PUNCH ET JUDY EN AFGHANISTAN Adultes, ados

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PUNCH ET JUDY EN AFGHANISTAN Adultes, ados
Théâtre des Marionnettes de Genève
Dossier pédagogique – saison 2011 - 2012
PUNCH ET JUDY EN AFGHANISTAN
Un spectacle du Stuffed Puppet Theatre (NL)
DU 30 MAI AU 3 JUIN 2012
Conception, texte
et interprétation : Neville Tranter
Assistance à la
mise en scène : Tim Velraeds
Spectacle en anglais surtitré en français
60 minutes
Adultes, ados
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Le spectacle
1. L’histoire
Au pays de Kate Middleton et
du Prince William, un chômeur
au long cours, Emil, semble ne
pas
se
souvenir
d’avoir
réellement travaillé un jour. Il
participe à un jeu télévisé
intitulé
« Une
seconde
chance ».
En
guise
de
nouveau départ, il y gagne un
aller simple et un périple en
Afghanistan. Il y rejoint un
marionnettiste pratiquant le
Punch et Judy en Afghanistan
théâtre aux armées : une
manière de distraire les
troupes coalisées grâce à un
show de marionnettes. Devenu assistant du maître de marionnettes, Emil tient à réaliser la
traditionnelle virée d’excursion à dos de chameau. Sauf qu’effrayé par un flash, l’animal détale en
direction de Tora Bora, là où habite un mystérieux Punch Bin Laden. Lorgnant sur l’actualité, la
création immerge le couple meurtrier le plus célèbre du théâtre anglais, Punch et Judy, dans un
grand bain féerique et cruel, drôle et diablement révélateur de la guerre.
Le marionnettiste Nigel part à la recherche d’Emil et croise un casting impressionnant inspiré
de l’univers des époux meurtriers, Punch et Judy. Comme c’était à espérer et à prévoir, toute
ressemblance avec des personnes existantes ou ayant existés n’est pas purement fortuite.
Sur la piste du disparu, on croise ainsi le policeman sous les traits d’un casque bleu français,
Jean-Claude, désorienté et perturbé par un milieu hostile et incompréhensible. Mais aussi un
vendeur de chameau retors qui a l’aspect d’un Roi du pétrole. Ou la Mort, elle même,
métamorphosée en bébé yeti amoureux de ses proies. Au bout du chemin, le mari tueur en
série s’appelle désormais Punch Bin Laden et son hospitalité culinaire a quelque chose de
définitif. Son épouse, elle, souhaite améliorer son anglais. Quoi de mieux que ses visiteurs
occidentaux, otages de son rapport amoureux à la langue de Shakespeare ? Buvard théâtral
de l’actuel conflit en Afghanistan, cette création intrigue et fascine en décalant des images
vues sur le net. A la jonction entre imaginaire fantastique et réalité brute, le comédien et
marionnettiste Neville Tranter a déjà proposé avec bonheur notamment "Cuniculus" et
"Vampyr" au TMG. Il utilise ici le plaisir et le langage coloré des spectacles traditionnels de
"Punch et Judy" pour confronter naïveté et cynisme.
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2. Face à la marionnette
Entretien avec Neville Tranter, metteur en scène, acteur et manipulateur.
Vous imaginez un marionnettiste, qui
se
rend
en
Afghanistan
afin
d’entretenir le moral des troupes
alliées.
Neville Tranter : Il a fallu concevoir une
situation à la fois imaginaire et ancrée
historiquement
où
déployer
les
personnages archétypaux de la version et
déclinaison anglaises de Guignol qu’est
Punch & Judy. Avec ces autres figures
emblématiques et incontournables : le
policeman, le bébé. Mais aussi le
crocodile devenu ici un homme d’affaires
Punch et Judy en Afghanistan
vendant des sacs à cadavres (« Body
Bags »), car chaque guerre a ses affaires
fructueuses. La mort est un personnage que le public a de la peine à oublier. Il a l’air innocent,
candide, enfantin, tout ne l’étant au fond pas du tout.
Accompagné de son assistant en Afghanistan, le marionnettiste commet une erreur le premier jour de
son périple. Les deux compères se rendent en dehors du camp afin de réaliser quelques excursions
touristiques, ce qui leur était formellement défendu. Il en résulte une recherche désespérée de cet
assistant qui, prenant une photo sur un chameau, fait paniquer l’animal. Ce dernier l’entraîne loin à
l’intérieur du désert.
J’interprète le manipulateur. Partant à la recherche de cet assistant, je rencontre sur ma route les
caractères que l’on retrouve de manière permanente dans les déclinaisons de Punch et Judy, donc
fidèle à une tradition théâtrale. Le marionnettiste croise ainsi Punch alias Oussama Ben Laden
réfugié alors dans la zone tribale. Et plus particulièrement à Tora Bora : un réseau de cavernes
situées dans les montagnes de Safed Koh dans l'Est de l'Afghanistan.
Qu’est-ce qui vous a intéressé en revisitant cette pièce célèbre du répertoire anglais de la
marionnette à gaine ?
À mon sens, ce qui est intéressant est de se rendre compte de l’incroyable force d’archétypes
traditionnels lorsqu’on les convoque. L’action se déroule notamment à Tora Bora, qui vit en 2001
s’affronter des Talibans avec notamment les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et l’Allemagne, troupes
coalisées tentant de capturer Ben Laden. Tora Bora (« poussière noire » en pachtoune) fut l’une des
places fortes des Talibans et de leurs alliés avant sa chute, en décembre 2011.
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Le spectacle se fixe dans les traits caractéristiques que
l’on retrouve au 18e siècle : une forme de méchanceté
absolue se déroulant dans un contexte de non-sens,
d’absurde débridé. Aux prises avec les pouvoirs, Punch
choisit la fuite en avant et commet crime sur crime.
L’ensemble brosse la peinture ironique et vitriolée d’une
révolte contre toute forme d’autorité.
Quel est le ton de cette création ?
Il ne s’agit en aucun cas d’une pièce moralisatrice pointant
tel ou tel acteur d’un conflit en cours. S’il existe un
message, il est relatif à la naïveté et peut-être à
l’arrogance avec lesquelles l’Occident aborde certains
problèmes en Afghanistan. Tout cela est passé de manière
éminemment suggestive. Les spectateurs qui ont
découvert cette création me disent qu’ils se sont rarement
sentis aussi proches de certaines réalités de ce conflit qui
est pourtant souvent présent dans les médias.
Punch et Judy en Afghanistan
Je joue une dizaine de personnages. Leur présentation est ainsi fort compacte, épurée et
minimaliste, tout en préservant un grand impact sur le public, en stimulant son imagination sur un
sujet aussi sensible que l’Afghanistan. Il y a un « effet de distanciation », au sens brechtien du
terme. On prend une situation historique dans laquelle sont introduits des protagonistes
marionnettiques appartenant à une tradition spécifique fort éloignée du théâtre des opérations et
pourtant révélatrice de ce dernier.
L’atmosphère est teintée d’un humour noir pressé à froid, excessif et qui dépasse parfois les
bornes. Un « humour de pendu », selon l’expression consacrée. L’effet est qu’une situation peut
être à la fois très drôle et puissamment émouvante.
Quels sont les principaux éléments qui diffèrent du Punch et Judy traditionnel ?
Les Muppets, dont la bouche mobile peut s’articuler pour parler et s’exprimer, sont fort éloignées
dans leur réalisation des formes originelles et canoniques des représentations du répertoire de
Punch et Judy. Si je convoque les personnages traditionnels, les archétypes de ce fleuron du
théâtre de rue, il s’agit d’une version singulière de ce show marionnettique.
Contrairement à certaines déclinaisons de Punch et Judy, il y a ici peu de chansons, hors celle
entonnée par la figure de la mort. Dans la tradition, la dimension violente est donnée par la
présence de bâtons comme dans Guignol en France. Je ne frappe néanmoins pas à l’aide de
bâtons au fil de Punch et Judy en Afghanistan. La violence est ici dans les mots et c’est ainsi que
l’on peut la ressentir. Le spectacle compte donc des jeux de mots en anglais où plusieurs sens sont
à l’œuvre. Mais même en Allemagne où j’ai joué le spectacle, ces tours ironiques de la langue sont
perceptibles par le plus grand nombre.
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Enfin, un castelet est utilisé pour figurer notamment une montagne ou un champ de pavots,
l’Afghanistan étant devenu le plus grand exportateur d’opium au monde. Mais les marionnettes sont
aussi manipulées à la main devant ce castelet. Je montre parfois la marionnette disparaissant
derrière le castelet, puis comme dans un numéro de magie, elle réapparaît au gré de sa
performance.
Propos recueillis par Bertrand Tappolet
3. Conte cruel sur fond de conflit afghan
I
l existe une longue tradition de la marionnette de théâtre populaire, souvent jouée dans la rue. En
Allemagne, ils l'appellent Kasperl & Gretl, dans les Pays-Bas Jan Klaassen & Katrijn, en France et
en Angleterre, Guignol, Punch et Judy. Ne vous attendez pas à de la finesse et de la morale dans ce
genre de théâtre !
Je voulais faire une pièce de théâtre, différente par son thème et sa forme, de ce que j'avais réalisé
au préalable. Et j’avoue que cela a été très inspirant. Je voulais préserver le plaisir et l'immédiateté
du Punch et Judy dans l’écoute et la réception de leur fable, tout en explorant une thématique plus
profonde : qu'est-ce qui se passe lorsque la naïveté et le cynisme viennent à se rencontrer ?
Je raconte l'histoire de Nigel, un marionnettiste, qui est venu en Afghanistan afin de divertir les
troupes alliées. Son assistant, Emile, veut faire un voyage touristique à dos de chameau. La lampe
de poche de la caméra Nigel effraie le chameau, qui s'enfuit, pris de panique avec Emile toujours sur
son dos. Ils disparaissent dans la direction de Tora Bora.
Nigel essaie alors de retrouver son assistant. Cette quête l'amène à Tora Bora, où il tombe sur Punch
Bin Laden. Nigel se retrouve en danger extrême, mais survit et raconte ce qui s'est passé à Emile.
Outre Nigel, personnage d’une grande naïveté et candeur, nous rencontrons le journaliste de la
télévision sans cœur qui ne s'intéresse qu'aux scoops, et un soldat nerveux de l’ONU, qui semble en
porte-à-faux avec la réalité de ces régions difficiles.
Les Occidentaux sont présentés comme inadaptés à la rudesse de l'Afghanistan. Punch Bin Laden et
son épouse sanguinaire, Judy, semblent parfaitement maîtriser la situation. Ils s'amusent à jouer au
chat et à la souris avec Nigel. Mais auraient-ils pu imaginer que quelqu’un leur échapperait afin d’aller
raconter son histoire à Kaboul ?
Neville Tranter
4. La marionnette à gaine
Aussi appelées marionnettes à mains ou «Guignols», ces marionnettes sont surtout utilisées
pour un style de jeu rapide. Elles peuvent aussi prendre des objets avec assez d’aisance.
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Catégorie de marionnettes dont la manipulation se fait par le bas. Cette marionnette est constituée
d'une tête creuse montée sur un costume de tissu fixé à la base du cou. On la manipule en plaçant
la main à l'intérieur du costume ; on passe un ou deux doigts dans le cou et les autres doigts dans
chacun des bras, ce qui permet d'exercer un contrôle direct sur les mouvements. La tête et les
mains de la marionnette à gaine peuvent être fabriquées de matériaux solides (bois, futée, papier
mâché) ou flexibles (tissu, caoutchouc mousse, latex). La marionnette à gaine n'a habituellement
pas de jambes; lorsqu'elle en a, elles pendent sans être manipulées.
5. La tradition de Punch et Judy
Le Punch and Judy Show est un spectacle de marionnettes très apprécié des enfants en GrandeBretagne. Les représentations ont le plus souvent lieu dans un jardin public ou sur une plage. On y
retrouve les personnages de Punch le Bossu, de sa femme Judy, avec qui il se querelle
constamment, et de leur chien Toby.
Le spectacle est composé de courtes scènes dans lesquelles Punch est présent avec un autre
personnage. Traditionnellement, le spectacle est réalisé par un seul marionnettiste, appelé Professor,
qui est donc capable de contrôler deux marionnettes à la fois.
Scénario traditionnel
Pris de jalousie, Punch décide d'étrangler son bébé. Judy court pour le sauver, et frappe Punch avec
un gourdin jusqu'à ce que ce dernier, exaspéré, ramasse à son tour un gourdin et frappe sa femme
jusqu'à la tuer. Il jette ensuite les deux corps hors de la maison, ce qui attire l'attention d'un policier.
Punch se sauve mais est finalement arrêté par l'Inquisition qui le jette en prison. Il parvient cependant
à s'échapper grâce à une clé dorée. Le reste de l'histoire est une allégorie montrant comment Punch
parvient à triompher des maux de la chair : il triomphe ainsi de l'Ennui (incarné par un chien), de la
Maladie (déguisée en docteur), de la Mort et même du Diable.
Un certain Punch
Punch est un bossu habillé en bouffon, et son nez crochu touche presque son menton. Il porte un
bâton aussi grand que lui, qu'il utilise à son gré sur les autres personnages. Il possède une voix
rauque produite à l'aide d'un instrument appelé swazzle ou swatchel que le Professor met dans sa
bouche. Une réplique célèbre de Punch est : « That's the way to do it ! » (« C'est comme ça qu'il faut
faire ! »). Le spectacle de Punch and Judy tire ses origines de la commedia dell’arte italienne. Les
personnages de Punch et Judy dérivent de ceux de Pulcinello et de Joan. Le premier compte-rendu
écrit sur ce fleuron du théâtre de rue anglais date du 9 mai 1662. De nos jours, la plupart des
représentations sont notamment réalisés le long des plages pendant les vacances d'été.
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6. De bien étonnantes Muppets
Trois questions à Neville Tranter, comédien et metteur en scène
Comment débutez-vous le travail sur une
création ?
Neville Tranter : Tout démarre dans ma tête :
je commence par visualiser les personnages.
L'histoire vient seulement ensuite, à partir du
nombre fixe de personnages que j'ai imaginés.
En réalité, une image s'impose à moi, et la
marionnette en fait partie dès le début, qui
résumera toute la pièce et de laquelle tout va
découler. Je suis un acteur et ma démarche
avec les marionnettes est celle d'un acteur.
D'ailleurs il n'y a pas qu'elles qui bougent sur
scène : moi aussi je joue un personnage.
Punch et Judy en Afghanistan
Comment considérez-vous la marionnette ?
Après trente ans, je suis bien sûr toujours en recherche et je suis encore souvent surpris par les
possibilités qu'offrent les marionnettes. Le secret d'une bonne marionnette, c'est sa façon de bouger.
Les arts de la marionnette s'ouvrent aujourd'hui à d'autres disciplines, la vidéo par exemple. En ce
qui me concerne, c'est plutôt l'inverse qui se produit : je tends à revenir à plus de simplicité. Je pense
que plus un effet est simple, plus il est fort. Et les marionnettes sont suffisamment puissantes par
elles-mêmes. Bien que je ne sois pas danseur, je considère également qu'un spectacle de
marionnette se pense comme une chorégraphie. Chaque mouvement est étudié, pensé, précisé. La
seule façon de trouver un personnage est de trouver son rythme.
Et votre rapport au public ?
De toute façon, puisque sur le plateau je suis seul à manipuler plusieurs marionnettes, du début à la
fin du spectacle, je suis forcément très impliqué physiquement. C'est même un sacré sport ! Et puis il
y a le public. Un spectacle est un dialogue constant avec le public. Les marionnettes que j’utilise
interagissent directement avec le public. Les marionnettes sont des acteurs incomparables parce
que, pourvu qu'elles soient bien manipulées, le public ne doute jamais d'elles. Il accepte
instantanément qu'elles soient vivantes, qu'elles bougent.
Le spectateur éprouve d'abord un sentiment de surprise en voyant la marionnette bouger et ensuite, il
l'accepte comme personnage et, bien qu'il sache qu'il ne s'agit que de matière, il transcende ce
savoir. Et ceci renforce énormément l'illusion. Par exemple : mes créations comportent beaucoup de
texte, et c'est moi, sur scène avec les marionnettes, qui dit ce texte. Le public voit ma bouche bouger.
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Chez un vrai ventriloque, vous ne voyez aucun mouvement de visage quand il parle. Mais alors le
public ne cesse de se demander "comment fait-il ?". Tandis qu'avec moi, ils n'ont pas à se poser
cette question. Je ne cache pas le fait que je fais les voix des autres personnages. Les spectateurs le
comprennent dès la première minute et ils l'acceptent. Et je pense que l'illusion n'en est que plus
forte.
7. Un certain Oussama Ben Laden
La figure historique de l’un des plus grands « Méchants » de l’histoire récente de l’humanité a
inspiré le personnage de Punch Bin Laden dans Punch et Judy en Afghanistan.
Né en 1957, à Riyad, Oussama Ben Laden
appartient à une famille très nombreuse : il
compte une cinquantaine de frères, sœurs,
demi-frères et demi-sœurs. Son père,
originaire du Hadramouth au Yémen,
s’installe en Arabie saoudite dans les
années 1920. Entrepreneur de travaux
publics, il devient proche du roi Ibn Saoud,
ce qui lui permet de développer ses
activités. La société qu’il crée, dont le siège
est à Jeddah et qui porte son nom,
emploierait aujourd’hui 35 000 personnes.
Cette entreprise a participé à la
monumentale rénovation des villes saintes,
Punch et Judy en Afghanistan
La Mecque et Médine. En 2000, elle a
achevé un gratte-ciel à Jeddah, appelé AlFaysaliya, et elle a contribué à la construction de l’aéroport de Kuala Lumpur, en Malaisie.
Quand son père meurt dans un accident d’avion en 1967, Oussama n’a que 10 ans. Il intègre une
des écoles les plus prestigieuses à Jeddah, avant de poursuivre des études de gestion à l’université
du roi Abdelaziz (1974-1978), dont il sort avec un diplôme d’ingénieur. Il est déjà en contact avec les
Frères musulmans, très actifs dans le royaume. Le grand tournant de sa vie se produira avec
l’invasion soviétique de l’Afghanistan par l’URSS, en décembre 1979. Les Etats-Unis poussent alors
le Pakistan et l’Arabie saoudite à organiser un mouvement de volontaires musulmans pour lutter
contre l’« empire du Mal ». Ben Laden s’engage et il rencontre le cheikh palestinien Abdallah Azzam,
qui jouera un rôle crucial dans sa formation. Il tisse des liens avec les milliers de volontaires
musulmans — dont certains deviendront ses proches lieutenants. Il entretient des relations étroites
avec les services de renseignement pakistanais et avec la CIA. Il utilise sa fortune personnelle dans
ce combat et fait aussi preuve de ses capacités d’organisation en contribuant à l’établissement au
Pakistan, en octobre 1984, du Maktab al-Khadamat, le bureau des services, qui aide à enrôler,
entraîner et envoyer en Afghanistan des milliers de combattants : ce modèle d’organisation servira à
la création d’Al-Qaida. C’est aussi à Peshawar qu’il rencontrera le Dr Ayman Al-Zawahiri, un militant
égyptien qui a passé plusieurs années en prison au Caire et qui deviendra son adjoint à la direction
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d’Al-Qaida. Après le retrait des Soviétiques d’Afghanistan en 1989 — il faudra attendre encore trois
ans pour que le régime de Kaboul succombe aux assauts des moudjahidin — ainsi que l’assassinat,
non élucidé, du cheikh Azzam avec lequel se sont multipliés les désaccords, Ben Laden rentre en
Arabie saoudite. Malgré son prestige, il faut souligner qu’il ne dispose d’aucune « légitimité »
religieuse, pas plus d’ailleurs que la plupart des cadres d’Al-Qaida.
C’est en Arabie saoudite que la conquête du Koweït par l’Irak en août 1990 surprend Ben Laden. Il
propose alors au prince Sultan, le ministre de la défense, d’organiser une résistance populaire à cette
invasion. Son plan n’est pas retenu, et les Saoud préfèrent faire appel aux Etats-Unis. Dick Cheney,
à l’époque secrétaire américain à la défense, promet que les troupes américaines ne resteront pas
« une minute de plus que nécessaire »… Elles y resteront plus de dix ans après la fin des combats.
C’est un autre moment clé dans la trajectoire de Ben Laden : désormais, pour lui, l’ennemi principal,
ce sont les Etats-Unis et la famille royale saoudienne mérite d’être renversée — il sera déchu de sa
nationalité en 1994. Cette évolution, beaucoup de jeunes Saoudiens la partageront dans la première
moitié des années 1990 : une vague de contestation islamiste ébranle le royaume.
Profitant de la présence au pouvoir des islamistes, Ben Laden s’installe au Soudan entre 1992 et
1996, date à laquelle il se réfugie en Afghanistan — selon certaines informations, le régime de
Khartoum aurait, à un moment, proposé de le livrer aux Saoudiens. Les moudjahidin afghans ont
renversé le régime communiste, mais se déchirent et, quelques mois plus tard, cèdent le pouvoir aux
talibans, aidés par les services secrets pakistanais, mais aussi par les Saoudiens, ce qui n’est pas
sans inquiéter Ben Laden. Il se rapproche toutefois de leur chef, le mollah Omar avec qui il établit de
solides liens (il lui prête d’ailleurs allégeance comme « commandeur des croyants ») et il peut ainsi
créer plusieurs camps d’entraînement.
Les attaques du 11 septembre 2001 contre New York et Washington débouchent sur une
condamnation unanime des Nations unies — dès le 15 octobre 1999, le Conseil de sécurité avait
demandé au gouvernement des talibans de livrer Ben Laden — et sur l’intervention militaire
américaine suivie du renversement du régime des talibans. Pourchassé par les Etats-Unis, Ben
Laden demeure introuvable, d’autant que l’administration Bush a déjà reporté son attention sur l’Irak
qu’elle s’apprête à envahir.
Après les attentas du 11 septembre 2011, Ben Laden se réfugié dans les zones tribales à la frontière
entre le Pakistan et l’Afghanistan. Disposant d’un réel charisme, il est la seule personnalité de
l’époque contemporaine à avoir été capable de fédérer des groupes et des personnes aussi différents
et des nationalités aussi multiples. Il intervient publiquement par des messages audio, dont le dernier
date d’octobre 2010.
Ben Laden a été inculpé par un jury fédéral de New York dès le 4 novembre 1998 et placé sur la liste
des personnes les plus recherchées par les Etats-Unis en 1999. Il était accusé de meurtres et de
tentatives de meurtres contre des citoyens américains et d’attaques contre des bâtiments américains,
mais aussi d’avoir des relations avec l’Iran et d’avoir conclu un pacte de non-agression avec l’Irak. La
seule action mentionnée était l’attaque contre les Marines en Somalie en 1993. On ne sait pas grandchose sur ses ressources financières, si ce n’est que le chiffre de 300 millions de dollars de fortune
personnelle est totalement fantaisiste, bien que repris régulièrement dans les médias.
Le 2 mai 2011, à l’âge de 54 ans, il est tué à Abbottabad au Pakistan par un commando américain.
Cette opération a bénéficié de l’aide de la direction pakistanaise. La mort du chef d’Al-Qaida est un
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sérieux revers pour l’organisation qui voulait incarner la lutte « contre les Juifs et les croisés ».
Marginalisée par la révolte arabe, dans laquelle elle ne joue aucun rôle, l’organisation survivra-t-elle à
la mort de son chef ? Difficile à dire, car ses différentes sections locales, comme Al-Qaida au
Maghreb islamique (AQMI) ou ses réseaux au Pakistan, disposent d’une grande autonomie.
Le crédit d’Oussama Ben Laden avait déjà été sérieusement entamé dans le monde musulman, y
compris parmi des penseurs islamistes ou des organisations islamistes. Son usage inconsidéré de la
violence contre des musulmans, notamment en Irak, avait été condamné.
Source: Jean-Pierre Filiu, La véritable histoire d’Al-Qaïda
8. Neville Tranter
Comédien et marionnettiste australien installé aux PaysBas avec sa compagnie le Stuffed Puppet Theater, Neville
Tranter tient en haleine les scènes du monde entier depuis
bientôt trente ans. Il a développé un univers dans lequel le
marionnettiste manipule à vue et prend part à l'action en
tant que personnage. Il a réalisé de nombreux spectacles
toujours d'une folle originalité, fabriquant ses marionnettes
(la plupart du temps à taille humaine), écrivant ses textes
et jouant en direct.
Neville Tranter est né en 1955 à Toowoomba (Australie)
où il termine ses études de dramaturgie en 1976. Il fonde
le Stuffed Puppet Theatre la même année. Après une
participation de la troupe au Festival of Fools à Amsterdam
en 1978, Neville Tranter s’établit aux Pays-Bas, où son jeu
Vampyr
acquiert sa maturité visuelle et émotionnelle. Sa manière
brutale, sans règles apparentes mais poétique, confronte
le public avec ses angoisses, ses peurs, ses rêves et ses désirs exprimés par les poupées de taille
humaine.
Seul sur scène, Neville Tranter combine souvent un décor minimal avec des techniques
sophistiquées pour le son et la lumière. Quant au texte, il est parfois un mélange de drames, de
préoccupations quotidiennes et de réflexions dénuées de toutes concessions. Un alliage qui suffit à
convertir ceux qui doutaient du pouvoir des marionnettes.
Toujours poétiques, impitoyables, brutales ou drôles, les thèmes abordés par Neville Tranter ne sont
pas pour le jeun e public. Il aime explorer les méandres de l’âme humaine.
Personnages historiques et fantastiques
Hitler, Molière, Frankenstein, Dracula : aucun démiurge ou monstre ne résiste à la patte poétique et
ironique de Tranter, qui prête une vie foisonnante à ses personnages.
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Pour la saison 2003-2004, Il a présenté au Théâtre des Marionnettes de Genève : « Schickelgrüber »
alias Adolf Hitler. Berlin, avril 1945. Les soldats russes sont aux portes de Berlin. Adolf Hitler, reclus
dans son bunker, vit ses derniers instants. Le plafond est prêt à s’effondrer. Neville Tranter propose
une descente dans le bunker d’Hitler. En uniforme et seul sur scène, il manipule les personnages
avec virtuosité, campe tous ses personnages et livre une vision à la fois fidèle et fantasque de ce
chapitre sombre de l’histoire.
Son Molière (saison 2004-2005) emprunte son cadre à la commedia dell'arte. Habile mélange des
genres, les marionnettes pratiquent allègrement l'impertinence aux dépends de celui qui les
manipule. Figure de valet, il est battu ou s'entretient avec ses maîtres. Pourtant, il continue à tirer les
ficelles : il mène ses personnages au conflit, confond les bureaucrates, fait mourir Molière en scène
puis décide de le rappeler à la vie.
Au détour de la saison 2005-2006, c’est Re : Frankenstein qui s'appuie sur le texte de Mary Shelley
Godwin tout en évitant les fioritures pour aller à l'essentiel : la perte de l'innocence, l'amour qui se
mue en haine, l'orgueil qui rend coupable mais aussi l'ambition démesurée qui masque la réalité.
Montré lors de la saison 2007-2008, Vampyr est une histoire qui nous parle de nos rituels, de nos
craintes, de courage et de lâcheté, du romantisme et de la perte de l'innocence. Ce récit sur la fidélité
et la déloyauté fera peut-être même couler quelques gouttes de sang... Dans la lignée des portraits
grinçants de Molière, de Schickelgrüber et de
Frankenstein, Neville Tranter dresse un
tableau de famille bien inquiétant pour
évoquer ce conte aux parfums de
Scandinavie, épicé d'horreur et d'humour.
Opéra
En janvier 2007, il signe au TMG Acis et
Galatée, opéra de Georg Friedrich Händel.
Ces dernières années, le marionnettiste a
multiplié les collaborations avec orchestres et
Acis et Galatée
ensembles lyriques. Parallèlement, il met sur
pied des séminaires, qui offrent la possibilité
à des chanteurs d’opéra d’apprendre à manipuler et synchroniser leur voix avec des marionnettes.
Travail qui mène à un premier essai fort probant : la représentation de Oresteia, opéra de Yannis
Xenakis, produit par le Musiktheater Holland Diep en 2005. Pour la première fois, il fait évoluer
ses« puppets » dans le monde lyrique. Avec la création d’Acis et Galatée, Neville Tranter a fait ses
premiers pas en tant que metteur en scène. Pour ce, il s’appuie essentiellement sur la version
anglaise de l’opéra de Händel datant de 1718, d’après un livret de John Gay. Décrit comme un
aimable « masque » pastoral, cette œuvre, de part sa qualité manifeste, ne dépareille certainement
pas au milieu du reste de la production lyrique de Händel.
Histoire de survivants
En ouverture de la saison 2009-2010 du TMG, Tranter joue avec une communauté de lapins dans
Cuniculus. Ce huis clos rappelle ceux du théâtre de l’absurde et du théâtre de la catastrophe qui en
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Angleterre de Samuel Beckett à Sarah Kane en cheminant par Edward Bond arpente les blessures
de l’attente, le dénuement, les sévices fait aux humains et les corps réduits à leurs fonctions
biologiques primaires. Jusque dans la gestion des silences, de la désespérance ainsi que de
situations comico-tragiques, comme l’incontinence de l’un des lapins.
Comment ne pas songer aussi, dans une veine d’anticipation, à l’œuvre d’un autre Australien, le
cinéaste Georges Miller et son opus culte, Mad Max (1979), sa communauté de résistants, son
univers défini par les règles de la seule survie ? Mais on peu aussi penser au film plus suggestif de
Neil Shyamalan, Le Village (2004). Le réalisateur choisit une veine d’épouvante rurale, à l’ancienne,
en prenant pour décor un hameau perdu dans une étrange forêt.
Ses personnages sont organisés en communauté, avec ses rites et
ses terreurs ancestrales.
Servi par une poésie vénéneuse et funèbre traversée d’une bande
son anxiogène, que viendra illuminer au final une chanson de Bob
Dylan, Cuniculus offre une vision apocalyptique, un humour
ravageur et toujours cette folie tonique si singulière de Neville
Tranter. Cette création, comme une comédie tragique hors normes,
fascine, questionne, joue de tous les plans et nous emporte dans un
fantastique proche du réel. En effet, comment ne pas reconnaître
les états de sièges qui touchent des populations civiles aux quatre
coins de la planète devant survivre malgré les bombardements et
les conflits qui font rage ?
9. Bibliographie
Cuniculus
Punch et Judy
•
Michael Byrom, Punch and Judy. Its Origin and Evolution, Londres, Perpetua Press,
1978
•
Pierre-Louis Duchartre, La Commedia dell’arte et ses enfants, Paris, Librairie théâtrale,
1955
•
Geoff Felix, Conversations with Punch, Wembley, Felix, 1994
•
Alain Recoing « Punch et Judy », dans Paul Fournel (dir.), Les Marionnettes, Paris,
Bordas, 1995
Afghanistan
•
Mike Barry, Le Royaume de l’insolence : l’Afghanistan, (1504-2001), Paris, Flammarion,
2002
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•
Alberto Cairo, Chroniques de Kaboul. Photographies de Sebastião Salgado, Paris, Puf,
2007
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Jean-Pierre Filiu, La véritable histoire d’Al-Qaïda, Paris, Pluriel, 2011
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Marc Foster, Les Cerfs-volants de Kaboul, Film, DVD, 2008. Fiction d’après le roman de
Khaled Hosseini.
Au début des années 70, au coeur de Kaboul, deux amis, Amir et Hassan, partage le bonheur
d'un après-midi à faire voler des cerfs-volants. Mais conduit par la peur, Amir trahit son ami, qui
sera à jamais blessé, puis quitte l'Afghanistan. Vingt ans plus tard, il revient dans son pays,
marqué par le passage des Talibans, à la recherche de la paix et du pardon.
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Olivier Hubac et Matthieu Anquez, L’Enjeu afghan, Bruxelles, Versailles, 2010
•
Sebastian Junger, Guerre. Être soldat en Afghanistan, Paris, Fallois, 2011
•
Jean-Dominique Merchet, Mourir en Afghanistan, Paris, Ed. Jacob-Duvernet, 2008
•
Dominic Morissette, Chroniques afghanes, Paris, Bohl, 2009, DVD
•
Michel Peyrard, Poste n°3. Hôte des taliban, Paris, Pauvert, 2002
•
Ariane Quentier, Afghanistan. Au cœur du chaos, Paris, Denoël, 2009.
•
Roy Stewart, En Afghanistan, Paris, Albin Michel, 2009
Sur la marionnette
•
Encyclopédie des arts de la marionnette, Montpellier, Ed. de l’Entretemps, 2009
•
Stéphanie Lefort, Marionnettes, le corps à l’ouvrage, Paris, A la croisée, 2007
•
Charles Magnin, Histoire des marionnettes en Europe, Genève, Slatkine, 1981
•
Les Mains de lumière. Anthologie des écrits sur l’art de la marionnette, (textes réunis et
présentés par Didier Plassard), Charleville-Mézières, Institut International de la
Marionnette, 1996
•
Didier Plassard, L’Acteur en effigie, Lausanne, L’Âge d’homme, 1992
•
Julie Sermon (dir.), « La Marionnette ? Traditions, croisements, décloisonnements »,
Revue Théâtre/Public, n° 193, Genevilliers, 2009
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► Les ouvrages et films cités dans cette sélection bibliographique ont été choisis pour vous.
Ils sont disponibles dans le cadre des Bibliothèques Municipales et de la Bibliothèque de Genève.
Pour des informations complémentaires :
Bertrand Tappolet
Théâtre des Marionnettes de Genève
3, rue Rodo - cp 217 - 1205 genève 4
tél. +41 22 807 31 04
mobile +41 79 79 517 09 47
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Pour les Réservations Ecoles :
Joëlle Fretz
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Davantage d’informations sur : www.marionnettes.ch
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Théâtre des Marionnettes de Genève - Rue Rodo 3, 1205 Genève / Tél. 022/807.31.00 fax 022/807 31 01
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