qu’on retrouve dans
les grands défilés des années 1970,
comme par exemple celui de
Versailles en 1973. Mais la mode est
aussi le reflet de la société, et aux
États-Unis, dans les années 1960
et 1970, le Mouvement pour les
droits civiques a défié le racisme
institutionnel et a forcé les gens
comme les industries à se repenser.
À ce moment-là, beaucoup de gens,
y compris des rédacteurs et des photographes, se sont sentis autorisés à
repousser les frontières, dans leur travail, de ce qu’ils considéraient comme
acceptable de montrer à la majorité.
Ce processus s’est-il déroulé
différemment en Europe ?
J’ai entendu dire que
Christian Dior employait des mannequins noirs dès la fin des années 1940. Puis la plupart des grands
designers des années 1960 à Paris :
Pierre Cardin, Paco Rabanne,
Yves Saint Laurent ont fait de même.
Dans les années 1970, Givenchy
avait toute une cabine composée
de mannequins noirs. Mais notez
que les Afro-Américains ont depuis
très longtemps – depuis la Première
Guerre mondiale, en fait – une
relation très spéciale avec la France,
avec Paris en particulier : c’est le cas
pour Joséphine Baker, Gordon Parks,
James Baldwin, et beaucoup d’autres
encore, qui ont trouvé inspiration
et liberté dans cette ville. C’était
un peu différent aux États-Unis.
Les grands magasins, par exemple,
refusaient de prêter des vêtements
à la Ebony Fashion Fair de peur de
perturber leurs clientes blanches,
qui n’auraient jamais voulu voir
« leur » mode portée par des noires…
Eunice Johnson est donc allée
trouver directement les couturiers
chez eux, en Europe, et ils ont été
ravis de lui procurer des tenues,
en particulier Yves Saint Laurent !
Et puis de nouveaux créateurs, très
talentueux, ont commencé à émerger sur la 7e Avenue à la fin des
années 1960 (Stephen Burrows,
Willie Smith ou Scott Barrie) et ils
ont changé la donne. Une autre
figure importante, l’influente publicitaire Eleanor Lambert, a tenu
à inclure des mannequins noirs dans
les défilés dont elle avait la charge,
aussi bien ceux qu’elle exportait
en Europe que dans ceux organisés à New York, et ce dès le début
des années 1960. Stephen Burrows,
notamment, est ainsi devenu la
star du défilé de Versailles en 1973.
Toujours en Europe, des mannequins
noirs ont fait la couverture de Vogue
47
Aux États-Unis [dans les années 1970], les
grands magasins refusaient de prêter des
vêtements à la Ebony Fashion Fair de peur
de perturber leurs clientes blanches, qui
n’auraient jamais voulu voir « leur » mode
portée par des noires… […]
et de Harper’s Bazaar en 1965, 1966…
De grands changements politiques
et culturels se sont mis en place, et
les magazines – tous les magazines ! – en ont pris bonne note.
Ce processus semble avoir
pris beaucoup de temps,
en particulier dans le cas de
magazines plus institutionnalisés comme Vogue ?
Attention, au début des
années 1970, les mannequins de
défilés et ceux qui posaient dans
les magazines n’étaient pas les
mêmes, et il y avait alors beaucoup
de modèles noirs dans les shows.
Dans les magazines, le changement a été plus graduel, car les
rédacteurs devaient satisfaire les
annonceurs, leur assurer un certain confort. Comme dans tous les
autres domaines, il a fallu un certain
temps pour passer outre les stéréotypes et le racisme institutionnel.
Grace Mirabella, rédactrice en chef
du Vogue US à l’époque, a assisté
au légendaire défilé de Versailles
en 1973. Trois mois plus tard, elle
a choisi Beverly Johnson en couverture du magazine. Je pense que cet
événement lui a inspiré une décision
que personne n’avait osé prendre
avant elle. Elle a eu l’intelligence
48
et le courage de défendre la
beauté de Beverly Johnson, que
personne n’a pu nier après qu’elle
eut assumé un telle audace.
Après cela, les mannequin noirs
se sont imposés pendant un
moment dans la mode. Mais
parleriez-vous de tendance ?
Car aujourd’hui on remarque
moins de diversité dans les
magazines de mode…
C’était une période pendant laquelle l’adage « I am Black
and I am proud » était un mantra
et une réalité. Des figures populaires afro-américaines incarnaient
vraiment cette idée. Marvin Gaye,
Diana Ross, James Brown ou les
Jackson Five étaient partout. Ils
ont fait tomber des barrières et ont
montré qu’on pouvait rapporter de
l’argent en tant que pop stars, icônes
de la mode ou prescripteurs, même
quand on était noir. Woodstock ou
le Studio 54 ont bien ébauché ce à
quoi les années 1970 allaient ressembler, toutes races, sexes et genres
confondus, le plaisir d’abord et thank
God for the disco! Les années 1970
ont réellement été dynamiques et
ouvertes. Dans les années 1980 et
1990, de grosses compagnies ont
pris le contrôle de la mode, qui est
devenue véritablement une grosse
industrie et qui s’est beaucoup
exportée. Pendant ce temps, les
magazines devaient refléter l’état
d’esprit de leurs lecteurs, mais
aussi celui de leurs actionnaires…
En réalité, aujourd’hui, on ne trouve
plus autant de diversité dans les
magazines ou lors des défilés qu’à la
télévision, par exemple. Peut-être la
mode a-t-elle perdu de son courage ?
Propos recueillis par
alice morin
* Le défilé de Versailles 1973, organisé afin de
lever des fonds pour le château nouvellement
restauré et présentant le travail de six grands
créateurs américains et six autres français,
s’est vite transformé en compétition et a
marqué l’apparition d’une véritable « scène
de la mode » américaine.
Images :
1. Harri Peccinotti
2. Marsha Hunt, Harri Peccinotti, 1968
3. Harri Peccinotti
4. Donyale Luna par Harri Peccinotti, Vogue
UK 1968
5. Campagne Burberry SS15 avec Jourdan
Dunn et Naomi Campbell
6. Donyale Luna, Vogue US, mars 1966
7. Naomi Campbell, iD février 2003.
8. Harper’s Bazaar, Juin 1968
9. Beverly Johnson par Irving Penn (1973)
49
journal intime
Website
Image : swen renault
À quoi rêvent les stylistes ? Plateforme drôle
et dandy réservée aux happy few, le compte
Instagram de C a m i l l e B i d a u l t W a d d i n g t o n
cultive la curiosité et l’association libre.
50
Au hasard, cette séquence de quelques
visuels glanés dans les pages de catalogues et magazines : le hard-rocker
Dave Lee Roth s’offrant, poitrail
poilu et futal moulé, enchaîné à un
grillage ; l’ancien modèle et designer
Tina Chow attachée au comptoir d’un
bar, robe tailleur immaculée, au côté
de son mari qui, lui, s’offre un verre
de champagne ; quatre filles newtoniennes, en talons et formidablement
nues, se préparant à l’orgie dans une
somptueuse cave à vin… Viennent
ensuite deux déménageuses, tout en
jambes elles aussi, qui transportent
aux abords d’un imposant hôtel ce qui
semble être du mobilier de salle de
bains – comme en hommage à l’érotisme torve de Duchamp et son urinoir.
L’ensemble respire le soufre et la drôlerie surréalisante des rituels obscurs,
en noir et blanc chic pour la morgue
et le contraste. Ailleurs, on tombe
sur cette couverture de livre griffée
Gallimard au titre qui prévient :
Plaidoyer pour une certaine anormalité.
Le compte Instagram de
la styliste et consultante française
Camille Bidault Waddington n’est
pas tout à fait la vitrine officielle ou
l’impeccable machine promotionnelle
qu’il peut devenir pour ses confrères ;
la styliste est trop libre joueuse pour
cela. Passée par la presse anglaise
pointue (Dazed, The Face), invitée régulière de la presse internationale et en
France de quelques magazines choisis
(Double), Camille Bidault Waddington
œuvre ou a œuvré pour Chloé,
Marc Jacobs, Victoria Beckham…
Ou Hermès, sous la houlette de
Christophe Lemaire. L’application
Instagram plaît manifestement à cette
iconophage cultivée : son compte
est journellement, généreusement
alimenté. @camillebwaddington
s’appréhende comme le journal
singulier d’un regard. Partant, il est
l’occasion de saisir, en live ou heure par
heure, la nature instable des mécanismes créatifs de ce métier bizarre
qui est le sien : muse et tête chercheuse
lorsqu’elle nourrit l’imaginaire d’un
créateur ; bricoleuse d’histoires et
faiseuse d’images lorsqu’elle interprète
et transmet le sel des collections d’une
saison envers et contre leur diversité.
Camille Bidault Waddington
traîne en bande, dans le 9e arrondissement parisien ; mais il lui arrive
aussi de sortir de la capitale. Elle
aime danser aux concerts, va voir
des expositions, regarde les comptes
alliés et drague délicatement ses
51
[Ce compte Instagram]
est l’occasion de saisir
la nature instable des
mécanismes créatifs de
ce métier bizarre : muse
et tête chercheuse qui
nourrit l’imaginaire d’un
créateur ; bricoleuse
d’histoires et faiseuse
d’images […]
intimes. Elle s’autorise même
quelques selfies, où elle a d’ailleurs des airs d’Anjelica Huston
(période Bob Richardson). Surtout,
elle compulse, archive, trouve et se
souvient. Sa bibliothèque personnelle
est dense ; elle a de la mémoire, et
le goût bien distinct. Avec elle, on
est rarement dans le no time’s land de
la contemporanéité mondiale. De
la même manière, on trouvera peu
sur son compte les sempiternelles
icônes du chic international, les
Françoise Rampling, Charlotte Hardy
ou Jane Moss, dont la beauté, certes,
et l’allure, à force d’être ressassées,
ne délivrent plus que l’ivresse extra
light et consensuelle du cliché.
Les archives et les trouvailles,
les souvenirs et les proches, les heures
oisives et le travail se mêlent intimement sur le compte, sans programme
préalable et sans effet d’annonce.
Ses sources, qui remontent souvent
sur vingt ou trente ans, voire plus,
Camille Bidault Waddington ne les
52
divulgue pas toujours. Et elle se fiche
assez de respecter l’homogénéité
d’une référence qu’elle photographie,
puisque de toute façon le format
même d’Instagram altère nécessairement les visuels qu’il vampirise.
Cela l’arrangerait presque, puisqu’une
image chez elle n’arrive jamais seule,
que l’image a souvent la valeur d’un
fragment qui demande à être complété, d’un moment qui en appelle
nécessairement un autre.
Le compte en son entier
fonctionne comme un ouvroir de
narration potentielle, sinon un carnet
de tendances fantasque et volage. Les
images s’associent volontiers entre
elles, ordonnent des petites séries,
permettent des quasi-éditos, qui
suggèrent là le désir d’une couleur, ici
la qualité d’un port de tête, ailleurs
l’érotisme d’un geste, l’invention d’un
personnage, ou la réminiscence d’une
romance, d’un film, d’une époque.
La mode s’élabore aussi autour de ces
motifs funambules. Aide-mémoire et
boîte à outils, le compte Instagram
de Camille Bidault Waddington dit
justement l’assembleuse affranchie
qu’elle est, dans sa pratique du style,
bien au-delà des volontés publicitaires
des marques.
Et puisque « les voleurs, les
espions, les amants, les diplomates […]
connaissent seuls les ressources et les réjouissances du regard »*, sans doute faut-il
ajouter les stylistes, dont celle qui nous
occupe est une version flâneuse en
mode Baudelaire qui compose avec
l’air du temps jusque dans ses détails
les plus volatils.
céline mallet
* Cette citation de Balzac est judicieusement
proposée par le Petit Robert à la définition
du mot « regard ».
Images :
Captures du compte Instagram
de @camillebwaddington.
53
luxe et
réseaux sociaux
Off record
[…] Toutes ces vidéos de
savoir-faire, souvent au ralenti,
coûtent très cher à produire,
mais qui veut les voir ?
Les marques ont investi les réseaux sociaux et les ont souvent
apprivoisés de manière empirique. Tour d’horizon des
usages, du futur du digital et de la manière dont le virtuel
peut être une extension de la matière pour les marques de
luxe. Entretien à v i s a g e c o u v e r t bien entendu.
Le site Internet, s’il est incontournable, est-il encore un
enjeu pour une marque,
de mode, par exemple ?
Une marque est obligée
d’avoir un site, c’est comme avoir
le téléphone, mais on peut y faire
figurer le strict minimum : le logo et
l’adresse de la boutique. Pas la peine
d’en faire un temple qui sauvegarderait tout l’historique de la marque.
C’est une communication
minimale…
Si on veut faire passer un
message, autant aller là où sont les
gens : sur les réseaux sociaux ou
dans les boutiques. La seule raison
de vouloir les diriger vers un site
propre est de réaliser une transaction.
[…] Ça ne sert à rien d’aller sur les
réseaux sociaux en disant : « Venez
sur mon site, je vais vous dire un truc »,
on va perdre des gens et produire
beaucoup d’efforts pour créer du
trafic, donc autant leur dire de suite
ce qu’on a à leur dire là où ils sont.
Et surtout, ça permet d’être beaucoup plus rapide et de consacrer son
budget à la construction de briques.
???
C’est-à-dire packager des informations en fonction d’où se trouve
son public : s’il va sur Wechat, on
54
package pour Wechat, etc. ; ça
permet d’être beaucoup plus réactif.
Pour diffuser du contenu ?
… ou du service. Il existe
une règle en économie : créer une
abondance crée mécaniquement
une rareté. Or, on a aujourd’hui
une abondance de contenus. Si on
se souvient d’une période pas si
éloignée, au début des années 1980,
on avait trois chaînes de télé, un
seul magazine de surf. Celui-là on
l’attendait, on le lisait et le relisait
pendant tout le mois en attendant le
prochain. Aujourd’hui, c’est l’inverse,
on est en retard sur l’information tant
les canaux nous abreuvent d’informations. L’abondance de contenus
a créé une rareté : notre temps et
notre attention. Et j’ai l’impression
que la plupart des marques ne l’ont
pas compris ; elles continuent à faire
des films pour expliquer qui elles
sont à des clients qui le savent déjà.
Ça tient à l’insatiabilité du digital
ou à une mauvaise méthode ?
Michael Porter [expert en
stratégie d’entreprise, ndlr] dit que
le benchmark a tué la stratégie, qui
ne devient plus que de la production. En clair, dès lors que toutes les
marques et agences étudient le même
benchmark, une super idée il y a six
mois devient ce que tout le monde
fait aujourd’hui, et tombe à plat.
Toutes ces vidéos de savoir-faire,
souvent au ralenti, coûtent très cher
à produire, mais qui veut les voir ?
ta fréquence. Tu veux émerger ?
Dis n’importe quoi, mais souvent.
Quitte à dire des banalités ou
à retwitter. Forcément, les choses
intéressantes sont ensuite noyées.
On trouve pourtant des
perles dans le flot…
Oui, le pire c’est qu’on
est abreuvé de belles images ! J’ai
vu ce matin un très beau film d’un
enfant de 8 ans qui dansait sur du
Rihanna, c’était très gracieux…
mais c’est toujours l’une des dix
vidéos que j’ai vues dans la journée !
Je pense que c’est une mauvaise
course ; on croit qu’il faut sans cesse
introduire plus de contenu, mais
si on voulait vraiment regarder la
demande, on irait dans le sens du
curator : choisir et sélectionner.
Difficile de lutter néanmoins.
Twitter, c’est comme une
lance de pompier, ça a une puissance
impressionnante, et pourtant 90 %
de son contenu sont inintéressants.
Twitter pourrait solutionner son
problème en une journée : il suffirait qu’ils effacent de leurs pages
les following et les followers, du coup
les twittos uniquement là pour faire
du bruit cesseraient la course aux
followers – qu’ils vendent ensuite
à des marques. Les trois quarts des
gens cesseraient d’aller du Twitter,
mais les 25 % restants deviendraient vraiment intéressants.
Ça va à l’encontre de la demande
permanente du digital…
Une anecdote : Twitter a
contacté une marque avec laquelle je
travaille et lui a recommandé de twitter trois fois par jour. Leur discours
c’est : postez souvent. On ne parle pas
de valeur, de pertinence ou d’adéquation… Et effectivement, si tu
veux émerger sur les réseaux sociaux,
ce n’est pas ta pertinence, mais ton
audience qui est directement liée à
ta visibilité, donc mécaniquement
Ce sont pourtant les chiffres qui
servent de monnaie d’échange…
Oui, mais ils sont artificiels
et surtout non qualitatifs. Ces gens
qui ont beaucoup de followers sont
appelés « influenceurs », mais on
devrait plutôt les appeler « médias »
puisqu’ils ont un lectorat donné
qu’on peut toucher. Les vrais
influenceurs, c’est autre chose,
ce sont des gens qui t’influencent
dans ta manière de réfléchir.
À vrai dire, les marques
recherchent surtout
une forme de prescription…
Oui, mais ça suppose d’avoir
d’abord quelque chose à dire. Le
ressort des réseaux sociaux, c’est
la « gamification » : on se prend
tous au jeu de surveiller son propre
nombre de followers et à se réjouir
de leur augmentation, mais on
sait aussi très bien que si on veut
augmenter ce chiffre, on doit se
détourner de la valeur. Le nombre
de followers est un trompe-l’œil, c’est
facile à mesurer en apparence, mais
il faudrait plutôt évaluer les vrais
impacts sur le business… Or, tout le
monde s’ingénie à regarder ailleurs.
Les marques ont-elles vraiment trouvé quoi faire de
leurs extensions digitales ?
Je vais faire une métaphore
pour expliquer les réseaux sociaux.
Si tu es célibataire, il te faut aller là
où tu risques de rencontrer des gens
et non rester dans ton salon. Donc
tu te rends dans une soirée ou dans
un bar. Une fois arrivé, tu essayes
d’être le type drôle de la soirée, pour
te faire remarquer. Même si tu es
introverti, tu joues ce jeu-là. Du
coup, tu rencontres des gens qui
veulent devenir tes amis, mais quand
ils te rencontrent ensuite dans la (ta)
vraie vie, ils découvrent quelqu’un
d’introverti, dont le style contraste
avec la soirée passée… et ça ne
marche pas. De la même manière,
des gens qui étaient dans cette soirée
et qui seraient parfaits pour toi se
détournent de l’image de gai luron
que tu renvoies. C’est pareil pour
les marques : elles sont toutes allées
sur les réseaux sociaux en jouant le
jeu, postant des images de making of,
de backstage. J’oublie qui je suis et
je vais faire ce que « la socialité » me
demande de faire. Ça produit immanquablement un nivellement vers le
bas et des rendez-vous manqués.
Bien qu’il y ait une apparente demande, l’affaire des
marques de luxe n’est-elle pas
de se faire rares pour donner
de la valeur à leur parole ?
Sur le fond, oui. C’était
pathétique de voir toutes les marques
il y a trois ou quatre ans lancer des
collaborations avec des artistes, puis
s’acoquiner avec une blogueuse
pour qu’elle leur dise quoi faire pour
être cools. Beaucoup de marques
se sont ainsi banalisées. Elles n’ont
pas essayé de dire qui elles étaient,
mais ont fait comme tout le monde
dans le bar, quitte à danser sur
la table. Maintenant, je ne pense
pas que la vraie problématique
55
Une bonne expérience boutique est
irremplaçable, bien qu’il y en ait
de moins en moins parce que les
vendeurs ne sont plus formés […]
du luxe soit la distance et l’inaccessibilité… mais la pertinence.
Pour une marque, la chose
intéressante dans le digital, c’est le e-commerce ?
Disons que pour quasiment
toutes les marques, ne pas avoir
d’e-commerce, c’est une absence de
service, et ce n’est pas si compliqué à
monter… Ça représente un investissement, mais tout à fait accessible.
On a donc intégré que le e-commerce n’entre pas en conflit
avec la boutique physique…
Le luxe c’est le service. Pour
une montre à 50 000, les vendeurs
se déplacent à domicile. De même
qu’une bonne expérience boutique
est irremplaçable, bien qu’il y en ait
de moins en moins parce que les
vendeurs ne sont plus formés – sauf
dans les belles maisons de luxe.
On voit ainsi des clients vérifier
sur leur smartphone ce que leur
dit le vendeur sur une teinte ou
une finition. […] On oublie aussi
que beaucoup de gens sont loin
des boutiques et que ça reste très
impressionnant de franchir le pas
des vitrines feutrées. En France, on
affiche les prix, mais dans un certain
nombre de pays, il faut les demander, ce qui peut être embarrassant.
Comment voyez-vous
l’avenir du digital ?
À l’arrivée de chaque nouvelle technologie, on l’importe dans
56
Tu veux émerger [sur
Twitter] ? dis n’importe
quoi, mais souvent.
Quitte à dire des
banalités ou à retwitter
[…]
ce que l’on faisait auparavant avec
une technique plus ancienne. Quand
les poutres en acier sont arrivées, on
a construit les mêmes maisons en
remplaçant le bois par l’acier. Il a
fallu attendre longtemps avant que
s’élancent les gratte-ciel. Pour le
digital, c’est un peu la même chose :
on a pensé que les gens ne regarderaient plus la télé, donc on est allé
faire de la pub en ligne. Il semble
pourtant que le changement qui se
prépare soit plus fondamental : la
publicité en ligne, même ciblée, reste
de la publicité, dont le principe est de
faire des promesses. Or, je pense que
le rôle du digital va être de tenir ses
promesses, c’est-à-dire de rendre le
produit meilleur.
Par exemple ?
Un précurseur serait « Nike
plus », un dispositif très simple qui te
dit la distance et la vitesse à laquelle
tu as couru. Ce n’est pas révolutionnaire, mais ça contient l’idée qu’avec
ça, tu vas courir plus et être en forme.
Plutôt que de faire une campagne
pour inviter au jogging, ils sont allés
regarder toutes les raisons pour
lesquelles les gens cessaient d’aller
courir : parce qu’on se lasse du même
parcours, parce que les copains se
lèvent à 8 heures et soi à 9… Et ils
ont trouvé une série d’astuces (des
idées de parcours, une manière
de se challenger même si on court
séparément…). Du coup, Nike plus,
qui est une petite puce, a développé
le produit au-delà du produit. Le
rôle du digital est celui-là, se demander : quand les gens se procurent tel
produit, qu’achètent-ils vraiment ?
et comment en faire quelque chose
qui tienne ses promesses. Un autre
exemple : quelqu’un – toi – acquiert
une Rolex – une manière comme
une autre de montrer qu’on a réussi,
à 50 ans ou pas. Or, comme ta
présence physique baisse par rapport
à ta présence virtuelle, pourquoi lors
de l’achat on ne t’a pas donné une
adresse « [email protected] » qui
serait une manière subtile de dire à
tes amis que tu as une Rolex ?
Enfin, je ne voudrais pas
qu’ils pensent que je travaille chez Rolex…
Certes, mais on peut inventer une astuce qui le précise. Quand
tu fais Harvard, dépendant de
ton année d’études, tu reçois une
adresse email ; simplement parce
qu’ils savent très bien que si tu
envoies ton CV qui se termine par
@harvard.edu, ça le place en haut
de la pile. […] Dans quelle mesure
le luxe demain passera par une
montre en acier ou un sac en cuir…
c’est une question non tranchée qui
permet aux marques de s’interroger
sur elles-mêmes et de se projeter
dans l’avenir, y compris virtuel.
Ce sont des raisonnements qui
ne sont pas encore naturels…
C’est une disposition d’esprit ! Vuitton, c’est le voyage ; si je suis
client Vuitton, je ne veux pas uniquement des propositions aspirationnelles,
mais un lounge spécial à l’aéroport,
avec tous les magazines disponibles
automatiquement sur mon iPad…
Les interfaces graphiques des
sites ont une durée de vie de
plus en plus courte, dès lors que
tout le monde peut se copier…
C’est vrai et il y a plusieurs
raisons à cela. Dans l’ancien monde
– celui du papier –, les graphistes
qui voulaient copier étaient bons
parce que ça supposait d’être curieux,
d’avoir l’œil. Il fallait passer du temps,
aller à La Hune, chercher le livre…
et ça faisait partie de la culture graphique. Aujourd’hui, tu es tellement
abreuvé de contenus que tu n’as
plus besoin de t’intéresser au graphisme, à la DA, pas plus que tu n’as
besoin de connaître les références. La
manière de les consommer est aussi
différente, on avait une quantité finie
de livres, qu’on regardait et qu’on
reprenait en main ; on se les réappropriait beaucoup plus dans les détails.
Aujourd’hui, on survole 100 ou
200 sites en une matinée, on voit les
grandes masses, mais plus les détails.
Le device qui s’apprête à prendre
le dessus est le smartphone :
donc proche, pratique, personnel. Pourrait-on le résumer à de
la géolocalisation couplée à une
carte bleue ?
Il y a deux choses très
importantes : que tu puisses payer
avec ton téléphone, c’est inévitable,
c’est beaucoup plus pratique, tu n’as
qu’une seule chose à porter. Et la
géolocalisation est aussi très importante. Mais si aujourd’hui on a des
applications pour tout, on est encore
à l’ère de ce que j’appelle l’« application stagiaire » : elle sait très bien
faire une chose, mais il faut le lui
demander, alors qu’en « sénior », elle
anticipe tes besoins. Idéalement, on
ne devrait plus avoir besoin de regarder un écran. Par exemple, puisque
ma montre a une vision sur mon
agenda et mon rythme cardiaque,
si je suis au bureau et que mon
rythme cardiaque s’accélère, elle
peut déclencher une musique plus
douce. Si j’approche d’une dead­
line, elle va filtrer les emails ; c’est
ce qu’on attend. […] Aujourd’hui,
tous les objets se parlent, mais c’est
toi qui dois dire à ta lampe quelle
intensité tu désires. De même, une
marque qui verrait que tu es énervé
ne te proposerait pas d’acheter un
sac… parce que ce n’est pas le jour.
C’est effrayant !
Peut-être, mais les informations existent déjà. Quelqu’un qui
regarde deux jours de mon abonnement à Free sait tout de moi : ce que
je lis, ce que j’écoute, quand je me
lève… Pour l’instant, ce ne sont que
les publicitaires qui en tirent profit,
et demain ce sera moi. Je pourrai
choisir les publicités que je veux
voir et même à quel moment.
Si le smartphone s’impose,
quel est l’avenir de la tablette ?
Je pense que la tablette et
l’ordinateur portable n’ont aucune
raison d’être des objets différents.
Surtout, l’Apple Watch a complètement changé la manière dont j’utilise
le téléphone. S’il est rangé, je n’ai
plus la tentation de le regarder à tout
bout de champ. Dans l’entre-temps,
j’utilise beaucoup plus Siri [l’assistante virtuelle d’Apple, ndlr], pour lui
demander de passer de la musique
ou autre chose. Ça veut dire que le
téléphone se dématérialise.
On n’a presque pas parlé d’Instagram. Ça a complètement
enterré Tumblr ?
Oui, par paresse…
Instagram est très intuitif dans son
utilisation, tu n’as pas besoin de
faire de DA comme dans Tumblr,
et le format carré élimine toute
velléité de cadrage, il n’y a plus
que le sujet. Mais il y a un cycle
de vie identique à toutes ces plate­
formes : les early adopters puis la
démocratisation, et les premiers
s’en vont. Je pense que Facebook est
parti pour durer, mais c’est presque
devenu les Pages blanches…
Propos recueillis par
angelo cirimele
57
la petite édition
de la mode
Chronique mode
Les vêtements ont besoin d’images, de même que les collections
sont l’expression d’un thème. Une série d’outils, le plus
souvent imprimés, donnent les clés d’une saison de création.
Puis disparaissent, aussi soudainement qu’ils sont apparus.
Nous avons pisté l ’ é p h é m è r e pour lui dire deux mots.
58
Image : swen renault
Qui s’est déjà attardé à la sortie d’un
défilé en aura fait le constat : jonchées de cartons d’invitation calligraphiés à la main, de livrets détaillant
les modèles ou de notes éclairant les
intentions et inspirations du créateur, les allées de sièges bien alignés
livrent un paysage un peu désolant.
Un parfait écho à la nature éphémère de la performance du défilé
– et de la mode elle-même en somme.
Mais aussi du temps d’attention
que l’on accorde à chaque nouvelle
image que cette industrie iconophage produit.
Dans les poubelles, c’est
donc là que se situe aussi tout un
métadiscours sur une collection :
images et textes, imaginés par des
plumes, photographes et graphistes
inspirés, s’assurent de la bonne compréhension du message de la saison.
Mais à la hauteur de leur mission
répond sans doute un certain
manque de considération, ou simplement de la négligence. Retour sur les
enjeux que recèle cette production si
centrale pour la mode.
« Craignant que les journalistes ne s’embêtent pendant le défilé
des mannequins, que certains reporters
étrangers ne comprennent pas bien mes
intentions, je décidai un jour de faire
imprimer à leur usage un petit programme
pour expliquer la collection, donner les
numéros des robes, indiquer le prix en
face de chaque numéro, etc. », raconte
Gabrielle Chanel. « Dans quelques
phrases préliminaires se trouvait la clé du
programme. Bref, une sorte de commentaire
dirigé qui mâchait la besogne aux journalistes, leur glissait gentiment leur article tout
fait, prêt à être télégraphié, le soir même »1,
poursuit-elle avec le ton acerbe qu’on
lui connaît. Lorsqu’elle confie ces
anecdotes à Paul Morand, durant
leur exil suisse au lendemain de la
guerre, sur sa vie et sur les rouages de
ses créations, elle expose avec clarté
l’enjeu de la réception d’une collection. Pour un couturier qui en aura
conçu les moindres détails, des broderies à la profondeur des plis, du poids
des tissus à la forme des boutonnières,
il y existe une certaine appréhension quant à la compréhension de
son message. D’où cette nécessité
d’y adjoindre, comme à l’opéra, un
ensemble de surtitres, qu’ils soient de
sa propre plume, comme le narre ici
Chanel, ou de son service presse. Et,
comme le suggère encore la créatrice,
ce sont ces mêmes injonctions d’élégance qui sont reprises, tel un travail
prémâché, dans les revues de mode
de la saison : ce printemps, les jupes
se portent ainsi, les manches s’arrêtent ici, les décolletés se dévoilent
de la sorte, etc.
[…] une griffe de
mode ne se définit plus
seulement à travers
ses silhouettes, mais
bien plus encore
à travers les photos,
films et autres supports
visuels qui les capturent
et les disséminent.
À l’époque dont parle
Chanel, ces livrets de défilé et ces
communiqués de presse sont de
factures sobres : élégants formats
in-octavo sur grammage épais
pour les premiers, papiers à en-tête
dactylographiés pour les seconds.
Mais en quelques décennies, on
passe de débuts timides à un tout
autre contexte. « Les marques de mode
sont devenues des mini empires de l’édition,
employant souvent leur propre équipe de
design graphique, et produisant non seulement des invitations aux défilés, mais des
look books, catalogues, communiqués de
presse, publicités, magazines, et même des
59
cartes de Noël », notait la journaliste
Tamsin Blanchard en 2004 dans son
ouvrage Fashion & Graphics. Dix ans
plus tard, ce que l’auteur décrivait
alors comme un phénomène relativement nouveau ne se dément
pas. Ni sa conclusion d’ailleurs.
« La majorité de ces supports, bien que très
sophistiqués, coûteux à produire, conçus
de manière exquise et hautement influents,
sont complètement éphémères et jetés sans
même y penser. » Mais ce qui étonnera
sans doute encore davantage que
le manque d’égard pour ces publications une fois leur mission menée
à bien, c’est le fait que ces supports
matériels perdurent à l’heure du tout
numérique.
« — Numéro quatorze. Écosse.
Fourteen.
La jeune fille fait son passage, virevolte,
arpente l’étroit espace entre les chaises
et repart. À l’approche du second salon,
une autre aboyeuse répercute l’annonce :
— Numéro quatorze. Écosse. Fourteen.
L’écho va rebondir une troisième fois sur
le palier :
— Numéro quatorze. Écosse. Fourteen. »2
Il est vrai qu’aujourd’hui
ces aboyeuses d’un défilé couture
Christian Dior auraient le plus
grand mal à faire entendre leur
voix sur la bande-son bien cadencée d’un Michel Gaubert. Mais si
Style.com et autre NowFashion.com
actualisent sans doute le carnet de
défilé, le carton d’invitation semble
lui encore un indétrônable objet de
papier. Pour s’en assurer, il suffirait
de faire l’inventaire des élégant(e)s
capturé(e)s par les photographes de
street style à l’entrée des défilés ; entre
pochettes et téléphones portables,
le carré de papier glacé personnellement calligraphié s’exhibe comme
un sésame même chez les plus
privilégiés. Les visiteurs de l’exposition « Fashion Mix » présentée ce
60
printemps à Paris auront pu découvrir avec amusement les invitations
scrupuleusement contrefaites par
certains des Six d’Anvers [un groupuscule de six élèves de l’Académie
royale des beaux-arts d’Anvers
apparu dans les années 1980, parmi
lesquels Van Beirendonck, Van
Noten, Demeulemeester…, ndlr],
alors encore étudiants, pour rentrer
dans les sacro-saints défilés parisiens.
On ne saurait véritablement saisir le pouvoir symbolique
de ce petit morceau de carton – qui
réaffirme tout à la fois un sentiment
d’appartenance et de distinction
pour finir tragiquement piétiné – si
ce n’est comme une mise en abyme
du phénomène de mode, lui aussi
voué à l’oubli dès ses 15 minutes de
gloire accomplies. C’est parce qu’ils
renferment toutes ces contradictions,
comme un singulier reflet du caractère même de son industrie, que le
MoMu d’Anvers a réservé une place
de choix à ces supports éphémères
dans sa politique de conservation.
Le musée de la mode anversois, qui
documente la création de mode
belge, se différencie à ce titre de ses
confrères européens, plus traditionnels et centrés historiquement sur
le vêtement. « Des créateurs belges nous
réunissons non seulement les vêtements,
mais aussi les DVD de leurs défilés, les
invitations, tout le travail graphique qu’ils
produisent, les look books, invitations
aux événements spéciaux, communiqués de
presse. Nous le faisons afin de donner aux
chercheurs une vision globale de ce que font
les créateurs, parce que le design de mode
c’est bien plus que concevoir un vêtement ou
une collection »3, explique sa directrice
Kaat Debo.
Si cela était vrai lorsque
Yves Saint Laurent demandait
à Cassandre de dessiner son logo,
cela l’est tout autant aujourd’hui,
où les directeurs artistiques ont
remplacé les couturiers. Le fait que
la dénomination de ces nouveaux
« artistes des modes » soit empruntée
au monde de la presse, que le rôle
d’un Nicolas Ghesquière comme
d’un Karl Lagerfeld se place dans
la lignée d’un Liberman ou d’un
Brodovitch en dit long. Produire
des images plutôt que produire des
formes : une griffe de mode ne se
définit plus seulement à travers ses
silhouettes, mais bien plus encore
à travers les photos, films et autres
supports visuels qui les capturent et
les disséminent. Car ces images sont
parfois encore plus révélatrices que
les vêtements qu’elles illustrent. « Si
vous avez le look book avec le vêtement,
vous pouvez aussi voir comment ce vêtement
était associé avec les chaussures, quel était
le stylisme, à quoi ressemblait le maquillage,
la coiffure », confirme Kaat Debo.
Pourrait-on alors suggérer que Les Robes de Paul Poiret
racontées par Paul Iribe, album au
pochoir commandé par le couturier en 1908, ou les catalogues
pour Yohji Yamamoto conçus
par Marc Ascoli, Peter Saville et
Nick Knight à partir de 1986 – deux
exemples emblématiques de publications éphémères destinées à la presse
et aux acheteurs – en disent plus sur
la mode de ces créateurs que leurs
robes ? Sans nul doute.
émilie hammen
1. P. Morand, L’Allure de Chanel (1974),
« Folio », Paris, 2009.
2. Christian Dior, Christian Dior et moi (1956),
Paris, Vuibert, 2011.
3. « Interview with Kaat Debo, director of
Fashion Museum (MoMu) in Antwerp by
Tanja Beljanski », postée le 10/09/2010 sur
www.dianepernet-typepad.com
Images :
Invitations défilés prêt-à-porter, © DR.
61
les tatouages
Contre
Je suis contre les tatouages. Leur mode s’est répandue
comme une traînée de poudre et impossible de s’en
d é b a r r a s s e r … Revue de détail et (sombres)
perspectives.
Chaque été, les corps se dévoilent
– jusque-là, on n’a rien contre. Les
corsages sont plus légers, les jambes
souvent dénudées, et voilà les villes
de nouveau habitées par des corps et
non plus des silhouettes emmitouflées,
parfois aux confins de l’épouvantail.
Certes. Mais, en chemin,
l’été met aussi en lumière la progression rampante de l’encre sur la peau,
qui grignote ici une épaule, là une
cheville. Installé à n’importe quelle terrasse, un regard circulaire rencontrera
trois ou quatre tatoué(e)s. Le meilleur
restant les couples, dont on imagine
qu’ils se sont rencontrés dans la boutique de tattoo, argumentant chacun
sur son choix définitif : message contre
motif, noir contre couleur.
Le tattoo « lâche ». Bien
sûr, tout autant que le motif, la partie du corps où il viendra trôner est
stratégique : dissimulé aux regards
62
ou fièrement exhibé, visible en
toute occasion ou seulement l’été,
l’ensemble de la palette est envisagée.
Mais notre affection va aux tatoués
qui élisent les régions du corps qui se
dérobent à leur propre regard : le bas
de la nuque, au-dessus du coude…
toutes parties du corps qu’on ne croise
pas par hasard dans un miroir, même
au prix d’acrobaties contorsionnistes.
Les tatoués en question pressentiraient-ils qu’un jour ils ne pourront
plus voir leur signe particulier artificiel
en peinture ?
Entertainment. D’accord,
entre deux amants, ça crée du teasing.
Le corps n’est plus le même au toucher
et au regard. Sans compter l’effet de
surprise… encore faut-il qu’elle soit
bonne. « Tatouage » n’est pas un antonyme de « faute de goût », et on peut
se traîner longtemps une passion éphémère pour Damien ou Motorhead.
À l’heure où même Google
propose un droit à l’oubli, c’est ballot.
Heureusement, dans le cas d’une
première rencontre, l’interrupteur
peut pallier une éventuelle déception.
Le pérenne. Ça ne nous
avait pas échappé, tout s’efface : des
textes qu’on saisit aux notes de notre
iPhone. Plus de carnets, plus de lettres,
au mieux des disques durs, mais plus
souvent le cloud. Alors, on veut du
pérenne, du ici et maintenant, de
la volonté pure, du « pour toujours ».
Et donc tattoo. Une idée, en passant :
pour les messages du type « N’oublie
pas de faire quelque chose de ta vie »
(véridique), un bon Post-it fait très
bien le job. Et en plus, on peut choisir
la couleur.
Marques. Parce que après
les prénoms, les personnages et les
motifs décoratifs, on trouve aussi des
logos de marque devenus tattoos.
Heureusement, les marques n’en
Pour les messages du type « n’oublie pas
de faire quelque chose de ta vie » (véridique),
un bon Post-it fait très bien le job – et en
plus, on peut choisir la couleur […]
changent que rarement, encore que
ça ouvrirait la possibilité de comptes
Instagram sur les tattoos old school…
La publicité montre d’ailleurs très
peu de tatoués. Trop segmentant ?
trop difficile de fédérer une communauté autour d’un seul signe, de
surcroît personnel ? À moins qu’on
ne le doive au lobby de la confrérie des retoucheurs qui, armés de
leur Photoshop, ne veulent pas voir
un grain de peau leur résister ?
Coïncidence. C’est précisément au moment où il échange
tant de mails, de sms – avec émoticons –, où il n’a jamais été abreuvé
d’autant d’images et d’informations en tous genres, à travers ses
téléphones et autres extensions à
batteries, que l’Homo sapiens du
xxie siècle a éprouvé le besoin d’en
écrire aussi sur son corps. Le dessin, le texte et le signe, déjà omniprésents, ont donc trouvé un autre
terrain de jeu dans les méandres des
courbes et des lignes de l’anatomie.
Modèles. Serait-on influencé par des
modèles ? Le recouvrement progressif, mais inéluctable des avant-bras
des joueurs de football jusqu’à leur
torse parfois, tout comme les fantaisies encrées des stars du showbiz ont
forcément un effet boule de neige.
Mais on fait mine d’ignorer qu’il y a
un point de rupture quand le cool
devient mainstream. Autrement
dit, c’est la rareté qui va devenir
désirable. Autant dire qu’on sera
débarrassé des tattoos en même
temps que d’une génération…
Repères. Ce qui était un
signe d’appartenance à la mafia
russe ou encore de reconnaissance
entre prisonniers recouvre donc une
valeur principalement ornementale.
Même s’il témoigne de l’affirmation
de soi, dans un moment exalté, sans
possible retour. Une sorte d’équivalent des rêves de jeunesse des 1970s,
des idéaux qu’on ne devrait jamais
trahir. C’est sûrement pour cette
raison que le tattoo est aussi une
expérience, pour part douloureuse ;
dans la paume de la main, il est le
summum de la douleur, paraît-il. Ce
signe dit donc aussi une expérience
– à défaut d’une appartenance.
Espoir. Pour ne pas noircir
le tableau, on peut espérer que le
détatouage au laser fasse des progrès
– si d’aventure la mode interdit tel ou
tel signe. Il y a bien une autre solution :
la fuite en avant, teintant un membre
entier comme si on l’avait plongé dans
un bain irréversible. Mais bien choisir
son Pantone.
angelo cirimele
Images : © DR.
63
Ping Pong
ysl paris through los angeles…
ou l’invention
d’une d.a.
at large
64
Image : swen renault
De YSL à Saint Laurent Rive Gauche, jusqu’à Saint Laurent
Paris aujourd’hui, l’ADN de la maison créée par le grand Y v e s
aura muté, parfois radicalement. L’ensemble des campagnes
presse, depuis les années 1980, témoigne de cette évolution,
au rythme de la succession des DA. Histoire d’une saga.
Mathieu Buard
Kon’nichiwaaaa !
Tu me disais avant que je ne
parte qu’Yves Saint Laurent, Monsieur,
lorsqu’il fit son premier voyage – et
vraisemblablement dernier – au Japon,
n’y passa pas un jour et demanda
à rentrer sur le champ – dans le pays
qui aurait pu être une source de ce
que ce qu’on a appelé par la suite
les voyages d’inspiration… Mais
l’inspiration comme les sources de
sa culture semblent construites,
assemblées et livresques. Et nous
allons parler de l’image de la
Maison Saint Laurent, celle qu’ils ont
construite, pertinemment dès 1961,
et pas forcément de l’image de presse
ou d’annonceur. Plutôt de l’identité,
de cet ADN si spécifique en définitive
qui a bousculé les maisons installées.
En somme de la capacité de Bergé et
Saint Laurent à dresser une identité
sur la base d’une direction artistique
nouvelle. Celle qui va se mouvoir
selon les grandes époques de Monsieur, façon extrêmement luxueuse, et pas
par des annonces de publicité, ni
mais aussi des designers et stylistes qui
– selon la règle non encore établie
vont lui succéder à partir de 2002.
d’ailleurs – des défilés. Les défilés,
Yves Saint Laurent va s’en saisir, un
Céline Mallet
tout petit peu plus tard, comme
Donc YSL, c’est Paris, c’est la France
d’une stratégie de médiatisation
et c’est une suite de la couture ?
contemporaine, par plans
cinématographiques, et de la place du
Mathieu Buard
vêtement sur le corps féminin, allure
C’est l’affirmation de la mode
et genre qu’il entend renouveler…
française à l’international (et donc
Vitesse, mouvement, fluidité…
d’une stratégie ad hoc) et du règne
du prêt-à-porter… À voir. En
Bref, ce que je veux dire,
tous les cas, ça commence par des
c’est que c’est le couturier-styliste
présentations à des clientes, de
qui va décider là de la stratégie,
en directeur artistique at large,
me semble-t-il. Ce qu’annoncent ses
choix premiers n’est pas le contraire
de cela…
Céline Mallet
L’image de presse, l’image
éditoriale n’existe pas vraiment
pour lui, ou plutôt sans lui…
65
Mathieu Buard
Ce qui va exister c’est plutôt la
fameuse image de lui et de sa
boutique, Rive Gauche en 1966.
De lui, nu, par Jeanloup Sieff, en
1971… Mais avant, les couvertures
de ses premières présentations
couture (Paris Match), où il tient
ses mannequins par les mains – je
suis là, c’est moi qui l’ai fait… Puis
vient alors la collection Smoking,
en 1966, façon couture et prêt-àporter – lors d’une présentation à
des clientes habituées à la couture
chez Dior –, qui fait glisser le niveau
du discours. C’est braver l’interdit,
mais avec les codes suffisants pour
le rendre acceptable… Drapé de
dignité of course et de belles égéries.
La force et la
pertinence c’est l’image éternelle,
magistrale et rocambolesque
d’Helmut Newton en 1966. Mais le photographe est
choisi. C’est une commande, où
l’histoire est dessinée comme décidée
bien en amont… Ses égéries, elles
prévalent sur ces mannequins, non…
En y pensant, j’y verrais une grande
proximité avec Slimane, pas dans le
travail des formes, mais plutôt dans
ce goût pour le design global. À sa
façon, Hedi Slimane rejouerait Rive
Gauche et ses stratégies sur un régime
de mondialisation, finalement ?
Céline Mallet
Oui, Hedi Slimane optimise la
mythologie YSL à l’échelle globale,
l’altérant encore, au passage, à l’aune
de ses propres obsessions. Où quand
le souffle du maître et de ses muses
migre, comme par enchantement,
en miracle adolescent, du SaintGermain nocturne ou du Marrakech
décadent des 1970s à la scène pop
rock de Los Angeles d’aujourd’hui.
Alors oui, cette « démocratisation »
66
Betty, Loulou posant devant la fameuse boutique,
ou Catherine Deneuve incendiaire et froide chez le
cinéaste Buñuel. Une figure (ad hoc avec ce projet
démocrate) apparaît : celle d’une grande bourgeois(i)e
qui se dévergonde […]
du mythe est le fait dès le départ
du tandem Saint Laurent-Bergé :
lorsque, avec le prêt-à-porter Rive
Gauche, la mode « signée » ne sera
plus la seule exclusivité de l’élite.
Le succès passe alors
très tôt par l’efficacité iconique :
d’Yves Saint Laurent lui-même,
génie précoce et grand malade
proustien déjà en voie de demidéification, et celle de ses égéries
ambassadrices : Betty, Loulou posant
devant la fameuse boutique, ou
Catherine Deneuve incendiaire
et froide chez le cinéaste Buñuel.
Une figure (ad hoc avec ce
projet démocrate) apparaît : celle
d’une grande bourgeois(i)e qui
se dévergonde. On sait d’ailleurs
combien le cinéma aura à nouveau
exploité ces derniers temps ce glamour,
relayé tambours battants par la
presse et le stylisme. Parlant de YSL,
je dis bien mythe ou mythologie ;
l’art somptueux du maître s’étant
depuis dilué, voire figé, dans le
grand kaléidoscope médiatique.
Mathieu Buard
Ce qui n’était pas le cas
dans les années 1980…
Céline Mallet
Oui, lorsque l’on revient aux
campagnes des années 1980, on
est d’abord frappé par la retenue
des images, qui au fond courtisent
d’abord le vêtement. Ce sont des
femmes-femmes chics ou opulentes
qui défilent dans la perspective
d’un décor, hôtel néoclassique ou
extérieur parisien. Il faut bien la grâce
acérée d’Helmut Newton pour que
la narration se corse : c’est alors un
parking glauque au sein duquel une
robe aux imprimés exotiques est à la
fois un choc et une apparition ; ou c’est
encore une femme, comme une fleur
opiacée vénéneuse, qui s’apprête à
commettre, dans l’implacabilité d’un
salon 1980s, un meurtre à l’arme
blanche sous l’œil amusé du maître,
portraituré au-dessus du canapé…
Entre Oriane, Odette et
Olympia, la femme Saint Laurent
telle qu’elle se communique reste un
bel objet audacieux, dans un bel écrin.
Perspective bourgeoise sans doute.
C’est encore cette figure que reprend
dans les années 1990, sous la houlette
de Pilati, le tandem de photographes
Inez & Vinoodh : le cadre du tableau
apparaît au sens propre, à l’intérieur
duquel la femme piège et déesse se
déploie en accord avec le fond : l’hôtel
particulier toujours, ou l’ailleurs
paradisiaque souverain. Mais la campagne peut-être
la plus marquante du trio en cette
période est celle où Kate Moss
apparaît comme le clone de
Betty Catroux (il y en aura d’autres) :
fan-furieuse courant après le mythe,
enchâssée-crucifiée tout contre la
fameuse vitrine… Cela dit beaucoup
et avec humour : l’ombre du maître
et l’adoration qu’elle suscite ; les
époques, ou les épopées et leurs
fantômes, que l’on déjoue et rejoue
à l’infini ; soit le patrimoine que le
super styliste se coltine vaille que vaille,
entre citation obligée et irrévérence
autorisée. Quoique Slimane ne
s’embarrasse que bien peu de ce type
d’atermoiements tragi-comiques…
Mathieu Buard
Oui, dans cette perspective, les
dernières campagnes réalisées par
Sorrenti pour Monsieur, 19992000, sont un jeu de citations
de compositions de tableau, le
collectionneur YSL agite et cite sa
collection. Les images font référence
à ces monstres picturaux, tout en
inversion et paradoxe, l’homme y est
nu et alangui – la femme joue et
regarde ce corps. La bascule de YSL Rive
Gauche, c’est finalement la possibilité
d’une identité par discontinuité de
citations, en cela il est post-moderne,
du renouvellement de l’écriture du
motif de l’imprimé tout en gardant
la notion d’imprimé comme identité
permanente. Sur les « thèmes »
de collection, exotisme de tous
poils : Russe, Chinoise, Saharienne,
Moderne Mondrian… un panorama
d’interprétations stylistiques, une
esthétique du divers, plurielle.
C’est iconique en soi,
cela fait image, et cela invite à un
renouveau de la saison suivante. Le
collectionneur, lui, agrémente et
agite l’esprit de ses collections par
sa collection de références. (Et l’on
sait l’importance de la collection
d’objets rares et précieux d’Yves
Saint Laurent.) La force et la réussite
de Saint Laurent, c’est d’arriver à
recréer le principe de nouveauté
– n’est-ce pas la notion du stylisme
même ? – dans des formes finalement
qui appartiennent à un vocabulaire
fixe, mais en privilégiant l’aspect de
surface, le print ou les quelque détails
qui font style. D’où le glissement du
couturier vers le styliste. Le tour de force dingue
est bien celui opéré par
Hedi Slimane ; une prise
de pouvoir radicale
assumée par un DA diva,
pour une refonte complète
de l’image de la maison,
désormais en noir et blanc
presque exclusif, comme
le deuil forever du maître
originel – lui qui pourtant
maniait si picturalement la
couleur […]
Céline Mallet
Mais quid du stylisme quand ce n’est
plus le couturier qui l’orchestre ?
Mathieu Buard
Le casting de designers par la suite
ne sera que la déclinaison de cette
posture, avec comme panacée
Hedi, roi du rock all in black leisure
et adolescences hippies lowbroderies et maxi bijoux-fantaisie.
Ou inversement, lamé rock maxi
bijoux-fantaisie et hippies black… Il
s’embarrasse de peu, oui, sinon de
poursuivre la dimension iconique,
musicale chez lui, de son identité
créative, en choisissant des figures
elles-mêmes déjà légitimées par
l’époque. Reprise du meilleur gotha
trash, jouant de Daft Punk comme
de Marilyn Manson, d’une néoCourtney Love, Christopher Owens
et de sa petite sœur rêvée. J’ai
le sentiment que l’on pourrait
demander à Bret Easton Ellis s’il ne
voudrait pas illustrer ses bouquins des
campagnes de Saint Laurent Paris
– entre Less Than Zero, Glamorama
et Imperial Bedrooms –, le portrait de
Los Angeles est assez représentatif.
67
La frange blonde de Betty Catroux mute et
devient le cheveu peroxydé d’une icône du grunge
1990s nommée Love. L’éclectisme fantasque de
Loulou de la Falaise s’hybride avec les indienneries
réminiscences des parures hippies 1970s
en Californie […]
Alors, fast fashion en pays
luxe, poursuite de l’ADN, mais
l’on peut se demander en quoi cela
demeure iconique ? L’image vaut
l’objet. Collection de détails à l’image.
Céline Mallet
Il n’y a pas que les collections dans
les images, mais aussi les postures…
Mathieu Buard
Dans les campagnes des années 1980,
il y a une vie, une dynamique et
une forme de folie proprement hors
des gonds, celles de Newton et de
Claus Ohm ou Arthur Elgort, une
légèreté toute riche et insouciance
déployée. On s’amuse et c’est palace !
L’élégance est certaine, toujours le
mannequin tient la scène de son point
narquois, la situation ne lui échappe
en rien, du tragique oui, du comique
beaucoup, le style Saint Laurent
Monsieur poursuit une forme
d’émancipation, l’adieu aux codes
de la convenance. Chez Pilati aussi,
dans ses cadres tendus, qui opère lui
d’une belle permanence et continuité. L’énigme réside pour moi
dans les campagnes des années 2000,
celles de Tom Ford, notamment,
où l’image y est boudoir too much
ou salon des d’opiacées, mais côté
off ou backstage ; on a lâché sa
contenance et on attend que le trip
passe… Comme une trop grande
démonstration de son abandon
propre… dont Hedi Slimane rejoue
lui de façon nettement plus clean
et savante le jeu actuellement. 68
Céline Mallet
Mais Pilati et Ford lui-même sont
restés relativement en retrait face
au mythe. Cela n’enlève rien à leur
intelligence de créateur, simplement
leur posture sera restée celle de
l’interprète second. Le tour de
force dingue est bien celui opéré
par Hedi Slimane ; une prise de
pouvoir radicale assumée par un
DA diva, pour une refonte complète
de l’image de la maison, désormais
en noir et blanc presque exclusif,
comme le deuil forever du maître
originel – lui qui pourtant maniait
si picturalement la couleur. Cela a d’ailleurs commencé
par la refonte du logo ; non plus le
dessin complexe des trois initiales
d’Yves Saint Laurent enchevêtrées,
mais Saint Laurent tout court en
lettres linéales génériques – on
change d’ère, on est post ; il est donc
symboliquement possible d’oblitérer le
prénom… Il ne s’agit plus d’honorer
ou de feindre une signature, mais
d’assumer une logique de marque.
Mathieu Buard
Ce qui n’empêche pas le remix…
Céline Mallet
Du coup, sur le site, Slimane
propose une anthologie du pèrecréateur, comme une nécrologie
et une forme d’abécédaire, une
collection fétichiste d’objets et de
détails à partir desquels toutes les
relectures (campagnes comprises)
pourront être proposées : le dessin
fortement et fermement arrêté des
lunettes de YSL, le smoking et le
noir et blanc comme incontournable
ambivalence, le détail d’un motif
orientalisant sur velours, ou la
photographie d’un saint Sébastien
délicat issu vraisemblablement des
appartements d’Yves le saint…
Tour de force, et de passepasse, par un DA obsessionnel
et vampire. La frange blonde
de Betty Catroux mute et devient
le cheveu peroxydé d’une icône
du grunge 1990s nommée Love.
L’éclectisme fantasque de Loulou de la
Falaise s’hybride avec les indienneries
réminiscences des parures hippies
1970s en Californie. Le noir et le cuir,
l’érotisme masculin sont désormais
les attributs de tous les rockers de
Los Angeles et de Navarre. Quant
à la femme de 30 ans newtonienne,
dangereuse à force d’ennui lascif et
contrarié, elle a perdu quinze ans,
mais gagné l’innocence androgyne et
lisse du cliché. Et puis Karl Lagerfeld
perd trente-cinq kilos… Ah oui,
mais non ! C’était pour enfiler
un tailleur de la période Dior de
Slimane. Quoique je ne voie pas
complètement la différence, d’une
campagne à l’autre, entre un éphèbe
Dior et un éphèbe Saint Laurent
aujourd’hui… J’exagère ?
Mathieu Buard
Non, non, parfaitement… Je te
suis. J’y pensais justement à la
refonte total look du website, de la
« marque » et du logo si déterminant
et de l’oblitération du prénom,
oui, des photos blanches et noires
réalisées pour la narration du site
et des produits, des matières et une
charte sans équivoque, tout cet
ensemble est d’une détermination
de directeur artistique.
À un détail près, celui-ci
mécanique et qui doit agacer côté
Saint Laurent Paris, que sont les
parfums. Il me semble au départ,
à l’époque d’Opium façon Monsieur,
sous sa perspective en tous les cas, que
l’image correspond, se fond (même
si les parfums appartiennent à un
tiers investisseur) – puis sous le règne
des empires et de la distribution,
YSL Beauté, c’est L’Oréal (après de
nombreux voyages boursiers), et donc
pas du tout une DA intégrée, mais des
décisions de style qui n’ont pas à voir
avec le cénacle du studio. Enfin, pas
complètement. Une image qui échappe
à la réorganisation actuelle. Accroc.
Et inversement, quand on
regarde une annonce YSL Beauté,
on se demande si le mannequin
porte du Saint Laurent Paris, enfin
on se demande… on voit bien que
ce n’est pas le cas. Autre régime de
temporalité… on va dire. Céline Mallet
C’est pareil pour beaucoup de
maisons, mais comme la refonte est
totale, là, c’est encore plus criant…
Mathieu Buard
Quand on regarde Opium, par Newton,
en 1977, c’est magnifiquement la suite
du propos mené par la collection
couture de YSL. Droit fil. D’ailleurs,
là encore, l’image fabriquée à cette
époque trace et se rejoue par la suite,
photographe et modèle changent,
l’identité est durablement la même :
« Pour celles qui s’adonnent à Yves
Saint Laurent. » Sauf tout récemment,
où là, la parfumée regarde et ne
s’abandonne plus. Lascive comme
lessivée ; le paradigme est brisé. Céline Mallet
En effet, il manquerait idéalement
à Hedi Slimane, et pour parachever
son système de captation et de
métamorphose, de regarder l’univers
du parfum, dont l’iconique Opium
et ses langoureuses odalisques. On
serait même curieux de voir.
Puissance du système mode
contemporain oblige, le cinéma s’est
récemment attaché à la figure de ses
créateurs. De Gabrielle Chanel à
Yves Saint Laurent, le médium cinéma
aura livré jusqu’ici, de manière assez
classique, l’aventure ou la biographie
d’un génie au singulier. Or, désormais,
une maison de mode possède un
ADN complexe, qui avec le temps
et les histoires de succession est
rarement le fait d’une seule et même
signature. Qu’attendent les scénaristes
pour nous faire une saga ? Entre la
trilogie du Parrain et les conflits de
Game of Thrones, il y aurait fort à faire,
puisque chaque maison est comme
une vénérable mafia, avec ses Don et
leurs faux frères, le fils prodigue, et
l’héritage à transmettre, ou à trahir.
mathieu buard
& céline
mallet
Images :
1. Loulou de la Falaise, Betty Catroux
et Yves Saint Laurent devant la
boutique Rive Gauche, 1966
2. Campagne Yves Saint Laurent,
période Pilati, 2008
3. Campagne Yves Saint Laurent Rive
gauche, Helmut Newton, 1993
4. Campagne parfum Opium,
Yves Saint Laurent, 1977
5. Campagne Yves Saint Laurent
Rive gauche, Arthur Elgort, 1988
6. Campagne Saint Laurent Rive
Gauche, par Claus Ohm 1980
7. Robe Mondrian Yves Saint Laurent,
Vogue Paris, septembre 1965
8. Campagne Yves Saint Laurent,
Inez & Vinoodh, 2009
9. Campagne parfum Belle d’Opium,
Yves Saint Laurent, 2011
10. Campagne Saint Laurent 2014 avec
Courtney Love et Marylin Manson.
11. Campagne Saint Laurent 2012.
12. Portrait d’Yves Saint Laurent,
Jeanloup Sieff, 1971
69
maurizio cattelan
7 familles
De foires en biennales, de ventes aux enchères en vernissages,
Emma Barakatt court le petit monde de l’art contemporain
depuis quelques décennies. p e u b a v a r d e e t t r è s
c u r i e u s e , elle retient tout ce qu’on lui dit. Puisque le réseau
d’influence d’un artiste est devenu presque aussi important que
ses œuvres, Emma Barakatt proposera chaque trimestre de
ranger et cartographier ses fiches. Et le tout, en jouant aux 7
familles. Par Emma Barakatt.
le critique
le commissaire
En 2011, n a n c y s p e c t o r ,
conservatrice du musée Guggenheim de
New York, a la responsabilité (et certains
lui envieront ce privilège) d’organiser
la dernière exposition de Cattelan.
« All », rétrospective définitive, prend
la forme d’un immense tourbillon qui
emporte toutes les œuvres de l’artiste
et qui occupe tout l’atrium du musée.
Mais cette exposition pourrait ne pas
être la dernière… il se murmure qu’un
le complice
Cattelan a besoin de complices avec lesquels il
construit de fortes relations créatives. Il rencontre
p i e r p a o l o f e r r a r i grâce à Dennis Freedman,
à l’époque directeur artistique du magazine W, qui
invite les deux Italiens à produire des images pour son
« art issue » de 2009. Depuis, ils ne se quittent plus et
ont créé Toiletpaper, magazine/agence/usine à produits
dérivés et à succès.
C’est en 1993 que f r a n c e s c o b o n a m i , critique
italien multicarte, véritable parrain d’une entière
génération d’artistes et de commissaires d’exposition
italiens, invita Maurizio Cattelan à la Biennale de
Venise, dont il était le directeur artistique. Ce fut alors
ses premiers pas dans le (grand) monde de l’art.
projet parisien serait à l’étude.
la marque
esprit, c’est aussi un iconoclaste qui
sait se tenir. En plus, il est italien…
ce qui tombe à point pour réveiller
l’ADN italien de la marque française.
70
la maîtresse
la collectionneuse
Si, aujourd’hui, les collectionneurs d’art contemporain font grand
bruit de l’ampleur et du catalogue de leur collection, un épais
mystère entoure les dates auxquelles ils acquièrent telle ou telle
œuvre. C’est sans doute la seule donnée pertinente, car elle traduit
la curiosité et l’audace de chacun. Si Peter Brant ou François Pinault
comptent parmi les plus importants collectionneurs de Cattelan,
la plus précoce, selon toute vraisemblance, fut la Piémontaise
p a t r i z i a s a n d r e t t o r e r e b a u d e n g o . En effet,
dès 1997, elle expose Maurizio Cattelan dans son espace à Turin…
rien d’étonnant pour cette collectionneuse avisée, qui s’était attaché,
dès la création de sa fondation deux ans plus tôt, les services de…
Francesco Bonami.
Images : © DR.
Cattelan a toujours jonglé avec les
domaines et les casquettes. Mais c’est
une fois abandonnée sa carrière d’artiste
qu’il développe des collaborations tous
azimuts. En 2013, alors que l’aventure
Toiletpaper bat son plein, k e n z o fait
appel à lui pour donner un shoot
d’adrénaline à sa campagne automnehiver. Son esthétique surréaliste fait
merveille en offrant une patte arty
à la marque déclinante. Schizophrène,
il devient au même moment l’égérie
mâle de Berluti (qui appartient
également à LVMH, comme Kenzo).
Cattelan est à la fois une gueule et un
Avec p a o l a m a n f r i n , Cattelan a un coup de
foudre. Directrice artistique de l’agence de publicité
McCann Erickson à Milan, elle devient accro au
talent de Cattelan, qui à son tour se nourrit de ce
qu’elle lui raconte du monde de la publicité. Ils eurent
un enfant : le magazine Permanent food, né en 1995,
grâce à la complicité du Consortium (centre d’art de
Dijon). Après quinze parutions, l’aventure se clôt en
2007 avec un numéro consacré au style italien – qui
fut commandé par Francesco Bonami pour le salon
PittiUomo.
le galeriste
Bonami souffla le nom de Cattelan
à m a s s i m o d e c a r l o , le grand
galeriste milanais. Sans tarder, il
lui consacre en 1993 sa première
exposition monographique à Milan.
Il croit tellement en ce jeune artiste
provocateur qu’il se laissera scotcher par
son talent durant les quelques heures
du vernissage. De Carlo allume la
mèche d’une épidémie joyeuse : Naples,
Londres, New York et Cologne suivront.
Paris le découvrira en 1995, grâce
à Emmanuel Perrotin.
71
thomas clerc
Interview art
Écrivain, critique, performeur et enseignant, Thomas Clerc
n’a pas oublié d’être dans son époque en combinant différentes
pratiques et positions. Leur lien : le l a n g a g e , dont on va
suivre la trace des romans aux quotidiens et de l’écrit à l’oral.
Tu reviens d’une résidence au
Japon, à la villa Kujoyama…
C’était une résidence en
duo avec la commissaire Anne Bonin,
dont le projet était d’imaginer une
exposition. Et pour moi l’idée
était d’écrire quelque chose en
articulation avec ce projet ; c’est
d’ailleurs resté au stade d’idée…
72
Image : swen renault
L’institution (l’Institut français)
se montre donc assez ouverte…
C’est à porter à son crédit,
il n’y a pas d’obligation de résultat,
ce que je trouve très agréable dans
le monde dans lequel nous vivons.
Ta pratique de l’écriture est
souvent dans un entre-deux :
critique d’art et fiction, littérature et relevé factuel,
presque journalistique…
Je ne suis pas d’accord, ça
demanderait à être nuancé… Je ne
suis pas d’accord parce que je me
définis vraiment comme écrivain,
quelle que soit la nature du texte. Pour
moi, un écrivain est toujours autre
chose qu’un écrivain. J’ai une activité
multiple, je suis chroniqueur, je fais
des performances, de la critique, et
ce sont des prolongements de mon
travail. Je ne me reconnais pas dans
un écrivain qui ne fait qu’écrire un
roman de temps en temps, ce n’est
pas ma manière de pratiquer.
D’où ta curiosité pour
l’art contemporain ?
Oui, parce que c’est le lieu
d’une liberté totale, plus grande que
l’écriture encore. Et c’est le modèle
du monde actuel, en ce sens que tout
est absolument possible. Je m’inspire
de ce modèle pour la littérature, qui
devrait aussi être un lieu de liberté
totale ; quand je fais une chronique
à la radio, c’est de la littérature, une
performance aussi… J’aime l’idée
d’expérience, et la littérature doit
être liée à ça. Déambuler dans mon
quartier pour le décrire, c’est une
forme de littérature, décrire mon
appartement aussi. Le point commun
est que ça passe par le langage, qui
est pour moi le médium absolu.
À mesure que les diverses
formes d’Internet trouvent leur
place, l’écrit y semble relégué à une fonction subalterne.
Comment regardes-tu ça ?
Ça pose la question du
langage dans la société et on
doit reconnaître qu’il est beaucoup moins sacralisé qu’il n’a pu
l’être. C’est aussi un constat de
son impuissance ; la société ne fait
plus confiance au langage, elle n’a
plus de rapport d’amour avec lui.
Pourtant c’est une société
qui parle beaucoup…
Oui, mais c’est un rapport
à la communication, pas au langage.
C’est effectivement le paradoxe, on
est dans une société hyper bavarde
qui écrit énormément, des mails, des
sms… qui adore la communication,
mais moins le médium lui-même.
Ma seule idée, c’est
qu’en littérature, il y a
une égalité entre l’écrit
et l’oral, alors qu’on
pense l’écrivain comme
l’homme qui écrit […]
Il se lit aussi beaucoup de livres…
Certes, mais au niveau
mythologique, la société ne peut
plus trop s’identifier à l’écriture des
écrivains ; l’écrivain, c’est quand
même une figure un peu démodée…
Le récit est un dispositif qui rencontre toujours
un certain succès…
Mais il va se manifester
dans d’autres arts ; les séries télé
ou le cinéma, qui reste encore très
ancré sur le narratif. […] Le récit,
c’est une forme très particulière
de littérature, c’est la plus basique
et universelle, ça va d’Aristote à
la série télé hyper scénarisée, avec
les ficelles du storytelling. Le récit,
73
Le récit, ce n’est pas
ce qui me semble le
plus important dans la
littérature […]
ce n’est pas ce qui me semble le
plus important dans la littérature.
Au contraire de quoi ?
Le rapport au langage luimême, le rapport poétique au langage,
l’expérience du langage… des champs
qui me semblent un peu abandonnés.
Ce qu’on retrouve en partie
dans tes romans, avec les dispositifs que tu mets en place.
Oui, la composition, la
mise en scène. Pour moi, les liens
entre l’art contemporain et la poésie sont plus naturels ; on pourrait
dire que l’art contemporain est
l’équivalent de la poésie en littérature. Quelque chose d’énigmatique,
qui n’est pas de l’ordre du récit.
Parce que la presse a pu ponctuellement aller sur ce type
de territoire – je pense à la
rubrique tenue par Sophie Calle
dans Libération qui s’appuyait
sur un répertoire trouvé.
Aujourd’hui, un quotidien
comme Libération est en grande difficulté. Et malgré tout, ils produisent
un journal de très bonne qualité, en
ayant recours massivement à des
plumes, à des chroniques, comme s’ils
allaient livrer leur dernier combat. Je
trouve ça très touchant. Bon, j’espère
quand même que ça va continuer !
Le journal tenterait de se sauver avec des non-journalistes ?
Je le pense…
Tu écris une chronique dans
Libération. Qu’est-ce qui t’intéresse dans la presse aujourd’hui ?
Dans un journal, je ne vais
pas forcément commencer par lire
les faits. J’aime la chronique en tant
que genre, qu’une voix s’empare d’un
fait, avec une prise de position, avec
laquelle je ne suis pas forcément d’accord, mais peu importe. L’actualité
m’intéresse, mais dans certains
domaines seulement. J’ai donc besoin
qu’il y ait un équilibre dans un journal.
Dans une chronique sur
HSBC, tu démontes leurs
slogans ineptes en les mettant en perspective avec leurs
fraudes à grande échelle. On a
pourtant l’impression que ces
discours ne portent plus…
Pour HSBC, la chronique
est née d’une colère et de l’impression
que les gens ne réagissaient pas. Un
des moteurs de l’écriture est que mes
sens sont en éveil. J’ai l’impression
que les gens ne voient pas la réalité
qu’ils ont sous les yeux, et peut-être
ne veulent-ils pas la voir ? Le rôle
traditionnel de l’écrivain est de leur
montrer leur propre langage, qui est
aussi le langage des autres.
Dans ton livre consacré au
10e arrondissement de Paris,
on retrouve des ingrédients
du journalisme : le relevé
des faits, un protocole, la
constitution d’un corpus…
C’est le côté enquêteur
qui me plaît, de faux enquêteur dans le cas présent.
Ton travail littéraire a certains échos avec celui
d’Édouard Levé. Que penses-tu
de certains de ses textes comme
Journal ou Autoportrait ?
Je suis un grand fan
d’Édouard, c’était l’un de mes plus
proches amis. D’ailleurs, Édouard
et moi avions une théorie : à la
74
question « pourrait-on être ami
avec quelqu’un dont on n’admire
pas le travail ? », on avait répondu
non. C’était il y a quinze ans…
Ça tient toujours ?
Oui, bien sûr ! Mais j’ai
toujours eu un spectre de goûts
plus large qu’Édouard ; il aimait
très peu de choses. […] Dans ses
textes, j’aime beaucoup Autoportrait,
Œuvres ; j’aime un peu moins Journal,
qui est pour moi trop « procédé ».
Et Suicide est un texte que j’ai du
mal à juger, personnellement.
Tu enseignes en lettres
modernes à Paris X Nanterre.
C’est une autre facette de
ma pratique. J’aime beaucoup le
côté oral et la transmission. À l’université, je suis là pour faire mon
métier, c’est-à-dire celui d’homme
utile. J’adore être prof parce que ça a
une fonction sociale, qui est toujours
présentée comme la chose prétendument la plus importante, alors que
dans la réalité on s’en fout un peu…
C’est-à-dire ?
La société ne cesse de dire
qu’il faut éduquer, et dans la réalité
soit les étudiants ne sont pas très
motivés, soit les profs ne sont pas
très bons, soit le système est écrasant.
Il y a un décalage très fort entre le
mythe éducatif et la réalité. Mais
il faut quand même essayer d’être
bon… du coup, il y a toute une
part orale et performative dans les
cours qui m’intéresse beaucoup.
Tes étudiants se projettent-ils dans la suite ?
Pas trop… et je ne crois
pas que ce soit si important. J’ai
tout à fait conscience de former des
gens à des choses auxquelles ils ne
s’attendent pas. Je leur dis toujours
qu’ils sont là pour former leur goût
quand la société leur dit : « Vous êtes là
pour trouver un boulot. » J’essaye d’attirer
leur attention sur autre chose, notamment ce qui fait le charme d’un texte,
d’une pensée, d’une œuvre. Et ils
aiment bien, ils sentent qu’il se passe
quelque chose qui n’a pas été prévu.
Tu fais aussi des performances ?
Depuis cinq à six ans, je fais
des performances d’une demi-heure,
en général je ne tiens pas plus, que
je crée pour l’endroit qui m’invite. Je
dis des textes, j’en invente, il y a aussi
des manipulations d’objets parfois ;
c’est assez minimal. […] Pour moi, la
littérature doit obligatoirement passer
par l’oral. Ma seule idée, c’est qu’en
littérature, il y a une égalité entre
l’écrit et l’oral, alors qu’on pense
l’écrivain comme l’homme qui écrit.
En quel sens « égalité » ?
Au sens où ils sont
d’égale valeur. Je pense que l’oral
a été sous-estimé dans l’image
qu’on se fait de la littérature.
L’oral pourrait exister à côté de
l’expérience intime de la lecture ?
Oui, tout ce qui est hors
de la page : des lectures, des poésies
sonores, mais aussi des interviews
d’écrivains, qui révèlent le corps
et le côté acteur de l’écrivain.
Ce qui fait intervenir des
notions de mise en scène.
Oui, et tout simplement la voix. Quand on entend
Marguerite Duras parler, il se passe
quelque chose d’incroyable ; de même
quand on entend Modiano bégayer,
dans un second temps, ça devient
partie intégrante du personnage.
Quelqu’un qui aurait une certaine aisance sur un plateau
de télé, en termes de corps, de
langage et de répartie, ce serait
toujours de la littérature ?
Je l’inclus comme faisant
partie de la littérature.
variété que proposait la télévision,
m’est chère, elle me plaît par son
nom même. L’idée qu’il y ait un
chanteur ringard, puis un chateur de
qualité, puis un prestidigitateur, puis
un animateur, puis une fille nue…
Ça a pourtant tous les atours
de la communication…
Sauf que ce n’est pas de la
communication au sens médiocre
du terme, mais quelque chose qui
fait partie intégrante de l’esthétique
de l’écrivain, de l’ordre de la nature
même de l’écrivain.
Je ne peux pas écarter des
exemples de grande maîtrise
télévisuelle comme BHL, ses
chemises blanches et ses cheveux
au vent…
Ça peut être grotesque, mais
il est démasqué parce qu’il est réduit
à ça. J’ai une confiance totale dans
l’image ; comme Godard, je pense
qu’on voit si quelqu’un ment à l’écran.
Finalement, c’est la combinaison des différentes manières
de faire exister la littérature qui
t’intéresse.
Oui, surtout au niveau des
genres littéraires, j’ai envie d’écrire
de tout : une pièce de théâtre, des
romans… Je ne comprends pas
les gens qui ne font qu’une seule
chose. Je comprends la logique de la
répétition du même avec des petites
variations, comme Modiano qui écrit
toujours le même roman et que j’admire, mais pour moi c’est insuffisant.
Refaire ce qu’on sait faire est pour moi
contraire à l’esprit de création.
Décidément, on réhabilite Jacques Chancel !
Oui, mais pour moi, la
variété est fondamentalement politique, la variété comme contre-modèle
à la standardisation des produits
culturels qui nous emmène droit
dans le mur. Le divers décroît, et
si je ne souffre pas de l’absence de
diversité en tant que producteur ou
consommateur, c’est plus compliqué pour certains, pour des raisons
notamment sociales. D’où le rôle
essentiel des passeurs, des critiques,
des gens qui créent des fléchages.
Chancel disait qu’il ne faut pas
donner aux gens ce qu’ils aiment,
mais ce qu’ils pourraient aimer.
C’est une belle définition
du journalisme démocratique…
Malheureusement, ça me semble
un combat un peu perdu d’avance.
Propos recueillis par
Qtuelle est la cohérence ou le
fil rouge dans des approches
aussi variées de la littérature ?
Je ne saurais pas le dire
pour moi-même, mais la notion de
variété, au sens des émissions de
angelo cirimele
Image : © DR.
Dernier livre paru :
Intérieur, L’arbalète/Gallimard, 2013.
75
raw
Rétrovision
En presque un demi-siècle, la bande dessinée a profondément
évolué tant dans sa f o r m e n a r r a t i v e que dans son
rapport aux publics. L’assimilation de ses codes et figures par
l’art contemporain – le Pop Art du début des années 1960
inaugurant dans ce sens un dialogue assez riche –
… produit aujourd’hui des formes
originales d’intervention, de
translation vers le cinéma et les
nouveaux médias. Ces mouvements ont repoussé les frontières du récit bien au-delà de
ce que l’on pouvait imaginer.
Cette révolution du 9e art
s’est faite néanmoins étape par étape,
jalonnée d’initiatives éditoriales qui
ont permis l’émergence de nouveaux
auteurs, de nouveaux genres et styles,
de nouvelles esthétiques du récit.
Avec quelques décalages, la bande
dessinée européenne et américaine,
puis japonaise se sont mutuellement enrichies au sein de supports,
fanzines ou revues qui, à l’instar
des revues d’avant-garde littéraires
et artistiques des années 1920-30,
ont fait circuler idées et inventions
narratives. Créant ainsi un vaste trait
d’union entre une haute et basse
culture de nos sociétés de l’image.
En juillet 1980, une aventure éditoriale va être fédératrice
de ce projet incluant dessinateurs
européens, américains et japonais,
celle du magazine Raw. Avec ses
deux fondateurs, Art Spiegelman
et Françoise Mouly, Raw est le
croisement de deux cultures
visuelles. Par l’intermédiaire d’Art
Spiegelman, la première est issue
76
de l’underground, où Spiegelman a
publié dans les supports initiés par
Robert Crumb avec S. Clay Wilson,
Kim Deitch et Spain Rodriguez.
Quant à la seconde, elle est portée
par Françoise Mouly, qui rencontre Art Spiegelman lors de son
premier séjour à New York, vers
1974, à la recherche de nouveauté
dans ce domaine d’expression.
Françoise Mouly va
perpétuer les échanges
existants entre les ÉtatsUnis et la France dans
le domaine de l’illustration
jusqu’à devenir l’actuelle
directrice artistique
du New Yorker […]
Jeune architecte issue de
l’École des beaux-arts de Paris, elle
s’initie à la maquette de presse et aux
techniques d’imprimerie. Avec Art,
ils investissent dans l’acquisition
d’une petite presse d’où sortiront
les premiers numéros de Raw.
Françoise Mouly va perpétuer les
échanges existants entre les ÉtatsUnis et la France dans le domaine de
l’illustration jusqu’à devenir l’actuelle
directrice artistique du New Yorker.
En effet, dès les années 1950,
nombre d’illustrateurs et dessinateurs de presse français ont travaillé
pour une certaine presse américaine,
comme André François au New Yorker.
Tomi Ungerer y a bâti sa carrière,
à New York, en tant qu’illustrateur
pour enfants, publiciste, dessinateur engagé contre la guerre du
Vietnam, et y a publié des dessins
pornographiques qui lui vaudront
d’être blacklisté par l’ensemble du
milieu de l’édition jeunesse américaine. À la fin des années 1960,
Jean-Paul Goude édite au magazine
Esquire, où l’on retrouve des illustrateurs comme Jean Lagarrigue
ou Michel Quarez. Le terrain est
propice à de nouveaux échanges
et de nouvelles expérimentations.
Par ailleurs, Raw bénéficie
d’un contexte de renouvellement
de la presse alternative. La Free
Press de l’underground des 1960s
s’est pacifiée, voire a été totalement
récupérée, la violence visuelle et
verbale du mouvement Punk, avec
ses fanzines et organes de presse
éphémères, commence à s’assagir,
et en ce début des 1980s, l’alternative se situe plutôt dans la presse dite
« de ville » – une presse gratuite où
se développe un éclectisme allant
du photomontage à la bande dessinée,
diffusée dans les cafés, les lieux de
concert et autres lieux alternatifs…
En Europe, c’est au sein du mouvement des graphzines que s’expérimentent de nouvelles formes visuelles.
Le plus connu d’entre eux étant
Le regard moderne du groupe Bazooka,
qui paraît, le temps de quelques
numéros, en supplément mensuel
du quotidien Libération à Paris.
À New York, le magazine
Raw devient le rendez-vous des avantgardes graphiques. Le numéro un est
tiré à 500 exemplaires et assemblé
à la main. Rapidement, le tirage
va atteindre 10 000 exemplaires (pour
le no 3) et conquiert, dans le milieu
artistique et littéraire new-yorkais,
un public de non-initiés à la bande
dessinée, voire totalement réfractaire
à ce mode de récit. Raw et le couple
Spiegelman/Mouly jouent le même
Raw rompt radicalement
avec le statut éditorial des comics.
Son format, certainement inspiré par la collection 30/40 des
éditions Futuropolis fondée par
Étienne Robial à Paris, est luxueux
et, malgré l’accumulation de productions graphiques, permet à chaque
visuel de tenir sa place. Et d’être
remarquablement reproduit. Chaque
numéro dispose d’un sous-titre
particulier, et évocateur ou non du
contenu du numéro : The Graphic
Aspirin for War Fever, The Graphix
Magazine that Overestimates the Taste of
the American Public, ou encore pour ce
numéro one shot du graphiste Sue Coe
How to Commit Suicide in South Africa.
Raw révèle une nouvelle
La bande dessinée européenne et américaine, puis
japonaise se sont mutuellement enrichies et ont
fait circuler idées et inventions narratives. Créant
ainsi un vaste trait d’union entre une haute et basse
culture de nos sociétés de l’image […]
rôle pédagogique vis-à-vis du public
américain que celui qu’a eu, une
décennie plus tôt, Charlie mensuel et
l’équipe Wolinski/Cavanna/Willem,
en éditant le meilleur de la BD
étrangère pour le public français.
78
génération de dessinateurs et illustrateurs américains, dont certains
ont été les élèves d’Art Spiegelman
à la Visual Art School, qui représente l’avant-garde graphique
américaine dans le domaine de
la BD. Raw publie dans son sommaire des auteurs étrangers comme
les Français Tardi, Bazooka, Caro,
Bruno Richard et Pascal Doury
(d’Elles sont de sorties), l’Espagnol
Javier Mariscal, les Argentins
José Muñoz et Carlos Sampayo,
l’Italien Mattotti, le Hollandais
Joost Swarte, le Japonais
Yoshiharu Tsuge et quelques autres…
De la bande dessinée, qui
pour certains n’est déjà plus de la
bande dessinée. On découvre dans
Raw l’étrange oppression de l’univers
graphique de Mark Beyer, les relents
de trash culture des films de série B
hollywoodiens de Charles Burns,
les tensions psychanalytiques de
Chris Ware, les graphismes bricolés
de Richard McGuire. Et surtout,
sous la forme d’un petit fascicule
encarté dans chaque numéro,
Maus d’Art Speigelman, le récit
du génocide des Juifs de Pologne
et l’histoire des relations difficiles
entre Art, jeune intellectuel newyorkais, et son père, Vladek, rescapé
d’Auschwitz. Une littérature de
témoignage et d’introspection, sous
la forme d’une bande dessinée de
256 pages qui vaut à son auteur,
en 1992, un prix Pulitzer spécial.
pierre ponant
Images :
Raw no 6, 1984 et no 8, 1986.
mode
white noise
Photographie – Adeline Mai, stylisme : Romain Liégaux
locked in
Photographie – Sam Nixon, stylisme : Ruth Higginbotham
jean clemmer
Proposé par Patrick Remy
white noise
Photographie – Adeline Mai
Assistée de Fiona Torre
Stylisme – Romain Liégaux
Assisté de Philippe Gaona
Coiffure – Michael Delmas
Maquillage – Camille Osscini chez Mademoiselle Mu
Mannequins – Geneviève Welsh & Jane Grybennikova
chez Ford
Jane
Manteau et pantalon J e a n C o l o n n a
Chaussures P a c o R a b a n n e
Geneviève
Robe H u b e r E g l o f f
Cuissardes D i o r
Manteau J e a n C o l o n n a
Geneviève
Pantalon, Manteau, ceinture M a r n i
Gants K e n z o
Jane
Manteau M a r n i
Veste D i o r
Gants K e n z o
À gauche, Geneviève
Jupe et écharpe en fourrure C é l i n e
Col en fourrure K e n z o
Body V é r o n i q u e L e r o y
Top C é l i n e
Dress E l l e r y
Pants I s s e y M i y a k e
Shoes C é l i n e
À droite, Jane
Robe et chaussures P a c o R a b a n n e
Geneviève
Combinaison et chaussures P a c o R a b a n n e
Jane
Pantalon J e a n C o l o n n a
Robe L u c i e n W a n g
Top N a r c i s o R o d r i g u e z
Vestes, tops, pantalons C h a n e l
Escarpins L a n v i n
Chaussettes F a l k e
Skirt and Top S t e l l a M c C a r t n e y
Dress C é l i n e
Jacket K e n z o
Slippers K e n z o Robe M a r c b y M a r c J a c o b s
Sandales C h r i s t i a n L o u b o u t i n
Chaussettes A m e r i c a n A p p a r e l
À gauche, Jane
Robe et jupe S t e l l a M c C a r t n e y
Geneviève
Pantalon, pull-over, cape K e n z o
À droite, Geneviève
Pantalon, manteau, ceinture J i l S a n d e r
Top A c n e
Turtleneck A c n e
Coat M o s c h i n o
Shoes D i e p p a R e s t r e p o
Socks C o s
Dress S o n i a R y k i e l
Panties
g e n t P rM
oa
v rocc aJtaecuorb s
Vestes etAleggings
Robes H o u s e o f H o l l a n d
Collants et chaussettes E m i l i o C a v a l l i n i
Sandales C h r i s t i a n L o u b o u t i n
Top et jupe J . W . A n d e r s o n
Écharpe pompons C é l i n e
Gants K e n z o
Pantalon I s s e y M i y a k e
Veste en PVC python H u b e r E g l o f f
Chemise brodée de sequins D i o r
Robe et jupe S t e l l a M c C a r t n e y
Pantalon, pull-over, cape K e n z o
Pantalon, manteau, ceinture J i l S a n d e r
Top A c n e
locked in
Photographie : Sam Nixon
Assisté de Pablo Marks
Stylisme : Ruth Higginbotham
Assistée de Rebecca Davis
Coiffure : Hiroshi Matsushita utilise Bumble & Bumble
Maquillage : Martina Lattanzi chez One Represents utilise MAC Cosmetics
Mannequin : Saska chez IMG
Top A c n e
Robe A c n e
Polo M a r n i
Gants N a t i o n a l T h e a t r e C o s t u m e
Pantalon A c n e
Chemise S a l v a t o r e F e r r a g a m o
Culotte E r e s
Robe T r u s s a r d i
Pantalon A c n e
Soutien-gorge E r e s
Chaussures C é l i n e
Soutien-gorge E r e s
Robe S i m o n e R o c h a
jean clemmer
Que reste-t-il de Jean Clemmer ? Quelques rares afficionados qui
vénèrent son travail. Un livre culte et donc rare (avec une réédition
avortée) : Nues, avec Paco Rabanne (éd. Pierre Belfond, 1969),
une exposition à la galerie Corso Como à Milan il y a quelques bonnes
années… et puis plus grand-chose.
Combien de photographes météorites sont ainsi passés et disparus ?
Né en Suisse à Neuchâtel en 1926 et mort à Paris en 2001. Violoniste,
dessinateur, peintre, décorateur et joaillier (officiellement), Jean Clemmer
est un touche-à-tout pour qui la Suisse est devenue bien trop petite.
En 1948, il monte à Paris et se lie d’amitié avec Jean Cocteau, Zadkine,
Jacques Fath, Louis de Vilmorin, Marcel Rochas. Belle gueule, un vrai
play-boy de la grande époque ! En 1962, il commence à s’intéresser
à la photographie et travaille pour le Club Med balbutiant, qui l’envoie
en reportage à Figueras, où il fera la connaissance de la gloire locale :
Salvador Dalí. Tous deux cultiveront leur estime jusqu’à la mort du
maître en 1989, tous deux ne cesseront d’expérimenter, Clemmer
capturera des moments rares, et de nombreuses mises en scène dont
Dalí avait le secret et la folie.
Une autre rencontre, un autre illuminé : Paco Rabanne. Clemmer exalte
sa mode futuriste dans un livre devenu culte, où le couturier se dévoile
au travers de propos décousus à l’écrivain Patrick Rambaud, futur prix
Goncourt. Puis il ne cessera d’innover avec ses séries Métamorphoses,
des superpositions de diapositives sur les différents thèmes qui l’ont
accompagné toute sa vie : Dalí, Paco Rabanne, la nature, l’architecture…
Thèmes qu’il associe à des corps de femmes nues, créant de véritables
tableaux surréalistes.
patrick remy
Robes : Paco Rabanne, 1966 - 1968
magazine
112
magazine
118
citations
Collection
Compilées par w y n n d a n
One reason I was
interested in photography
was to get away from
the preciousness
of the art object.
Cindy Sherman
« Une des raisons pour lesquelles j’étais intéressée par la photographie est qu’elle m’éloignait de la préciosité de l’œuvre d’art. »
I don’t care about fashion at all. And I know
it’s kind of a dodgy thing to be a fashion
photographer, a kind of pathetic occupation, but
I like it, even though I question it.
Juergen Teller
« Je me fous de la mode. Et je sais que c’est un peu bizarre d’être photographe de mode,
une sorte d’occupation pathétique, mais j’aime ça, en même temps que je l’interroge. »
I do not know
exactly why, but it
seems to me that
the images do not
belong to anybody
but are instead
there, at the
disposal of all.
Maurizio Cattelan
« Je ne sais pas exactement pourquoi, j’ai l’impression que les images n’appartiennent à personne, et sont au contraire à la disposition de tous. »
magazine
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La revue internationale sur le design graphique
et la culture visuelle
Ou par chèque, à l’ordre d’ACP à l’adresse suivante :
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32
boulevard
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Strasbourg,
75010
Paris
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Strasbourg,
75010
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suivante :ParisParis
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14
décembre,
février
le
6 décembre.
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septembre,
octobre,
novembre
paraîtra
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n°
19,
mars,
avril,janvier,
mai
paraîtra
leparaîtra
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2015
ACP
–
Magazine,
32
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Strasbourg,
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20,
juin,
juillet,
août
paraîtra
le
juin
Magazine n° 21, septembre, octobre, novembre paraîtra
le 8 septembre
Magazine n° 22, hiver 2015, paraîtra le 7 décembre.
PROCHAIN NUMÉRO
JANVIER / FÉVRIER 2015
É:223
16,80 €
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SORTIE LE 7 JANVIER
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123
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25/08/13 22:37
24/05/14
23/11/14 19:46
18:36
magazine
119
À gauche :
Photographie : Adeline Mai
Stylisme : Romain Liégaux
Mannequins : Geneviève Welsh & Jane Grybennikova chez Ford
Geneviève : Chemise Céline, Veste et pantalon
Acne, Chaussures Paco Rabanne
Jane : Robe Sportmax, Pantalon Marni,
Chaussures Paco Rabanne
À droite :
Photographie : Alina Asmus
Stylisme : Clémence Cahu
Mannequins : Natarsha & Thaina chez IMG
Body en mohair à rayures noires Véronique
Leroy, Boucle d’oreille Charlotte Chesnais
Collection
out take
Manque de place. Pas la bonne lumière. Pas la même histoire.
De nombreuses raisons nous amènent à écarter – à contrecœur –
certaines images des séries publiées dans chaque numéro.
Nous leur avons trouvé u n e p l a c e , un peu à l’écart, comme
un nouveau salon des refusés.
automne 2015
Agenda
septembre
5 au 12 sept.
5e édition de la Paris
Design Week. Ouvertures,
vernissages, capsules
et invitations.
Parisdesignweek.fr/
5 au 20 sept.
Le magazine AD tient salon :
AD intérieurs investit le
palais d’Iéna, lui-même
offert à 15 décorateurs pour
inventer la maison de demain.
Admagazine.fr/
10 sept. au 3 janv.
13e Biennale de Lyon autour
du thème « La vie moderne ».
Biennaledelyon.com/
10 au 13 sept.
La London Art Book
Fair accueille les éditeurs
indépendants à la
Whitechapel gallery.
Whitechapelgallery.org/
10 sept. au 25 oct.
Rétrospective Mathieu
Amalric à la Cinémathèque,
ou comment traverser 20 ans
de cinéma indépendant.
Cinematheque.fr/
11 au 13 sept.
5e édition de Cosmoscow,
la foire d’art contemporain
moscovite , puisque les
nouveaux collectionneurs
passent par là…
Cosmoscow.com/
11 sept. au 1er nov.
Escale parisienne pour l’expo
Umbra conçue par Vivianne
Sassen autour de l’ombre
à l’Atelier néerlandais.
Atelierneerlandais.com/
15 au 17 sept.
Le rendez-vous Première
Vision à Villepinte, pour
les seuls professionnels de la
profession.
Premierevision.com/
magazine
126
15 sept. au 1er nov.
Cycle « Séoul hypnotique »,
ou 70 films pour appréhender
la capitale coréenne en cette
année d’échange culturel.
Forumdesimages.fr/
18 sept.
Le Centre culturel
suisse fête ses 30 ans
et invite artistes majeurs
ou prometteurs pour des
expositions, performances,
projections…
Ccsparis.com/
18 au 20 sept.
3e édition de Unseen , la
foire consacrée à la jeune
photographie à Amsterdam.
Unseenamsterdam.com/
23 sept. au 1er fév. 2016
« Dominique GonzalezFoerster 1887-2058 »,
rétrospective et prospective
de l’artiste française,
disséminées dans le centre
Pompidou + Julien
Prévieux , prix Marcel
Duchamp 2014.
Centrepompidou.fr/
29 sept. au 13 oct.
Défilés PAP S/S 2016.
Modeaparis.com/
Jusqu’au 13 sept.
Visa pour l’image, 27e festival
de photojournalisme .
Expos, rencontres, édition…
Visapourlimage.com/
octobre
7 au 19 oct.
Exposition de Thierry
Fontaine dans le cadre de la
Carte blanche (à handicap)
PMU , puisqu’il doit y être
question du jeu.
Centrepompidou.fr/
9 oct. au 31 janv. 2016
Exposition « Co-workers
– le réseau comme artiste »
au musée d’Art moderne.
Mise en scène par le collectif
new-yorkais DIS, elle aidera
à se projeter dans l’Internet
des objets.
Mam.paris.fr/
15 au 18 oct.
En contrepoint du salon,
à Milan : le Design film
festival . Projections,
rencontres et workshops.
Milanodesignfilmfestival.
com/
17 oct. au 15 mai
« Dessus Dessous » : Annette
Messager est invitée à investir
le Musée des beaux-arts et la
Cité de la dentelle de Calais,
après une résidence.
Cite-dentelle.fr/
20 oct. au 23 janv.
L’univers étrange de l’artiste
Alex Prager , qui emprunte
au cinéma pour présenter
des univers réalistes, mais
inquiétants.
Galeriedesgaleries.com/
20 oct. au 24 janv.
Variations autour du portrait
par Philippe Halsman
+ un film d’Omer Fast.
C’est au Jeu de Paume.
Jeudemaume.org/
22 au 25 oct.
La Fiac et ses satellites
investissent Paris : Grand
Palais, Tuileries, Vendôme,
sans compter « l’officielle »
à la Cité de la mode.
Fiac.com/
28 oct. au 30 nov.
Rétrospective Miklos Jancso
à la Cinémathèque, cinéaste
hongrois, maître du planséquence.
Cinematheque.fr/
novembre
7 au 22 nov.
5e édition de Photo SaintGermain , qui réunit
40 lieux (galeries, institutions,
librairies) pour former un
parcours photographique.
Photosaintgermain.com/
7 nov. au 20 mars 2016
« Ocean of images: new
photography 2015 », au
MoMA : 19 artistes, 14 pays
pour une approche avantgardiste de l’image.
Moma.org/
11 nov. au 20 déc.
Exposition des Foam Talents
2015, en droite ligne du
musée de la photographie
d’Amsterdam.
Atelierneerlandais.com/
12 au 15 nov.
Rendez-vous annuel à Paris
Photo avec expositions,
livres et rencontres.
Parisphoto.com/
13 au 15 nov.
Après avoir inauguré une
édition londonienne, la foire
Offprint revient à Paris.
Aux Beaux-Arts a priori.
Offprintprojects.com/
20 nov.
La nuit de la déco version
automne propose un circuit
de boutiques parisiennes
choisies. Il y a la même en
Belgique, mais c’est plus loin.
Nuitdeladeco.com/
28 nov. au 21 fév.
Rétrospective de la
photographe Julia
Margaret Cameron au
V&A, pour voir aussi les
précurseurs et pas seulement
les jeunes talents.
Vam.ac.uk/
D A N S L’ Œ I L D U F L  N E U R
Hermes.com

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