Gargantua - lycée Montesquieu

Transcription

Gargantua - lycée Montesquieu
Dossier pédagogique
Les inestimables chroniques
du bon géant
Gargantua
de
François Rabelais
musicalement restituées par
Jean Françaix
réalisé par :
Armelle TURC
pour les comparaisons textuelles
Jean-Jacques GRIOT
pour les illustrations musicales
2
Sommaire
Page 4
Qui était Jean Françaix ?
Page 5
Plan et résumé des chapitres de Pantagruel et Gargantua de Rabelais et présentation de la
production de Jean Françaix.
Page 6
Chapitre I de Pantagruel de Rabelais et texte de
Page 7
Chapitre I de Pantagruel de Rabelais (suite) et texte de Jean Françaix.
Page 8
Chapitre III de Pantagruel de Rabelais et texte de Jean Françaix
Du dueil que mena Gargantua de la mort de sa femme Badebec de Rabelais.
Deuil que mena Grandgousier de la mort de sa femme Badebec de Jean Françaix.
Page 9
Chapitre XI de Gargantua de Rabelais et texte de Jean Françaix.
De l’adolescence de Gargantua
Page 10
Extraits du chapitre XIV de Gargantua et texte de Jean Françaix.
Comment Gargantua feut institué par un sophiste en lettres latines.
Chapitre XV (extraits) de Rabelais et texte de Jean Françaix.
Page 11
Chapitre XXIX de Rabelais et texte de Jean Francaix.
Le teneur des lettres que Grandgousier escripvoit à Gargantua.
Page 12
Chapitre XXXIII (début) de Gargantua de Rabelais et texte de Jean Françaix.
Comment certains gouverneurs de Picrochole, par conseil précipité, le mirent au dernier peril.
Page 13
Chapitre XXXIII (suite et fin)
Page 14
Chapitre XXVII de Gargantua de Rabelais et texte de Jean Françaix.
Comment un moine de Seuillé saulva le cloz de l’abbaye du sac des ennemys.
Page 15
Chapitre XXVII (suite)
Page 16
Chapitre XLVII de Gargantua de Rabelais et texte de Jean Françaix.
Comment Grangousier manda querir ses legions, et comment Toucquedillon tua Hastiveau, puisfut tué par
le commandant de Picrochole.
Chapitre XLVIII de Gargantua de Rabelais et texte de Jean Françaix.
Comment Gargantua assaillit Picrochole dedans la Roche Clermaud et defist l’armée du dict Picrochole.
Chapitre XXXIII de Pantagruel de Rabelais et texte de Jean Françaix.
Comment Pantagruel de sa langue couvrit tote une armée, et de ce que l’auteur veit de dans sa bouche.
Chapitre XXXVI Gargantua de Rabelais et texte de Jean Françaix.
Comment Gargantua demolit le chasteau du Gué de Vede, et comment ilz passèrent le gué.
Chapitre XXXVII Gargantua de Rabelais et texte de Jean Françaix.
Comment Gargantua soy peignant faisoit tomber de ses cheveulx les boulletz d’artillerye. ETC …..
Page 17
Chapitre LII (extraits) de Rabelais et texte de Jean Françaix.
Comment Gargantua feist bastir pour le moyne l’abbaye de Theleme
Chapitre LIII (extraits) de Rabelais et texte de Jean Françaix.
Comment feust bastie et dotée l’abbaye des Thelemites
Retour au chapitre LII (extraits) de Rabelais et texte de Jean Françaix.
Chapitre LVII (extraits) de Rabelais et texte de Jean Françaix.
Comment estoient reiglez les Thelemites à leur maniere de vivre.
Page 18
Chapitre XLIX de Gargantua de Rabelais et texte de Jean Françaix.
Comment Picrochole fuiant feut surprins de males fortunes et ce que feit Gargantua après la bataille.
Pages 19 à 21Quelques commentaires.
Page 22 :
Glossaire
Page 23 :
Références littéraires et musicales.
Jean Françaix
3
Qui était Jean Françaix ?
Jean Françaix est né au Mans en 1912. Son père,
Alfred Françaix était directeur du Conservatoire
du Mans, sa mère dirigeait une chorale. Il est
mort à Paris en 1997.
C’est en 1921 (à 9 ans) qu’il écrit sa première
oeuvre musicale, pour Jacqueline. Cette année là
Saint-Saëns meurt, et du haut de ses neuf ans, le
petit Jean s’engage auprès de son père en disant
qu’il remplacera le maître disparu.
En 1922, il travaille la composition avec Nadia
Boulanger et entre en 1926 au Conservatoire de
Paris dans la classe de piano d’Isidore Philipp, il
en sort avec un premier prix en 1930.
Jean Françaix compose tous les genres musicaux. Ses compositions peuvent être graves mais aussi très joyeuses, gracieuses et pleines d’humour.
Homme de culture, la littérature est pour lui une grande source d’inspiration :
La princesse de Clèves (de Mme de Lafayette) Opéra créé a Rouen en 1965
qui eut un immense succès.
La ville Mystérieuse (Jules Verne Docteur OX) Pièce pour Orchestre.
Le diable boiteux (Lesage) Opéra comique de chambre.
La main de gloire (Gérard de Nerval) Farce fantastique
L’apocalypse selon St Jean Oratorio : quatuor vocal, un grand orchestre
symphonique séparé en deux (orchestre céleste et orchestre infernal) et
grand chœur .
Gargantua (Rabelais) Orchestre à cordes et récitant.
Il fera une carrière de pianiste mais sa
principale activité concerne la composition.
Nadia Boulanger disait qu’il était très doué.
Dès ses débuts, il fut remarqué par Maurice Ravel qui l’encouragea à embrasser la
carrière de compositeur. Voici, le courrier
que son père recevra de Ravel :
«Monsieur, depuis cinq mois, je n’ai cessé
de voyager et ne suis pas resté chez moi 8
jours de suite. Ces déplacements continuels m’on forcé à négliger la correspondance. Voici longtemps que je me reproche de n’avoir pas encore répondu à votre
aimable lettre et à l’envoi fort intéressant
du manuscrit de votre fils. Parmi les dons
de cet enfant, je remarque surtout le plus
fécond que puisse posséder un artiste,
celui de la curiosité. Il ne faut pas étouffer
dès à présent ces dons précieux, risquer
de dessécher cette jeune sensibilité………….
… et dès maintenant, vous pouvez recommander à votre fils de s’armer de courage
pour poursuivre la carrière « d’agrément »
dans laquelle il s’est engagé. Veuillez
agréer, Monsieur, l’expression de mon plus
distingué sentiment.
Maurice RAVEL 10/1/1923 »
Il écrit aussi de nombreuses pièces pour instruments solistes et orchestre,
musique de chambre pouvant aller de un à douze instruments. Ses musiques de ballet sont très nombreuses et ont été interprétées par les plus
grands danseurs. Il a aussi composé pour piano seul, quatre mains et deux
pianos. Et n’oublions pas qu’il a composé aussi pour le cinéma avec Sacha
Guitry : Si Versailles m’était conté, Napoléon ……
Jean Françaix adorait et respectait son
qu’il lui écrivait :
public et voilà ce
« A toi cher public averti, d’ouvrir tes oreilles et d’avoir le courage de penser : cette musique me plaît, ou
me déplaît. Qu’il n’y ait entre ma musique et toi aucun intermédiaire plus ou moins intéressé à orienter
tes conclusions. Souviens-toi que tu es composé d’êtres humains libres, et non de robots obéissants.
Écrase de ton fondement puissant le snobisme, la
mode et les envieux. Et laisse toi aller à ton plaisir si
tu en éprouves. Jean Françaix »
L’œuvre qui nous intéresse aujourd’hui : Gargantua écrite par Rabelais en 1534 a été composée en 1971 par Jean Françaix et la première a été donnée à Tours le 11 mai 1971. Jean Françaix a été impressionné par l’humanisme de Rabelais.
Il adapte le texte de cet écrivain de la Renaissance à notre temps. Jean Françaix homme plein d’humour, s’amuse beaucoup en composant cette pièce mais n’oubliera pas de transmettre le message de l’auteur en laissant de côté les passages les plus ambigus qui ont déclenché la censure de l’époque.
Le compositeur né au Mans, à deux pas de géant de Chinon, lieu de naissance de Rabelais, baignait donc dans la culture
rabelaisienne encore vivante aujourd’hui dans cette région. Il précisait également que son but consistait aussi à donner
envie de lire ce grand auteur.
Le compositeur a indiqué, concernant son opéra « La princesse de Clèves », les rôles respectifs et complémentaires de la
musique et du texte : « Je n’écris pas un livret pour le suivre, mais au contraire pour suivre ma musique qui va
plus vite et plus loin que le texte …… ». Ces propos peuvent tout à fait s’attribuer à son Gargantua.
RABELAIS écrira Pantagruel en 1532 mais la Sorbonne censura
ce texte. L’auteur décidera de répondre à la censure de manière
beaucoup plus virulente et plus efficace en publiant en 1534
l’histoire de Gargantua père de Pantagruel.
«Pantagruel»
contient 43 chapitres
L’enfance de Pantagruel Chapitre I à IV
Pantagruel et les Universités de province
Chapitre V à VII
Pantagruel à Paris chapitre VII à IX
Le jugement de Pantagruel chapitre X à XIII
Panurge chapitre XIV à XXII
Les exploits guerriers de Pantagruel chapitre
XXXIII à la fin.
«Gargantua»
contient 57 chapitres.
L’enfance de Gargantua
les chapitres I à XIII
l’œuvre commence par des pages plutôt grossières et puissantes qu’il s’agisse de l’enfantement de Gargantua, des festins, des
propos de tablée, des descriptions réalistes concernant les occupations du bébé géant et de son habillement. Le tout est largement dominé par un aspect scatologique.
Une nouvelle quinte essence
de Gargantua par
Jean Françaix
Le compositeur Jean Françaix avait une connaissance très précise de l'œuvre de Rabelais pour en sélectionner et réorganiser
les extraits les plus percutants. Imaginez-vous que Jean Françaix est né au Mans à quelques pas de géant du lieu de naissance de Rabelais, près de Chinon, à La Devinière. C’est une
région où la culture rabelaisienne est très présente depuis le
XVIe siècle.
Jean Françaix commencera son récit en utilisant les chapitres
I, II, III du livre Pantagruel (ce qui est logique puisque l'origine des Géants se trouve dans ce premier livre de Rabelais).
Le compositeur utilisera de nombreux chapitres du livre Gargantua (plus de 13 sur les 57 dans ce deuxième livre). La
revisitation faite par Jean Françaix n’est pas une traduction
systématiquement littérale et encore moins un résumé de
l’œuvre de Rabelais. Il s’agit d’une adaptation cohérente et
accessible pour le spectateur d’aujourd’hui.
A travers cette nouvelle quintessence qui se veut respectueuse de l’esprit de l’œuvre, le compositeur s'est amusé à faire
quelques petites fantaisies bien savoureuses dont voici quelques exemples :

L’éducation de Gargantua
les chapitres XIV à
XXIV ces chapitres s’attaquent à l’enseignement de la Sorbonne.
Ils proposent l’idéal pédagogique d’un homme de la Renaissance.
Les méthodes du Moyen âge Gargantua a été placé
d’abord sous la direction d’un grand docteur « sorbonicquard »,
Maître Thubal Holoferme, qui fait apprendre par cœur à l’envers
comme à l’endroit règles de grammaire et principes de morale.
On peut entendre chaque jour à l’église vingt et trente messes
pour croupir dans la paresse physique, aussi : en devenant fou,
niais, tout rêveur et « rassoté ».
L’éloquence du Moyen âge Gargantua vient à Paris,
sous la direction d’un nouveau maître, Ponocratès. Durant ce
voyage, il traverse la Beauce sur sa jument qui fauche, avec sa
queue, les forêts sur son passage. A Paris Gargantua s’assied
sur les tours de notre Dame, en vole les cloches pour les mettre
au cou de sa jument.
L’enseignement de Ponocratès qui est fidèle à
l’idéal de la Renaissance. . Il développe chez son élève
la connaissance des textes anciens et la connaissance directe de
la nature. Il découvrira par exemple les propriétés des aliments
qui lui sont servis en lisant Pline ou d’autres auteurs grecs et
latins. Il apprend à cultiver son corps autant que son esprit et à
observer une hygiène minutieuse. Sa vie religieuse se limite à
une communication directe avec la divinité par la lecture matinale
d’une page de l’Evangile, de courtes prières et des cantiques.
La guerre picrocholine
les chapitres XXV à LI
Grandgousier, père de Gargantua est attaqué par le seigneur de
Lerné, Picrochole, à la suite d’une querelle entre vignerons et
« fouaciers » (fabricants de «fouaces» ou galettes tourangelles).
Il fait tout pour éviter la guerre mais Picrochole ivre de conquête
et prenant ses désirs pour des réalités, refuse toute conciliation.
Il appelle son fils Gargantua pour le défendre. Le moine jean
des Entommeures, se distingue dans la bagarre. Après le succès
de Grandgousier, les prisonniers sont traités avec humanité. Les
vainqueurs sont récompensés. Le moine pourra faire bâtir selon
ses plans l’abbaye de Thélème.
L’abbaye de Thélème chapitres LII à LVII
L’abbaye ressemble à une petite cour de la Renaissance.
Seigneurs et dames y vivent dans une atmosphère de culture
et de politesse. La liberté y règne : la seule règle est :
« Fay ce que vouldras ».
Les chiffres situés à droite de certains mots en vieux français
renvoient au glossaire page 22.
5
4

Picrochole perd la bataille qu’il a déclenchée et doit
fuir…….. Termine-t-il vraiment sa vie en «crieur de
sauce verte» ? Devient-il vraiment «marchand de petits pâtés» ? Etait-il vraiment «battu par sa femme» ?
Les suppositoires existaient-ils en 1534 ?
Le compositeur se serait-il amusé lui aussi à rajouter quelques
exagérations ou inventions de son cru? Ou ne se serait-il pas
inspiré d’un autre livre de Rabelais ?

Et Badebec : qui était elle ? La mère de Gargantua ou
de Pantagruel ?
C’est sans importance puisque cela ne nous empêche pas de
rire et de pleurer ou de pleurer et de rire avec Grandgousier
endeuillé par le décès de sa pantoufle, pardon ! de son épouse. Signalons que Rabelais lui-même mélangeait plaisantes
inventions et vieilles légendes.
En revanche, Jean Françaix, homme très distingué, a occulté
toutes les parties les plus vulgaires (scatologie, obscénité ...etc) ; c’est sans doute pour agacer un peu plus les pères
de la Sorbonne, « les sorbonicquards », qui avaient censuré
son Pantagruel que Rabelais les avait tant exagérées.
Jean Françaix qui était comme Rabelais un homme de culture,
ouvert sur le monde, grand lecteur, avait une idée en tête :
«par la mise en musique de Gargantua, j’espère donner envie
aux autres de lire ce texte.» disait-il.
La lecture de Gargantua est une lecture stéganographique *
que l’on peut apprécier en fonction de sa culture personnelle.
Jean Françaix, homme d’humour, a retenu le niveau anecdotique et humoristique de l’œuvre de Rabelais dans l’adaptation
qu’il en a faite. Celui-ci a aussi et surtout souhaité nous transmettre les messages humanistes de la Renaissance qui restent
d’actualité. Par exemple, il retiendra et mettra l’accent sur
l’aspect éducatif et généreux de Gargantua
et sur
la
«chole» (folie) de Picrochole rêvant de toute puissance en
conquérant le monde, bien au-delà de l’Euphrate, en tuant et
pillant tout sur son passage.
Il s’agit en fait, de la rencontre de deux humanistes aussi drôles l'un que l'autre et qui croient au pouvoir de la connaissance, de l’éducation et de la culture pour un monde meilleur et
surtout sans guerre.
Voyons dans les pages qui suivent les deux textes face à face :
d’un côté, les extraits de l’œuvre de Rabelais (en vieux français) de l’autre l’intégralité de la production du compositeur.
*avec plusieurs niveaux de lecture.
RABELAIS
Chapitre I du livre Pantagruel
« … Il vous convient doncques noter que au commencement du monde (je
parle de loing, il y a plus de quarante quarantaines de muyctz, pour nombrer à la mode des antiques Druides)….
Car à tous survint au corps une enfleure tres horrible, mais non à tous en
un mesme lieu. Car aulcuns enfloyent par le ventre, et le ventre leur devenoit bossu comme une grosse tonne : desquelz est escript : Ventrem omnipotentem (1) : lesquelz furent tous gens de bien et bons raillars (2). Et de
ceste race nasquit sainct Pansart (3) et Mardygras.
Les aultres enfloyent par les espaules, et tant estoyent bossus qu’on les
appelloit montiferes, comme portemontaignes, dont vous en voyez encores
par le monde en divers sexes et dignités. Et de ceste race yssit Esopet (4) :
duquel vous avez les beaulx faicts et dictz par escript.
Autres croyssoient par les jambes, et à les veoir eussiez dict que c’estoyent
Les aultres enfloyent en longueur par le membre, qu’on nomme le laboureur de nature : en sorte qu’ilz le avoyent merveilleusement long, grand,
gras, gros, vert, et acresté (5) à la mode antique, si bien qu’ilz s’en servoyent de ceinture, le redoublans à cinq ou à six foys par le corps. Et s’il
advenoit qu’il feust en poinct, et eust vent en pouppe, à les veoir eussiez
dict que c’estoyent gens qui eussent leurs lances en l’arrest pour jouster
à la quintaine (6). Et d’yceulx est perdue la race, ainsi comme dis les
femmes. Car elles lamentent continuellement, qu’il n’en est plus de ces
gros etc. Vous sçavez la reste de la chanson. Aultres croissoient en matière de couilles si enormement, que les troys emplissoient bien un muy
(7). D’yceulx sont descendues les couilles de Lorraine, lesquelles jamays
ne habitent en braguette, elles tombent au fond des chausses.
Jean FRANCAIX
5
Au commencement du monde, ou à peu
près, je n’y étais pas. Au commencement
était le verre, la bouteille. Car Phaëton,
pour s’être un jour un peu trop rapproché
de la Terre avec son char solaire, mit à
sec toutes les contrées qui se trouvaient
au-dessous de lui : les herbes étaient
sans verdure, les avocats sans cause,
toutes rivières taries. Les oiseaux tombaient du ciel faute de rosée, et les bêtes
crevaient dans les champs, la gueule
ouverte. Il y avait beaucoup à faire pour
sauver l’eau bénite dans les églises et les
hommes se réfugiaient sous le ventres
des vaches pour être à l’ombre.
Et voici que ces hommes se mirent à enfler. Certains par le dos, de cette race
sortit Esope le Phrygien dont vous avez
tous lu les beaux livres. D’autres enflaient par les doigts de la main, et les
avaient en forme de cornemuse. D’autres
se développaient par les jambes ; à les
voir, vous eussiez dit des grues, ou des
flamants roses. A d’autres, le nez devenait si gros qu’il ressemblait à la flûte
d’un alambic, tout diapré, étincelant,…..
Tel le nez du chanoine Pompette, ou celui
de Tirepet, médecin d’eau douce dans la
bonne ville d’Angers.
grues, ou flammans, ou bien gens marchans sus eschasses.
Es aultres tant croissoit le nez qu’il sembloit la fleute d’une alambic, tout
diapré, tout estincelé de bubeletes (8) pullulant, purpuré, à pompettes, tout
esmaillé, tout boutonné et brodé de gueules (9). Et tel avez veu le chanoyne Panzoult et Piedeboys medecin de Angiers, de laquelle race peu furent qui aimassent la ptissane (10), mais tous furent amateurs de purée
Septembrale (vin). Nason, et Ovide en prindrent leur origine.
Aultres croissoyent par les aureilles, lesquelles tant grandes avoyent, que
de l’une faisoyent pourpoint, chausses, et sayon: de l’aultre se couvroyent
comme d’une cape à l’espagnole.
Aux autres croissaient les oreilles, dont
ils couvraient leurs femmes comme d’une
cape à l’espagnole.
Voir commentaire page 19
6
RABELAIS
Jean FRANCAIX
Chapitre I du livre Pantagruel (suite)
Le premier fut Chalbroth, (nom inventé – broth)
Qui engendra Sarabroth,
Qui engendra Faribroth,
Qui engendra Hurtaly celui qui a survécu (Bible),
Il fut beau mangeur de souppes et vécu au moment du déluge.
Qui engendra Nembroth (réminiscence d’Hérodote),
Qui engendra Athlas qui avec ses épaules garda le ciel de tumber,
Qui engendra Goliath (Géant biblique & chanson de geste),
Qui engendra Eryx qui fut inventeur du jeu de gobeletz,
Qui engendra Tite (Tityus : géant froudroyé par Jupiter et plongé
dans les enfers et son corps couvrait 9 hectares,
Qui engendra Eryon Orion, chasseur géant fils de Neptune (lire
Homère),
Qui engendra Polypheme Cyclope de grande stature,
Qui engendra Cace Monstre fils de Vulcain mis à mort par Hercule,
Qui engendra Etion lequel premier eut la verolle pour n’avoir beu
frays en esté, comme tesmoigne Bartachim,
Qui engendra Encelade,
Qui engendra Cée,
Qui engendra Typhoe,
Qui engendra Aloe,
Qui engendra Othe,
Qui engendra Aegeon,
Qui engendra Briare qui avoit cent mains,
Qui engendra Porphirio,
Qui engendra Adamastor,
Qui engendra Antée,
Qui engendra Agatho,
Qui engendra Pore, qui premier inventa de boire d’autant,
Qui engendra Aranthas,
Qui engendra Goliath de Secundille,
Qui engendra Offot, lequel eut terriblement beau nez à boyre au
baril,
Qui engendra Artachées,
Qui engendra Oromedon,
Qui engendra Gemmagog, il fut l’inventeur des souliers à poulaine,
Qui engendra Sisyphe,
Qui engendra Titanes dont nasquit Hercules,
Qui engendra Enay, qui fut tresexpert en matire de oster les cerons, (pustules de la gale) des mains,
Qui engendra Fierabras, lequel fut vaincu par Olivier pair de France
compaignon de Roland,
Qui engendra Morguan, lequel premier de ce monde joua aux dez
avecque ses bezicles,
Qui engendra Fracassus duquel a escript Merlin Coccaïe,
Dont nasquit Ferragus,
Qui engendra Happemousche, qui premier inventa de fumer les
langues de beuf à la cheminée, car au paravant le monde les saloit
comme on faict les jambons,
Qui engendra Bolivorax,
Qui engendra Longys,
Qui engendra Gayoffe, lequel avoit les couillons de peuple et le vit
de cormier,
Qui engendra Meschefain,
Qui engendra Bruslefer,
Qui engendra Engolevent,
Qui engendra Galehault, lequel fut inventeur des flacons,
Qui engendra Mirelangault,
Qui engendra Galaffre,
Qui engendra Falourdin,
Qui engendra Roboaste,
Qui engendra Sortibrant de comnimbres,
Qui engendra Brushant de Monniere,
Qui engendra Bruyer, lequel fut vaincu par Ogier le Danoys pair de
France,
Qui engendra Mabrun,
Qui engendra Foustanon,
Qui engendra Hacquelebac,
Qui engendra Vitdegrain,
Qui engendra Grand Gosier,
Qui engendra Gargantua,
Qui engendra Le noble Pantagruel mon maistre.
Le premier fut Haschtarfsprok,
Qui engendra Hirtspennsfroc, qui fut beau
mangeur de Soupe et régna au temps du Déluge; à califourchon sur l’Arche de Noé, il la tournait du pied comme il voulait.
Il engendra Atlas, qui, de ses épaules, empêcha le ciel de tomber.
Qui engendra Joursanpain ;
Qui engendra Héliconar, qui buvait pour la soif
passée, présente et à venir ; notez qu’il fut le
premier à jouer aux dés avec des bésicles.
Qui engendra Hapfchepfesse,
Qui engendra Gribouillis,
Qui engendra Loupgarou, qui avait du poil au
genoux,
Qui engendra Bolivorax,
Qui engendra Bricabrac ;
Qui engendra Falourdin de Conimbre, qui fut
vaincu par Ogier le Danois,
Qui engendra Colophoniac,
Qui engendra Brûlefer, lequel fredonnait des
badigoinces comme un singe démembrant des
écrevisses,
Qui engendra Cornabon, dont la peau du ventre s’était sensiblement éloignée des rognons,
Qui engendra Cloud,
Qui engendra Mou, qui engendra Louft,
Qui engendra Plouc,
Qui engendra Grandgousier,
Qui engendra le noble Gargantua, mon Maître.
Voir commentaire page 19
7
RABELAIS
Jean FRANCAIX
Chapitre III Livre de Pantagruel
Titre : Du dueil que mena Gargantua de la
mort de sa femme Badebec (1).
Texte incomplet : les passages utilisés par
le compositeur sont restitués.
Quand Pantagruel fut né, qui fut bien esbahy et perplex.
Ce fut Gargantua son père, car voyant d’un cousté sa
femme Badebec morte, et de l’aultre son filz Pantagruel
né, tant beau et tant grand, ne sçavoit que dire ny que
faire. Et le doubte que troubloit son entendement estoit,
assavoir s’il devoit plorer pour le dueil de sa femme, ou
rire pour la joye de son filz ?
« Pleureray je, disoit il ? Ouy : car pourquoy ? Ma tant
bonne femme est morte, qui estoit a plus cecy la plus
cela qui feust au monde. Iamais je ne la verray, jamais
je n’en recouvreray une telle : ce m’est une perte inestimable. O mon dieu que te avoys je faict pour ainsi me
punir ? Que ne envoyas tu la mort à moy premier que à
elle ? car vivre sans elle ne m’est que languir.
« Ha Badebec, ma mignonne, mamaye, mon petit con
(toutesfois elle en avoit bien troys arpens et deux sexterées (2) ma tendrette, ma braguette, ma savate, ma
pantofle jamais je ne te verray. Ha pauvre Pantagruel tu
as perdu ta bonne mere, ta doulce nourrisse, ta dame
tresaymée ». Et ce disant pleuroit comme une vache,
mais tout soubdain rioit comme un veau, quand quand
Pantagruel luy venoit en memoire. « HO mon petit filz
(disoit il) mon coillon, mon peton que tu es joly, et tant
je suis tenu à dieu de ce qu’il m’a donné un si beau filz
tant joyeux, tant riant, tant joly. Ho, ho, ho, ho, que
suis ayse, beuvons ho, laissons toute mélancholie, apporte du meilleur, rince les verres, boute la nappe,
chasse ces chiens, souffle ce feu, allume la chandelle,
ferme ceste porte, taille ces souppes (3) , envoye ces
pauvres, baille leur ce qu’ilz demandent, tiens ma robbe, que je mette en pourpoint pour mieux festoyer les
commeres. »
Ce disant ouyt la letanie et les mementos des prebstres
qui portoyent sa femme en terre, dont laissa son bon
propos et tout soubdain fut ravy ailleurs, disant,
« Seigneur dieu, fault il que je me contriste encores ?
Cela me fasche, je ne suis plus jeune, je deviens vieulx,
le temps est dangereux, je pourray prendre quelque
fiebvre, me voylà affolé. Foy de gentil homme, il vault
mieulx pleurer moins et boire dadvantaige. Ma femme
est morte: et bien, par dieu (da iurandi) (4) je ne la
resusciteray pas par mes pleurs, elle est bien, elle est
en paradis pour le moins si mieulx ne est : elle prie dieu
pour nous, elle est bien heureuse, elle ne se soucie plus
de nos miseres et calamitez, autant nous en pend à l’œil
(5), dieu gard le demourant, il me fault penser d’en
trouver une aultre.
Qui fut bien ébahi et perplexe quand Gargantua
fut né ? Ce fut Grandgousier, son père car Badebec, son épouse, en était morte. Le doute qui
troublait l’esprit de Grandgousier était de savoir
s’il devait pleurer sur le deuil de sa femme, ou rire
pour la naissance de son fils.
« Pleurerai-je ? » disait-il « Oui, car ma tant bonne
femme est morte, qui était ceci, qui était cela ; ce
m’est une perte inestimable.
O Dieu ! Que t’avais-je fait pour me punir ainsi ?
Que ne m’envoyas-tu pas la mort à moi d’abord ?
Vivre sans elle n’est pour moi que languir.
Ah ! Badebec, ma mignonne, ma mie, ma tendresse, ma caille, ma petite pantoufle, jamais plus
je ne te reverrai. Ah ! Pauvre Gargantua, tu as
perdu ta bonne mère, ta douce nourrice, ta dame
très aimée : …. » Disant cela, il pleurait comme
un veau. Mais tout aussitôt riait comme une vache quand Gargantua lui revenait à la mémoire.
« Hé! Petit couillon !» disait-il, «mon gros fils, si
joyeux, si rieur, si joli ! Oh que je suis aise : Buvons donc : Laissons toute mélancolie : apporte du
meilleur, rince les verres, mets la nappe, chasse
ces chiens, souffle ce feu, allume cette chandelle,
ferme la porte, taille ces soupes, renvoie ces pauvres, donne leur ce qu’ils demandent : apporte ma
robe, que je me mette en pourpoint pour mieux
fêter les commères.»
Disant cela il entendait les litanies des prêtres qui
portaient sa femme en terre. Il en abandonna son
propos et s’écria : « Seigneur, faut-il que je me
contriste encore ? Je ne suis plus jeune, le temps
est mauvais, je pourrais prendre quelque fièvre.
Foi de gentilhomme, il vaut mieux pleurer moins
et boire davantage; Ma femme est morte : par
Dieu, je ne la ressusciterai pas par mes pleurs.
Elle est en Paradis pour le moins, si mieux n’est ;
elle prie pour nous, elle est bien heureuse, elle ne
se soucie plus de nos misères. Il me faudra songer
d’en trouver une autre.
Voir commentaire page 20
RABELAIS
Jean FRANCAIX
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Chapitre XI -Livre de Gargantua
De l’adolescence de Gargantua
Gargantua depuis troys jusques à cinq ans feut nourry (1) et institué
(2) en toute discipline convenente par le commandement de son pere
et celluy temps passa comme les petitz enfans du pays, c’est assavoir à boyre, manger, et dormir : à manger, dormir, et boyre : à
dormir, boyre, et manger.
Tousjours se vaultroit par les fanges (3), se mascoroyt (4) le nez, se
chauffouroit (5) le visaige. Aculoyt (6) ses souliers, baisloit (7) au
mousches, et couroit voulentiers après les parpailons (8) desquelz son pere tenoit l’empire. Il pissoit sus ses souliers, il chyoit en
sa chemise, il se mouschoyt à ses manches, il mourvoit (9) dedans sa soupe. Et patroilloit (10) par tout lieux et beuvait en sa
pantoufle, et se frottait ordinairement le ventre d’un panier. Ses dens
aguysoit (11) d’un sabot, ses mains lavoit de potaige, se pignoit
(12) d’un goubelet, se asseoyt entre deux selles le cul à terre (13),
de couvroyt d’un sac mouillé, beuvoyt en mangeant sa souppe, mangeoyt sa fouace (14) sans pain, mordoyt en riant, rioyt en mordent,
souvent crachoyt on bassin, pettoyt de gresse, pissoyt contre le soleil, se cachoyt en l’eau pour la pluye , battoyt à froid, songeoyt
creux, faisoyt le succré, escorchoyt le renard (15), disoit la patenostre du cinge (16), retournoyt à ses moutons, tournoyt les truies au
foin (17), battoyt le chien devant le lion (18), mettoyt la charrette
devant les beufz, se grattoyt où ne luy demangeoyt poinct, tiroit les
vers du nez, trop embrassoyt et peu estraignoyt, mangeoyt son pain
blanc le premier, ferroyt les cigalles (19), se chatouilloyt pour se
faire rire, ruoyt très bien en cuisine, faisoyt gerbe de feurre au dieux
(20), faisoyt chanter Magnificat à matines et le trouvoyt bien à propous, mangeoyt chous et chioyt pourrée, congnoissoyt mousches en
laict, faisoyt perdre les pieds au mousches, ratissoyt le papier, chaffourroyt (21) le parchemin, guaignoyt au pied (22), tiroyt au chevrotin (23), comptoyt sans son houste, battoyt les buissons sans prandre les ozillons, croioyt que nues feussent paillles d’arain et que vessis feussent lanternes, tiroyt d’un sac deux moustures, faisoyt de
l’asne pour avoir du bren, de son poing faisoyt un maillet, prenoit les
grues du premier sault, vouloyt que maille à maille on feist les haubergeons, de cheval donné tousjours reguardoyt en la gueulle, saultoyt du coq à l’asne, mettoyt entre deux verdes une meure, faisoyt
de la terre le foussé, gardoyt la lune des loups, si les nues tomboient, esperoyt prandre les alouettes, faisoyt de necessité vertus,
faisoyt de tel pain souppe, se soucioyt aussi peu des raitz (24) comme des tonduz, tous les matins escorchoys le renard.
Les petits chiens de son pere mangeoient en son escuelle : luy de
mesmes mangeoit avecques eux. Il leurs mordoit les aureilles, ilz
luy graphinoient le nez.
il leurs souffloit au cul, ilz luy leschoient les badigoinces (25).
Et sabez quey, hillotz ? Que mau de pipe vous byre (26).
Ce petit paillard tousjours tastonoit ses gouvernantes, cen dessus
dessoubz, cen devant derriere - harry bouriquet ! - et desjà commençoyt exercer braguette, laquelle un chascun jour ses gouvernantes ornoyent de beaulx boucquets, de beaulx rubans, de belles fleurs,
de beaulx flocquars, et passoient leur temps à la faire revenir entre
leurs mains comme un magdaleon d’entraict (27), puis s’esclaffoient
de rire quand elle levoit les aureilles, comme si le jeu leurs eust pleu.
L’une la nommoit «ma petite dille», l’aultre «ma pine», l’aultre «ma
branche de coural», l’aultre «mon bondon »(28), mon bouchon, mon
vibrequin, mon possouer, ma teriere, ma pendilloche, mon rude esbat
roidde et bas, mon dressouoir, ma petite andoille vermeille, ma petite
couille bredouille.
- Elle est à moy, disoit l’une.
- C’est la mienne, disoit l’aultre.
- Moy (disoit l’aultre), n’y auray je rien ? Par ma foy, je la couperay
doncques.
- Ha couper : (disoit l’aultre); vous luy feriez mal, ma dame, coupez
vous la chose aux enfans ? Il seroyt monsieur sans queue.
- Et pour s’esbattre comme les petits enfans du pays, luy feirent un
beau virollet (29) des aesles d’un moulin à vent de Myrebalays.
Comme tout petit chrétien, Gargantua fut porté sur les
fonts et baptisé (1).
Il passait son temps en trois parts : à manger dormir
et boire; à dormir boire et manger ; à boire, manger
et dormir.
Aussi portait-il bonne trogne, avec presque dix-huit
mentons et quatorze cents pipes neuf potées de lait par
jour. Une de ses gouvernantes m’a souvent assuré
qu’au seul bruit des flacons il entrait en extase comme
s’il goûtait les joies du Paradis, dodelinant de la tête et
souriant à la bouteille. Et pendant qu’elle faisait sonner
les verres avec un couteau, les pintes avec leurs bouchons, lui-même se berçait, monocordisant des doigts
et barytonnant du cul…….. que c’était merveille à l’entendre. Mais quand il s’éveillait, bonnes gens ! Il se
vautrait dans sa fange se farfouillait le nez, pêchait la
grenouille, courait les papillons. Il se mouchait à
sa manche, se morvait dans sa soupe, pissait sur
ses souliers, buvait dans sa pantoufle, lavait ses
mains dans son potage et se chatouillait pour se
faire rire.
Les petits chiens de son Père mangeaient dans son
écuelle, et lui, mangeait avec eux. Il leur mordait les
oreilles : ils lui égratignaient le nez.
Il jouait au poirier, au ronflard, à la pirouette, au furet,
au crapaud, au piston, à la bascule, à colin-maillard,
aux pétarades ; arrachait les pattes aux mouches et
dénichait les oisillons.
Il avait un beau cheval de bois, qu’il faisait piaffer, sauter, voltiger danser et ruer tout ensemble (2).
Entre temps, Monsieur l’Appétit venait.
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9
RABELAIS
Jean FRANCAIX
Chapitre XIV GARGANTUA (extraits)
Comment Gargantua feut institué par un sophiste
latines.
*
en lettres
A quoy congnent son pere le divin entendement qui en luy estoit, et le feist très bien endoctriner (1) par Aristoteles, qui pour
lors estoit estimé sus tous philosophes de Grece.
« Mais je vous diz qu’en ce seul propos que j’ay presentement
davant vous tenu à mon filz Gargantua, je congnois que son
entendement participe de quelque divinité, tant je le voy agu
(2), subtil, profund et serain et parviendra à degré souverain de
sapience, s’il est bien institué. Pour tant, je veulx le bailler à
quelque homme sçavant pour l’endoctiner selon sa capacité, et
et n’y veulx rien espargner. »
De faict, l’on luy enseigna un grand docteur sophiste nommé
Maistre Thubal Holoferne (3) qui luy aprint sa charte (4) si bien
qu’il la disoit par cueur au rebours ; et y fut cinq ans et troys
mois. Puis luy leut Donat, le Facet, Théodolet et Alanus in Parabolis (5). Et il y feut treze ans six moys et deux sepmaines.
Mais notez que ce pendant il luy aprenoit à escripre gotticquement et escripvoit tous ses livres car l’art d’impression n’estoit
encores en usaige. Et portoit ordinairement un gros escriptoire
pesant plus de sept mille quintaulx ……
Après en eut un aultre vieux tousseux, nommé Maistre Jobelin
Bridé….
Chapitre XV (extraits)
Lors, en bousculant les commères, il courait aux cuisines, savoir quel rôti était à la broche. Puis chopinait
théologalement, de onze ou douze potées de vin.
Avant peu, il criait comme tous les diables : Stentor à la
bataille de Troie, n’eut jamais une telle voix.
Cependant, Gargantua croissait et profitait à vue d’œil.
Son intelligence était aiguë et subtile, comme si elle lui
fut venue de quelque divinité. Pour l’élever à un haut
degré de science, il fut envoyé à Paris à la Sorbonne.
Portant une écritoire de 7000 quintaux et sous la férule
de Thubal Holoferne, Jobelin Bridé, Janotus de Bragmardo et autres vieux tousseux édentés, beaux bailleurs de
balivernes et abstracteurs de quintessence. Il étudia le
« Donat », le « Facet », l’ »Alanus in Parabolis » avec
les commentaires d’Heurebis, Trouillogand, Brelindelin et
d’un tas d’autres, de semblable farine. Il y fut occupé 18
ans, 11 mois et 14 jours.
Puis lui furent enfournées les vies de Saint-Foutin le
Presbyte de Sainte Godegrand la Roupieuse, et de SaintCanard, qui fut martyrisé de pommes cuites au Capitole
de Toulouse. Il les savait si bien qu’il les pouvait réciter à
l’endroit ou à l’envers au désir de ces Messieurs. Il y
passa 24 ans, 4 mois et 3 jours.
On le fit enfin sorbonniculer dans « les Patrenôtres du
Singe Vert », dans « Les Lunettes de Romipète », « La
Cornemuse des Prélats » « La Marmite des Promoteurs », « La Ratatouère des Présidents », « La muselière des Dames »…. extraite de la Somme angélique.
A tant, son pere aperceut que vrayement il estudioit très bien et
y mettoit tout son temps, toutefoys qu’en rien ne prouffitoit et,
que pis est, en devenoit fou, niays, tout resveux et rassoté (6).
Mais toute la contenence de Gargantua fut qu’il se print à plorer comme une vache et se cachoit le visaige de son bonnet, et
ne fut possible de tirer de luy une parole non plus qu’un pet
d’un asne mort. »
* un
1542
sens,
rante
théologien disent les premières éditions ; la correction en
en sophiste (avec un sens péjoratif) ne change pas le
l’assimilation entre scolastique et sophistique étant coudepuis Erasme.
De tout cela Gargantua sortit tout rêveur, niais, mou,
éteint, inerte, lent, gâteux, léthargique, hébété ; de sorte qu’on n’en pouvait pas plus tirer quelque chose…
qu’un pet d’un âne mort.
10
RABELAIS
Jean FRANCAIX
Chapitre XXIX Gargantua
Le teneur des lettres que Grandgousier escripvoit à
Gargantua.
La ferveur de tes estudes requeroit que de long temps ne te
revocasse de cestuy philosophicque repous (1), sy la confiance
de noz amys et anciens confederez n’eust de present frustré la
seureté de ma vieillesse. Mais, puis que telle est ceste fatale
destinée, que par iceulx soye inquiété : es quelz plus je me
repousoye, force me est te rappeler au subside (2) des gens et
biens qui te sont par droict naturel affiez (3).
Car, ainsi comme debiles sont les armes au dehors, si le conseil
n’est en la maison : aussi vaine est l’estude et le conseil inutile
qui en temps oportun par vertus n’est executé et à son effect
reduict.
Ma délibération n’est de provocquer, ains de apaiser : d’assaillir, mais defendre : de conquester, mais de guarder mes feaulx
subjectz et terres héréditaires. Es quelles est hostillement entré
Picrochole, sans cause ny occasion, et de jour en jour poursuit
sa furieuse entreprinse, avecques excés non tolérables à personnes liberes (4).
Je me suis en devoir mis pour moderer sa cholere tyrannicque,
luy offrent tout ce que je pensois luy povoir estre en contentement, et par plusieurs foys ay envoyé amiablement devers luy
pour entendre en quoy, par qui et comment il se sentoit oultragé ; mais de luy n’ay eu responce que de voluntaire deffiance
(5), et que en mes terres pretendoit seulement droict de bien
seance (6).
Dont j’ay congneu que Dieu eternel l’a laissé au gouvernail de
son franc arbitre et propre sens, qui ne peult estre que meschant sy par grace divine n’est continuellement guidé (7) : et
pour le contenir en office et reduire à congnoissance, me l’a icy
envoyé à molestes (8) enseignes.
Pourtant (9) mon fils bien aymé, le plus tost que faire pouras,
ces lettres veues, retourne à diligence secourir, non tant moy
(ce que toutesfoys par pitié naturellement du doibs) que les
tiens, lesquelz par raison tu peux saulver et guarder. L’exploict
sera faict à moindre effusion de sang que sera possible. Et, si
possible est, par engins plus expediens, cautels (10), et ruzes
de guerre nous saulverons toutes les ames et les envoyerons
joyeux à leurs domiciles.
Trèschier filz, la paix de Christ, nostre redempteur soyt avecques toy.
Salue Ponocrates, Gymnaste et Eudemon de par moy.
Un
matin, Gargantua reçut de son père
Grandgousier la lettre suivante :
«La ferveur avec laquelle tu t’adonnes à tes
études m’eut ordonné que de longtemps je
ne te dérangeasse de cette philosophique
occupation, si un ami et ancien allié, en qui
j’avais toute confiance, pour une obscure
affaire entre nos gens, ne m’eût déclaré la
guerre. Notre intention n’était pas de l’assaillir, mais de l’apaiser et de garder nos fidèles
sujets et terres héréditaires dans lesquelles
Picrochole vient d’entrer en ennemi, et où,
jour après jour, il poursuit sa furieuse entreprise, avec des excès que des personnes libres ne peuvent tolérer. J’ai envoyé amicalement vers lui pour savoir en quoi et par qui il
se sentait outragé ; mais je n’ai obtenu comme réponse que cette déclaration de guerre.
Donc, mon fils bien aimé, dès que tu auras
reçu cette lettre, viens vite nous secourir.
Très cher Enfant, la paix du Christ soit avec
toi ! ….
Du vingtième jour de Septembre.
Ton père, Grandgousier.»
Du vingtiesme de Septembre (11) Ton pere, Grandgousier.
Voir commentaire page 20
11
RABELAIS
Jean FRANCAIX
Chapitre XXXIII Gargantua (complet sur deux pages)
Comment certains gouverneurs de Picrochole, par conseil
précipité, le mirent au dernier peril.
Les fouaces destroussées, comparurent davant Picrochole les
duc de Menuail, comte Spadassin et capitaine Merdaille (1)
et luy dirent :
- « Cyre, aujourd’huy nous vous rendons le plus heureux, le
plus chevaleureux prince qui oncques feust depuis la mort de
Alexandre Macedo (2).
- Couvrez, couvrez-vous, dist Picrochole.
- Grand mercy (dirent ilz), Cyre, nous sommes à nostre debvoir. Le moyen est tel :
« Vous laisserez icy quelque capitaine en garnison avec petite bande de gens pour garder la place, laquelle nous semble
assez forte, tant par nature que par les rampars faictz à vostre invention. Vostre armée partirez en deux, comme trop
mieulx l’entendez. L’une partie ira ruer (3) sur ce Grandgousier et ses gens. Par icelle sera de prime abordée (4) facilement desconfit. Là recouvrerez argent à tas (5), car le vilain
en a du content (6) ; vilain disons nous, parce que un noble
prince n’a jamais un sou. Thesaurizer est faict de vilain.
- L’aultre partie, cependent, tirera vers Onys, Sanctonge,
Angomoys et Gascoigne, ensemble Perigot, Medoc et Elanes
(7). Sans résistence prendront villes, chasteaux et forteresses.
A Bayonne, à Sainct jean de Luc (8) et Fontarabie sayzirez
toutes les naufz (9), et, coustoyant vers Galice et Portugal,
pillerez tous les lieux maritimes jusques à Ulisbonne, où aurez renfort de tout equipage requis à un conquérent. Par le
corbieu, (10) Hespaigne se rendra, car ce ne sont que madourrez (11) ! Vous passerez par par l’estroict de Sibyle (12)
et là erigerez deux colonnes, plus magnificques que celles de
Hercules (13), à perpétuelle memoire de vostre nom, et sera
nommé cestuy destroict la mer Picrocholine.
Dans le même temps, renfermés dans la place forte de
la Roche Clermaud, le Duc de Menuail, le Général Comte
Spadassin, le Capitaine Merdaille et autres méchantes
ferrailles se présentèrent devant Picrochole et lui dirent : « Sire, nous vous proclamons aujourd’hui… le
Roi… le Roi des …. L’Em… l’Empereur des……
le plus
grand Conquérant qui fut jamais depuis la mort d’Alexandre le grand.
- Couvrez-vous, couvrez-vous ! dit Picrochole. Voici ce
que nous proposons : vous laisserez ici quelques capitaines en garnison pour garder la place. Votre armée se
divisera en deux parts. L’une s’ira ruer sur l’Aunis et la
Saintonge, la Gascogne et les Landes, qu’elle prendra
sans résistance.
A Fontarabie, vous saisirez tous les navires, et, côtoyant
le Portugal, pillerez tous les ports jusqu’à Lisbonne, où
vous trouverez les renforts nécessaires pour continuer
les conquêtes. Corbleu ! L’Espagne se rend à merci, car
ce ne sont que fainéants. Vous passerez Gibraltar, où
vous érigerez deux Colonnes plus belles que celles
d’Hercule, afin de perpétuer la mémoire de votre nom.
Le détroit sera nommé : « La Mer Picrocholine ».
Passée la Mer Picrocholine, à nous les Barbaresques, les
Baléares, toutes les Iles du golfe de Gênes, la Gaule
Narbonnaise, la Provence, Lucques et Florence prises à
revers et vous entrez à Rome. Ce pauvre Monsieur Le
Pape tremble déjà de peur.
Passée la mer Picrocholine, voicy Barberousse (14), qui se
rend vostre esclave…...
- Je (dist Picrochole) le prendray à mercy.
- Voyre (dirent ilz), pourveu qu’il se face baptiser. Et appugnerez (15) les royaulmes de Tunic, de Hippes, Argiere, Bone, Corone, hardiment toute Barbarie. Passant oultre, retiendrez en vostre main Majorque, Minorque, Sardaine, Corsicque et aultres isles de la mer Ligusticque et Baleare (16).
Coustoyant à gausche, dominerez toute la Gaule Narbonicque, Provence et Allobroges, Genes, Florence, Lucques, et à
Dieu seas (17) Rome. Le pauvre Monsieur du Pape (18)
meurt desjà de peur.
- Par ma foy (dist Picrochole), je ne lui baiseray jà sa pantofle (19).
- Prinze Italie, voylà Naples, Calabre, Appoulle et Scicile
toutes à sac, et Malthe avec. Je vouldrois bien que les
plaisans chevaliers, jadis Rhodiens (20), vous resistassent, pour veoir de leur urine (21).
- Je iroys (dict Picrochole) voluntiers à Laurette (22).
- Rien, rien (dirent ilz) ; ce sera au retour. De là prendrons Candie, Cypre, Rhodes et les isles Cyclades, et
donnerons sus la Morée. Nous la tenons. Sainct Treignan
(23), Dieu gard Hierusalem ! Car le soubdan (24) n’est
pas comparable à vostre puissance !
- Je (dist il) feray doncques bastir le Temple de Salomon.
- Non (dirent ilz) encores, attendez un peu. Ne soyez
jamais tant soubdain à voz entreprinses. Sçavez vous
que disoit Octovian Auguste ? Festina lente (25). Il vous
convient premièrement avoir l’Asie Minor, Carie, Lycie,
Pamphile, Celicie, Lydie, Phrygie, Mysie, Betune, Charazie, Satalie, Samagarie, Castamena, Luga, Savasta jusques à Euphrates.
L’Italie prise, Chypre, Rhodes et les Cyclades se donnent à nous. Nous allons sur le Péloponnèse nous le
tenons. Dieu garde Jérusalem. Je veux qu’il ne lui soit
fait aucun mal (assura Picrochole) au contraire, j’y
ferai reconstruire le temple, il sera 100 fois plus magnifique que Chambord ou Chantilly et dans le chandelier à sept branches je ferai enfermer un vrai poil du
Roi Salomon.
-Mais non ! Mais non ! Dit Merdaille, ne soyez pas si
prompt dans votre entreprise, ce sera pour le retour,
il nous faut d’abord l’Asie Mineure et tous les pays
jusqu’à L’Euphrate.
Voir commentaire page 21
RABELAIS
Chapitre XXXIII
Jean FRANCAIX
12
(suite et fin)
- Voyrons nous, dist Picrochole, Babylone et le Mont Sinay ?
- Il n’est dirent ilz, jà besoing pour ceste heure. N’est ce pas assez
tracassé dea (1) avoir transfreté la mer Hircane (2), chevaudé les
deux Armenies et les troys Arabies (3) ?
- Par ma foy, dist il, nous sommes affolez (épuisés). Ha pauvres
gens.
- Quoy ? Dirent ilz.
- Que boyrons nous par ces desers. Car Julian Auguste et tout son
oust (armée) y moururent de soif comme l’on dict.
- Nous (dirent ilz) avons jà donné ordre à tout. Par la mer Siriace
vous avez neuf mille quatorze grands naufz chargées des meilleurs
vins du monde, elles arriverent à Japhes. Là se sont trouvez vingt et
deux cens mille chameaulx, et seize cens Elephans, lesqelez aurez
prins à une chasse environ Sigeilmes (4), lors que entrastes en Lybie : et d’abondant eustes toute la Garavane de Lamecha (5). Ne
vous fournirent ilz de vin à suffisance ?
- Voyre mais, dist il, nous ne beumes poinct frais.
- Par la vertus, dirent ilz, non pas d’un petit poisson, un preux, un
conquérent, un pretendent et aspirant à l’empire univers, ne peut
tousjours avoir ses aizes. Dieu soit loué que estes venu vous et voz
gens saufz et entiers jsques au fleuve du Tigre.
- Mais dist il, que faict ce pendent la part de nostre armée qui desconfit ce villain humeux (6) de Grandgousier ?
- Ilz ne chomment pas (dirent ilz) nous les rencontrerons tantost. Ilz
vous on pris Bretaigne, Normandie, Flandres, Haynault, Brabant,
Artoys, Hollande, Selande, ilz ont passé le Rhein par sus le ventre
des Suices et Lansquenetz, et part d’entre eulx ont dompté Luxembourg : Lorraine, la Champaigne, Savoye jusques à Lyon auquel lieu
ont trouvé voz garnisons retournans des conquestes navales de la
mer Mediterranée, et se sont reassemblez en Boheme, après avoir
mis à sac Soueve, Vuiemberg, Bavieres, Austriche, Moravie et Stirie ; puis ont donné fierement ensemble sus Lubek, Norwerge, Swedenrich, Dace (7) , Gotthie (8), Engroneland, les Estrelins, jusques à
la mer Glaciale. Ce faict, conquesterent les isles Orchades et subjuguerent Escosse, Angleterre et Irlande. De là, navigans par la mer
sabuleuse, et par les Sarmates, ont vaincu et dominé Prussie, Polonie, Litwanie, Russie, Valache, la Transsilvane et Hongrie, Bulgarie,
Turquie, et sont à Constantinoble.
-Allons nous, dist Picrochole, rendre à eulx le plus toust, car je veulx
estre aussi empereur de Thebizonde. Ne tuerons nous pas tous ces
chiens turcs et Mahumetistes ?
- Que diable, dirent ilz, ferons nous doncques ? Et donnerez leurs
biens et erres à ceulx qui vous auront servy honnestement.
- La raison (dist il) le veult ; c’est equité. Je vous donne la Carmaigne, Surie et toute la Palestine.
- Ha ! (dirent ilz) Cyre, c’est du bien de vous. Grand mercy ! Dieu
vous face bien tousjours prosperer ! Là present estoit un vieux gentil homme, esprouvé en divers hazars et vray routier de guerre,
nommé Echephron (9) lequel, ouyant ces propous, dist
« J’ay grand peur que toute ceste entreprinse sera semblable à la
farce du pot au laict, duquel un cordouannier se faisoit riche par resverie ; puis, le pot cassé, n’eut de quoy disner. Que pretendez vous
par ces belles conquestes ? Quelle sera la fin de tant de travaulx et
traverses ?
- Ce sera : dist Picrochole que, nous retournez, repouserons à noz
aises.
- Dont, dist Echephron : Et, si par cas jamais n’en retournez, car le
voyage est long et pereilleux. N’est ce mieulx que dés maintenant
nous repousons, sans nous mettre en ces hazars ?
- O dist Spadassin par Dieu, voicy un bon resveux ! Mais allons
nous cacher au coing de la cheminée, et là passons avec les dames
nostre vie et nostre temps, à enfiler des perles, ou à filler comme
Sardanapalus. Qui ne se adventure, n’a cheval ny mule, ce dist Salomon.
- Qui trop dist Echephron, se adventure, perd cheval et mulle. Respondit Malcon (10).
- Baste ! (11), dist Picrochole, passons oultre. Je ne crains que ces
diables de legions de Grandgousier, ce pendent que nous sommes en
Mesopotamie, s’ilz nous donnoient sus la queue, quel remede ?
- Très bon, dist Merdaille, une belle petite commission, laquelle vous
envoirez es Moscovites, vous mettra en camp (12), pour un moment
quatre cens cinquante mille combatans d’eslite. O, si vous me y faictes vostre lientenant, je tueroys un pigne (peigne)pour un mercier
(13)! - Je mors, je rue,je frappe, je attrape, je tue, je renye !
- Sus, sus, dict Picrochole, qu’on despesche tout, et me ayme, si me
suyve (14).
- Mais que boirons nous dans ces déserts ?
- Nous avons donné ordre à tout : neuf mille et quatorze grands navires chargés des meilleurs vins du monde
arrivent à Jaffa, où se trouvent 20 000 chameaux et
1615 éléphants. A travers les deux Arménies et les
trois Arabies, ils arrivent à nous. N’aurons-nous pas de
vin en suffisance ?
-Ouais, mais nous ne bûmes point frais !
-Un preux, un conquérant, un prétendant à l’empire de
l’univers ne peut toujours avoir ses aises ! Rendez plutôt grâce à Dieu que vous et vos gens soyez venus
sains et sauf jusqu’au Tigre.
- Mais, dit Picrochole, que fait pendant ce temps l’autre
partie de notre armée ?
- Elle ne chôme pas : ayant écrasé les gens de ce pauvre buveur de Grandgousier, …. Elle vous a conquis
Bretagne, Normandie, Flandres, Bourgogne, Lyon, où
elle a trouvé vos garnisons revenant des conquêtes
navales de la Méditerranée. Passé le Rhin, elle met à
sac l’Allemagne, l’Autriche, la Pologne, la Russie, la
Valachie, la Turquie ; elle entre à Constantinople. Elle
met le Sultan au fond de ses chausses comme un suppositoire.
- Me voilà empereur de Trébizonde.
- Voyez, voyez, Sire, se rejoindre vos deux Armées !
- Duc de Menuail, nous vous donnons la Carménie, la
Syrie et toute la Palestine.
- Ah ! Sire ! Grand merci !
- Général Comte Spadassin, nous vous donnons la Hongrie et la Transylvanie.
- Ah ! Sire ! Dieu vous donne toujours prospérité !
- Capitaine Merdaille, nous vous donnons la Bavière.
- Ah ! Sire ! Sous votre conduite nous voulons vivre et
mourir ! »
Etait présent à cet entretien un vieux Général expérimenté, qui s’écria : «J’ai grand peur de voir tout ceci
finir comme la farce du pot au lait, par lequel une fille
devenait riche par l’imagination, et qui, le pot cassé,
n’eut pas de quoi dîner.»
Mais on l’appela cafard vermoulu,
et Picrochole s’écria : « Je mords , je rue, je frappe,
j’attrape, je tue, je renie, sus à l’ennemi !
Et qui
m’aime me suive ! »
RABELAIS
13
Jean FRANCAIX
Chapitre XXVII Gargantua
Comment un moine de Seuillé saulva le cloz de l’abbaye du sac
des ennemys.
Tant feirent et tracasserent, pillant et larronnant, qu’ilz arriverent
à Seuillé (1), et detrousserent hommes et femmes, et prindrent ce
qu’ilz peurent : rien de leurs feut ne trop chault ne trop pesant.
Combien que la peste y feust par la plus grande part des maisons,
ilz entroient par tout, ravissoient tout ce qu’estoit dedans, et jamais nul n’en print dangier, qui est cas assez merveilleux : car les
curez, vicaires, prescheurs, medicins, chirurgiens et apothecaires
qui alloient viviser, penser, guerir, prescher et admonester les
malades, estoient tous mors de l’infection, et ces diables pilleurs
et meurtriers oncques n’y prindrent mal. Dont vient cela, messiers ? Pensez y, je vous pry.
Le bourg ainsi pillé, st transporterent en l’abbaye avecques horrible tumulte, mais la trouverent bien reserrée et fermée, dont l’armée principale marcha oultre vers le gué de Vede (2), exceptez
sept enseignes (3) de gens de pied et deux cens lances qui là resterent et rompirent les murailles du cloz affin de guaster toute la
vendange.
Les pauvres diables (4) de moines ne sçavoient auquel de leurs
saincts se vouer. A toutes adventures feirent sonner ad capitulum
capitulantes (5). Là feut decreté qu’ilz feroient une belle procession, renforcée de beaulx preschans, et letanies contra hostium
insidias (6), et beaulx responds (7) Pro pace.
En l’abbaye estoit pour lors un moine claustrier (8) nommé Frere
Jean des Entommeures (9), jeune, guallant, frisque (10), de hayt
(11), bien de dextre (12) hardy, adventureux, deliberé, hault,
maigre, bien fendu de gueule (13), bien advantaigé en nez, beau
despescheur d’heures (14), beau desbrideur de messes, beau
descroteur de vigiles , pour tout dire sommairement vray moyne si
oncques en feut depuys que le monde moynant moyna de moynerie (15), au reste clerc jusques es dents en matiere de breviaire.
Icelluy, entendent le bruict que faisoyent les ennemys par le cloz
de leur vine, sortit hors pour veoir ce qu’ilz faisoient, et, advisant
qu’ilz vendangeoient leur cloz auquel estoyt leur boyte (16) de
tout l’an fondée, retourne au cueur de l’eglise, où estoient les aultres moynes, tous estonnez comme fondeurs de cloches (17) lesquelz voyant chanter Ini nim, pe, ne, ne, ne, ne, tum, ne, num,
num, ini, i, mi, mi, co, o, ,e, ,o, o, ne, no, ne, rum, ne, num, num
(18) : « C’est, dist il, bien chien chanté ! Vertus Dieu, que ne
chantez vous :
Adieu, paniers, vendanges sont faictes ?
« Je me donne au diable s’ilz ne sont en nostre cloz et tant bien
couppent et seps et raisins qu’il n’y aura, par le corps Dieu ! De
quatre années que halleboter (19) dedans. Ventre sainct Jacques !
(20) Que boyrons nous ce pendent, nous aultres pauvres diables ?
Seigneur Dieu, da mibi potum (21) ! Lors dist le prieur claustral :
« Que fera c’est hyvrogne icy ? Qu’on me le mene en prison. Troubler ainsi le service divin !
-Mais (dist le moyne) le service du vin (22), faisons tant qu’il ne
soit troublé ; car vous mesmes, Monsieur le Prieur, aymez boyre
du meilleur. Sy faict tout homme de bien ; jamais homme noble
ne hayst le bon vin : c’est un apophthegme (23) monachal. Mais
ces responds que chantez ycy ne sont, par Dieu ! poinct de saison.
« Pourquoy sont noz heures en temps de moissons et vendenges
courtes ; en l’advent et tout hyver longues ? Feu de bonne memoire Frere Macé Pelosse, vray relateur (ou je me donne au diable) de nostre religion, me dist, il m’en soubvient, que la raison
estoit affin qu’en ceste saison nous facions bien serrer et faire le
vin, et qu’en hyver nous le humons.
« Escoutez, Messieurs, vous aultres qui aymez le vin : le corps
Dieu, sy me suibvez ! Car, hardiment, que sainct Antoine me arde
(24) , sy ceulx tastent (25) du pyot qui n’auront secouru la vigne !
Ventre Dieu, les biens de l’Eglise ! Ha, non, non ! Diable ! Sainct
Thomas l’Angloys voulut bien pour yceult mourir : si je y mouroys,
ne seroys je sainct de mesmes ? Je n’y mourray jà pourtant, car
c’est moy qui le foys es aultres. »
Bientôt, l’avant-garde de Picrochole arriva devant le clos
de l’Abbaye de Seuillé, et y entra. On était, en ce temps
là, au commencement de l’automne, la jolie saison des
vendanges. Le soleil brillait haut et pur, l’air était tiède, la
nature éjouissait les yeux. Alors, les porte-drapeaux picrocholiens mirent leurs insignes le long du mur, les
trompettes se chargèrent de branches de raisins, et les
Tambourineurs défoncèrent leurs tambours d’un côté
pour les emplir de grappes. Chacun allait de côté et d’autre fort tranquillement…. Les pauvres diables de moines,
encore dans l’ignorance de leur malheur, étaient dans
leur chapelle, où ils chantaient de la manière qui suit :
Ouas per…...ges me douo … mi.. ne, hy. so. po, et mun.
dab’rrr…..ssssu……..per ni.vem de.al.ba……...bor.
C’est alors qu’un vrai moine, s’il en fut jamais depuis que
le monde moinant moina de moinerie, Frère Jean des
Entommeures, jeune, éveillé, galant et hardi, aperçut à
travers un vitrail troué les soldats de Picrochole en train
de se livrer à leurs horrifiques vendanges « Hé ! Bons
Pères ! » cria t-il, « Chantez plutôt : adieu, paniers :
Vendanges sont faites : nous n’aurons que de la piquette
à boire l’an prochain ! »
RABELAIS
Jean FRANCAIX
14
Chapitre XXVII (suite)
Ce disant, mist bas son grand habit et se saisit du baston de la croix, qui
estoit de cueur de cormier, long comme une lance, rond. Ainsi sortit un beau
sayon (26), mist son froc en escharpe et de son baston de la croix donna sy
brusquement sus les ennemys, qui, sans ordre, ne enseigne, ne trompette,
ne tabourin, parmy le cloz vendangeoient, car les porte-guydons et port’enseignes avoient mis leurs guidons (27) et enseignes l’orée des murs, les
tabourineurs avoient defoncé leurs tabourins d’un cousté pour les emplir de
raisins, les trompettes estoient chargez de moussines (28), chascun estoit
desrayé (29) , il chocqua doncques si roydement sus eulx, sans dyre guare,
qu’il les renversoyt comme porcs, frapant à tors et à travers, à vieille escrime.
Es uns escarbouilloyt la cervelle, es aultres rompoyt bras et jambes, es aultres deslochoyt les spondyles (30) du coul, es aultres demoulloyt les reins,
avalloyt le nez, poschoyt les yeulx, fendoyt les mandibules, enfonçoyt les
dens en la gueule, descroulloyt les omoplaes, sphaceloyt les greves (31),
desgondoit les ischies (32) debezilloit les fauciles (33).
Si quelqu’un se vouloyt cascher entre les sepes plus espès, à icelluy freussoit toute l’areste du douz (34) et l’esrenoit comme un chien.
Si aulcun saulver se vouloyt en fuyant, à icelluy faisoyt voler la teste en pieces par la commissure lambdoïde.
Si quelqu’un gravoyt en une arbre, pensant y estre en seureté, icelluy de
son baston empaloyt par le fondement.
Si quelqu’un de sa vieille congnoissance luy crioyt :
Ha, Frère Jean, mon amy, Frère Jean, je me rend !
-il t’est (disoit il) bien force ; mais ensemble tu rendras l’ame à tous les diables. »
Et soubdain luy donnoit dronos (35). Et, si personne tant feust esprins de
temerité qu’il luy voulust resister en face, là monstroyt il la force de ses
muscles, car il leurs transperçoyt la poictrine par le mediastine (36) et par le
cueur. A d’aultres donnant suz la faulte des coustes (37), leurs subvertissoyt
(38) l’estomach, et mouroient soubdainement. Es aultres tant fierement
frappoyt par le nombril qu’il leurs faisoyt sortir les tripes. Es aultres parmy
les couillons persoyt le boiau cullier. Croiez que c’estoyt le plus horrible
spectacle qu’on veit oncques (39). Les uns cryoient : Saincte Barbe ! (40).
Les aultres : Saincte Nytouche ! Les aultres : Nostre Dame de Cunault : de
Laurette : de Bonnes Nouvelles ! De la Lenou ! De Riviere ! Les ungs se
vouoyent à sainct Jacques les aultres au sainct suaire de Chambery, mais il
brusla troys moys après, si bien qu’on n’en peut saulver un seul brin (41).
Les autres à Cadouyn, les aultres à Sainct Jean d’Angery ; les aultres à
sainct Eutrope de Xainctes, à Sainct Mesmes de Chinon, à sainct martin de
Candes, à sainct Clouaud de Sinays, es reliques de Javrezay et mille aultres
bons peitz sainctz.
Les ungs mouroient sans parler, les aultres parloient sans mourir. Les ungs
mouroient en parlant, les aultres parloient en mourant.
Les aultres crioient à haulte voix : « Confession ! Confession ! Confiteor !
Miserere : In manus ! »
Tant fut grand les cris des navrez (42) que le prieur de l’abbaye avec tous
ses moines sortirent, lesquelz, quand apperceurent ces pauvres gens ainsi
ruez (43) parmy la vigne et blessez à mort, en confesserent quelques ungs.
Mais, ce pendent que les prebstres se amusoient à confesser, les petits
moinetons coururent au lieu où estoit Frere Jean et luy demanderent en
quoy il vouloit qu’ilz luy aydassent. A quoy respondit qu’ilz esguorgetassent
ceulx qui estoient portez par terre. Adoncques, laissans leurs grandes cappes sus une treille au plus près, commencerent esgourgeter et achever ceulx
qu’il avoit desjà meurtriz. Sçavez vous de quelz ferrements ? A beaulx gouvetz (44) qui sont petitz demy cousteaux dont les petitz enfans de nostre
pays cernent les noix.
Puis à tout son baston de croix guaingna la breche qu’avoient faict les ennemys. Aulcuns des moinetons emporterent les enseignes et guydons en leurs
chambres pour en faire des jartiers (45). Mais, quand ceulx qui s’estoient
confessez vouleurent sortir par icelle bresche, le moyne les assommoit de
coups, disant :
« Ceulx cy sont confès et repentans, et ont guaigné les pardons ; ilz s’en
vont en paradis, aussy droict comme une faucille et comme est le chemin
de Faye. »
Ainsi, par sa prouesse, feurent desconfiz tous ceulx de l’armée qui estoient
entrez dedans le clous, jusques au nombre de treze mille six cens vingt et
deux, sans les femmes et petitz enfans, cela s’entend tousjours.
Jamais Maugis (46), hermite, ne se porta si vaillamment à tout son bourdon
contre les Sarrasins, desquelz est escript es gestes des quatre filz Haymon,
comme feist le moine à l’encontre des ennemys avec le baston de la croix.
Lors, il quitta son froc, se saisit du bâton de la Croix, (qui était de cœur de
cormier) et, sans crier gare, tomba sur
les ennemis à la vieille escrime, à tour
de bras. Ceux-ci crurent avoir affaire
avec tous les diables de l’enfer. Aux
uns, il écrabouillait la cervelle : aux
autres, rompait bras et jambes ; il applatissait les nez, pochait les yeux, fendait les mandibules. Il frappait si rudement les nombrils qu’il en faisait sortir
les tripes : c’était le plus beau spectacle
qu’on pût voir ! Les uns mouraient sans
parler, les autres parlaient sans mourir,
criant : « Miserere ! » « Confiteor ! »
Par cette prouesse furent défaits presque tous ceux qui étaient entrés dans le
Clos, au nombre de 13 622,
sans
compter les femmes et les enfants. Par
malheur, quelques ennemis se retournèrent, et, voyant que ce n’était qu’un
moine qui provoquait cet esclandre, ils
le chargèrent et le firent prisonnier.
Voir commentaire page 21
RABELAIS
Jean FRANCAIX
Chapitre XLVII de Gargantua
Comment Grangousier manda querir ses legions, et comment
Toucquedillon tua Hastiveau, puisfut tué par le commandant
de Picrochole.
Chapitre XLVIII de Gargantua
Comment Gargantua assaillit Picrochole dedans la Roche clermaud et defist l’armée dudict Picrochole.
Chapitre XXXIII de Pantagruel
Comment Pantagruel de sa langue couvrit tote une armée, et
de ce que l’auteur veit dedans sa bouche.
Chapitre XXXVI Gargantua
Comment Gargantua demolit le chasteau du Gué de Vede, et
comment ilz passèrent le gué.
Chapitre XXXVII Gargantua
Comment Gargantua soy peignant faisoit tomber de ses cheveulx les boulletz d’artillerye
ETC …..
15
Pendant ce temps, Gargantua volait au secours de son Père
de toute la vitesse de son cheval.
L’armée du vieux Grandgousier acclama le retour de Gargantua. Par la science militaire de ses chefs et l’argent du bon
roi, elle était un véritable mouvement d’horlogerie. L’avantgarde était conduite par le Comte de Tiravant ; l’infanterie,
par le lientenant Tailleboudin ; le général Brisefer commandait la cavalerie ; et l’arrière-garde était placée par le fameux colonel Tappecul.
Gargantua, dont les exploits allaient passer ceux de Thémistocle, Scipion et César réunis, eut la charge totale de l’Armée. Il résolut qu’à la nuit tombante on marcherait sur la
forteresse de la Roche-Clermaud pour y surprendre Picrochole.
Quand le soir fut venu, Gargantua se dressa haut et fier, et
commanda : « En avant …… Marche ! »
Ils marchaient tous en si bon ordre que vous eussiez dit les
Enfants d’Israël quand ils quittèrent l’Egypte pour passer la
mer rouge. Comme on approchait de la Roche-Clermaud,
l’Armée fut surprise par une grosse pluie. Aussitôt, Gargantua s’écria : « A mon commandement …..halte ! » Alors
rassemblant tout ses gens devant lui, …. Il se mit à genoux,
et s’avisa de tirer la langue peu à peu, les en couvrant comme une mère-poule fait pour ses poussins : de sorte qu’on
pouvait aller et venir là-dessous comme on fait dans Notre
Dame de Paris, ou dans Sainte Sophie de Constantinople. Et
maintenant, cataractes du ciel, déversez-vous à loisir : les
soldats de Gargantua se moquent bien de vous. Bien au
chaud, ils rêvent de nobles prouesses. La pluie avait cessé
lorsqu’au petit jour les guetteurs de la Roche-Clermaud signalèrent l’apparition des Gargantuistes. Considérant l’horrifique stature de Gargantua, qui lui permettait de voir bien au
-dessus des nuages, le Duc de Menuail et le Général Comte
Spadassin pensèrent que la conquête du monde ne leur serait peut-être pas aussi facile qu’ils l’avaient imaginé. C’est
pourquoi, ils crurent utile de se replier discrètement sur des
positions préparées à l’avance, laissant à la troupe l’honneur
de défendre la forteresse. Seul, le Capitaine Merdaille resta
aux côtés de Picrochole. On le disait d’intelligence médiocre,
mais néanmoins excellent militaire. Il fait sonner l’alarme,
pointer son artillerie sur Gargantua, et ordonna une salve
d’enfer.
Le tonnerre de l’artillerie apaisé, Gargantua crut ressentir
dans ses cheveux comme un grouillement de vermine. Il
pensa d’abord que c’était quelques poux qu’il avait ramené
de la Sorbonne. Mais ayant secoué la tête, il en fit tomber 44
783 boulets de canon, …...dont il faillit écraser une petite
puce ecclésiastique qui accourrait vers lui. C’était Frère Jean,
qui avait réussi à s’évader.
On le réconforta, car il avait tellement jeûné en prison que
les araignées avaient tissé leur toile sur ses dents.
Cependant que le Capitaine Merdaille, ses pièces rechargées,
s’apprêtait à tirer derechef sur Gargantua.
Avec un entêtement inutilement militaire, dont n’eussent
profité que les seuls marchands d’arquebuses Merdaille eut
sûrement commandé une 3ème décharge si Gargantua, importuné par une mitraille qui n’était pour lui que grains de
raisin n’avait décidé d’en finir. D’un énorme chêne qu’il arracha, il se fit une massue, et s’approchant irrésistiblement de
la Roche-Clermaud, il commença d’en abattre les tours, descendant ses échauguettes, écrabouillant ses chemins de ronde, disloquant ses remparts, fracassant ses mâchicoulis, défonçant ses barbacanes et démembrant le pont-levis. Pour
achever son ouvrage, d’un puissant déluge urinal, il inonda si
universellement les ennemis qu’ils furent tous noyés ………..
...sauf Picrochole qui, dégoulinant et furieux, s’enfuit soudain
sur une vieille bourrique qui traînait par là.
Voir commentaire page 21
RABELAIS
Jean FRANCAIX
Trois chapitres sont concernés
Chapitre LII Gargantua (extrait)
Comment Gargantua feist bastir pour le moyne l’abbaye de Theleme
« Restoit seulement le moyne à pourvoir, lequel Gargantua vouloit faire
abbé de Seuillé, mais il le refusa. Il luy voulut donner l’abbaye de Bourgueil ou de Sainct Florent, laquelle mieulx luy duiroit, ou toutes deux s’il
les prenoit à gré : mais le moyne luy fist responce peremptoire que de
moyne il ne vouloit charge ny gouvernement : - car comment (disoit il)
pourroy je gouverner aultruy, qui moy mesmes gouverner ne sçaurois ? Si
vous semble que je vous aye faict et que puisse l’advenir faire service
agreable, oultroyez moy de fonder une abbaye à mon devis (1). La demande pleut à Gargantua, et offrit tout son pays de Theleme, jouste la
rivière de Loyre… »
Chapitre LIII (extraits)
Comment feust bastie et dotée l’abbaye des Thelemites
« Pour le bastiment et assortiment (2) de l’abbaye, Gargantua feist livrer
de content vingt et sept cent mille huyt cent trente et un moutons à la
grande laine, et par chascun an jusques à ce que le tout feust parfaict,
assigna sus la recepte de la Dive (3) ), seze cent soixante et neuf mille
escuz au soleil (4)……… » « Le bastiment feut en figure exagone, en telle
façon que à chascun angle estoit bastie une grosse tour ronde à la capacité de soixante pas en diametre, et estoient toutes pareilles en grosseur et
protraict. » « Entre chascune tour, au mylieu dudict corps de logis, estoit
une viz brizée (5) dedans icelluy mesmes corps de laquelle des marches
estoient par de porphyre, part de pierre Numidicque, part de marbre serpentin (6).
En souvenir de cette victoire, le noble Grandgousier ordonna qu’une abbaye fut construite sur
l’emplacement même de la Roche-Clermaud. Et
pour honorer Frère Jean qui, le premier résista à
Picrochole. ….il l‘en voulut faire abbé mais Frère
Jean répondit péremptoirement qu’il ne voulait ni
charge ni gouvernement de moines. Comment
pourrait-il gouverner les autres, alors qu’il ne savait pas se gouverner soi-même ? Néanmoins,
Grandgousier obtint du moine qu’il la dirigea à sa
guise. C’est ainsi qu’au bord de l’harmonieuse
Loire, fut fondée, près d’une grande forêt, cette
fameuse Abbaye de Thélême, dont il fut tant parlé
par la suite.
Pour sa construction et son ameublement, Gargantua avait fait livrer 669 mille écus. Le bâtiment,
magnifique, était en forme d’hexagone, avec, à
chaque angle, une grande tour ronde. La lumière y
pénétrait à flot, faisant ruisseler le porphyre, la
pierre numidique et le marbre serpentin.
Depuis la tour Artice jusques à Cryere estoient les belles grande librairies
(7) en Grec, Latin, Hebrieu, Françoys, Tuscan et Hespaignol, disparties par
les divers estaiges selon iceulx langaiges.
Retour au chapitre LII (Extraits)
« Feut ordonné que là ne seroient repceues sinon les belles, bien formées
et bien naturées, et les beaulx bien formez et bien naturez.
Item, parce que tant hommes que femmes, une foys repceuz en religion,
après l’an de probation (8) estoient forcez et astrinctz y demeurer perpetuellement leur vie durante, feust estably que tant hommes que femmes
là repceuz sortiroient quand bon leurs sembleroit, franchement et entierement.
Item, parce que ordinairement les religieux faisoient troyz veuz, sçavoir
est de chasteté, pauvreté et obedience, fut constitué que là honorablemet
on peult estre marié, que chascun feut riche et vesquist en liberté.
« Et parce que es religions de ce monde tout est compassé, limité et reiglé
par heures, feut decreté que là ne seroit horrologe (9 ) ny quadrant aulcun, mais selon les occasions et oportunitez seroient toutes les œuvres
dispensées ; car (disoit Gargantua) la plus vraye perte de temps qu’il
sceust estoit de compter les heures Ŕquel bien en vient-il ? - et la plus
grande resverie (10) du monde estoit soy gouverner au son d’une cloche
et non au dicté (11) de bon sens et entendement. »
Chapitre LVII (extraits)
Comment estoient reiglez les Thelemites à leur maniere de vivre.
Aux étages étaient répartis selon leurs langues des
ouvrage latins, grecs, hébreux, toscans, français.
Frère Jean n’y laissait entrer que de belles femmes
bien conformées, que de beaux hommes bien musclés. Au lieu de demeurer là toute sa vie, chacun
pouvait en sortir quand bon lui semblait. Au lieu d’y
vivre chaste et obéissant, on pouvait y être marié,
riche et libre.
En ce calme séjour d’Utopie ne se voyait nulle horloge, nul cadran. On ne s’y réglait pas au son d’un
cloche mais à la voix du bon sens, du cœur, de la
raison.
« En leur reigle n’estoit que ceste clause :
Fay ce que vouldras,
Parce que gens liberes, lien nez, bien instruictz, conversans en compaignies honnestes, ont par nature un instinct et aiguillon, qui tousjours les
poulse à faictz vertueux et retire de vice, lequel ilz nommoient honneur.
Et parce que les gens bien nés, bien instruits,
conversant en honnête compagnie ont par nature,
un instinct qui les pousse à la vertu et les éloigne
du vice, il n’y avait dans la règle de cette Abbaye
qu’une seule clause :
« Fais ce que tu voudras. »
16
17
RABELAIS
Jean FRANCAIX
Chapitre XLIX de Gargantua
Comment Picrochole fuiant feut surprins de males fortunes et ce que feit Gargantua après la bataille.
Picrochole ainsi desesperé s’en fuyt vers l’Isle Bouchart , et au chemin de Rivière son cheval bruncha par
terre, à quoy tant feut indigné que son espée le tua en
sa chole puis ne trouvant personne qui le remontast
voulut prendre un asne du moulin qui là auprés estoit,
mais les meusniers le meurtrirent tout de coups, et le
destrousserent de ses habillemens, et luy baillerent
pour soy couvrir une meschante sequenye.
Ainsi s’en alla le pauvre cholericque (1); puis passant
l’eau au Port Huaux, et racontant ses males fortunes,
feut advisé par une vieille lourpidon (2), que son
royaulme luy seroit rendu, à la venue des Cocquecigrues (3). Depuis ne sçait on qu’il est devenu. Toutesfoys l’on m’a dict qu’il est de present pauvre gaignedenier (4) à Lyon, cholere comme davant. Et touSjours se
guemente à tous estrangiers de la venue des Cocquecigrues, esperant certainement scelon la prophetie de la
vieille, estre à leur venue reintegré à son royaulme.
Aprés leur retraicte Gargantua premierement recensa
les gens, et trouva que peu d’iceulx estoient peryz en la
bataille, sçavoir est qUelques gens de pied de la bande
(5) du capitaine Tolmere, et Ponocrates qui avoit un
coup de harquebouze en son pourpoinct.
Puis les feist refraischer chascun par sa bande et commanda es thesauriers que ce repas leur feust defrayé et
payé, et que l’on ne feist oultrage quelconques en la
ville, veu qu’elle estoit sienne, et après leur repas ilz
comparussent en la place devant le chasteau, et là seroient payez pour six moys.
Ce que feut faict, puis feist convenir davant soy en ladicte place tous ceulx qui là restoient de la part de Picrochole, esquelz presens tous ses Princes et capitaines
parla comme s’ensuyt.
« Et Picrochole ? » me direz-vous « Qu’était-il
devenu ? » Il était crieur de sauce verte * et marchand de petits pâtés. Le soir, au coin de sa cheminée et tout en reprisant ses chaussettes, il rêvait à la récupération de son Empire, qu’une vieille prophétesse lui avait promis pour le prochain
retour des coquecigrues et il aurait vécu assez
heureux, grâce à une petite rente que lui versait
en cachette le bon Gargantua, si ce n’est que de
temps en temps, sa femme le battait, ce dont il
fut chansonné dans tout le pays. Et c’est depuis
ce temps que l’on prétend qu’en France tout finit
par des chansons.
Voir commentaire page 21
18
19
Quelques commentaires :
Ce travail de mise en parallèle des deux œuvres est
loin d’être exhaustif. Cela
peut permettre pourtant
d’avoir
quelques
pistes
pour découvrir
comment
une oeuvre littéraire peut
se transformer en œuvre
musicale. Les propos qui
suivent mettront l’accent
sur quelques détails repérables de la métamorphose.
Jean Françaix a été inspiré par la littérature française. Il rédige luimême ses livrets et parfois avec des collaborateurs. Son Gargantua
que l’on peut classer dans « les fantaisies musicales » n’est pas
chanté mais déclamé. Le texte de Rabelais a été réécrit par le compositeur pour l’adapter à sa musique. Il aura donc édulcoré, trié, sélectionné, choisi, réaménagé, extrait les passages les plus parlants
du texte de Rabelais en occultant les chapitres qu’il ne voulait ou ne
pouvait pas mettre en musique. De toute manière, il était impératif
de réduire le texte d’origine afin d’en restituer l’essence tout en respectant l’esprit.
Faisons une petite estimation : vingt chapitres de Gargantua se déclament en 2 h 20 (vous pouvez le vérifier en écoutant le CD Gargantua par Jacques Bonnaffé) ; si le texte avait été conservé dans son intégralité (57 chapitres) il aurait fallu plus de 7 heures. N’est-ce pas une prouesse de faire découvrir Gargantua en 40 minutes et
d’un seul tenant ? Quant à la partie musicale, elle commente avec allégresse ou gravité les différentes
situations ?
Constatons également que cette réécriture peut rendre plus accessible l’œuvre de Rabelais et donner
envie d’aller plus loin dans la lecture d’origine. La comparaison proposée entre les deux textes, l’un du
XVIe l’autre du XXe, vous aura permis de vous rendre compte que Rabelais n’est pas aussi inaccessible
qu’on le croit. Le compositeur a su restituer l’essentiel du texte de Rabelais avec une lucidité et une
remarquable efficacité :
- l’opposition entre l’éducation sophiste qui appauvrit, et l’éducation moderne et humaniste qui
enrichit,
Page 7 :
- la tyrannie et la toute puissance maladive de Picrochole,
Concernant l’ascendance de Gar- le moine sauveur, défenseur du droit,
gantua la liste est très importan- la création de l’abbaye de Thélème, idéal humaniste et
te chez Rabelais : 61 personnason apparente promesse de liberté.
ges sont nommés. Le tout premier Chalbroth serait identifié
tout en se laissant volontiers entraîner dans son ambiance aneccomme un contemporain des fils
dotique et humoristique.
d’Adam : Caïn et Abel.
Jean Françaix a énuméré
20
personnages seulement ; ce qui
semble suffisant pour une production musicale cohérente et
pour éviter, sans doute, que les
auditeurs ne se lassent.
Essayez donc de savoir à qui
l’on pourrait identifier Haschtarfsprok, le premier de la liste chez
Page 6 :
Le chapitre I de Pantagruel n’a pas été restitué en entier, seu- Françaix ?
lement les passages utilisés par le compositeur qui a également Il est évident qu’il n’y a pratiquecorrespondance
transformé de nombreux détails. Sur fond blanc vous découvri- ment aucune
entre
les
personnages.
rez un exemple de texte que l’on peut qualifier d’obscène et que
Jean Françaix a inévitablement parcouru mais laissé de côté. Rabelais avait créé ses histoires
Rabelais y parle de chanson mais cela semble beaucoup plus à partir du mythe de Gargantua
difficile à mettre en musique ! Il est aisé de remarquer que l’or- qui existait bien avant lui ; il l’a
arrangé, transformé. Jean Frandre du récit d’origine n’est pas respecté.
çaix ne s’est pas gêné pour en
faire autant en inventant d’autres
ancêtres à Gargantua avec des
noms qui sonnent bien et qui
font sourire.
19
Page 8 :
Dans ce passage le compositeur inverse les rôles. Il présente la naissance de Gargantua en
utilisant la naissance de Pantagruel. Une chose paraît claire : Jean Françaix tenait sûrement à utiliser la qualité humoristique de ce texte qui devait le faire rire ou pleurer. Cela
peut choquer mais sa production reste logique et nous donne une idée de tout ce qu’on
peut découvrir en lisant Rabelais. Il faut ajouter que l’accouchement de Gargamelle, mère
de Gargantua chez Rabelais, se situe dans un contexte plus scatologique. Il est aussi question de la castration du père et Gargantua naît par l’oreille de sa mère. La veille, Gargamelle avait mangé tellement de tripes pourries que ……….. Bon, allez voir vous-même.
Ainsi vous comprendrez aisément pourquoi Jean Françaix n’a pas eu envie de mettre en
musique ces situations.
Badebec chez Rabelais (morte du mal d’enfant) est la mère de Pantagruel, mais c’est la
mère de Gargantua chez Jean Françaix. A sa naissance l’enfant était si merveilleusement
grand et lourd qu’il ne peut venir à la lumière sans suffoquer sa mère. Il faut préciser que
Rabelais avait aussi réalisé de nombreuses inversions de personnages de manière très fantaisiste par rapport aux récits d’origine. Il aurait délocalisé le mythe en l’installant dans sa
région natale, aux environs de la Devinière près de Chinon.
Remarquons aussi que le compositeur n’utilise pas tous les qualificatifs énumérés par Rabelais concernant l’épouse morte. Il laisse de côté les termes vulgaires et à connotation
sexuelle.
RABELAIS (7 qualificatifs)
-ma mignonne
-mamye
-mon petit con (toutesfois elle en avoit bien troys
arpens et deux sexterées)
-ma tendrette
-ma braguette
-ma savate
-ma pantofle
-ma
-ma
-ma
-ma
-ma
Jean FRANCAIX (5 qualificatifs)
mignonne
mie
tendresse
caille
petite pantoufle
Pointons l’inversion de jeux de mots que fait Jean Françaix : chez Rabelais Gargantua pleure comme une vache et rit comme un veau chez Jean Françaix Gargantua rit comme une
vache et pleure comme un veau.
Page 9 :
Dans ce passage, Jean Françaix utilise
des extraits de nombreux chapitres :

les parties colorées ou surlignées de chaque texte montrent combien Jean Françaix
s’empare du texte de Rabelais
et en fait une traduction littérale.

tout le reste (en noir) se situe
dans le paragraphe VII qui a
pour titre Comment le nom fut
imposé à Gargantua et comment il humoit le piot.
La fin de ce paragraphe de nature
grossière ne sera pas reprise par le
compositeur.
(1) Cette phrase ici est en début de
paragraphe alors qu’elle se situe en fin
du premier paragraphe du chapitre VII
dans le texte de RABELAIS.
(2). Cette phrase est extraite du Chapitre XII dont le titre est « Des chevaux factices de Gargantua » ; le compositeur rassemble en une phrase tout
le paragraphe qui concerne le premier
cheval de bois de Gargantua mais aussi tous les autres chevaux. Il fallait
bien que Gargantua devienne un très
bon cavalier pour son honorable mission.
Page 10
Ici jean Françaix trie et rassemble des éléments des chapitres XIV et XV pour construire son texte. Là aussi, on peut se demander
où il a pu trouver : «La Marmite des Promoteurs» «La ratatouère des Présidents».
Remarquons aussi que, les vieux tousseux de
Rabelais deviennent des vieux tousseux
édentés chez Jean Françaix.
Page 11
Dans cette lettre de Grandgousier à son fils, Jean Françaix est resté très fidèle au texte. Tout en le réduisant, il
respecte son contenu.
20
Page 12 et 13
:
Il est intéressant de constater combien Jean Françaix a utilisé ce chapitre.
Cela certainement pour
pointer
la mégalomanie
de Picrochole qui rêve de
dominer le monde, ainsi
que ses chefs militaires
devenus aussi délirants
que lui. Picrochole n’est
pas le premier à vivre ce
désordre mental, ni le dernier !
Le compositeur s’amuse à
rajouter quelques termes
de son cru comme méchantes ferrailles, cafard
vermoulu.
Et le suppositoire ?
En fait, contrairement à ce
que l’on peut croire, le
docteur Rabelais était bien
placé pour employer, dans
son œuvre, ce terme de
médecine mais pas dans
ce chapitre : en effet, cette substance médicamenteuse solide existait déjà
au XIIIe siècle et s’écrivait subpositoire.
Remarquons aussi que les
châteaux de Chambord et
de Chantilly ne figurent
pas dans ce chapitre chez
Rabelais. En réalité, c’est
le chapitre LII au sein duquel est décrite l’abbaye
de Thélème qui pourrait
être 100 fois plus grande
que Chambord. On peut
donc imaginer que Jean
Françaix, à sa manière, a
pu ainsi illustrer le dysfonctionnement mental de
Picrochole. La construction
de Chambord a commencée vers 1519 et a été
achevée en 1537. C’est un
château
immensément
grand avec ses somptueuses décorations (lanternes,
pignons, lucarnes, flèches,
clochetons, 800 chapiteaux
et 365 cheminées) habité
par les rois de France et
surtout par Louis XIV.
Nous sommes bien dans la
démesure car un bâtiment
100 fois plus grand que
Chambord, disposerait de
3650 cheminées !
Page 15
:
Jean Françaix met en valeur les actes du moine sauveur avec davantage de
discrétion que Rabelais bien qu’il agrémente la terrifiante tuerie de quelques
cervelles écrabouillées, mandibules fendues, ennemis étripés.
Page 16
:
Dans cette partie du texte de Jean Françaix,
il est impossible de repérer toutes les correspondances tant les détails sont extraits de
plusieurs chapitres, sans tenir compte de la
chronologie. Il utilise les éléments de deux
batailles pour n’en faire qu’une.
Page 18
Lorsque Gargantua croit recevoir des grains
de raisins alors qu’il s’agit de boulets de canon c’est au cours de l’attaque du château du
Gué de Vede, dans le texte de Rabelais.
Dans ce dernier paragraphe de Jean Françaix on
découvre que Picrochole :
Dans l’attaque du château du Gué de Vede,
c’est la jument du géant et non Gargantua
qui, voulant lâcher son ventre,
provoqua
un déluge urinal noyant ainsi les ennemis. Si
Jean Françaix attribue ce déluge à Gargantua
c’est parce qu’il sait que Gargantua s’est souvent soulagé la vessie et sans le faire exprès
aurait non seulement fait quelques dégâts
mais aussi quelques jolies créations. En effet,
la légende attribue à ce géant la création de
nombreuses rivières en France.
D’ailleurs sans vouloir trop entrer dans la
scatologie, sachez que notre bonne région
rouennaise est concernée par ce genre
d’exercice : le Mont Gargan du côté de la côte
Sainte Catherine ne serait qu’un étron de
Gargantua et notre si jolie petite rivière du
Robec un déluge urinal du géant.
Dans le chapitre XXXVIII de Gargantua, le
géant en peignant sa chevelure, voit tomber
des boulets de canon. Son père lui demande
alors s’il ne s’agit pas de poux qu’il aurait pu
attraper au collège de Montaigu connu pour
sa saleté, son austérité et son éducation
moyenâgeuse. Allez savoir pourquoi Jean
Françaix s’est amusé à proposer l’institution
du père Sorbon (la Sorbonne) le lieu d’origine
des fameux poux !
:

se fait battre par sa
femme

devient «marchand
de petits pâtés » et
«crieur de sauce
verte»

reprise ses chaussettes
devant
la
cheminée.
ce qui n’apparaît pas dans
le texte de Rabelais. En
revanche, on trouve dans
le chapitre XXXI du Pantagruel le roi Anarche,
vaincu par Pantagruel qui
est fait «cryeur de saulce
vert » (sauce composée
de verjus et de gingembre) il faut préciser que le
roi Arnaque était réduit à
l’image d’un fol.
Petits conseils :
1) lire impérativement le chapitre II du tiers livre, où vous pourrez y découvrir un éloge dithyrambique de la sauce verte.
2) au cours de votre lecture, cherchez donc :

les «petits pâtés»


les «chaussettes reprisées devant la cheminée»
«Picrochole battu par sa femme» !
Glossaire
21
Page 6
1 parodie du Credo « Patrem omnipotentem » et allusion à Paul, Épître aux Philippiens qui condamne ceux qui ont leur ventre pour
dieu -2 bons vivants -3 nom facétieux de saint invoqué au moment du carnaval -4 diminutif d’Ésope qui était petit et bossu -5
dressé comme une crête de coq -6 jeu d’exercice militaire -7 ancienne mesure de capacité variable selon les régions : 268 litres
à Paris, 730 litres à Montpellier -8 petits boutons -9 couleur rouge dans le langage héraldique -10 décoction d’orge.
Page 8
1 Parodie de déploration funèbre -2 Mesure agraire correspondant à l’étendue de terre qui se sème avec un setier de blé
(environ cent cinquante-six litres) -3 morceaux de pain à tremper dans le bouillon -4 Permets-moi de jurer : ueniam est sousentendu -5 Locution utilisée aux XVe et XVIe pour indiquer l’imminence d’un événement désagréable. Pendre à l’œil correspondrait à pendre au nez.
Page 9
1 élevé -2 instruit -3 Dans cette peinture, Gargantua est assimilé par ses actions au fou des farces. Voir R.Antoniolli, Rabelais et
la Médecine -4 noircissait -5 barbouillait -6 éculait -7 baillait -8 papillons -9 faisait tomber sa morve -10 pataugeait -11
aiguisait -12 peignait -13 proverbe ancien -14 Galette dont la pâte n’est guère différente du pain -15 vomissait -16 grommelait -17 faisait tout à l’envers -18 réprimander un inférieur devant son supérieur, pour que celui-ci s’applique la leçon -19
comme ferrer les oies : faire quelque chose d’impossible -20 les trompait en leur offrant de la paille (feurre) au lieu de grain 21 barbouillait -22 s’enfuyait -23 buvait copieusement (d’une outre en peau de chevreau) -24 des rasés -25 les lèvres -26
Et savez-vous quoi, mes enfants. Que le mal de pipe (sorte de tonneau) vous tourmente !; emprunt au dialecte gascon -27 Comme un magdaléon d’emplâtre (petit cylindre utilisé par les apothicaires) -28 bonde -29 moulinet à ailes : Mirebalais : Mirebeau,
dans la Vienne. Il s’agit des moulins à vent de Mirebalais.
Page 10
1 instruire -2 aigu -3 ce nom associe deux noms bibliques, Tubal, descendant de Caïn, inventeur de la métallurgie (signifiant en
hébreux : confusion), et Holoferne, général de Nabuchodonosor, tué par Judith -4 alphabet collé sur un morceau de carton -5
ouvrages scolaires du temps : Donat, grammaire latine rédigée par Donatus (IVe siècle) ; Facet, traité de civilité : Theodolet, traité attribué à Théodolus, évêque de Syrie (Ve siècle) opposant la vérité de l’Écriture Sainte aux fictions de la mythologie : les Paraboles d’Alanus (Alain de Lille, XIIIe siècle) étaient des conseils moraux composés en quatrains. Les Fables d’Esope complétaient
généralement ces ouvrages -6 complètement sot.
Page 11
1 repos -2 secours -3 confiés -4 libres -5 défi -6 convenance. Picrochole prétend n’en faire qu’à sa guise -7 Grandgousier estime que Picrochole est abandonné par la grâce divine, et laissé à sa volonté humaine, qui, entachée par le péché originel, ne peut
être que mauvaise -8 hostiles -9 c’est pourquoi -10 précautions -11 date indiquant que la scène se passe pendant les vendanges.
Page 12
1 terme concernant les jeunes recrus -2 Alexandre de Macédoine -3 se jeter -4 au premier choc -5 en quantité -6 du comptant
-7 itinéraire logique vers le Sud-Ouest : Aunis, Saintonge, Angoumois, Gascogne, Périgord, Médoc, Landes -8 Luz -9 navires 10 Imprécation : par le corps de Dieu -11 rustres -12 de Gibraltar ou de Séville -13 détroit de Gibraltar dans l’Antiquité -14
surnom de Khaïr Eddyn, corsaire turc (1476/1546) qui commandait Alger -15 attaquerez -16 golfe de Gênes, mer des Ligures
-17 «Adieu Rome», formule gasconne -18 formule ironique comme Monsieur du Corbeau -19 allusion à l’usage de baiser la
pantoufle par les visiteurs : journal de voyage de Montaigne -20 Les chevaliers de St Jean de Jérusalem, chassés de Rhodes
(1522) par Soliman II et établis à Malte en 1530 par Charles Quint -21 pour voir ce qu’ils ont dans le ventre -22 N/dame de
Lorette : lieu de pèlerinage -23 patron des Ecossais -24 sultan -25 Hâte toi lentement, maxime attribuée à Auguste par Suétone et repris par Erasme.
Page 13
1 vraiment -2 mer Caspienne -3 Arabie déserte, l’Arabie heureuse, l’Arabie pierreuse -4 Ségelmesse ville proche du Sahara -5
La Mecque -6 buveur -7 le Danemark -8 Pays des Goths au sud de la Suède -9 le prudent -10 ces deux maximes sont tirées des Dialogues de Salomon et Marcoul, très lus au Moyen Age. Le bon sens de Marcoul ou Malchus s’y oppose à la sagesse
philosophique du roi Salomon -11 assez ! Italien Basta -12 en campagne -13 Le proverbe : «tuer un mercier pour un peigne»
est retourné. Ce genre de lapsus comique est encore employé -14 cette satyre de la vantardise est l’un des passages les plus
célèbres de Gargantua. La folie sanguinaire de Picrochole n’a pas de borne, il veut massacrer tout le monde (dépêcher : mettre à
mort).
Page 14 et 15
1 bourg dont dépendait La Devinière -2 Hameau à l’est de La Devinière -3 Troupe de fantassins groupée autour d’un drapeau, la
lance est un terme de cavalerie : il désigne le chevalier et sa suite d’hommes d’armes, valets, etc -4 Rabelais use souvent du
rapprochement burlesque entre diables et moines -5 Au chapitre, ceux qui ont voix au chapitre ! C’est le rassemblement général
du chapitre assistant le prieur -6 Contre les pièges des ennemis -7 Répons, paroles tirées de l’Écriture Sainte -8 du cloître -9
Entommeure ou Entamures signifie hachis. Frère Jean n’a pas été identifié avec certitude. Il s’agit vraisemblablement d’un moine
de Seuilly que Rabelais a pu connaître -10 pimpant -11 joyeux -12 adroit -13 fort en gueule -14 Frère Jean expédie son bréviaire en vitesse -15 Notez l’effet comique produit par les allitérations, procédé cher à Rabelais et à Marot -16 boisson –17 comparaison fréquente au XVIe s. : frappés de stupeur comme les fondeurs qui voient leur cloche manquée, lorsqu’ils l’ont démoulée
-18 Répons des dimanches d’octobre : Impesum inimicorum ne timueritis : Ne craignez pas l’assaut des ennemis -19 grappiller 20 la colère fait jurer Frère Jean comme un laïc ! -21 donne moi à boire ! -22 rapprochement burlesque -23 précepte -24 me
brûle -25 goûtent -26 casaque -27 fanion utilisé dans les unités de cavalerie, alors que l’enseigne est un drapeau d’infanterie 28 Moissines, branches de vigne avec des grappes et les feuilles -29 débandé -30 déboîtait les vertèbres -31 Noircissait de coups
les jambes, comme si elles avaient eu la gangrène (spacèle) -32 Luxait les jambes -33 mettait en pièces les os des bras et des
jambes. Dans tout ce passage, Rabelais mêle plaisamment les termes médicaux et les locutions dialectales -34 brisait l’arête du
dos -35 coups, en parler d’Anjou -36 terme d’anatomie : médiastin antérieur -37 l’endroit où les côtes se terminent -38 retournait -39 Rabelais se plaît à parodier les massacres des épopées dans le style des Macaronées de Merlin Coccaïe -40 Encore aujourd’hui la patronne des artilleurs -41 Le reliquaire de Chambéry brûla le 4 décembre 1552, ce qui permet de dater la guerre
pricrocholine -42 blessés -43 tombés -44 blessés à mort -45 jarretières -46 Personnage légendaire, cousin des quatre fils
Aymon et grand pourfendeur de Sarrazins. Dans la Chanson de Roland, l’évêque Turpin est aussi un rude combattant.
Page 17
1 selon mon plan -2 ravitaillement -3 ruisseau voisin de la Devinière, impropre à la navigation -4 l’écu au soleil, frappé sous
Louis XI portant un petit soleil au-dessus de la couronne -5 escalier à vis -6 le marbre de Numidie est rouge, le marbre de serpentin est tacheté de rouge et de blanc sur fond vert -7 bibliothèques -8 noviciat -9 le développement des horloges est lié
aux règles monastiques d’où l’aversion de Gargantua pour cette mécanique à mesurer le temps -10 folie -11 ordre
Page 18
1 chole : bile, colère -2 sorcière -3 employé tantôt au sens de coquillage et tantôt au sens d’oiseau. Le sens de la locution équivaut à peu près à «quand les poules auront des dents» -4 gagne petit -5 compagnie d’infanterie
22
Références bibliographiques et musicales utilisées.
François RABELAIS
Rabelais Gargantua, Editions
Folio classique, 1973
Œuvres complètes Editions Gallimard « la pléiade » 1994

Livre Gargantua

Livre Pantagruel

Tiers livre
CD Rabelais «Gargantua» Enregistrement de textes par Jacques Bonnaffé. Ed.Thélème
Histoire de la littérature française. Editions Hachette 1974
Site Internet : http://mythofrançaise.asso.fr
Jean FRANCAIX
Partition du récitant «Les inestimables chroniques du bon géant Gargantua » Jean Françaix
CD Gargantua de Jean Françaix. Direction Andrée Colson - Récitant Jean Piat.
Disques Vernou, Domaine de Vernou, B.P. 22, 37130 Langeais.
Actes du colloque international Jean Françaix « Connaître ou reconnaître l’œuvre ?
Edité par le cercle des amis de Jean Françaix.
Site Internet : www.jeanfrançaix.org
Remerciements à Jacques Françaix le fils du compositeur, pour son aide.

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