Territorialités gays - Espaces et Sociétés
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Territorialités gays - Espaces et Sociétés
Territorialités gays 7 Emmanuel Jaurand eso angers espaces et sociétés concEpTion ET composiTion d’un dossiEr d’habiliTaTion a dirigEr dEs rEchErchEs (hdr) 1 compte tenu de mon itinéraire scientifique atypique, de la géographie physique à la géographie sociale et culturelle avec une transition par l’histoire de la géographie, réaliser un dossier d’Hdr1 m’est apparu à la fois comme une gageure, une opportunité et une nécessité. ma réorientation rendait en effet difficile l’établissement d’une cohérence thématique et scientifique englobant la période allant de mes recherches doctorales jusqu’à aujourd’hui. La longue durée qui sépare la soutenance de ma thèse de la rédaction du mémoire d’Hdr (16 ans) s’explique par les glissements progressifs de mes thématiques de recherche et la prise de recul indispensable par rapport à des travaux nouveaux. J’ai pris le parti d’unifier le présent dossier d’habilitation autour des recherches que je mène depuis 2001 sur les territorialités nudistes et gays sur les plages et plus largement, dans l’espace touristique. une des difficultés de l’Hdr réside ainsi dans la possibilité d’exprimer en une production cohérente une dynamique de recherche en cours, saisissant dans un même mouvement un acquis scientifique et des développements en gestation. dans cette perspective, il m’a semblé légitime de suivre un axe thématique précis, qui ne rassemble pas toutes mes recherches récentes, mais qui les recoupe et permette d’en effectuer une relecture unificatrice. cet axe est celui des seules territorialités gays: c’est à partir des gays (en rapport avec d’autres acteurs) que j’ai ainsi revisité mes recherches sur les plages nudistes. celles-ci pouvant être largement considérées comme un lieu touristique, même si elles sont aussi l’objet d’une fréquentation de proximité, elles m’ont conduit à m’interroger sur les motivations et 1- résumé du dossier d’Habilitation à diriger des recherches: Construire des territoires d’un autre genre ? Perspectives de recherche sur des territorialités marginales dans l’espace touristique, préparé sous la direction du professeur Jean-christophe gay et soutenu à l’université de nice-sophia antipolis le 19 novembre 2010 (vol. 3, 183 p.). - umr 6590 cnrs - université d’angers les espaces d’un tourisme gay, ce qui constitue le cœur de mes recherches en cours et à venir. s’agissant plus dans une habilitation de montrer l’intérêt géographique de telles recherches que de les développer pour ellesmêmes (ce qui a été partiellement effectué dans le cadre des articles), j’ai choisi à travers les gays sur les plages, de questionner les concepts de territoire et de territorialité et le sens du tourisme par rapport à l’identité. À partir d’un choix d’acteurs spatiaux auxquels je m’intéresse et du champ thématique dans lequel je m’inscris (géographie du tourisme), je vise donc à mettre en évidence des territorialités mal connues et « marginales », et au-delà, contribuer à la réflexion des géographes sur la signification et l’intérêt du concept de territoire en rapport avec des identités sexuelles en particulier. Le volume iii du dossier d’Hdr, le mémoire inédit, en constitue la pièce maîtresse et lui donne son titre. À partir des travaux déjà effectués, notamment les enquêtes de terrain sur les plages et le nudisme, il propose une réflexion d’ensemble sur l’approche géographique des territorialités gays, incluse dans la géographie des genres et des sexualités qui tend à émerger en France au cours des années 2000 dans le prolongement des travaux anglo-saxons. Les perspectives de recherche futures proposées, portant sur les relations entre le tourisme et la construction de l’identité gay, notion aussi utile que critiquable, ne seront pas évoquées en tant que telles dans le présent résumé. parTir dEs marginaliTés au cœur dE la posTmodErniTé pour rEvisiTEr lEs TErriTorialiTés ET lE TourismE La marginalité est un concept transdisciplinaire dont Liliane rioux (1998) a souligné la double dimension sociale (ou culturelle) et spatiale. La marginalité renvoie d’abord à un état social défini par le couple normalité/déviance. classiquement, les études sociologiques sur la marginalité et la déviance abordent l’homosexualité. c’est en particulier le cas des travaux de e e so N° 32, décembre 2011 o 8 Territorialités gays Howard s. Becker (1963) et erving goffman (1963). michel Foucault (1976) traita l’homosexualité parmi les multiples « sexualités périphériques » (p. 56) dont les auteurs furent identifiés comme pervers au XiXe siècle. L’évolution contemporaine de la perception de l’homosexualité fait partie d’un changement social plus large, ce qui caractérise une marginalité en évolution. La tendance à une normalisation de l’homosexualité s’inscrit dans des dynamiques caractéristiques de la postmodernité. Les gays (ceux qui s’identifient comme tels, moins nombreux que les hommes qui ont plus ou moins régulièrement une activité homosexuelle) peuvent être considérés comme une de ces tribus postmodernes, réunies par un sentiment d’appartenance et le partage émotionnel (maffesoli, 1988). L’essor des gay and lesbian studies dans les universités américaines est tout à la fois la conséquence d’un nouveau regard scientifique, qualifié de postmoderniste, et d’une réalité sociale et spatiale nouvelle, à savoir le développement de « quartiers gays » dans les grandes villes, phénomène qui relève de la postmodernité (staszak et al., 2001). À travers les gays, je souhaite apporter une contribution générale à la géographie, à travers un questionnement à propos des concepts de territoire et de tourisme. La postmodernité se marque en effet par le développement de nouveaux rapports aux territoires, moins précisément circonscrits dans l’espace, plus éclatés, et liés à de nouveaux phénomènes d’ancrage identitaire (deshaies et sénécal, 1997). Les territorialités gays dans l’espace touristique, qui participent clairement de cette dynamique, peuvent être envisagées comme exprimant et participant à la construction d’une identité collective spécifique. elles prendraient tout leur sens en rapport avec un projet centré sur les touristes eux-mêmes plutôt que sur la découverte d’un ailleurs ou des autres. cette hypothèse centrale peut être déclinée suivant trois axes. 1- La construction de territorialités gays dans l’espace touristique peut être d’abord expliquée, à l’instar de celles inscrites dans l’espace urbain, comme une réponse à un espace marqué par l’hégémonie du modèle hétérosexuel (Binnie, 1997) et le risque permanent pour un homosexuel d’être confronté à « l’interpellation hétérosexuelle » (eribon, 1999, p. 88). elle peut être également lue comme exprimant une identité gay originale, constituée en réaction ou en résistance à une eso, travaux & documents assignation identitaire, et donnant une existence concrète et éphémère à une communauté virtuelle en dehors de ces lieux. 2- Les territorialités gays étudiées doivent être interprétées en rapport avec les études relatives au genre, c’est-à-dire à la construction sociale des rôles sexués et des relations entre hommes et femmes. L’existence de plages exclusivement (ou presque) fréquentées par des gays soulève plusieurs questions. ces territoires jouentils un rôle dans la (re)production des genres, ou plus précisément, les processus de territorialisation et les valeurs des acteurs y relèvent-ils du genre féminin, auquel les historiens renvoient classiquement la plage (granger, 2004)? Y a-t-il vraiment une remise en cause des normes et de la hiérarchie sociale des genres dans ces territoires gays? ces territoires sont-ils eux-mêmes vecteurs de certaines normes relatives au genre masculin voire d’exclusions à caractère sexué? 3- selon un dernier axe de réflexion, les territorialités gays dans l’espace touristique peuvent être envisagées comme participant à la construction du monde. La marginalisation de groupes ou de territoires ne s’explique que par référence à un centre prescripteur en termes de pratiques et valeurs. mais la possibilité de fonctionnement de ces territoires autres indique aussi l’existence d’une certaine marge de manœuvre pour des groupes minoritaires, plus ou moins concédée ou tolérée par le centre. c’est ainsi que les rapports entre la marge et le centre, ou l’antimonde et le monde, laissent entrevoir des relations, connivences et intérêts réciproques, c’est-à-dire révèlent un fonctionnement du monde et préparent le monde à venir. l’éTaT dEs savoirs sur lEs TErriTorialiTés gays Le chapitre i passe en revue l’état de la littérature scientifique sur les territorialités et le tourisme gays, en expliquant le retard de la géographie française par rapport à la géographie anglo-saxonne et aux autres sciences sociales, mais aussi le rattrapage opéré dans les années 2000. constituant un champ scientifique cohérent et pluridisciplinaire, les études gays et lesbiennes se sont développées dans les années 1980, soit après les études féministes qui, depuis la fin des années 1960, contestaient un ordre des sexes inégal et se don- Territorialités gays nant comme naturel. c’est aux états-unis que sont apparus les premiers travaux sur les rapports entre homosexualité et espace: c’est l’étude du sociologue manuel castells (1983) sur san Francisco qui est considérée comme ayant eu un rôle inaugural. Les recherches géographiques anglo-saxonnes sur les gays et les lesbiennes ont été dominées au départ par la quête de données objectives visant à cerner les territorialités communautaires dans la ville, conformément aux méthodologies alors mises en œuvre en géographie urbaine et économique. puis, dans le champ de la géographie culturelle, marqué par les influences postmodernistes, elles se sont davantage tournées vers l’expérience personnelle et la dimension imaginaire de l’espace. sous l’influence du mouvement queer et de la remise en cause des catégories sexuelles vues comme produites par une structure sociale marquée par l’hétéronormativité, les gays et les lesbiennes ont aussi servi d’opérateurs pour questionner l’espace en général, en renouveler l’approche et la conception, en souligner des dimensions normées jusque-là non perçues, ainsi dans l’ouvrage collectif Mapping desires (Bell et valentine, 1995). 9 Le premier article d’un géographe français portant sur l’homosexualité est celui de Boris grésillon (2000), consacré à Berlin: il correspond à un des nombreux thèmes abordés dans sa thèse de géographie culturelle sur la capitale allemande. mais ce n’est que dans la seconde moitié des années 2000 qu’une véritable dynamique s’enclenche, avec l’investissement de ce champ par plusieurs géographes: stéphane Leroy (2005), emmanuel Jaurand (2005) et marianne Blidon (thèse en 2007). en sociologie, urbanisme et psychologie de l’espace les recherches se poursuivent: on citera entre autres au sein de notre umr les travaux d’alain Léobon (2004). il nous manque évidemment la place dans ce résumé pour citer des articles qui tendent à se multiplier ces dernières années. ces recherches françaises sur les rapports entre homosexualité et espace, à la fois significatives et somme toute dispersées par comparaison avec les recherches anglosaxonnes, présentent une orientation thématique prédominante vers les questions urbaines, et en particulier le cas parisien. quEllE géographiE pour lEs TErriTorialiTés À la fin des années 1990, alors que le champ des études gays et lesbiennes se constitue en France, aucun travail géographique n’existe. cette lacune par rapport à l’histoire ou la sociologie ne rend pas très pertinent le recours à une explication générale comme l’effet d’obstacle lié au modèle politique universaliste français en soi. il me semble davantage juste de chercher les raisons d’un retard propre à la géographie française dans certaines caractéristiques de son épistémologie voire de sa sociologie. Jusqu’aux années 1980 voire 1990, une approche positiviste a largement dominé la (nouvelle) géographie, attachée à la matérialité et soucieuse de dégager les « lois de l’espace », privilégiant l’inscription des rapports socio-économiques ou des politiques d’aménagement dans l’espace; tandis qu’au même moment le tournant culturel et la vague postmoderniste affectaient une large partie de la géographie anglo-saxonne, conduite à s’intéresser aux représentations du monde de différents groupes (staszak et al., 2001). on peut sans doute ajouter des réticences morales à aborder la sexualité, particulièrement l’homosexualité et, si l’on suit olivier orain (2007), un anti-intellectualisme présent parmi une partie des géographes français. gays ? cadrE ThéoriquE ET concEpTuEl Le chapitre ii précise le cadre théorique et conceptuel de la recherche: celle-ci relève d’une géographie à la fois culturelle et sociale, prenant en compte les individus et les groupes comme des acteurs spatiaux et approchant le tourisme à partir des pratiques et des représentations. L’homosexualité et le tourisme permettent de questionner le concept de territoire, dans ses diverses déclinaisons, et de vérifier son fort potentiel analytique pour la géographie. tout comme armand Frémont, je refuse de me laisser enfermer dans une approche géographique monolithique : il souligne que « pour bien appréhender les espaces vécus, il fallait aussi s’appuyer sur une géographie « objective » » (Frémont, in allemand, 2007, p. 98). c’est ainsi que je ne m’interdis pas d’emprunter des voies d’approche relevant d’écoles de géographie ou de courants différents, tout comme antoine Bailly ou robert Ferras l’avaient fait. La mobilisation de l’approche culturelle ne me semble pas obliger à adopter un subjectivisme intégral ou à renoncer à prendre en compte la rugosité ou la matérialité de l’espace géographique. e e so N° 32, décembre 2011 o 10 Territorialités gays La distinction entre géographie culturelle et sociale s’est atténuée, comme le montre la prise en compte de la diversité des acteurs par la première et de la dimension symbolique et imaginaire de l’espace par la seconde. La géographie dans son ensemble étant devenue une science sociale, elle est forcément sociale, certes de façon plus ou moins affirmée et affichée; et les questionnements à partir des discours et représentations irriguent désormais une bonne partie de la géographie, ce qui me semble relativiser l’actualité de clivages intra-disciplinaires. J’ajoute que s’il est encore légitime de distinguer ces deux géographies, ce que font guy di méo et pascal Buléon (2005) ou raymonde séchet et vincent veschambre (2006), il est également possible dans une recherche géographique sur un objet précis d’emprunter à ces deux courants, ce qui est ma position. d’une part, mon questionnement sur les territorialités s’appuyant largement sur l’observation des pratiques spatiales relève largement de la géographie sociale. mais, d’autre part, je ne réalise pas une étude sociale sur les gays qui seraient assimilés à un groupe de population défini et traversé par des clivages socio-économiques; l’homosexualité est ici plutôt envisagée comme un phénomène culturel (subculture gay), dans laquelle le rapport à l’espace est essentiel, à la fois vecteur et produit de comportements et d’imaginaires individuels et collectifs. dans le sens de ce rapprochement intra-disciplinaire, l’intérêt porté dans l’approche culturelle à une grande diversité d’objets s’accompagne aussi de l’ajout d’une nouvelle catégorie d’acteurs de l’espace géographique: les individus, autrefois confondus sous l’appellation « l’Homme », largement désincarnée. ceux-ci sont envisagés autant à travers leurs pratiques que leurs discours et les représentations, qui ne se déduisent pas simplement les uns des autres. il existe une relation autre que simplement chronologique entre le succès du concept de territoire, et de ses diverses déclinaisons, et le renouveau de l’approche culturelle en géographie. même si le territoire conserve un sens politique, son usage s’est étendu à la géographie sociale puis culturelle, jusqu’à devenir le concept intégrateur de la géographie contemporaine. c’est que le territoire permet d’articuler le jeu des acteurs dans l’espace, quelles que soient la catégorie des acteurs et la taille de l’espace d’application, en intégrant le sens qu’ils donnent à leurs actions grâce à l’analyse des discours et représentations. c’est un enri- eso, travaux & documents chissement pour comprendre le rapport des sociétés à l’espace: « la territorialité nous renseigne sur la signification culturelle des rapports sociaux et nous permet de mieux saisir enjeux et conflits spatiaux » (Bailly et Béguin, 1982, p. 64). par la prise en compte de la dimension symbolique voire identitaire de la territorialité, la géographie humaine s’est ouverte à l’approche culturelle, qui ne se restreint plus à un champ géographique mais est mobilisable par l’ensemble de la géographie. par rapport à l’objet tourisme, l’intérêt porté aux individus et au sens qu’ils donnent à leurs actions a aussi conduit à un renouveau épistémologique. c’est en raisonnant à la fois en terme d’« espace touristique » et de « territoire touristique » que l’on peut mieux comprendre les dynamiques sociales à l’œuvre dans le tourisme. certes, les « territorialités interstitielles » (capron et al., 2005, p. 215) dont relèveraient les formes de territorialisation des plages développées par les gays sont certes fort différentes des territorialisations officielles qui aboutissent au contrôle et au maillage complets d’une portion d’espace: elles imposent la mise au point d’une méthodologie de recherche adaptée. quEllE méThodologiE pour lEs TErriTorialiTés gays ? Le chapitre iii développe les problèmes méthodologiques particuliers qui se posent en rapport avec les objets d’étude que sont l’homosexualité et le nudisme, phénomènes sociaux caractérisés par un certain degré de marginalité, pouvant aller jusqu’à des situations d’illégalité. une pluralité de méthodes, pour certaines inspirées des sciences sociales, et notamment de la microsociologie, pour d’autres d’usage plus courant et classique en géographie, permet de pallier la faible visibilité et le manque de sources officielles sur ces phénomènes. visant à mettre à jour les relations entre les gays et les plages nudistes qu’ils fréquentent, ma recherche associe les observations de terrain et les témoignages, perceptions des gays et des autres publics concernés, sans chercher à masquer des détails gênants ou des pratiques illicites, et sans recommander telle action ou décision aux différents acteurs. cette recherche s’est faite en adoptant une posture tantôt impliquée, tantôt distanciée, grâce à l’utilisation de méthodes diverses. selon une démarche empirique, les méthodes testées Territorialités gays ou adoptées sont parfois issues de sciences sociales autres que la géographie, et pour cette raison sont moins couramment utilisées dans la géographie française, ou bien renvoient à des écoles de pensée ou à des conceptions différentes de la discipline. ma position est celle d’un syncrétisme méthodologique assumé. d’une part, il est attesté que l’homosexualité peut être, aussi, abordée par des méthodes éprouvées de la géographie. aux états-unis, les premières études sur les espaces de l’homosexualité ont été fondées sur des méthodes relevant de l’analyse spatiale, avec la prise en compte des localisations de commerces gays, de lieux associatifs, de résultats électoraux de candidats gays, etc. (castells, 1983). L’établissement de statistiques établies à partir de sources écrites ou de données collectées à travers des questionnaires, ainsi qu’une cartographie à base qualitative voire modélisatrice des formes de territorialisation observées sur les plages relèvent de méthodes classiques de la géographie. d’autre part, si l’on veut comprendre globalement le rapport de l’homosexualité à l’espace, il est indispensable de prendre également en compte des pratiques qualifiées d’invisibles, ce qui est difficile avec des méthodes fondées sur la seule objectivation des faits sociaux. ainsi, des méthodes inspirées de l’ethnométhodologie (observation participante, conduite d’entretiens informels) et d’autres relevant de l’approche culturelle (analyse de représentations et discours : photographies, tableaux, écrits littéraires, magazines et guides, etc.) ont été suivies. il existe des limites à l’enquête de terrain, liées aussi à l’aspect dissymétrique et artificiel de la relation entre l’enquêteur et l’enquêté, au cours des entretiens à l’aide de questionnaires en particulier. La question du rapport personnel du chercheur à son objet et sa position au cours de l’enquête de terrain ont été envisagées, y compris d’un point de vue éthique, dans le but de situer la recherche et les résultats produits. quEls apporTs sur lEs TErriTorialiTés gays ? Le chapitre iv propose un bilan sélectif et un approfondissement des recherches que j’ai menées sur les plages nudistes, principalement en europe (alle- 11 magne, Benelux, France, espagne, italie, grèce et croatie), aux états-unis et au Québec, mais également en turquie et au mexique. Les plages étudiées sont envisagées ici comme un des exemples de lieux touristiques territorialisés par les gays. La définition de ces territoires part de la singularisation d’une pratique, de surcroît liée au corps, suivant ainsi une posture encore peu répandue dans la géographie française. L’accent est mis successivement sur la place des gays dans le système des acteurs, le rôle du corps dans le marquage du territoire et la réalisation de l’identité, la fonction et le sens de ces territoires en relation avec la sexualité et le genre, en s’appuyant sur une comparaison avec les territorialités lesbiennes, enfin les relations entre ces constructions territoriales et l’espace touristique et géographique dans lequel elles s’insèrent. La territorialisation gay repose sur des tactiques de détournement de l’espace public et la mobilisation d’un capital spatial acquis avec l’expérience des lieux marginaux. Les territorialités gays plusieurs spécificités qui méritent d’être soulignées en ce qu’elles interrogent le sens du déplacement touristique: • Les territorialisations opérées dans l’espace public le sont sur la base de la recherche de l’entre-soi monosexué, ce qui est à rapprocher des notions de « bulle touristique » ou de « paradis relationnel », considérées par rachid amirou (2008) comme étant au cœur de l’imaginaire touristique, même si les territorialisations gays dont il est question ne sont pas spécifiques au tourisme. ces territorialités reposent aussi sur une circulation d’informations qui échappe aux circuits habituels: le bouche à oreille ou les sites internet spécialisés permettent de connaître et de s’approprier des lieux résiduels ou des lieux sur lesquels un compromis doit s’établir avec les autres; • L’importance du corps dénudé, la recherche de nouveaux partenaires sexuels et le remplacement des normes habituelles de comportement par des codes propres sont à la base du fonctionnement des plages gays. ces codes renvoient au relâchement des contraintes, dont on sait qu’il s’opère dans le tourisme (par rapport à l’espace-temps quotidien) et en est un des buts recherchés par les touristes. pour les gays, la recréation vacancière synonyme de libération est à la mesure des contraintes de l’univers habituel. Les come e so N° 32, décembre 2011 o 12 Territorialités gays portements transgressifs par rapport à la norme ou aux lois et les territorialisations développées dans l’espace public distinguent les gays des lesbiennes et ne montrent qu’une faible remise en cause des dissymétries de genre. Les lieux qu’ils s’approprient constituent à la fois des hétérotopies (de leur point de vue) et aussi des fragments d’antimonde compte tenu de leur caractère caché (par rapport aux autres); • il existe cependant des points communs entre les plages gays et des lieux gays urbains. L’organisation spatiale et le fonctionnement de la plage gay sont identiques à ceux des lieux de drague extérieurs. ces plages gays nudistes peuvent être considérées comme leur variante littorale. ceci n’est pas contradictoire avec leur qualité de lieu touristique puisque l’on sait que le tourisme repose largement sur un transfert d’urbanité, avec la duplication de modèles urbains (architecture, équipements, pratiques, etc.). lE TourismE gay : consTruirE lE TErriToirE, consTruirE l’idEnTiTé Les remarques précédentes conduisent à questionner le tourisme gay dans son ensemble par rapport à cette dimension identitaire, dans la mesure où les éléments habituellement mis en avant dans le tourisme tiennent plus à la qualité des lieux, à la rencontre avec l’autre (le vrai, celui qui habite toute l’année les destinations touristiques) et avec le dépaysement par rapport au cadre de vie habituel. L’aspiration à l’expression libre de son identité passe par la quête par les gays d’espaces ressentis comme accueillants, en tout cas peu contraignants. À l’échelon local, des logiques contradictoires ou plutôt complémentaires de repli et d’ouverture s’observent, organisant la séparation, surtout dans les lieux dédiés à la sexualité, ou l’intégration de l’altérité. Les quartiers à visibilité gays des grandes villes ou des stations balnéaires, dont la qualité première pour le touriste gay est l’urbanité, sont aussi l’objet d’une fréquentation touristique non spécifique et ne peuvent être considérés comme des territoires exclusifs de l’identité gay, a fortiori des ghettos. À l’échelon mondial, des logiques de réseau à base économique (entreprises du secteur touristique) ou technique (l’internet) permettent la diffusion mondiale (occidentale?) du tourisme gay, qui même si elle touche l’occident et aussi des pays du sud (thaï- eso, travaux & documents lande, indonésie, turquie, maroc, afrique du sud, mexique, Brésil, argentine, etc.) reste sélective car elle se heurte à des obstacles politiques ou culturels (Jaurand et Leroy, 2011). des métropoles, spécialement les villes dont le monde est l’horizon, et quelques stations balnéaires sont les avant-postes et les relais actifs de cette diffusion. par leur signalement dans des supports d’information à l’échelon mondial, les lieux du tourisme gay dépassent la distinction lieu local/lieu global: ils sont potentiellement fréquentés par des gays venus du monde entier. si des tendances à l’émergence d’une identité gay globale sont indéniables, largement du fait de la circulation d’images et de stéréotypes, celle-ci souffre de nombre de limites: économiques (une minorité de gays, y compris dans les pays du nord, y participe), spatiales (l’existence d’un tourisme gay voire la visibilité gay tout court restent impossibles dans nombre de pays) et culturelles (plutôt que le simple transfert d’un modèle identitaire on assiste à des recompositions nationales de l’identité homosexuelle). doit-on voir dans cette identité gay globale un sous-produit du capitalisme mondialisé? il faut signaler que la morale capitaliste a jusque récemment marginalisé l’homosexualité, et que cette dernière utilise le système économique dominant pour progresser en visibilité (gluckman et reed, 1997), selon une tactique de ruse éprouvée: c’est ce qui laisse augurer la diffusion, même non souhaitée, du tourisme gay dans les espaces les plus ouverts à la mondialisation, au prix de la fragmentation spatiale. au total, la construction contemporaine de l’identité gay passe par l’espace selon deux modalités principales: d’une part la recherche d’un ancrage territorial, même éphémère, en écho au sentiment d’être déplacé; d’autre part la mobilité, résidentielle ou touristique, pour cette dernière à travers des réseaux permettant la constitution d’une communauté gay mondiale. 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À celles-ci s’ajoutent des inégalités face à l’environnement. il s’agit d’inégalités relatives aux impacts environnementaux (positifs et négatifs) reçus par la population, ainsi que d’inégalités dans l’impact de chaque individu sur l’environnement local et global. les paradigmes encore émergents d’inégalités environnementales et d’inégalités écologiques permettent d’appréhender ces situations. pour mieux comprendre l’origine et les conséquences de ces inégalités, nous allons travailler sur un service urbain lié aux dimensions sociale et environnementale du développement durable : les déchets solides et liquides. ces objets permettent à la fois de mesurer l’impact de l’environnement sur la population, ainsi que l’impact de la population sur son environnement. ces deux types de relations ont des conséquences amenant parfois à la complémentarité ou à l’exacerbation de logiques territoriales d’inégalités. l’étude plus particulière de la ville de lima, capitale péruvienne, permettra de mettre en évidence les inégalités environnementales et écologiques face à la question des déchets. elles seront ensuite interprétées en termes de vulnérabilité, de risque et de durabilité du modèle de développement urbain . l’ensemble de ces notions se recoupent, s’opposent et se complètent. elles permettent de comprendre en quoi la gestion actuelle des déchets participe à la construction de l’espace urbain. il est ainsi possible de voir comment le 1 1- cet article est le fruit d’une recherche doctorale, soutenue en 2010 à l’université de rennes 2, sous la direction de vincent Gouéset et de robert d’ercole (ird) que je remercie ici pour leur soutien. cette thèse (durand, 2010) a été financée par l’institut Français d’etudes andines, dans le cadre d’un programme de l’institut de recherche pour le développement. la méthodologie développée s’est appuyée sur un long travail de terrain et a permis d’appliquer les notions d’inégalités environnementales et écologiques au contexte spécifique d’une ville en développement (cf. durand, 2012). - umr 6590 cnrs - université du maine sacrifice de certaines populations permet finalement au système urbain de fonctionner, en articulant échelle locale et échelle métropolitaine. I- L’étuDe Des Déchets sous L’angLe Des InégaLItés envIronneMentaLes et écoLo- gIques la manipulation des concepts d’inégalités environnementales et écologiques nécessite quelques adaptations par rapport au contexte des villes en développement, afin de nommer, d’illustrer et de démontrer des réalités pourtant bien connues. le cas liménien démontre que tant qu’elles ne sont pas reconnues en tant que telles, aucune politique publique ne cherche à lutter contre ces inégalités. d’autres auteurs ont d’ailleurs ciblé cette nécessité d’établir la réalité de ces inégalités sans quoi « les politiques ne seraient en être tenus pour responsables » (emelianoff, 2006). cette réflexion s’appuie donc sur une adaptation des définitions, puis sur une recherche d’indicateurs faisant référence à des données disponibles sur le terrain, aboutissant au constat des inégalités. Les inégalités environnementales et écologiques : des notions à définir les notions d’inégalités environnementales et écologiques cherchent donc à faire le lien entre les inégalités sociales, depuis longtemps établies et les inégalités relatives à l’environnement. de nombreux textes ont été publiés sur le sujet durant la dernière décennie. le sens de ces deux notions a été débattu dans le détail, aboutissant parfois à des divergences sémantiques importantes autour du mot « écologie ». ces deux inégalités ont parfois été confondues, d’autres fois incluses l’une dans l’autre. il semble aujourd’hui que la distinction soit bien réelle. elles permettent ainsi de différencier deux phénomènes, venant parfois s’affecter l’un l’autre. dans tous les cas, elles cherchent à établir un lien entre les dimensions sociales et environnementales du développement durable. e N° 32, décembre 2011 e s o o 16 La gestion des déchets et les inégalités environnementales et écologiques à Lima : entre vulnérabilité et durabilité nous retiendrons donc l’une des définitions qui semble la plus pertinente pour travailler l’objet « déchet » et qui permet de mesurer clairement ces inégalités en fonction d’indicateurs spatiaux précis. les inégalités environnementales expriment ainsi « l’idée que les populations ou les groupes sociaux ne sont pas égaux face aux pollutions, aux nuisances et aux risques environnementaux, pas plus qu’ils n’ont un accès égal aux ressources et aménités environnementales » (emelianoff, 2006). ces inégalités placent l’individu comme récepteur d’impacts environnementaux, positifs ou négatifs. cette réception est différenciée selon les caractéristiques socio-économiques des individus. la capacité de chacun à faire le choix de son lieu de résidence et à s’adapter aux éventuelles nuisances reçues est un facteur souvent aggravant des inégalités. les politiques publiques jouent alors un rôle très important. les inégalités écologiques complètent le concept précédent, prenant en compte les impacts de l’homme sur son environnement, c’est-à-dire dans le sens opposé aux inégalités environnementales (figure n° 1). les inégalités écologiques se fondent sur l’idée que chaque individu a un impact écologique. les modes de consommation et les modes d’habiter de chacun ont un impact sur les écosystèmes (locaux et mondiaux) en terme de prélèvement de ressources naturelles et de pollution (épuisement de la capacité auto-épuratrice du milieu). il s’agit finalement d’un impact écologique différencié selon les groupes humains. plus qu’une inégalité écologique, il s’agit ici d’une « inégalité d’impacts écologiques ». le comportement des individus induira alors sur la capacité de charge de l’environnement en y prélevant plus ou moins de ressources et en le contaminant de façon plus ou moins importante. Mettre en adéquation les définitions avec les étapes de la gestion des déchets les définitions données ci-dessus ont pour avantage de correspondre à des données déjà existantes. leur application dans une ville en développement, où les informations sont souvent éparses, incomplètes et peu nombreuses, nécessite une adaptation des théories par rapport aux données disponibles. c’est ce processus de convergence qui a permis de mesurer les inégalités environnementales et écologiques face à la gestion des déchets dans la ville de lima. Qu’il s’agisse des eaux usées ou des déchets solides, la gestion de eso, travaux & documents Figure 1 : Définition des inégalités environnementales et écologiques Environnement - Nuisances - Risques - Aménités - Ressources Inégalités environnementales Inégalités écologiques Individus récepteurs d'impacts Individus producteurs d'impacts Société Populations socialement différenciées Durand M. ©ESO Le Mans, 2011 ces services urbains correspond aux mêmes étapes techniques, qui seront mises en relation avec les éléments de la définition des deux inégalités: la production de déchets, la collecte et l’évacuation, puis enfin le traitement (stockage, élimination, valorisation). la réception de pollutions, de nuisances et de risques est alors associée à la réception de déchets. certaines populations reçoivent en effet les déchets de leur concitadins. il s’agit des déchets collectés, par les mairies ou par les circuits informels, qui terminent dans des territoires marginaux où les populations vivent de leur valorisation (recycleurs informels, agriculteurs utilisant les eaux usées) ou subissent simplement leur présence (décharge sauvage, rejet d’égout à ciel ouvert, etc.). on peut également mesurer ces inégalités en fonction de la réception d’une aménité qui est le service de propreté. tous les habitants n’ont pas accès à la même qualité de service d’enlèvement des ordures ménagères ou du réseau d’égout. il s’agit de l’indicateur relatif à la réception de l’aménité « propreté ». par ailleurs, pour mesurer les inégalités écologiques, il convient de mesurer l’impact des populations sur leur environnement; c’est-à-dire de voir quelles sont les populations qui produisent plus de déchets que les autres et qui donc produisent une source de pollution potentielle plus importante. cette donnée doit ensuite être relativisée par rapport à l’étape du traitement des déchets qui peut atténuer l’importance de la pollution. les eaux usées2 sont traitées à hauteur de 11 % à lima et les déchets solides3 de 86 %. l’impact écologique des eaux usées est donc bien plus grand que celui des déchets solides, malgré une stigmatisation souvent plus poussée de la question des ordures. 2- les chiffres concernant le traitement des eaux usées proviennent des données de l’entreprise d’eau de lima, sedapal (service d’eau potable de lima - servicio de agua potable de lima), 2005 et 2008. 3- tous les chiffres concernant les déchets solides proviennent des recensements effectués par les municipalités provinciales de lima et de callao en 2008. La gestion des déchets et les inégalités environnementales et écologiques à Lima : entre vulnérabilité et durabilité 17 Figure 2 : Inégalités environnem entales et écologiques face aux déchets à Lim a Cours d’eau Zone humide Province District Co rd ill èr e Co rd ill èr e Bâti s de s de An An s de s de Centre historique Océan Pacifique Indicateurs sociaux : les extrêmes socio-économiques Indicateurs environnementaux liés aux déchets Production ou évacuation élevée de déchets solides ou d’eaux usées Pauvreté et extrême pauvreté Populations aisées et classes moyennes-hautes Réception de déchets non traités 0 M. Durand©UMR ESO Le Mans, CNRS, 2011 10 km Sources : Apoyo, 2005 ; INEI, 2007 Le constat des inégalités environnementales et écologiques à Lima la méthodologie succinctement présentée ici a permis d’établir le constat des inégalités environnementales et écologiques face à la question des déchets à lima. la production d’eau usée et de déchets solides est ainsi nettement liée aux niveaux socio-économiques de la population. la figure 2 permet de visualiser cette corrélation. les quartiers les plus aisés sont ceux où la production de déchets est la plus importante. il s’agit des quartiers commerciaux, résidentiels aisés et du centre d’affaire de lima. la production de déchets solides municipaux dépasse les 500 kg par habitant et par an dans les quartiers aisés, alors qu’elle descend en dessous de 200 kg dans les quartiers les plus pauvres, souvent situés en périphérie. les quartiers du centre historique constituent une exception, puisque malgré une population relativement pauvre, la production de déchets est élevée du fait des activités économiques. les inégalités écologiques sont alors très marquées à lima. elles sont par ailleurs renforcées par les inégalités environnementales. cette carte permet de voir que ce sont les mêmes territoires, et donc les mêmes populations, qui sont touchés par les deux inégalités. la carto- Source : SEDAPAL, 2005 ; Municipalités, recycleurs, centres de santé, organisations agricoles, 2006-2010 graphie de l’accès au service de collecte, est presque la même que celle de la production de déchets. plus le quartier est aisé, plus le taux de collecte des déchets est important. cette corrélation peut en partie être attribuée aux politiques publiques mises en place, ainsi qu’à des logiques plus structurelles de construction et de fonctionnement de l’espace urbain. ainsi, dans les quartiers aisés, plus de 98 % des déchets solides et 100 % des eaux usées4 sont collectés et évacués. alors que dans les périphéries populaires, ces chiffres oscillent autour de 80 % pour les déchets solides et 40 % pour les eaux usées5. enfin, la figure 26 permet de localiser l’ensemble des secteurs de la ville recevant les déchets non traités. il 4- les chiffres relatifs au service de collecte des eaux usées proviennent du recensement de population et du logement de l’inei (institut national de la statistique et de l’informatique – instituto nacional de estadística e informática) de 2007. 5- les districts grisés du nord et du sud de la carte de droite sont des stations balnéaires, ayant une grosse production de déchets l’été. 6- l’ensemble des données représentées sur cette carte est la synthèse d’une importante base de données spatialisées. la situation des eaux usées et des déchets solides est légèrement distincte; elle correspond cependant aux mêmes logiques synthétisées sur ces cartes. e e so N° 32, décembre 2011 o 18 La gestion des déchets et les inégalités environnementales et écologiques à Lima : entre vulnérabilité et durabilité s’agit des égouts de sedapal rejetant directement les eaux usées, des zones agricoles irriguant avec des eaux usées, des décharges sauvages ou encore des quartiers où s’effectue le recyclage informel. ces trois principaux secteurs sont les périphéries populaires aux logements auto-construits du nord, de l’est et du sud de lima (Hidalgo, 1999). Quelques petits quartiers reçoivent également les déchets dans le péricentre, assurant une fonction de réception et de traitement depuis le début de la création de la ville. il s’agit de poches de pauvreté et de marginalité au cœur de la ville, ayant une utilité sociale bien spécifique (sierra, 2009). l’ensemble de ces éléments permettent de faire le constat des inégalités environnementales et écologiques à lima. les deux se cumulent généralement pour venir affecter les mêmes populations et les mêmes territoires. II- expLIquer Les InégaLItés par Les DIfférentIeLs De vuLnérabILIté et Les transferts De rIsques le constat de l’existence d’inégalités environnementales et écologiques relatives aux déchets dans une ville, peut être analysé à partir de plusieurs logiques. elles ont notamment à voir avec les déplacements de déchets opérés, souvent en lieu et place d’un véritable traitement. la géographie des déchets permet ainsi de comprendre comment ces inégalités naissent, fonctionnent et évoluent. Les déchets comme source de risques « Désormais nous ne souffrons plus seulement de l’encombrement, mais, avec les ordures, naît le danger; c’est pourquoi, on s’emploie à les ramasser pour les enfouir et nous en protéger; nous gagnons aussi à les éloigner de notre vue (la saleté révulse) » (Dagognet, 1997) cette citation met en avant la notion de « danger » liée aux déchets. pour gérer ce danger, la plupart des sociétés ont tout d’abord mis les « déchets hors des cités », choisissant « l’exode comme principe d’élimination des déchets » (perrin, 2004). l’objectif est alors d’éloigner les nuisances pouvant affecter les populations et leur environnement proche. il s’agit de limiter les risques sanitaires et environnementaux affectant directement les habitants d’un territoire ou les ressources nécessaires à leur survie. les termes polysémiques de nuisances et de risques sont ici utilisés pour qualifier eso, travaux & documents une pollution diffuse, ce qui n’a rien à voir avec un aléa fruit d’une catastrophe ponctuelle et exceptionnelle. les déchets sont ainsi source de nuisances, parfois comparées à des « aléa-stress » (turner et al., 2003), c’est-àdire qui « exerce une pression continue sur le système, mais dont la variabilité est limitée » (aschan-leygonie et Baudet-michel, 2007). les risques relatifs aux déchets correspondent à la probabilité d’une population d’être affectée par la nuisance, également comprise comme l’aléa-stress. cette probabilité dépend en partie de la vulnérabilité des populations; vulnérabilité elle-même accrue par la présence de déchets. il s’agit d’une « vulnérabilité sociale » ou « vulnérabilité différentielle » qui suppose que certains individus sont « plus vulnérables que d’autres parce qu’ils n’ont pas les moyens (en général financiers, mais aussi culturels, technologiques, voire physique) de se prémunir aussi bien que d’autres, mieux lotis de ce point de vue, contre les aléas » (Galland, 2009). de façon plus large, il s’agit de la « vulnérabilité urbaine » qui « n’est pas seulement la susceptibilité à subir des dommages, mais aussi la propension de la société urbaine à les engendrer » (d’ercole et al., 2009). la vulnérabilité urbaine s’applique à un périmètre plus étendu que la seule vulnérabilité des populations. Les transferts de risques engendrent les inégalités une fois cette relation entre le risque et les déchets établie, on observe qu’en l’absence de capacités de traitement des déchets, la politique mise en œuvre pour les gérer est de déplacer la nuisance. l’étape technique du transport des déchets aboutit à ce déplacement. or ce déplacement ne se fait pas de façon aléatoire. il est le résultat d’une vulnérabilité différenciée des populations. celle-ci s’exprime dans ce cas par la capacité à se défaire des déchets, c’est-à-dire l’accès ou non au service public de collecte. une population dont les institutions ont mis en place un service public de propreté, diminue sa vulnérabilité par rapport aux déchets. elle a alors utilisé des ressources collectives pour ne plus être exposée aux nuisances et aux risques. au contraire, les populations recevant les déchets n’ont pas la capacité de les évacuer dans de bonnes conditions. elles vivent de la valorisation des déchets (recyclage informel de déchets solides, agriculteurs La gestion des déchets et les inégalités environnementales et écologiques à Lima : entre vulnérabilité et durabilité cartographier et modéliser les transferts de risques à Lima a lima les transferts de risques s’effectuent entre d’une part les quartiers du centre et de la ville moderne, d’autre part les périphéries éloignées et les zones périurbaines, là où l’agriculture côtoie les zones urbaines. il s’agit donc d’une logique centre/périphérie ou encore quartiers aisés/quartiers pauvres. certains quartiers très spécifiques du péricentre ont également cette fonction de réception des déchets. les solutions trouvées pour la gestion des déchets sont d’ailleurs très souvent « essentiellement spatiales » (Bertrand, 2003). les cours d’eau et les côtes sont parmi les principaux territoires affectés. l’analyse effectuée sur les déchets de lima permet de mettre en place une typologie des quartiers affectés par le transfert de risque (cf. figure n° 3). les premiers ont la capacité d’évacuer leurs déchets grâce à un bon accès aux services urbains. ils représentent aujourd’hui la majorité des quartiers de lima. ces populations sont à court terme peu exposées aux nuisances. les seconds n’ont pas accès aux réseaux de collecte des déchets. ils n’ont donc pas la capacité de réduire leur vulnérabilité puisque les populations sont exposées aux nuisances de leurs propres déchets. enfin les troisièmes cumulent la « non » évacuation de leurs déchets, avec la réception des déchets provenant du N Cor dill èr e d s de An populations réceptrices. le transfert de risques7 est constitutif des inégalités environnementales et écologiques, puisqu’il les construit et les renforce. Figure 3 : Schématisation des déplacements de déchets et des transferts de risques à Lima es réutilisant les eaux usées) ou pâtissent de la proximité de dépotoirs (rejets d’égouts, décharge sauvage, etc.). outre le fait de recevoir les déchets des autres, ces populations n’ont la plupart du temps pas la capacité d’évacuer leur propre production. c’est-à-dire qu’elles n’ont pas accès aux réseaux publics de collecte. les deux nuisances viennent alors se cumuler. les nuisances sont donc déplacées, en fonction d’une vulnérabilité différenciée des populations. c’est cette conjonction entre la nuisance (« aléa-stress ») et la vulnérabilité des populations, qui aboutit à un constat de risque. les populations recevant les déchets et n’ayant pas elles-mêmes accès aux services de collecte sont exposées aux risques environnementaux, sanitaires, etc. plus que toutes autres. les risques sont ainsi transférés des populations productrices de déchets vers les 19 Océan Pacifique Zone urbanisée Cours d’eau Zone humide Différentiel de vulnérabilité production et évacuation de la nuisance Quantité de déchets produits et taux de collecte : élevé moyen faible Réception de nuisance Réception massive pour transfert ou évacuation Réception diffuse pour valorisation ou élimination Elimination contrôlée par les autorités Dynamique de transfert de risque Principaux flux de déchets Sources : APOYO, 2005, organisations agricoles, INEI, 2007, DIGESA, 2008, Municipalités, recycleurs, centres de santé, travail de terrain, 2006-2010 Durand M. ©ESO Le Mans, 2011 reste de la ville. les populations les plus vulnérables face aux déchets y vivent. le transfert de risques permet d’appréhender une situation de cumul des inégalités environnementales et écologiques. les populations les plus aisées sont celles qui produisent le plus d’impacts potentiels sur l’environnement, sources d’inégalités écologiques. ces impacts sont relativisés lorsque le traitement permet la disparition totale des déchets (enfouissement contrôlé, station d’épuration, etc.). or ces mêmes populations sont celles qui ont la capacité de réduire leur vulnérabilité (accès au service public); il s’agit de la réception d’aménités inhérentes aux inégalités environnementales. au contraire, les individus les plus défavorisés socialement ont un impact limité sur l’environnement global (production plus faible de déchets), quand ils reçoivent l’essentiel des nuisances. cette situation fait donc que les inégalités écologiques et les inégalités environnementales se cumulent pour aboutir à une vulnérabilisation accrue des populations les plus marginalisées. e e so o N° 32, décembre 2011 20 La gestion des déchets et les inégalités environnementales et écologiques à Lima : entre vulnérabilité et durabilité III- vuLnérabILIté et DurabILIté : une reLa- tIon aMbIguë D’opposItIon et De coMpLéMentarIté valoriser les déchets pour aller vers plus de durabilité les éléments abordés jusqu’à présent envisageaient les déchets comme des nuisances venant vulnérabiliser les populations. or la gestion des déchets peut également avoir des effets environnementaux et économiques positifs. il s’agit de leur valorisation. celleci est pour le moment essentiellement réalisée dans de mauvaises conditions sanitaires, environnementales et sociales à lima, puisqu’elle est la plupart du temps illégale. elle est malgré tout la seule pratique permettant de réduire l’impact de la ville sur son environnement. les circuits d’acteurs informels effectuent une valorisation importante à lima. entre 10 et 15 % des volumes d’eau usée et de déchets solides municipaux sont recyclés et réutilisés, ce qui participe à la réduction de l’impact écologique de la ville. au contraire, la solution prônée par les pouvoirs publics, à savoir la simple élimination des déchets (centre d’enfouissement ou station d’épuration) ne permet que de limiter la dégradation de l’environnement en supprimant la nuisance. elle ne permet pas de rattraper les dommages provenant du prélèvement des ressources naturelles. la valorisation des déchets prend donc davantage en compte les préoccupations de durabilité du système urbain en limitant son empreinte écologique. la gestion des déchets ne permet cependant pas d’aller vers un réel développement durable à lima, puisque ses dimensions sociales et environnementales ne sont pas prises en compte de la même façon. le développement urbain durable suppose en effet une gestion harmonieuse de la ville, « qui a pour autre ambition de trouver des compromis acceptables entre les objectifs – a priori opposés – du développement urbain (l’économique, le social, et l’écologique) » (emelianoff et theys 2000). la gestion des déchets sous l’angle de la ville durable implique alors d’équilibrer la protection de l’environnement, avec les besoins sociaux d’accès à un service public, et la stabilité économique de leur fonctionnement. or la prise en compte de la dimension environnementale des déchets (valorisation) à lima se fait au détriment de certaines populations et favorise donc les inégalités. sans aller vers un modèle de ville eso, travaux & documents durable, la gestion actuelle des déchets contient toutefois des éléments positifs à ne pas négliger, permettant d’aller vers une certaine durabilité par rapport à l’environnement de la métropole. il s’agit des pratiques informelles de valorisation des déchets. le modèle actuel est source de nombreux risques et inégalités, il ne faut pas pour autant le rejeter dans son intégralité, puisqu’il permet au système urbain de fonctionner, tout comme il permet de tirer un certain profit (économique et environnemental) d’une partie des déchets. vulnérabilité sociale locale contre durabilité environnementale métropolitaine la collecte et l’évacuation des déchets, bénéficiant aujourd’hui à la majorité de la population, permettent d’offrir un environnement local relativement sain à une grande partie des habitants de lima. or cette propreté locale n’est pas synonyme de protection environnementale, car une grande partie des déchets est évacuée sans traitement. la propreté locale se fait donc au prix d’une pollution déplacée à un autre endroit. c’est la conséquence des transferts de risques. malgré cette pollution, d’autres pans de la gestion des déchets permettent de prendre en compte la dimension environnementale du développement durable: leur valorisation. celle-ci se fait au prix d’une grande vulnérabilité des travailleurs des déchets. les populations affectées par les risques au niveau local sont celles qui agissent dans le sens d’une meilleure prise en compte de l’environnement à l’échelle métropolitaine. l’action de ces recycleurs et de ces agriculteurs permet de limiter l’impact écologique des habitants de la ville, tout en mettant en danger leur propre santé. la prise en compte de la dimension environnementale du développement durable se fait donc à lima au détriment de sa dimension sociale, venant accroître les inégalités environnementales et écologiques. la gestion des déchets ne permet pas d’aller vers un modèle de ville durable, car elle met en opposition ses volets sociaux et environnementaux. la gestion des déchets à lima permet tout de même d’améliorer les conditions de vie de la majorité de la population, parmi laquelle certaines populations pauvres. ceci se fait cependant en concentrant les risques sur les populations les plus vulnérables, venant accentuer les inégalités. ces populations sont d’ailleurs très peu conscientes du caractère La gestion des déchets et les inégalités environnementales et écologiques à Lima : entre vulnérabilité et durabilité 21 Figure 4 : Les échelles de la vulnérabilité et de la durabilité dans les circuits de gestion des déchets Elimination formelle des déchets sans valorisation Populations ayant accès au service de collecte des déchets Accès au service d’évacuation des déchets Population non vulnérable Population vulnérable Positif Valorisation formelle des déchets Valorisation informelle des déchets Populations n’ayant pas accès au service de collecte des déchets Techniques de traitement des déchets Sans risque au niveau local Avec risque au niveau local Déplacement de déchets : diminution des risques locaux Déplacement de déchets : transfert des risques Impacts du traitement des déchets Vers plus de durabilité : valorisation des déchets Vers moins de durabilité : les déchets affectent l’environnement Echelle locale Traitement des déchets Rejet de déchets (formel et informel) sans traitement Neutre Echelle locale Collecte des déchets Négatif Echelle métropolitaine Impact environnemental Non affectation de la durabilité : absence de pollution et de valorisation Rétroactions de l’échelle métropolitaine vers l’échelle locale Durand M. ©ESO Le Mans, 2011 bénéfique de leur action à l’échelle métropolitaine. ils sont encore très souvent stigmatisés comme vivant dans des conditions d’insalubrité et d’informalité. les recycleurs revendiquent de plus en plus ce caractère d’intérêt public de leur action, contrairement aux agriculteurs réutilisant les eaux usées. la figure n° 4 permet de systématiser cette relation entre la prise en compte de l’environnement sous l’égide des politiques de développement durable et la vulnérabilité des populations. on observe alors une distinction et une articulation entre les échelles locales (le quartier) et métropolitaines. les populations vivant dans certains quartiers sont, comme observé précédemment, plus vulnérables que d’autres. ce schéma cherche à illustrer la relation entre les quartiers en question (l’échelle locale) et les logiques à l’œuvre à l’échelle de la ville de lima. celles-ci ont des effets différenciés sur l’environnement, en le contaminant (absence de traitement) ou au contraire en limitant l’empreinte écologique des populations (le recyclage). située au point intermédiaire entre les deux points précédents, l’élimination des déchets est considérée comme neutre, puisqu’elle annule l’impact des déchets sans pour autant les valoriser. cette figure met en avant le fait que seules deux techniques de traitement permettent de limiter les conséquences sur l’environnement métropolitain: la valorisation formelle et la valorisation informelle. or la valorisation formelle est quasiment inexistante à lima, même si quelques expériences commencent à se développer. l’essentiel se fait pour le moment à travers les acteurs informels, agissant la plupart du temps dans de mauvaises conditions sanitaires, environnementales et sociales. le principal circuit aboutissant à une prise en compte de la dimension environnementale du développement durable passe donc par une situation de risque local très élevé. c’est-à-dire que les populations et les quartiers stigmatisés pour leur insalubrité, sont en réalité quasiment les seuls agissant pour améliorer la qualité de l’environnement urbain. il y a alors une forte contradiction entre les impacts négatifs subis par ces populations, et l’intérêt de leur action pour la société urbaine. conclusion l’étude de la gestion des déchets solides et des eaux usées dans une ville en développement telle que lima, permet de montrer qu’ils sont source d’inégalités e e so N° 32, décembre 2011 o 22 La gestion des déchets et les inégalités environnementales et écologiques à Lima : entre vulnérabilité et durabilité environnementales et écologiques. celles-ci sont analysables à travers des logiques de transferts de risques et de différentiels de vulnérabilité. il est ainsi possible de mieux comprendre comment fonctionne l’espace urbain, comment il se construit et en quoi l’action sur un point précis du cycle des déchets peut avoir un impact important sur l’ensemble de la ville. par ailleurs, ces transferts de risques montrent que la ville fonctionne grâce au sacrifice de certains territoires et de certaines populations y vivant. Jean-rené Bertrand parle de « géographie des espaces sacrifiés » (Bertrand, 2003) pour caractériser les espaces qui, à leur détriment, ont de tout temps permis le fonctionnement des sociétés urbaines en gérant notamment les déchets. la limitation des impacts environnementaux provenant des déchets, c’est-à-dire la meilleure prise en compte de la dimension environnementale du développement durable, se fait en réalité grâce à l’action des populations les plus vulnérables et les plus pauvres, qui recyclent les déchets solides et réutilisent les eaux usées. les autorités et les populations tiennent la plupart du temps ces populations pour responsables du manque de propreté, alors qu’elles agissent en réalité pour une meilleure préservation des ressources et une meilleure évacuation des déchets en ville. de plus en plus d’acteurs, au sein des onG, des associations ou de certaines municipalités, ont toutefois fait le constat de ce paradoxe entre des pratiques permettant au système de fonctionner et la grande vulnérabilité de certaines populations. ils tentent alors d’organiser une collaboration (illégale) entre les acteurs formels et informels. ce genre d’action peut mener à terme à une réduction des inégalités et à une meilleure articulation entre les dimensions sociales et environnementale du développement urbain durable. bibliographie • ascHan-leYGonie christina, Baudet-micHel sophie, 2007, les différenciations interurbaines de santé respiratoire: une mesure par les hospitalisations, dans pumain denise et mattei marie-Flore, Données urbaines, paris: anthropos, p. 349-367. • Beccera sylvia, peltier anne, 2009, Risques et environnement: recherches interdisciplinaires sur la vulnérabilité des sociétés, paris: l’Harmattan, 575 p. • Bertrand Jean-rené, 2003, De la décharge à la déchetterie, question de géographie des déchets, rennes: pur, 170 p. • d’ercole robert, metZGer pascale, 2009, los mecanismos de transmisión de vulnerabilidad en el medio urbano, primeros 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distribution socialement différenciée des habitants dans la ville, est transversale aux disciplines des sciences sociales qui se préoccupent des formes spatiales engendrées par les inégalités sociales (brun, rhein, 1994; préteceille, 1995; Fourcaut, 1996; Haumont, 1996). classiquement, la division sociale de l’espace est appréhendée suivant les professions et catégories sociales (pcs), cette catégorisation se rapprochant le plus de la structuration en classes d’une formation sociale capitaliste (desrosières, thévenot, 1986). L’introduction de la question migratoire dans ce champ d’étude suggère d’étudier comment s’opèrent les rapports entre la structuration d’une société capitaliste de réception et des systèmes migratoires2 composés d’hommes et de femmes porteurs de leur formation sociale d’origine. déjà dans les années 1920, l’école de chicago interrogeait l’impact de l’immigration sur l’organisation sociale et spatiale de la ville hôte (Grafmeyer, Joseph, 1990; Wirth, 1928). La question de la distribution spatiale des minorités et des immigrés dans la ville s’est d’abord développée dans la sociologie urbaine aux états-unis puis en europe occidentale, tant en fonction de l’histoire sociale de ces pays-continents que du développement de l’information statistique (peach, 1975; petsimeris, 1995). 1 thèse soutenue le 11 décembre 2010 à l’université de caen-basse normandie. direction : m. petros petsimeris, professeur de géographie. composition du jury : m. Jeanrené bertrand (professeur émérite de géographie, université du maine, rapporteur), m. sergio conti (professore ordinario, università degli studi di torino, rapporteur), m. marco costa (professore ordinario, università di trento), m. Jean-marc Fournier (professeur de géographie, université de caen-basse normandie), m. robert Hérin (professeur émérite de géographie, université de caen-basse normandie), m. petros petsimeris (professeur de géographie, université de paris i panthéon-sorbonne, directeur de thèse). L’intégralité de la thèse ainsi que le cd-rom des annexes sont disponibles sur HaLsHs : http://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00559858/fr - umr 6590 cnrs - université de caen-basse normandie depuis la fin du XXe siècle, les migrations internationales se caractérisent tant par une augmentation des flux que par la diversification des systèmes migratoires (castles, 2000; simon, 2008). L’objectif de cette thèse a été d’étudier la distribution de l’immigration dans une région, la toscane, qui fait partie de la “troisième italie” du centre et du nord-est de la péninsule, et dont le développement économique est basé sur un réseau dense de petites et moyennes entreprises constituées en districts industriels ainsi que sur la flexibilité du travail, entre le modèle du nord-ouest de l’industrie de type fordiste, et le mezzogiorno capitalistiquement sous-développé (bagnasco, trigilia, 1993). L’intérêt de cette région est qu’elle présente nombre de caractéristiques de l’économie post-fordiste émergente, et peut constituer le modèle vers lequel tend le mode de production capitaliste. La capitale régionale, Florence, a été l’objet d’une attention particulière en tant que pôle économique ainsi que comme pôle d’attraction de l’immigration en toscane. dans le contexte post-fordiste de restructuration du capital, quelle est la traduction spatiale de l’immigration dans cette région et dans sa capitale? Les hypothèses de recherche sur lesquelles se base cette thèse, sont les suivantes: • avec l’avènement du post-fordisme, les mutations économiques et sociales exacerbent la ségrégation au sein de la division sociale de l’espace (mingione, 1998); • les logiques de distribution spatiale des populations migrantes s’opèrent suivant le paradigme d’« immigration post-fordiste » du sociologue italien e. pugliese (2002); • en tant qu’espace central des populations immi- 2- en complément de Zanfrini (2007, p 110), nous définissons le système migratoire comme un ensemble comprenant les formations sociales de provenance et d’arrivée (contexte économique et politique, statut et droits de l’étranger), ainsi que les caractéristiques des populations migrantes qui entrent en jeu dans le processus de migration (histoire, chaîne, régime, projet, modalités, etc.). e e so N° 32, décembre 2011 o 26 Migrations et division sociale de l’espace en Toscane : structures et dynamiques grées sur les plans résidentiel et économique, la grande ville est un creuset où la division sociale de l’espace rend compte de leur insertion dans l’économie urbaine ; • les échelles spatiales permettent l’articulation entre d’une part l’insertion de la population immigrée dans la division structurelle de la formation sociale, et d’autre part le jeu des caractéristiques particulières entre communautés étrangères et sociétés locales. plusieurs sources d’informations ont été utiles. en premier lieu, la nécessité d’une bibliographie importante s’est imposée tant pour la réflexion théorique que pour cerner le contexte social et économique italien et toscan. il nous semblait également indispensable de consulter les études scientifiques issues aussi bien de la recherche universitaire que des divers organismes transalpins. il était aussi essentiel de comprendre le contexte politique, juridique et économique de la “question de l’immigration” en italie. en deuxième lieu, diverses sources statistiques de l’istat (istituto nazionale di statistica), de l’irpet (istituto regionale di programmazione economica della toscana), de la région toscane et de l’ufficio statistica de Florence – ont été utilisées suivant les objectifs et les échelles d’étude. récemment développée, la base de données en ligne http://demo.istat.it nous a été d’un grand secours afin de disposer des données sur l’évolution et la répartition des nationalités étrangères en italie de l’échelle nationale à l’échelle communale. en troisième lieu, la fréquentation du terrain s’est déroulée sous différentes formes. un travail photographique a servi à rendre compte de l’évolution urbaine de Florence depuis le XiXe siècle. L’observation participante et des entretiens auprès de personnes-ressources ont permis d’obtenir des informations sur les mutations économiques et sociales des quartiers. cette méthode a aussi été nécessaire pour traiter de la situation des roms dans la ville. sans parler d’une enquête par questionnaire (200) sur un marché touristique du centre-ville de Florence afin d’étudier les migrants dans un espace de travail localisé. eso, travaux & documents l’iMMigraTion Dans le conTexTe posT-ForDisTe comme l’a révélé le recensement général de la population de 1981, l’italie est devenue un pays d’immigration après avoir été longtemps un pays d’émigration (barsotti, Lecchini, 1993). en outre, cette immigration en provenance de pays plus pauvres a dépassé les migrations inter-régionales du mezzogiorno vers le nord industriel de la péninsule. de 356000 en 1991 (soit 0,6 % de la population totale), le nombre d’étrangers résidents3 est passé à 1,4 million en 2001 (2,3 %) et à 3,8 millions en 2008 (5,8 %). cet afflux récent de population, qui est commun aux autres pays de l’europe méditerranéenne, se caractérise cependant par une variété des systèmes migratoires qui se sont développés à des rythmes inégaux des années 1990 aux années 2000: une immigration “traditionnelle” en provenance du maghreb a été dépassée par les flux d’europe orientale (albanais puis roumains), tandis que s’affirmaient des flux inter-continentaux aux caractéristiques spécifiques (chinois, philippins). diversification et allongement des provenances, importance croissante de l’europe orientale, raison de travail ou familiale, féminisation, sont parmi les caractéristiques de la nouvelle situation migratoire en fonction des populations considérées (caritas, 1997, 2004). en premier lieu, la répartition territoriale des populations immigrées suit la division de la péninsule: elle obéit aux grands déséquilibres économiques entre le nord industriel et le mezzogiorno. ainsi, la Lombardie, région la plus riche d’italie, concentre un quart de l’immigration de la péninsule. en second lieu, cette distribution présente aussi des particularités suivant les systèmes migratoires, entre diffusion territoriale et concentration urbaine. on peut en effet distinguer plusieurs facteurs de distribution des populations immi3- Les étrangers résidents sont ceux qui sont officiellement enregistrés sur les états civils des communes. Les chiffres de l’istat sont principalement fondés sur cette catégorie. La question du dénombrement des étrangers en italie doit tenir compte des sources utilisées (p. ex. le ministère de l’intérieur comptabilise les permis de séjour) ainsi que de l’importance de l’immigration irrégulière (avec tous les cas que concerne ce terme). il est convenu d’ajouter 20 à 25 % aux “résidents” pour s’approcher des chiffres des “présents”, ce qui est par ailleurs loin de corroborer les discours d’« invasion ». paradoxalement, c’est à l’occasion des lois de régularisation collective (1998 et 2002 pour les dernières) qu’est révélée l’immigration présente sur le sol italien. Migrations et division sociale de l’espace en Toscane : structures et dynamiques grées sur le territoire italien: 1) l’effet de localisation (proximité avec le pays d’origine, division fonctionnelle du territoire, caractéristiques du marché du travail régional); 2) l’effet de communauté (âge de la migration, caractéristiques démographiques du migrant, régime migratoire, raison de la migration, projet migratoire, spécialisation professionnelle); 3) l’effet politicojuridique (détention du permis de séjour, reconnaissance des acquis). malgré des lois sur l’immigration de plus en plus répressives, malgré un climat politique de plus en plus hostile, le marché du travail italien se caractérise par un besoin vital de main-d’œuvre étrangère dont la raison la plus importante ne repose pas tant sur la crise démographique4 que sur la structuration du marché du travail (macioti, pugliese, 1991, 2003). La segmentation du marché du travail assigne en effet une place subalterne aux immigrés, dont les emplois se caractérisent par les “5 p”: precari, pesanti, pericolosi, poco pagati, penalizzanti socialmente5. depuis les années 1990, les lois sur l’immigration, combinant paradoxalement volonté répressive et régularisations massives (entre 634000 et 647000 régularisés par la “loi bossi-Fini” de 2002), se succèdent pour répondre aux besoins du marché secondaire. L’imbrication des obstacles au titre de séjour – conformément à l’évolution de la législation sur l’immigration de l’union européenne – qui s’appuie sur une économie informelle structurelle entretient l’éloignement des immigrés vis-à-vis des droits communs (droits du travail, au logement, etc.) dans un système de vulnérabilisation (Quassoli, 1999; reyneri, 1998; berti, 2003). L’« intégration subalterne » des immigrés, c’està-dire l’emploi sans les droits, est cohérente avec la nécessité d’accroissement de l’exploitation du contexte post-fordiste (ambrosini, 2003). ce phénomène est par exemple illustré par le développement d’une “économie métropolitaine” d’aides soignantes à domicile, une main-d’œuvre féminine, étrangère, non déclarée, princi- 27 sence de l’état social (colombo, 2003; tognetti bordogna, 2003); nous avons appelé les groupes nationaux correspondant à ce profil “communautés urbaines”. La segmentation du marché du travail, l’image socio-symbolique attachée à certains groupes d’une part, et les chaînes migratoires, les réseaux de recrutement, la division sexuelle et tout caractère propre aux communautés considérées d’autre part, font système afin de déterminer la spécialisation professionnelle des migrants (colasanto, ambrosini, 1993). À l’échelle de la toscane, l’articulation entre la division économique territoriale et le travail immigré confirme les modèles d’emploi de la main-d’œuvre immigrée de m. ambrosini (2001, p. 76; 2008, pp. 6970). La toscane a été particulièrement étudiée par les économistes (becattini, 1975) et les sociologues (bagnasco, trigilia, 1993) pour son développement endogène reposant sur l’industrialisation légère des districts industriels, ayant mobilisé une variété d’acteurs et d’institutions (famille) ancrés localement. La distribution de la population immigrée dans la région suit celle de la population nationale et de la richesse économique: de Florence à la mer tyrrhénienne, le nord de la région concentre la plus grande partie de la population immigrée (cf. carte 1)7. suivant le secteur d’activité, le sexe et le statut du travail, les différentes communautés immigrées se distribuent principalement entre le modèle de l’industrie diffuse du valdarno et celui de l’économie métropolitaine de Florence (Giovani, valzania, 2004; Giovani, savino, valzania, 2005) (cf. tabl. 1). La question des rapports entre migration et travail dans la grande ville a été analysée par le biais d’une enquête par questionnaire et des entretiens auprès des vendeurs d’un marché touristique du centre de Florence, le marché san Lorenzo8 (cf. photo 1). il s’agit d’un espace de travail cosmopolite où les deux tiers des vendeurs sont étrangers. Les caractéristiques démographiques et migratoires témoignent tout d’abord du contraste entre les vendeurs-employeurs florentins et palement dans les grandes villes6, compensant l’ab4- baisse de la population en âge de travailler, vieillissement de la population nationale et une baisse de la natalité. 5- emplois précaires, fatigants, dangereux, mal payés, socialement pénalisants. 6- un créneau traditionnellement occupé par les philippines (via les réseaux catholiques), mais de plus en plus par les ukrainiennes, moldaves, roumaines, qui sont de surcroît une main d’œuvre moins chère. 7- nous avons eu recours au découpage régional en quarante-deux s.e.L. (systèmes economiques Locaux) proposés par l’irpet car ils présentaient une meilleure homogénéité territoriale que les provinces (dix) et parce qu’ils correspondent aux bassins d’emploi et de vie, proposant une certaine cohérence sociale à la division territoriale. 8- ce travail de terrain a eu lieu en 1999, sur un marché où je travaillais. 233 vendeurs ont été abordés, 183 (78,5 %) ont accepté de répondre au questionnaire. deux visites en 2005 et en 2010 ont permis d’apprécier les évolutions (entretiens ciblés). e e so N° 32, décembre 2011 o 28 Migrations et division sociale de l’espace en Toscane : structures et dynamiques Carte 1 : Etrangers résidents de Toscane en 2007 Une distribution de l’immigration conforme à la structure économique et démographique de la Toscane Nombre d'étrangers résidents en 2007 Milan 56 000 28 000 Florence Florence Toscane 5 600 Rome SEL aire urbaine de Florence : 55 065 étrangers résidents 20% de l'immigration régionale 200 km Prato Florence Pise Systèmes Economiques Locaux figures de vendeurs d’étrangers ressortent : le patron iranien ayant une stratégie conquérante sur le marché s. Lorenzo, et la commise mexicaine mêlant études et travail pour l’été. La sphère du travail est en perpétuel mouvement tant du fait de la mobilité des commis dont les logiques migratoires et de présence sont diverses, que de la dynamique de substitution des employeurs, les patrons iraniens remplaçant progressivement les Florentins. si cette étude permet d’étudier les rapports entre héritages locaux et dynamiques globales, entre division internationale du travail et les marchés du travail très localisés, on signalera d’une part que la structure de l’immigration du marché ne correspond pas à celle de la ville ou de la province de Florence (où les chinois et les marocains étaient alors les plus nombreux), et d’autre part que le tableau ne peut être que fugace : lors de nos visites en 2005 et en 2010, nous avons constaté que d’autres populations s’affirment (chinois et indopakistanais), accentuant le caractère cosmopolite de ce marché. cet espace de travail localisé met en évidence la fonction de creuset migratoire de la ville, en tant qu’espace privilégié, de concentration et de diffusion des flux migratoires. 20 km la ville coMMe creuseT MigraToire David Frantz©UMR ESO, Caen, 2011 Source : ISTAT, 200 les vendeurs-commis étrangers : ces derniers sont plus nombreux, plus jeunes, de niveau scolaire plus élevé, et ayant par définition un rapport plus instable avec ce lieu de travail. Les divers aspects de la division du travail s’imbriquent cependant avec la diversité et l’hétérogénéité des trajectoires migratoires des différents groupes de vendeurs étrangers. deux Quel(s) rapport(s) entre immigration et dynamique urbaine ? comment de nouvelles populations s’insèrent-elles dans la périurbanisation ? en premier lieu, les données de l’istat montrent qu’au niveau national les étrangers suivent et participent à la redistribution générale de la population résidente du centre vers la périphérie urbaine. en outre, depuis les années 1980, le développement urbain et démographique des com- Table 1 : application des modèles territoriaux du travail immigré de M. ambrosini à la Toscane Modèle espace secteur activité sexe travail irrégulier de l’industrie diffuse valdarno petite industrie, bâtiment hommes variable de l’économie “métropolitaine” Florence pise Lucca tertiaire inférieur, domesticité, soins à domicile femmes significatif nationalités albanais marocains roumains philippines sri Lankaises péruviennes David Frantz, ESO-Caen, 2011 eso, travaux & documents Migrations et division sociale de l’espace en Toscane : structures et dynamiques Photo 1 : Les comptoirs du Marché San Lorenzo cliché DF février 2005 munes environnantes de Florence, couplé à son déclin démographique9, aux mutations économiques et à l’augmentation des mobilités résidentielles, place la capitale régionale en phase de périurbanisation dans le cycle de vie urbain10., conformément à la dynamique urbaine observée dans les grandes villes de la péninsule (sforzi, 1992 ; dematteis, 1993). cette mobilité inter-communale du chef-lieu de région vers le reste de la région est surtout valable pour les villes du nord et du centre, alors que prédomine, pour les étrangers dans le mezzogiorno, une mobilité inter-régionale en lien avec les déséquilibres territoriaux de la péninsule. Le deuxième constat est que la polarisation territoriale des immigrés, c’est-à-dire leur part dans la ville au regard du reste du territoire, est plus importante que ne l’est celle de la population totale : comme cela a été vérifié pour la toscane, on peut dire que la distribution spatiale des immigrés est centrée sur la grande ville, et que la périurbanisation de cette population a lieu avec un temps de retard par rapport à la dynamique générale. en troisième lieu, il y a une spécialisation complexe des villes suivant les groupes nationaux, la périurbanisation les mobilisant de manière différenciée en fonction de leurs caractéristiques propres (histoire des systèmes migratoires, ancienneté de présence) et de la géographie du marché du travail local. sauf spécialisation fonctionnelle urbaine (cas des “communautés urbaines”), la ville est le lieu de concentration temporaire et de diffusion territoriale des populations 9- au recensement de 2001, la commune de Florence comptait 356 100 habitants alors que ce nombre était de 457 800 à son apogée en 1971. au 1er janvier 2011, Florence compte 371 282 habitants résidents (istat). 10- L’échelle spatiale de ces mutations nous a obligé à prendre pour terrain d’analyse l’aire urbaine Florenceprato-pistoia (bortolotti, de Luca, 1991). 29 immigrées au fil des vagues migratoires, des groupes désormais “historiques” (marocains) aux plus récents (roumains). dans les années 2000, Florence compte le plus grand nombre d’étrangers résidents de toscane (18 100 en 2001, 37 600 en 2007), la ville de prato ayant un rôle secondaire non négligeable. L’étude de la situation des différents groupes étrangers dans les chefs-lieux de la région d’une part, dans leur implication dans la déconcentration urbaine d’autre part, témoigne d’une grande diversité selon les villes ou selon les groupes considérés. certes, des “communautés urbaines” (philippins, sri Lankais, péruviens) témoignent d’une spécialisation pour la ville en lien avec leur spécialisation fonctionnelle, mais d’autres groupes se caractérisent par des localisations vraiment spécifiques suivant le rapport qu’elles entretiennent avec le système productif local. exemple emblématique, la concentration des chinois à prato ou à l’ouest de Florence s’explique par la localisation de l’industrie lainière (bortolotti, 1994). La distribution intra-urbaine des immigrés obéit au modèle centre/périphérie de la géo-économie de l’habitat: à l’immigré, pour lequel la vulnérabilité économique est particulièrement forte, correspond l’habitat dégradé. en italie, conformément au modèle de la ville méditerranéenne, c’est le centre historique des villes qui correspond le plus souvent à l’espace résidentiel, de vie sociale et/ou d’activités économiques des populations immigrées, ou bien certains quartiers des faubourgs (urbanistica, 1998). en outre, cette localisation se déroule dans un contexte de crise du logement qui est structurelle et concerne aussi les italiens. Les extracomunitari sont encore plus affectés par cette pénurie et cette inaccessibilité, a fortiori s’ils sont clandestini: ils doivent avoir recours à des formes d’habitat spontané de type bidonvilles dans la périphérie des villes. À Florence, c’est le centre historique qui joue traditionnellement le rôle de sas d’entrée, d’installation et de diffusion des populations immigrées vers le reste de la ville, conformément au modèle de burgess (Grafmeyer, Joseph, 1990). cependant, cette fonction tend à s’atténuer au bénéfice de la périphérie occidentale où se trouvent les quartiers populaires et où les immigrés sont de plus en plus nombreux. e e so N° 32, décembre 2011 o 30 Migrations et division sociale de l’espace en Toscane : structures et dynamiques Carte 2 : L’évolution des espaces sociaux de Florence entre 1991 et 2001 type A : espace en perte de mixité sociale type B : espace des ouvriers type C : espace des classes populaires type D : espace des retraités type E : affirmation des CSP moyennes-supérieures type F : espace des villas aristocratiques Méthode : synthèse à partir des ACP et CAH des années 1991 et 2001 Source : 13° et 14° Censimento Generale della Popolazione, Ufficio Statistica Comune di Firenze N 1 km l’iMMigraTion Dans la Division sociale De l’espace ville en déclin démographique, en raison à la fois du vieillissement de sa population et d’une périurbanisation au profit des communes voisines (surtout de l’ouest), Florence est aussi une ville traditionnellement tertiaire qui a aussi subi le tournant post-fordiste par la désindustrialisation de son économie et la désouvriérisation de sa population active tandis que les csp de services se développaient (iommi, 2002). La perspective historique permet d’assurer que la division sociale de l’espace florentin repose sur des rapports de force historiquement et socialement donnés, et qui renvoient fondamentalement à une lutte de la bourgeoisie pour l’appropriation de l’espace urbain (Fei, Gobbi sica, sica, 1995). À la fin du XiXe siècle, du plan poggi à la destruction du quartier central et populaire du mercato vecchio, l’urbanisme pose les grandes lignes sociales de la division de l’espace florentin. La périurbanisation de la seconde moitié du XXe siècle confirme la migration des catégories populaires vers les communes occidentales de Florence. La division sociale de l’espace intra-urbain florentin se caractérise par la permanence d’une dichotomie entre l’ouest de la ville qui est populaire et l’est qui est plus aisé, le centre ville étant plus composite (cf. carte 2)11. Les analyses opérées sur la base des données des recensements de 1981, 1991 et 2001 témoignent d’une clarification plus nette entre quartiers aisés et quartiers populaires, la relative mixité sociale du eso, travaux & documents David Frantz©UMR ESO, Caen, 2011 centre ville s’atténuant en raison de l’exode de ses habitants, du vieillissement démographique, de la réorganisation des services à l’échelle de la ville, de la rente touristique et du logement. Le poids de la nouvelle petite bourgeoisie tertiaire (professions libérales, cadres) est croissant dans le centre et les quartiers orientaux déjà aisés, alors que les classes populaires participent à la dynamique de périurbanisation. cette division sociale est/ouest est aussi mesurée à l’échelle de la première couronne de Florence. au tournant du XXie siècle, la ville est ainsi le théâtre d’un double mouvement d’embourgeoisement et de déprolétarisation qui s’opère sur un espace urbain historiquement divisé. Quel est l’espace de l’immigration dans la division sociale de l’espace? À l’échelle régionale, la distribution spatiale de l’immigration obéit à la structuration économique du territoire. À l’échelle intra-urbaine, elle s’articule avec la structuration spatiale socialement déterminée de la ville. nous avons d’abord dû différencier les “étrangers des pays riches”, dont Florence représente un lieu de 11- L’étude de la division sociale de l’espace de Florence a reposé à la fois sur des analyses statistiques multivariées - analyse des composantes principales (acp), classification ascendante hiérarchique (caH) – qui ont permis de réaliser un travail cartographique, et sur les indices de l’écologie urbaine de l’école de chicago (indices de dissemblance, de concentration, de densité relative (location quotient) ; cf. duncan, duncan, 1955). Les changements de nomenclature statistique et de découpages territoriaux entre les recensements ont représenté un écueil important pour le traitement comme pour l’analyse des informations (cf. oberti, 2002). Migrations et division sociale de l’espace en Toscane : structures et dynamiques villégiature ou de travail depuis le Xviiie siècle, des “immigrés des pays pauvres” devenus plus nombreux après le tournant migratoire des années 1980. Leur distribution dans l’espace intra-urbain obéit à la division socio-spatiale structurelle : les “étrangers” dans le centre et les quartiers orientaux aisés, les “immigrés” dans les quartiers occidentaux populaires. mesurée avec précision pour les années 2000, la division sociale de l’espace distribue spatialement les communautés immigrées selon leur fonction sociale et économique en trois types: la relégation en périphérie occidentale socialement et urbanistiquement dégradée (chinois, roms ex-yougoslaves), la proximité spatiale des “communautés urbaines” (philippins, sri Lankais) spécialisées dans les services à domicile des personnes âgées des familles aisées (et de plus en plus des classes moyennes), et la diffusion spatiale dans l’ouest populaire au gré des opportunités de logement (albanais, marocains, roumains) (cf. carte 3). si l’espace de l’immigration est structuré suivant la division sociale de l’espace urbain, cette articulation doit aussi tenir compte des divers systèmes migratoires ainsi que de leur rythme. La corrélation positive entre la durée de présence et la conformation spatiale des populations migrantes à la division spatiale générale témoigne de dynamiques d’insertion sociale et spatiale: présence croissante des populations immigrées dans les communes industrielles et résidentielles de la première couronne de l’ouest de Florence, mobilité résidentielle des “communautés urbaines” des quartiers orientaux vers l’ouest populaire de la ville en fonction de leur accès au logement indépendant. 31 dans notre thèse, les roms ont été l’objet d’une attention spécifique en raison de l’importante relégation sociale et spatiale dont ils sont l’objet dans l’espace urbain. dans nombre de pays européens, leur acceptation a toujours posé problème aux institutions, surtout depuis l’accroissement des flux en provenance d’europe orientale (piasere, 2004; Liégeois, 2007). réfugiés (même s’ils n’en ont pas toujours le statut juridique) des conflits des balkans et arrivés à Florence pour leur plus grande part dans les années 1990, les roms cumulent les handicaps économiques, juridiques, sociaux, urbanistiques et spatiaux (campani, 1997). ils ont de surcroît hérité de la discrimination envers les tsiganes, historiquement prégnante en italie: leur image socio-symbolique négative est instrumentalisée surtout depuis les années 2000 par les “entrepreneurs de la peur” en fonction de leur agenda politique. étrangers/nationaux, nomades/sédentaires, ils soulèvent la question de la catégorisation institutionnelle d’une population qui “entre mal dans les cases”. La relégation spatiale prend la forme des campi nomadi (sigona, 2003, 2005), localisés sur des terrains dégradés de la périphérie urbaine, à l’ouest de la ville pour Florence, où les roms vivent dans des conditions particulièrement difficiles (marcetti, mori, solimano, 1993; solimano, 2007). notre étude s’est appuyée sur des visites ainsi que sur des entretiens effectués auprès de personnes-ressources des associations impliquées dans l’aide aux roms et à leur sortie des campi (arci, Fondazione michelucci). après la phase d’observation de la situation de ces populations, notre attention s’est portée sur les alternatives aux campi élaborées par les pouvoirs Carte 3 : Etrangers résidents à Florence en 2006, le cas des Albanais, Chinois et Philippins Systèmes Economiques Locaux * (2007) Effectifs en 2006 par SEL* 800 400 80 Albanais Total = 4 014 max = 147 (3,7 %) Peretola Chinois Total = 3 692 Philippins Total = 3 271 max = 721 (19,5 %) Brozzi - Le Piagge !!!!!!!! !!!!!! !!!!!! !! ! !! !!! !!!! !!!!! !!! !! !!!!!!!! !!!!!! !!!!!! !! !!!!!! !!!!!! !! ! !! !!! !!!!!! !! !!!!!! !! !! !!!!!! !!!!!! !!!!!! !! !! !!!!!! !!!! !! !! !! !! !!!! !! ! !! !!! !! ! !! !!! !!!!!! max = 167 (5,1 %) Bellariva !!!! !! !!!! !!!!!! !!!!!! !! !!!!!! !! ! !! !!! !!!!!! !!!!!! !!!!!! !!!!!! !!!!!! !!!!! !!! !!!!! !!! !! ! !! !!! !!!!!!!! !!!!!! !!!!!!!! !! ! !! !!! !!!!!! !!!!!!!! !! !!!!!! !!!!! !!! !!!!!! !! !! !!!!!! !!!!!!!! !!!!!! !!!!!! !!!!!! !! ! !! !!! !! ! !! !!! !!!!!! Source : Ufficio Statistica Comune di Firenze, 2006 David Frantz©UMR ESO, Caen, 2011 e e so N° 32, décembre 2011 o 32 Migrations et division sociale de l’espace en Toscane : structures et dynamiques Photo 2 : Vue sur l’entrée du “village” temporaire du Nuovo Poderaccio cliché DF février 2010 locaux (région, mairie) et les associations (vitale, 2009): édification de “villages” permanents ou temporaires (cf. photo 2), insertion dans le logement social, redistribution dans le territoire régional sur la base d’un plan d’accompagnement. Les divers moments de notre étude ont permis d’établir que l’action publique avait évolué au gré de l’augmentation du climat hostile observé à l’échelle nationale: si les roms réfugiés des balkans des années 1990 ont été ciblés par la politique locale d’insertion, les roms de roumanie, arrivés de manière subite et désordonnée (et pour raison économique) dans les années 2000, en ont été exclus. en tant qu’espace-laboratoire d’une politique locale en faveur d’une population étrangère particulièrement marginalisée, Florence témoigne des limites de l’action publique locale à l’égard d’une minorité étrangère lorsqu’elles vont à l’encontre de dynamiques d’échelle supérieure, nationale pour la xénophobie et européenne pour les mouvements de populations roms (Frantz, 2011). conclusion L’objectif de cette recherche a été d’explorer les rapports entre la division sociale de l’espace d’une formation sociale hôte et la distribution spatiale de populations immigrées. nous sommes partis du plus simple et du plus théorique, en interrogeant les fondements de la division sociale de l’espace et en discutant des rapports entre espace, capital et migrations (Gaudemar, 1976), pour arriver à la complexité de la réalité sociale et spatiale, l’articulation entre communautés étrangères et espace social hôte, l’inscription spatiale d’une formation sociale en décalage (les roms) par rapport au contexte socio-institutionnel hôte. Les hypothèses concernant la notion d’immigration post-fordiste (pugliese, 2002), de eso, travaux & documents modèles territoriaux du travail immigré (ambrosini, 2001, 2008), de cycle de vie urbain et d’insertion à la burgess nous ont semblé vérifiées. À l’échelle de la toscane, l’espace de l’immigration est structuré en fonction de la division fonctionnelle de l’espace, la géographie de l’économie territoriale et l’urbanisation. À l’échelle intra-urbaine de Florence, il s’articule avec la division sociale de la ville et son opposition sociale est/ouest à la fois historique et en mutation (périurbanisation et concentration socialement sélectives). il y a une relation étroite entre la division économique et sociale de la formation sociale d’accueil et la distribution spatiale des immigrés, qui s’articule aussi suivant la spécificité fonctionnelle des différentes communautés immigrées, selon les logiques propres aux systèmes migratoires. 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D’autre part, le propos doit aussi traduire les apports de la recherche aux champs disciplinaires dans lesquels elle s’inscrit, à savoir ici l’aménagement de l’espace et la Géographie. c’est pourquoi, reprenant les enseignements de cette expérience récente pour travaux et Documents eso, je m’attache à présenter dans cet exposé nécessairement synthétique deux grands aspects de mon travail d’habilitation: tout d’abord, la portée du sujet choisi et des résultats obtenus, puis une réflexion sur la manière de faire et de construire la recherche au cours d’une douzaine d’années de travaux en tant que maître de conférences. un positionnEmEnt tHématiquE Et tHéoRiquE dans lE CHamp dE l’aménagEmEnt dE l’EspaCE genèse et fondements De l’ensemble de mon parcours, débuté par ma thèse de Doctorat en 1997 sur les réseaux urbains régionaux en l’absence de métropole, il ressort trois grandes constantes thématiques et méthodologiques. tout d’abord, la place accordée aux regroupements intercommunaux dans la production des territoires institutionnels urbains s’est affirmée avec mes travaux de recherche sur les mobilités et sur la structuration des aires urbaines, menés à l’umr théma cnrs de l’université de Bourgogne entre 1999 et 2006. plusieurs de 1- HDr soutenue le 5 décembre 2011 à l’université européenne de Bretagne-rennes 2. Jury : rémi Barbier (examinateur), Guy Baudelle (tuteur), corinne Larrue (rapporteure), Helga-Jane scarwell (rapporteure), martin vanier (président). volume 1 : Collectivités urbaines et gouvernance de l’eau, 199p. + annexes. volume 2 : Jalons d’une trajectoire en Aménagement de l’espace : des réseaux urbains à la gouvernance de l’eau, 309 p. - umr 6590 cnrs - université rennes ii mes contributions individuelles et collectives ont mis en évidence les déconnexions entre territoires institutionnels et territoires fonctionnels, dans la gestion des mobilités comme dans celle des services d’eau (renaud-Hellier, 2006a et 2006b, 2004, 2003, chapuis et al., 2001). en outre, l’intérêt de combiner plusieurs niveaux scalaires d’observation locaux, régionaux et nationaux s’est sans cesse articulé avec la prise en compte des échelons d’intervention et de régulation, européen et international. Dans les politiques d’aménagement et les modes de gestion des services urbains, les systèmes institutionnels nationaux apportent en effet des différenciations entre les politiques publiques nationales, au-delà même de l’uniformisation des normes produite par les directives européennes en matière environnementale. D’où l’importance pour les recherches de « tenir » à la fois les niveaux nationaux et européens, et d’observer la mise en œuvre de ces deux niveaux d’intervention à des échelles locales et régionales (Barraqué, 1995). enfin, l’importance du travail appliqué, appuyé sur la matérialité physique du terrain et la consistance humaine des sociétés, est pour moi une constance foncière et non négociable de mon activité de chercheuse. De mon point de vue, la qualité de ce travail conditionne le contrôle (partiel certes) de la validité des propositions théoriques, et permet aussi de reformuler les hypothèses de recherche. cette phase de travail appliqué comprend aussi toute l’activité de collecte d’information et production d’un matériau empirique sans cesse à renouveler et à réactualiser. en aménagement de l’espace et urbanisme, la composante appliquée de l’analyse est partie constituante des résultats de recherche, dans la mesure où l’on cherche à comprendre comment les théories urbaines, les documents de formalisation (planification) et les formes aménagées observables se coproduisent. Le choix du sujet de l’HDr s’est avéré un exercice scientifique à part entière puisque ce sujet devait à la fois traduire l’ampleur problématique et conceptuelle des travaux passés et en cours, et en même temps crise e so N° 32, décembre 2011 o 36 Collectivités urbaines et gouvernance de l’eau. Retour sur une expérience intellectuelle singulière talliser ces mêmes travaux dans un tout cohérent et un objet spécialisé. c’est ainsi que le sujet « collectivités urbaines et gouvernance de l’eau » a mûri dans les années 2009-2010: il permettait de capitaliser des travaux collectifs et individuels menés depuis 2003 sur la thématique de la gouvernance de l’eau. cette dernière s’est forgée à la faveur d’un contrat avec l’inra que j’ai coordonné avec une économiste et une juriste2. cette thématique s’est étoffée et approfondie à l’université de rennes au sein du laboratoire cnrs multi site espaces et sociétés, avec de nouveaux collègues. elle est marquée par la coordination d’un ouvrage collectif sur La ressource en eau en France, paru en 2009 et co-écrit par catherine carré (Ladyss, paris 1), nadia Dupont (eso, rennes 2), François Laurent (eso, Le mans) et sandrine vaucelle (aDes, Bordeaux iii) (Hellier et al., 2009). Eau et intercommunalité urbaine La gestion de la ressource en eau est un sujet à dimension éthique, sociale et, j’espère que le texte de l’HDr l’a montré, de plus en plus politique. L’eau constitue pour les sociétés une ressource spatialisée, inégalement répartie; elle joue par sa disponibilité spatiotemporelle, et par sa qualité plus ou moins en adéquation avec les besoins, comme contrainte ou levier pour le développement humain et territorial. c’est son double statut qui m’intéresse: à la fois bien collectif à valeur économique, telle que la conférence internationale de Dublin le pose en 1992, et bien commun environnemental comme l’article 1er de la loi sur l’eau française de 1992 le définit (« patrimoine commun de la nation »). ma question de recherche porte alors sur la manière dont est dépassée - ou non - la discordance entre les territoires des gestionnaires technico-économiques construits autour des réseaux de services urbains, et les territoires de gestion environnementale fondés sur les logiques de bassins-versants. La problématique de mon mémoire interroge alors la capacité d’un type d’acteur local, le gestionnaire des services d’eau urbains, à intervenir dans la gouvernance de l’eau comme ressource pour les sociétés. 2- Lert J., Hellier e., Boutelet m. (dir.), 2006, Le système Eau-Ville-Territoire : un outil pour une approche intégrée de l’eau et du développement territorial. Application aux demandes d’eau dans l’aire dijonnaise. inra psDr et conseil régional Bourgogne. université de Bourgogne et GDr cnrs 2524 – 98p. + annexes. eso, travaux & documents sans ignorer les limites politiques internes et externes de la construction intercommunale montrées dans la littérature par les politistes et urbanistes (entre autres par Fabien Desage, renaud epstein, 2008, christian Lefèvre, 2009 ou paul Boino, 2009), je considère que les communautés d’agglomération disposent d’atouts au service d’une capacité d’action territoriale, en particulier une vision intersectorielle de l’aménagement local nécessairement plus développée qu’un simple syndicat à vocation unique. L’hypothèse principale sur laquelle repose la recherche est que, à la faveur de l’exercice croissant de la compétence eau par les communautés d’agglomération depuis 2000, les collectivités urbaines détiennent un levier stratégique d’organisation politique et territoriale de gestion de la ressource3. gouvernance, hybridité, systémique mon entrée globale focalise l’attention sur un objet plus large que les intercommunalités : les collectivités urbaines et la notion de collectivité. Je définis la collectivité dans un sens très proche de celui de patrick Le Galès (2003) comme un acteur composite formé certes des élus décisionnaires et des services gestionnaires, mais qui englobe aussi l’action de la société civile entrepreneuriale et habitante. Les collectivités dont je traite sont par conséquent des entités hétérogènes et hybrides (public-privé). La grille d’analyse de la gouvernance m’a semblé plus pertinente que celle de la gestion, notion liée à l’ingénierie et à l’administration, car les actions sur la ressource résultent de rapports de force économiques et politiques entre des parties prenantes localisées. par rapport à l’idée d’une multiplicité des gestions (sectorielles et intégrée), la gouvernance traduit la complexité des intérêts et des valeurs relatives à la régulation de la protection de la ressource en eau. J’en veux aussi pour preuve que, dans une approche relative aux régulations de la gestion des biens, les travaux des économistes tels qu’elinor ostrom portent bien sur « la gouvernance des biens communs » (1990), et non sur leur « gestion ». mon corpus théorique mobilise en outre trois grands référents théoriques issus des sciences sociales : 3- en avril 2011, la compétence eau potable concerne 49 % des 182 communautés d’agglomération en France. Collectivités urbaines et gouvernance de l’eau. Retour sur une expérience intellectuelle singulière • Les théories des coalitions de croissance et des régimes urbains adéquats à l’interprétation des processus de gouvernance urbaine des services d’eau, à savoir le couplage des intérêts économiques et du projet politique local; • Dans la sociologie des organisations selon erhard Friedberg (1997), il m’est apparu intéressant de reprendre l’idée que les structures d’encadrement ne sont pas surplombantes par rapport aux acteurs mais qu’elles sont elles-mêmes prises dans l’ensemble du système d’acteurs; • enfin, l’approche systémique mobilisée ici relève de la métaphore organiciste et fonctionnelle de comte et spencer née au XiXe siècle, qui postule qu’il n’y a de fonctions et de rôles que par rapport à l’unité d’un système. Dans le système, un élément tire son sens de luimême mais aussi des relations qu’il entretient avec les autres éléments. dEs Résultats à plusiEuRs nivEaux paradigmes de l’action publique À l’issue de cette recherche, deux grandes idées peuvent être extraites concernant les enjeux contemporains de gestion territoriale des ressources dans l’aménagement de l’espace. Les paradigmes de gestion de la ressource en eau sont multiples : celui de la préservation environnementale s’ajoute aux enjeux de l’exploitation économique de la ressource et de sécurité sanitaire. La gestion de la ressource est très dépendante des exigences des filières sectorielles, portées par les représentants professionnels. Les préconisations de la Directive cadre européenne sur l’eau d’octobre 2000, qui se focalisent sur la pérennité des milieux aquatiques sont ainsi mises en balance avec les objectifs de sécurisation quantitative et qualitative de la ressource. concernant l’action publique territorialisée, deux processus simultanés produisent une situation de gouvernance des services et de la ressource : les échelons centraux conservent une prégnance dans la formulation des normes de gestion locale décentralisée, tandis que les coalitions parfois poussées entre gestionnaires publics et exploitants privés (véolia, suez-Lyonnaise des eaux et saur), ainsi que l’internationalisation des réponses technologiques, standardisent une partie des gestions possibles. 37 temporalités L’analyse menée dans cette habilitation permet aussi de relever trois types de temporalités dans les transformations de cette action territorialisée, dont l’appréhension a structuré et structurera nos recherches à venir: temps court, temps moyen et temps long. La réflexion ne doit pas se faire piéger par le temps court tout en le prenant en compte; un bon exemple en est le processus en cours d’application de la réforme territoriale, votée en décembre 2010, mais dont le calendrier d’application est modulé en fonction de la qualité du dialogue avec les élus locaux et des échéances électorales. ainsi, la rationalisation des syndicats à vocation unique, tels que les syndicats d’eau potable, est adossée à une refonte des communautés de communes. La reconfiguration des syndicats d’assainissement et des syndicats de rivière ajoute à la complexité du travail à mener, car les périmètres hydrographiques sont alors prégnants. sur le moyen terme, les effets des directives européennes (depuis 1975), les crises répétées de la qualité de l’eau et de pénurie donnent des orientations structurantes à la gestion des eaux destinées à la consommation humaine. Les retours en régie - municipale, syndicale, communautaire - depuis à peine une dizaine d’années (paris en notamment) doivent aussi être analysés à l’aune du moyen terme et en regard de la consolidation de la position des délégataires privés dans d’autres agglomérations (Lyonnaise des eaux à Dijon, véolia à montpellier). Les régies à prestation de services sont-elles si éloignées des délégations de services en termes de maîtrise de la connaissance de la ressource et du service? Les délégations ne s’opèrent-elles pas sur de nouveaux marchés urbains, ceux de la protection de l’environnement et sur des marchés solides connexes tels que ceux du traitement des déchets? Quelle est exactement la diffusion spatiale et le rythme temporel de ce mouvement de passage en régie, fortement lié à une pression citoyenne et politique à l’approche des élections municipales de 2014? enfin, la mise en perspective de la question sur le long terme s’intéresse aux mutations des monopoles locaux liés aux modes de 4- Gestion durable de l’eau et enjeux socio-territoriaux liés aux fermetures de captage. Analyse dans l’Ouest de la France –– 2e apr eaux et territoires, meDDtL-cnrscemagref – 2011-2013. co-direction avec elisabeth michel-Guillou (crpcc psychologie sociale, université de Bretagne occidentale). e e so N° 32, décembre 2011 o 38 Collectivités urbaines et gouvernance de l’eau. Retour sur une expérience intellectuelle singulière gestion (Lorrain, 1995; petitet, 1999), mais aussi aux transitions techniques et sociales touchant les grands réseaux (schneier-madanès et al., 2010). après une phase d’équipement des agglomérations et des territoires par les réseaux d’eau collectifs (fin XiXe siècleXXe siècle), la recherche de la durabilité conjointe des systèmes techniques et des milieux soulève au XXie siècle de redoutables tensions et contradictions. cet enjeu alimente autant de questionnements en cours d’exploration dans nos travaux, qu’ils portent sur les solidarités territoriales en contexte de crise de qualité des eaux brutes (o-Durab) 4 ou sur les démarches autonomes d’alimentation en eau domestiques (usagers d’eau de pluie) (Hellier, 2011). modèles économiques et normes Les questionnements sur les formes de monopoles locaux (publics-privés) et sur la possible soustraction d’une partie des individus aux réseaux constituent deux des enjeux d’urbanisme soulevés par cette recherche. L’urbanisme, comme l’aménagement, relèvent de choix de valeurs, de normes et de modèles, dépendantes de contextes culturels, de conditions politiques et économiques complexes; et c’est à l’aune de quelques-unes de ces valeurs (équité, compétitivité, solidarité, autonomie, développement), de ces normes (qualité, quantité, protection, sécurisation) et de ces modèles spatiaux (pôles, réseaux, territoires) que j’analyse les documents de planification et les outils de gestion des collectivités urbaines en matière de contribution à la gouvernance de l’eau. lEs EnsEignEmEnts plus généRaux issus d’unE démaRCHE RéflExivE au-delà de l’approfondissement problématique occasionné par l’HDr, la démarche réflexive sur mes travaux passés et actuels a délivré trois grands enseignements sur la nature de l’activité de recherche, enseignements en partie liés les uns aux autres. apports mutuels du collectif et de l’individuel premier grand enseignement, la conscience du lien indissociable entre travaux collectifs et résultats individuels est une condition de la production scientifique. Dans un sens, la contribution individuelle à recherches collectives permet de donner à ces dernières une eso, travaux & documents ampleur et une dimension discutée, voire contradictoire, qui les enrichit. pour l’ouvrage collectif La France. La ressource en eau, la responsabilité scientifique est partagée entre les cinq co-auteurs. ces derniers ont signé collectivement, même s’ils ont conçu et travaillé plus particulièrement des chapitres spécifiques et audelà de la coordination que j’ai assurée. Les discussions très longues mais fertiles autour du plan ont permis d’exprimer des visions divergentes, par exemple concernant l’ordre des facteurs (les usages avant les processus hydrologiques et les aménagements?), ou le statut de la notion de gestion intégrée de la ressource en eau (paradigme managérial commode? outil d’évaluation scientifique?). sur ce dernier point, si la majeure partie de la littérature continue de promouvoir l’idée que la gestion intégrée des ressources en eau (Integrated Water Resources Management - IWRM) proviendra d’une amélioration du niveau de coordination entre les instances et organisations existantes, des auteurs anglo-saxons n’hésitent pas à interroger le mythe de la coordination; ils considèrent que la complexité des systèmes hydrologiques et sociaux doit amener à des niveaux très élevés d’engagement et d’interaction des acteurs et usagers de la ressource (Bressers, Lulofs, 2010). Dans un autre sens, la maturation individuelle est influencée et nourrie par ces échanges collectifs, elle intègre ces éléments de réflexion au fil des recherches, au point que parfois, il devient très délicat de démêler une origine, un auteur, une source. Bien entendu, il revient au(à la) chercheur(se) la responsabilité éthique et déontologique de citer ses sources et de rendre aux auteurs la paternité de leurs travaux et de leurs idées. et l’HDr est justement l’occasion de mettre au clair la manière dont les apports exogènes ont stimulé, voire fécondé, le projet individuel. Les réponses à appel à projets de recherche constituent un jalon important de ces interventions exogènes qui orientent les objets de recherche, mais aussi les équipes de travail, donc le contexte de production de la recherche personnelle. Je peux faire ici référence au programme maGie (mobilisation d’acteurs et Gestion intégrée des espaces), contrat soutenu par le conseil régional de 5- Bonny Y.(dir.), Danic i., Hellier e., Keerle r., Le caro Y., 2009, PRIR MAGIE Mobilisation d’Acteurs et Gestion Intégrée des Espaces, région Bretagne. umr eso. 20062009. co-rédaction avec sylvie ollitrault (crape, iep rennes) de l’axe 2 : L’eau, enjeu spatialisé, Collectivités urbaines et gouvernance de l’eau. Retour sur une expérience intellectuelle singulière Bretagne, qui m’a permis de m’insérer dans l’équipe eso-rennes à mon arrivée dans l’umr en 2006 . or, ce travail collectif a eu un effet structurant sur la manière d’insérer mes propres travaux, commencés depuis 1999 à l’umr théma, dans la nouvelle umr, en me rappelant d’emblée que l’analyse des politiques publiques territorialisées ne prend du sens, en géographie sociale, qu’en lien, en réaction ou en friction, avec les pratiques habitantes et mobilisations sociales. cela m’a amenée à un renouvellement de mes approches en aménagement de l’espace, par une forme d’imprégnation et d’adoption sélective de références théoriques en sociologie de l’action, géographie sociale et sciences politiques. 5 travailler en interdisciplinarité un deuxième grand enseignement sur la pratique de la recherche concerne les enjeux et les modalités de l’interdisciplinarité. cette dernière ne se limite pas aux sciences sociales en interne, puisque, dans le domaine de la gestion de l’eau, la collaboration avec les hydrogéologues et hydrochimistes est tout à fait pertinente et même indispensable pour consolider la connaissance des processus physico-environnementaux qui caractérisent l’évolution de la ressource et des milieux aquatiques. L’interdisciplinarité est une exigence de fond, de manière à replacer ses propres références et approches dans un cadre pluriel. elle dépasse la pluri-disciplinarité qui consiste dans l’approche plurielle d’un même objet, sans interaction particulière entre les disciplines. Le contrat « fondateur » sur le Système eau, ville et territoires (2003-2006) fut de fait la première expérience d’interdisciplinarité menée avec des juristes (philippe Billet, marguerite Boutelet, Groupe interdisciplinaire en Droit de l’environnement), économistes (andré Larceneux, théma, Janine Lhert, Laboratoire d’économie et de Gestion LeG, pierre-marie combe, LeG), géographes (aleksandra Barczak, thomas thévenin, théma) et un hydrogéologue (philippe amiotte-suchet, Géosol). elle a débouché progressivement sur la mise en place d’un vocabulaire disciplinaire permettant à chaque discipline de donner « ses mots », de les définir et de pointer les écarts et convergences possibles avec les mots des autres disciplines (Glossaire pluridisciplinaire Les mots de l’eau, 2006). L’objectif d’interdisciplinarité est affiché dans les différents programmes de recherche nationaux et internationaux, tel que le pro- 39 gramme eaux et territoires (ministère de l’écologie, cnrs, cemagref) qui valorise les collaborations entre sciences de la terre et sciences sociales autour des temporalités respectives des processus physico-écologiques et des processus socio-politiques. La pratique de l’interdisciplinarité opère la mise à l’épreuve de ces objectifs théoriques; elle nécessite la mise en place de maillons et de processus d’interaction entre chercheurs: construction de l’objet de recherche, notions transversales, contributions partagées et explicitées, restitution collective. parmi les méthodologies communes aux sociologues, politistes et géographes et leur permettant de communiquer, nous avons pu expérimenter dans le programme maGie le récit d’événements situés (périodes de crises, mobilisations, conflits, latences, négociations, solutions) ou encore les monographies de cas d’étude. L’intérêt pour mes propres recherches est de relativiser la portée explicative de la systémique, et de montrer que les phénomènes sociaux se construisent aussi (et surtout?) dans leur spatialité par des concrétions d’acteurs non déterminées a priori, et selon des formes non linéaires et parfois chaotiques. c’est ce jeu entre la formalisation systémique et la relativisation pragmatique que j’apprécie dans l’approche inductive au cœur de la science géographique. Chercheuse dans la société enfin, ce travail a permis de mettre en évidence des questionnements sur la place du (de la) chercheur(se) dans la société. en particulier, la possibilité pour le chercheur d’accéder à plusieurs types d’acteurs, sans pour autant atteindre l’exhaustivité, lui permet de développer une vision plus complète des interactions que celle que peut avoir chaque acteur pris isolément. Dans les instances de conseils aux collectivités ou aux associations, le (a) chercheur(se) observe le fonctionnement et les jeux de pouvoir de ces instances pour ses propres travaux, tout en contribuant à ceux de l’instance. ma participation au conseil scientifique de l’environnement de Bretagne (cseB) et au conseil des personnes qualifiées de l’association eco origin, relève de ce type d’implication à deux niveaux: le cseB répond à des saisines du conseil régional de Bretagne, collectivité territorialité très active dans la politique de l’eau au regard des enjeux et de l’état. ainsi, les chercheurs du cseB produisent des avis et en même temps, peuvent e e so N° 32, décembre 2011 o 40 Collectivités urbaines et gouvernance de l’eau. Retour sur une expérience intellectuelle singulière de l’intérieur, comprendre un pan ou des éléments de la politique du conseil régional au travers de la nature des saisines. L’association eco origin, portée par des entreprises, le comité d’expansion et la chambre de commerce et d’industrie de rennes, et le conseil général d’ille-et-vilaine est une plate-forme récente (2008) rendant visible le milieu économique breton dans le domaine des éco-technonologies, en partenariat avec des formations aux métiers de l’environnement. Dans le cadre du comité de personnes qualifiées, je contribue aux avis rendus sur les projets de l’association, tandis que les réunions organisées par cette plate-forme sont l’occasion pour moi d’observer les acteurs économiques et les partenaires publics mobilisés. Les entreprises de l’eau, grands groupes et pme, sont présentes dans ce pôle d’initiative privée, ce qui m’a permis de renverser l’entrée vers les acteurs dans le champ des acteurs privés. enfin, le positionnement du(de la) chercheur(se) vis-à-vis des partenaires de la société civile est également à double dimension, puisque lui(elle)même fait partie de la société civile en tant que citoyen et scientifique. La question est complexe puisqu’il relève d’une institution publique et la représente. En guise de conclusion au total, la réalisation de l’HDr constitue bien une expérience scientifique à part entière, qui amène à formaliser une pensée autour d’un objet et d’une méthodologie précis. pour moi, il s’est agi d’une expérience salutaire et singulière. cette expérience m’est apparue salutaire dans la mesure où elle oblige le(a) chercheur(se) à s’extraire pendant un laps de temps du « tourbillon » des activités quotidiennes d’enseignement, d’animation scientifique, de réunions et de réponses à appels d’offres, pour (ré) organiser à frais nouveaux une production heuristique personnelle. L’expérience est également singulière par l’alchimie qui se crée durant cette production, entre un sillage individuel et l’apport déterminant des travaux et échanges collectifs au long cours. c’est en cela que ce travail est finalement surprenant: à l’image d’une émulsion culinaire, des éléments apparemment épars prennent une nouvelle consistance - conceptuelle et intellectuelle dans un creuset conçu pour eux. Je retiens donc que cette nouvelle « consistance scientifique » est bien liée au travail d’Habilitation et qu’elle n’aurait pu naître sans lui. eso, travaux & documents Collectivités urbaines et gouvernance de l’eau. Retour sur une expérience intellectuelle singulière RéféREnCEs bibliogRapHiquEs mobiliséEs dans lE tExtE • Barraqué B., politiques de l’eau en europe, Revue Française de Sciences Politiques, vol. 45, n° 3, 1995, p. 420-453 • Boino p., 2009, Logique de champ et intercommunalité (chapitre i), in Boino p., Desjardins X., Intercommunalité: politique et territoire, puca - La Documentation française, pp. 13-38. • Bressers H., Lulofs K. (éd), 2010, Governance and Complexity in Water Management. Creating Cooperation through Boundary Spanning Strategies, northampton eu, edward elgar, 223 p. • chapuis r., enault c., mannone v., maigrot J.-L., mille p., renaud-Hellier e., 2001, Les modalités de la périurbanisation dijonnaise: diffusion, accessibilité, formes et pôles périphériques, Géocarrefour – Revue de Géographie de Lyon, vol. 76, n° 4, pp. 359-373. • epstein r., 2008, L’éphémère retour des villes. 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Dans ce contexte, ce travail de thèse se propose d’élucider la manière dont la communication est imbriquée dans les processus de projet, dont elle est mise en œuvre, mais aussi la manière dont elle influence la production des espaces habités. À ce titre, les modalités de la communication des projets urbains ont été analysées pour élucider leurs impacts dans la construction d’une démarche d’action collective. Dans ce sens, nous avons fait le constat d’un accroissement de la production et de la diffusion de supports iconographiques dans la conception des projets. Le développement des techniques innovantes de représentation de l’espace (modélisation 3D), les nouveaux outils de diffusion et de communication sur les projets urbains (presse municipale, sites internet) favorisent le recours quasi-systématique à l’image comme support des discours sur l’espace en projet. La nature de l’information produite par la communication des projets nous a permis d’établir différents constats quant à la nature des échanges entre acteurs du projet et destinataires. Le recours à ces représentations de l’espace futur implique la production d’un espace signifiant à partir duquel les interlocuteurs vont débattre, évaluer et qualifier l’action sur la ville. 1- Bailleul H., 2009, Communication et projets urbains. Enjeux et modalités de la communication entre acteurs du projet et habitants, thèse de doctorat en aménagementurbanisme, sous la direction de Denis martouzet, université François rabelais, tours, 591 p. (soutenue le 7 décembre 2009) - umr 6590 cnrs - université rennes ii L’image offre en ce sens des potentialités accrues pour la compréhension des impacts du projet sur la vie urbaine, amplifiant particulièrement le caractère symbolique de l’espace en projet. Le renouvellement, ainsi constaté dans différents projets urbains, des discours sur l’espace en projet nous pousse à envisager la manière dont la proposition spatiale est reçue par les habitants. Dans le contexte d’un urbanisme participatif, prônant l’échange entre acteurs experts et habitants, nous nous interrogeons sur les moyens d’une médiation des savoirs sur l’espace, visant à formaliser une représentation partagée de l’espace en projet. en ce sens, les débats sur les projets urbains sont des lieux où sont mises en jeu non seulement des questions relatives à la matérialité de l’espace (organisation spatiale, fonctions), mais aussi des interrogations sur ses valeurs symboliques et sur le mode de vie auquel cet espace potentiel pourra renvoyer. sa signification pour les participants aux débats est un enjeu central pour la construction d’une représentation partagée de l’espace en projet. un modèle d’analyse pluridisCiplinaire ces hypothèses nous ont conduits à renouveler les méthodes d’analyses habituellement mises en œuvre pour étudier les débats participatifs, leurs modalités et leurs limites. nous nous sommes ainsi intéressés aux enjeux et modalités de la communication des projets qui prévalent à la construction des significations de l’espace en projet. partant du principe que ces significations sont au cœur de la négociation qui émerge nécessairement entre producteurs et destinataires de l’espace urbain. L’approche proposée dans ce travail de thèse s’appuie sur une définition englobante de la situation de communication des projets urbains. La production de l’information sur l’espace, sa réception par les habitants et les interactions entre acteurs et habitants sont envisagées dans une perspective systémique. Les contextes dans lesquels les individus communiquent, les attentes qu’ils peuvent avoir par rapport à la communication, la compréhension qu’ils ont des enjeux de e e so N° 32, décembre 2011 o Communication et Projets urbains : enjeux et modalités de la communication entre acteurs du projet et habitants 44 l’interaction à laquelle ils participent, sont identifiés pour comprendre leurs impacts sur les significations qui sont construites lors des échanges. Les hypothèses privilégiées de la recherche ont ainsi consisté à élucider les relations entre processus de projet, communication et réception de l’espace en projet. pour ce faire, nous avons élaboré un modèle de la situation de communication des projets urbains prenant en compte les facteurs individuels et collectifs qui influencent le débat sur l’espace. notre approche a notamment permis d’intégrer à une recherche en aménagement-urbanisme, les concepts et théories des sciences de la communication. Dans notre modèle théorique, les représentations de l’espace, l’attente des participants par rapport à la communication démocratique, les relations d’interaction entre les acteurs et les habitants, les modalités d’information sur le projet, les valeurs des participants, sont autant d’éléments influençant la finalité des débats participatifs et la représentation de l’espace en projet. Le travail de terrain fondé à la fois sur l’observation participante des dispositifs de communication (réunions publiques, supports d’information) et la réalisation d’enquêtes qualitatives auprès des participants (acteurs et habitants), a été mené sur deux projets urbains en cours de réalisation: le projet du quartier des 2 Lions à tours et le projet saint nicolas dans les quartiers sud du Havre. ces deux cas d’étude relativement représentatifs de l’urbanisme contemporain (projet de développement d’un nouveau quartier, projet de renouvellement urbain) ont permis de diversifier les situations de communication étudiées afin de tester notre modèle théorique. De plus, la méthode d’enquête auprès des participants a proposé d’adosser aux classiques entretiens semi-directifs, une méthode de réactivation du discours sur l’espace urbain. par le visionnage, dans une seconde partie de l’entretien, d’une simulation de l’espace futur produite par les acteurs du projet, nous avons pu mettre à jour les processus individuels de réception et de jugement de l’espace en projet tour d’Horizon des résultats Les résultats de la recherche se situent à trois niveaux de compréhension des interactions entre communication et construction de la ville: au niveau d’une potentielle coproduction du projet et de la communica- eso, travaux & documents tion, au niveau de la réception du projet par les habitants via les outils de communication et, enfin, au niveau de la médiation du projet entre acteurs professionnels et habitants. L’analyse des situations de communication a ainsi mis en évidence, dans un premier temps, la relation de coproduction du projet urbain et de la communication. L’action d’aménager implique la production d’un discours sur le projet. cette mise en récit de l’espace et de l’action est réalisée sous différentes formes et à différentes étapes. nous avons montré qu’au cours du temps, le contenu du récit sur l’espace évolue. cette évolution est dépendante à la fois des événements et opportunités qui jalonnent la démarche de projet, et à la fois de la dynamique de la communication territoriale. cette mise en récit du projet, nous l’avons montré, est également influencée par les objectifs que poursuivent les acteurs et les partenaires auxquels ils s’adressent. Le récit du projet urbain est fortement influencé dans sa forme et son contenu, par les finalités de la communication. en ce qui concerne la communication propre aux deux projets urbains étudiés, les analyses ont montré qu’elle suit ainsi deux logiques distinctes: • en interne au projet, les acteurs considèrent la communication comme un outil d’échange. il s’agit d’alimenter la négociation et l’engagement des partenaires du projet. • en externe l’objectif est de rendre compte de l’espace en projet et de provoquer l’adhésion du public et des habitants à la proposition d’aménagement (communication persuasive). L’analyse des projets urbains au Havre et à tours a permis d’identifier que la communication avec les habitants est menée dans une logique de transparence de l’action publique. associés à cette idée de transparence, de nouveaux outils comme les images de synthèse sont développés, et notamment des simulations 3D. D’après les acteurs interrogés, ce type d’images présente des avantages qui résident à la fois dans leur capacité à rendre lisible des projets complexes, et, à la fois, dans leur capacité à valoriser l’espace futur. Les outils de simulation sont des supports à la communication interne et externe du projet urbain, censés répondre simultanément à des objectifs stratégiques et démocratiques. cependant, nous avons montré une limite importante que ce type de support peut présenter, Communication et Projets urbains : enjeux et modalités de la communication entre acteurs du projet et habitants à savoir que la nature de ces images introduit une ambiguïté et par conséquent une certaine méfiance lorsqu’elles sont utilisées dans un contexte démocratique. Les outils de représentation influencent la manière dont va être accueilli le projet par les habitants. L’analyse des réactions des destinataires de ces informations spatiales nous a permis de clarifier dans quelle mesure ils opèrent au niveau des publics habitants. La réception de l’information par les habitants met en jeu des mécanismes d’interprétation et de jugement qui sont fortement liés à leur rapport à l’espace en projet. nous avons ainsi montré que des mécanismes subjectifs d’interprétation influencent la manière dont les habitants se représentent les changements intervenant dans leur espace de vie. L’enquête de terrain a mis en évidence que les habitants construisent une connaissance partielle du projet urbain: dans l’ensemble des informations qui leur sont transmises, ils opèrent une sélection des éléments pertinents de leur point de vue. cette interprétation des informations dépend également de la manière dont ils perçoivent le contexte de la communication. Les destinataires repositionnent l’information dans son environnement: ils identifient les émetteurs et leur attribuent une stratégie. cette « remise en contexte » de l’information conditionne les attentes des habitants et guide leur jugement du projet. Les entretiens réactivés avec les habitants ont également montré que leur rapport à l’espace est impliqué dans la réception du projet. Dans l’élaboration de leur jugement, les individus comparent l’espace futur avec l’existant. en se projetant dans l’espace futur, ils sont amenés à identifier les impacts qu’il aura sur leur mode de vie actuel et à comparer les opportunités que leur offre l’espace futur avec leurs habitudes et leurs pratiques actuelles. ils envisagent les changements qu’apportera le projet, à la fois sous l’angle des pratiques, mais aussi en fonction de l’identité que leur quartier aura dans l’avenir. La dimension symbolique, fortement véhiculée par les supports de communication (images de synthèse), est au cœur de l’évaluation du projet par les habitants. L’analyse des entretiens a montré que le jugement des habitants s’appuie principalement sur les impacts symboliques et sociaux du projet, et plus modérément sur ses impacts fonctionnels. L’observation de 45 la réception de l’information a montré que les habitants, loin d’être de simples spectateurs des décisions publiques, étaient capables d’interpréter et de juger l’espace qui leur est proposé en mobilisant leurs compétences habitantes. Le dernier type de résultat qu’a apporté l’analyse des situations de communication concerne les potentialités que nous avons identifiées dans les lieux de débat (réunions publiques, dispositifs de participation, sites internet). L’observation des modalités du débat institutionnel dans les deux cas d’étude, nous a permis de constater l’échec des règles classiques de la participation des habitants. La mise en débat du projet lors de réunions publiques ne permet pas la collaboration des habitants au processus de projet. L’observation des dispositifs de débat a mis au jour le fait que, au-delà du contenu échangé, de nombreux conflits émergent sur les modalités même de l’échange et prennent le dessus sur la réflexion collective. priorité au terrain notre travail d’observation participante (3 ans de participation active aux conseils de quartier) a également permis de comprendre comment les participants tentent de renouveler les formes du dialogue. De nouvelles configurations sont expérimentées pour faciliter les échanges directs entre participants. répondant à une logique de projet, ces formes de débat (groupes de travail, ateliers) offrent les conditions théoriques pour qu’élus et citoyens soient dans une relation de partenariat. L’analyse a cependant montré que l’attitude et les représentations des acteurs constituent une limite importante à la mise en œuvre de ces nouvelles formes de débat. ceux-ci persistent dans une logique de conservation de leurs prérogatives, et ont des difficultés à partager la décision avec les acteurs profanes. D’un autre côté, nous avons observé que les habitants, face à cet échec du débat classique, initient d’autres formes d’échange. une expression citoyenne se développe à travers les nouveaux médias et notamment les blogs mis en ligne par les habitants. ces outils permettent aux citoyens de mettre en valeur leurs compétences habitantes et de se positionner comme interlocuteurs « compétents » des acteurs professionnels. cependant ces formes d’interaction bénéficient d’un statut « expérimental » qui ne leur permet pas d’être e e so N° 32, décembre 2011 o 46 Communication et Projets urbains : enjeux et modalités de la communication entre acteurs du projet et habitants reconnues comme forme institutionnalisée et « sérieuse » d’échange entre acteurs et habitants. Le travail de terrain a ainsi mis en évidence qu’aux différents niveaux de la situation de communication, les facteurs d’interprétation individuels jouaient un rôle primordial quant à l’issue de la mise en débat de l’espace. Loin de montrer que les seules modalités de la communication permettent d’aboutir à un débat constructif sur l’espace et le projet, notre travail de thèse a au contraire montré que les individus impliqués dans ces débats étaient au cœur de la communication. Leurs motivations, leurs valeurs, leurs connaissances et leurs représentations sont mobilisées dans l’interaction. elles contribuent à construire le sens de la situation de communication. La thèse a permis de mettre en évidence la diversité des facteurs influençant la construction d’une représentation partagée de l’espace en projet, et a notamment soulevé la résistance des individus quant à un modèle de co-décision prôné dans le champ de l’urbanisme, alors que les modalités d’une communication démocratique peuvent être effectivement mises en œuvre. pistes de reCHerCHe • d’une part, sur la question de l’individu et de sa prise en compte dans l’analyse des processus d’aménagement. L’enquête menée auprès des individus (acteurs politiques, techniques, citoyens) permet d’aborder de front la complexité qui est généralement attribuée aux processus, sans jamais pour autant être analysée en elle-même. L’intégration des différentes échelles, des intérêts individuels et particuliers, des multiples problématiques et de leur hiérarchisation est bien le fait des individus. il apparaît nécessaire aujourd’hui d’explorer ce champ de la cognition et de l’affectivité des acteurs dans les situations d’aménagement pour éclairer la manière dont ils parviennent à « faire avec » cette complexité. L’approche proposée est ainsi résolument compréhensive et empirique pour tenter de dépasser les modèles managériaux qui ont tendance à « simplifier la complexité » (consensus, négociation, etc.). il est notamment fait l’hypothèse que le conflit serait une bonne méthode heuristique et que les situations de débat permettant l’expression des diversités sont plus efficaces que celles visant le consensus. eso, travaux & documents • d’autre part, l’hypothèse de l’implication du rapport à l’espace (l’habiter) des individus dans la manière dont ils reçoivent, jugent, anticipent la proposition spatiale a été largement vérifiée dans le cas des projets de quartier, apportant des changements dans l’espace de la quotidienneté. il est alors utile de confronter cette hypothèse dans d’autres situations d’aménagement. La médiation des projets « de grands territoires » pourra ainsi constituer une suite à cette première recherche. il pourra être fait l’hypothèse que le rapport à l’espace n’est pas ou différemment impliqué dans les débats sur l’aménagement de ces grands territoires (régions, métropoles). cependant il apparaît que ces espaces sont aussi ceux de la mobilité, qui est largement impliquée dans le rapport à l’espace des individus. nous aurons ainsi à cœur de démêler les mécanismes de construction d’un rapport à l’espace des flux. ce rapport, sans être de même nature que les logiques d’ancrage au quartier, joue un rôle dans les débats en aménagement qu’il nous reste à élucider. De plus, cette piste recherche tend à suivre le mouvement que l’on peut observer dans les sciences politiques qui, après avoir analysé les structures locales de débat, se lancent dans l’analyse des débats régionaux et départementaux. tout comme dans la thèse, l’objectif d’une telle recherche sera de compléter les approches traditionnelles de la science politique (répartition des pouvoirs, compétences, modèles de décision) par une interrogation plus spatialisée: quel rapport au territoire qui fait l’objet du débat, quelle représentation mentale et visuelle de ce territoire, quelle représentation partagée de ce territoire en projet? enfin, l’analyse des débats sur les grands territoires pourra également se focaliser sur la médiation qui est opérée (techniques, configurations, interactions) et sur le rôle de l’espace en projet dans cette médiation. enfin, un dernier domaine pourra s’inscrire dans la continuité du travail de thèse, celui qui vise à explorer les innovations en matière d’outils de représentation de l’espace et de médiation numérique des territoires. en effet, les situations de communication des projets d’aménagement sont le lieu d’expérimentation et de diffusion des technologies de l’information géographique et de l’architecture assistée par ordinateur. allant de la rénovation des supports de visualisation jusqu’à l’expérience immersive, les innovations dans les méthodes de débat invitent à une réflexion qui touche la modernisa- Communication et Projets urbains : enjeux et modalités de la communication entre acteurs du projet et habitants tion des politiques publiques. ce champ de recherche permet d’explorer les récents débats en matière de libération de la donnée publique, de services urbains prototypes, de design des services, etc. il s’agit alors de mener l’analyse des nouveaux cadres logiques de la participation des citoyens: passant du rôle classique de décideur, qu’ont eu jusqu’à maintenant les pouvoirs publics, à un rôle de facilitateur, de plateforme entre initiatives privées et initiatives citoyennes. ces modifications du cadre de l’intervention publique doivent également être perçues à l’échelle des acteurs qui les mettent en œuvre, en favorisant une compréhension du/des changement(s) dans la situation. 47 Quelques éléments bibliographiques • 27e région, 2010, Design des politiques publiques, La documentation française • Bailleul H., 2008, « Les nouvelles formes de la communication autour des projets urbains: modalités, enjeux, impacts pour un débat participatif », Métropoles, n° 3, pp. 98-139 • Blondiaux et cardon (éd), « Dispositifs participatifs », Politix, n° 75 • Debarbieux et Lardon (éd), 2003, Figures du projet territorial, L’aube • Feildel B., 2010, Espaces et projets à l’épreuve des affects. 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(éd), 2000, L’usage du projet, payot e e so N° 32, décembre 2011 o La cohésion territoriale en périphérie de l’Union européenne : les enjeux du développement régional en Turquie 49 Benoît Montabone eso rennes espaces et sociétés c e texte vise à présenter les principaux résultats d’un travail de thèse réalisé en trois ans, entre septembre 2008 et novembre 2011 (*). Fruit d’une collaboration institutionnelle entre l’université rennes 2 et l’institut Français d’études anatoliennes (istanbul), le résultat final se situe également dans une logique interdisciplinaire. cette dernière a été facilitée par l’insertion de la thèse dans le programme de recherche soutenu par la maison des sciences de l’Homme de Bretagne, intitulé « La turquie en réforme », et dirigé par la politiste claire visier (crape, université rennes 1). Le projet initial de la thèse était d’interroger le concept de cohésion territoriale à partir de l’exemple de la turquie. il s’agissait de passer un pays candidat au crible des critères de la cohésion territoriale telle que définie par les différents textes européens relatifs à l’aménagement du territoire (sDec, agenda territorial), puis de déterminer quels étaient les changements majeurs opérés en turquie dans le contexte des négociations d’adhésion avec l’union européenne. Le choix avait été fait de se focaliser sur le chapitre XXii, qui concerne le développement régional (et par extension l’ensemble des systèmes nationaux d’aménagement du territoire). La problématique initiale stipulait donc un transfert institutionnel clair entre demandes européennes d’une part et transformations nationales d’autre part. Les premières études de terrain ont rapidement révélé que cette conception descendante de l’européanisation des territoires ne correspondait pas à la réalité. au moment où les premières recherches de terrain étaient abordées, l’ensemble du débat sur la transformation des politiques nationales d’aménagement du territoire en turquie sous impulsion de l’union européenne tournait autour de la création des « agences de développement » (Kalkınma ajansları). Le veto présidentiel sur la création d’entités régionales pouvant (*) - thèse soutenue à l’université rennes 2, le 29 novembre 2011, sous la direction de Guy Baudelle - umr 6590 cnrs - université rennes ii remettre en cause l’intégrité de l’état national avait relativement ouvert le débat au public. Dans ce débat, la cohésion territoriale telle que pensée par la commission européenne n’était jamais abordée, ni les opportunités ou changements que cela pouvait avoir pour les orientations nationales d’aménagement du territoire. plutôt que d’analyser un transfert institutionnel qui n’existait pas directement, une approche différente de la question a été préférée. au lieu de partir des politiques européennes, il était plus pertinent d’analyser les objets créés par la turquie elle-même, en apparence indépendamment des contraintes européennes, pour en déterminer la portée et comprendre si, in fine, ils étaient compatibles avec les attentes européennes. Le gouvernement turc a en effet décidé de faire correspondre les 26 divisions statistiques nuts 2, créées en 2002, avec 26 nouvelles entités territoriales sur lesquelles s’exerce l’autorité d’agences de développement. Désignées par un néologisme en turc (ajans), ces nouvelles structures territoriales sont au cœur des recompositions nationales des différentes formes d’aménagement du territoire. même si ce terme, forgé à partir de l’expérience française, ne correspond pas tout à fait aux réalités des interventions publiques sur le territoire en turquie (pérouse, 2009), force est de constater que la création de ces agences, qui restent sous l’autorité de l’institut de la planification nationale (Devlet planlama teşkilatı, Dpt), introduit de « nouvelles règles, de nouvelles procédures et de nouvelles manières de faire » dans ce pays, pour reprendre la définition de l’européanisation proposée par G. marcou (2002). ces nouvelles institutions soulèvent de nombreuses interrogations: quelle marge de manœuvre par rapport à une puissante administration centrale? Quel degré d’autonomie et quelle forme de régionalisation cela implique-t-il? il s’agit donc d’étudier plus particulièrement la forme prise par ces nouvelles institutions, leur mode de fonctionnement, leur intégration dans les cadres institutionnels et les rapports entre acteurs à l’é- e e so N° 32, décembre 2011 o 50 La cohésion territoriale en périphérie de l’Union européenne : les enjeux du développement régional en Turquie chelle locale, afin de déterminer si elles peuvent être porteuses d’un nouveau mode de développement territorial répondant aux critères européens de cohésion territoriale. ne pouvant couvrir de manière exhaustive l’ensemble du territoire national, trois agences ont été sélectionnées: celle d’istanbul, car elle recoupe de nombreuses institutions œuvrant pour le développement économique du territoire, celle d’izmir, car il s’agit d’une agence pilote mise en place deux ans plus tôt que les autres, et celle de Diyarbakir-saliurfa, qui associe deux départements aux profils socio-économiques différents, plus à même d’entrer en opposition au pouvoir central. Le travail de recherche repose sur deux sources essentielles, les rapports et documents officiels nombreux sur le sujet, émanant des institutions européennes, des ministères turcs ou des collectivités locales, et des entretiens, pour la plupart semi directifs, avec des professionnels de l’aménagement impliqués de près ou de loin dans les réformes en cours. il a également été possible de mettre en place des observations participantes dans deux agences de développement, celle d’izmir et celle de Diyarbakir-sanliurfa. La limite de ce travail réside sans doute dans la difficulté d’accès à certains interlocuteurs, notamment élus locaux, qui n’ont pu être approchés que de manière détournée, et le plus souvent informelle. au final, la somme d’information récoltée permet de tirer trois grandes idées concernant les agences de développement en turquie. ces dernières constituent tout d’abord une nouvelle étape dans la politique nationale d’aménagement du territoire (partie i). elles participent également à la transformation de l’échelle régionale (partie ii). enfin, elles révèlent une articulation de plus en plus grande entre échelle métropolitaine et entre 1930 et 1960, la politique nationale en matière de développement industriel se manifeste par la création de grands complexes d’industrie lourde dans des zones que les facteurs traditionnels de localisation industrielle n’auraient pas sélectionnées. ainsi Karabük, à plusieurs dizaines de kilomètres à l’intérieur des terres, est choisi pour accueillir des usines de Kardemir pour ses fonctions d’abris en cas d’attaque maritime par la mer noire. petit à petit, cette politique nationale va évoluer vers un modèle économique dirigiste, mais non étatisé. La période qui va des années 1960 aux années 1990 est en effet fortement empreinte d’un développementalisme d’état, hérité de la première période républicaine. La création du Dpt en 1960 en est l’exemple le plus symptomatique. cette période est caractérisée par un contrôle depuis le centre de toutes les opérations de développement, et la croyance en la force des grands projets pour tirer la croissance régionale et nationale vers le haut. Les instruments principaux de cette politique sont tout d’abord le zonage des provinces dites « prioritaires au développement », dévoyé au fur et à mesure de l’inclusion d’un nombre croissant de provinces dans le dispositif (Bazin, 2005). ce zonage, redéfini en 2009, établit une classification des départements en quatre classes et accorde des exemptions d’impôts aux entrepreneurs nationaux qui investissent dans ces départements. L’évolution des inégalités régionales montre que cette politique a été inefficace pour permettre aux régions les plus en retard, essentiellement des régions de l’est du pays, de rattraper les niveaux de développement des métropoles de l’ouest (istanbul, izmir, ankara, antalya, etc.). La deuxième caractéristique de cette période est la multiplication de projets de développement régionaux assurés par les principaux ministères, basés essentiel- échelle régionale dans la recherche d’une meilleure compétitivité territoriale (partie iii). lement sur des grands travaux routiers ou hydrauliques, et dont une grande partie n’a jamais vu le jour. Les années 1990-2000 sont marquées par deux mouvements en apparence contradictoires. Les gouvernements successifs se sont tout d’abord engagés dans une libéralisation économique qui s’accompagnait de nombreuses privatisations, qui signifiaient une perte de moyens directs d’aménagement du territoire via des politiques de localisation contraignantes. mais en parallèle, le même état a mis en chantier un vaste plan de développement intégré à l’échelle régionale, basé sur l’équipement hydro-électrique de deux grands fleuves Une noUveLLe éTape dans La poLiTiqUe naTionaLe d’aMénageMenT dU TerriToire TUrc L’analyse des neuf plans quinquennaux qui se sont succédé depuis 1963 démontre une évolution nationale qui n’est pas exceptionnelle, et qui suit les grands courants internationaux concernant les théories du développement, avec quelques soubresauts dus entre autres aux coups d’état militaires. eso, travaux & documents La cohésion territoriale en périphérie de l’Union européenne : les enjeux du développement régional en Turquie (le tigre et l’euphrate), le projet de l’anatolie du sudest (Güneydoğu anadolu projesi, Gap). après la mise en œuvre de ce programme et les premiers résultats alors jugés positifs (augmentation de la surface agricole irriguée principalement), d’autres programmes d’envergure régionale ont été décidées. Dap (projet de développement de l’anatolie de l’est), DoKap (projet de développement de la région mer noire de l’est), projet de développement du bassin-versant du Yeşilırmak; autant de projets qui sont restés lettre morte. Leurs échecs marquent la fin d’une ère pour le Dpt. L’ensemble de ces programmes à dimension régionale est concentré dans l’est du pays (figure 1). 51 n’est plus l’instigateur des politiques de développement, il les accompagne en favorisant la mobilisation des ressources locales. ces dernières sont renforcées par le recrutement systématique dans chaque région de personnel hautement qualifié, dont le profil international tranche avec la culture républicaine classique des fonctionnaires d’état affectés dans les départements. La turquie est ainsi en train d’évoluer du développementalisme d’état vers un soutien discret mais qui se veut efficace au développement territorial. L’outil « agence de développement » n’est pas le seul à marquer cette évolution. La création de l’agence nationale KosBeG pour soutenir les projets innovants des pme l’incarne également, tout comme la volonté de multiplier les parcs industriels et les clusters de recherche, même si souvent cela relève plus de l’incantation que de la réalité. Dans tous les cas, la candidature européenne n’est pas le moteur principal de cette évolution. elle est arrivée au même moment et a servi de justification auprès d’une population sceptique. Les agences de développement peuvent donc être vues comme des outils trouvés du côté de l’union européenne pour satisfaire une évolution nationale qui, elle, répond à l’intégration croissante de la turquie dans les Les agences de développement incarnent une nouvelle étape de cette évolution. Les griefs retenus à l’encontre des grands programmes régionaux sont connus: absence d’institution ad hoc, pas de financement, pas de programmes opérationnels ni d’évaluation. Les agences de développement changent cette approche: plus question de prévoir des grands programmes d’équipement. La politique est dorénavant de soutenir les investisseurs locaux via un système d’appel d’offres et selon le principe du co-financement, ce qui les oblige ces derniers à assurer le suivi de leurs projets. L’état Figure 1 : Les programmes de développement à dimension régionale en Turquie Province Istanbul Bartın Zonguldak Karabük Çankırı Çankırı Ankara Artvin Samsun Ordu Giresun Trabzon Rize Amasya Gümüşhane Tokat Bayburt Erzurum Erzincan Sivas Yozgat Çorum Tunceli Elazığ Izmir Adıyaman G.Antep Kilis Programmes de développement régional Zonguldak-Bartın-Karabük DOKAP GAP Yeşilırmak N Ardahan Urfa Kars Ağrı Iğdır Bingöl Muş Bitlis Diyarbakır BatmanSiirt Mardin Şırnak Van Hakkari Projet de développement rural DAP B. Montabone©UMR ESO, Rennes, 2011 e e so N° 32, décembre 2011 o 52 La cohésion territoriale en périphérie de l’Union européenne : les enjeux du développement régional en Turquie échanges internationaux. La TransforMaTion de L’écheLLe régionaLe La création des régions de type nuts 2, présentée initialement comme étant uniquement statistique mais qui a évolué vers une forme inédite de gestion territoriale, n’a pas bouleversé l’organisation administrative du territoire turc, mais elle a introduit des éléments nouveaux sur au moins deux plans: spatial et juridique. sur le plan spatial, les agences sont les seuls organismes présents sur l’ensemble du territoire qui doivent gérer des espaces régionaux, comportant une à six provinces. il s’agit là d’une innovation territoriale majeure, car la seule notion de région qui prévalait jusqu’alors était un découpage théorique reposant sur des critères physiques (essentiellement climatiques). ces régions ne sont pas des coquilles vides: l’étude de leur fonctionnement fait apparaître une autonomie financière acceptable (131 millions de Lires turques par an pour la région d’istanbul, soir 65 millions d’euros), et surtout le recrutement d’un personnel compétent, à même d’assurer une meilleure consommation des crédits. Bien que les territoires régionaux initiaux soient contestables, leur pratique institutionnelle les fait exister de facto. plus que de région, on peut alors parler de circonscriptions d’action publique. sur le plan juridique, leur place est mal définie, et en tout cas n’est pas strictement spécifiée dans la hiérarchie territoriale républicaine classique. il s’agit plus d’un élément souple, parallèle, permettant de réunir des acteurs différents pour définir un projet territorial, mais sans que ce dernier soit contraignant pour les collectivités ou administrations présentes dans le territoire d’action de l’agence. La réforme impulsée par les demandes européennes introduit donc un outil nouveau, innovant, dont le fonctionnement peut très bien évoluer au fil du temps. par contre, les moyens dont les agences sont dotées, de manière pérenne et pas seu- taine équité entre différents types de territoire bien marqués (urbain, rural, littoral, etc.) du fait de la composition des conseils d’administration et des conseils de Développement. La constitution de ces derniers n’est cependant pas neutre, et une lecture attentive des personnes siégeant dans ces conseils permet d’affirmer que les agences sont investies par les groupes sociaux qui détiennent le pouvoir sur le plan local, et ce quel que lement conjoncturelle, les amèneront à assurer un rôle de plus en plus important dans le développement des territoires pour lesquels elles sont compétentes. pour l’instant, leur mode de fonctionnement assure une cer- soit le bord politique (cHp à izmir1, aKp à istanbul2). cependant, la création ex nihilo d’une nouvelle institution n’est pas chose facile. D’une région à une autre, le degré d’investissement des élites locales au sein des agences est variable. cela se passe rapidement quand cette dernière vient combler un vide et que ses activités couvrent le manque en matière d’aide au développement local, comme c’est le cas à Diyarbakır. À l’inverse, dans des régions où ce genre d’institution est nombreux et où la composition des instances dirigeantes de l’agence est politiquement stratégique, cela peut prendre plus de temps, comme à istanbul. mais l’efficacité de ces nouvelles structures réside surtout dans l’antériorité des pratiques de concertation et de définition d’objectifs communs à l’échelle régionale, comme c’est le cas à izmir. La création d’un réseau entrepreneurial local ne se décrète pas, et l’outil agence de développement est le plus efficace là où des dynamiques existaient préalablement. Le succès de l’agence d’izmir en est la meilleure preuve: elle s’appuie sur l’expérience de l’association eGev (association pour le développement économique de la région égéenne, créée en 1989). D’autres métropoles d’envergure régionale présentent la même configuration comme adana et Gaziantep (Bayırbağ, 2010). ce rôle des réseaux établis dans la construction de coalitions entrepreneuriales accrédite la thèse selon laquelle la région est un construit social relationnel: l’articulation des acteurs ayant un rôle stratégique dans la définition d’un projet territorial est un facteur important dans la création des nouvelles régions (figure 2). La région ne peut être en aucun cas le fruit d’une délimitation naturelle ou historique, comme continue de l’affirmer la géographie académique turque. il arrive que les relations sociales entre acteurs régionaux recoupent 1- cHp : parti républicain du peuple, social-démocrate, principal parti d’opposition. 2- aKp : parti de la Justice et du Développement, islamiste dit modéré, au gouvernement depuis 2002. un périmètre historique ou naturel, mais ce dernier sert uniquement de cadre et pas de facteur explicatif principal. enfin, la création des agences de développement à eso, travaux & documents La cohésion territoriale en périphérie de l’Union européenne : les enjeux du développement régional en Turquie l’échelle régionale participe à une redéfinition des fonctions et des pratiques de l’état central, dans le cadre d’une remise à l’échelle (re-scaling) des politiques publiques. en déléguant certaines compétences à des institutions régionales semi-indépendantes, le Dpt, qui dépend directement du premier ministre, déconcentre certaines politiques d’aménagement et certaines pratiques de planification. mais en établissant un contrôle étroit du Dpt sur l’activité des agences, par l’intermédiaire notamment du budget et du plan de développement stratégique qu’il doit approuver, cette transformation participe à l’instauration d’une « commande à distance » des territoires, pour reprendre l’expression de r. epstein forgé dans le contexte français (epstein, 2009), plus qu’à une véritable décentralisation. Les agences de développement ne sont pas encore, et de loin, des collectivités territoriales. L’arTicULaTion région/MéTropoLe aU cœUr dU déBaT enTre cohésion eT coMpéTiTiviTé TerriToriaLes Le débat sur la cohésion territoriale ne se pose donc pas de la même manière en turquie que dans les pays 53 fondateurs de l’ue. mais le débat entre cohésion territoriale et compétitivité territoriale n’en est pas pour autant relégué en arrière-plan. La volonté du gouvernement d’arrimer la turquie aux circuits internationaux (circuits d’échanges, de production, de création, d’accueil touristique, etc.) entraîne une concentration des investissements publics et une polarisation du développement économique. Les villes choisies en 2009 pour accueillir des clusters de recherche et de production n’ont pas été sélectionnées au hasard. ce sont celles qui bénéficient déjà d’une dynamique en la matière, que le gouvernement entend soutenir et renforcer afin de créer un nombre limité de pôles compétitifs et efficaces pour tirer la croissance nationale vers le haut. cette polarisation rejoint les préoccupations majeures du sDec et de l’agenda territorial en ce qui concerne la volonté de parvenir à un développement équilibré et polycentrique du territoire européen. ces pôles permettent de fixer des points de croissance en dehors de la région métropolitaine centrale, mais ils renforcent les quelques régions déjà bien intégrées dans l’économie internationale (Bursa, izmir, eskişehir, etc.). en favorisant le polycentrisme à l’échelle continentale en proposant des alternatives à istanbul dans le sud- Figure 2 : Rôle des stratégies actorielles dans la construction de l’espace régional A F A B Absence de coordination E F C E Planification Stratégique Régionale C Objectifs communs D D Structure régionale à faible coordination actorielle B Structure régionale à forte coordination actorielle Région comme espace support A Administrations déconcentrées Région comme construction sociale B Municipalités / Municipalités Métropolitaines Relation faible C Chambres de Commerce et d’Industrie Relation solide et régulière D Syndicats patronaux et/ou salariaux Orientation stratégique E Assemblée provinciale Rôle moteur - Leadership F Organisations non-gouvernementales / Associations locales B. Montabone©UMR ESO, Rennes, 2011 N° 32, décembre 2011 e e so o 54 La cohésion territoriale en périphérie de l’Union européenne : les enjeux du développement régional en Turquie est européen, ils renforcent la position hégémonique de cinq ou six pôles à l’échelle nationale, oubliant le reste du territoire, notamment toute la partie est qui est pourtant celle identifiée comme la plus délaissée. un niveau de villes intermédiaires émerge également en anatolie centrale, indépendamment des dynamiques européennes mais participant à la diversification de la hiérarchie urbaine; il s’agit des fameux « tigres anatoliens », nouvelles métropoles régionales de 500000 à 1000 000 d’habitants qui présentent des croissances démographiques et économiques fortes, telles Konya, Kayseri ou Gaziantep. Les agences nouvellement créées ont pour objectif de renforcer ces pôles métropolitains en devenir. Le cas de la turquie confirme ainsi la dimension multi-scalaire du polycentrisme normatif, et illustre toute la difficulté à assurer une cohésion territoriale équitable à toutes les échelles considérées. À l’échelle régionale, la question de l’articulation entre les dynamiques métropolitaines et les nouveaux découpages régionaux est essentielle. La puissance des forces d’agglomération et des migrations intérieures font que la plupart des grandes villes (plus de 500000 habitants) connaissent toujours aujourd’hui une forte croissance. cette croissance est telle que les modes de gouvernance de l’étalement semblent toujours avoir un temps de retard sur le front urbain. il n’est pas encore possible de déterminer si les agences de développement auront un impact sur la gestion des espaces métropolitains, mais les trois exemples étudiés plus précisément montrent des évolutions contrastées. À istanbul, le périmètre de l’agence est déjà trop étroit, et rien ne semble fait pour favoriser les coopérations territoriales avec les régions voisines. À izmir, au contraire, l’échelle provinciale retenue pour constituer la région semble plus pertinente du fait que la municipalité métropolitaine ne recouvre pas l’ensemble de la province (figure 3). mais les dynamiques urbaines et régionales vont bien au-delà de la province, et la délimitation du territoire de la nouvelle agence coupe izmir d’un nombre important de villes relais dans son hinterland égéen. Dans le cas des régions qui comportent deux pôles urbains d’importance équivalente, comme celle de Diyarbakır-Şanlıurfa, la question est de savoir dans quelle mesure les villes coopéreront entre elles, ou si l’une d’entre elles captera l’essentiel des investissements au détriment des autres. Les incohérences spatiales du Figure 3 : Découpages administratifs et régionaux de la région égéenne (Ege Bölgesi) Région égéenne en Turquie Mer de Marmara Cadres administratifs traditionnels Bursa Çanakkale Ancienne région (dite «naturelle») Egée (1941) Bilecik Eskişehir Balıkesir Kütahya Province Préfecture Afyon Manisa Membre de EGEV* * Association pour le developpement Uşak économique de la région égéenne Izmir Nouveau découpage régional (2006) Mer Egée Denizli Aydın İsparta Burdur N 100 km TR 31 Izmir TR 32 Aydın TR 33 Manisa Muğla TR 22 Balıkesir Antalya Izmir Centre régional B. Montabone©UMR ESO, Rennes, 2011 eso, travaux & documents La cohésion territoriale en périphérie de l’Union européenne : les enjeux du développement régional en Turquie découpage de certaines régions laissent penser que la deuxième option s’imposera dans bien des cas. sur le plan de la gouvernance territoriale, les agences instaurent un nouveau mode de gestion basé sur la concertation et la production de projets de développement par des acteurs très différents. La hiérarchie républicaine et les jeux partisans ne laissent pour l’instant que peu de place à ce nouvel outil pour s’imposer, comme le montre la création d’un pôle de recherche à izmir avec une participation de façade pour l’agence (pôle inoviz autour du secteur biomédical lancé par la Zone Franche égéenne). mais la seule délimitation d’un territoire jusque-là ignoré – un ensemble de départements formant une région – permet de dépasser les cadres existants et de permettre l’émergence de nouvelles formes de coopérations territoriales, pour reprendre l’expression de m. Bussi (2009). cohésion territoriale ou compétitivité métropolitaine, le débat n’est pas clos. il ne fait que commencer. Les agences peuvent jouer un rôle central pour orienter les politiques publiques et les dynamiques spatiales dans un sens ou dans l’autre. il faut maintenant attendre pour analyser comment leurs positions vont évoluer au fil du temps, et voir si leurs fonctions vont être maintenues pour pouvoir mener à bien les objectifs qui leur ont été affectés. conclusion La création des agences de développement n’est pas le résultat de l’application d’un modèle européen vers un pays candidat. il s’agit d’une opportunité saisie du côté turc pour promouvoir l’échelle locale dans le développement économique. La dimension européenne est bien sûr importante, car les négociations d’adhésion servent de cadre à la mise en place de la pas la même forme dans tous les pays de l’ue, ni dans toutes les régions d’un même pays. La cohésion territoriale ne constitue pas un cadre juridiquement contraignant, et dans le cas de la turquie n’est pas perçue comme un objectif essentiel. mais par l’intermédiaire d’outils spécifiques (nécessité d’un échelon régional) et de pratiques particulières (cofinancement, appel à projet, etc.), le processus d’européanisation met en place un cadre qui peut se révéler favorable à la cohésion territoriale. cette étude permet également de remettre en question les approches systématiques en terme de transfert institutionnel dans les théories de l’européanisation. il est nécessaire de regarder les évolutions d’en bas et de comprendre le sens des réformes nationales pour se rendre compte de la puissance d’adaptation des pays candidats. par exemple, le concept de « territoire » dans sa définition française, essentiel dans la définition des politiques européennes de développement local, n’existe pas en turquie. Le territoire est le memleket, c’est-à-dire l’assise spatiale de la nation, le territoire national, un et indivisible. La notion de cohésion territoriale, qui n’a pas de traduction littérale en turc, renvoie plus à la préservation de l’intégrité territoriale de la nation (toprak Bütünlüğü) qu’à des cadres spatiaux pouvant servir de support ou de moyen à la mise en œuvre de politiques de développement. cela ne présume en rien de l’existence de politiques d’aménagement visant à renforcer – ou non – cette cohésion territoriale, mais il convient d’adopter une posture prudente dans l’étude de concepts sur des terrains étrangers à leur invention. Les agences de développement posent ainsi les bases d’un fonctionnement calqué sur les standards européens, mais ces derniers ne permettent pas de réforme. mais l’étude du chapitre XXii sous toutes ses formes, depuis la définition de l’acquis communautaire jusqu’aux expériences menées sous l’égide de la délégation de la commission européenne à ankara, atteste d’une co-construction des normes européennes. La volonté européenne de promouvoir une cohésion territoriale intervient donc de manière détournée dans la transformation des politiques nationales d’aménagement du territoire. L’émergence de nouvelles formes d’action publique à l’échelle régionale est bien un des traits majeurs de l’européanisation de l’aménagement du territoire, mais cette régionalisation ne prend choisir une orientation plutôt qu’une autre. ils assurent le compromis, en rendant possible l’assertion selon laquelle la compétitivité est au service de la cohésion territoriale, et que la cohésion territoriale est indispensable pour assurer la compétitivité d’une économie. cependant, les forces économiques étant largement supérieures en puissance monétaire (et par ricochet juridique) aux capacités d’intervention des pouvoirs publics en turquie, la concentration spatiale pour favoriser la compétitivité territoriale semble être la voie choisie par ce pays à l’heure actuelle, au détriment de la cohésion territoriale. 55 e e so N° 32, décembre 2011 o 56 La cohésion territoriale en périphérie de l’Union européenne : les enjeux du développement régional en Turquie Bibliographie • BaYirBaĞ m. 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Dans cette quête, les recherches se sont attachées à décrypter les interactions entre les institutions, les acteurs qui prennent en charge les personnes âgées, les besoins de ces mêmes personnes âgées et le cadre géographique. Les recherches se sont déroulées en trois temps. Dans un premier temps, une multitude de données démographiques, médicales, sociales et économiques relatives au vieillissement de la population et à l’offre de services et d’établissements gérontologiques ont été (*) thèse de doctorat de géographie soutenue le 7 avril 2011 à l’université d’angers Système d'acteurs gérontologiques Interactions Besoins territoriaux des personnes âgés Cadre géographique Conséquences socio-spatiales des politiques de la vieillesse Blanchet M.©ESO Angers, 2009 mobilisées afin de dresser un état des lieux du vieillissement régional. ce travail a ensuite été suivi d’analyses multivariées et de typologies régionales sur la vulnérabilité des personnes âgées. ces opérations ont alors permis de sélectionner quatre départements et six intercommunalités d’étude propices à l’étude géographique des interactions entre les acteurs gérontologiques et les personnes âgées. L’étude de ces interactions s’est tout d’abord centrée sur les acteurs gérontologiques qui évaluent et répondent aux besoins des personnes âgées. 127 entretiens semi-directifs ont été nécessaires à la réalisation de cette étape. À l’instar des recherches, les entretiens distinguent l’échelle institutionnelle (conseils généraux, administrations d’état, conseils de l’ordre des médecins et caisses de retraite: 16 entretiens) de l’échelle locale où 111 d’acteurs gérontologiques locaux (médecins généralistes, infirmières libérales, services de soins infirmiers à Domicile, maisons de retraites, centres communaux d’action sociale, services d’aide à domicile, centre Locaux d’information et de coordination…) ont été interrogés dans les six intercommunalités d’observation. À la suite d’un long travail d’analyse et de cartographie de l’offre de services et d’établissements gérontologiques, il a été possible de ressortir les pratiques spatiales des institutions et des acteurs gérontologiques. enfin, la dernière phase de recherche a eu pour but d’évaluer le rapport e e so N° 32, décembre 2011 o 58 Politiques de la vieillesse dans la région Pays de la Loire local des personnes âgées à l’offre de services et d’établissements gérontologiques. également, menées dans les intercommunalités d’observation, ces recherches se sont appuyées sur des sources institutionnelles relatives aux activités gérontologiques (allocataires de l’allocation personnalisée autonomie, minimum vieillesse, taux d’équipement, consommations médicales, activités des services…) ainsi que sur la diffusion d’un questionnaire auprès de 900 personnes âgées portant sur les pratiques, le rapport local à l’offre et les solidarités informelles (familiales, amicales, voisinage) Carte 1 : Départements et intercommunalités d’observation en 2010 CC CC du du Pays Pays de de Mayenne Mayenne Département EPCI Intercommunalités d'oservation Mayenne Loire-Atlantique Maine-et-Loire en situation de besoin. CU de Nantes Métropole CC du Canton de Baugé CA du Choletais écheLLes et territoires d’étUde CC du Pays de Pouzauge Vendée La prise en compte de l’échelle régionale dans une recherche sur les politiques gérontologiques peut susciter des interrogations. Le conseil régional n’intervient en effet que partiellement sur le champ gérontologique (formation professionnelle). L’intérêt se situe ailleurs. tout d’abord, la majeure partie des activités gérontologiques est organisée à cette échelle (agence régionale d’Hospitalisation, Direction régionale des affaires sanitaires et sociales, caisse régionale d’assurance maladie). ensuite, l’observation à l’échelle de la région rend possible les comparaisons entre les politiques gérontologiques départementales. mais surtout, cette échelle territoriale s’avère également intéressante dans l’observation gérontologique locale: la région compte en effet plus d’une centaine d’intercommunalités, maillons infra-départementaux qui se révèlent pertinents dans l’analyse des politiques territorialisées de la vieillesse. par ses compétences gérontologiques, le département est incontournable: une partie importante des processus d’action, de planification et de finance- Sarthe CC du Pays de Saint-Gilles Croix-de-Vie Vendée 0 25 km Blanchet M.©ESO Angers, 2009 ment de l’action gérontologique est concentrée à cette échelle. Les recherches n’ont concerné que quatre des cinq départements de la région (la sarthe n’est pas concernée par l’étude). enfin, l’intercommunalité a été choisie comme maillon local de référence. Des critères géographiques (urbain, périurbain, rural et littoral) et démographiques (% de personnes âgées de plus de 60 et 80 ans) ont ensuite permis de sélectionner six intercommunalités de référence. Le choix s’est donc porté sur une intercommunalité urbaine, une intercommunalité littorale vendéenne et trois intercommunalités rurales: les intercommunalités de nantes métropole, de l’agglomération du choletais, du pays de pouzauges, du pays de mayenne, du pays de saint-gilles croix de vie et du canton de Baugé. Tableau 1 : Caractéristiques démographiques du vieillisssement de la population des intercommunalité d’observation en 2007 en % plus de 80 ans Ménages de plus de 80 ans composés d'une seule personne Taux d’équipements médicalisés pour 1000 personnes de plus de 80 ans 123 Nantes Métropole 18,0 6,4 45,0 Agglomération du Choletais 18,6 6,0 41,6 94 Canton de Baugé 27,8 11,0 38,1 181 Pays de Mayenne 20,5 7,7 44,2 238 Pays de Pouzauges 22,6 7,5 35,2 103 Pays St Gilles Croix de Vie 32,0 11,7 41,2 Blanchet M.©ESO Angers, 2009 eso, plus de 65 ans travaux & documents 121 RGP 2007, Insee Politiques de la vieillesse dans la région Pays de la Loire 59 plus de 80 ans, l’origine sociale des ménages retraités, la part des ménages de plus de 60 ans et de plus de 80 ans composés d’une personne, la part des ménages de plus de 60 ans et de plus de 80 ans habitant un logement ancien (construit avant 1945), les revenus des ménages de 60-75 ans et de plus de 75 ans et la densité démographique. La vieiLLesse, Une Période hétérogène et contrastée sUr Le territoire si la vieillesse peut être période d’épanouissement grâce à la retraite, elle est également une période de ruptures sociales, affectives et biologiques auxquelles notre recherche s’intéresse. Face à ces mêmes ruptures, les personnes âgées ne sont pas égales: l’âge (colin, 2001), le sexe (Bonnet, Buffeteau et godefroy, 2004), l’origine sociale (mizrahi, 2003), le mode d’habitation, les revenus (noguès, 2006) constituent des facteurs d’inégalités biologiques, sociales et économiques entre les personnes âgées. afin de dresser une typologie de la vulnérabilité régionale des personnes âgées, ces mêmes variables ont été croisées à d’autres variables démographiques et géographiques à partir d’une analyse en composantes principales (acp) puis à partir d’une classification hiérarchique ascendante (caH). Les variables utilisées lors de ces analyses multivariées sont issues des enquêtes de l’insee et comprennent les parts des personnes âgées de plus de 60 ans et de plus de 80 ans, la part des femmes dans les populations âgées de plus de 60 et de en premier lieu, l’analyse en composantes principales nous apprend que le vieillissement de la population régionale est solidaire de la densité démographique. À mesure que celle-ci baisse, la proportion de personnes âgées et la proportion de retraités d’origine populaire dans la population augmentent; et à mesure qu’elle croît, la part des ménages âgés composés d’une seule personne et la part des ménages retraités d’origine sociale aisée augmentent. À la suite de cette analyse multivariée, six classes ont été retenues lors de la classification hiérarchique ascendante dans le but de ressortir de manière spatialisée et hiérarchique la vulnérabilité des personnes âgées. comme le montre la carte, ces six classes font clairement apparaître une opposition entre Carte 2 : Typologie territoriale de la vulnérabilité des personnes âgées dans la région Pays de La Loire VULNERABILITE DES PERSONNES AGEES Isolement résidentiel profil rural vulnérable profil urbain profil littoral profil péri-urbain Grand vieillissement Jeunes profil rural favorable profil rural moyen Cohabitation 0 25 km Blanchet M.©ESO Angers, 2009 Méthodologie La typologie de la vulnérabilité des personnes âgées au sein des 127 intercommunalités de la Région Pays de la Loire s’est appuyée sur une Analyse en Composantes Principales (ACP) puis sur une Classification Hiérarchique Ascendante (CAH). L’ACP est une méthode qui consiste à à transformer des variables liées entre elles (dites “corrélées” en statistique) en nouvelles variables décorrélées les unes des autres. Ces nouvelles variables sont nommées "composantes principales", ou axes. Elle permet au praticien de réduire l'information en un nombre de composantes plus limité que le nombre initial de variables. La CAH est une méthode de classification automatique utilisée en analyse des données. A partir d’un ensemble de n individus et de manière hiérarchique (entre les individus et les variables), sont but est de répartir ces individus dans un certain nombre de classes les plus hétérogènes entre elles et les plus homogènes in-nihilo. e e so N° 32, décembre 2011 o 60 Politiques de la vieillesse dans la région Pays de la Loire milieux rural, urbain et littoral. Le profil urbain regroupe les principales intercommunalités urbaines de la région. ce profil se distingue par des fortes inégalités de répartition des personnes âgées, des revenus médians des personnes âgées et par une surreprésentation des ménages âgés composés d’une personne. Le profil périurbain, quasi-exclusif à la Loire-atlantique, se singularise par un faible vieillissement de la population et par une homogénéité socio-économique des ménages âgés. Le profil littoral présente un vieillissement important, un grand vieillissement (plus de 80 ans) pondéré et une surreprésentation des ménages âgés vivant en couple et d’origine sociale aisée. Hétérogènes, les intercommunalités rurales sont divisées en trois profils. tout d’abord, un profil « favorable » où le dynamisme démographique pondère la part des personnes âgées dans la population et où la part de ménages âgés composés d’une personne est faible (intercommunalités rurales de la Loireatlantique, du bocage vendéen, du choletais et de l’arrière-pays littoral atlantique). Le second profil rural présente des valeurs proches des standards régionaux. on le retrouve dans le sud de la vendée et l’est du maine-et-Loire. Le troisième profil rural regroupe les intercommunalités où les prédispositions face à la vulnérabilité au grand âge sont les plus fortes: surreprésentation des personnes très âgées dans la population, des ménages composés d’une personne, des ménages d’origine agricole, des femmes très âgées, des revenus médians les plus faibles et des habitations vétustes. ce profil s’observe dans le nord des départements de la mayenne, de la sarthe et du maine-et-Loire. des PoLitiqUes territoriaLes sUBdivisées De l’hôpital aux familles, en passant par l’aide à domicile, l’action gérontologique recouvre un champ d’acteurs large et varié. cependant, l’action gérontologique demeure subdivisée sur les plans sectoriels, politiques et territoriaux. comme le rappelle D. argouD (1998), la décentralisation et la volonté politique de maîtriser les dépenses sociales ont développé cette logique de segmentation. À la sortie des années 2000, les prérogatives gérontologiques oscillaient entre cloisonnement et chevauchement : si les compétences sanitaires demeuraient dans le giron de l’état, les affaires médicosociales (maisons de retraites médicalisées, soins infirmiers à domicile) et la gestion de l’allocation personna- eso, travaux & documents lisée autonomie étaient partagées entre les départements, l’état et les caisses de retraites. Les entretiens auprès des institutions et des acteurs gérontologiques locaux corroborent ce constat. L’introduction des normes individuelles, les politiques gestionnaires et le retour de l’état sur le champ médico-social (loi Hpst renforçant l’agence régionale de santé dans l’organisation territoriale des établissements et des services médico-sociaux) et de l’aide à domicile ont alimenté ces cloisonnements sectoriels au détriment de la politique territorialisée plus transversale. Dans ce jeu, le territoire constitue pour ces mêmes institutions gérontologiques un enjeu important, et ce, pour deux raisons: car il permet une meilleure adaptation aux besoins individuels des personnes âgées et il constitue un support d’affirmation et d’imposition de ses propres marges de manœuvre aux autres acteurs et institutions. pour exister, les administrations de l’état, les départements et les caisses de retraites territorialisent leurs actions de manière hiérarchique et contrôlée, et n’opèrent à aucun moment de véritables jonctions territoriales et sectorielles vers les autres institutions. Face à la nécessité d’individualiser et d’adapter les réponses aux besoins, les institutions et les instances gérontologiques n’ont pas convergé vers plus d’harmonisation: souhaitant s’adresser au plus près des publics âgés en besoin, elles ont développé de manière segmentée des services et des établissements. résultat, en 2004, le panel d’établissements et de services gérontologiques sur la région pays de la Loire était de 34. en 2010, il était de 56. si cette adaptation a en outre favorisé les prises en charges, elle marque également en aval le choix d’une approche sectorielle au détriment d’une approche territoriale et transversale. Les comparaisons départementales ainsi que la répartition, selon le type, des établissements et des services gérontologiques montrent que ce développement a favorisé les inégalités et les dispersions territoriales. vers Une offre gérontoLogiqUe disPersée et inégaLe sUr Le territoire tout d’abord, la diversité de l’offre de services et d’établissements et de services gérontologiques au sein des intercommunalités d’observation se révèle inégale: Politiques de la vieillesse dans la région Pays de la Loire leur niveau est respectivement de 26, 28 et 31 pour les intercommunalités rurales de Baugé, pouzauges et mayenne et, respectivement de 49 et 41 pour les intercommunalités urbaines de nantes et de cholet. Les orientations de l’état, des conseils généraux et des caisses de retraites, mais aussi les moindres capacités économiques et techniques en milieu rural, expliquent ces écarts. Le passage d’une logique d’établissement à celle de besoin a eu pour conséquence de multiplier et de superposer sans cohérence ni concertation les cadres territoriaux de régulation de l’action gérontologique. il en découle une dispersion géographique de l’offre et des territoires d’action qui interroge sur la réelle efficacité des dispositifs et des tentatives de coordination. De fait, la répartition héritée de l’offre de services et d’établissements gérontologiques est tributaire des enjeux de pouvoir dans lesquels les institutions font valoir une multitude de critères (administratifs, sectoriels, géographiques, économiques, politiques…). il en résulte le maintien des inégalités héritées de répartition de l’offre gérontologique entre milieu urbain et rural. Le recensement de l’offre d’établissements et de services s’adressant aux publics âgés nous montre à l’échelle régionale que: • Les établissements hospitaliers sont répartis sur le territoire selon le degré de spécialisation. Dans ce schéma, les villes les plus importantes de la région accueillent les filières les plus spécialisées et les pôles ruraux, les établissements les moins spécialisés (les filières gériatriques). • La médecine libérale demeure corrélée la densité démographique. on constate de fortes inégalités de Figure 2 : Superposition des cadres territoriaux de régulation de l’action gérontologique répartition et des faibles densités médicales aux frontières rurales de la sarthe, de la mayenne et du maineet-Loire, où l’on compte en 2011, entre 170 et 213 médecins généralistes et spécialistes pour 100000 habitants (contre 259 à l’échelle régionale). • Les services de soins infirmiers à domicile et les établissements d’accueil sont répartis de manière inégale sur le territoire. La médicalisation est de plus en plus soumise à des logiques de planification partagée entre les conseils généraux et l’état, qui vont dans le sens d’un rééquilibrage de l’offre entre et à l’intérieur des départements. seulement, les efforts entrepris demeurent assujettis aux héritages locaux, notamment en milieu rural, et à la forte croissance du nombre de personnes âgées en ville. en conséquence, les espaces ruraux présentent un taux d’équipements médicalisés supérieur à celui des aires urbaines mais disposent en revanche d’un panel d’établissements moindre: en 2009 et en dépit des inégalités entre les intercommunalités rurales, le taux d’équipements en lits médicalisés est plus élevé sur l’ensemble des intercommunalités rurales (138 lits pour 1000 personnes de plus de 75 ans) que sur l’ensemble des intercommunalités urbaines et péri-urbaines (116). • Le secteur de l’aide à domicile, soumis à la concurrence, est plus développé en ville. L’arrivée des acteurs privés a été plus forte en milieu urbain et sur le littoral, et limitée en milieu rural. on observe en ville et sur le littoral un retrait des centres communaux d’action sociale, une arrivée massive des enseignes à but lucratif qui vient s’ajouter aux associations historiques. À l’inverse, les entreprises ont peu investi les zones rurales où l’on recense une répartition homogène des ccas et des associations. forces et LiMites dU dence Territoires de santé Départements Cantons EPCI Activités Activités libérales libérales Blanchet M.©ESO Angers, 2009 61 « déParteMent-Provi- » La gestion des politiques spécifiques aux personnes âgées s’inscrit dans un rapport ambivalent de l’état avec les marges de manœuvre des collectivités locales. Dans ce jeu, l’état adopte vis-à-vis des conseils généraux une double posture partenariale et d’ingérence. ainsi, sur le champ social, l’instauration de normes concurrentielles dans le secteur de l’aide à domicile a contribué au retour de l’état dans un secteur jusque-là sous la tutelle des conseils généraux et des collectivités locales. sur e e so N° 32, décembre 2011 o 62 Politiques de la vieillesse dans la région Pays de la Loire le champ sanitaire, la création des agence régionale d’Hospitalisation puis des agences régionales de santé en 2010 renforce les compétences de l’état en matière de régulation de l’offre sanitaire et médico-sociale. contrôle accru de l’état ne rime pas forcément avec investissement. car l’état n’affirme pas d’autre ambition politique que de réaliser des économies et d’introduire une régulation concurrentielle (par appel à projet) et spécifiée de l’offre sanitaire et médico-sociale. outre les économies visées, cette réforme interroge sur la redéfinition des rapports de l’état avec les institutions, les instances et les acteurs gérontologiques locaux. Dans un contexte de rigueur budgétaire, les caisses de retraites et les collectivités locales s’accordent à faire état de rapports économiques imbriqués et conflictuels. pour autant si la conflictualité de ces rapports économiques est exposée, peu d’acteurs institutionnels interrogés les remettent en cause. De cette absence de revendication, il ressort un compromis institutionnel et économique entre un état soucieux de réduire ses dépenses et des conseils généraux qui souhaitent assumer des compétences politiques. un conseiller général vendéen résume ce compromis: « sur la forme, on se dispute avec les services de l’état sur les questions économiques. mais dans le fond, on a besoin d’eux et, eux, ils ont besoin de nous. Donc quand les demandes augmentent chez nous et quand l’état nous dit qu’il faut se serrer la ceinture, les tensions sont ravivées. (…) mais pour moi, ces tensions sont nécessaires, l’émulation politique ne fait jamais de mal, cela participe à la bonne administration du territoire ». comme le montre le tableau 2, la croissance des budgets gérontologiques liée à l’explosion du nombre d’allocataires de l’apa et à la médicalisation des maisons de retraites a eu pour conséquence de réduire les politiques départementales à la gestion de la dépendance, ce qui les a incitées, selon les densités démographiques et les potentiels économiques, à réguler l’offre entre ouverture au privé, concurrence et planification. sur les quatre départements de l’étude, la Loireatlantique, le maine-et-Loire et la vendée présentent une régulation économique de l’offre et des demandes en s’appuyant sur un développement sectoriel et une ouverture contrôlée aux services lucratifs tandis que la mayenne s’appuie sur les fédérations d’établissements et de services pour réguler l’offre. eso, travaux & documents Tableau 2 : Evolution des budgets gérontologiques des Conseils généraux de l’étude entre 2004 et 2008 (en %) Loire-Atlantique Maine-et-Loire Mayenne Vendée 33% 39% 36% 32% DRASS, PDL 2005 et 2009 Blanchet M.©ESO Angers, 2009 vers Une figUration PoLitiqUe et géograPhiqUe dU vieiLLisseMent ? L’évaluation finale des interactions géographiques entre l’offre de services et d’établissements gérontologiques et les personnes âgée s’est appuyée à l’échelle des intercommunalités d’observation: • sur les données relatives aux activités gérontologiques locales (les séjours hospitaliers, la consommation médicale, les actes infirmiers des personnes âgées, l’allocation personnalisée autonomie (selon le degré de dépendance), le minimum vieillesse, les populations âgées bénéficiant des services d’aides à domicile et de proximité). • et sur les réponses de 900 personnes âgées, à la suite d’une enquête sur leur rapport local à l’offre de services et d’établissements. Le croisement de ces sources à partir d’une analyse en composantes principales révèle la prégnance des modes de régulation hérités et actuels de l’offre dans la construction locale de la vieillesse. oscillant entre héritages locaux, régulation économique et planification, l’offre gérontologique se retrouve de plus en plus structurée sur le territoire selon son degré de savoir-faire et de rentabilité économique. cette recherche d’activité engendre une polarisation géographique de l’offre suivant des règles de densité démographique et technique. cette logique met à jour un contraste entre les villes où les activités les plus techniques et les plus soumises à la concurrence sont surconcentrées et les périphéries rurales où les pouvoirs publics maintiennent une offre d’établissement et de services moins variée. Dans ce jeu, l’allocation personnalisée autonomie nivelle les inégalités de l’offre et institue de fait un alignement de la demande. par ricochet, le questionnaire montre que cette logique de concentration-polarisation modèle les régulations locales entre les personnes âgées, les familles et la collectivité. il en ressort trois formes de régulation solidaires de la structuration et de la lisibilité locale de l’offre professionnelle. Politiques de la vieillesse dans la région Pays de la Loire 63 Figure 3 : Régulations locales entre les personnes âgées, les aidants informels et les professionnels Régulations SOLIDARITES FAMILIALES consumériste familiale collective Aides de la famille CC Pays de Pouzauges Aidants potentiels CC Saint-Gilles Croix de Vie CA Choletais Recours aidés à un service Banlieue nantaise Recours aidés à une allocation ETABLISSEMENTS DOMICILE CC Canton de Baugé EHPAD CC Pays de Mayenne % 82 ans Densité démographique faible Recours direct à une allocation Aides des amis SAD Professions libérales Densité démographique élevée + recours direct à un service Ménages âgés seuls Recours à plusieurs services Nantes Aides des voisins SOLIDARITES COLLECTIVES Blanchet M.©ESO Angers, 2009 • une première forme de régulation dans les intercommunalités rurales de mayenne et de Baugé où les pouvoirs publics et les services sociaux tentent de combler les distances familiales et maintiennent l’offre existante. • une deuxième forme de régulation rurale au niveau de l’intercommunalité de pouzauges, où les solidarités familiales s’inscrivent en complément d’un niveau moyen de l’offre locale. • enfin, la régulation nantaise, où malgré leurs proximités, les familles tendent à se désengager en faveur d’un développement élevé et multiple de l’offre de services et d’établissements. en parallèle, on observe dans ces zones des liens de solidarités étroits avec les voisins. au final, l’adaptation locale des personnes âgées aux inégalités de répartition et de niveau de l’offre professionnelle se révèle inverse aux objectifs politiques annoncés. cet inversement fige le grand âge en tant qu’objet politique, social et géographique. en effet, il ressort de la prise en charge politique des vieillards une double figuration autour de la dépendance et des objectifs de développement économique et territorial. Dans ce jeu, on observe une « gestion » spatiale différenciée de la vieillesse: entre des zones où l’adoption des normes concurrentielles par les acteurs gérontologiques se traduit pour les personnes âgées et leurs familles par des pratiques et des parcours de choix et d’indépendance, et des zones rurales où la moindre rentabilité économique de l’action gérontologique se traduit par une prise en charge par les familles et la collectivité et par un conditionnement local plus élevé des pratiques et des parcours des personnes âgées qui présentent des besoins. PersPectives L’objectif de la thèse était, à partir d’un espace précis, d’analyser l’organisation spatiale des politiques de la vieillesse pour mieux ressortir ses conséquences géographiques. si nombre de sociologues (montovani 1998, argoud, 1998) ou politologues (Frinault, 2009) ont contribué au décryptage des politiques territorialisées à destination des personnes âgées, il n’existe pas d’ée e so N° 32, décembre 2011 o 64 Politiques de la vieillesse dans la région Pays de la Loire tudes qui en ont recherché la portée géographique. cette approche que propose la recherche enrichit le corpus scientifique sur cette question et approfondit les connaissances sur la dimension inégalitaire et normative des politiques de la vieillesse. Dans ce sens, la thèse montre que les politiques de la vieillesse sont de plus en plus tributaires de l’adoption par les pouvoirs publics des normes du secteur privé. il en découle la sédimentation d’inégalités gérontologiques entre les espaces dotés de capacités économiques et professionnelles et les espaces moins riches et moins structurés professionnellement. Devant la croissance à venir de personnes âgées dépendantes et de retraités en situation de précarité/pauvreté, il sera intéressant de suivre dans la région pays de la Loire mais aussi dans d’autres espaces, l’évolution et les conséquences socio-spatiales de ce mode gestion par poche, par segment des politiques sanitaires et sociales. Bibliographie • BLancHet m. (2011), Politiques de la vieillesse dans la région Pays de la Loire, thèse de géographie, 435 p. • BLancHet m., piHet c. (2009). état des lieux et enjeux du vieillissement de la population en pays de la Loire. Les cahiers nantais, n° 2-2009, p. 8. • coLin c. (2001). 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Cette semaine de formation, portée par le CNRS, a pu bénéficier de différents partenariats: le bureau d’études « Euphonia », l’Université européenne de Bretagne (UEB), les Universités de Rennes II et de Nantes, la Maison des Sciences de l’Homme de Bretagne, l’Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Strasbourg (INSA-ENSA) et le Centre de Découverte du Son de Cavan. Elle a réuni 54 participants et s’est déroulée du 4 au 8 juillet 2011 à la station biologique de Roscoff. espaces sonores : quels enjeux épistémologiques ? L’école thématique SOUNDSpACE s’inscrit dans un mouvement de prise en compte des sons en sciences humaines et sociales et positionne la réflexion sur les espaces sonores au cœur d’enjeux épistémologiques et sociétaux, à partir d’une perspective pluri/transdisciplinaire et d’une approche systémique, quantitative et qualitative. En 1985, Jean-François Augoyard soulignait que les sciences humaines étaient marquées par un « oubli sonore ». En effet, jusque dans les années 1970, les sons ont été principalement abordés en tant que « bruit » et analysés en termes acoustiques et quantitatifs par le biais de la gêne et des impacts sur la santé et sur l’environnement. Depuis, l’analyse des relations sons/espaces s’est développée, à partir de plusieurs - UMR 6590 CNRS - UNIvERSITÉ DE NANTES entrées disciplinaires (ethnologie, histoire, arts du spectacle, sociologie, psychosociologie, géographie etc.). Un mouvement d’écologie acoustique initié par le Canadien R. M. Schafer (World Soundscape project) dans les années 60-70, fédéré ensuite à l’échelle internationale autour des Soundscapes studies, a posé les bases d’une analyse pluridisciplinaire des « paysages sonores » 1. Le Forum Mondial de l’Écologie Acoustique créé en 1993 comprend aujourd’hui sept organisations et publie la revue Soundscape: The Journal of Acoustic Ecology. Ce mouvement d’écologie sonore s’est décliné en France de multiples façons à partir des années 1980, dans un contexte d’évolution des réglementations et d’émergence publique d’enjeux environnementaux. Bernard Delage, pierre Mariétan ou JeanFrançois Augoyard parmi beaucoup d’autres ont revendiqué une « culture sonore du quotidien », une approche qualitative des sonorités et ont proposé d’aller au-delà des zonages sonores. Ces chercheurs se sont intégrés dans des projets visant à proposer des référentiels communs pour l’étude des espaces sonores, par une prise en compte qualitative des contextes, des perceptions et des sources sonores. p. Mariétan a fondé le LAMU (Laboratoire d’acoustique et de musiques urbaines); J.-F. Augoyard et son équipe du laboratoire Cresson ont promu la démarche audio-ethnographique et proposé plusieurs outils d’analyses comparatives et d’application pour l’aménagement urbain, à partir notamment du répertoire des effets sonores, des méthodes d’analyse des identités sonores urbaines ou des ambiances (H. Torgue, C. Régnault, p. Amphoux etc.) 2. plusieurs chercheurs ont mené des 1- voir SCHAFER R. Murray, 1976, 1977, The tuning of the world. New York: Knopf. 2- voir par exemple : AMpHOUX p. (dir), 1981. Aux écoutes de la ville. La qualité sonore des espaces publics européens. Méthode d’analyse comparative. Enquête sur trois villes suisses. CRESSON. AUGOYARD J.-F. et TORGUE H. 1998, A l’écoute de l’environnement. Répertoire des effets sonores, Ed. parenthèses. e e so o N° 32, décembre 2011 68 « Soundspace : Espaces, expériences et politiques ». Positionnement de l’école thématique du CNRS études sur la caractérisation qualitative de l’environnement sonore (p. Woloszyn, A. Léobon, C. Sémidor par exemple). parallèlement, différentes disciplines ont développé une approche critique de la domination du visuel dans l’écriture de l’histoire et en particulier de l’histoire des arts dits « du spectacle » (M.-M. Mervant-Roux, D. Deshays, M. Chion, Jonathan Stern). vue et connaissance sont socialement intrinsèquement liées. Certains historiens se sont intéressés aux paysages sensibles, aux bruits et au paysage sonore des activités festives et marchandes, ainsi qu’à l’évolution des tolérances et sensibilités (A. Corbin, J-p. Gutton, Massin). D’autres ont mené des travaux sur la reconstruction archéologique des sons du passé développés en architecture ou en acoustique (O. Balaÿ, J-p. Gutton) 3. Les arts du spectacle, l’histoire ou la musicologie ont également renouvelé l’historiographie du spectacle et du concert par la prise en compte des techniques de diffusion sonore et des lieux de concert et de théâtre volution des techniques et de ses usages a aussi amené des chercheurs en sciences de la communication ou de la sociologie à analyser les impacts de l’écoute au casque sur le rapport à l’environnement urbain notamment (M. Bull, J-p. Thibaud, A. pecqueux) 4. Enfin, les enjeux sociaux et politiques de l’aménagement des sons ont été analysés. Des travaux de géographie sociale s’intéressent dès les années 1990 aux acteurs, modes d’action, représentations et contextes socioculturels des conflits relatifs au « bruit ». D’autres analysent les représentations et les impacts socio-spatiaux des nuisances sonores dues aux transports ou encore l’action publique relative aux sons (G. Faburel, B. Chartier, F. Roulier, H. Kariel, B. Ohlson, p. Mélé). Le sonore est donc un objet transdisciplinaire, à la croisée entre sciences physiques et de l’ingénieur, sciences humaines et sociales et approches artistiques. La pluralité des collaborations pour l’organisation de l’école thématique SOUNDSpACE est constitutive de la thé- (M-M. Mervant-Roux, O. Balaÿ, B. Suner, D. Deshays, M. Chion, K. Le Bail, D. Laborde). L’ethnomusicologie a également abordé le sonore à partir des frontières du musical, en s’intéressant à la voix, aux cris, aux musiciens de rue, à la musicalité des sociabilités (C. Guillebaud, M. Degen, O. Féraud, J. Ayats). Ces nouveaux objets ont suscité des débats sur la transposition des modèles d’analyse musicale à l’étude de l’environnement sonore. Certains chercheurs se sont définis comme appartenant à une anthropologie sonore et ont abordé la production sociale des catégories son/bruit/musique (D. Laborde, R. pelinski. C. Guiu). par ailleurs, l’émergence du sensible, des émotions et du corps a contribué à l’essor des approches kinesthésiques. Des géographes humanistes, anthropologues, psychosociologues ont abordé le son en tant qu’expérience sensible, travaillant les notions de microsociabilités, de performances, de mises en corps et d’émotion (D. Lowenthal, B. Anderson, D. pocock, p. Rodaway, S. Cohen, A. Moles, D. Dubois etc.). L’é- matique abordée. L’école thématique a voulu être représentative des différentes approches des espaces sonores et a regroupé des spécialistes de différentes disciplines. Les participants se rattachaient à la géographie (16), à l’ethnologie ou anthropologie (10), à la sociologie (3), à l’architecture (6), l’ingénierie du son et l’acoustique (5), à l’histoire et l’histoire de l’art et des « arts du spectacle » (4), aux Lettres (1), aux sciences de la communication (2). L’analyse des espaces, des expériences et des politiques sonores se nourrit nécessairement d’une complémentarité entre les disciplines, mais aussi entre différents porteurs de savoirs et de savoir-faire, c’est-à-dire ici entre chercheurs, experts, acteurs culturels et acteurs politiques. En ce sens, l’école thématique a accueilli des artistes (pauline Boyer, Jérôme Joy, Étienne Noiseau, Daniel Deshays) et des chercheursartistes. De tout temps, les mouvements contemporains de la création musicale n’ont cessé de jouer sur les relations entre l’oreille et l’environnement sonore, en cherchant à bousculer les conditions sociales de l’écoute musicale (musique descriptive, bruitisme et composi- 3- voir par exemple : CORBIN Alain, 1994. Les cloches de la terre. Paysage sonore et culture sensible dans les campagnes au XIXe siècle. paris : Albin Michel. GUTTON Jean-pierre, 2000. Bruits et sons dans notre histoire : essai sur la reconstitution du paysage sonore. paris, pUF. 4- par exemple : RODAWAY paul, 1994. Sensuous Geographies. Body, Sense and Place. London and New York : Routledge. Bull M., 2004. « Sound Connections : an aural epistemology of proximity and distance in urban culture », Environment and Planning, D. Society and Space, 22 : 103-116. eso, travaux & documents « Soundspace : Espaces, expériences et politiques ». Positionnement de l’école thématique du CNRS tions futuristes, musique concrètes, art sonore etc.). L’école a également réuni des acteurs culturels (Guy-Noël Olivier, Jérôme Hamelin, Chantal Latour) et des ingénieurs du son et acousticiens (Arnault Damien, Thomas Leduc, Jean-Dominique pollack, philippe Woloszyn). Si les réflexions sur les espaces sonores sont menées depuis plusieurs décennies maintenant, plusieurs dynamiques sociétales placent aujourd’hui le sonore au centre de d’enjeux épistémologiques, politiques et d’aménagement renouvelés. En effet, l’essor des préoccupations environnementales et des aménités territoriales, du bien-être et de la qualité de vie, la multiplication des approches écologiques et esthétiques des espaces (paysages sonores) encouragent des démarches associant sciences physiques et de l’ingénieur et sciences humaines et sociales autour de la gestion des nuisances sonores et de l’évaluation des ressentis et représentations des ambiances sonores. La croissance des déclarations de gêne sonore, la multiplication des plaintes et la diffusion des revendications associatives révèle à la fois des variations de tolérance aux messages sensoriels et des dynamiques sociales marquées par l’individuation, l’industrialisation ou l’essor des mobilités. La diffusion du son redéfinit les frontières entre l’espace public et l’espace privé, frontières qui se font d’autant plus poreuses que les nouvelles technologies multiplient les formes individuelles d’écoute. Ces frontières sonores créent donc des tensions et des jeux de pouvoir entre différents groupes, entre des bulles individuelles et des sphères collectives. parallèlement se développent des politiques spécifiques du sonore et des réglementations à différentes échelles, ce qui pose la question d’une territorialisation de l’action publique passant par la définition de périmètres de zones de bruit ou de zones calmes, de zonages, à différentes échelles. par ailleurs, le mouvement de patrimonialisation des territoires depuis les années 1990, engendré par l’essor des territoires de projet et la mise en concurrence des territoires locaux, encourage différentes collectivités et acteurs locaux à développer des stratégies de singularisation et de distinction. Celles-ci passent souvent par la valorisation d’éléments d’une culture définie au sens anthropologique, permettant une identification au territoire. Dans ce contexte, au-delà du recueil de traditions orales (chants, récits, spécificités locales du langage), les paysages sonores définis 69 comme « exemplaires » ou « remarquables » peuvent faire l’objet d’inventaires, d’atlas, de labellisations, de mises en tourisme. Des objets de diffusion sonore tels que les beffrois sont transformés en bien patrimoniaux. plusieurs acteurs culturels tendent de répondre par des initiatives de sensibilisation à ce qu’ils perçoivent comme une « crise sonore », marquée par une uniformisation des objets sonores (qu’ils soient signaux ou musiques) et des modes d’écoute, par une « désinstrumentation » de l’oreille. Enfin, la vulgarisation des techniques d’enregistrement et de manipulation des sons encourage les chercheurs à s’emparer de nouveaux outils pour diversifier les approches de terrain et les techniques d’enquêtes. Les documents sonores peuvent donner lieu à la fois à de nouvelles formes de restitution des recherches et constituer des outils de médiation pour le développement d’une recherche participative. D’une manière générale, l’essor des techniques de captation a engendré une multiplication des initiatives de collecte, mais aussi d’inventaire, de classification, de repérage et de (re) localisation de sons. Grâce au numérique, au perfectionnement des logiciels de traitement sonore et à la banalisation des usages de la cartographie, des pratiques phonographiques se multiplient, tant dans le domaine de la recherche que dans celui de la valorisation patrimoniale. Fort de ce constat, l’école thématique SOUNDSpACE a voulu offrir les outils épistémologiques, théoriques et techniques de la collecte, de l’analyse et de la restitution de matériaux sonores dans le cadre d’études sur les rapports à l’espace et/ou la caractérisation d’espaces sonores spécifiques (ambiances, paysages, créations audio, acoustiques des salles et des lieux théâtraux). Une large ouverture des horizons disciplinaires et l’association de différents acteurs ont été convoquées de façon à ouvrir les « espace-temps disciplinaires » (Marie-Madeleine Mervant-Roux), à lutter contre un certain cloisonnement des acteurs de la recherche et contre l’existence de « verrous cognitifs » entre certains domaines de l’action et certains producteurs de connaissance (Guillaume Faburel). Ces isolements, ces « surdités théoriques » (Marie-Madeleine MervantRoux) tendent à freiner l’épanouissement d’une réflexion intégrée sur le sonore, que tant d’acteurs appellent pourtant de leurs vœux depuis les propositions de Murray Schafer. Aujourd’hui, des initiatives à e e so N° 32, décembre 2011 o 70 « Soundspace : Espaces, expériences et politiques ». Positionnement de l’école thématique du CNRS l’échelle nationale telles que la semaine du son, les assises nationales de la qualité de l’environnement sonore sont autant de manifestations révélatrices des ambitions de fédération. L’école thématique s’inscrit dans cette perspective. La réflexion sur les espaces sonores évolue donc sur le mode d’une hélice, par l’intégration d’acteurs toujours plus nombreux, dont la diversité et les complémentarités permettront peut-être de desserrer les blocages et d’impacter le champ social. aspects plus qualitatifs des paysages et ambiances sonores à l’échelle de projets d’urbanisme. Cette répartition historique, encore très étanche, ne permet pas toujours aux premières de se territorialiser et aux secondes de faire montre de leur généralité (Guillaume Faburel). L’atelier a donc proposé, à partir de l’analyse de documents et de la mise en place d’un jeu de rôle, de croiser et de confronter les référentiels d’action, en vue notamment d’ouvrir normes et outils à des approches plus qualitatives et d’y intégrer les compétences, savoirs et aspirations politiques de l’habitant. organisation de l’école L’école s’est structurée en trois grands ateliers permettant d’aborder le sonore à différents niveaux et étapes de la recherche (le sonore comme objet d’étude ou en complément à diverses analyses). Les participants se sont inscrits dans l’un des ateliers qu’ils ont suivi tout au long du séjour. Une introduction générale et collective a permis d’amorcer une réflexion sur la construction sociale et politique du « sonore », par une analyse de ses définitions (son/bruit/musique), de ses représentations et de ses législations. Elle a proposé une analyse épistémologique des usages du son dans l’enquête en sciences sociales (contextualité des regards et finalités) et une réflexion sur l’« acoustic turn » en sciences humaines. Le premier atelier « Espaces et politiques du sonore », encadré par Guillaume Faburel et philippe Woloszyn, a porté sur l’articulation entre le sonore et le politique. Il s’agissait de comprendre les différentes formes de caractérisation des espaces sonores (environnement, ambiances et paysages sonores): comment identifier des éléments permettant de décrypter et de qualifier les espaces, ambiances, paysages, environnements urbains sonores dans leur pluralité? Comment les représenter? Quels sont les outils possibles pour appréhender, analyser et restituer ces espaces sonores? Surtout, l’atelier s’est interrogé sur les effets de ces caractérisations dans la mise en place de politiques spécifiques au sonore. Au vu de l’existant, les politiques relatives au sonore se sont construites selon deux grands axes: une approche technico-normative contre le bruit aux échelles de la réglementation nationale et supranationale et une approche architecturale et sociologique, consistant à prendre en compte des eso, travaux & documents Le second atelier « perceptions et sociabilités », encadré par Henry Torgue, Cécile Régnault et Anthony pecqueux, a construit une réflexion collective sur les perceptions, représentations, pratiques et modes d’écoute. À partir des expériences de chacun, l’atelier a fait émerger les éléments d’une réflexion commune portant sur le rôle du sonore comme « embrayeur de la parole », sur les temporalités et spatialités du sonore, sur les processus d’attention, d’éducation, d’« habituation » à l’écoute, sur la polyphonie des espaces. Les participants se sont notamment interrogés sur les techniques d’enquêtes spécifiques à l’étude des expériences sonores. Celles-ci requièrent de passer par des démarches indirectes, à travers des marches (promenades sonores ou parcours commentés), des enregistrements (entretiens sur écoute réactivée, enquêtes « phono-réputationnelles »), des dessins (cartes mentales sonores) ou des récits. Mais comment articuler l’observation, les paroles et commentaires recueillis auprès des différents acteurs et l’enregistrement, ces trois champs qui témoignent d’une situation sonore? Quels sont les processus de traduction du sonore en d’autres modes d’expression? Comment décrire en mots des sensations auditives? Comment représenter en images graphiques les sons et leurs temporalités? (Henry Torgue, Cécile Régnault, Anthony pecqueux). Le troisième atelier, encadré par Marie-Madeleine Mervant-Roux, a porté sur les mises en sens et les mises en scène des sons. Il a montré la diversité des formes de productions sonores conçues à des fins scientifiques ou artistiques (création sonore, reportage radiophonique, cylindres et disques de théâtre, archives sonores etc.). À partir de retours d’expériences, il a notamment fait émerger une réflexion collective sur l’usage des archives sonores par les chercheurs, sur l’uti- « Soundspace : Espaces, expériences et politiques ». Positionnement de l’école thématique du CNRS lisation des sons dans le cadre de projets de développement local, de vulgarisation scientifique et/ou de démarches participatives. une école thématique associant savoir, savoir-faire et faire-savoir L’école thématique a voulu concilier l’acquisition de savoirs, de savoir-faire spécifiques et de faire-savoir. pour cela, elle a alterné des conférences en séance plénière avec des ateliers collectifs, des sessions théoriques et pratiques, des sorties de terrain. Les deux premières demi-journées ont été consacrées à des conférences en séance plénière, de façon à constituer un ensemble de connaissances communes sur les questions d’ontologie (sons, bruit, musiques), sur la pluralité des approches possibles, sur les nécessaires réagencements des « cartographies institutionnelles » et du grand partage disciplinaire amenant à des cloisonnements inopérants pour l’étude des relations espaces/sons. Les conférenciers ont souligné l’intérêt d’une prise en compte du sonore pour l’étude des espaces à différentes échelles (écriture sonore et création d’espaces narratifs, approfondissement de l’étude de la dimension sensible et phénoménologique des espaces, renouvellement d’une réflexion sur les lieux de spectacle, approche critique de la territorialisation de l’action publique sur le sonore). Deux conférences ont insisté sur les articulations entre enjeux de sociétés, épistémologies et évolutions des techniques de prédiction, de captation et de reproduction du son dans l’espace. Ensuite, tout au long de l’école thématique, les participants ont pu se positionner sur des savoirs spécifiques en fonction des différents ateliers (caractérisations des espaces sonores et règlementations, techniques d’enquêtes et perceptions, mises en scène et mises en sens des sons). plusieurs interventions en soirée ont contribué à sensibiliser les participants à l’écoute, à leur donner des éléments de réflexion sur l’écriture sonore et à alimenter les réflexions sur la posture du chercheur dans le cadre de restitutions sonores. Daniel Deshays, auteur de nombreuses compositions sonores pour la radio et le cinéma notamment et de plusieurs ouvrages sur l’écriture du son, a proposé le lundi 4 juillet une écoute commentée de différents films. Le lendemain, deux documentaires (« Je vous écris du Havre » de Françoise poulin Jacob et « place 71 publique pour une parole publique ou le territoire du mal-entendu » d’Abdelmadjid Arrif) ont permis d’aborder à la fois la question de la ville sonore (ambiances et dynamiques de patrimonialisation) et les problématiques liées au rôle de la technique de restitution audio dans l’écriture filmique des espaces. Les débats ont été animés. L’acquisition de savoirs s’est conjuguée tout au long de l’école avec des ateliers et séances plénières portant sur les savoir-faire (techniques d’enquête, formation aux outils d’enregistrement, de traitement et de manipulation des sons). L’école a mis à disposition des participants du matériel d’enregistrement (enregistreurs numériques portables, matériel stéréophonique B-Format - 4 canaux) ainsi qu’une salle équipée permettant une restitution sonore spatialisée pour l’ensemble d’un auditoire (Wave Field Synthesis). Une formation générale au maniement du logiciel REApER par le Cabinet d’études Euphonia a été organisée en séance plénière le mercredi après-midi. Les participants ont pu mettre en pratique cette initiation le lendemain et s’initier à différents instruments d’enregistrement pendant une journée de terrain au Centre de Découverte du son de Cavan, encadrée par différents chercheurs. La dernière demi-journée de l’école a été consacrée à l’écoute des différentes compositions (documentaire WFS, montages radiophoniques composés par Daniel Deshays et par différents participants encadrés par l’artiste Étienne Noiseau). Au sein de l’atelier 2 portant sur les perceptions et sociabilités, les participants ont réfléchi plus spécifiquement aux techniques d’enquêtes et aux outils de restitution mobilisant le sonore (cartographies sensibles, entretiens sur écoute réactivée, archives sonores, cartes postales sonores, perception des ambiances) à partir de leurs recherches personnelles. Ils se sont interrogés sur les fondements épistémologiques des différentes méthodes, sur les positions, les statuts du savoir et les postures du chercheur qu’elles impliquent. par ailleurs, une session transversale collective a été organisée le mardi 5 juillet sur les formes et enjeux des cartographies sensibles du sonore. À partir des interventions de Sylvie Laroche, de pauline Boyer, de Thomas Leduc et de philippe Woloszyn, les participants se sont interrogés sur les formes cartographiques du sonore (approches sensibles, quantitatives et/ou artistiques) et e e so N° 32, décembre 2011 o 72 « Soundspace : Espaces, expériences et politiques ». Positionnement de l’école thématique du CNRS sur les enjeux de la carte, utilisée à la fois en tant qu’objet d’expression, qu’outil de diagnostic ou que support de médiation. Enfin, la soirée collective du mercredi a été pensée comme un temps de partage autour de savoir-faire et faire-savoir artistiques: le « cafédébat » a rassemblé les participants autour de lectures de poèmes sonores (Michel De Lannoy, Daniel Deshays), d’écoutes de compositions musicales/sonores (Étienne Noiseau, Henry Torgue, Frédéric Barbe, Noha Saïd) et d’enregistrements (paysages sonores de guerre par exemple). Tout au long de l’école thématique, les participants se sont interrogés sur les questions d’ontologie. Qu’est-ce fait l’objet sonore ? L’écoute, les sons, leur retranscription ? Des réflexions sur la captation et la représentation des sons ont été posées : comment délimiter un élément sonore dans ses temporalités et spatialités ? La notion d’intentionnalité est alors apparue comme un élément clé pour aborder le sonore : Quelle est l’intentionnalité du chercheur ? Que donne-t-il à entendre aux enquêtés ? Comment passet-on d’une écoute ordinaire à une écoute intentionnelle ? Si l’enregistrement restitue une approche métrique, chronométrique, comment rendre compte de notre écoute oublieuse, partielle ? Dans ce cadre, une réflexion collective sur le faire-savoir a été menée. D’un côté, il s’agit de s’interroger sur la façon dont le chercheur s’empare des différentes formes de restitution des sons préexistantes pour approfondir ses analyses de l’espace. Comment la matérialité transforme l’expérience de l’écoute et la mémoire au cours de l’histoire ? Mélissa van Drie et Bénédicte Boisson ont par exemple montré comment des archives sonores, dans la pluralité de leurs objets (enregistrements, supports) permettaient d’envisager de façon renouvelée l’analyse des modes, des lieux d’écoute et des représentations théâtrales. De l’autre, il convient de réfléchir aux différentes formes et aux enjeux liés aux restitutions sonores produites par les chercheurs : écriture sonore, constitution d’archives sonores (pour la valorisation patrimoniale ou l’observation de paysages), composition architecturale. Enfin sont abordées l’utilisation de nouveaux médias pour associer les populations au processus de recherche (recherche participative), ainsi que la variété des formes de valorisation et de communication des travaux de recherche. eso, travaux & documents le sonore dans ses différents statuts : objet d’étude, prisme et outils Le sonore peut être abordé en tant qu’objet central d’analyse, à travers l’étude des spécificités des espaces, ambiances et paysages sonores (temporalités, spatialités) et leur caractérisation (typologies, mesures, définitions). Thomas Leduc montre par exemple comment concilier approches quantitative et qualitative pour caractériser l’environnement sonore d’une personne en cheminement. paul-Louis Colon présente un outil d’évaluation de l’environnement sonore perçu, basé sur la notion de « points d’écoute » et alimenté par les habitants. plusieurs chercheurs travaillant sur le paysage attendent de l’école thématique une ouverture à la notion de « paysage sonore ». Laurence Le Du-Blayo se demande comment étendre le champ des observatoires photographiques du paysage au sonore. D’autres développent une approche plurisensorielle et s’interrogent sur les spécificités du sonore dans l’étude sensible des paysages (Eva Bigando). Les sons constituent également des indicateurs, des prismes pour l’étude des rapports espaces/sociétés. L’entrée par le sonore permet de révéler des ressentis et représentations, de sonder les dynamiques de sociabilité au sein des espaces publics. Dans quelles mesures les conflits autour du bruit sontils révélateurs d’usages et de représentations divergents, mais également de l’évolution des articulations entre privatisation et publicisation des espaces? Dans quelles mesures le son permet-il de repenser l’action publique, et notamment la territorialisation de l’action, les formes de participation et de concertation et les figures et modes de l’expertise? La doctorante Noha Saïd s’intéresse par exemple aux crieurs publics dans un quartier populaire au Caire et aborde l’action du sonore dans un tissu urbain populaire en tant que marqueur social, signal économique, indicateur temporel et porteur d’émotions collectives. Sylvie Laroche travaille sur les sociabilités vocales en actions, sur les espaces d’écoute et les distances habitées. Laurence Moisy s’intéresse au sonore comme nouvelle entrée pour comprendre le fonctionnement d’un lieu touristique. Hélène Marche montre comment la qualification et le contrôle des ambiances sonores dans les services de cancérologie constituent une façon de gérer les sensations et émotions au sein de l’hôpital. « Soundspace : Espaces, expériences et politiques ». Positionnement de l’école thématique du CNRS Enfin, le sonore peut constituer un élément de création et de restitution (projets artistiques, création d’ambiances, archives sonores). Il s’agit dès lors de s’interroger sur les relations entre l’évolution des techniques de stockage et de diffusion et les usages et circulations des objets sonores, que ce soit dans des cadres artistiques ou patrimoniaux. plusieurs chercheurs montrent le rôle des archives sonores dans l’étude des lieux de spectacle et des formes d’écoute. D’autres présentent différentes initiatives de collecte et/ou d’élaboration d’archives sonores pour des institutions ou collectivités, à différentes échelles (Centre de Découverte du Son de Cavan, MuCEM, Région Centre, European Acoustic Heritage, Unesco). Enfin, les artistes sonores présentent les lignes directrices de leurs travaux et la diversité des procédés mobilisés pour composer de nouveaux espaces. Delphine Chambolle présente le travail sonore de Nicolas Frize ainsi que la conception sonore d’un spectacle commandé par le parc Naturel régional des Caps et Marais d’Opale. l’après soundspace : perspectives 73 fortement enthousiaste pour poursuivre la réflexion engagée grâce à la constitution d’un réseau, d’une plateforme en ligne, d’une publication et peut-être d’une prochaine école thématique sur les rapports entre espaces et polysensorialités. « Je suis venue avec des questions et je repars avec d’autres », a souligné l’une des participantes. Céline Prunneaux Sortie au Centre du Son de Cavan, juillet 2011 La formation était ouverte aux chercheurs (doctorants et chercheurs confirmés), artistes et autres professionnels intéressés par la dimension sonore dans le cadre de leurs projets. Elle a rassemblé quinze doctorants et trois post-doctorants, seize enseignants-chercheurs, neuf chercheurs CNRS, quatre chercheurs indépendants, trois artistes et quatre professionnels de la culture. Les participants ont apprécié la pluridisciplinarité de cette école et ont pu découvrir plusieurs techniques d’enquête (parcours commentés, ballades sonores, cartes postales sonores), techniques d’enregistrement ou de manipulation du son (soundmapping, enregistrement multidirectionnel tétraédrique) ou notions nouvelles (spatialisation sonore, topologie, bien-être sonore, objet sonore, territoire sonore, ambiance sonore) dont ils ont rendu-compte dans l’évaluation. Des doctorants ont noté que cette école contribuait à réorienter leur approche ou à préciser leur objet de recherche. Quelques-uns ont regretté l’absence d’un corpus documentaire d’entrée leur permettant de se familiariser avec la bibliographie élémentaire sur les espaces sonores. D’autres ont souligné la particulière densité de cette formation, qui s’étalait chaque jour de 9 h. à 24 h. Une grande majorité s’est montrée Sortie au Centre de Découverte du Son de Cavan, juillet 2011 Atelier 3 « Mises en scènes et mises en sens des sons » e e so N° 32, décembre 2011 o la fabrique des enseignements supérieurs professionnels en géographie : retour sur une journée d’étude 75 samuel delépine, magali hardouin, régis Keerle, Jean-robert laot, rémi rouault, Jean-françois thémines, stéphane Valognes, Céline Vivent ESO CAEN, ESO ANgERS, ESO RENNES ESPACES ET SOCIéTéS D ans le cadre de l’axe transversal de l’UMR, une journée d’étude a été consacrée le 5 décembre 2011, à l’IUT d’AlençonDamigny, à « la fabrique des enseignements supérieurs professionnels en géographie ». Cette journée s’inscrit dans le projet 2012-2015 de l’UMR (point 2.1.3.): « la présence au sein d’ESO d’enseignants-chercheurs en poste en IUFM et en IUT « Carrières sociales » ainsi que le fort investissement dans le montage de formations universitaires dites professionnelles et dans la préparation des concours de l’enseignement devraient permettre de développer des recherches sur la géographie apprise ». À ce titre, « la géographie dans les formations universitaires professionnalisantes » sera un objet privilégié de ces recherches. La journée du 5 décembre ne se situe pas sur un terrain de recherche, mais elle y conduit. Les huit interventions (liste en fin de texte) se sont centrées pour la majorité sur des enseignements réalisés en DUT (carrières sociales), en licence professionnelle (tourisme) et en master professionnel (métiers de l’enseignement). Les comptes rendus d’expériences, les réflexions et les interrogations qu’elles suscitent relativement à l’enseignement dans ces formations, aux contenus qui y sont enseignés et à la réception de ces contenus par les étudiants, ont été complétés d’un regard sociologique et quantitatif sur la population des étudiants en formations supérieures professionnelles, tous niveaux et toutes filières confondus, dans les trois régions d’implantation de l’UMR: BasseNormandie, Bretagne et Pays de Loire. Plutôt que de résumer chaque intervention, le propos consiste à les relier toutes, en esquissant une revue de questions susceptible de faire émerger un objet de recherche. De quoi est-il exactement question lorsque de la géographie figure dans les cursus de formation supérieure professionnelle? Quelles références les enseignants-chercheurs concernés utilisent-ils pour sélec- - UMR 6590 CNRS tionner des contenus d’enseignement? À quelle idée de la géographie ont-ils affaire dans la mise en œuvre de ces enseignements, aussi bien chez les étudiants que chez les intervenants extérieurs identifiés dans les maquettes de diplôme comme des « professionnels » ou du côté de leurs responsables de département ou d’école? En quoi la transposition de savoirs de référence relèveraient-ils d’une logique particulière dans ce cadre de travail? Habituellement, les intervenants universitaires dans des diplômes professionnels s’interrogent sur l’efficacité des dispositifs et des pratiques mises en place pour faire adhérer les étudiants aux objectifs de leur formation; préoccupations que reflètent les colloques du type Questions pédagogiques dans l’Enseignement Supérieur. Mais on ne cerne pas ainsi la question didactique qui nous est apparue centrale: en quoi des contenus de géographie (et lesquels) contribuent-ils à la « professionnalisation » des étudiants? Comment définir cette « professionnalisation »? En quoi cette définition pourrait-elle relever d’une approche spécifique portée dans l’UMR? la géographie dans les enseignements supérieurs professionnalisants : de l’offre aux attentes la pertinence d’une approche didactique des enseignements supérieurs professionnalisants La multiplication des diplômes professionnels comprenant des enseignements de géographie est à replacer dans un vaste « mouvement de généralisation de la professionnalisation de l’offre de formation dans lequel la « norme » devient la visée professionnalisante de l’offre de formation » (Wittorski, 2011, p. 25). Ce mouvement suscite beaucoup d’interrogations chez des enseignants du supérieur « impliqués dans la pédagogie et désireux de faire progresser leurs pratiques » et ayant « ressenti le besoin d’organiser des échanges et des partages entre des enseignants-chercheurs de différentes disciplines afin de croiser réflexions et e e so N° 32, décembre 2011 o 76 La fabrique des enseignements supérieurs professionnels en géographie : retour sur une journée d’étude manières de faire » (Actes du VIe Colloque QPES, 2011). Cette dynamique d’échange reste cependant sur le terrain de la pédagogie (comment motiver les étudiants? qu’est-ce qu’un accompagnement efficace? comment développer leur autonomie? etc.), alors que la professionnalisation de l’offre de formation pose aussi des questions propres aux contenus enseignés et à la façon dont s’en saisissent les étudiants, questions que l’on qualifie généralement de didactiques. Ainsi, les postes de géographie ont été créés dans les IUT sous l’effet d’une réforme des enseignements (rapport Brévan-Picard). On peut faire l’hypothèse qu’il s’agissait de mettre davantage de « territoire » dans le social et de produire une rupture avec la tradition dominée par une approche a-spatiale ou spatialement peu différenciée. Dans ces formations éclectiques où coexistent de nombreuses spécialités, à quels besoins répondent les enseignements confiés à des géographes? Qui a identifié ces besoins et au regard de quelles exigences? Comment l’offre de formation qui en découle rencontre-t-elle ou se confronte-t-elle aux attentes des étudiants? professionnalisation de l’offre de formation: quelle référence? La création de diplômes ayant pour objectif l’insertion professionnelle immédiate des étudiants, pose d’un point de vue didactique pour la géographie, la question de ce qui fait référence pour les parties prenantes dans la formation: les professionnels intervenants, les intervenants enseignants-chercheurs, les employeurs potentiels des étudiants, les étudiants eux-mêmes. La notion de référence renvoie à la notion de légitimité des contenus prescrits (institutions, responsables de diplômes) ou enseignés. La référence, c’est une « origine, un déjà là » (Terrisse, 2001) par lequel on justifie des choix dans une multitude de possibles. L’origine à laquelle le choix se rapporte peut être scientifique, scolaire/universitaire (auto-référence, tradition) ou encore, justement, professionnelle. La professionnalisation de l’offre de formation s’est ainsi accompagnée d’une montée en puissance des référentiels métiers comme moyen de cadrage des contenus, au détriment de logiques de spécialité ou de discipline. Mais les échanges de la journée montrent plutôt l’importance d’« outils » venus des milieux professionnels, outils dont la présence dans la formation garantirait qu’elle est pro- eso, travaux & documents fessionnelle. Avec ces outils: le diagnostic territorial dans les DUT, en licence professionnelle et en master professionnel, la matrice SWOT en licence professionnelle de tourisme, un acronyme dérivé de l’anglais: pour S-trengths (forces), W-eaknesses (faiblesses), Opportunities (opportunités), T-hreats (menaces) qui désigne un outil d’analyse de situation, sont en jeu des conceptions de l’activité professionnelle, des conceptions du social et de l’espace des sociétés. Ainsi, l’enseignement de géographie sociale assuré par Rémi Rouault en licence professionnelle tourisme à l’UCBN représente 10 % du volume des enseignements reçus par les étudiants. Cet enseignement coexiste avec des interventions assez hétérogènes mais qui convergent pour construire chez les étudiants une vision sectorielle du tourisme qui place l’espace du côté des déterminations de cette activité. L’espace avec « ses forces » et « ses faiblesses » contraindrait le développement de l’activité touristique. Dans ce cadre, l’objectif de l’enseignant-chercheur est de proposer une géographie utile mais non centrée sur la commercialisation des produits, de poser qu’il existe des populations d’accueil et des populations accueillies et que la question de leur mise en rapports est importante pour comprendre le fait touristique, de présenter le tourisme comme un facteur d’aménagement de l’espace. Il s’agit de faire acquérir ou de conforter des techniques et des méthodes pour comprendre les enjeux spatiaux et l’instrumentalisation des espaces: faire que les étudiants s’intéressent aux formes spatiales, aux fonctions, aux représentations de l’espace; faire schématiser les jeux d’acteurs. Ainsi, pourrait-on dire que l’enjeu est d’ouvrir les étudiants à un questionnement de géographie sociale à partir de l’exemple du tourisme. Ce faisant, le cours s’oppose à des images du tourisme et de l’espace portées par « la profession », mais au service de l’idée que ces étudiants ont à apprendre à se situer en tant que futur professionnel du tourisme contribuant à l’aménagement ou dépendant de celui-ci. « La profession » peut donc prendre la forme d’une filière dont les porte-parole en formation appartiennent au groupe qui la contrôle et en diffusent en même temps qu’une vision de l’activité, une vision des rapports sociaux et une approche de l’espace que devraient partager les futurs employés. La fabrique des enseignements supérieurs professionnels en géographie : retour sur une journée d’étude des attentes de professionnalisation différenciées chez les étudiants L’ensemble des interventions souligne les différences de logiques de professionnalisation recherchée par les étudiants suivant qu’ils sont en formation initiale ou continue. Pour les premiers, l’attente à l’égard de la formation est qu’elle leur permette d’obtenir un emploi dans le secteur visé. Se professionnaliser en formation, c’est intégrer les codes de « la profession » telle qu’elle apparaît à travers ses porte-parole. Pour les seconds qui investissent les diplômes professionnels à des fins de montée en qualification, de pérennisation de leur emploi ou de réorientation, l’attente est ciblée sur une plus-value de formation intellectuelle et critique, de compréhension du sens des mots et de l’action auxquels ils sont confrontés par leur pratique professionnelle. La problématique de la prise en compte de ces attentes de professionnalisation clairement distinctes chez les étudiants, n’est certainement pas propre aux diplômes qui comprennent des enseignements de géographie. Mais elle s’y décline de façon spécifique. Tendent ainsi à s’indurer chez les étudiants d’un côté, une demande de maîtrise des procédures de « traitement » d’un problème par « le territoire »; de l’autre, une demande de déconstruction de ces procédures ou de ces outils et en conséquence une demande d’élaboration de méthodologies capables d’intégrer à la réflexion les enjeux sociaux et spatiaux de la décision et de l’action. En somme, l’enseignement de la géographie ou de modules confiés à des géographes est au cœur de tensions liées d’une part aux cultures et aux attentes différentes selon les intervenants dans des diplômes professionnels au contenu éclectique, et d’autre part, aux expériences et aux attentes hétérogènes des étudiants vis-à-vis de ces diplômes. Quelles déterminations des enseignements ? À la question de savoir quelles contraintes président à la définition des contenus de géographie ou d’enseignements confiés à des géographes, on peut répondre au moins de trois manières. On peut se focaliser sur les processus de transformation d’objets de savoir en 77 objets d’enseignement (perspective épistémologique). On peut narrer l’histoire de la formation, repérer dans les pratiques et les outils, la marque d’une expérience politique, scientifique et humaine toujours singulière (perspective historique). On peut aussi rapporter les déterminations de contenus à des rapports de force entre acteurs dépositaires de visions différentes de la formation, rapports qui se traduisent dans les moyens mis à disposition (perspective organisationnelle). Questions de transposition À l’Université comme ailleurs, enseigner implique un processus normal de transformation des énoncés de savoir, de telle manière qu’ils apparaissent sous une forme appropriable par les étudiants (Verret, 1975). D’ordinaire, dans ce processus, le savoir qui fait référence, celui dont on va chercher à restituer les conditions de sa production, les questions nouvelles qu’il permet ou a permis de poser, les débats et les controverses qui l’entourent, est produit par un ou des spécialistes au sein d’une communauté universitaire. Les cas abordés pendant la journée d’études montrent que bien des questions se concentrent autour de ce qui fait l’objet d’une transposition: la référence scientifique ne va pas de soi dans un diplôme professionnel. Les milieux professionnels, voire certains responsables de diplôme ou d’école semblent attendre de la part de spécialistes universitaires, l’enseignement de contenus techniques et procéduraux auxquels ils assimilent cette spécialité. Un cas emblématique est celui du diagnostic territorial. Méthodologie issue de l’urbanisme, développée dans les collectivités territoriales, elle envahit les enseignements de tous niveaux et dans un grand nombre de filières, « spontanément » associée à la géographie: DUT carrières sociales, licence professionnelle gérontologie, master pro intervention sociale. On se trouve là devant un autre sens possible de la notion de professionnalisation: il s’agirait d’une professionnalisation des contenus d’enseignement cette fois-ci, par introduction dans les curricula de savoirs, d’outils, de méthodes qui ont cours dans certains des métiers auxquels prépare la formation universitaire. Le diagnostic territorial est une référence aux yeux des employeurs potentiels des étudiants; il le devient e e so N° 32, décembre 2011 o 78 La fabrique des enseignements supérieurs professionnels en géographie : retour sur une journée d’étude par conséquent pour les étudiants. Il entre dans les contenus d’enseignement (comment l’ignorer si l’on veut garder suffisamment d’étudiants?), mais dans un jeu compliqué de transpositions: • Quelle transposition de pratiques professionnelles (et non seulement d’outils) autour du diagnostic territorial en direction des étudiants? Comment, en tant qu’enseignant-chercheur, connaît-on ces pratiques et comment se positionner par rapport à elles dans un enseignement qui cohabite avec celui de professionnels que leurs pratiques légitiment pour intervenir? • Quels aménagements de cette transposition suivant les niveaux d’études? Quelle logique de progressivité trouver dans l’apprentissage d’un objet procédural? • Quels aménagements, quelles contributions scientifiques introduire dans la transposition en même temps que l’on assure celle de ces outils professionnels ? Par exemple, jusqu’où et comment croiser les méthodologies de diagnostic avec celles de la recherche (Samuel Delépine)? Quel est le statut des savoirs enseignés qui puisent à ces deux types de référence? Finalement, quel objectif se fixer quand on enseigne le diagnostic territorial et que l’on est sceptique devant la prolifération du terme territoire (Séchet et Keerle, 2009)? Pour Régis Keerle, l’objectif est de faire acquérir une sensibilité géographico-spatiale face au cadre formel discursif que constitue le territoire. celle des cartes mentales pour enseigner les espaces proches à l’école élémentaire et en classe de sixième (Jean-Robert Laot). Mais qu’est-ce qui, face à des programmes qui peuvent sembler constituer des répertoires de problèmes de société, fait référence pour les enseignants d’histoire-géographie qui les mettent en œuvre? Quels enjeux primordiaux d’une formation en géographie dans les Masters Métiers de l’enseignement? Culture hybride et « façonnage » de la formation À prendre chaque formation du point de vue non plus de ce qu’elle cherche à faire apprendre, mais de son histoire et de la biographie scientifique de ses enseignants, il apparaît que les contenus effectifs d’enseignement sont multi-déterminés. Certes, en formation professionnelle, l’enseignement prend une coloration méthodologique qui l’éloigne peut-être de la figure classique d’un enseignement centré sur les contenus. Si ces méthodologies ne font pas à elles seules une discipline ou même une matière, elles n’en constituent pas moins un contenu. Ce contenu est malléable, indiscutablement façonné par l’histoire de l’installation de la formation sur le site et de ses inflexions, par des choix de décideurs locaux et de responsables d’école, par les recrutements effectués (l’intention qui préside au recrutement et les apports de la personne recrutée), enfin la culture scientifique des enseignants et leur façon de répondre aux enjeux de la professionnalisation. La question de la transposition se pose en des termes voisins dans l’enseignement secondaire de la géographie. Tandis que la référence disciplinaire scien- Ainsi l’enseignement de la monographie développé par Stéphane Valognes à l’IUT d’Alençon est-il l’hybride d’un modèle initial de monographie défini à la création du diplôme et d’une pratique scientifique renouvelée tifique semble s’estomper, le vocabulaire des politiques publiques et les images du marketing territorial avancent. Après une période de ré-arrimage partiel à de la géographie scientifique notamment pour le lycée (années 1990), les programmes ont aujourd’hui tendance à désigner des objets non disciplinaires (ressources et risques, développement durable, mondialisation) et à articuler l’ensemble des contenus autour de l’idée de territoire, contenus que les manuels illustrent en s’appuyant sur des documents issus de collectivités territoriales. Une pratique de transposition consiste à intégrer des méthodes utilisées en recherche comme notamment par la prise en compte ultérieure des apports méthodologiques de Stéphane Beaud et Florence Weber. Les recrutements ont apporté des références inusitées dans la formation, des articulations nouvelles entre champs de spécialité. L’injonction du chef de département de valoriser la formation auprès des élus a aussi contribué à en orienter la forme. L’outil emblématique de cet enseignement (un livret ressource) combine ainsi des contenus d’architecture, d’analyse urbaine et d’enquête ethnographique qui prennent sens en guidant les étudiants dans leur travail monographique. eso, travaux & documents La fabrique des enseignements supérieurs professionnels en géographie : retour sur une journée d’étude Contraintes organisationnelles et stratégies Enfin, on peut décrire et analyser les contenus de formation professionnelle en géographie à partir des contraintes posées par l’organisme ou la structure responsable des orientations de la formation. La multiplication des spécialités professionnelles et scientifiques représentées se traduit alors en une compétition horaire dont l’issue est prise en compte dans les choix d’enseignement. La légitimité discutable de certains objets (le diagnostic territorial) garantit quelquefois que l’on obtienne une masse horaire adaptée aux objectifs visés. Lorsque les heures sont rares, on recourt à des stratégies d’alliance qui ne sont toutefois pas sans risque. Magali Hardouin présente la stratégie d’interdisciplinarité qu’elle a adoptée pour former en géographie, des étudiants qui se préparent au métier de professeur des écoles. La formation est prioritairement orientée vers des analyses de pratiques et de situations d’enseignement plutôt que vers des objectifs de maîtrise de contenus disciplinaires. Ainsi, les étudiants bénéficient de quatre heures années pour la géographie (huit pour l’histoire-géographie). Pour tirer le meilleur parti de ces quatre heures, un projet interdisciplinaire permet d’étendre les préoccupations initiées en géographie au-delà du temps initialement imparti. D’autre part, l’interdisciplinarité est un argument pertinent dans la préparation à un métier caractérisé par sa polyvalence. Le cadre du projet est défini au sein d’un groupe de formateurs. Le thème de la ville a été retenu comme un objet interdisciplinaire d’apprentissage en géographie, français, EPS, culture artistique, histoire, éducation civique. Un travail de recueil d’expériences déjà conduites, de mémoires déjà réalisés, l’élaboration d’un lexique commun et de séances à expérimenter avec des enseignants, constituent le programme de ce groupe. La géographie gagne dans ce projet le statut de discipline capable de décloisonner des enseignements et de dynamiser une équipe au sein d’un établissement. Elle y joue aussi son identité et il n’est pas certain que des ressorts anciens ne soient à l’occasion réactivés, lesquels tendent à faire de la géographie au choix une discipline de synthèse, une discipline concrète ou le théâtre de l’action et des passions humaines. 79 enseigner/apprendre dans des formations supérieures professionnelles Qu’est-ce que le travail enseignant dans ces formations? La mise en œuvre d’enseignements supérieurs professionnels présente au moins quatre aspects: • Une réflexion sur son positionnement comme enseignant intervenant parmi un ensemble de professionnels et d’universitaires. Cette réflexion peut être adossée à des outils et des travaux de spécialistes des métiers de l’animation et de l’intervention. Quelques ouvrages et articles (Augustin et gillet, 2000; Richelle, 2010) livrent des observations et des réflexions de nature à mieux comprendre et peut-être travailler sa propre posture d’intervenant (Régis Keerle). Comment réagir et se positionner en tant que scientifique par rapport à un environnement (étudiants, universitaires, professionnels) qui vous « estampille diagnostic territorial » (Samuel Delépine)? Comment maintenir le sens d’une initiative qui peut être dénaturée si chaque intervenant l’interprète et l’exploite indépendamment du collectif qui la fonde? Ainsi, comment construire dans la durée une interdisciplinarité à partir de la géographie sans que cette interdisciplinarité ne devienne une fin en soi ignorante des apports de chaque spécialiste dans la formation (Magali Hardouin)? • L’utilisation d’outils scientifiques qui permettent d’introduire la dimension géographico-spatiale absente des références professionnelles. Répertorier ces outils et leurs usages en situation permettrait de répondre à la question de savoir quelle géographie ou quel rapport à l’espace est enseigné par les enseignants-chercheurs ESO dans ces formations ? Une modélisation de l’espace-temps des pratiques de tourisme (auteur: Rémi Knafou) retouchée par l’enseignant et utilisée à des fins de positionnement de leurs pratiques touristiques par des étudiants de licence professionnelle. Des outils d’« analyse spatiale » des situations rencontrées en stage: le recours à la méthode de la métastructure socio-spatiale (Di Méo, 1991), le recours à la réfutation de la proxémie comme noyau de la territorialité (Hoyaux, 2003), le recours à l’analyse de la territorialisation institutionnelle (gumuchian et al., 2003); • La fabrication de ressources et d’outils originaux pour anticiper les difficultés d’identification par les étudiants des objectifs et contenus de formation: création e e so N° 32, décembre 2011 o 80 La fabrique des enseignements supérieurs professionnels en géographie : retour sur une journée d’étude d’un schéma avec lequel l’enseignant insiste sur la proximité entre démarche de recherche et démarche de diagnostic territorial (Samuel Delépine); invention d’un livret enrichi, complexifié, hybridé avec l’arrivée de collègues de diverses disciplines, mais qui vise à expliciter l’objectif d’une « écriture des lieux » (Stéphane Valognes). • Les innombrables conseils ad hoc pas toujours formalisés ou même mémorisés et les commentaires formalisés d’outils en usage non seulement dans les professions, mais aussi dans d’autres formations, communiqués par les étudiants (« monsieur, qu’en pensez-vous? »); conseils et commentaires nombreux, dispensés dans ces formations professionnelles où les étudiants interpellent davantage les enseignants, du fait entre autres des tutorats en IUT. diants. Leurs différences de posture conduisent quelquefois les groupes d’étudiants à se cliver relativement à la méthode du diagnostic territorial. Tandis que les étudiants en formation initiale veulent faire du « professionnel » en apprenant et appliquant strictement une procédure, l’autre partie prend une direction plus réflexive et conceptuelle et souhaite travailler sur les représentations des acteurs. Dans ces conditions d’hétérogénéité des publics, le bilan des enseignements est contrasté. Il n’est pas sûr par exemple que les étudiants en licence professionnelle tourisme aient changé de vision de la géographie du tourisme, laquelle demeure pour eux une géographie du produit, telle qu’elle est déterminée par « la profession ». Mais ils semblent avoir pris conscience du caractère culturel (au sens d’appris) des rapports à l’espace et développent une capacité d’analyse des jeux d’acteurs qui leur était inconnue avant (Rémi Rouault). En master professionnel, les étudiants rennais arrivent avec une formation spatialiste et la confrontation à une géographie d’acteurs et d’enjeux les bouscule. Certains étudiants en formation continue parviennent à s’approprier les outils d’analyse de l’espace qui leur sont proposés pour leur stage. et les étudiants, qu’apprennent-ils? Les attentes et les comportements des étudiants doivent être distingués suivant qu’ils sont en formation initiale ou en formation continue. Les seconds comme nous l’avons dit, ne sont pas affectés par le télescopage entre des savoirs qu’ils jugeraient abstraits et le concret de la profession. Ils recherchent ces savoirs universitaires et perçoivent ce qu’ils peuvent en tirer dans leur activité professionnelle, à la différence des premiers pour lesquels le savoir est dans les manuels ou dans les cours et doit être consensuel. On retrouve là des caractéristiques du rapport au savoir identifié dans des enquêtes réalisées auprès d’élèves de lycée professionnel dans les années 1990. « Apprendre, c’est se mettre des choses dans la tête: le modèle de base de ces jeunes est un modèle capter-stocker. Pour apprendre, il faut d’abord écouter, éventuellement regarder et ensuite retenir » (Charlot, 1999, p. 308). Néanmoins, sous réserve d’une analyse approfondie et étendue à l’ensemble des sites, on peut opérer une première dichotomie à l’issue des formations entre des étudiants sensibilisés à la dimension spatiale et d’autres peu sensibilisés, voire hermétiques, étanches à elle (60 %). Parmi les sensibilisés, il faudrait opérer une distinction entre ceux qui parviennent à vaincre leur réticence à l’idée de penser à petite échelle – géographique: la rue, un équipement et ceux qui ne la dépas- L’idée d’un savoir sur le monde qui pourrait être consensuel renvoie aux observations réalisées aussi dans les années 1980 et 1990 pour l’histoire-géographie dans le secondaire: il ressort alors que, majoritairement, l’enseignement de l’histoire-géographie transmet des représentations partagées du monde et de son passé. Tout conflit sur l’espace ou sur la mémoire sociale semble gommé (refus du politique, transmission d’un référent consensuel) (Audigier, 1993). Ce ne sont pas les intentions des enseignants qui concourent à cette représentation du savoir dans les formations supérieures professionnelles, mais les attentes des étu- sent pas. Une deuxième dichotomie parmi les insensibles à la dimension spatiale est à tracer entre ceux qui développent une psychologisation très avancée allergique à toute analyse sociologique et ceux qui parviennent à cette analyse (Régis Keerle). Le public des étudiants de DUT carrières sociales développe quant à lui un goût pour les études de publics en difficultés, handicapés, personnes seules: des populations difficiles à enquêter en général. Ce goût se mêle à un refus d’entrer dans le domaine de la théorie, l’usage d’outils pour penser et l’hypothèse de déterminations sociales des conditions et des modes de vie (Stéphane Valognes). eso, travaux & documents La fabrique des enseignements supérieurs professionnels en géographie : retour sur une journée d’étude Conclusion Il n’est pas possible de clore ici un propos qui s’est efforcé de refléter des pratiques et des interrogations professionnelles. Nous proposons simplement une dernière et courte liste de questions, ébauche non exhaustive de questions de professionnels de l’enseignement, chercheurs par ailleurs et en relation avec cette activité d’enseignement. Il s’agit alors de cerner notre métier commun à partir des conditions vécues du travail dans des formations supérieures professionnelles et non à partir d’un référentiel prescrit de l’activité d’enseignantchercheur. S’agit-il de donner aux étudiants des méthodes et/ou de leur apprendre « les territoires » au sens large car on est à l’université et qu’il s’agit de leur ouvrir l’horizon? Quelles priorités? Quelles méthodes? Quelles ouvertures? Comment articuler pratiques de recherche et pratiques d’enseignement? Comment faire entrer les premières dans les contenus d’enseignement, dans l’horizon des étudiants pendant la formation? Comment l’enseignement dans les formations supérieures professionnelles contribue-t-il à l’activité de recherche sur la dimension spatiale des sociétés? Quels repères se donner pour aménager une progressivité des apprentissages chez des étudiants de provenance très diverse, qui peuvent avoir l’impression d’être mis en présence pendant leur cursus des mêmes objets à répétition? 81 références bibliographiques • Audigier F., 1993, Les représentations que les élèves ont de l’histoire et la géographie. À la recherche des modèles disciplinaires entre leur définition par l’institution et leur appropriation par les élèves. Thèse université de Paris VII, 677 p. • Augustin J.-P. et gillet J.-C., 2000, L’animation professionnelle. Histoire, acteurs, enjeux. Paris: L’Harmattan, Coll. Débats jeunesse, 188 p. • Beaud S. et Weber F., 2003, Guide de l’enquête de terrain. Paris: éditions La Découverte. Coll. grands repères, 356 p. • Charlot B., 1999, Du rapport au savoir. Eléments pour une théorie. 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ISSBA, Université d’Angers, tome I, p. 21-29 e e so N° 32, décembre 2011 o 82 La fabrique des enseignements supérieurs professionnels en géographie : retour sur une journée d’étude liste des interventions de la journée d’étude L’enseignement du Diagnostic Territorial en DUT Carrières Sociales et dans les LP et MP d’intervention sociale, Samuel Delépine (ESO-Angers) Enseignant et enseignés face aux espaces et aux territoires en formations Carrières sociales option Animation sociale et socioculturelle, Régis Keerle (ESO-Rennes) Enseigner la géographie par le biais de l’interdisciplinarité à l’école primaire. Pourquoi? Comment? Magali Hardouin (ESO-Rennes) La construction du concept de territoire chez des élèves de 6e scolarisés en milieu rural isolé, JeanRobert Laot (ESO-Rennes) Contribution d’un géographe social à la licence professionnelle « Mise en valeur et gestions des équipements touristiques et culturels », ou comment sensibiliser un public hétérogène aux dimensions socio-spatiales de l’interaction, Rémi Rouault (EsoCaen) Questions de pédagogies dans l’enseignement supérieur: état des lieux à partir de colloques récents, Jean-François Thémines (ESO-Caen) L’investigation monographique en DUT Carrières Sociales, Stéphane Valognes (ESO-Caen) Caractéristiques des publics d’étudiants du supérieur professionnel de l’Ouest français, Céline Vivent (ESO-Caen) eso, travaux & documents