Janvier 1941 Malte et Tunis sous les bombes - 1940

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Janvier 1941 Malte et Tunis sous les bombes - 1940
Janvier 1941
1 – La guerre en Méditerranée
Malte et Tunis sous les bombes
3 janvier
Redéploiement
Gibraltar – Pendant que d'importantes réparations sont effectuées sur l’Eagle, son groupe
aérien a été débarqué. Les Swordfish du Sqn 824 ont pris le chemin de l'Afrique Orientale
pour être déployés à Port-Soudan ; ils doivent neutraliser ce qui reste de la flottille italienne
de Mer Rouge.
5 janvier
Le chemin des Balkans
Alger – En ce début d’année, les forces françaises combattent dans une situation
historiquement peu commune, exilées de l’essentiel de leur territoire national. L’état de ces
forces est cependant loin d’être ridicule, surtout du point de vue naval et aérien.
C’est donc avec de réels arguments que le gouvernement français s’associe aux négociations
que le gouvernement britannique vient d’entamer dans le plus grand secret avec la Grèce.
L’Italie fasciste n’est-elle pas l’ennemie jurée de ce pays ? Et les Alliés ne contrôlent-ils pas
le Dodécanèse, peuplé de Grecs ?
6 janvier
L’offensive des sous-marins alliés
Depuis l’automne 1940, les côtes du Golfe du Lion et de la Mer Tyrrhénienne ont vu renaître
et se développer un trafic maritime contrôlé par le bureau du contre-amiral Ferreri (promu en
novembre), qui dirige l’Ufficio RTSO1. La voie de mer a en effet été jugée plus pratique pour
assurer l’acheminement d’ouest en est de marchandises venant des ports français ou espagnols
et destinées à l’Italie mais aussi à l’Allemagne (via le port de Gênes, la Lombardie et les cols
alpins). Ces marchandises ont une triple origine : denrées venant de pays (plus ou moins)
lointains et ayant transité par l’Espagne ; produits espagnols ; produits français obtenus soit
par le jeu des réquisitions, soit par un commerce, fort peu équitable, avec le NEF. Après la
chute de la Sardaigne, Mussolini a notamment pu obtenir des Allemands que la perte du
charbon sarde soit compensée par des livraisons de charbon des Cévennes.
Le trafic est assuré en partie par des navires isolés, en partie par des convois. Dans le premier
cas, les navires peuvent être italiens, allemands ou neutres, c’est-à-dire, en pratique,
espagnols. Pour ces derniers, le jeu n’est pas sans risque. Le 14 décembre 1940, un “600
tonnes” de la 19e DSM, la Naïade (L.V. Blachère), a torpillé et coulé, au large d’Imperia, le
cargo Cabo Tortosa (3 812 GRT) : pour son malheur, ce dernier, tombé en avarie de machines
alors qu’il se dirigeait vers Gênes, avait reçu l’assistance d’un remorqueur italien, lui-même
flanqué d’un patrouilleur auxiliaire. Dans le cas des convois, les bateaux sont italiens ou
allemands. Les cargos allemands sont bien entendu ceux qui, en septembre 1939, se
trouvaient en Méditerranée dans les ports italiens ou avaient pu s’y réfugier.
………
Au large de Livourne – En patrouille par une froide aube d’hiver au large de la portion des
côtes toscanes allant de Viareggio à Livourne et plus précisément dans le nord-ouest de ce
1
Ufficio Rifornimento, Traffico, Spedizioni Oltremare : Bureau Ravitaillement, Trafic, Expéditions Outre-Mer.
port, une autre unité de la 19e DSM, la Galatée (C.C. Alliou2), repère l’approche d’un convoi
composé de trois cargos, escortés par les torpilleurs modernes de la 10e escadrille Vega,
Perseo et Sirio. Obligé de progresser en plongée, Alliou parvient toutefois à gagner à temps
une position lui permettant d’attaquer le dernier bateau alors que le convoi se trouve dans le
sud-ouest du banc de la Meloria, prêt à se rabattre vers Livourne pour y faire escale (le convoi
doit aller jusqu’à Naples). A 06h47, une torpille d’une gerbe de trois déchire la poupe du
cargo italien Carlo Martinolich (4 251 GRT). Malgré les efforts déployés pour le remorquer
jusqu’à Livourne, le bateau coulera avant d’atteindre le port. Pour sa part, la Galatée parvient
à se retirer sans dommage, échappant aux torpilleurs d’escorte comme aux champs de mines
anti-sous-marins protégeant Livourne.
Le commandant Alliou ne le saura que plus tard, mais son attaque va provoquer
l’anéantissement du convoi. En effet, invités à gagner sans délai le port de Livourne par le
chef du convoi, les cargos allemands Freienfels et Geierfels (7 563 GRT chacun) exécutent
l’ordre mais, pour une raison mal définie (mauvaise compréhension des instructions, erreur de
navigation…), vont donner dans un champ de mines anti-navires ajouté à l’automne 1940 aux
champs anti-sous-marins pour contrarier un éventuel raid d’une force de surface ennemie
contre le port toscan. Les deux bateaux touchent successivement un engin et coulent au sud du
banc de la Meloria. Trois navires, près de 20 000 GRT, par le fond en moins d’une demiheure : il est vrai que c’est l’Epiphanie et que la Befana distribue ses cadeaux ce jour-là en
Toscane (notamment) : les marins de la Galatée ont manifestement été très sages !
7 janvier
Des Polonais volants
Casablanca – En milieu de matinée, l’aérodrome de Medounia est le théâtre d’une cérémonie
qui marque le retour, après de longs mois de réorganisation, du Groupe de chasse I/10 au
statut opérationnel. Mais cette cérémonie revêt un caractère exceptionnel : de nombreux
invités de prestige sont présents, à commencer par le général de Gaulle, ministre de la
Défense et de la Guerre, et le général Sikorski, Premier ministre du gouvernement polonais,
accompagnés de nombreux hauts gradés, dont le général Zajac, commandant l’Aviation
polonaise. Le GC I/10 Wielkopolskie3 est en effet le premier groupe de chasse entièrement
polonais au sein de l’Armée de l’Air. Commandé par le lieutenant-colonel Pamula, le GC I/10
est déjà riche de trois as, le caporal Nowakiewicz, le sous-lieutenant Chalupa et le capitaine
Wczelik.
Pour le général Sikorski, ce jour signifie enfin la concrétisation des accords qu’il avait signés
en janvier 1940 avec le gouvernement Daladier – c’est si loin déjà ! Il a fallu pour y parvenir
l’invasion de la France, les combats désespérés de juin et de juillet, la preuve par l’absurde de
la valeur des pilotes polonais aux commandes de leurs trop légers Caudron 714, puis de
nouvelles négociations ardues à l’été, enfin le chantage implicite d’évacuer les pilotes vers la
Grande-Bretagne, où les premiers squadrons polonais ont été formés en juillet et en août, pour
qu’enfin les choses avancent – avec, il faut le dire, l’aide du polonophile De Gaulle.
Même alors, les choses n’ont pas été simples : si les pilotes formés et expérimentés ne
manquaient pas, dans les GC, les dépôts et autres écoles d’Afrique du Nord, le personnel au
sol a été plus difficile à rassembler et à former, et surtout, le groupe de chasse polonais passait
systématiquement après ses homologues français dans l’attribution du matériel ! Mais
désormais, se dit Sikorski en caressant l’insigne rouge et blanc polonais peint sur le flanc du
2
Le C.C. Alliou a quitté le 16 septembre 1940 le commandement du 1 500 tonnes Achéron pour prendre le
commandement du 600 tonnes Galatée ainsi que celui de la 19e DSM.
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C'est-à-dire “Grande-Pologne” : les groupes d’aviation polonaise dans l’Armée de l’Air seront tous baptisés du
nom d’une des provinces (ou voivodies) polonaises en souvenir de la patrie occupée.
Curtiss H-81, c’est fait. Cinq autres groupes de chasse et trois de bombardement doivent
suivre ; cela valait bien de renoncer au groupe de reconnaissance…
8 janvier
L’offensive des sous-marins alliés
Au large de Savone – Le “1 500 tonnes” Monge (LV Douenel), dont la patrouille est restée
jusqu’ici bredouille, se présente au crépuscule à l’entrée du port de Savone. Faute de cibles
méritant l’emploi de torpilles, le commandant Douenel fait émerger son sous-marin et
bombarde au canon de 100 mm des installations industrielles proches du rivage, notamment
une usine à gaz. Quand, la surprise passée, les batteries côtières réagissent et commencent à
ajuster leur tir, le Monge plonge et s’éloigne.
Si les dégâts infligés sont modestes, l’impact psychologique est certain. L’action du sousmarin va avoir deux conséquences : tout d’abord, quelques séances d’entraînement poussé,
sur toute la côte ligure, pour les canonniers de la Regia Marina et de la Milmart ; en second
lieu, un renforcement des moyens anti-sous-marins dans les eaux ligures et toscanes. Pour
cela, Supermarina va d’une part accroître le nombre d’escorteurs auxiliaires dans ces deux
zones, d’autre part anticiper quelque peu une partie des mouvements destinés à rassembler en
Mer Tyrrhénienne les forces légères attribuées au volet naval de la prochaine opération
Merkur. L’arrivée de ces renforts lui permettra notamment d’envoyer de Naples à La Spezia
les deux dernières unités de la 3e escadrille de torpilleurs, les Generale Marcello Prestinari et
Generale Marcello Cantore.
9 janvier
Bombardements stratégiques
Naples – A la fin novembre 1940, l’Armée de l’Air a accueilli sur la base ex-italienne de
Sorman, en Tripolitaine, deux squadrons de la RAF, les Sqn 37 et 38, équipés de Vickers
Wellington. Ces deux unités sont aguerries au bombardement nocturne par de nombreuses
missions sur l’Allemagne et l’Europe nord-occidentale occupée. Après un temps d’adaptation
à leur nouveau théâtre d’opération, elles entrent en action.
Deux détachement de huit appareils de chacun des squadrons attaquent Naples, cible jusqu’ici
de quelques raids de jour de bombardiers français et de raids nocturnes de Blenheim opérant
de Malte. La mission n’est pas vraiment un succès : les bombes manquent le port et touchent
des quartiers d’habitation proches, Via Stella Polare [aujourd’hui Corso Arnaldo Lucci] et
Borgo Loreto. Mais la guerre nocturne a changé d’échelle, chaque Wellington emportant
quatre fois la charge de bombes d’un Blenheim (2 tonnes contre 500 kg environ)4.
11 janvier
Atlas médusé
Un filtrage efficace
Oran – Le lieutenant Soutiras entre dans l’hôpital militaire. En dépit du calme relatif qui
régnait en Méditerranée occidentale depuis plusieurs mois, une lutte armée de faible intensité
se poursuit.
Ainsi, un chalutier déguisé en bateau espagnol est allé chercher sur les côtes de France des
hommes désireux de continuer la lutte. Malheureusement, l’opération a mal tourné, à cause
4
La capacité d’emport de bombes du Wellington est aussi supérieure à celle des Bloch 210 que l’Armée de l’Air
utilisera encore pour des missions nocturnes jusqu’à fin novembre 1940 (2 tonnes contre 1,5).
d’une patrouille allemande qui n’a pas respecté son horaire habituel et le chalutier ne ramène
que trois hommes, tous blessés, sur les six prévus.
Le rôle du lieutenant est de les interroger, une tâche délicate qui nécessite du tact et beaucoup
d’oreille. L’un des blessés – une légère blessure à la tête – a une pointe d’accent : rien
d’étonnant, puisque, d’après ses dires, il s’agit d’un légionnaire autrichien qui a perdu son
unité en juillet, a raté le Déménagement et a réussi à se cacher depuis le mois d’août. Il était
d’autant plus désireux de fuir la France occupée, explique-t-il à Soutiras, qu’en cas de capture,
les Allemands l’auraient considéré comme… un Allemand, donc comme un traître !
Soutiras est doué pour son étrange travail. Il fait parler le blessé, le conduit à se couper et
découvre que l’homme n’est pas l’un des soldats qui se sont cachés après avoir été isolés par
l’avance allemande. Capturé en mai, il a craqué devant la menace d’un peloton d’exécution et
s’est fait recruter par le capitaine Wieland, de l’Abwehr. Après quelques mois à l’école
d’espionnage de Stuttgart, il a été lâché dans le sud de la France, à charge pour lui de trouver
un réseau pouvant le conduire en Afrique du Nord, ce qu’il a bien réussi, avant l’intervention
imprévue de cette patrouille trop zélée ! Confusément, il en veut aux Allemands d’avoir failli
saboter le travail qu’il faisait pour eux…
Ayant commencé à tout raconter et ayant apparemment gardé de bons souvenirs de son séjour
sous le drapeau français, le légionnaire finit par tout déballer. Soutiras a fait bonne pêche !
L’homme est le cinquième espion ainsi infiltré à parvenir en Algérie. Et s’il connaît non
seulement ce chiffre, mais surtout le moyen de joindre ses collègues, c’est qu’il est censé leur
servir de radio. Télégraphiste avant son engagement dans la Légion, il a naturellement été
formé aux procédures et aux matériels radio employés par les Allemands, qui doivent, par des
voies obscures, lui fournir un émetteur-récepteur…
………
En quelques semaines, le contre-espionnage français va discrètement éliminer… et remplacer
les espions allemands de l’équipe du légionnaire. L’Abwehr n’y verra que du feu !
D’après « Atlas médusé – La réponse du contre-espionnage français aux menées des espions
du NEF et de l’Axe en Afrique du Nord », par A. Naxagore, Paris, 1946.
Duel amical
Malte – Les habitants de l’île assistent à un étrange ballet aérien. Il s’agit d’un duel amical.
Certes, c’est chose courante entre appareils de l’Armée de l’Air et de la RAF, mais cette
confrontation sort de l’ordinaire. L’affrontement en cours oppose deux Glenn-Martin, plus
exactement un Maryland de la RAF et un Martin 167F français. La maniabilité de cet appareil
est réputée surprenante pour un bombardier, mais les figures décrites par les deux appareils
semblent encore dépasser cette réputation.
Le combat dure depuis 25 minutes et aucun des deux pilotes ne semble vouloir lâcher prise.
Enfin les deux appareils se posent. Les deux pilotes descendent et se serrent chaleureusement
la main. L’affaire se conclut sur un match nul entre Jean Tulasne et Adrian Warburton, qui
iront célébrer (et arroser) cette lutte mémorable au mess.
Le capitaine Tulasne, toujours basé à Rhodes, a naturellement voulu vérifier la réputation
naissante du “Glenn de chasse” qui fait merveille depuis l’automne précédent. Il a
personnellement validé cette réputation, comme il avait éprouvé la maniabilité du Potez 63
neuf mois plus tôt au Liban. Il a même tellement apprécié le bimoteur américain que, le
rééquipement de son Groupe (encore sur MS-406) tardant quelque peu, il s’est proposé
comme “extra” pour toute mission sur l’appareil. Ce qui lui a permis d’effectuer trois
missions de nuit entre le 30 décembre et le 6 janvier.
Le 9 janvier, deux Martin 167F à l’entraînement se sont percutés ; l’un s’en est tiré avec un
bout d’aile en moins, mais l’autre s’est écrasé. Tulasne s’est porté volontaire pour aller
chercher un 167F de remplacement en Algérie. Sur le trajet retour, lors de l’escale de Malte, il
a prétendu vouloir être sûr que les Glenn Martin français et anglais étaient bien les mêmes
avions. Warburton s’est aussitôt proposé pour un test. La suite, c’est ce mémorable combat
simulé… en marge de tous les règlements, car les deux hommes, pour que le test soit
concluant, avaient échangé leurs avions !
12 janvier
Opération Merkur
Méditerranée Occidentale – Le déploiement des forces de l’Axe pour l’opération Merkur et
l’offensive aérienne contre Malte et la Tunisie s’achève. Le total est impressionnant. La
LuftFlotte 2, qui rassemble trois FliegerKorps totalisant 968 chasseurs et bombardiers, plus
500 transports, une très grande partie de la Regia Aeronautica – soit près de 800 avions,
137 000 hommes représentant notamment l’élite de l’infanterie de l’Axe (parachutistes et
troupes de montagne), plus (en théorie) tout ce que la Regia Marina peut mettre en ligne…
Pourtant, Mussolini a un souci qu’il doit cacher à son allié : l’amiral Riccardi vient de lui
apprendre qu’en dépit des assurances que le Duce avait cru recevoir, la marine italienne sera
incapable d’assurer, en plus du ravitaillement des différents assauts, l’appui-feu des attaques
de Cagliari et d’Olbia. La Regia Marina n’est plus ce qu’elle était lors de la fameuse “revue
H” de 19385… Tout au plus pourra-t-elle appuyer l’attaque d’Olbia, plus près de ses bases. Il
faut donc se résigner à lancer une force aéroportée sur Cagliari sans soutien d’artillerie navale.
Tant pis : selon les renseignements, les Français n’ont guère plus qu’une division mal équipée
et dispersée pour tenir le sud de l’île. Une division d’élite italienne, ravitaillée par air, devrait
pouvoir tenir assez longtemps pour être dégagée par les troupes venues d’Olbia.
L’offensive des sous-marins alliés
Au large de Noli – Le “1 500 tonnes” Monge (LV Douenel), dont le temps de patrouille tire à
sa fin, trouve enfin une cible. Il torpille et coule le cargo Franca Fassio (1 858 GRT) au nez
et à la barbe de son unique escorteur, l’un des torpilleurs de la 16e escadrille, le Curtatone.
13 janvier
Bombardements stratégiques
Venise – Tandis que des Wellington venus d’Angleterre bombardent des villes piémontaises
(Turin et Savigliano), ceux du Sqn 148, basés à Malte depuis décembre 1940, s’en prennent à
la raffinerie de Porto Marghera.
14 janvier
Guerre d’usure anti-sous-marine
A l’est de Benghazi, 07h15 GMT (09h15 heure italienne) – Le sous-marin Naiade (LV
Pietro Notarbartolo) est la première perte de l’arme sous-marine italienne pour l’année 1941.
Envoyé en patrouille sur les côtes de Cyrénaïque, il se porte à l’attaque d’un convoi allant
d’Alexandrie à Benghazi, dont la Royal Navy a entrepris de faire une base avancée pour ses
forces légères de surface et ses sous-marins. Néanmoins, il ne parvient pas à percer l’écran
des escorteurs.
Repéré à l’Asdic, le Naiade est pris en chasse par les destroyers HMS Hasty et Hereward. Un
chapelet de grenades bien placé finit par l’endommager et le forcer à faire surface. Le canon
de 100 mm ayant été mis hors service par les charges de profondeur, le commandant
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Démonstration de la totalité de la flotte italienne à Naples devant Mussolini et Hitler, le 5 mai 1938.
Notarbartolo renonce à tout baroud d’honneur et fait procéder au sabordage. Lui-même et tout
l’équipage (à l’exception d’un matelot tué) sont faits prisonniers par les deux unités anglaises.
16 janvier
Bombardements stratégiques
Méditerranée Occidentale – Lors de la conférence de Casablanca du 31 décembre 1940,
Winston Churchill a proposé d’envoyer en Corse des Wellington. La mise en œuvre de cette
offre supposant des aménagements des terrains de l’Ile de Beauté, les Sqn 37 et 38, basés à
Sorman (Tripolitaine) commencent par envoyer des détachements précurseurs sur
l’aérodrome sarde de Villacidro, qui devrait devenir un relais entre Sorman et la Corse. Dans
le même temps, quittant le Moyen-Orient, le Sqn 70, qui a troqué en décembre ses vieux
Vickers Valentia contre des Wellington, arrive à Sorman.
17 janvier
L’offensive des sous-marins alliés
Adriatique – Depuis la disparition du MN Narval, la haute Adriatique est devenue le terrain
de chasse exclusif des sous-marins britanniques, mais les sous-marins français restent très
actifs dans le sud de cette mer. C’est notamment le cas des deux mouilleurs de mines Nautilus
(LV E. Briand) et Turquoise (CC R.P. Wacogne).
Au cours des nuits du 17 au 18 et du 19 au 20 décembre 1940, le Nautilus a placé deux
champs de 16 mines, l’un devant le port de Durazzo (aujourd’hui Durrës), l’autre devant celui
de San Giovanni di Medua (auj. Shënjin). Le second a fait une victime le 31 décembre : le
caboteur Quinto (559 GRT).
En ce milieu de janvier, la Turquoise opère sur la côte italienne. Après avoir posé, dans les
nuits des 13 au 14 et 14 au 15 janvier, deux champs de 20 et 12 engins devant Bari et Barletta
(le premier sera fatal, le 19 février suivant, au cargo Albano – 2 358 GRT), le commandant
Wacogne croise encore quelque temps à la recherche d’une cible pour ses torpilles.
Finalement, il doit se contenter de couler au canon le voilier Antonietta (70 GRT).
18 janvier
Blitz à l’italienne
Oran - La Senia, 12h00 (GMT) – Les pilotes de chasse de l’Aéronavale s’entraînent
assidûment sur leur nouvelle monture, le G-36, que les instructeurs de chez Grumman
appellent Wildcat. Parmi eux, l’EV2 Yvon Lagadec : « Nous avions tous les matins une heure
et demie d’entraînement – vol en formation serrée, exercices radio (en anglais comme en
français !) et même interception (sur un innocent Avro Anson de la Royal Air Force, qui
assurait une liaison quotidienne de Gibraltar). Après ça, il était temps de revenir sur terre
pour manger un morceau au mess que nous partagions avec l’Armée de l’Air. A l’entrée était
affiché le tableau de service – mon nom figurait dans la patrouille d’alerte à 15 minutes, de
16 heures à 18 heures. Cette patrouille d’alerte du soir avait été instaurée à la suite du
passage d’un Heinkel 111 début décembre – l’oiseau avait eu largement le temps de
photographier tout ce qui flottait dans la rade avant que l’artillerie anti-aérienne s’inquiète !
Mais depuis lors, la dite patrouille n’avait jamais décollé. Je me suis donc préparé à passer
une fin de journée tranquille, voire somnolente – mais la guerre, paraît-il, est le domaine de
l’imprévu. »
………
MN Strasbourg, rade de Mers-el-Kébir, 14h00 (GMT) – L’aspirant qui surveille le quai
pose ses jumelles un instant, avant de reprendre son observation : « C’est bien lui, il descend
de voiture – Hé, attendez, il n’est pas tout seul, il y a un autre… Mais c’est… Qu’est-ce qu’il
vient faire ici, maintenant qu’il n’est plus ministre ! Ses adieux ? » Ce discours modérément
informatif est interrompu par le lieutenant de vaisseau de quart à la coupée : « Arrêtez de
bavarder comme une concierge, et rendez compte ! » L’aspirant, rougissant, se retourne et
bredouille : « L’amiral Gensoul vient de monter à bord du canot, Capitaine, accompagné
de… »
– J’ai compris ! Filez immédiatement prévenir le pacha !
Quelques minutes plus tard, le canot de l’amiral se range le long de la coque du Strasbourg.
Derrière les deux amiraux monte une bonne partie de leur état-major. Sans un coup d’œil au
détachement de fusiliers marins figé au garde-à-vous, ils s’engouffrent dans une coursive avec
le capitaine de vaisseau Collinet, venu les accueillir. Arrivés sur la passerelle, les deux
hommes peuvent apprécier le spectacle offert par la flamme portant la marque du plus gradé
qui flotte vigoureusement, bien que la petite brise de noroît se soit arrêtée une heure plus tôt,
ayant choisi de respecter les horaires de la sieste, fort prisée en Méditerranée. Il est vrai que le
lieutenant de quart, qui – comme nombre de ses collègues – fait partie des disciples du plus
gradé en question, l’a fait fort opportunément hisser en face d’un ventilateur !
Une fois sur la passerelle, Darlan, puisque c’est bien lui, s’adresse avec cordialité au
commandant de bord : « Alors, Collinet, vous avez réussi à échapper aux Anglais ! »
– Oui, Amiral, nous avons pu quitter Gibraltar pour quelques jours. J’en ai aussitôt prévenu
l’amiral Gensoul, et l’installation des appareillages de détection a pu commencer dès notre
arrivée ici, sans perdre une seconde.
– Fort bien. Il paraît que ce… dispositif n’a rien à envier aux engins qu’utilise la Marine
d’Albion.
Le CV Collinet a un geste vers l’un de ses subordonnés : « Le capitaine de corvette David
vous expliquera cela mieux que moi, c’est son enfant ! »
L’intéressé ne se fait pas prier : « Comme vous le savez sans doute, Amiral, nos travaux en
matière de détection électromagnétique ne datent pas d’aujourd’hui, et sur le plan théorique,
nous sommes largement aussi avancés que les Anglais. Grâce aux équipements déménagés en
juillet, nous avons mis au point un système complet pouvant être embarqué sur un navire
assez grand. Nous avons profité de l’escale du Strasbourg pour l’installer et l’essayer. »
– Alors, qu’est-ce que ça donne ?
– Les résultats sont concluants, Amiral, se rengorge David, rouge de satisfaction. Nous
pouvons détecter et suivre un aéronef à plus de 50 milles. Depuis plusieurs jours, aucun avion
passant au large à moins de cette distance ne nous a échappé. Ce matin, nous avons même pu
envoyer et guider une patrouille de nos propres appareils pour en intercepter un, qui était
anglais.
– Un Anglais ! Et vos chasseurs l’ont abattu ? glisse en riant un des officiers.
Tous s’esclaffent. Contrairement aux hommes de l’Aéronavale, les marins des navires de
ligne persistent à affecter une certaine anglophobie traditionnelle. « Allons, rétorque Gensoul
en souriant, nos alliés anglais seront toujours les bienvenus à Mers-el-Kebir ! Le maniaque de
la gâchette qui les ennuierait se retrouverait vite aux Kerguelen ! »
– Nous avons préparé un exercice, vous pourrez juger par vous-mêmes, reprend le CC David,
mécontent qu’on oublie son appareillage chéri.
Il est environ 16h30 quand les deux amiraux quittent le Strasbourg. Pendant qu’ils prennent
congé, personne ne prête attention à l’écran de l’oscilloscope où, en limite de portée, un petit
soubresaut de la courbe se manifeste pendant quelques instants.
………
Dans le djebel, 15 km à l’ouest d’Oran, 17h10 (GMT) – Pendant que la Marine met en
œuvre les moyens de détection aérienne les plus modernes, l’Armée de l’Air entraîne toujours
ses servants de DCA à se servir de leurs yeux.
– Un trimoteur arrive par l’ouest, sergent !
– Nez long ou nez court ?
– Nez court, sergent.
– Alors ?
– Wibault, sergent. Avec un nez long, ç’aurait été un Dewoitine !
– On finira par faire quelque chose de vous, soldat. Notez l’heure.
– Un peu tard pour l’avion régulier en provenance de Rabat, sergent, et d’habitude, il passe
plus au sud.
– Eh bien, le vent, ou une huile en retard pour le décollage, soldat.
– Mais surtout, sergent, il me semblait bien gros, ce Wibault.
– C’est qu’il volait plus bas, c’est tout. Je ne vous ferai plus de compliments, ça vous monte à
la tête !
Le 2e classe se le tient pour dit et note scrupuleusement l’heure de passage de l’avion dans le
cahier d’observations, lequel sera visé par “l’autorité supérieure” au retour à la base, retour
qui ne va pas tarder, le soleil se cachant derrière les crêtes depuis déjà plusieurs minutes.
………
A bord du SM.82 n°4, 17 h 15 (GMT) – Cela fait maintenant 5 heures qu’ils ont décollé de
Guidonia, et le vol s’est jusque là déroulé sans encombre. La navigation, malgré le silence
radio absolu, a été aisée : d’abord, sans hésiter à survoler la Sardaigne aux mains des Français,
filer en ligne droite ou à peu près jusqu’à la côte espagnole à la hauteur de Carthagène,
ensuite, après avoir longé cette côte jusqu’à Almeria, cap au sud, puis remontée de la côte
algérienne vers l’est. Oran n’est plus qu’à quelques minutes de vol.
…
Après la destruction d’une partie de la flotte italienne à Tarente en août, le Duce avait exigé
une réaction adaptée. Plusieurs actions contre les bases navales anglaises et françaises avaient
donc été envisagées en employant les bombardiers à très long rayon d’action de la Regia
Aeronautica, les SM.82 Marsupiale – même si, comme l’avait souligné un amiral de la Regia
Marina, « cela ne pourrait être que de la toute petite monnaie rendue sur une grosse pièce »
car seuls dix ou douze de ces gros trimoteurs étaient disponibles, au mieux.
Gibraltar avait déjà été attaquée le 17 juillet, mais de nuit. Deux nouvelles attaques n’avaient
donné que des résultats si modestes qu’ils ne semblaient pas valoir la peine de recommencer,
d’autant plus qu’après la première attaque, qui avait bénéficié du non respect du black-out par
les Britanniques, le Rocher était à présent réglementairement obscurci. En décembre,
Alexandrie avait été bombardée, mais là encore, de nuit, et sans résultats tangibles.
Il avait alors été décidé qu’une opération analogue serait tentée sur Oran, mais de jour. Du
coup, la planification de l’opération avait tenu plus d’une tentative de record que d’une
opération militaire. En effet, si la distance entre l’aérodrome où étaient basés les trimoteurs et
Oran était loin d’être excessive par rapport aux possibilités des Marsupiale, le bombardement
ne pouvait se faire que dans des conditions assurant à la fois bonne visibilité et (relative)
impunité. Pour la visibilité, il fallait du beau temps et pour la visée comme pour la navigation,
un vent aussi faible que possible. Pour l’impunité, il fallait une approche et un repli dans des
conditions minimisant les risques d’interception, donc arriver par un chemin détourné et
repartir sous le couvert de l’obscurité, ce qui déterminait l’horaire de toute l’opération. Les
Italiens réussirent un quasi sans-faute…
…
La première anicroche est survenue lors du dernier virage, en arrivant au-dessus de la côte
africaine. Un câble bloqué, et l’avion du capitaine Zanetti a perdu les trois autres appareils de
vue. L’avarie a été vite identifiée et réparée par l’adjudant Badi – mais le n°4 arrive sur Oran
bien plus au sud que prévu, et avec plusieurs minutes de retard.
………
A bord du SM.82 n°1, 17h17 (GMT) – Les trois premiers trimoteurs sont au-dessus de
Mers-el-Kebir. Le soleil est couché depuis quelques minutes et la visibilité du sol devient de
plus en plus médiocre, mais elle est encore suffisante pour larguer les bombes destinées à la
flotte française. Le lieutenant-colonel Muti aligne son appareil et, au signal du major Raina,
lâche son chargement de bombes. Les n°2 et 3, qui l’ont suivi jusqu’ici, en font autant à la vue
des projectiles quittant le n°1.
………
A bord du SM.82 n°4, 17 h 19 (GMT) – Le capitaine Zanetti arrive à son tour sur Oran. Le
sol est presque noyé dans l’ombre. Tant pis, le n°4 bombardera la ville et le port de commerce
plutôt que la base navale. A bâbord, une épaisse colonne de fumée monte vers le ciel. Les
collègues ont fait mouche ! Zanetti largue sa cargaison au jugé, puis prend le cap retour. La
DCA ne s’est pas manifestée, la surprise a été totale !
………
Oran - La Senia, 17h20 (GMT) – Yvon Lagadec : « Alors que le soleil se couche, le klaxon
d’alerte retentit ! Je me précipite vers mon avion, j’enfile mon parachute, je grimpe à bord et
je me sangle avec l’aide de mon mécanicien. Quand le chef de patrouille arrive, le moteur de
mon Grumman tourne déjà ! La nuit vient, mais nous décollons en trombe et à 17h35, nous
survolons Oran, d’où monte une colonne de fumée. »
………
A bord du Strasbourg, 17h35 (GMT) – Le CC David en a la gorge serrée d’excitation ! Ce
n’est pas un exercice, ce n’est pas un exercice ! Il se force au calme pour articuler clairement :
« Distance estimée : 50 km – Vitesse : 320 km/h – Prenez un cap 070… »
17h45 (GMT) – L’écho des trimoteurs italiens vient de disparaître des écrans, seul subsiste
celui des chasseurs lancés à leur poursuite. Le CC David, après avoir une dernière fois
consulté ses tables et ses notes, reprend le micro : « Distance estimée : moins de 15 km –
Vitesse de l’objectif en diminution, altitude 3 000 m – Prenez un cap 075 – Contact visuel
dans cinq minutes environ – A vous de jouer ! »
………
A bord du SM.82 n°1, 17h45 (GMT) – « Mon colonel, Rome vient d’accuser réception de
notre message. »
Le Lt-colonel Muti sourit : « Très bien, on peut descendre à 1 500 m. On en profitera pour
aller un peu plus vite. »
Le capitaine Moci, “troisième pilote”, actionne brièvement les feux de navigation de
l’appareil pour signaler aux deux ailiers de descendre. Il les fera clignoter à nouveau dans
quelques minutes, une fois arrivés à 1 500 mètres d’altitude.
………
Yvon Lagadec, 17h50 (GMT) – « On fonce toujours à plein badin. Notre chef de dispositif
est monté avec son ailier à 3 000 mètres, il nous a ordonné de rester à 2 000. Je râle : d’après
le dernier message radio, les Italiens sont à 3 000 et plus très loin, maintenant, mais ce ne
sera pas pour moi ! »
17h54 (GMT) – « Avec ce ciel qui s’obscurcit de minute en minute, je me rends compte que
j’ai perdu mon équipier – c’est alors que j’aperçois, se détachant bien nettement sur le gris
du crépuscule, des feux qui clignotent devant moi, à peut-être un kilomètre en contrebas :
c’est forcément un des bombardiers ! Je préviens par la radio tout en commençant à piquer. »
………
A bord du SM.82 n°3, 17h54 (GMT) – « De tourelle supérieure – Avion ennemi à six
heures, il nous rattrape ! »
En ordonnant à sa formation de descendre, le Lt-colonel Muti lui a donné un avantage
tactique non négligeable : ses avions vont s’enfoncer dans l’obscurité vers le nord-est,
pendant que d’éventuels poursuivants, obnubilés par l’avantage de l’altitude comme tout
chasseur qui se respecte, se détacheront dans le reste de lumière qui éclaire le ciel au nordouest… Mais le clignotement des feux de navigation a trahi ses avions.
………
Yvon Lagadec, 17h55 (GMT) – « Le chef de patrouille hurle quelque chose à la radio, mais
je ne l’écoute pas… Je vois deux bombardiers, peut-être trois. J’ajuste le plus proche, j’ouvre
le feu et de petits points lumineux apparaissent sur le fuselage du gros bombardier. Mouche.
Soudain, un choc frappe mon Grumman, suivi d’une vibration qui va decrescendo, et je perds
mon ennemi de vue. Impossible à retrouver, et le chef hurle toujours dans la radio. Cette foisci, je l’écoute : « Retour à la base immédiat, je répète immédiat, panne sèche, panne sèche ! »
Un regard à la jauge – Nom de… (Je reste muet, ma grand-mère nous lavait la bouche au
savon si elle nous entendait jurer), même pas un tiers. Demi-tour, régime de croisière
économique, et le zinc qui se remet à vibrer. »
………
Oran La Senia, 18h30 (GMT) – Les trois premiers appareils de la patrouille d’alerte se
posent sans trop de mal. La piste a été heureusement pourvue quelques semaines plus tôt d’un
éclairage pour les atterrissages nocturnes.
………
Yvon Lagadec, 18h40 (GMT) – « Je trouve rapidement le régime où les vibrations sont les
moins intenses, mais ça n’avance pas vite. Enfin, au moins, il y aura assez d’essence pour
rentrer. Au bout d’un moment, je capte un message du type de Mers-el-Kebir qui nous a
guidés tout à l’heure, apparemment, je ne suis pas le bon cap, il me remet sur le bon chemin.
Je survole Oran, d’où montent des lueurs d’incendies. J’espère qu’on ne va pas me tirer
dessus… L’aérodrome, retour à bon port à nuit faite. Je ne sais pas encore que j’aurai à
nouveau besoin, dans quelques mois, de me poser ici dans l’obscurité…
Mon mécanicien vient à ma rencontre dès que je m’arrête : la gouverne de direction est à
moitié arrachée. Mais le Wildcat est solide ! Les Américains appellent l’usine où il est
fabriqué « les forges de Grumman », ce n’est pas pour rien. »
………
Rome Guidonia, 23h00 (GMT) – Les quatre SM.82 Marsupiale se posent à quelques
minutes d’intervalle. L’intervention de la chasse française n’avait pas été prévue, mais à part
un trimoteur légèrement endommagé, elle a été sans conséquence – sauf pour deux des
hommes du trimoteur touché, qui ont été blessés, dont l’un grièvement. Les autres membres
des quatre équipages vont pouvoir prendre un repos bien mérité.
19 janvier
Le Blitz Malte-Tunis
Méditerranée centrale – Le Xe FliegerKorps (général Hans Geisler) et la Regia Aeronautica
commencent à pilonner Malte et à attaquer les aérodromes français autour de Tunis et Bizerte
de façon systématique. En réalité, ces bombardements sont un prélude (et une diversion) à
l’opération Merkur, pour laquelle la Luftwaffe va accomplir un effort majeur, malgré les
pertes très sensibles subies lors de la campagne de France et de la bataille d’Angleterre.
Plusieurs FliegerKorps vont participer aux combats, mais seul le Xe est pour l’heure engagé
au dessus de Malte et de la Tunisie. Il compte 274 avions (113 chasseurs et 161 bombardiers)
déployés en Sicile :
JG 53 (trois Gruppen) : 85 Bf 109 E et F (celui-ci passant de 35 % du total au 1er janvier à
60 % au 31 mai).
I/ZG 26: 28 Bf 110.
KG 30 (3 Gruppen) : 80 Ju 88.
I/KG 26 : 27 He 111.
I et II/StG 1 (Stuka) : 54 Ju 87.
La Regia Aeronautica va consacrer le tiers de ses effectifs aux opérations contre Malte et la
Tunisie : 160 chasseurs (Fiat G.50 et Macchi MC.200) et 280 bombardiers (principalement
SM.79 et Fiat BR.20). Mais les chasseurs italiens sont dépassés, et parmi les bombardiers,
seuls les SM.79 donnent vraiment satisfaction (surtout comme avions torpilleurs).
A cette date, les Italiens ne disposent au total que de 1 350 avions de combat opérationnels
environ :
Chasseurs : 520 avions, dont 162 Fiat G.50, 133 Fiat CR.42, 180 Macchi MC.200 et 45
Reggiane Re.2000 (prélevés sur un contrat hongrois).
Bombardiers : 710 avions environ, dont 365 Savoia-Marchetti SM.79, 210 Fiat BR.20, 66
Cant Z.1007bis, 20 SM.84 et une cinquantaine de Ju 87R Picchiatelli6.
Reconnaissance : 150 à 200 avions (Ro-37 notamment).
Blitz à l’italienne
Rome, 06h30 (locales) – L’encre des gros titres encore fraîche, les journaux commencent à
être distribués par des crieurs surexcités : sur cinq colonnes s’étalent les mots « Grande
Vittoria per i nostri Aviatori ». Ils surmontent la photo d’un grand navire de guerre à peu près
impossible à identifier et d’où s’élève une énorme colonne de fumée. Le texte qui
l’accompagne, volontairement sibyllin, est en caractères à peine moins gros que ceux du titre :
« Hier soir, nos valeureux aviateurs ont attaqué la base française de Mers-el-Kebir, en
Algérie, repaire des plus grands navires de bataille ennemis, dont le Strasbourg et le
Dunkerque, et n’ont laissé que des épaves fumantes après leur passage. (…) Taranto è
vendicato ! » Il n’a pas fallu longtemps au message envoyé par le Lt-colonel Muti pour être
transmis aux rédactions et au bon peuple…
………
Alger, 08h00 (GMT) – Communiqué du ministère de la Guerre : « Hier 18 janvier, une
formation réduite d’avions italiens a lancé quelques bombes sur Mers-el-Kebir et Oran. Un
petit nombre d’immeubles d’habitation ont été touchés, ainsi qu’un réservoir de carburant.
Un cargo qui se trouvait dans la rade a été incendié. Grâce à l’intervention rapide des
secours, on ne déplore aucune victime. »
Le communiqué ne précise pas que le cargo en question, l’américain nolisé Malantic (3 837
tonneaux), qui transportait une cargaison de pneumatiques (d’où la fumée), est totalement
perdu. S’il a suffi pour cela d’une bombe de 250 kilos, c’est parce que la plus grande partie de
son équipage était descendue à terre profiter des charmes orientaux de la ville, ne laissant à
bord qu’un nombre d’hommes insuffisant pour maîtriser l’incendie.
………
Berlin, 13h00 (MEZ, GMT + 2) – Le Führer (qui s’est réveillé relativement tôt ce matin)
s’est levé du mauvais pied, et les nouvelles de Rome ne l’ont pas rasséréné. Il a fait convoquer
d’urgence Göring, qui encaisse sans dire mot une violente diatribe : « Quoi, ces damnés
mangeurs de macaroni nous supplient d’attaquer la Corse pour eux et de les aider à
reprendre leur Sardaigne, et sans rien nous dire, ils bombardent l’Algérie ! Et vous qui me
disiez que la Lufwaffe n’avait pas d’avions capables d’y arriver. Enfin, il y a deux ans, vous
entendez, deux ans déjà, un avion allemand, je répète, allemand, est allé jusqu’à New York, je
répète, New York ! C’est trois fois plus loin que la traversée de la Méditerranée aller-retour.
6
96° et 97° Gruppi. Le 101° Gruppo est tout juste en formation.
Donc vous avez les avions qu’il faut. D’ici trois mois, je veux que ces conducteurs de
chameaux d’Alger soient bombardés jour et nuit, sans répit ! »
Göring pourrait répliquer qu’un bombardier n’est pas un avion de grand raid et surtout que la
Lufwaffe en Méditerranée est fort occupée au-dessus de Malte, de Tunis, et à présent de la
Corse et de la Sardaigne, mais il préfère sagement se contenter de lâcher un « Zum Befehl,
Herr Führer ! » aussi martial que possible avant de disparaître, regrettant que sa masse
l’empêche d’être plus discret dans sa retraite.
………
MN Strasbourg, rade de Mers-el-Kébir, 12h00 (GMT) – Le CC David est désolé. La
première utilisation réelle de son appareillage, inattendue il est vrai, s’est traduite par un semiéchec. Certes, les Italiens ont été pistés lors de leur retraite et la patrouille lancée à leur
poursuite a pu être guidée efficacement, puisque l’interception a réussi, même si aucun avion
ennemi n’a pu être abattu. Mais bien des choses pèchent : tout d’abord, le positionnement de
ses équipements, qui, du Strasbourg, ne couvrent efficacement que le large – car, pour un
marin, la menace ne peut venir que de là – mais pas du tout l’intérieur des terres, masqué par
le relief bordant la rade. Ensuite la transmission de l’alerte et la rapidité de décollage des
appareils – une alerte à quinze minutes, c’est bien trop lent. L’armement des chasseurs est
trop faible – les G36 sont encore équipés des modestes mitrailleuses de 7,5 mm tel que
spécifié sur la commande passée au début de 1940 à Grumann. Mais ça, on le sait depuis les
combats de la Campagne de France, et des mitrailleuses lourdes remplaceront bientôt les
armes actuelles. Pour finir, s’exclame le CC David, l’entraînement de la chasse aux opérations
nocturnes est entièrement à revoir, pour autant que les aviateurs s’en soucient !
L’amiral Gensoul le rassure paternellement : le raid italien n’a eu guère de conséquences, et le
prix pour prendre conscience de tous ces problèmes a été finalement bien modeste.
20 janvier
Le Blitz Malte-Tunis
Méditerranée centrale – Les bombardements de l’Axe s’intensifient. Heureusement pour les
Alliés, plus de 60% des attaquants sont des appareils italiens et moins de cent chasseurs sont
des Bf 109. Ceux-ci ont les jambes un peu courtes pour faire pleinement sentir leur présence
sur la Tunisie, mais ils sont redoutables au dessus de Malte, notamment les nouveaux 109F.
22 janvier
L’offensive des sous-marins alliés
A l’ouest de La Spezia – Le “600 tonnes” Naïade (LV Blachère) intercepte un petit convoi
(deux cargos) venant de Gênes, escorté par deux unités de la 16e escadrille de torpilleurs
(Monzambano et Calatafimi). Blachère parvient à placer une torpille sur le cargo allemand
Spezia (1 825 GRT), qui coule. Mais l’escorte réagit vigoureusement et accroche le sousmarin. Les deux torpilleurs sont bientôt rejoints par la paire Giacinto Carini et Generale
Prestinari, de la 3e escadrille de torpilleurs, en patrouille ASM au large de la base navale.
Trahie par la traînée de mazout que laisse fuir sa coque externe malmenée par le grenadage, la
Naïade ne peut échapper à ses poursuivants. Au bout de sept heures de lutte, les dégâts s’étant
accumulés, le commandant Blachère décide de remonter à la surface pour sauver son
équipage. La Naïade est accueillie par une brève canonnade, qui cause quelques pertes. Les
torpilleurs italiens recueilleront 36 hommes sur 42, dont le LV Blachère, qui a veillé au
sabordage de son bateau.
C’est la première perte de l’arme sous-marine française en 1941 ; elle réduit la 19e DSM aux
seuls Galatée et Argonaute.
23 janvier
Forza Garibaldi !
Caprera (archipel de la Maddalena) – En présence du général Audet, commandant le
détachement d’armée de Sardaigne, un peloton de soldats français et tunisiens rend les
honneurs au tombeau de Giuseppe Garibaldi. Radio-Alger donne une certaine publicité à cet
hommage en rappelant comment le patriote et révolutionnaire italien, à la tête de volontaires
italiens, était venu au secours de la France envahie en 1870-1871 et avait remporté sur les
Prussiens la victoire de Dijon7 : « Nous n’oublions pas notre dette de sang envers le peuple
italien, malgré la folie d’un dictateur irresponsable qui a voulu le mettre à la remorque de
l’hitlérisme ».
Apprenant cette manifestation, Mussolini entre dans une fureur digne de son allié allemand.
Sa fureur redouble quand il apprend la présence d’un témoin muet à la cérémonie : Emilio
Lussu. L’ancien chef du Parti d’Action Sarde, évadé des prisons du Duce en 1929, exilé à
Paris puis à Alger, est revenu dans son île natale à la suite de Marignan.
Lussu et ses partisans jouent un rôle actif dans l’administration de l’île, où ils ont remplacé les
fascistes enfuis. Cependant, antifasciste mais patriote avant tout, il a clairement fait savoir
que ses “Chemises Grises” ne combattraient pas l’armée italienne si le cas se présentait. Au
reste, le caractère difficile de Lussu lui vaut de fréquentes disputes, tant avec les Français
qu’avec ses compatriotes.
24 janvier
Le Blitz Malte-Tunis
Malte, The New York Times – De notre envoyé spécial William « Bill » Clifton (article daté
du 22)
« La main de Dieu – J’ai débarqué dans l’île de Malte le 18 janvier, et le 19 a commencé ce
qu’on appelle déjà le Blitz Malte-Tunis. Je crains que mon séjour dans cette île ne se
prolonge !
Etre au milieu d’une bataille aérienne, mais au sol, est frustrant, au moins pour un
journaliste. On a droit au plus désagréable : les bombes, qui tombent un peu partout (on se
demande parfois si les pilotes de l’Axe ne considèrent pas que leur bombardement est bien
assez précis si les bombes touchent un point quelconque de l’île). Et on ne voit rien de ce qui
est passionnant : les combats aériens se déroulent là-haut, loin des yeux. L’observateur – moi
par exemple – est en général réduit à regarder décoller les Hurricane des Anglais et les
Warhawk des Français, puis à compter ceux qui reviennent. Le soir, quand j’arrive à me faire
inviter dans un mess, j’écoute les pilotes raconter leur journée dans un très curieux mélange
d’anglais, de français et de signes cabalistiques des deux mains, cocktail devenu la langue de
communication des aviateurs alliés.
Aujourd’hui dimanche, jour du Seigneur, la vieille dame énergique qui dirige d’une main de
fer la famille chez qui je loge, dans une petite ville de l’intérieur de Malte, a décidé que cette
routine allait cesser. Tous les dimanches matins, sa famille va à la messe, aujourd’hui, je dois
les accompagner, que je le veuille ou non, et malgré le fait que je sois un protestant impie
(heureusement qu’elle ignore que mon père est pasteur !). Nous voici donc sous le dôme de
l’église ; malgré la foule (les églises et autres temples font toujours salle comble durant les
guerres), il y fait frais. Des hymnes en latin résonnent sous les voûtes. Un bruit lointain de
7
Troisième bataille de Dijon, 23 janvier 1871. Victor Hugo dira plus tard que « sans vouloir offenser personne,
pendant cette guerre, Garibaldi est le seul de nos généraux qui n’ait jamais été vaincu ».
sirène, puis des explosions assourdies, tentent en vain de nous distraire en nous rappelant que
la notion de Trêve de Dieu n’existe plus depuis le Moyen-Age. De toute façon, il n’y a pas
dans le coin d’abri anti-aérien digne de ce nom.
Alors, devant notre indifférence, la Guerre s’énerve. Un fracas énorme fait résonner le dôme
où s’ouvre brutalement un trou béant et, dans un nuage de poussière, quelque chose percute
le sol devant l’autel, puis vient rouler à nos pieds. Un cylindre noir de huit pieds de long
pourvu d’ailettes. Une bombe – 500 livres ? 1 000 livres ? Quelle importance, à cette
distance. Et puis… rien ne se passe. Presque sans respirer, dans un profond silence, nous
quittons l’église sur la pointe des pieds. Deux paroissiens musclés doivent presque porter le
prêtre, tombé à genoux et en prières devant la bombe.
Des artificiers sont venus désamorcer l’objet. A la demande de la paroisse, ils l’ont laissé sur
place, après lui avoir ôté sa charge explosive, car les habitants unanimes ont décidé de faire
de la bombe un ex-voto et de l’exposer à l’entrée de l’église, pour témoigner de la puissance
de la main du Seigneur. »
25 janvier
Le Blitz Malte-Tunis
Méditerranée centrale – Les attaques aériennes s’accentuent sur Malte et la Tunisie.
L’Amirauté britannique, craignant une opération de l’Axe visant à isoler la Méditerranée
Orientale, ordonne au HMS Illustrious, stationnant à ce moment à Gibraltar avec le HMS
Eagle pour compléter son groupe aérien, de retourner à Alexandrie.
26 janvier
Le Blitz Malte-Tunis
Méditerranée centrale – Malte et Tunis sont toujours sous les bombes.
Les chasseurs de l’Armée de l’Air et de la RAF sont mis à rude épreuve, mais réussissent à
maintenir un rapport victoires/pertes favorable de 2 à 3 pour 1.
27 janvier
Atlas médusé
Ne traitez pas de Chinois un Tunisien
Un village tunisien – Le maréchal des logis Grimaud s’ennuie ferme. Devant lui, le
gendarme Mekloufi hésite à déplacer un pion sur le damier. La partie paraît durer depuis une
éternité, peut-être parce qu’elle fait suite à d’autres parties semblables qui se sont succédées
depuis des mois et qu’elle préfigure une partie similaire qui se déroulera probablement le
lendemain.
Le bruit d’une main cognant au carreau fait sursauter les deux gendarmes. En dépit de l’heure
tardive, un jeune homme de type arabe tape à la vitre. Grimaud se leva et l’interpelle sans
aménité d’un grognement vaguement interrogateur, mais l’importun ne se laisse pas
intimider : « Bonsoir, monsieur le gendarme, je suis venu me livrer. »
– Vous livrer ?
– Oui, je suis un espion !
Le maréchal des logis ouvre des yeux comme des soucoupes : « Un espion, mais… Vous, vous
avez bu ! »
– Oh ! Non, monsieur le gendarme, je suis un bon musulman, je ne bois pas d’alcool.
– Enfin qui êtes-vous ?
– Mon nom est Chouabi Ben Larbi. Je suis… j’étais sergent dans les tirailleurs. J’ai été fait
prisonnier en France. Les Allemands m’ont proposé de me renvoyer en Tunisie comme agent
secret pour « libérer mon pays des Français et des Juifs », qu’ils disaient. J’ai été formé à
Rangsdorf, près de Berlin. Je suis sorti premier de ma promotion ; malgré cela mes
professeurs n’avaient que mépris pour moi, ils m’ont surnommé « le Chinois ». J’ai compris
que, pour eux, un Arabe ne pouvait pas être intelligent. De toute façon, ils pensent que tout ce
qui n’est pas Allemand, ou Aryen, comme ils disent, est méprisable et inférieur. Ils ont dit
plein de mal des Juifs – les Juifs allemands, je les connais pas, mais ceux de chez nous, je les
connais, ils sont très gentils ! Je ne veux pas que ces hommes prennent mon pays aux
Français pour s’y installer, monsieur le gendarme.
Rendu muet par ce discours ahurissant, le maréchal des logis ne répond que par quelques
borborygmes et donne l’impression que ses yeux vont lui sortir de la tête. Comprenant que ses
propos ont du mal à passer, le visiteur du soir précise : « Vous ne me croyez pas ? A une heure
et demie de marche, j’ai enterré mon parachute et ma radio. »
Grimaud se tourne vers Mekloufi : « Misère, on a récolté un fou ! Téléphone à l’hôpital, il
faut l’enfermer ! »
– Mais puisque je vous dis que je suis un espion allemand !
………
Le lieutenant de gendarmerie, prévenu malgré tout, arriva en maugréant – avant de faire
enfermer le nommé Ben Larbi, il se rendit en voiture avec lui jusqu’au lieu de son supposé
parachutage. L’émetteur radio et le parachute étaient bien là, enterrés sous un arbre !
Après un… stage destiné à s’assurer de sa bonne foi, « le Chinois » (comme Ben Larbi ne
tarda pas à être surnommé) fut progressivement intégré au contre-espionnage français. Il passa
les deux années suivantes à désorienter savamment Allemands et Italiens.
Pour y parvenir, il sut se glisser à merveille dans le rôle de semi-attardé mental que lui avaient
attribué ses correspondants allemands, puisqu’il faisait partie d’une « race inférieure ». Pour
cela, il n’hésita pas à commettre des bourdes lamentables : chargé d’identifier les navires de
guerre français en rade de Bizerte, il en appela un « Honneur et Patrie ». Son traitant
allemand lui expliqua avec des mots simples (mais rudes) que c’était la devise de la Marine
Nationale8. Il ne soupçonna jamais qu’un tel crétin pût glisser dans des messages par ailleurs
exacts des « erreurs » subtiles qui devaient coûter fort cher à ses clients de Berlin…
D’après « Atlas médusé – La réponse du contre-espionnage français aux menées des espions
du NEF et de l’Axe en Afrique du Nord », par A. Naxagore, Paris, 1946.
Armes secrètes italiennes
Tarente – Entrée en service des deux premiers sous-marins de poche italiens aptes au combat,
les CB-1 et CB-2. Les deux précédents, les CA-1 et CA-2, pris en compte par la Regia Marina
en avril 1938 mais ultérieurement reconnus comme truffés de défauts, sont en cours de
conversion à l’usine Caproni de Montecollino (sur les bords du lac d’Iseo) : il s’agit de leur
confier non plus des torpilles, mais un nageur de combat et ses charges explosives.
28 janvier
Le Blitz Malte-Tunis
Méditerranée centrale – Les aviations de l’Axe accomplissent un “effort maximum” contre
Malte et Tunis, prélude à l’extension de la lutte ailleurs en Méditerranée.
8
Sur tous les bâtiments de la Marine Nationale sont disposés, dominant la plage arrière, deux panneaux portant
les inscriptions suivantes : « Valeur et Discipline » et « Honneur et Patrie ».
La Regia Marina se rebiffe
Cagliari – Le contre-amiral Yves Donval, commandant la Marine en Sardaigne et en Corse,
envoie à l’Amirauté, à Alger, un rapport inquiétant. Intégrant la substance d’un rapport
particulier du capitaine de vaisseau Quédec, commandant de la Marine en Corse, ce document
rend compte de l’agressivité croissante de la Regia Marina.
D’abord, ses sous-marins continuent à attaquer au large les convois Algérie-Corse ou
Sardaigne, ou bien Tunisie-Sardaigne, et retour. Non sans succès : le 7 janvier, un sous-marin,
identifié après la guerre comme l’Alagi (LV Giulio Contreas), a intercepté un convoi BougieCagliari et envoyé par le fond le cargo Colleville (2 012 GRT) qui apportait du ravitaillement
aux troupes occupant la Sardaigne. Neuf jours plus tard, le 16, un autre sous-marin (le
Veniero, CC Manlio Petroni) prenait le risque d’attaquer de nuit en surface un petit convoi
Alger-Sardaigne et, avant d’être forcé à se retirer par la réaction de l’escorte, coulait de deux
torpilles le charbonnier Divona (1 525 GRT), qui partait charger du charbon sarde.
De plus, les submersibles italiens visent depuis quelques semaines le trafic côtier de
redistribution qui, depuis les têtes de ligne d’Ajaccio, Cagliari ou Porto Torres, anime les eaux
corses et sardes à destination des ports secondaires des deux îles. Le 9 janvier, le petit cargo
Zeramna (572 GRT), arraisonneur-dragueur momentanément rendu à son premier métier, qui
se rendait d’Ajaccio à Bastia par la côte ouest de la Corse, a pu éviter, au large de Centuri,
deux torpilles lancées par un sous-marin (plus tard identifié comme le H-1, LV Alberto
Galeazzi). Le 22, l’arraisonneur-dragueur Ville de Tipaza (AD270), pris pour l’inoffensif
caboteur qu’il était avant-guerre9, a été attaqué au canon dans le golfe de Sagone par un autre
sous-marin. Bien que sérieusement endommagé, il a pu repousser son agresseur en le touchant
d’un obus de 90, avant de se traîner jusqu’à Ajaccio, assisté par le CH-3 (on saura après
guerre que son adversaire était le Maggiore Baracca, CC Enrico Bertarelli ; touché au
kiosque, le sous-marin a eu un mort et deux blessés : quoique relativement légers, les
dommages reçus vont l’empêcher d’être envoyé en Atlantique).
Enfin, des vedettes lance-torpilles MAS, déployées depuis l’île d’Elbe ou le port voisin de
Piombino10, ont lancé des raids, pour l’heure infructueux, vers la côte orientale de la Corse et
vers le port sarde d’Olbia.
………
Alger – En réponse au rapport du contre-amiral Donval, l’Amirauté décide de renforcer les
patrouilles ASM et le système de convois dans les eaux de Sardaigne et de Corse, tout en
concentrant à la Maddalena, entre Corse et Sardaigne, les six vedettes lance-torpilles
disponibles (VTB 32 à 37).
29 janvier
Le Blitz Malte-Tunis
Méditerranée centrale – Les bombardements se poursuivent, malgré les pertes infligées par
la chasse franco-britannique aux attaquants.
L’offensive des sous-marins alliés
Bizerte – Le “630 tonnes” de la 17e DSM Aréthuse (LV Gardair), envoyé dix-huit jours plus
tôt en patrouille dans le golfe de Tarente, n’est pas rentré dans les délais et n’a plus donné
signe de vie. Il est donc présumé perdu. Les Italiens n’ayant revendiqué la destruction
9
Lancé comme chalutier en 1917, converti en cargo en 1925 lors de son achat par l’armement Schiaffino : 384
GRT, 9,5 n. Armé, comme arraisonneur-dragueur, d’un canon de 90 mm et d’un autre de 47.
10
Il s’agit de deux escadrilles de la 1ère Flottille MAS : 1ère (MAS-441, 527, 529) et 5e (MAS-505, 510, 525), et de
la 9e escadrille de la 2e Flottille (MAS-512, 513, 514, 515).
d’aucun sous-marin dans ce secteur, sa disparition sera attribuée à une mine, sans que l’on
puisse exclure un éventuel accident.
Le GC I/3 en Corse
Extraits du journal de marche du Groupe de Chasse I/3
Le groupe reçoit ses premiers D-520M (6), tandis que les convoyeurs rapatrient sur l’AFN un
nombre égal de D-520. Le capitaine Challe, qui commande la 1ère escadrille (ex-SPA 88),
quoique déçu de ne pas toucher des D-523, essaye l’avion et finit par une éblouissante séance
d’acrobatie au-dessus d’Ajaccio.
30 janvier
Le GC I/3 en Corse
Extraits du journal de marche du Groupe de Chasse I/3
Gros mouvement en prévision. Dix D-520 partent pour Alger, avec 4 pilotes supplémentaires
dans le Hudson du guidage, le tout pour aller récupérer des D-520M. Le groupe est réduit à la
1ère escadrille et en sous-effectif qui plus est.
Le Blitz Malte-Tunis
Détroit de Sicile – Pendant que Malte est la cible d’un violent raid de bombardement (90
bombardiers italiens et allemands et 80 chasseurs d’escorte), le HMS Illustrious est attaqué à
l’est de l’île par plus de 25 Stukas du Xe FliegerKorps. La chasse de Malte est trop occupée à
se défendre pour aider le porte-avions et les Fulmar embarqués sont incapables de franchir
l’escorte des bombardiers en piqué. Le vaisseau est touché six fois. Cependant, si les Fulmar
sont de médiocres chasseurs, l’Illustrious possède un excellent pont blindé. Cinq des bombes
touchent le navire en dehors de ses œuvres vives. La sixième le frappe juste à l’aplomb de la
chambre des machines et parvient à percer les trois pouces d’acier du pont… Mais, son
énergie cinétique dissipée, elle ne va pas plus loin que le hangar, juste en dessous, avant
d’exploser. Les dégâts sont importants, mais le porte-avions parvient à se réfugier à Tripoli.
Londres – Peu désireuse d’exposer un autre navire à la mésaventure que vient de connaître
l’Illustrious, l’Amirauté britannique ordonne le transfert en Méditerranée Orientale par le Cap
de Bonne Espérance du porte-avions HMS Formidable. Mis en service en novembre, celui-ci
participe actuellement à la chasse aux raiders allemands et à la protection des convois dans
l’Atlantique sud.
Le groupe aérien de l’Illustrious est redéployé : les Fulmar vont rejoindre l’Eagle et l’Ark
Royal à Gibraltar, remplaçant avantageusement Sea Gladiator et Skua, tandis que les
Swordfish seront envoyés à Malte puis en Crète… dès que les négociations avec la Grèce
auront abouti.
31 janvier
Le GC I/3 en Corse
Extraits du journal de marche du Groupe de Chasse I/3
Retour de nos oiseaux migrateurs, soit nos 14 pilotes avec un nombre égal de D-520M.
Quelques-uns ont les traits un peu tirés, restes de la grande bringue qu’ils ont faite à Alger.
Le terrain de Campo-dell’Oro est maintenant bondé, surtout avec les GB 11 et 12, dont les
LeO prennent de la place. On se demande si notre rééquipement n’est pas le prélude à un
retour en AFN, où se déroulent de durs combats au-dessus de Tunis et de Bizerte.
L’offensive des sous-marins alliés
Adriatique – Après avoir successivement mouillé un champ de 21 mines au large d’Ancône,
le 28 janvier, puis un autre de 29 engins dans le golfe de Fiume (alias du Quarnero) deux
jours plus tard, le sous-marin mouilleur de mines HMS Rorqual (Lt-Cdr Ronald Hugh
Dewhurst) a entrepris de redescendre l’Adriatique en patrouillant le long de l’archipel
dalmate. Ce faisant, il rencontre entre les îles de Lissa (Vis) et Curzola (Kor!ula) une cible
sortant de l’ordinaire : l’allège GM239, portant une batterie flottante de deux pièces de
120 mm (plus un canon anti-aérien léger), que conduit vers l’Albanie le remorqueur armé
Ursus (F94)11.
Ne pouvant torpiller l’allège, dont le tirant d’eau est trop faible, et bien qu’il ne dispose que
d’un canon de 102 mm, Dewhurst n’hésite pas à faire surface et à engager un combat
d’artillerie. Il est vrai que ses adversaires sont lents et peu manœuvrants. Le Rorqual parvient
à couler le remorqueur, tandis que l’allège va s’échouer sur l’île de Curzola. Les Yougoslaves
se contenteront d’interner sur place cette quasi-épave.12
11
L’Ursus (407 GRT) est l’ancien patrouilleur de la Marine nationale Vanneau, acquis en 1932 par la S.A.
Rimorchiatori Riuniti Panfido de Venise et réquisitionné le 24 mai 1940.
12
Fin mai, les Italiens pourront récupérer la batterie flottante et la conduiront à Raguse (Dubrovnik) pour
d’importantes réparations. Fin septembre, une fois remise en état, elle rejoindra finalement Valona/Vlorë, dans le
Le chemin des Balkans
Athènes – Le général Ioannis Metaxas meurt dans son lit. Mi-Premier ministre de Georges II,
mi-dictateur, il mesurait pleinement le risque de guerre avec l’Italie et il était fermement
décidé à s’opposer aux exigences de Mussolini. Néanmoins, il avait quelque peu freiné le
rapprochement de son pays avec les Alliés.
Georges II nomme Alexandros Koryzis Premier ministre. Celui-ci, au contraire de son
prédécesseur, est prêt à accepter que la Grèce prenne l’initiative des opérations contre
l’Italie… D’autant plus que le royaume doit ainsi récupérer le Dodécanèse, d’où les Alliés ont
chassé les Italiens l’automne précédent.
sud de l’Albanie, qui aura changé de mains plusieurs fois auparavant, les combats ne laissant pas dans le port
d’artillerie utilisable.