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GAIA 11 – Comptes rendus
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Ken DOWDEN, Zeus, London, Routledge, 2006, 164 pages.
[ISBN : 0-415-30503-9]
Richard SEAFORD, Dionysos, London, Routledge, 2006, 158 pages.
[ISBN : 0-415-32488-2]
Carol DOUGHERTY, Prometheus, London, Routledge, 2006, 155 pages.
[ISBN : 0-415-32406-8]
Compte rendu par Dominique Jaillard, IASA, université de Lausanne.
Les trois titres paraissent concomitamment dans la collection « Gods and Heroes
of the Ancient World », dont la maison d’édition britannique Routledge a donné la
direction à une jeune universitaire spécialiste de religion grecque, Susan Deacy. Chaque
volume, consacré à un dieu ou à une figure mythologique majeure, est confié à un
antiquisant de renom et s’ouvre sur la même introduction générale de Deacy qui souligne
la grande variété des problématiques et la richesse des études récentes en matière de
polythéismes grec et romain. L’objectif de la collection s’en trouve clairement défini :
« It shades new light on many of the most important religious beings of classical antiquity; it also
provides a route into understanding Greek and Roman polytheism in the twenty-first-century. » Le
format éditorial est d’une remarquable unité : les volumes comptent environ cent
cinquante pages et traitent successivement le dieu dans son contexte antique puis, avec
« Afterwards », dans sa postérité à travers l’histoire de la culture occidentale. Suivant
le même principe, l’iconographie, relativement abondante, mêle images antiques et
modernes. Les citations sont nombreuses, souvent longues, permettant un accès direct
aux sources, la présentation, très pédagogique, joue avec de nombreux intertitres, la
bibliographie est volontairement très sélective. C’est dire que la collection vise, sans
concessions inutiles, un public large. Ces petits livres s’avéreront utiles non seulement
aux étudiants travaillant sur l’Antiquité ou l’histoire des religions, mais aussi à ceux
qui étudient les littératures européennes modernes, et en général à tous les lecteurs
qu’intéresse la place rémanente des figures et des mythes antiques dans nos cultures.
Traiter Zeus dans le cadre restreint qu’impose la collection relevait du défi, et l’on
ne saurait attendre du livre de Ken Dowden qu’il renouvelle et remplace la somme que
Arthur B. Cook avait jadis consacrée au souverain des dieux. Judicieusement, l’accent
est mis sur les questions de méthode, sur les problèmes que pose l’interprétation d’une
figure divine a priori déroutante pour les modernes, ce qui donne à l’auteur l’occasion
de glisser quelques propositions sur la nature ou les fonctions des mythes grecs : « The
mythology was only a way of talking about Zeus, a façon de parler […] a transposition of the
mysterious into another language » (p. 4). Une part importante est faite à l’historiographie.
Ken Dowden souligne à la fois la place centrale qu’occupe l’étude des cultes dans la
compréhension d’un dieu grec (« otherwise the Greeks would have a Zeus no different from
ours ») et les interrelations entre langage rituel et langages du mythe, de la poésie, de
la sculpture et de la philosophie (p. 17). Deux questions fondamentales résument
l’approche de l’auteur. Comment comprendre « ensemble » les différents aspects de
Zeus (« weather god », « supreme god »…) ? Quelle position spécifique, irréductible, occupe
ce dieu « suprême » dans un système dont il est un des éléments ? Le livre procède par
coups de sonde qui éclairent de manière synthétique et facilement accessible un nombre
impressionnant de questions, rapports entre représentations panhelléniques et cultes
locaux, relations avec le Proche-Orient, tout en privilégiant les aspects potentiellement
déconcertants pour un homme du XXIe siècle. Quel sens donner à l’activité sexuelle de
Zeus, à son statut de père, d’époux ou de frère ? Quelles relations faut-il établir entre
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la maîtrise des phénomènes météorologiques et le contrôle des destins (avec d’utiles
remarques sur l’Olympe et la statue de Zeus Hypsistos récemment découverte dans
son sanctuaire de Dion) ? Quel rôle joue Zeus dans la mise en place de l’ordre social (à
travers l’étude de mythes et de cultes pris à travers toute la Grèce, ce qui vaut au lecteur
une vraie initiation à la géographie religieuse) ? Comment Zeus devient-il l’objet d’une
spéculation sur l’ordre du monde, d’Homère aux diverses écoles philosophiques, des
réinterprétations allégoriques à l’évhémérisme ? Le dernier chapitre est consacré au
devenir de la figure de Zeus, en particulier au Moyen Âge et à la Renaissance.
Le Dionysos de Richard Seaford présente les mêmes qualités. Il constitue aussi une
introduction commode aux travaux importants et originaux que l’auteur consacre
depuis plus de vingt ans à la figure de ce dieu et à la tragédie grecque. La présentation
n’en est pas moins remarquablement équilibrée. Le livre s’ouvre sur un petit essai qui
s’efforce de rendre raison de l’intérêt marqué pour Dionysos dont témoigne la culture
européenne depuis Nietzsche, avec une utile mise au point historiographique. Les
chapitres 2 à 4 explorent de manière analytique la figure du dieu, d’abord dans son
rapport au vin, à la nature et à l’animalité, puis dans son rapport avec la cité, le thiase et
le roi hellénistique. La question sous-jacente est alors celle du type de communauté que
suscite la présence de Dionysos, « his inclusiveness » (p. 27). Enfin, le dieu est appréhendé
dans sa puissance épiphanique. Le chapitre 5, « Mystery Cult », discute la question des
« mystères dionysiaques » en Grèce, en Italie et dans l’Empire romain. Richard Seaford a
le grand mérite de marquer les continuités entre les cultes et représentations ménadiques
archaïques et classiques et les initiations dionysiaques hellénistiques qui relèvent trop
souvent de chapitres autonomes de la Wissenschaft classique. Cette partie du livre n’en
est pas moins celle qui suscitera le plus de discussions, compte tenu des questions que
posent tant la notion de « culte à mystères » que le contenu des initiations dionysiaques,
leur rapport avec le mythe orphique, l’eschatologie et les succès du christianisme :
« religious ritual stages the anxiety of death that leads to the bliss of the next world », « mystery cult
may conflict with political authority and with the political ambitions of Christianity, and finally yields
to the latter » (p. 74-75). Le chapitre 6 développe la question du rapport de Dionysos avec
la mort, et le chapitre 7, avec le théâtre. Dans la continuité de ses précédents travaux,
Richard Seaford tend à souligner les liens profonds qui lui semblent unir Dionysos et
la tragédie. Le chapitre 8 interroge la psychologie de la possession dionysiaque et les
relectures philosophiques du mythe du démembrement. Les derniers chapitres sont
consacrés au devenir de Dionysos après la victoire du christianisme et sa place dans
la culture de la Renaissance et du XIXe siècle allemand. Le livre de Richard Seaford
constitue à la fois une excellente initiation et une synthèse très personnelle et fort
stimulante pour le spécialiste.
Avec le Prometheus de Carol Dougherty, c’est près d’un tiers de l’ouvrage qui est
consacré aux réinterprétations des mythes prométhéens à l’époque moderne. Bien que
Prométhée soit d’emblée posé comme un dieu à part entière, « the Greek god who defied
Zeus », l’accent du livre s’en trouve légèrement déplacé : « The essence of the Prometheus
myth is more heuristic – it has helped people from the time of Hesiod to the present, to explore,
question, and challenge the limits of the human condition » (p. 1). Qu’est ce qui constitue le
cœur « non négociable » du mythe ? Comment évolue-t-il en réponse à des contextes
historiques et culturels différents, d’Hésiode à Ted Hughes ? Qu’est-ce qui fait la force
d’un mythe ? Carol Dougherty s’emploie d’abord à définir les thèmes prométhéens :
feu, rébellion, invention et travail. Un premier chapitre interprète le mythe hésiodique
à partir de la figure du trickster, en procédant à une lecture relativement détaillée du
texte. Le récit prométhéen « locates mortals somewhere between the realm of the gods, and that
of beasts in a world defined by the institutions of sacrifice, agriculture, marriage… ». L’accent est
mis sur la rupture avec l’âge d’or, et non, comme dans les versions postérieures, sur
les progrès qu’autorise le don du feu. Le chapitre sur le culte de Prométhée à Athènes
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a le mérite de s’appuyer sur la réalité rituelle, celui sur Prométhée dans la « littérature »
athénienne en interprète la figure en termes de « political rebel » et de « cultural hero », et
il interroge l’idée de progrès dont le mythe est porteur. Cette analyse du Prométhée
« classique » permet de comprendre pourquoi la génération « romantique », avec Goethe,
Byron et Shelley, s’est emparée de la figure jusqu’à en faire le héros d’une « self-assertive
subjectivity » (p. 96), d’une humanité en lutte pour sa liberté. Un dernier chapitre examine
comment le XXe siècle a interrogé les ambiguïtés de l’héritage prométhéen, de sa foi en
la technique. Le livre présente de grandes qualités pédagogiques, on pourra toutefois
regretter que l’interprétation repose sur des catégories prédéfinies, « trickster », « political
rebel », « cultural hero », alors que l’analyse du mythe en ses métamorphoses aurait permis
de les mettre à l’épreuve.
On ne peut, en conclusion, que se réjouir de la belle initiative de Routledge et des
choix judicieux de la directrice de collection, et c’est peu dire que ces agréables petits
livres méritent une place de choix dans toutes les bibliothèques.
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