Répercussions financières et réglementaires de l`entrée non
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Répercussions financières et réglementaires de l`entrée non
Répercussions financières et réglementaires de l’entrée non réglementée de nouveaux fournisseurs sur le marché canadien de l’assurance-hypothèque Jeffrey A. Eisenach, Ph.D. 20 juin 2006 TABLE DES MATIÈRES RÉSUMÉ I. INTRODUCTION ......................................................................................................... 1 II. LE MARCHÉ CANADIEN DU FINANCEMENT À L’HABITATION ............... 3 A. Tendances globales de la propriété immobilière et du financement hypothécaire .................................................................................................................. 4 B. Le secteur du crédit à l’habitation.......................................................................... 6 1. Prêteurs hypothécaires ......................................................................................... 7 2. L’assurance-hypothèque ...................................................................................... 8 C. Accessibilité du financement hypothécaire.......................................................... 11 D. Croissance du marché secondaire ........................................................................ 13 E. Utilisation de modèles normalisés de souscription efficaces............................... 14 III. PROPOSITIONS DE MODIFICATION DE LA RÉGLEMENTATION DU SECTEUR DE L’ASSURANCE-HYPOTHÈQUE...................................................... 14 IV. CONSÉQUENCES DE L’ARRIVÉE NON RÉGLEMENTÉE DE NOUVEAUX INTERVENANTS SUR LE MARCHÉ DE L’ASSURANCE HYPOTHÉCAIRE .. 15 A. Le problème de la concurrence inversée.............................................................. 15 B. Problèmes associés à l’antisélection et le picorage .............................................. 20 1. Antisélection et picorage..................................................................................... 20 2. Conséquences du picorage sur les emprunteurs à risque élevé ...................... 23 3. Conséquences du picorage sur la mise en commun des risques au niveau géographique ........................................................................................................... 28 4. Conséquences du picorage sur la structure du marché................................... 34 5. Conséquences du picorage sur la qualité du produit....................................... 35 6. Conséquences du picorage sur le marché hypothécaire secondaire............... 36 7. Conséquences du picorage sur la fiabilité des modèles de souscription ........ 36 V. RÉSUMÉ ET CONCLUSIONS................................................................................ 37 CRITERION ECONOMICS,L.L.C. RÉSUMÉ Le fait pour le gouvernement du Canada d’offrir sa garantie aux nouveaux fournisseurs d’assurance-hypothèque entraînera presque à coup sûr l’arrivée de nouveaux joueurs. Reste à savoir si cela serait avantageux pour les consommateurs. Si aucune modification n’est apportée au cadre réglementaire actuel, cette éventualité coûterait presque sûrement plus qu’elle ne rapporterait aux consommateurs. En effet, à moins d’une réforme de la réglementation pour empêcher certaines pratiques, les nouveaux fournisseurs d’assurance-hypothèque auront recours à deux pratiques qui feraient du tort aux consommateurs. Premièrement, les nouveaux fournisseurs introduiraient sur le marché un ensemble de pratiques commerciales et d’arrangements financiers associés à la concurrence inversée. Ces pratiques, qui tiennent au fait que ce sont les prêteurs et non les consommateurs qui choisissent les polices d’assurancehypothèque, pourraient amoindrir voire réduire à néant les avantages qu’une concurrence accrue présenterait par ailleurs pour les consommateurs. La concurrence inversée forcerait les vendeurs d’assurance-hypothèque à offrir divers incitatifs financiers conçus pour obtenir la faveur des prêteurs et gagner ainsi des parts de marché. Ces pratiques sont peut-être avantageuses pour les prêteurs, mais comme les emprunteurs n’ont ni le pouvoir ni les connaissances nécessaires pour choisir une assurance-hypothèque, les incitatifs en question ne profitent pas vraiment aux consommateurs. L’Australie et les États-Unis ont adopté des lois pour protéger les consommateurs contre les diverses formes de rabais, ristournes et autres pratiques financières associées à la concurrence inversée. Deuxièmement, l’absence de réglementation de l’arrivée de nouveaux fournisseurs dans ce secteur entraînerait une fragmentation des risques en raison du picorage. Ainsi, les emprunteurs à haut risque (acheteurs d’une première maison, personnes à faible revenu et clients ruraux) paieraient des primes d’assurance-hypothèque relativement plus élevées que celles des emprunteurs à plus faible risque. Plus important encore, la fragmentation des risques ferait augmenter le degré de risque de l’assurance-hypothèque dans son ensemble, ce qui accroît les coûts en capital, hausse le risque d’insolvabilité et, en dernière analyse, alourdit les primes pour tous les consommateurs. Le picorage (ou l’établissement des prix en fonction du risque) consiste à adopter des normes de souscription et des politiques de prix qui segmentent le marché des emprunteurs en fonction de leur cote de crédit, de leur localisation géographique et d’autres facteurs de risque. Les partisans de cette approche affirment qu’elle aboutira à une meilleure correspondance entre les prix et les coûts : les emprunteurs à risque élevé paieront des primes qui reflètent leur plus grand risque de défaut de paiement. Une telle redistribution de la fortune n’est pas nécessairement conforme à la politique publique canadienne. D’un point de vue financier, cependant, la fragmentation du risque aurait des conséquences graves sur l’efficience du marché de l’assurance-hypothèque, ce qui finirait par entraîner des coûts pour l’ensemble des consommateurs. En particulier, • • • • • • la fragmentation du risque, surtout sur une base géographique, exposerait les assureurs à des risques plus élevés, ce qui ferait augmenter leurs coûts en capital et leur risque d’insolvabilité et, par voie de conséquence, les primes d’assurance de tous les consommateurs; les acheteurs d’une première maison, les emprunteurs à faible revenu et les consommateurs des régions rurales devraient assumer globalement des coûts d’emprunt plus élevés, et le marché des hypothèques à risque grossirait; les petites institutions financières, comme les caisses de crédit et les caisses populaires, auraient du mal à soutenir la concurrence des grandes banques; les services complémentaires qu’offrent actuellement les assureurs hypothécaires comme les programmes d’atténuation des pertes seraient réduits ou retirés; la croissance du marché des titres adossés à des créances immobilières pourrait être ralentie du fait de la moindre homogénéité des actifs sous-jacents; la fiabilité des modèles de souscription pourrait se trouver affectée du fait de la ségrégation des données entre de multiples assureurs. Le marché canadien du financement à l’habitation est l’un des plus efficients du monde, en grande partie parce qu’il n’a pas été exposé jusqu’à maintenant à la concurrence inversée et au picorage. Par l’adoption de réformes prudentes de la réglementation, le gouvernement peut préserver les avantages du système actuel tout en permettant l’arrivée dans ce secteur de nouveaux fournisseurs. CRITERION ECONOMICS,L.L.C. I. INTRODUCTION Les modifications de la réglementation du secteur canadien de l’assurancehypothèque1 autoriseront le ministre des Finances à offrir la garantie d’assurancehypothèque dont bénéficie Genworth Financial Canada à n’importe quel assureur hypothécaire2. Ces dispositions vont presque à coup sûr entraîner l’arrivée de nouveaux fournisseurs dans le secteur de l’assurance-hypothèque. Le présent document présente une analyse des répercussions potentielles de ces mesures législatives sur le marché canadien de l’assurance-hypothèque et sur le marché canadien du financement à l’habitation en général. En règle générale, les économistes souscrivent au principe qu’un accroissement de la concurrence peut améliorer le fonctionnement du marché et être avantageux pour les consommateurs. À première vue, l’idée de permettre à d’autres fournisseurs d’accéder au marché canadien de l’assurance-hypothèque paraît conforme à ce principe. Cependant, les marchés financiers en général, et le marché de l’assurance en particulier, sont exposés à des types précis de déficiences du marché qui, en l’absence d’une réglementation appropriée, peuvent entraîner des coûts importants. Le marché de l’assurance-hypothèque en particulier présente des caractéristiques qui le rendent particulièrement vulnérable. Premièrement, le marché de l’assurance-hypothèque est sujet au problème de la « concurrence inversée ». Celle-ci tient au fait que, bien que ce soit le consommateur qui paie l’assurance-hypothèque, c’est l’institution financière prêteuse qui choisit l’assurance. Dans certaines circonstances, la concurrence inversée peut aboutir à des arrangements financiers entre prêteurs et assureurs hypothécaires qui empêchent la transmission au consommateur des avantages de la concurrence sur le plan des prix. Deuxièmement, le marché de l’assurance en général, et le marché de l’assurancehypothèque en particulier, sont sujets à un type d’imperfection que les économistes qualifient d’« antisélection » et à des problèmes connexes qui tiennent au « picorage » 1 Voir l’article 193 de la partie 9 du projet de loi C-13 et le crédit 10 du ministère des Finances dans le Budget principal des dépenses 2006-2007. 2 Suivant la définition figurant à l’article 192 du projet de loi. CRITERION ECONOMICS,L.L.C. qui peuvent à terme entraîner la fragmentation de la clientèle et, dans les cas extrêmes, empêcher les consommateurs d’acheter une assurance à un prix raisonnable. Le marché canadien de l’assurance-hypothèque a jusqu’à présent été largement préservé des problèmes que posent la « concurrence inversée » et le « picorage », en raison de trois caractéristiques : (1) l’obligation légale voulant que toutes les hypothèques dont le rapport prêt/valeur est supérieur à 75 % soient assurées; (2) l’usage voulant que les assureurs hypothécaires visent principalement ce type d’hypothèque et établissent leurs prix en fonction du rapport entre le prêt et la valeur du bien; (3) l’usage voulant que les assureurs hypothécaires ne se prêtent pas aux pratiques de la concurrence inversée. C’est en grande partie pour ces raisons que le Canada possède l’un des marchés du financement à l’habitation les plus efficients du monde et affiche l’un des taux les plus élevés d’accession à la propriété. En l’absence de contraintes réglementaires qui les empêcheraient de le faire, les nouveaux fournisseurs adopteront presque certainement les pratiques commerciales associées à la concurrence inversée et s’adonneront au picorage. Ils seront fortement enclins à conclure des ententes financières avec les prêteurs qui empêcheront les consommateurs de bénéficier des avantages d’une concurrence accrue et à baser leurs activités de souscription sur des pratiques conçues pour sélectionner uniquement les prêts les plus profitables, ce qui fragmenterait la clientèle. Cela aurait des conséquences fâcheuses pour les consommateurs, notamment les suivantes : • • • • les nouveaux fournisseurs adopteraient des pratiques commerciales associées à la concurrence inversée, c’est –à-dire des pratiques conçues pour obtenir une part de marché auprès des grands émetteurs d’hypothèques, mais qui ne produiraient sans doute aucun avantage pour les consommateurs; il pourrait s’agir par exemple d’ententes exclusives de réassurance, de remises et de ristournes et d’autres pratiques explicitement interdites par la loi dans d’autres pays, notamment en Australie et aux États-Unis; les pratiques associées à la concurrence inversée pourraient empêcher les consommateurs de profiter des avantages qui découleraient normalement d’une concurrence accrue; le marché de l’assurance deviendrait fragmenté, spécialement sur une base géographique, ce qui exposerait les assureurs à un degré de risque accru et augmenterait du même coup leurs coûts en capital et ferait augmenter les coûts de l’assurance-hypothèque pour tous les consommateurs; CRITERION ECONOMICS,L.L.C. • • • • • • les primes d’assurance-hypothèque des emprunteurs à risque élevé augmenteraient, tandis que celles des emprunteurs à faible risque ne diminueraient pas nécessairement; les acheteurs de certaines régions géographiques (surtout ceux des régions rurales) auraient globalement des coûts d’emprunt plus élevés; les petites institutions financières comme les caisses de crédit et les caisses populaires auraient du mal à soutenir la concurrence des grandes banques; les services complémentaires qu’offrent actuellement les assureurs hypothécaires comme les programmes d’atténuation des pertes seraient réduits ou retirés; la croissance du marché des titres adossés à des créances immobilières pourrait être ralentie du fait de la moindre homogénéité des actifs sous-jacents; la fiabilité des modèles de souscription pourrait se trouver affectée du fait de la ségrégation des données entre de multiples assureurs. Avec des modifications appropriées de la réglementation, il serait possible d’atténuer voire d’éliminer ces conséquences fâcheuses potentielles de l’accroissement de la concurrence. En particulier, les décideurs devraient envisager d’interdire la conclusion d’arrangements financiers associés à la concurrence inversée et de prévenir le picorage. Le reste du présent rapport est organisé de la manière suivante : la section II donne un aperçu du marché canadien du financement à l’habitation en général et de l’assurancehypothèque en particulier. La section III décrit brièvement les dispositions relatives à l’assurance du projet de loi C-13 et du crédit 10 du Budget principal 2006-2007 du ministère des Finances et leurs répercussions sur l’accès au marché de l’assurancehypothèque. La section IV présente une analyse économique des effets probables de ces dispositions sur le marché, en supposant qu’aucun autre changement n’est apporté au cadre réglementaire. La section V contient un résumé et des recommandations. II. LE MARCHÉ CANADIEN DU FINANCEMENT À L’HABITATION Le système canadien de financement de l’habitation est l’un des plus efficients du monde. Comme l’a dit l’Association canadienne des constructeurs d’habitations (ACCH), [traduction] « le Canada a l’un des meilleurs systèmes de financement de l’habitation du monde, comme en témoignent les taux élevés d’accession à la propriété3. 3 Association canadienne des constructeurs d’habitations, Présentation en réponse à la consultation sur l’Examen de 2006 de la législation du secteur financier du ministère des CRITERION ECONOMICS,L.L.C. Le marché canadien de l’habitation est caractérisé par des taux élevés et croissants de propriété immobilière, une facilité d’accès et un recours croissant au financement hypothécaire, un marché concurrentiel pour le financement d’habitations et l’assurance hypothécaire, l’accès au financement par hypothèque de premier ordre pour presque tous les acheteurs et (par voie de conséquence) un marché relativement petit d’hypothèques à risque (hypothèques de second ordre) et l’existence d’un marché secondaire robuste et en plein essor de titres adossés à des créances hypothécaires. A. Tendances globales de la propriété immobilière et du financement hypothécaire Le Canada affiche l’un des plus hauts taux d’accession à la propriété du monde. Le taux de propriétaires-occupants augmente dans toutes les tranches de revenu et toutes les régions. De 1996 à 2001, il a augmenté dans tous les groupes d’âge, la progression la plus rapide étant observée chez les moins de 35 ans parmi lesquels se retrouvent beaucoup d’acheteurs d’une première maison4. En outre, le taux a augmenté dans les 12 provinces et territoires pour lesquels on dispose de données et dans 27 des 28 régions métropolitaines observées5. Comme on le voit à la figure 1, en 2001, le taux général de propriétaires-occupants a atteint un sommet de 65,8 %, ce qui porte le taux canadien presque au niveau du taux des États-Unis. FIGURE 1 – COMPARAISON DES TAUX DE PROPRIÉTAIRES-OCCUPANTS AU CANADA ET AUX ÉTATS-UNIS (1970 – 2001) Canada États-Unis 60,3 % 62,9 % 62,1 % 64,4 % 62,6 % 64,2 % 65,8 % 66,2 % Finances Canada, document présenté au ministère des Finances du Canada le 20 mai 2005 (http://www.fin.gc.ca/consultresp/06Rev_28f.html) [ci-après Réponse de l’ACCH]. 4 L’observateur du logement au Canada, Tableaux de données sur le logement 2005 (http://www.cmhc-schl.gc.ca/fr/inso/info/obloca/obloca_001.cfm). Voir aussi Clayton Research, Economic Analysis of the Statutory Requirement for Insurance on High-Ratio Mortgage Loan (Présentation en réponse à la consultation sur l’Examen de 2006 de la législation du secteur financier du ministère des Finances Canada), 26 mai 2005, figure 8 [ci-après Réponse de Clayton Research]. 5 SCHL, L’observateur du logement au Canada, Tableaux de données sur le logement 2005, tableau 10 (http://www.cmhc-schl.gc.ca/fr/inso/info/obloca/upload/Tableau10.pdf). CRITERION ECONOMICS,L.L.C. 1970-1971 1980-1981 1990-1991 2000-2001 Sources : U.S. Census Bureau, SCHL. Un des principaux facteurs qui expliquent la progression du taux de propriétairesoccupants est l’augmentation de l’offre de crédit à l’habitation. La figure 2 illustre la progression régulière du nombre des hypothèques en cours au Canada entre 1990 et 2005. FIGURE 2 : NOMBRE DES HYPOTHÈQUES AU CANADA (1990 – 2005) 1 000 000 1 500 000 2 000 000 2 500 000 3 000 000 3 500 000 4 000 000 Janv.-1990 Juil.-1990 Janv.-1991 Juil.-1991 Janv.-1992 Juil.-1992 Janv.-1993 Juil.-1993 Janv.-1994 Juil.-1994 Janv.-1995 Juil.-1995 Janv.-1996 Juil.-1996 Janv.-1997 Juil.-1997 Janv.-1998 Juil.-1998 Janv.-1999 Juil.-1999 CRITERION ECONOMICS,L.L.C. Janv.-2000 Juil.-2000 Janv.-2001 Juil.-2001 Janv.-2002 Juil.-2002 Janv.-2003 Juil.-2003 Janv.-2004 Juil.-2004 Janv.-2005 Juil.-2005 Source : Association des banquiers canadiens (http://www.cba.ca/fr/viewdocument.asp?fl=6&sl=110&tl=&docid=421) Nombre d’hypothèques La figure 2 montre que le nombre des hypothèques a progressé de plus de 160 % entre 1990 et 2005, augmentation qui reflète le recours croissant au financement à l’habitation des acheteurs de logement : entre 1951 et 2001, la proportion des propriétaires-occupants titulaires d’une hypothèque est passée de moins de 33 % à plus de 55 %6, et entre 2001 et 2005, les donneurs d’hypothèques ont vu leur encours de prêts hypothécaires à l’habitation croître de 40 %, pour passer de 446 milliards de dollars à plus de 623 milliards de dollars77. En 2003-2004, les trois quarts de tous les acheteurs d’habitation ont pris une hypothèque couvrant une partie au moins du prix d’achat8. Les coûts d’emprunt sont demeurés abordables : dans l’ensemble, la propriété de logement est plus abordable maintenant (et ce, depuis la fin des années 1990) qu’à toute autre époque depuis 19719. B. Le secteur du crédit à l’habitation 6 Clayton Research Response, supra note 4, sect. 2.3.2. Statistique Canada (http://www40.statcan.ca/l02/cst01/fin21_f.htm). 8 Clayton Research Response, supra note 4, p. Figure 17. 9 Id., sec. 2.3.3. 7 CRITERION ECONOMICS,L.L.C. La réglementation actuelle a contribué à l’établissement de structures compétitives dans les branches du crédit hypothécaire et de l’assurance-hypothèque. 1. Prêteurs hypothécaires Le marché de l’assurance-hypothèque comprend les grandes banques à charte, de même que les caisses de crédit, les caisses populaires et les sociétés de fiducie, plus petites. Les compagnies d’assurance-vie, qui ont déjà dominé le marché, conservent une petite part du marché (part qui diminue). La figure 3 montre les parts de marché de chaque type de donneur d’hypothèques. Dans l’ensemble, les banques à charte représentent près des deux tiers de l’encours hypothécaire, les caisses de crédit, 14 %, et les autres prêteurs (en englobant les hypothèques intégrées à titres adossés à des crédits hypothécaires consentis aux termes de la LNH, dont le gros est émis par les banques à charte) justifient du reste. La part des banques à charte des nouveaux crédits a augmenté depuis dix ans. En 2004, les banques à charte étaient à l’origine de plus de 80 % de l’ensemble des prêts hypothécaires approuvés10. La part des six grandes banques a considérablement augmenté depuis le début des années 1990, en partie en raison de l’acquisition, par les banques, de sociétés de fiducie et d’autres prêteurs hypothécaires, et celles-ci comptent maintenant pour environ 73 % du crédit hypothécaire en dollars11. FIGURE 3 : CRÉDIT HYPOTHÉCAIRE À L’HABITATION, CANADA (2005) Banques à charte 64 % Caisses de crédit et caisses populaires 14 % Prêts sur police d’assurance-vie 3% Titres hypothécaires LNH 14 % Caisses de retraite 2% Sociétés de titrisation 2% 10 Virginie Traclet, Structure of the Canadian Housing Market and Finance System, Banque du Canada, (http://www.bis.org/publ/wgpapers/cgfs26traclet.pdf) [ci-après Traclet]. 11 Clayton Research Response, supra note 4, sec. 3.2.1. CRITERION ECONOMICS,L.L.C. Sociétés de fiducie et de prêt hypothécaire 1% Source : Statistique Canada (http://www40.statcan.ca/l01/cst01/fin21.htm) Encours total : 623,.4 milliards de dollars La distribution des parts de marché entre les divers prêteurs varie sensiblement suivant la région. Les banques à charte dominent surtout dans les régions urbaines et les établissements de moindre envergure comme les caisses de crédit et les caisses populaires jouent un plus grand rôle dans les régions rurales. Il existe beaucoup de petites villes, même dans les provinces populeuses, où les caisses de crédit et les autres petits prêteurs sont les seules institutions financières (il y en a par exemple 40 en ColombieBritannique12 et 65 au Manitoba13). Comme on le verra, les petits prêteurs et les petites villes sont les plus susceptibles d’être défavorisés par les pratiques qui s’établiraient si l’on ne réglementait pas l’accès au marché de l’assurance-hypothèque. 2. L’assurance-hypothèque Au Canada, il existe une saine concurrence dans le secteur de l’assurancehypothèque, ce qui exerce une pression à la baisse sur les prix et entraîne une variété croissante au niveau des produits offerts14. L’assurance-hypothèque est obligatoire sur les prêts dont le rapport prêt/valeur (RPV) est supérieur à 75 %15. En conséquence, une grande partie des hypothèques sont assurées, et la proportion augmente. 12 Credit Union Central BC, About Us, dernière visite le 9 juin 2006 (http://www.cucbc.com/aboutus/faqs.html). 13 Manitoba Credit Union, Credit Union News, Manitoba Credit Union Fact Sheets, dernière visite le 9 juin 2006 (http://www.creditunion.mb.ca/cu_news/facts.htm). 14 Voir, par exemple, CHBA Response, supra note 3 (où il est dit que [traduction] « La concurrence existe déjà sur le marché de l’assurance hypothèque – où sont actifs la Société canadienne d’hypothèques et de logement et Genworth Financial Canada. Cette concurrence est avantageuse pour les consommateurs, les institutions prêteuses et le secteur de l’habitation, car elle a facilité l’apparition de nouveaux produits comme l’hypothèque à faible acompte, la transférabilité des hypothèques et l’assurance hypothèque, l’approbation rapide des hypothèques, et la réduction des primes d’assurance hypothèque. ») 15 Le ministère des Finances a récemment proposé de porter le plafond du rapport prêt/valeur à 80 %. Voir ministère des Finances du Canada, Examen de 2006 de la législation régissant les institutions financières – Propositions pour un cadre législatif CRITERION ECONOMICS,L.L.C. Il y a deux fournisseurs d’assurance-hypothèque au Canada : la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL) et Genworth Financial Canada (Genworth). La SCHL, une société fédérale, a été créée en 1946 pour promouvoir l’abordabilité des habitations et encourager la variété de l’offre; encourager la construction, la réfection et la modernisation des habitations; et améliorer les conditions de vie en général au Canada. Genworth est une société privée qui est entrée sur le marché de l’assurance hypothécaire en 1995 (quand elle était encore une division de General Electric). L’assurancehypothèque des deux sociétés est garantie par le gouvernement, mais les garanties ne sont pas symétriques : la SCHL bénéficie d’une garantie à 100 %, tandis que celle de Genworth est limitée à 90 %. La SCHL occupe les deux tiers environ du marché de l’assurance-hypothèque et Genworth, le reste. Si aucun obstacle n’empêche explicitement l’entrée sur le marché d’autres assureurs16, aucune autre entreprise ne s’est vu accorder jusqu’à maintenant le bénéfice de la garantie de l’État. La concurrence entre la SCHL et Genworth a fait baisser les prix et amélioré la palette des produits offerts. Les primes d’assurance prêt hypothécaire baissent régulièrement ces dernières années. Par exemple, globalement, elles ont reculé de 15 % en 200317, et en 2005, Genworth a réduit de 15 % ses primes sur les prêts dont le RPV est de 90 % ou plus18. efficace et efficient pour le secteur des services financiers, juin 2006 (http://www.fin.gc.ca/activty/pubs/White06f.pdf). 16 En fait, il y avait plusieurs assureurs privés dans les années 1970, mais la mauvaise conjoncture du début des années 1980 a entraîné leur consolidation. Finalement, le dernier assureur privé (la Compagnie d’assurance d’hypothèques du Canada) a suspendu ses activités en 1993 et a été racheté par la General Electric quand celle-ci est entrée sur ce marché en 1995. Voir Clayton Research Response, supra note 4, sec. 1.2.2. 17 Duncan Mavin, CMHC offers major backstop to ownership, FINANCIAL POST, 7 octobre 2005 (http://www.canada.com/components/print.aspx?id=17f41efe-2c58-4d91b9fc-a9869d587536). 18 Ian Karleff, CMHC: Our next income trust?, FINANCIAL POST, 29 août 2003; Canadian Homebuyers Benefit from Mortgage Insurance Competition in Strong Spring Real Estate Market, Communiqué de Genworth, 25 avril 2005 (http://www.genworth.ca/mi/eng/misc_pages/ news_releases.html). Voir aussi Traclet, CRITERION ECONOMICS,L.L.C. La concurrence entre les deux sociétés a par ailleurs entraîné une amélioration soutenue de l’offre d’assurance-hypothèque et, par voie de conséquence, donné à un plus grand nombre d’acheteurs accès au crédit hypothécaire. Parmi ces améliorations mentionnons19 : • l’offre d’assurance-hypothèque sur les hypothèques dont le RPV va jusqu’à 95 %; • la suppression des restrictions qui empêchaient les acheteurs d’une première maison d’obtenir une hypothèque avec un RPV de 95 %, ce qui permet désormais à tous les acheteurs de maison de donner un acompte de seulement 5 % et d’obtenir une hypothèque en fonction de leur revenu et de leurs antécédents en matière de crédit au lieu d’être limités par le plafonnement antérieur du prix d’achat entre 175 000 et 300 000 $20 (Genworth et SCHL); • extension de l’admissibilité aux travailleurs autonomes et aux vendeurs à commission par la création des prêts Alt-A pour travailleurs autonomes; • extension de l’assurance-hypothèque aux refinancements (hors avoir) et consolidations de créances; • transférabilité de l’assurance-hypothèque d’un bien à un autre; • extension de la couverture aux résidences secondaires, aux propriétés de vacances et aux maisons préfabriquées. En outre, la SCHL et Genworth administrent des programmes d’atténuation des pertes en collaboration avec les emprunteurs en difficulté et les institutions financières pour prévenir les défauts de paiement. Le programme de Genworth a jusqu’à présent supra note 10, tableau 4 (montrant que les primes ont chuté de 27 % entre novembre 2000 et mars 2005). 19 Clayton Research Response, supra note 4. 20 GE Assurance Hypothèque Canada élimine les prix plafonds des maisons, communiqué de GE Assurance Hypothèque Canada, 15 septembre 2003, (http://www.genworth.ca/mi/fre/downloads/NewsReleaseSeptember152003.pdf). CRITERION ECONOMICS,L.L.C. permis à 300 familles de conserver leur maison alors qu’elles l’auraient autrement perdue par forclusion21. C. Accessibilité du financement hypothécaire L’assurance-hypothèque facilite l’obtention de crédit hypothécaire à un segment croissant de la population. Actuellement, 45 % environ de toutes les hypothèques (approximativement 500 000 nouvelles hypothèques annuellement) affichent un RPV de plus de 75 %, et sur ce nombre, les trois quarts (environ 375 000 annuellement) ont un RPV de 90 % ou plus22. Le recours à l’assurance-hypothèque n’est pas distribué également entre les acheteurs d’habitation. Les jeunes emprunteurs (plus souvent acheteurs d’une première maison, avec un RPV élevé) sont bien plus susceptibles de prendre une hypothèque assurée que le reste de la population. De tous les acheteurs de maison de moins de 35 ans en 2003-2004, 95 % avaient besoin d’une hypothèque (contre 75 % de tous les acheteurs de maison), et 69 % avaient un RPV de plus de 75 % (contre 44 %). Par ailleurs, 63 % avaient besoin d’assurance-hypothèque, comparativement à 37 % de tous les acheteurs de maison23. Sous un autre angle, si les acheteurs de maison de moins de 35 ans représentent 33 % seulement de tous les acheteurs de maison, ils représentent 58 % de ceux qui prennent une assurance-hypothèque24. L’assurance-hypothèque est aussi importante pour les acheteurs de maison à faible revenu, pour ceux qui achètent une maison bon marché25 et pour ceux qui présentent un risque élevé. Au total, 36 % de tous les emprunteurs ayant une hypothèque de premier ordre et de l’assurance-hypothèque sont considérés comme présentant un « risque élevé ». En l’absence d’assurance-hypothèque (ou dans le cas où les normes de souscription seraient modifiées de manière à écarter ces emprunteurs du marché des 21 Genworth Financial Canada, Keeping Canada’s Residential Mortgage Market Safe, Fair, Efficient, and Competitive (Submission to the Department of Finance Regarding Canada’s Mandatory Mortgage Insurance Requirement), sec. 3.3 (www.fin.gc.ca/consultresp/06Rev_29e.html) [ci-après Genworth Response]. 22 Id., sec. 2. 23 Clayton Research Response, supra note 4, figure 17. 24 Genworth Response, supra note 21, sec. 3.2. 25 Clayton Research Response, supra note 4, figures 19-20. CRITERION ECONOMICS,L.L.C. hypothèques de premier ordre), ces emprunteurs seraient forcés sur le marché des hypothèques à risque (de second ordre) où ils paieraient des taux d’intérêt beaucoup plus élevés26. Il existe certes déjà un marché des hypothèques de second ordre au Canada, mais il n’est pas très important parce que les assureurs hypothécaires peuvent couvrir des prêts qui seraient autrement servis par des prêteurs de second ordre. Les hypothèques de second ordre constituent seulement 5 % environ du marché hypothécaire au Canada27, comparativement à ce que l’on observe aux États-Unis où ces hypothèques se multiplient rapidement et représentent ces dernières années jusqu’à 15 % du total28. Le recours à l’assurance-hypothèque varie grandement suivant l’âge, le revenu et d’autres facteurs, mais pas beaucoup suivant la région géographique. Cela s’explique du fait que les assureurs offrent actuellement leurs produits de manière uniforme sur tout le territoire en dépit de l’existence (comme on le verra plus loin) de variations substantielles des marchés immobiliers régionaux. En fait, comme on le voit à la figure 4, Genworth assure une part disproportionnée des hypothèques en région rurale29, c’est-à-dire en dehors des RMR. FIGURE 4 : DISTRIBUTION GÉOGRAPHIQUE DE L’ASSURANCE-HYPOTHÈQUE Opérations d’assurance-hypothèque de Genworth et activité du marché immobilier en dehors des régions métropolitaines de recensement par région, 2004 Pourcentage % en volume de l’assurance-hypothèque de Genworth en dehors des régions métropolitaines de recensement % de l’ensemble des reventes et achèvements de chaque région qui sont en dehors des régions métropolitaines de recensement 75 60 45 30 26 Genworth Response, supra note 21, sec. 3.2. Clayton Research Response, supra note 4, p. Sec. 4.3.1. 28 Federal Reserve Board, Subprime Mortgage Lending: Benefits, Costs, and Challenges, Remarks by Governor Edward M. Gramlich P. the Financial Services Roundtable Annual Housing Policy Meeting, Chicago, Illinois, 21 mai 2004 (http://www.federalreserve.gov/boarddocs/Speeches/2004/20040521/default.htm). 29 Clayton Research Response, supra note 4, sec. 3.2. 27 CRITERION ECONOMICS,L.L.C. 15 Atlantique Québec Ontario Prairies Alberta Colombie-Britannique Canada Source : Clayton Research sur la base d’informations fournies par Genworth Financial Canada En préservant un bassin de risque géographiquement varié et en augmentant le nombre d’hypothèques qu’ils couvrent, la SCHL et Genworth évitent une segmentation du risque sur le marché de l’assurance-hypothèque qui pourrait entraîner une expansion du marché des hypothèques de second ordre. D. Croissance du marché secondaire La concurrence sur le marché de l’assurance-hypothèque est avantageuse aussi pour d’autres marchés. Le financement sur le marché secondaire par la titrisation ou la vente de prêts partiels aux caisses de retraite et autres institutions serait impossible sans le bénéfice de l’assurance-hypothèque30. Comme on le voit au tableau 1, le recours aux titres adossés à des créances hypothécaires a considérablement augmenté ces dernières années, passant de moins de 35 milliards de dollars en 2001 à plus de 86 milliards de dollars en 2005. TABLE 1 : TITRES ADOSSÉS À DES CRÉANCES HYPOTHÉCAIRES (EN MILLIONS DE DOLLARS, 2001-2005) 2001 2002 2003 2004 2005 Titres hypothécaires garantis en vertu de la Loi nationale sur l'Habitation 34 524 38 866 49 253 67 686 86 077 Pourcentage de l’encours du crédit hypothécaire résidentiel 7,74 % 8,11 % 9,51 % 11,92 % 13,81 % Source : Statistique Canada (http://www40.statcan.ca/l02/cst01/fin21_f.htm). Comme on le voit au tableau 1, les titres hypothécaires ont progressé en valeur absolue et en pourcentage de l’encours du crédit hypothécaire résidentiel. Les 30 Id. CRITERION ECONOMICS,L.L.C. hypothèques résidentielles constituent non seulement le plus important groupe de biens titrisés au Canada, mais aussi l’une des catégories d’actif les plus sûres du point de vue de la qualité du crédit31. E. Utilisation de modèles de souscription normalisés efficaces Le fait que les assureurs hypothécaires assurent des prêts qui représentent un ensemble varié de risques de crédit permet à ceux-ci de recueillir un grand nombre de données sur lesquelles fonder leurs décisions de souscription. Cela leur a permis de mettre au point des modèles extrêmement efficaces. Les assureurs ayant accès à un grand volume de données et étant par voie de conséquence en mesure d’élaborer des modèles plus précis que ceux des prêteurs, ces derniers s’en remettent maintenant aux modèles des assureurs pour souscrire la moitié environ de leurs activités non assurées32. Les assureurs d’hypothèques ont tout à gagner à ce que les emprunteurs assurent régulièrement le service de leurs prêts et se servent de leurs modèles de souscription pour contrôler les pratiques des créanciers hypothécaires33. III. PROPOSITIONS DE MODIFICATION DE LA RÉGLEMENTATION DU SECTEUR DE L’ASSURANCE-HYPOTHÈQUE Le ministère fédéral des Finances envisage quatre modifications de la réglementation actuelle de l’assurance-hypothèque. Premièrement, le plafond des hypothèques garanties par le gouvernement passerait de 100 à 200 milliards de dollars. Deuxièmement, le gouvernement pourrait garantir les créances de n’importe quel assureur hypothécaire, y compris celles de nouveaux assureurs. Actuellement, Genworth est la seule société privée qui bénéficie de la garantie de l’État. Troisièmement, le 31 Dominion Bond Rating Service Ltd., Residential Mortgage Securitization in Canada, juillet 2000, 1 [ci-après le rapport DBRS]. 32 Genworth Response, supra note 21, p. Sec. 3.1. 33 Susan M Wachter, Mandatory Mortgage Insurance in Canada: The Public Policy Consequences (Présentation en réponse à la consultation sur l’Examen de 2006 de la législation du secteur financier du ministère des Finances Canada), 24 mai 2005 (http://www.fin.gc.ca/consultresp/06Rev_40e.html) [ci-après Wachter Response]. CRITERION ECONOMICS,L.L.C. pouvoir de modifier le niveau de garantie de 90 % passerait du Parlement au ministre des Finances. Enfin, tous les bénéficiaires de la garantie de l’État seraient tenus de déclarer au ministère des Finances le montant de l’encours des créances garanties qu’ils assurent. Dans le Plan budgétaire 2006, le gouvernement canadien « confirme les ententes qui permettraient aux nouveaux intervenants qui entrent sur le marché de l’assurance hypothécaire d’avoir accès à ce mécanisme. De plus, il augmente le montant des prêts qui peuvent être couverts par la garantie de l’État en faisant passer celle-ci de 100 milliards à 200 milliards de dollars, pour suivre la hausse des prix des habitations et la croissance du marché hypothécaire. Ces changements se traduiront par un meilleur choix et par de l’innovation sur le marché de l’assurance hypothécaire, ce qui profitera aux consommateurs et facilitera l’accès à la propriété »34. Si certains de ces résultats sont éminemment souhaitables, les dispositions actuelles qui autorisent l’arrivée de nouveaux intervenants sur le marché ne seraient sans doute pas avantageuses pour le consommateur dans le contexte réglementaire actuel. IV. CONSÉQUENCES DE L’ARRIVÉE NON RÉGLEMENTÉE DE NOUVEAUX INTERVENANTS SUR LE MARCHÉ DE L’ASSURANCE HYPOTHÉCAIRE Le fait d’accorder à d’autres entreprises la garantie dont seule Genworth bénéficie actuellement entraînera certainement l’arrivée de nouveaux fournisseurs sur le marché. Reste à savoir si cela serait avantageux pour le consommateur. Nous expliquerons ici pourquoi, en l’absence de réforme de la réglementation, cette éventualité serait coûteuse pour le consommateur. Essentiellement, l’arrivée de nouveaux fournisseurs donnerait lieu à une concurrence inversée et encouragerait le picorage, deux phénomènes qui nuisent à l’efficience du marché. A. Le problème de la concurrence inversée L’arrivée non réglementée de nouveaux fournisseurs sur le marché de l’assurancehypothèque entraînerait des problèmes liés à la concurrence inversée. Comme on l’a vu, celle-ci tient au fait que l’assurance-hypothèque, bien que ce soient les emprunteurs qui la paient, est choisie par les prêteurs. Dans ce contexte, les fournisseurs d’assurance34 Le Plan budgétaire 2006, ministère des Finances du Canada, 2006, (http://www.fin.gc.ca/budget06/bp/bpc3bf.htm). CRITERION ECONOMICS,L.L.C. hypothèque se disputent la faveur des prêteurs en leur offrant toutes sortes d’arrangements financiers qui, s’ils peuvent d’une certaine manière être avantageux pour les prêteurs, ne font pas nécessairement baisser les primes pour les emprunteurs. En conséquence, les assureurs hypothécaires canadiens ont jusqu’à présent évité de s’adonner à cette pratique, mais les choses changeraient sûrement avec l’arrivée de nouveaux fournisseurs. La concurrence inversée est un phénomène connu qui concerne toutes les formes d’assurance-crédit où l’acheteur (le consommateur) paie le produit, mais où c’est l’intermédiaire (le prêteur) qui en récolte les avantages. Les problèmes qui en résultent sont décrits notamment dans une étude commandée par le U.S. Federal Home Loan Bank Board. Comme l’a expliqué l’auteur de l’étude Irving Plotkin quand il a comparu devant la commission, [traduction] le terme « concurrence inversée » est utilisé par les économistes et les responsables de la réglementation (le Federal Reserve Board, le Département de la Justice, la Federal Trade Commission et la National Association of Insurance Commissioners) pour décrire un phénomène où la concurrence entre fournisseurs (d’assurance-vie, d’assurance-crédit ou d’assurance de titres) fait augmenter et non baisser les prix. Comme dans tous les genres d’assurancecrédit, la personne qui paie le produit d’assurance (le consommateur/emprunteur) ne souhaite pas nécessairement se procurer le produit ni, plus important encore, ne choisit le fournisseur. C’est un intermédiaire (le prêteur ou le marchand dans le cas de l’assurance-crédit, l’assurance IARD ou l’assurance-vie, un professionnel de l’immobilier dans le cas de l’assurance de titres ou un prêteur dans le cas de l’assurance-hypothèque) qui choisit le fournisseur (l’agent ou le souscripteur). La concurrence que se livrent les assureurs pour obtenir la faveur des intermédiaires entraîne toutes sortes de remises et de récompenses. On en trouve un parfait exemple quand l’intermédiaire crée une société qui sert d’agent d’assurance, de souscripteur ou de réassureur3535. Comme l’a dit M. Plotkin, les autorités américaines sont au courant du problème depuis longtemps, décrit dans un rapport de 1977 du ministère de la Justice des États-Unis : 35 Irving H. Plotkin, Conflict of Interest, Controlled Business, and Reverse Competition in Private Mortgage Insurance, Statement Before the Federal Home Loan Bank Board, mai 1982, p. 11. CRITERION ECONOMICS,L.L.C. [traduction] La concurrence dans le domaine de l’assurance de titres cible le producteur du service et non le consommateur. Une entreprise d’assurance de titres soucieuse d’accroître sa part de marché ne va pas nécessairement réduire ses prix ou améliorer la couverture pour attirer des acheteurs. Elle va plutôt chercher à influer sur les courtiers, banquiers et avocats qui sont en mesure de diriger des clients vers elle. La manière la plus directe de procéder consiste à offrir au fournisseur du service à assurer un droit, une commission, une remise ou une ristourne – au détriment de l’acheteur d’assurance-titre. C’est ce qu’on appelle la concurrence inversée36. En partie pour lutter contre la concurrence inversée sur le marché du crédit immobilier, le Congrès des États-Unis a adopté la Real Estate Settlement Procedures Act (RESPA) en 1974. La RESPA interdit aux assureurs d’hypothèques, de titres et autres d’offrir quelque chose qui a de la valeur contre le renvoi de clients par les prêteurs37. De même, pour tenter d’éliminer les ristournes versées aux donneurs d’hypothèques contre le renvoi de clients d’assurance-hypothèque, la loi australienne force les créanciers à répercuter sur leurs clients toute remise offerte par l’assureur38. La nécessité de cette protection tient à deux séries de facteurs. Premièrement, comme on l’a vu, ce sont les prêteurs hypothécaires et non les consommateurs qui choisissent les politiques d’assurance-hypothèque, et les consommateurs sont mal placés pour évaluer les solutions de rechange ou négocier une réduction des primes. Autrement 36 Birny Birnbaum, An Analysis of Competition in the California Title Insurance and Escrow Industry, Report to the Insurance Commissioner, déc. 2005, p. 29 (citant un extrait de The Pricing and Marketing of Insurance: A Report of the Department of Justice to the Task Group on Antitrust Immunities, janv. 1977, p. 254-257, 274) [ci-après le rapport Birnbaum]. 37 Voir 24 C. F. R. §3500.2 (où il est dit qu’un service de règlement est tout service fourni relativement à un règlement réel ou prospectif, y compris l’un des suivants : … .(10) Prestation de services concernant l’assurance hypothèque). 38 Australian Consumer Credit Code § 30(1) (où il est dit que le montant ou le droit payable par un débiteur à l’égard d’un montant payable ou pour rembourser un montant payé par le fournisseur de crédit à une autre personne, un autre organisme ou une autre organisation ne doit pas dépasser le montant réel qu’a payé le fournisseur de crédit si ce montant est vérifiable au moment où le droit ou les frais sont acquittés par le débiteur. Le montant payable ou payé doit être déterminé après avoir pris en considération toute remise ou ristourne reçue ou à recevoir par le fournisseur de crédit ou une société connexe au sens de la Corporations Act). CRITERION ECONOMICS,L.L.C. dit, les consommateurs exercent peu de pression sinon aucune sur les primes d’assurancehypothèque39. Le deuxième jeu de facteurs tient à l’aptitude des prêteurs à obtenir des concessions des assureurs d’hypothèques. Aux États-Unis, ça se passe notamment par la formation d’arrangements exclusifs de réassurance : un prêteur (ou un groupe de prêteurs) constitue une société de réassurance qui conclut une entente de réassurance (excédent de sinistre ou quote-part) avec un assureur hypothécaire. La société de réassurance captive est capitalisée par le prêteur et, en contrepartie du remboursement de certaines pertes à l’assureur, elle reçoit une part des cotisations d’assurancehypothèque40. De nombreux analystes voient dans ces arrangements exclusifs de réassurance le résultat d’une concurrence excessive entre les assureurs d’hypothèques devant l’influence 39 Voir par exemple, le rapport Birnbaum, supra note 36, p. 70-71 (où l’on décrit le même phénomène dans le contexte de l’assurance de titres : [traduction] « la demande d’assurance de titres et de services d’entiercement est inélastique si bien que les modifications des prix de ces produits et services sont sans effet sur les quantités achetées, pour deux raisons : premièrement, la demande de services d’assurance de titres et d’entiercement résulte des achats de biens immobiliers et de prêts immobiliers. Le coût de l’assurance de titres et des services d’entiercement est relativement faible par rapport au montant de la transaction immobilière ou du prêt immobilier et est généralement financé dans le contexte de la transaction ou est payé par un tiers. L’assurance de titres et les services d’entiercement peuvent coûter plusieurs milliers de dollars, mais un consommateur – qui connaît généralement peu l’assurance de titres et les services d’entiercement parce qu’il en a rarement besoin – va rarement stopper la conclusion d’un marché ou d’un prêt sous prétexte que l’assurance ou l’entiercement coûtent trop cher. Ensuite, les consommateurs qui paient les assurances de titres et les services d’entiercement ne peuvent pas exercer de pression sur les assureurs et les sociétés d’entiercement pour faire baisser les prix parce que les prêteurs peuvent exiger l’assurance de titres ou d’autres assurances additionnelles et forcer le consommateur à les accepter sous peine de devoir renoncer à la transaction immobilière ou au crédit hypothécaire. Dans ces conditions, il est bien difficile au consommateur de refuser les frais additionnels, parce qu’il risque alors de devoir chercher un nouveau prêt, ce qui entraîne des dépenses de temps et d’argent non négligeables. Prenons maintenant l’exemple d’un consommateur qui achète une télévision à grand écran dans une chaîne d’électronique. Si le magasin disait à l’acheteur qu’il ne lui vendra la télévision que s’il achète à crédit et achète en plus une garantie prolongée, le consommateur pourrait facilement trouver en quelques minutes un autre endroit acheter la télévision qu’il cherche sans les conditions que le premier magasin cherche à lui imposer. » 40 Fitch, Ibca, Duff & Phelps, Review and Outlook: 2001-2002, U.S. Private Mortgage Insurance, Special Report, 17 janvier 2002, p. 6 [ci-après le rapport Fitch]. CRITERION ECONOMICS,L.L.C. considérable qu’exercent les prêteurs sur le processus de distribution de l’assurancehypothèque41. Les accords exclusifs de réassurance ont considérablement augmenté aux États-Unis et concernent maintenant plus de la moitié des polices d’assurancehypothèque, et la proportion des primes cédées au prêteur va jusqu’à 40 %42. Selon de nombreux observateurs, ces accords ne représentent pas un partage équitable des primes et du risque entre le prêteur et l’assureur. Standard & Poor’s, par exemple a conclu que cette tendance est « inquiétante » parce que les prêteurs obtiennent ce que Standard & Poor’s considère comme une proportion excessive des primes compte tenu de la part de risque qui est la leur43. Dans un rapport récent de la firme d’analyse Bear Stearns on exprime des vues analogues : [traduction] Ces dernières années, les assureurs d’hypothèques des États-Unis ont observé l’émergence et l’essor des arrangements exclusifs de réassurance … Le secteur étant concurrentiel, les entreprises se sont senties obligées de s’adonner à ces pratiques. Cependant, dans la plupart des cas, compte tenu des réclamations déposées depuis la fin des années 1980, ce sont les assureurs hypothécaires qui font les frais de ces arrangements, car la part des primes est sans commune mesure avec le degré de risque44. Bear Stearns explique que le problème tient à l’aptitude des prêteurs d’obtenir des concessions des assureurs d’hypothèques : [traduction] « Les prêteurs font office d’aiguilleur pour les emprunteurs qui ont besoin de se procurer de l’assurance- 41 Id. p. 7. Voir Roger Blood, Credit Enhancement for Home Ownership, HOUS. FIN. INT. (sept. 2001) p. 12 (ou il est dit que, aux États-Unis, les grands prêteurs hypothécaires, qui n’ont pas le droit de percevoir une commission sur l’assurance hypothèque, ont réussi ces dernières années à générer des revenus substantiels en négociant des accords exclusifs de réassurance avec toutes les grandes sociétés d’assurance hypothèque ….une part de plus en plus grande de l’assurance hypothèque (maintenant bien plus de la moitié aux ÉtatsUnis) concerne des agents exclusifs de réassurance, et la part des primes cédées aux sociétés captives appartenant aux grands prêteurs atteint 40 %.) [ci-après Blood]. 43 Standard & Poor’s, After Tough Times, U.S. Mortgage Insurance Outlook Stabilizes, 22 février 2005, p. 2. 44 Fitch Report, supra note 40, p. 1. 42 CRITERION ECONOMICS,L.L.C. hypothèque, et influent de ce fait grandement sur la distribution de l’assurance entre les fournisseurs45. Les accords exclusifs de réassurance antiéconomiques ne représentent qu’une forme de pratiques commerciales parmi d’autres associées à la concurrence inversée dans l’industrie de l’assurance-hypothèque46 aux États-Unis. Rien ne dit que les assureurs d’hypothèques s’adonnent à des pratiques illégales aux termes de la RESPA, mais l’important, du point de vue du Canada, c’est que ces pratiques sont en fait interdites aux États-Unis. Comme on l’a dit, le secteur canadien de l’assurance-hypothèque a réussi à éviter jusqu’à présent les problèmes afférents à la concurrence inversée en raison de la retenue des assureurs d’hypothèques. S’il est impossible de prédire quelles pratiques auraient cours si l’on autorisait l’arrivée de nouveaux fournisseurs en l’absence de réglementation, la structure de l’industrie favorise la concurrence inversée, et ces pratiques – y compris celles qui sont déjà interdites aux États-Unis et en Australie – apparaîtraient sûrement, privant les consommateurs des avantages que leur procurerait autrement l’augmentation de la concurrence. B. Problèmes associés à l’antisélection et au picorage Une bonne partie des problèmes qu’il faut craindre dans l’éventualité d’une entrée non réglementée dans le marché canadien de l’assurance-hypothèque tient à la fragmentation du marché qui se produirait du fait que les nouveaux fournisseurs seraient incités à se livrer au picorage. Nous expliquerons ici pourquoi et parlerons des conséquences de cette pratique sur le marché. 1. Antisélection et picorage En général, l’antisélection résulte du fait que, sur le marché de l’assurance, l’assuré connaît souvent mieux que l’assureur la probabilité d’une perte. Si un assureur offre un contrat d’assurance à tous les clients en fonction de la probabilité moyenne de 45 Bear Stearns, The Trouble With Captive Reinisurance: An Analysis of Excess of Loss Structures, mars 2003, p. 5. 46 Parmi les autres pratiques qui suscitent des réserves aux États-Unis mentionnons les remises excessives sur la souscription de contrats par les assureurs d’hypothèques et certains types de mise en commun et d’arrangements financiers. Voir Quintin Johnstone, Private Mortgage Insurance, 39 WAKE FOREST L.R. 783, 820-821 (2004). CRITERION ECONOMICS,L.L.C. perte, le contrat sera intéressant pour les clients à risque élevé, mais peu attrayant pour les clients à faible risque (qui peuvent assumer eux-mêmes le risque à un prix inférieur). Ainsi, les clients à faible risque quittent le marché, ce qui fait assumer aux assureurs des pertes supérieures aux prévisions. Pour compenser, l’assureur doit relever ses prix, ce qui ne fait que décourager encore plus de clients. Ainsi, en bout de ligne, seuls les clients à risque élevé se voient offrir de l’assurance à un prix raisonnable47. Sur le marché de l’assurance, les assureurs ont recours à plusieurs outils pour lutter contre les effets de l’antisélection, dont le plus est important est la souscription : ils créent des modèles statistiques qui les aident à prédire les pertes probables des clients qui présentent des caractéristiques données et appliquent des primes plus élevées à ceux de leurs clients qui présentent les risques les plus grands. Cependant, cette démarche n’est pas sans coûts, notamment du fait que, la population assurée étant divisée en groupes de plus en plus petits, les assureurs ont de moins en moins la possibilité d’étaler le risque sur un groupe nombreux (et ainsi d’égaliser les pertes). Par conséquent, les pertes des assureurs présentent une variance élevée, ce qui force ceux-ci à conserver des réserves de capital plus importantes et fait augmenter leurs coûts. Comme on l’a dit précédemment, le gouvernement exige que toutes les hypothèques associées à un RPV supérieur à 75 % soient assurées. Le RPV est un important indicateur de la probabilité de défaut de paiement sur une hypothèque (et, plus important encore du point de vue de l’assurancehypothèque, de la probabilité que l’institution financière subisse une perte par défaut de paiement, c’est-à-dire que la valeur de récupération nette du bien assuré soit inférieure au solde impayé du prêt). Ainsi, l’obligation de prendre une assurance-hypothèque est un moyen efficace de faire en sorte que les hypothèques les plus susceptibles de causer des pertes aux prêteurs soient assurées. Cette obligation empêche par ailleurs les emprunteurs qui présentent un faible risque de quitter le groupe des assurés et de démarrer ce faisant le processus d’antisélection. 47 L’article fondamental sur cette question est celui de Michael Rothschild et Joseph Stiglitz, Equilbrium in Competitive Insurance Markets: An Essay on the Economics of Imperfect Information, 90 Q.J. OF ECON. 629 (1976); voir aussi Joseph E. Stiglitz et Andrew Weiss, Credit Rationing in Markets with Imperfect Information, 71 AMER. ECON. REV. 393 (1981). CRITERION ECONOMICS,L.L.C. Il reste cependant que l’obligation législative de prendre une assurancehypothèque ne suffit pas en soi à prévenir les problèmes d’antisélection sur ce marché. Pourquoi? Parce que l’assurance-hypothèque est choisie non par les emprunteurs, mais par les institutions prêteuses. Ainsi, les prêteurs sont en mesure de distinguer, dans leur portefeuille de créances, celles qui présentent des risques élevés et celles qui présentent de faibles risques, et d’offrir ces prêts à des prix différents aux divers assureurs hypothécaires. Dans la mesure où les prêteurs sont mieux informés des risques que présentent leurs portefeuilles de prêts que les assureurs, ils pourraient (en théorie) exploiter leur avantage pour obtenir des prix pour des portefeuilles donnés de créances à des taux qui ne reflètent pas leurs véritables probabilités de perte. Comme on l’a vu plus haut, actuellement, les institutions prêteuses ne semblent pas être mieux informées sur le rendement probable des créances que les assureurs hypothécaires48. Cependant, dans un marché concurrentiel comptant de nombreux intervenants, les assureurs seraient encouragés à s’entendre avec les prêteurs pour fragmenter la clientèle hypothécaire. Ainsi, on passerait de la situation d’équilibre actuelle, où tous les clients qui ont droit à une hypothèque de premier ordre et dont le RPV est analogue se voient offrir de l’assurance au même prix, à une situation où les concurrents seraient incités à ne servir que les portefeuilles de prêts qui présentent les moindres risques. Ainsi, ils pourraient pratiquer des prix légèrement inférieurs seulement aux prix courants moyens, tout en faisant des paiements sensiblement inférieurs et en assumant des coûts sensiblement moindres, réalisant ainsi des profits plus importants. 48 Comme on le verra, l’arrivée non réglementée de nouveaux fournisseurs sur le marché pourrait tout changer, car les grandes institutions de prêt posséderaient, tout au moins initialement, plus de données sur le rendement des prêts que les nouveaux fournisseurs. Voir, par exemple, Blood, supra note 42 (ou il est dit que, comme dans le cas de n’importe quelle autre entreprise, l’assurance hypothèque doit obtenir certains résultats en volume et en croissance, et minimiser les risques. Même si le marché et la réglementation sont propices à des volumes élevés et des risques faibles en matière d’assurance hypothèque, l’assureur d’hypothèques se retrouve toujours devant le même problème : il doit éviter l’antisélection, c’est-à-dire surmonter l’inclination naturelle de tout prêteur hypothécaire à choisir – prêt par prêt – quel cas assurer et quel cas ne pas assurer. Après tout, qui peut mieux que le prêteur savoir quels crédits et quels biens présentent des risques accrus qu’il importe d’assurer? [c’est nous qui soulignons]). CRITERION ECONOMICS,L.L.C. Ce picorage a des conséquences directes et indirectes. La conséquence directe la plus importante est que, au lieu que tous les consommateurs ayant droit à une hypothèque de qualité et ayant un RPV donné paient le même prix, comme c’est le cas actuellement, les clients dont les banques et les assureurs considèrent qu’ils présentent un risque élevé ou qu’ils coûtent plus cher à servir ( c’est-à-dire les clients ayant une moins bonne cote de crédit ou ceux qui vivent en région rurale et coûtent de ce fait plus cher à servir) paieraient des primes plus élevées que maintenant. Parmi les conséquences indirectes, mentionnons des effets indésirables sur la structure du marché, la qualité du produit, le marché secondaire des titres adossés à des créances hypothécaires et la fiabilité des modèles de souscription. On en parle ci-dessous. 2. Conséquences du picorage sur les emprunteurs à risque élevé La conséquence la plus évidente et la plus immédiate du picorage serait la création de produits d’assurance-hypothèque reposant sur des mesures de solvabilité comme les cotes de crédit. Une analyse des polices d’assurance-hypothèque émises par Genworth entre 2000 et 2003 montre que les nouveaux fournisseurs trouveraient le picorage profitable. Comme on le voit à la figure 5 ci-dessous, les pertes de Genworth témoignent d’un net rapport entre le taux de défauts de remboursement d’hypothèques assurées (suivant le nombre de polices à l’égard desquelles des réclamations ont été payées ou des réserves ont été mises de côté) et les cotes de crédit. Les hypothèques accordées à des emprunteurs ayant une cote de crédit inférieure à 620, par exemple, ont deux fois plus de chances de donner lieu à une réclamation que la moyenne pour tous les emprunteurs et cinq fois plus que celles des emprunteurs ayant une cote de crédit de plus de 740. FIGURE 5 : RAPPORT ENTRE LES TAUX DE DÉFAUT DE PAIEMENT ET LES COTES DE CRÉDIT (HYPOTHÈQUES ASSURÉES 2000-2003) DONNÉES CONFIDENTIELLES OMISES Dans le contexte actuel, les emprunteurs paient les mêmes primes, quelle que soit leur cote de crédit, mais les nouveaux fournisseurs trouveraient manifestement plus CRITERION ECONOMICS,L.L.C. profitable de moduler les primes en fonction de la cote de crédit. En monopolisant ainsi les emprunteurs qui présentent les moindres risques, ils priveraient les deux assureurs hypothécaires actuels de la possibilité de continuer d’offrir des polices aux taux actuels : ces deux assureurs soit seraient forcés d’adopter eux aussi la souscription en fonction du risque ou subiraient des pertes croissantes du fait de l’élévation du degré de risque global de leur clientèle. Le marché des hypothèques de second ordre s’accroîtrait certainement. Comme on l’a vu, ce marché est demeuré relativement petit au Canada jusqu’à maintenant, alors qu’il a progressé rapidement aux États-Unis. La fragmentation du marché en raison du picorage empêcherait les assureurs d’hypothèques de continuer de couvrir les emprunteurs à risque élevé aux taux de prime actuels. Les primes des emprunteurs à risque élevé augmenteraient, et les normes de souscription deviendraient plus restrictives (ce qui pourrait aller jusqu’à exclure certains emprunteurs à haut risque du marché de l’assurance-hypothèque). Les établissements qui consentent des prêts de deuxième ordre (y compris des prêteurs hypothécaires qui, semble-t-il, ne sont pas assujettis à l’obligation d’assurance des prêts à RPV élevé) obtiendraient une plus grande part du marché canadien. La progression des prêts de second ordre est préoccupante pour trois raisons. Premièrement, comme on le voit au tableau 2 ci-dessous, le financement des prêts de second ordre est plus coûteux pour les consommateurs que les prêts de premier ordre appuyés à une assurance-hypothèque. TABLEAU 2 : PRIX EN FONCTION DES RISQUES COMPARATIVEMENT À L’ASSURANCEHYPOTHÈQUE EMPRUNTEUR TRAVAILLEUR AUTONOME Assurance-hypothèque Prêt de second (Genworth) ordre (fondé sur les risques) Valeur de la maison 200 000 $ 200 000 $ Rapport prêt/valeur 0,85 0,85 Montant de l’hypothèque 170 000 $ 170 000 $ Assurance-hypothèque /frais d’admin. 3,55 % 2,50 % Montant du prêt 176 035 $ 174 250 $ CRITERION ECONOMICS,L.L.C. Durée de l’hypothèque (années) 5 5 Période d’amortissement (années) 25 25 Taux hypothécaire initial 5,00 % 5,65 % Mensualités (intérêt et principal) 1 024,82 $ 1 078,87 Versements totaux cumulatifs (5 premières années) 61 489 $ 64 732 $ Différence – 3 243 $ Versements totaux cumulatifs (25 ans) en supposant l’application du taux initial lors des renouvellements 307 445 $ Différence – 16 216 $ 323 661 $ Source : Clayton Research, sur la base de données fournies par Genworth Financial. Deuxièmement, il semblerait que, sur le marché américain, les prêts de second ordre ont forcé au moins certains consommateurs à payer leur hypothèque à des taux supérieurs à ceux du marché. Suivant une étude publiée récemment dans Housing Policy Debate, par exemple, les différences de coût entre les hypothèques de premier et de second ordre aux États-Unis ne s’expliquaient pas entièrement par des différences au niveau des facteurs de risque, et d’autres facteurs comme l’âge et le niveau d’instruction avaient joué un rôle dans la détermination des emprunteurs le plus susceptibles de se retrouver sur le marché des prêts de deuxième ordre. Les auteurs concluent que, [traduction] en bref, les emprunteurs de second ordre sont ceux qui suscitent des préoccupations et au sujet desquels existe une présomption défavorable (en plus de présenter un risque de crédit, ils présentent un risque du point de vue de la politique publique). D’après les données empiriques que nous avons analysées, ces préoccupations seraient fondées dans une certaine mesure ….Les résultats actuels sur le marché ne servent pas nécessairement bien les débiteurs de second ordre49. 49 Howard Lax, Michael Manti, Paul Raca et Peter Zorn, Subprime Lending: An Investigation of EconomicEfficiency, 15 HOUSING POLICY DEBATE 533, 569. Voir aussi Debbie G. Bocian, Keith S. Ernst et Wei Li, Unfair Lending: The Effect of Race and Ethnicity on the Price of Subprime Mortgages, CENTER FOR RESPONSIBLE LENDING, 31 mai 2006, p. 3 (où il est dit que, pour la plupart des prêts hypothécaires de second ordre, les emprunteurs afro-américains et latino-américains risquent le plus de se voir offrir un prêt à un taux plus élevé que les emprunteurs de race blanche, même après avoir tenu compte de facteurs de risque légitimes.). Un autre problème se pose au CRITERION ECONOMICS,L.L.C. Troisièmement, compte tenu du mandat de la SCHL de faciliter l’accès à la propriété, il n’est pas certain que celle-ci voudrait (ou même pourrait) établir ses prix en fonction du risque. Si elle ne le faisait pas, elle deviendrait l’assureur de dernier recours, et se retrouverait avec un portefeuille de créances de plus en plus risqué et déficitaire. L’expérience de la Federal Housing Administration (FHA) des États-Unis est instructive à cet égard. Celle-ci offre de l’assurance-hypothèque garantie par le gouvernement sur les prêts hypothécaires consentis aux États-Unis; elle est le plus gros assureur d’hypothèques du monde. La FHA a été créée en 1934 à une époque de forte réglementation; ses conditions de souscription étaient très élevées et la solvabilité de son principal fonds d’assurance, le Mutual Mortgage Insurance Fund (MMIF), était continuellement éprouvée et contrôlée. La croissance rapide de l’assurance-hypothèque privée (AHP) dans les années 1970 et 1980, combinée à la décision des pouvoirs publics de faire de la FHA un complément et non un concurrent de l’AHP, a contribué à faire de la FHA un prêteur de dernier recours tandis que les fournisseurs d’AHP se concentraient sur les prêts à moindre risque50. Au fil des ans, la FHA s’est concentrée sur les acheteurs d’une première maison et les autres acheteurs ayant des moyens financiers limités, et son portefeuille d’hypothèques étant plus risqué, il présente un taux de défaut de paiement plus élevé que celui des fournisseurs d’AHP. Quand une série de profondes récessions régionales a frappé les sujet des créances de second ordre, à savoir que les prêteurs de ce marché sont plus susceptibles d’éprouver des problèmes de solvabilité que les prêteurs du marché des créances de premier ordre. Voir en général, Wachter, supra note 33, sec. V. 50 Voir Charles A. Capone Jr., Credit Risk, Capital, and Federal Housing Administration Mortgage Insurance, 11 J. OF HOUS. RES. 373, 380 (2000) (ou il est dit que l’exposition au risque de la FHA est plus grande que celle des assureurs d’hypothèques pour un certain nombre de raisons. Premièrement, la FHA assure un plus fort pourcentage des prêts des quintiles inférieurs de valeur des propriétés et des prêts des secteurs à faible revenu. Deuxièmement, les cotes des crédit des emprunteurs de la FHA sont en général plus faibles (scores FICO [Fair Isaac and Company]) que ce que l’on observe sur le marché classique. En outre, la FHA réalise un plus grand nombre d’opérations en période de ralentissement économique quand les autres assureurs hypothécaires resserrent leurs conditions. Il en résulte que la FHA est exposée à des pertes catastrophiques potentielles plus élevées et à des taux de réclamation prévus euxaussi plus élevés.) CRITERION ECONOMICS,L.L.C. États-Unis dans les années 1980, le MMIF est devenu structurellement fragile et techniquement insolvable, du moins selon une vérification du Accountability Office du gouvernement américain. Le Congrès a fini par être forcé d’intervenir par l’adoption de la National Affordable Housing Act (NAHA) en novembre 1990. La NAHA a entre autres doublé les primes d’assurance-hypothèque de la FHA. En bref, la FHA n’a pas pu résister au mouvement d’établissement des primes en fonction des risques lancé par les entreprises d’AHP. Une analyse plus récente montre que l’antisélection et le picorage continuent de poser des problèmes à la FHA. À partir d’un vaste échantillon de données (près d’un million de prêts consentis par la FHA et de prêts hypothécaires conventionnels associés à un faible acompte aux États-Unis entre 1996 et 2001), les économistes Ann B. Schnare et Susan E. Woodward ont examiné le rendement des hypothèques de la FHA et des hypothèques conventionnelles et ont conclu : [traduction] « Notre analyse conforte dans l’ensemble ceux qui affirment que la FHA est victime de l’antisélection. À la fois en termes absolus et en termes relatifs, les caractéristiques de risque des hypothèques consenties par la FHA semblent s’être aggravées depuis cinq ans. » Elles affirment en outre que cette détérioration soulève des inquiétudes du point de vue de la politique publique, notamment quant à la solidité du fonds de la FHA et à l’aptitude de celle-ci à remplir sa mission51. Une analyse de Clayton Research Associates des conséquences de l’établissement des prix en fonction des risques conclut que cette démarche entraînerait une augmentation des primes pour environ 60 % des Canadiens52. En outre, ce sont surtout ceux qui en ont le moins les moyens qui seraient forcés de payer des primes plus élevées. Les 40 % des Canadiens pour qui la démarche serait avantageuse sont ceux qui ont une bonne cote de crédit et qui ont le plus les moyens de payer des primes plus élevées tandis que ceux qui paieraient plus cher sont ceux qui peuvent le moins se le permettre et risquent donc le plus de ne pas avoir accès à la propriété. Cependant, pour des raisons exposées plus bas, il est probable que l’inefficience du marché résultant de l’arrivée de nouveaux 51 Ann B. Schnare et Susan E. Woodward, The Changing Characteristics and Performance of FHA Loans, janv. 2002, p. 11. 52 Clayton Research Response, supra note 4. CRITERION ECONOMICS,L.L.C. fournisseurs annulerait les économies qui seraient réalisées normalement, même pour les emprunteurs à faible risque. 3. Conséquences du picorage sur la mise en commun des risques au niveau géographique L’assurance-hypothèque se distingue de l’assurance IARD classique (comme l’assurance automobile) et ressemble davantage à l’assurance contre les catastrophes (comme le terrorisme ou les tremblements de terre). Comme l’explique Dwight Jaffee : [traduction] Les coefficients de perte élevés et fluctuants [de l’assurancehypothèque] expliquent pourquoi l’assurance-hypothèque est assimilée une assurance-catastrophe et se démarque clairement des risques faibles et contrôlables de l’assurance de titres. Le caractère d’assurance-catastrophe de l’assurance-hypothèque tient au fait que toute chute des prix des maisons peut mener à des pertes sur assurance et que les baisses de prix des maisons concernent de nombreuses propriétés à la fois dans une région géographique donnée… L’assurance IARD classique, comme l’assurance automobile, est de toute autre nature : la probabilité qu’un grand nombre d’automobiles soient accidentées en même temps dans la même ville est extrêmement faible53. Wachter est du même avis : L’assurance-hypothèque est différente de l’assurance IARD classique comme l’assurance automobile et ressemble davantage à l’assurance-catastrophe comme l’assurance contre le terrorisme ou les tremblements de terre. Étant donné que les baisses des prix des maisons affectent généralement un grand nombre de maisons dans une région géographique, la diversification géographique est une nécessité cruciale pour les assureurs d’hypothèques54. L’une des grandes forces du système canadien actuel d’assurance-hypothèque tient au fait qu’il préserve la diversité géographique de la clientèle en évitant la souscription sur une base géographique. Cependant, les chiffres montrent clairement que les nouveaux fournisseurs seraient fortement incités à se livrer à cette pratique. 53 Dwight Jaffee, Monoline Restrictions, with Applications to Mortgage Insurance and Title Insurance, HAAS SCHOOL OF BUSINESS, 27 janvier 2004, p. 9-10 (http://irm.wharton.upenn.edu/S04-Jaffee.pdf) (c’est nous qui soulignons). 54 Wachter Response, supra note 33, p. Sec. 4 (c’est nous qui soulignons). CRITERION ECONOMICS,L.L.C. Il est indéniable que le marché immobilier connaît des hauts et des bas sur une base régionale. Un rapport de juillet 2000 de Dominion Bond Rating Service porte sur les prix de l’immobilier dans le contexte du degré de risque des titres adossés à des créances hypothécaires. On y conclut que, dans les trente dernières années, trois des quatre grands marchés immobiliers du Canada ont subi une baisse [de l’ordre de 20 à 30 %] (Vancouver: -28 %, Calgary: -25 % et Toronto: -28 %). En outre, les chocs qui affectent un marché, y lit-on, n’affectent pas nécessairement les autres dans la même mesure et n’ont pas nécessairement des répercussions sur les autres. Ainsi, conclut-on, la diversification du risque sur le plan géographique peut être très avantageuse comme protection contre les fléchissements du marché55. Les variations régionales de conjoncture en général et les cours de l’immobilier en particulier ont des conséquences directes sur la variabilité du taux de défaut de paiement sur les prêts hypothécaires. Le tableau 3 ci-dessous illustre les taux de défaut de paiement relatifs pour les prêts à risque élevé par province et pour l’ensemble du Canada. La première colonne illustre la proportion des prêts considérés comme à risque élevé suivant le RPV et la cote de crédit de l’emprunteur; la seconde colonne montre la proportion des défauts de paiement afférents à ces prêts; la troisième, la différence. Pour l’ensemble du Canada, les prêts à risque élevé comptent pour 31 % de toutes les hypothèques assurées, mais 64 % de tous les défauts de paiement, soit une différence de 33 %. Dans certaines provinces cependant, comme le Manitoba et la Saskatchewan, la différence est bien plus grande, de l’ordre de 60 et 50 % respectivement. Autrement dit, les prêts à risque élevé coûtent plus cher à assurer au Manitoba et en Saskatchewan que dans l’ensemble du pays, et les nouveaux fournisseurs seraient fortement incités à se concentrer sur les prêts dans les régions moins coûteuses et à augmenter les primes dans les provinces où les risques sont le plus grands. 55 Rapport DBRS, supra note 31, p. 6. CRITERION ECONOMICS,L.L.C. TABLEAU 3 : TAUX RELATIFS DE DÉFAUT DE PAIEMENT AFFÉRENTS AUX PRÊTS À RISQUE ÉLEVÉ*, PAR PROVINCE Région Prêts à risque élevé en pourcentage de tous les prêts Défauts de paiement afférents aux prêts à risque élevé en pourcentage de tous les défauts de paiement Différence Manitoba Saskatchewan Québec Î.-P.-É. Terre-Neuve Colombie-Britannique Nouveau-Brunswick Ontario Nouvelle-Écosse Alberta Moyenne nationale 33 % 34 % 23 % 34 % 28 % 30 % 19 % 33 % 34 % 54 % 31 % 93 % 84 % 64 % 75 % 68 % 66 % 54 % 68 % 68 % 78 % 64 % 60 % 50 % 41 % 41 % 40 % 36 % 35 % 35 % 34 % 24 % 33 % * Suivant le coefficient PFV et la cote de crédit. Les défauts de paiement sont les prêts visés par une réclamation d’assurance-hypothèque ou qui le seront et ce, relativement à des hypothèques consenties en 2000-2003. Source : Genworth Financial Canada et Criterion Economics. Une analyse chronologique des défauts de paiement basée sur des données de l’Association des banquiers canadiens confirme le résultat. Le tableau 4 ci-dessous illustre les défauts de paiement annuels moyens sur les hypothèques, par province et pour l’ensemble du Canada, pour la période allant de 1990 à 2005. La seconde colonne présente l’écart par rapport à la moyenne nationale et la troisième, l’écart-type (c’est-àdire la variation annuelle des taux de défaut de paiement). Là encore, on observe une variation des taux de défaut de paiement et de la variabilité des taux de défaut de paiement d’une province à l’autre. L’écart-type des taux de défaut de paiement pour l’ensemble du pays est de 0,11 %, mais les taux de défaut de paiement de la Saskatchewan (0,32 %) et du Québec (0,26 %) présentent des variations près de trois fois plus importantes. CRITERION ECONOMICS,L.L.C. TABLEAU 4 : TAUX DE DÉFAUT DE PAIEMENT DE CRÉANCES HYPOTHÉCAIRES, 19902005 Région Moyenne Écart par rapport à la moyenne nationale Écart-type Saskatchewan Québec Manitoba Ontario Région de l’Atlantique Alberta Colombie-Britannique Moyenne nationale 0,589 % 0,546 % 0,528 % 0,430 % 0,417 % 0,396 % 0,347 % 0,446 % 0,143 % 0,100 % 0,082 % -0,016 % -0,029 % -0,050 % -0,099 % 0,000 % 0,32 % 0,26 % 0,10 % 0,14 % 0,12 % 0,12 % 0,18 % 0,11 % Source : Association des banquiers canadiens et Criterion Economics. Par défaut de paiement, on entend les prêts comportant un arriéré de paiement de trois mois ou plus. L’incitation au picorage par province est renforcée par le fait que les nouveaux fournisseurs seront forcement incités à conclure des ententes avec les grands prêteurs – ceux qui possèdent les plus importants portefeuilles de créances, qui seront les moins coûteux à recruter et à servir, et dont le grand volume de prêts permet de dégager des volumes importants de prêts à faible risque. Ces nouveaux fournisseurs seront en revanche peu incités à se concentrer sur les petits prêteurs comme les caisses de crédit et les caisses populaires. Pourtant, ce sont ces petites institutions financières qui jouent un rôle important dans les régions les plus exposées au picorage. Comme on le voit aux figures 6 et 7 ci-dessous, les provinces où le picorage ferait le plus de tort sont celles qui peuvent le moins supporter l’augmentation des coûts qui en résulterait, car ce sont les provinces où le taux de propriété et le revenu par habitant sont le plus faibles. FIGURE 6 : TAUX D’ACCESSION À LA PROPRIÉTÉ PAR PROVINCE/RÉGION (2001) Logements occupés par leur propriétaire/Total des logements privés 73 % 67 % 67 % 64 % 64 % 62 % 57 % 64 % 75 % 70 % 65 % 60 % 55 % CRITERION ECONOMICS,L.L.C. 50 % Région de l’Atlantique Ontario Alberta Colombie-Britannique Manitoba Saskatchewan Québec Moyenne nationale Source : Statistique Canada, Recensement de la population FIGURE 7 : GAINS MOYENS PAR HABITANT PAR PROVINCE ET TERRITOIRE (200X) Gains moyens par habitant ($Can) 35 185 $ 32 603 $ 31 535 $ 29 385 $ 27 178 $ 25 691 $ 24 518 $ 31 757 $ 40 000 $ 35 000 $ 30 000 $ 25 000 $ 20 000 $ Ontario Alberta Colombie-Britannique Québec Manitoba Saskatchewan Région de l’Atlantique Moyenne nationale Source : Statistique Canada, Recensement de la population. Cependant, la souscription et l’établissement des prix par région auraient au Canada des conséquences bien plus grandes que le simple fait de « prendre aux pauvres pour donner aux riches ». En détruisant la diversité géographique du bassin d’assurés, elles feraient augmenter le degré de risque de l’assurance-hypothèque en général, ce qui ferait progresser les coûts en capital et le risque d’insolvabilité (et partant le risque que le CRITERION ECONOMICS,L.L.C. gouvernement, par le jeu de sa garantie, soit forcé d’intervenir pour soutenir les assureurs en faillite). Les conséquences de la concentration géographique sur les marchés du financement d’habitations pourraient être catastrophiques. L’exemple sans doute le plus connu est celui de la crise des sociétés américaines d’épargne et de prêt de la fin des années1980, dont les conséquences continuent d’occuper les tribunaux56. Les pertes des sociétés d’épargne et de prêt causées par la chute de la valeur des biens immobiliers étaient concentrées dans certaines régions57. L’arrivée massive des sociétés d’épargne et de prêt sur le marché du crédit immobilier commercial en l’absence d’une réglementation suffisante a entraîné un excédent de parc immobilier dans certaines régions des ÉtatsUnis et suscité une succession de périodes de vaches grasses et de vaches maigres dans l’immobilier dans ces régions. Quand le marché immobilier s’est effondré dans le milieu et la fin des années 1980, les pertes des sociétés d’épargne et de prêt ont été particulièrement grandes dans les régions les plus affectées par leurs propres pratiques de crédit. La croissance (et par voie de conséquence l’effondrement) du secteur des sociétés d’épargne et de crédit a été particulièrement forte au Texas, où une poignée de sociétés d’épargne et de crédit justifiait du gros de la croissance de l’actif. À la fin de 1987, 44 % des sociétés d’épargne et de crédit insolvables58 et 62 % de celles qui étaient déficitaires se trouvaient au Texas. Globalement, le sauvetage des sociétés d’épargne et de crédit a coûté environ 160 milliards de dollars, dont 132 milliards de dollars provenant des contribuables américains. Une analyse récente de la caisse d’assurance de la FHA par le U.S. Government Accountability Office (GAO) confirme l’importance de la diversification géographique. 56 Voir FDIC, The Savings and Loan Crisis and Its Relationship to Banking, dans AN EXAMINATION OF THE BANKING CRISES OF THE 1980S AND EARLY 1990S 167, 167-188 (http://www.fdic.gov/bank/ historical/history/167_188.pdf). 57 Arizona, Arkansas, Californie, Floride, Kansas, Oklahoma et Texas. Les marchés immobiliers de l’Arizona, de la Californie, de la Floride et du Texas ont été particulièrement touchés. Le marché immobilier de la Nouvelle-Angleterre lui aussi a été affecté par les pratiques de prêt des sociétés d’épargne et de crédit à la fin des années 1980 en raison s’un surplus de conversion de parts de fonds mutuels en actions de la part des banques d’épargne. 58 Suivant les « regulatory accounting principles (RAP) » et non les principes comptables généralement reconnus (PCGR). CRITERION ECONOMICS,L.L.C. Le GAO a analysé les réserves pour pertes de la FHA suivant plusieurs scénarios de fléchissement des prix dans l’immobilier. Il a en particulier analysé l’impact qu’auraient eu sur le coefficient de capital les ralentissements économiques régionaux qui se sont produits aux États-Unis à la fin des années 1980 et au début des années 1990 s’ils avaient touché l’ensemble du pays et a constaté que dans au moins deux scénarios, le coefficient de capital serait tombé bien en deçà des montants autorisés par la loi. L’étude a montré cependant que, comme le portefeuille de la FHA est équilibré du point de vue géographique, aucun des scénarios envisagés n’entraînerait de graves difficultés s’ils se produisaient au niveau régional seulement59. Inversement, si le portefeuille de la FHA était concentré dans une région donnée, un ralentissement régional suffirait à taxer lourdement ses réserves, voire à entraîner (de nouveau) l’insolvabilité. Vu l’importance de la diversification géographique pour la solvabilité financière, la National Association of Insurance Commissioners des États-Unis a adopté une formulation législative type forçant les assureurs d’hypothèques privés à préserver un certain degré de diversification géographique de leur portefeuille60. Bref, l’incitation à faire du picorage géographique amènerait les nouveaux fournisseurs à se concentrer sur les régions urbaines, qui présentent peu de risques et ne coûtent pas cher à servir et à négliger les régions rurales, plus coûteuses. Cela aurait pour effet de faire augmenter les coûts d’emprunt dans les provinces rurales. Sans doute plus important encore, le bassin d’assurés serait fragmenté sur une base géographique, ce qui réduirait la diversification des risques et ferait augmenter les coûts en capital des assureurs et le risque d’insolvabilité dans l’ensemble du secteur de l’assurance-hypothèque. 4. Conséquences du picorage sur la structure du marché 59 Government Accountability Office, ACTUARIAL SOUNDNESS OF THE FEDERAL HOUSING ADMINISTRATION’S MUTUAL MORTGAGE INSURANCE FUND (24 avril 2002). 60 National Association of Insurance Commissioners, Mortgage Guaranty Insurance Model Act, Model #630 (2005) (où il est dit qu’une société d’assurance hypothèque ne peut pas avoir plus de 20 % des ses contrats d’assurance en vigueur dans une zone statistique métropolitaine normalisée donnée, suivant la définition qu’en donne le Département du Commerce des États-Unis.) CRITERION ECONOMICS,L.L.C. L’assurance-hypothèque a contribué à maintenir et améliorer la concurrence sur le marché des prêts hypothécaires, car elle permet aux petits prêteurs d’atténuer les risques associés aux prêts à fort RPV et donc de mieux soutenir la concurrence61. Ces avantages seraient sensiblement réduits, sinon éliminés, si les nouveaux fournisseurs étaient autorisés à picorer selon la taille ou le genre de l’institution financière. Ils seraient fortement incités à le faire puisqu’il coûterait plus cher de faire affaire avec une petite institution en région qu’avec une grande banque à charte. Ainsi, ils concentreraient sans doute leurs efforts sur les grandes banques dans les régions populeuses et négligeraient probablement les petites institutions financières. Vu l’incitation des nouveaux fournisseurs (décrite plus haut) à ce concentrer sur les régions et provinces urbaines en raison des avantages que cela présente sur le plan des risques et l’importance disproportionnée des petites institutions financières dans les régions rurales, il s’ensuivrait une augmentation excessive des coûts des petites institutions financières rurales, et une situation favorable aux banques charte actives en région urbaine. En outre, comme on le verra plus loin, l’absence de réglementation nuirait à l’efficience des modèles de souscription actuellement offerts par les assureurs d’hypothèques. Comme elles jouent sur des volumes relativement faibles, les petites institutions comptent beaucoup sur les modèles de tiers reposant sur des ensembles de données qui représentent des volumes de prêts beaucoup plus grands. 5. Conséquences du picorage sur la qualité du produit Comme on l’a vu, la concurrence entre les fournisseurs actuels d’assurancehypothèque se joue non seulement sur le montant des primes, mais aussi sur la qualité du produit, dont un aspect réside dans les programmes d’atténuation des risques administrés par les deux concurrents actuels. L’arrivée non réglementée de nouveaux fournisseurs risque de centrer la concurrence sur les prix, les entreprises cherchant alors à offrir les primes les plus faibles possible aux institutions financières qui coûtent le moins cher à servir et présentent le moins de risques. Il y a peu de chances que les nouveaux 61 Institut canadien des courtiers et des prêteurs hypothécaires, Présentation en réponse à la consultation sur l’Examen de 2006 de la législation du secteur financier du ministère des Finances Canada, 3 juin 2005 (http://www.fin.gc.ca/consultresp/06Rev_8e.html). CRITERION ECONOMICS,L.L.C. fournisseurs offrent ce genre de programme en l’absence de réglementation ou même que les assureurs actuels puissent conserver les leurs, forcés comme ils le seraient de faire concurrence aux nouveaux fournisseurs sur les prix. 6. Conséquences du picorage sur le marché hypothécaire secondaire La fragmentation du marché du financement d’habitations qui résulterait de l’arrivée non réglementée de nouveaux fournisseurs d’assurance-hypothèque pourrait aussi avoir des conséquences fâcheuses sur le marché des titres adossés à des créances hypothécaires, lequel comprend des hypothèques à RPV élevé assurées par la SCHL et, depuis 2001, par Genworth aussi62. Actuellement, les normes de souscription imposées par les deux grands fournisseurs d’assurance-hypothèque constituent le cadre sous-jacent du marché des titres adossés à des créances hypothécaires, de telle sorte que les portefeuilles de créances conformes sont constitués d’hypothèques souscrites sur la base d’une norme commune et présentent donc des risques bien compris et prévisibles. Le picorage détritait cette homogénéité, si bien que les hypothèques seraient souscrites suivant des normes différentes par des institutions financières différentes pour répondre aux impératifs de l’établissement des prix en fonction du risque de l’industrie de l’assurance-hypothèque (après l’entrée de nouveaux fournisseurs). En outre, il réduirait l’homogénéité du bassin d’hypothèques d’une région à l’autre63. Ensemble, ces facteurs rendraient la souscription de titres adossés à des créances hypothécaires plus difficile et coûteuse. 7. Conséquences du picorage sur la fiabilité des modèles de souscription Comme on l’a vu, les assureurs hypothécaires actuels se servent du grand volume de données uniformément distribuées qu’ils recueillent pour se doter de modèles de souscription perfectionnés. Ces modèles ont permis la création de nouveaux produits et 62 Blood, supra note 42, p. 14. Voir Rapport DBRS, supra note 31, p. 11 (où l’on signale que la diversification géographique est une importante caractéristique des portefeuilles de prêts résidentiels et que les niveaux et hypothèses d’amélioration reposent sur des propriétés situées dans tout le Canada, avec un minimum de concentration géographique.) 63 CRITERION ECONOMICS,L.L.C. ont joué un rôle particulièrement important en permettant aux petites institutions de crédit d’accorder des hypothèques de manière éclairée en dépit de leurs propres faibles volumes de prêts. La fragmentation du bassin des hypothèques poserait de gros problèmes sur le plan des modèles de souscription. Non seulement le bassin des assurés deviendrait fragmenté, mais les grands ensembles de données homogènes qui permettent actuellement de prendre des décisions éclairées disparaîtraient. V. RÉSUMÉ ET CONCLUSIONS En règle générale, le fait de réduire les obstacles à l’entrée sur un marché et d’augmenter la concurrence produit des avantages pour les consommateurs. Cependant, comme pour n’importe quel autre changement de politique, les décideurs doivent être bien au fait des conséquences indésirables des mesures qu’ils envisagent. Même bien intentionné, un changement de politique peut avoir des effets pervers. Sur le marché canadien de l’assurance-hypothèque, des efforts bien intentionnés en vue d’augmenter la concurrence en accordant la garantie de l’État aux nouveaux fournisseurs risquent de causer du tort aux consommateurs, au moins à deux égards. Premièrement, les nouveaux fournisseurs risquent d’introduire sur le marché canadien des pratiques et arrangements financiers associés à la concurrence inversée. Ces pratiques, qui tiennent au fait que ce sont les prêteurs et non les consommateurs qui choisissent les polices d’assurance-hypothèque, risquent de réduire voire d’éliminer les avantages pour les consommateurs qui résulteraient normalement d’un accroissement de la concurrence. Deuxièmement, l’arrivée non réglementée de nouveaux fournisseurs risque d’entraîner la fragmentation du bassin de risque par le picorage. Les partisans de cette idée disent que les prix seraient ainsi plus en rapport avec les coûts : les emprunteurs qui présentent un risque élevé paieraient des primes reflétant le plus grand risque de défaut de paiement. Une telle redistribution de la richesse n’est pas nécessairement conforme à la politique publique canadienne. D’un point de vue économique, il faut compter avec un deuxième effet peut-être financièrement encore plus important : la fragmentation du bassin de risque ferait augmenter les degrés de risque et les coûts d’assurance de tous les emprunteurs, à faible risque ou à risque élevé. Ainsi, les emprunteurs à faible risque CRITERION ECONOMICS,L.L.C. paieraient des primes inférieures en termes relatifs mais supérieures en termes absolus à celles qu’ils paient maintenant. La nécessité d’un cadre réglementaire approprié pour les marchés des services financiers et de l’assurance est admis. Avant d’autoriser l’arrivée non réglementée de nouveaux fournisseurs sur le marché de l’assurance-hypothèque, les décideurs seraient bien avisés de vérifier si le cadre réglementaire actuel est suffisant pour garantir que l’arrivée de nouveaux fournisseurs aura les effets bénéfiques qu’ils souhaitent. CRITERION ECONOMICS,L.L.C.