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Intralipides et toxicité des anesthésiques locaux. Le
Le Praticien en anesthésie réanimation (2015) 19, 282—288 Disponible en ligne sur ScienceDirect www.sciencedirect.com MISE AU POINT Intralipides et toxicité des anesthésiques locaux. Le remède universel ? (podcast) Lipid emulsions and local anesthetic’s toxicity: Does one size fit all? Paul J. Zetlaoui Département d’anesthésie-réanimation, hôpital de Bicêtre, CHU de Kremlin-Bicêtre, 78, rue du Général-Leclerc, 94270, Le Kremlin-Bicêtre, France MOTS CLÉS Anesthésique local ; Bupivacaïne ; Ropivacaïne ; Mépivacaïne ; Toxicité des anesthésiques locaux ; Émulsion lipidique KEYWORDS Local anesthetics; Bupivacaine; Ropivacaine; Mepivacaine; Local anesthetic toxicity; Lipid emulsion Résumé L’administration d’une émulsion lipidique s’est imposée comme une partie intégrante du traitement des intoxications par les anesthésiques locaux. Le mécanisme d’action est plus complexe que la simple captation des anesthésiques locaux par les lipides. La perfusion de lipides modifie la redistribution des anesthésiques locaux, antagonise leurs effets vasomoteurs et améliore notamment la contractilité cardiaque. Même si quelques échecs ont été rapportés, leur indication reste justifiée dans les intoxications aux anesthésiques locaux en parallèle avec d’autres mesures de réanimation cardiovasculaire. © 2015 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Summary Lipid emulsion administration is an integral part of the treatment of local anesthetics intoxication. The mechanism of action is probably not restricted to local anesthetics removal. It includes impairment in the redistribution phase of local anesthetics kinetics, antagonization of their vascular effects, and improvement in myocardial contractility. Although failures of lipid solution to reverse local anesthetics toxicity have been reported, they remain part of therapeutic protocol after cardiac arrest combined with resuscitation maneuvers and epinephrine administration. © 2015 Elsevier Masson SAS. All rights reserved. Adresse e-mail : [email protected] http://dx.doi.org/10.1016/j.pratan.2015.07.012 1279-7960/© 2015 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Intralipides et toxicité des anesthésiques locaux. Le remède universel ? (podcast) 283 La version audio de cet article est disponible en podcast (Annexe 1 en fin d’article). Introduction C’est un peu par hasard, en étudiant les phénomènes d’apoptose, que Weinberg et al. ont en 1998 découvert l’intérêt des émulsions lipidiques (EmLip) dans le traitement des intoxications aiguës par les anesthésiques locaux [1]. Depuis lors, plus de 200 publications ont été consacrées à ce sujet et d’autres indications de l’administration des émulsions lipidiques ont été proposées dans les intoxications médicamenteuses. En effet, le mécanisme d’action des émulsions lipidiques initialement évoqué, le piège ou siphon lipidique, a permis d’élargir les indications à d’autres molécules lipophiles que les anesthésiques locaux, comme certains inhibiteurs calciques et les antidépresseurs tricycliques. Par la suite, une meilleure connaissance du mécanisme d’action des EmLip a permis d’étendre leurs indications dans des intoxications par des substances hydrosolubles non lipophiles, comme les bêtabloquants ou le lamotrigène. Cette efficacité repose la question du mécanisme d’action des EmLip dans les intoxications par les anesthésiques locaux, qui ne peut reposer sur le seul effet de captation des substances liposolubles. L’efficacité des EmLip face à de nombreux xénobiotiques toxiques en faitelle, par ailleurs, un remède universel dans le traitement des intoxications aiguës ? Mécanisme d’action Figure 1. Effet de l’Intralipide® sur la dose létale de bupivacaïne chez le rat. La dose létale de bupivacaïne augmente de façon linéaire en fonction de la dose d’Intralipide® administrée en prétraitement. Redessiné d’après Weinberg et al. [1]. cœur isolé de rat, la perfusion d’une EmLip permet de récupérer rapidement une contraction cardiaque efficace. Les études de Mazoit et al. confirment une relation entre la liposolubilité de l’anesthésique local et sa fixation à une EmLip. Ainsi, la fixation de la bupivacaïne à de l’Intralipide® est plus importante que celle de la ropivacaïne, moins liposoluble (Fig. 2) [5]. Cette hypothèse logique est remise en question par plusieurs études humaines et expérimentales récentes. Dans une première étude, les volontaires recevaient une injection de 0,5 mg/Kg de bupivacaïne suivie d’une administration en bolus de 1,5 mL/kg d’Intralipide® 20 % (IL 20 %) suivie L’efficacité des EmLip dans le traitement des intoxications aiguës repose sur des mécanismes probablement plus complexes qu’initialement envisagés, et des sites d’action multiples. Plusieurs mécanismes sont évoqués ; ils sont très probablement associés. Le piège ou siphon lipidique Expérimentalement, Weinberg et al. avaient montré chez le rat que la dose létale de bupivacaïne augmentait de façon proportionnelle à la dose d’Intralipide® pré-administrée [1] (Fig. 1). Le mécanisme qui paraissait le plus vraisemblable, le piège ou siphon lipidique, suppose une captation de l’anesthésique local par les gouttelettes lipidiques, puis son siphonage vers des sites de dégradation ou de stockage. Cette notion de piège lipidique était la plus communément admise. Ainsi, depuis longtemps, il avait montré que l’administration d’une EmLip réduisait la durée d’une anesthésie au thiopental [2]. Par ailleurs, le mélange de propofol et de lidocaïne entraîne une micellisation de l’AL, qui est alors piégé dans des gouttelettes de lipide. Il devient alors facile d’imaginer un phénomène de piégeage de l’AL par l’EmLip [3]. Expérimentalement, les EmLip permettent une disparition rapide de la bupivacaïne du tissu cardiaque et une reprise d’activité plus rapide que ne le fait le placebo [4]. Il s’agit d’un phénomène passif, simple, qui correspond bien à la cinétique d’action observée. En effet, lors d’études sur le Figure 2. Capacité de fixation de deux anesthésiques locaux par deux émulsions lipidiques différentes. Dans les conditions expérimentales, la fixation de la bupivacaïne par l’Intralipide® 20 % est plus rapide et plus intense à celle avec le Médialipide® 20 %. De même, la fixation de la bupivacaïne aux deux émulsions lipidiques est plus rapide et plus intense que celle de la ropivacaïne (moins liposoluble). Redessiné d’après Mazoit et al. [5]. 284 P.J. Zetlaoui d’une perfusion de 0,25 mL/kg/min pendant 30 minutes. La concentration plasmatique de bupivacaïne ne baissait que trop légèrement pour satisfaire aux modèles mathématiques du piège lipidique [6]. Mais, les concentrations plasmatiques obtenues avant la perfusion d’IL 20 % étaient faibles et les mécanismes de protection n’étaient probablement pas encore saturés. Kuo et Akpa, en 2013, confirment sur des modèles mathématiques que le mécanisme de piège lipidique existe mais qu’il est insuffisant pour expliquer la cinétique des effets observés, puisque la baisse des concentrations tissulaires après administration d’une EmLip est trop lente pour s’expliquer par ce mécanisme [7]. En effet, la baisse des concentrations dans le tissu cardiaque n’est que de 11 % en 3 min et de 18 % en 15 min dans le tissu cérébral, alors que les modèles mathématiques prévoient des baisses plus importantes. Dans deux autres études, les volontaires qui avaient appris à reconnaître les signes prodromiques d’une intoxication aux anesthésiques locaux, recevaient une perfusion continue de ropivacaïne ou de lévobupivacaïne. Deux minutes après le début de la perfusion de l’anesthésique local, ils recevaient soit un bolus, soit de 120 mL d’IL 20 %, soit du sérum physiologique. Dès l’apparition de signes prodromiques, la perfusion d’anesthésique local était interrompue. Les doses nécessaires pour déclencher l’apparition de signes prodromiques n’étaient pas affectées par la présence d’IL 20 %. Les enregistrements de l’ECG et de l’EEG ne montraient aucune différence significative en fonction de la présence de l’IL 20 % et les dosages ne montraient pas de diminution significative des taux plasmatiques d’anesthésique local libre. Cependant, le volume de distribution des 2 anesthésiques locaux était augmenté, confirmant pour les auteurs l’existence d’un mécanisme de piège lipidique, mais la baisse des Cmax de 25 à 30 % était considérée comme insuffisante pour prévenir la toxicité des anesthésiques locaux. Cependant, les auteurs n’écartaient pas formellement que cette baisse de la Cmax puisse avoir un effet clinique dans le contexte d’une intoxication aiguë grave [8,9]. L’action métabolique et cytoprotecteur Les lipides sont des substrats énergétiques essentiels pour le cardiomyocyte. La bupivacaïne à dose toxique, comme probablement tous les anesthésiques locaux, interfèrent avec le métabolisme énergétique cellulaire et diminue ainsi la synthèse d’ATP mitochondrial. En situation d’agression comme dans les phénomènes d’ischémie-reperfusion, le cardiomyocyte est capable d’utiliser les lipides comme substrat énergétique par la voie de la béta-oxydation, ce qui permet, par la persistance de la synthèse d’ATP, de maintenir une activité mécanique [10]. Ceci n’est possible que par l’inhibition de l’ouverture du pore mitochondrial de transition de perméabilité (PTP) qui prévient les mécanismes d’apoptose et limite la taille de la zone de nécrose. Cette action passe par l’activation des kinases du groupe AKT impliquées dans l’inhibition de l’apoptose [11]. Les triglycérides et particulièrement ceux à chaîne longue comme l’IL 20 %, améliorent la récupération myocardique dans les protocoles expérimentaux d’ischémie-reperfusion [12]. Cet effet n’est retrouvé que si l’EmLip n’est pas administrée avant le phénomène ischémique, mais durant la phase de reperfusion. Cette constatation conduit à se poser la question de l’efficacité et de l’opportunité de l’administration préventive d’une EmLip. La perfusion d’une EmLip dans les situations d’agression entraîne une augmentation de la synthèse d’acides -cétoniques qui stimulent la sécrétion d’insuline. Une sécrétion accrue d’insuline s’opposerait à la résistance à l’insuline (ou l’hypo-insulinémie) fréquemment rencontrée dans ces états d’agression cellulaire. L’apport énergétique aux cellules s’en trouve amélioré, permettant au myocarde de conserver ou de restaurer son activité mécanique. Les acides gras interfèrent avec l’action des anesthésiques locaux sur le canal sodique. Expérimentalement, les EmLip diminuent l’intensité du bloc tonique et phasique induit par la bupivacaïne, par un effet direct sur le canal sodique. Cet effet pourrait jouer un rôle dans l’efficacité des EmLip dans les intoxications par les stabilisants de membranes [13]. De même, les acides gras à chaîne longue peuvent activer les canaux calciques de façon rapide (moins de 2 minutes) et importante (multiplication par 7 du courant calcique transmembranaire). Cette action est retrouvée avec les acides oléique et linoléique, principaux constituants de l’Intralipide® . Cette action au niveau des canaux calciques participerait à l’effet bénéfique des EmLip dans les intoxications par les cardiotoxiques et pourrait expliquer la rapidité de leur action [14,15]. Action hémodynamique et vasculaire Cette action cytoprotectrice et métabolique permet de maintenir une activité hémodynamique cardiaque. Ceci avait déjà été évoqué par Stehr et al. qui avaient montré une action inotrope positive de l’apport d’une EmLip sur une préparation de cœur isolé de rat intoxiqué par la L-bupivacaïne [16]. Fettiplace et al. avaient également rapporté que la perfusion intraveineuse rapide d’une EmLip à 20 %, en l’absence d’AL, chez le rat intact ou dans un modèle de cœur isolé, avait un effet inotrope positif significatif [17]. Récemment, il a été montré dans un protocole animal avec enregistrement échocardiographique permanent, que l’intoxication par la bupivacaïne entraînait une baisse de la fraction d’éjection du VG et que la perfusion d’IL® permettait de restaurer l’activité mécanique du cœur, évaluée sur la récupération de la fraction d’éjection du ventricule gauche mesurée par échocardiographie [10]. Les anesthésiques locaux ont une action biphasique sur les vaisseaux, vasoconstriction à faible dose et vasodilatation à dose élevée. Expérimentalement, les EmLip inhibent la vasodilatation induite par les doses élevées d’anesthésiques locaux. L’importance de l’effet est proportionnelle à la liposolubilité de l’anesthésique local, l’inhibition est plus importante pour la bupivacaïne, que pour la ropivacaïne ou la mépivacaïne. Le mécanisme d’action est double, d’une part, une atténuation de l’effet inhibiteur des anesthésiques locaux sur les canaux calciquesL, et d’autre part, une inhibition de la libération de NO endothéliale induite par les anesthésiques locaux [18]. Cet effet pourrait participer à l’amélioration de l’altération Intralipides et toxicité des anesthésiques locaux. Le remède universel ? (podcast) hémodynamique liée à certaines intoxications à tropisme cardiovasculaire. Action pharmacocinétique Litonius et al. ont montré dans une étude humaine expérimentale que la concentration totale de bupivacaïne diminuait après une perfusion d’IL® , mais que le rapport des concentrations de bupivacaïne libre ou lié aux protéines n’était pas modifié. Ces résultats suggèrent que l’IL® permet une redistribution de la bupivacaïne vers des sites de réserve, plutôt qu’une captation de la fraction libre dans des gouttelettes lipidiques. La perfusion d’une EmLip entraînait une réduction de la demi-vie contextuelle plasmatique de la bupivacaïne de 45 à 25 min [6]. Ceci est aussi évoqué par l’étude de Dureau et al., qui rapporte une augmentation du volume de distribution des AL en présence d’une EmLip [8]. Cette redistribution vers des sites de réserve pourrait justifier deux éléments thérapeutiques que sont le maintien d’une perfusion continue et la surveillance prolongée des patients après le traitement de l’épisode critique. Dans l’état actuel des connaissances des mécanismes d’action des EmLip dans les intoxications aiguës à tropisme cardiaque, il apparaît que le mécanisme de piège lipidique joue un rôle modéré et que de nombreux autres mécanismes sont impliqués. Ce qui pourrait apparaître comme décevant est in fine une réponse très intéressante, car il faut alors envisager que les EmLip puissent être efficaces dans d’autres intoxications que celles aux anesthésiques locaux. Quelle émulsion lipidique ? La liposolubilité des anesthésiques locaux est variable ; elle est définie par le coefficient de partition octanol/eau, exprimé par Log P (plus l’anesthésique local est liposoluble, plus la valeur est positive, et inversement ; si Log P est > 2, le composé est considéré comme liposoluble) ; ainsi le Log P de la bupivacaïne, le plus liposoluble, est de 3,9 et celle de la mépivacaïne non liposoluble est de 1,95 [19]. L’utilisation de quatre émulsions lipidiques différentes est rapportée dans la littérature, l’Intralipide® 20 %, le Médialipide® 20 %, le Liposyn III® et Lipofundin® (les deux dernières ne sont pas disponibles en France) [20]. Une cinquième préparation commerciale disponible en France, le ClinOléic® 20 %, est comparable à l’Intralipide® 20 %, dans les protocoles expérimentaux [21]. Fondamentalement, les émulsions lipidiques disponibles se différencient, par le rapport entre acides gras à chaîne longues (Intralipide® ) ou mélange de chaîne longue et de chaîne moyenne (Médialipide® ). Expérimentalement, les EmLip à chaîne longue ont une capacité de fixation des xénobiotiques liposolubles plus importante que les EmLip associant chaîne longue et chaîne moyenne [5,22]. Cependant, dans des conditions expérimentales différentes, particulièrement en présence de sérum humain, les EmLip contenant un mélange de chaîne longue et de chaîne moyenne, sont plus efficaces pour fixer les anesthésiques locaux [23]. Ces résultats remettent en cause la supériorité théorique des EmLip à chaîne longue et la recommandation de les utiliser prioritairement dans les protocoles de réanimation des accidents toxiques. Expérimentalement, l’IL 20 % 285 antagonise 2,5 à 3 fois plus d’AL que le Médialipide® 20 % [5] ; à partir de ces résultats, il est proposé d’administrer au moins 3 fois plus de Médialipide® 20 % que d’IL 20 %. Ludot et al. rapportent ainsi avoir traité efficacement une intoxication chez un enfant avec une injection unique de 3 mL/kg de Médialipide® 20 %, ce qui correspond à 3 fois les doses recommandées d’Intralipide® [24]. Indications des émulsions lipidiques dans les intoxications aiguës Intoxication par les anesthésiques locaux Après la première publication de Weinberg et al., il a fallu attendre 8 ans pour que Rosenblatt et al. rapportent le premier cas de traitement efficace d’une intoxication présumée par de la bupivacaïne [25]. Par la suite, de nombreux autres cas cliniques ont rapporté l’efficacité des EmLip dans des intoxications aiguës par des anesthésiques locaux avec signes d’atteinte cardiaque. [26]. Ludot et al. ont rapporté la même année l’efficacité des EmLip chez l’enfant [24]. Tous les anesthésiques locaux, bupivacaïne, lévobupivacaïne, ropivacaïne, mépivacaïne et même la lidocaïne, feront l’objet de rapport de l’efficacité des EmLip dans le traitement d’intoxications aiguës [27,28]. En ce qui concerne la mépivacaïne, bien qu’un cas clinique rapporte la prévention d’une intoxication latente [29], elle semble se comporter différemment des autres anesthésiques locaux. Zausig et al., dans un protocole expérimental de cœur isolé, ont montré qu’une EmLip ne permettait pas de récupérer une activité cardiaque après un arrêt induit par la mépivacaïne ou la ropivacaïne alors que la bupivacaïne était efficacement antagonisée [30]. De même, Aumeier et al. ont montré qu’un prétraitement par une émulsion lipidique permettait d’atténuer les effets d’une intoxication à la bupivacaïne dans une préparation de cœur isolé, alors qu’il était sans effet dans le cas d’une intoxication à la mépivacaïne. Ces différences peuvent s’expliquer par la faible liposolubilité de la mépivacaïne (Log P = 1,95) [31] et confirme le concept que moins un xénobiotique est liposoluble, moins il sera capté par la solution lipidique. Intoxications par les agents lipophiles L’efficacité des EmLip a été rapportée dans le traitement d’intoxications graves par l’olanzapine (chez un enfant de 4 ans), par l’amitriptylline, le métoprolol, la quétiapine et la sertraline [15]. Tous ont une toxicité cardiovasculaire potentiellement létale lors d’intoxication massive. Une dizaine de cas de ces intoxications ont été traitées par des perfusions intraveineuses d’une EmLip [32]. L’efficacité des EmLip a aussi été évoquée dans les intoxications graves à la cocaïne ouvrant de nouvelles perspectives pour le traitement des troubles du rythme cardiaque réfractaires dans ce contexte [33,34]. Intoxications par les agents non lipophiles Dans quelques publications, les EmLip se sont montrées efficaces dans le traitement d’intoxications aiguës par des agents non lipophiles (Log P < 2), qui ne sont donc pas 286 théoriquement éliminés par le piège lipidique. La revue de la littérature de Cao et al. rapporte plusieurs de ces cas d’intoxication par des bêtabloquants (métoprolol, aténolol, bisoprolol, labétalol) mais aussi par la clonidine, le baclofène [19]. Ces données ouvrent de nouvelles perspectives dans le traitement de ces intoxications graves ; elles confortent les hypothèses qui considèrent que le phénomène de piège lipidique n’est pas le mécanisme le plus important. Propositions thérapeutiques pour les intoxications par les anesthésiques locaux La question de savoir s’il est utile ou nécessaire d’administrer une EmLip dès les signes prodromiques d’une intoxication aiguë par les anesthésiques locaux est parfois soulevée. Deux publications au moins suggèrent qu’une administration avant l’apparition de signes majeurs de toxicité aurait empêché une intoxication grave [25,35] mais il n’existe pas de consensus sur cette question. Dans le cadre des intoxications par les anesthésiques locaux, au moins 3 protocoles thérapeutiques ont été publiés par la SFAR, par l’ASRA et par l’AACBI. Tous insistent sur le fait que les EmLip P.J. Zetlaoui ne sont qu’un des éléments du traitement des intoxications aiguës par les anesthésiques locaux et que les manœuvres habituelles de réanimation doivent être respectées, avec cependant quelques particularités : • les doses d’adrénaline doivent être réduites et l’administration doit se faire par titration en bolus successifs de 100 g. Il est en effet important de ne pas provoquer de tachycardie excessive, car le bloc induit par les anesthésiques locaux est dépendant de la fréquence cardiaque (phénomène de use-dependance) ; • de même, afin de ne pas induire de tachycardie néfaste, l’atropine, (dont la seule indication est l’hypertonie vagale qui est exceptionnelle dans ce contexte) ne sera utilisée qu’avec une grande prudence ; • l’amiodarone est contre-indiquée, car elle aggraverait le blocage des canaux sodiques. Classiquement, les EmLip à chaîne longue (Intralipide® 20 %) sont préférées aux émulsions mélangeant chaîne longue et chaîne moyenne (Médialipid® 20 %). L’étude de Ruan et al. [23] tempère un peu cette recommandation : on ne peut plus affirmer une supériorité de l’Intralipide® par rapport au Médialipide® . Tableau 1 Protocole proposé par la SFAR, en ce qui concerne la conduite à tenir en cas de survenue de troubles neurologiques subjectifs ou d’un trouble du rythme, un trouble ventriculaire ou un arrêt cardiaque par toxicité des anesthésiques locaux [37]. Actions immédiates Appel à l’aide Arrêt immédiat de l’injection des anesthésiques locaux si le trouble de conduction ou du rythme survient en cours d’injection Vérifier la présence d’un pouls carotidien Réanimation Débuter sans tarder la réanimation cardiorespiratoire Maintien de la perméabilité des voies aériennes Ventilation en O2 pur Intubation trachéale dès que possible, si nécessaire En cas d’arrêt cardiaque/de convulsions généralisées Débuter le massage cardiaque externe Utilisation de vasoconstricteurs pour assurer une pression de perfusion d’organes Ne pas administrer de doses importantes d’adrénaline (risque de renforcer le bloc induit par l’anesthésique local) Ne pas administrer d’amiodarone (effet additif avec celui des anesthésiques locaux) Cardioversion en cas de fibrillation ventriculaire Administration d’une émulsion lipidique à 20 % La solution la plus utilisée dans les cas cliniques rapportés est l’intralipide® 20 %. Le Médialipide® 20 % a également été rapporté efficace Dose initiale : Intralipide® 20 % : 3 mL/kg en bolus Médialipide® 20 % 6 à 9 mL/kg en bolus Doses d’entretien : une perfusion continue d’entretien n’est pas indispensable ; dans quelques cas cliniques, le reste de la poche d’émulsion lipidique peut être perfusé Surveillance du patient Une surveillance du rythme cardiaque et de l’hémodynamique du patient est impérative (risque de récidive du trouble du rythme cardiaque important) La durée de surveillance dépend de l’anesthésique local responsable de la toxicité, un minimum de 6 heures de surveillance rythmique est recommandé Il est fortement recommandé de disposer d’au moins une poche de 500 mL d’une émulsion lipidique dans le bloc opératoire où sont pratiquées des techniques d’anesthésie locorégionale Intralipides et toxicité des anesthésiques locaux. Le remède universel ? (podcast) La nécessité d’une perfusion continue plus ou moins prolongée diffère selon les recommandations entre le protocole de l’ASRA et de l’AAGBI et celui de la SFAR qui ne la considère « pas comme indispensable ». Au moins un cas de récidive a été publié après intoxication à la bupivacaïne [36] ; il constitue pour certains un argument qui justifierait une perfusion prolongée sur quelques heures et une surveillance prolongée de 12 h ou plus. Il est peut-être nécessaire de considérer différemment les anesthésiques locaux, la bupivacaïne très liposoluble et de longue durée d’action pouvant justifier d’une perfusion et d’une surveillance prolongée, alors que la mépivacaïne, non liposoluble et de durée d’action moyenne, ne les justifiant probablement pas. Le Tableau 1 rappelle le protocole de la SFAR [37]. Controverses Situations cliniques La revue de la littérature de Cao et al., écrite en 2014, concerne une série de 94 publications : au total, 172 succès et 24 échecs ont été observés tous xénobiotiques confondus [19]. Il n’est rapporté aucun échec avec la bupivacaïne sur 21 cas publiés, mais 2 échecs sur 11 cas (9 succès) avec la ropivacaïne et 1 échec sur 10 cas (9 succès) avec la lidocaïne. Dans un cas où un mélange lidocaïne + ropivacaïne avait été administré, l’administration d’Intralipide® a été sans effet sur les manifestations neurologiques observées chez une patiente traitée par cabamazépine. La carbamazépine et les anesthésiques locaux agissent au même niveau sur les canaux sodiques, et il est probable que les toxicités soient additives, expliquant cet échec [38]. Cependant, Uncles et al. remettent en question les cas où l’administration d’EmLip n’a pas été couronnée de succès, en se demandant si les bonnes posologies ont été utilisées. En effet, dans ces cas, les doses injectées étaient inférieures à celles proposées dans le protocole « Lipid Rescue » [39]. Cependant, il faut se rappeler que ces protocoles sont empiriques et que les protocoles préconisés par la SFAR [37], par l’ASRA [40] ou la AAGNI (Angleterre et Irlande) [41] ne diffèrent que légèrement. Situations expérimentales Les études faites chez le porc ont été critiquées car la perfusion de lipides entraîne une augmentation importante de la pression artérielle pulmonaire et une baisse de la pression artérielle systémique et de la fréquence cardiaque chez cet animal [42]. Ces effets hémodynamiques sont secondaires à une augmentation importante des taux plasmatiques du thromboxane B2 et ne sont pas retrouvés chez l’homme. Ainsi, certains considèrent avec circonspection les études effectuées chez le porc bien qu’elles confirment le caractère complexe du mécanisme d’action des EmLip [43]. Complications des émulsions lipidiques La majorité des protocoles proposent de ne pas dépasser la dose totale de 100 ou 120 mL/kg (840 mL pour un patient de 70 kg) durant les 30 premières minutes. En effet, les doses massives d’EmLip pourraient entraîner des 287 complications iatrogènes [44]. Dans une série de 9 patients traités, 4 patients ont présenté une hyperlipémie, 3 un ARDS et 2 une pancréatite [44]. Tous ont eu une issue favorable, sauf un, qui avait reçu une EmLip pour traiter une intoxication mixte par métoprolol et diltiazem. L’imputation des EmLip dans la survenue des 3 cas d’ARDS a été cependant très controversée. Conclusion Les EmLip ne représentent pas le traitement universel des intoxications par les anesthésiques locaux, ou par d’autres agents liposolubles ou non. Cependant, elles constituent un traitement efficace de certaines intoxications graves à travers un mécanisme complexe et multifocal qui implique la conservation ou la restauration du métabolisme énergétique cellulaire en situation d’agression. Les EmLip interfèrent avec les mécanismes de l’apoptose cellulaire et ont permis une meilleure compréhension des mécanismes mis en jeu dans les atteintes cardiovasculaires toxiques graves. Les Empli atténuent les effets délétères des agressions d’ischémie-reperfusion et auront peut-être un rôle à jouer dans le traitement des hypertensions artérielles pulmonaires associées à des dysfonctions ventriculaires droites [45]. En cela, elles ouvrent le chemin de la recherche d’un traitement universel des agressions cardiovasculaires graves. Annexe 1. Matériel complémentaire La version audio de cet article au format mp3 est disponible en ligne sur www.sciencedirect.com, ainsi que sur www.em-consulte.com/revue/PRATAN. Déclaration d’intérêts L’auteur déclare ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article. Références [1] Weinberg GL, VadeBoncouer T, Ramaraju GA, Garcia-Amaro MF, Cwik MJ. Pretreatment or resuscitation with a lipid infusion shifts the dose-response to bupivacaine-induced asystole in rats. Anesthesiology 1998;88:1071—5. [2] Russell RL, Westfall BA. Alleviation of barbiturate depression. Anesth Analg 1962;41:582—5. [3] Masaki Y, Tanaka M, Nishikawa T. Physicochemical compatibility of propofol-lidocaine mixture. Anesth Analg 2003;97:1646—51. [4] Weinberg GL, Ripper R, Murphy P, Edelman LB, Hoffman W, Strichartz G, et al. Lipid infusion accelerates removal of bupivacaine and recovery from bupivacaine toxicity in the isolated rat heart. Reg Anesth Pain Med 2006;31:296—303. [5] Mazoit JX, Le Guen R, Beloeil H, Benhamou D. Binding of long-lasting local anesthetics to lipid emulsions. Anesthesiology 2009;110:380—6. [6] Litonius E, Tarkkila P, Neuvonen PJ, Rosenberg PH. 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