le big cheat
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LE BIG CHEAT A propos du code suprême dans les jeux vidéos. Pour ceux que les mots "jeux" et "virtuel" font fuir, passez votre chemin. Vous êtes irréductiblement hermétiques au plaisir et peut être aussi rétrogrades que ceux qui maudissaient l'apparition de la photographie et du cinéma il y a un siècle. Allez donc voir votre petit cousin qui vous initiera aux nouvelles pratiques numériques sur Playstation, Nintendo et PC. Quant aux autres... les curieux, les accros aux nouvelles sensations, les hédonistes du Vide et les aventuriers de l'Inutile, alors à ceux-là, je leur faxe : Bienvenue dans Playland ! Pris par le jeu, devenu addict Tous les jeux vidéos, sont particulièrement longs et difficiles : la palme revenant à FINAL FANTASY VII. UNREAL, MISSION IMPOSSIBLE, RESIDENT EVIL ou récemment ZELDA et TUROK 2 rejoignent le palmarès. Suivant votre niveau - n’ayez crainte, le plus souvent votre talent de guerrier est relatif au temps que vous passez devant l’écran -et si prendre le métro n’est pas une angoisse insurmontable - les jeux se passent le plus souvent dans de sinistres couloirs - alors bingo, vous pouvez pénétrer dans les « mondes merveilleux des jeux vidéos » mais attention, vous allez vous engouffrer dans un espace-temps atypique voire un peu zarbe, Dickien par excellence auteur de Blade Runner et d’Ubik, non pas les films, non pas les jeux, les romans ! - où la réalité l’autre - prendra des formes inattendues. Pris par le jeu, devenu addict - il faut peu de temps à certains, leur psychisme étant prédisposé aux dépendances de toutes sortes, sitcoms et anxiolytiques réunis - vous allez passez de longues journées et des nuits blanches devant votre écran à vous booster à coup de café, de Guronsan ou de vitamines plus musclées pour les plus blindés. Vous vous goinfrez de pizzas - froides, pas le temps de concilier cuisson et heure du repas - de réglisses fluos-acides, de chips, de glaces, bref de junk food. Rapidement, vous aurez la rétine cramée par les centaines de flashs psychés tendance strobos des raves hardcore provoqués par les explosions nucléaires galactiques et si vous n'avez pas succombé à de graves crises d’épilepsie ou de sévères pétages de plomb (genre balancer par la fenêtre votre dernier Mac ou la dernière console japonaise en import) vous pourrez - ô joie suprême ! - voir défiler le générique de fin du jeu encore plus long que le générique du « Titanic » - vous savez le film où vous n’êtes pas le héros - avec d’incroyables scènes cinématiques. Pourtant, après le petit soupir de satisfaction symptomatique du joueur accro qui gagne - ou qui perd, du reste - vous resterez gravement perplexe quand le retour à la réalité s’amorcera. Vous penserez tout d’abord aux centaines d’heures que vous aurez investi dans un monde virtuel magnifique, un rien chaotique, violent et vraiment bandant mais pas rentable pour un sou. Vous regarderez votre appart transformé au fil des semaines en squat dans le style de celui des junks de « Trainspotting », et surtout vous trouverez votre appart très silencieux : votre partenaire se sera barré avec votre dernier ordinateur portable et toute votre collection de WIRED, DAZED et autres magazines indispensables. Certains scénars s'avèrent barrés L’heure est grave. Combien de couples se sont déchirés à cause de l’obstination du partenaire masculin -attention, les jeux pour la gente féminine vont débarquer ! - à trouver la centième clef pour ouvrir le soixantième portail du niveau des « Rivières des Ames Damnées » le téléportant directos au vingtième monde aussi vaste que le métro Châtelet (imaginez-vous donc inspecter l’équivalent de cet espace réel avec une petite caméra...) sans oublier que pour satisfaire la demande toujours croissante des touristes-experts-killers en saloperies numériques, les concepteurs-designers des jeux vidéos, au fil de leurs productions, décuplent la difficulté en plantant, par exemple, des téléporteurs un peu partout, vous catapultant sur d’autres mondes parallèles encore plus vastes et dangereux que le Bronx à 3 h du mat. De plus, certains scénars s’avèrent encore plus barrés que ceux de « Lost highway » et de « Naked lunch » réunis. Les beatniks prenaient la route Alors voilà, commencer une partie équivaut à partir en croisade, à tout quitter et ça peut durer des mois. Les beatniks prenaient la route, de nos jours les vagabonds sont digitaux. Il vous faut une bonne dose de foi, des nerfs d’acier, être armés jusqu’au dents de patience et de haine pour tout ce qui n’est pas humain (dans le meilleur des cas, certains jeux préconisent des missions spéciales bien borderline style «écraser le plus de flics et de piétons pour un extra-life ! » ou «pratiquer un génocide sur mars») et surtout, d’avoir du temps devant soi... et c’est là, que le bât blesse, parce que le temps est une denrée précieuse, comme l’espace d’ailleurs, c’est overluxeux ; alors le choix du libre-arbitre pointe le bout de son nez : réel ou virtuel ? Il existe une solution : le code suprême Vous savez, en bon vieux surfeur de la pensée, que la modernité n’est que du recyclage de concepts-stars reliftés, que la virtualité date d’au moins Platon et sa caverne, qu’il y a autant de virtualité dans notre réalité qu'inversement. Dès lors, vous songez à ces bons vieux plaisirs charnels d’ici-bas qui se payent cash. Vous pensez au côté bassement réel de votre existence... bref, au turbin qui vous attend avec son enseigne-néon qui clignote dans la rue de votre vie sociale prenant pour les uns, les slogans «carrière » ou pour les autres «famille, Liberté, Égalité » quand ce n’est pas le basique «métro-dodo-boulot ». Alors, au lieu de quitter sa dame, de perdre son boulot, de prendre une chambre de bonne dans le 15ème et de se mettre au R.M.I pour manger des bananes ou de quitter toute préoccupation terrestre en s’emmerdant devant un moine zen qui vous avouera qu’après 50 ans de méditation que «la vie, c’est un jeu »... il existe une solution : le code suprême. Avant le code vous étiez celui qui partez en croisade, avec le code, vous êtes tout simplement DIEU. Ce code plus communément appelé BIG CHEAT est disponible dans toutes les revues spécialisées et pour chaque jeu. Remarque : il est toujours très complexe, ésotérique et si vous êtes trop impatient, de nature compulsive, il vous faudra dix minutes pour le taper - mais une fois le code tapé et rentré dans le menu des options, vous pourrez alors - ô joie ! - vous déplacer dans le jeu en esquivant les innombrables épreuves sadiques des concepteurs. Grâce au Big Cheat, vous détenez toutes les armes, tous les pouvoirs. Vous êtes invincible. Vous pourrez même changer la texture visuelle du jeu, voire l’architecture même des temples virtuels que vous blaster sévère avec votre arsenal, bref : avant le code vous étiez celui qui partez en croisade, avec le code, vous êtes tout simplement DIEU. Ainsi, tout le pouvoir potentiel d’un grand démiurge vous tombe sur le coin de la gueule à l’instar du président de la Maison Blanche avec ses droits de cuissage sur son secrétariat, ou d’une star hollywoodienne investissant dans des chaînes de restaurants en forme d’ovule sur toute la planète. Et le big cheat devient le big shit Expérience inédite, n’est-ce pas ? Et plutôt déstabilisante pour vous, misérable fourmi qui avez épargné pour l’achat d’une console, voire d’un PC dans une grande surface... Pauvre insecte accablé par une existence dont le titre pourrait être celui d’un bouquin de Moravia et dont l’adaptation cinématographique ferait pâmer une critique postavant-garde sénile. Si toute médaille-pin’s a son bad side, le code suprême ne déroge pas à la règle. Le big cheat devient big shit. Passé les premières minutes de plein pouvoir, de jouissance absolue dans le jeu c’est vrai que de shooter en deux coups de bombe atomique la dernière créature belliqueuse appelée plus généralement par les initiés NERDS "boss" - qui, sans votre don d’invincibilité, vous aurez en une fraction de seconde déchiqueté en trois milliards de pixels et par la même occasion fait revenir au portail du monde où il squatte en souverain, ou quand tout simplement il vous aura administré la punition finale, la sentence terrible redoutée de tous les joueurs : le GAME OVER, impitoyable terme barbare, inhumain, quasi fasciste, baptisant un état des lieux inexorable sans paradis, ni enfer, ni salaire, ni gâterie, un genre de coitus interruptus vous faxant directement à cette bonne vieille réalité édentée... Vous captez alors que le BIG CHEAT qui vous rend tout puissant fait perdre au jeu tout son envoûtement. Vous déprimez sévère. Vous avez fui la réalité en optant pour le virtuel, mais en choisissant de détourner la difficulté réelle du jeu, tiraillé par les contingences matérielles autour de vous et de votre console ou ordinateur - c’est à dire : la copine, l’estomac et la banque - vous tombez sur un paradoxe pas piqué des hannetons. Le pouvoir absolu est réel - il s’agit d’un code que vous trouvez par exemple en pianotant sur le 36 15 TIPS - mais il détruit le plaisir de gagner et vous êtes en sevrage d’adrénaline. Si ce pouvoir virtuel vous a rendu intouchable et s’est avéré jouissif, enivrant pendant les dix premières minutes, il vous a ensuite baigné d’une aura de solitude glacée. Les monstres ne vous sautaient plus dessus : vous vous seriez crû au vernissage d’une star d’art contemporain à l’ARC ; vous n’existiez plus. Plus de challenge, plus de reconnaissance dans le combat. A quoi bon ? Le vide. Imaginez des militants dans une société parfaite... Via ces nouveaux média, vous vous retrouvez par procuration dans la tête d’un homme de pouvoir, dans celle d’un Michael Jackson, véritable prisonnier de son pouvoir médiatique -même l’air lui en veut - ou dans celle d’un Howard Hughes - rappelez-vous cet archi-milliardaire adepte des bombes insecticides en huis-clos -ou plus proche de nous, dans celle du président Clinton qui ne peut même plus se permettre une petite gâterie sans déclarer la guerre en Irak pour faire diversion. Quel destin l'humanité aurait-elle connu si Hitler avait reçu pour ses 15 ans le jeu "Age of Empires" ? L'Emperruqué prédisait que quinze minutes de gloire médiatique constitueraient l’aboutissement existentiel de chaque homme et de chaque femme ordinaire. Par extrapolation, les médias numériques au sein de mondes et sociétés virtuels ne starifient-ils pas les joueurs en leur procurant les pleins pouvoirs dans ces environnements potentiels ? Les pratiques quasi-démiurgiques n’incarnent-elles pas la réalisation de la prophétie du dernier artiste visionnaire de cette fin de siècle ? Le joueur accède au panthéon fictif des dictateurs, des stars, des politiques et des dieux. L’expérience ludique, innocente à première vue d’un jeu vidéo, donne accès à un espace guerrier virtuel, permettant la prise d’un pouvoir réel sur un monde en puissance. Voici une allégorie possible d’une extension du domaine de la lutte recanalisée vers du vide, désamorçant ainsi, le désir de changer le monde réel. Si vous avez une seule vie Alors si les temples réels de la hype, du show-bizz ou de la jet-set vous sont fermés, si votre salaire ne dépasse pas le prix d’un PC en solde, si vous avez une seule vie et que les rides apparaissent plus tôt que prévu et que ça vous déprime, alors emprunter à votre petit cousin une console - il en a deux ou trois - jouez, laissez-vous prendre par la fièvre du jeu - si vous êtes un joueur né, attention à la copine, à l’appart, à l’alimentation ! - vous allez vous engouffrer dans des dimensions enivrantes de guerre, de pouvoir, de faux-semblants. Passez un cap, n’étant pas entièrement abruti ou rentier pour passer 6 mois sur un jeu, vous retournerez dans le monde des humains, car quel est le plus kiffant des jeux de rôles que notre société même ? et pour en finir avec ce p... de jeu, vous allez opter pour la facilité - c’est humain - vous allez taper le big cheat, l’expérimenter, et finalement comprendre qu’avoir le pouvoir absolu, en fin de compte, c’est d’un ennui mortel. Serge Balasky a.k.a Thierry Théolier avril 1999 - article écrit entre deux parties de Turok 2, seeds of evil (big cheat : bewareoblivionisathand)