Monde 3 en 1 du jeudi 28 janvier 2016
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Monde 3 en 1 du jeudi 28 janvier 2016
UNIVERSITÉS & GRANDES ÉCOLES SUPPLÉMENT Jeudi 28 janvier 2016 72e année No 22094 2,40 € France métropolitaine www.lemonde.fr ― Fondateur : Hubert BeuveMéry Directeur : Jérôme Fenoglio TAUBIRA CLAQUE LA PORTE ▶ Christiane Taubira a démissionné du gouver nement après s’être oppo sée, sans succès, à la déchéance de nationalité ▶ Le président de la commission des lois, JeanJacques Urvoas, proche de Manuel Valls, la remplace au ministère de la justice FINKIELKRAUT DANS UN FAUTEUIL ▶ Le philosophe tourmenté entre jeudi à l’Académie française ▶ L’auteur du « Juif imaginaire » doit prononcer l’éloge de l’ancien collaborateur Félicien Marceau → LIR E PAGE S 1 4 - 1 5 BIENVENUE EN EUROPE, M. ROHANI ! → LI R E P A G E 23 POLÉMIQUE ▶ Son départ creuse la fracture au sein de la gauche sur les moyens de la lutte antiterroriste BARAKACITY, DE L’ASSOCIATION HUMANITAIRE À L’ISLAM RIGORISTE → LIR E → LIR E PAGE 8 PAGE 1 1 POLITIQUE LA DROITE S’EMPARE DE LA « JUNGLE » DE CALAIS Christiane Taubira, à la sortie de l’Elysée, en juin 2015. LOÏC VENANCEI/AFP → LIR E LAURENT GBAGBO JUGÉ POUR CRIMES CONTRE L’HUMANITÉ L aurent Gbagbo sera le premier exchef d’Etat à comparaître devant la Cour pénale internatio nale (CPI). Jeudi 28 janvier, l’ancien président de la Côte d’Ivoire et son éphémère ministre de la jeunesse Charles Blé Goudé y répondront de crimes contre l’humanité. Selon l’ONU, les violences qui ont enflammé le pays après la présidentielle de novem bre 2010 ont fait plus de 3 000 morts en cinq mois. Le procès qui s’ouvre et durera plusieurs années reviendra sur cette période noire, entre le 27 no vembre 2010 et le 12 avril 2011, quand les forces ar mées ivoiriennes, appuyées par des milices et des mercenaires, auraient ciblé les partisans d’Alassane Ouattara, déclaré vainqueur d’un scrutin contesté. Gbagbo aurait activé les forces armées, Blé Goudé mobilisé la jeunesse. Faute de mandats d’arrêt contre les partisans de Ouattara, la CPI est accusée de conduire une justice de vainqueurs. Il est vrai que la Cour a encore besoin de la coopération de la Côte d’Ivoire pour faire venir ses témoins contre Gbagbo. LE REGARD DE PLANTU → LIR E !# !" Théâtre de l’Europe PAGE S 2 - 3 jusqu’au 25 mars 2016 Berthier 17e Un deuxième médiateur au chevet des taxis TARTUFFE MolIère luc Bondy SOCIAL Deux mondes qui s’affrontent, les anciens contre les modernes. Les taxis contre Uber, les hôte liers contre Airbnb. Mercredi ma tin, la mobilisation des taxis con tre les VTC se poursuivait à Paris, malgré la nomination par le gou vernement d’un médiateur. Il y a quelques jours, les députés adop taient un amendement émanant du lobby hôtelier : les sites de lo cation entre particuliers de vraient désormais vérifier que les offres de logement émanent bien de propriétaires ou de loca taires autorisés par leur bailleur. → C A HIE R THeATre-odeon.eu 01 44 85 40 40 christiane cohendy Victoire du Bois Audrey Fleurot laurent Grévill nathalie Kousnetzoff Samuel labarthe yannik landrein Micha lescot Sylvain levitte yasmine nadii chantal neuwirth Fred ulysse Pierre yvon @Theatreodeon #Tartuffe É CO PAGE 3 Algérie 200 DA, Allemagne 2,80 €, Andorre 2,60 €, Autriche 3,00 €, Belgique 2,40 €, Cameroun 2 000 F CFA, Canada 4,75 $, Côte d'Ivoire 2 000 F CFA, Danemark 32 KRD, Espagne 2,70 €, Espagne Canaries 2,90 €, Gabon 2 000 F CFA, Grande-Bretagne 2,00 £, Grèce 2,80 €, Guadeloupe-Martinique 2,60 €, Guyane 3,00 €, Hongrie 990 HUF, Irlande 2,70 €, Italie 2,70 €, Liban 6 500 LBP, Luxembourg 2,40 €, Malte 2,70 €, Maroc 15 DH, Pays-Bas 2,80 €, Portugal cont. 2,70 €, La Réunion 2,60 €, Sénégal 2 000 F CFA, Slovénie 2,70 €, Saint-Martin 3,00 €, Suisse 3,60 CHF, TOM Avion 480 XPF, Tunisie 2,80 DT, Turquie 11,50 TL, Afrique CFA autres 2 000 F CFA © Thierry Depagne / Licence d’entrepreneur de spectacles 1064582 CÔTE D’IVOIRE PAGE 1 0 2 | international 0123 JEUDI 28 JANVIER 2016 G B A G B O D E VA N T L A J U S T I C E I N T E R N AT I O N A L E Laurent Gbagbo, un procès crucial pour la CPI L’ancien président ivoirien et son ex-ministre de la jeunesse, Charles Blé Goudé, sont accusés de crimes contre l’humanité par la Cour pénale internationale. L’audience s’ouvre jeudi 28 janvier à La Haye L’ la haye - correspondance un fut président de la Côte d’Ivoire et l’autre rêve d’entrer à son tour dans l’Histoire. Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé s’assiéront côte à côte, jeudi 28 janvier, dans le box des accusés de la Cour pénale internationale (CPI). L’ex-chef d’Etat ivoirien et son éphémère ministre de la jeunesse y répondront de crimes contre l’humanité commis lors des violences qui ont enflammé la Côte d’Ivoire après la présidentielle de novembre 2010, faisant, selon l’ONU, plus de 3 000 morts en cinq mois. Selon l’accusation, les deux hommes auraient planifié, organisé et coordonné « un plan commun » pour permettre à Laurent Gbagbo de conserver le pouvoir « par tous les moyens, y compris en commettant des crimes ». Entre le 27 novembre 2010 et le 12 avril 2011, les forces armées ivoiriennes, appuyées par des milices et des mercenaires, auraient ciblé les partisans d’Alassane Ouattara, déclaré vainqueur d’une élection controversée, attaquant, tuant, blessant, violant et persécutant des centaines de civils. Laurent Gbagbo aurait activé les forces armées dans cet objectif. Quant au « général de la rue », doté d’un indéniable charisme dont il use jusque dans le box des accusés, il aurait mobilisé la jeunesse, ciblé l’ennemi, lancé les mots d’ordre. Contre les deux accusés, le substitut du procureur, Eric MacDonald, entend appeler plus de cent témoins à la barre. Ils dépose- ront notamment sur les cinq faits retenus par l’accusation : la répression d’une marche vers la Radio-Télévision ivoirienne, d’une manifestation dans le quartier populaire d’Abobo, puis son bombardement, et des tueries commises à Yopougon. Plusieurs témoins déposeront sous pseudonyme. Pour les juges, « la société ivoirienne est encore polarisée », et Laurent Gbagbo compte « beaucoup de partisans », ce qui, estiment-ils, pourrait « augmenter les risques sur les témoins ». COOPÉRATION SÉLECTIVE A La Haye, Charles Blé Goudé se présente en nouveau Mandela, « pas forcément pour le parcours », reprend, dans un semblant d’humilité, son avocat, Me Simplice Seri Zokou, mais parce qu’il se sent comme l’icône sudafricaine : diabolisé. L’ambitieux politicien, qui « aspire à jouer sa partition en Côte d’Ivoire », a constitué une équipe formée de camarades de lycée pour plaider sa cause hors du prétoire. Lors de sa première audition à La Haye, il avait dû assurer ses partisans de son soutien à Laurent Gbagbo. A 70 ans, l’ex-président laisse à ses avocats le soin de mener la bataille procédurale. Selon l’un des experts psychiatres de la Cour, il serait bien moins soucieux de l’issue du procès, que de « ce qu’il laissera comme trace dans l’Histoire de son pays ». Pour autant, Laurent Gbagbo n’appartient pas encore au passé. Il pèse encore en Côte d’Ivoire. Sur son parti, qui se déchire l’héritage, ou sur les candidats, qui cherchent l’adoubement du chef. Sur le pouvoir ivoirien, qui suit minutieuse- ment toutes les étapes de l’affaire, contrant régulièrement, par des courriers à la Cour, les allégations des deux accusés. Les avocats de la Côte d’Ivoire, les Français Jean-Pierre Mignard et Jean-Paul Benoît, ont même demandé à participer au procès, rappelant avoir eu « une coopération effective avec la Cour depuis l’ouverture de l’enquête par le procureur ». Une coopération sélective : poursuivie depuis février 2012, Simone Gbagbo n’a pas été livrée par le pouvoir ivoirien, qui assure vouloir désormais conduire devant ses propres tribunaux les procès sur les violences de 2010-2011. L’ex-première dame a déjà été condamnée dans une pre- SELON L’UN DES PSYCHIATRES DE LA COUR, M. GBAGBO SERAIT SURTOUT SOUCIEUX DE « CE QU’IL LAISSERA COMME TRACE DANS L’HISTOIRE DE SON PAYS » mière affaire à vingt ans de prison. Et le président Ouattara a affirmé, au printemps 2015, qu’aucun suspect ne serait désormais livré à la Cour. Les autorités ivoiriennes assurent qu’elles peuvent juger les acteurs de la crise devant leurs propres tribunaux. Une façon d’éviter d’avoir à livrer, à l’avenir, ceux qui se sont aussi illustrés aux côtés d’Alassane Ouattara et sur lesquels la procureure, Fatou Bensouda, assure toujours enquêter. Mais faute de mandats d’arrêt à ce jour contre les partisans du chef d’Etat, la CPI est accusée de conduire une justice de vainqueurs. « L’absence d’accusations contre les forces pro-Ouattara Une relation tumultueuse entre le président déchu et la France Dans le pays où est née la « Françafrique », l’ancienne puissance coloniale a joué un rôle déterminant dans la chute de Laurent Gbagbo E ntre Laurent Gbagbo et la France, ce fut une décennie d’incompréhension et de défiance. Le divorce s’est conclu par une guerre ouverte dans les rues d’Abidjan. L’ancien président ivoirien est attendu, jeudi 28 janvier, dans le box des accusés de la Cour pénale internationale (CPI) pour l’ouverture de son procès pour crimes contre l’humanité. Un sort auquel Paris n’est pas étranger. Le 11 avril 2011, Laurent Gbagbo n’a pas été extrait par l’armée française de la résidence présidentielle où il s’était retranché avec les siens, mais c’est tout comme. Ce sont les blindés et les hélicoptères français de l’opération « Licorne » qui ont ouvert la voie aux fantassins de l’ex-rébellion ayant rallié Alassane Ouattara, le vainqueur de l’élection présidentielle qui s’était tenue quatre mois plus tôt. Pour Laurent Gbagbo, cela ne fait pas l’ombre d’un doute : depuis le coup d’état raté du 19 septembre 2002 mué en rébellion, Paris n’a cessé de comploter contre lui pour préserver ses intérêts et placer un affidé. Dans un pays où fut inventé le concept de « Françafrique », la rhétorique martelée sans relâche a permis à M. Gbagbo, élu en 2000 dans des conditions qu’il a lui même jugées « calamiteuses » – ses principaux rivaux ayant été exclus de la course – d’endosser les habits du héraut d’une seconde décolonisation. Une posture. De l’aveu de son porte-parole, Bernard Houdin, « Laurent Gbagbo est un produit de la culture française et n’a jamais rien fait contre les entreprises françaises ». Dès lors, comment expliquer le divorce ? « Gbagbo, c’est une énorme histoire française avec encore beaucoup de points d’interrogation », avance Gildas Le Lidec, l’ambassadeur de France à Abidjan entre 2002 et 2005. « La relation se dégrade à partir de la défaite de Lionel Jospin en 2002 », juge Guy Labertit, l’ex-délégué du PS à l’Afrique et rare socialiste français à avoir conservé des relations avec son camarade ivoirien. « La relation se dégrade à partir de la défaite de Lionel Jospin, en 2002 » GUY LABERTIT ex-délégué du PS à l’Afrique Deux ans plus tôt, le premier ministre de l’époque s’était opposé à Jacques Chirac qui préconisait une intervention militaire pour réinstaller au pouvoir Henri Konan Bédié, tout juste déposé par un coup d’Etat, le 24 décembre 1999. « Les deux problèmes de Gbagbo, pour Chirac, étaient qu’il avait contribué à la chute de Bédié, qu’il voyait comme l’héritier d’Houphouët, et qu’il était mal élu, raconte Michel de Bonnecorse, l’ancien « M. Afrique » de l’Elysée. Puis, cela s’est envenimé lorsque l’on a refusé de dégommer les rebelles en 2002 qui s’étaient repliés sur Bouaké. Tout de suite après, les pro- ches de Gbagbo ont parlé de double jeu alors que l’on avait fourni des armes à leurs soldats et protégé Abidjan d’une nouvelle attaque. » Dès lors, un dialogue de sourds s’installe entre l’ex-puissance coloniale et sa vitrine africaine. A Abidjan, on attend de la France qu’elle « libère » le pays de ces rebelles soutenus par le Burkina Faso. A l’Elysée, on dénonce les dérives « fascistes » du pouvoir ivoirien. Dans des courriers adressés à ses proches que Le Monde a pu consulter, l’ambassadeur Renaud Vignal, aujourd’hui disparu, écrit, en novembre 2002, un mois avant son rappel à Paris : « Nous entrons de plus en plus dans la nuit totalitaire. » « Bavure manipulée » La politique française à l’égard de la Côte d’Ivoire est alors divisée entre tenants du « tout sauf Gbagbo » et du « rien sans Gbagbo ». Les soldats de l’opération « Licorne » doivent s’interposer entre deux camps qui ne veulent pas la paix. « Une erreur stratégique fonda- mentale qui expliquera tout l’échec de notre intervention », tranche Gildas Le Lidec. Viennent ensuite les négociations interivoiriennes, organisées à Linas-Marcoussis en janvier 2003, où certains ambitionnent de « transformer Gbagbo en reine d’Angleterre » en le dépossédant d’une partie de ses pouvoirs régaliens. Un fiasco qu’il retournera à son avantage, laissant ses proches attiser le sentiment antifrançais. Il atteindra son paroxysme en novembre 2004. Le 4, l’armée ivoirienne lance une offensive pour reprendre le contrôle du nord du pays. L’opération « Dignité » est un échec, mais le 6, deux Soukhoï bombardent la base française à Bouaké, tuant neuf soldats et un civil américain. Les raisons de cet acte demeurent encore mystérieuses. Les services français y voient la main des durs du régime, qui entendent ainsi camoufler la défaite. L’entourage de Laurent Gbagbo avance la thèse d’« une bavure manipulée » par la France pour justifier un ren- versement. Dans la foulée, l’aviation ivoirienne est détruite, des colonnes de blindés tricolores foncent sur Abidjan. Dans la capitale économique ivoirienne, alors que les patriotes pro-Gbagbo enflamment la rue et les symboles de la présence de l’ancien colon, les soldats de « Licorne » tirent sur des manifestants. Des dizaines d’Ivoiriens – le nombre exact reste inconnu – sont tués. Cet événement marque une rupture dans la crise franco-ivoirienne. Le dernier acte se jouera sept ans plus tard, en avril 2011. Alors que Laurent Gbagbo refuse de céder le pouvoir, en dépit de sa défaite dans les urnes, certifiée par les Nations unies, Nicolas Sarkozy lance l’armée à l’assaut de la résidence présidentielle. Laurent Gbagbo, après avoir su si bien manœuvrer, est pris de court. Jusqu’au bout, il n’a pas voulu croire à cet engagement décisif de la France. Une erreur d’analyse qui s’est avérée fatale pour son pouvoir. p cyril bensimon international | 3 0123 JEUDI 28 JANVIER 2016 D’Abidjan à La Haye, la Côte d’Ivoire face aux dérives de son histoire récente Le président Ouattara suit de près le procès de son prédécesseur L (…) a entraîné une opinion très polarisée à propos de la CPI », estime Human Rights Watch dans un communiqué et a « porté atteinte à la légitimité de la Cour dans l’opinion populaire ». Des combattants pro-Ouattara interrogent un homme des forces loyales à Gbagbo qu’ils soupçonnent d’assassinat, à Abidjan, le 14 avril 2011. MICHAEL ZUMSTEIN/AGENCE VU POUR « LE MONDE » AFFAIRE D’ENVERGURE L’organisation de défense des droits de l’homme regrette que le procureur n’ait pas conduit dans le même temps ses enquêtes contre les deux camps et se soit ainsi lié les mains. La Cour a encore besoin de la coopération de la Côte d’Ivoire pour faire venir ses témoins contre Laurent Gbagbo et se trouve en quelque sorte prise en otage. A ce jour, le pouvoir a pu instrumentaliser la Cour à ces seules fins : écarter l’ex-chef d’Etat de la scène politique, sans permettre à celle-ci de remplir pleinement son mandat. Pour la Cour, le procès de Laurent Gbagbo est l’occasion de conduire une affaire d’envergure. Depuis qu’elle a ouvert ses portes en 2002, c’est la première fois qu’elle juge un ancien chef d’Etat. Ambitieuse, elle a déjà ciblé le président soudanais, Omar Al-Bachir, contre lequel pèsent deux mandats d’arrêt, a visé Mouammar Kadhafi, avant qu’il ne soit tué en Libye en octobre 2011, et a mis en accusation Uhuru Kenyatta, élu malgré cela président du Kenya et dont l’affaire s’est finalement soldée par un non-lieu. Cette fois, c’est à un « ex » que la Cour s’attaque, pour lequel l’Union africaine ne s’est pas mobilisée, comme elle l’avait fait pour le Kényan et le Soudanais. « En Afrique francophone, avoir un geste pour Gbagbo, c’est pren- « L’ABSENCE D’ACCUSATIONS CONTRE LES FORCES PRO-OUATTARA PORTE ATTEINTE À LA LÉGITIMITÉ DE LA COUR DANS L’OPINION POPULAIRE » HUMAN RIGHTS WATCH dre des risques, estime Guy Labertit, ancien directeur Afrique du Parti socialiste et ami de l’ancien président. Les pays du Sahel pensent d’abord à leur sécurité. » Politicien ivoirien et gendre de Laurent Gbagbo, Stéphane Kipré estime que « les chefs d’Etat en service ne peuvent pas s’immiscer dans des questions qui concernent un ancien chef d’Etat ». Quoi qu’il en soit, Laurent Gbagbo vient allonger la liste des ex-chefs d’Etat poursuivis pour crimes contre l’humanité. Avant lui, le Serbe Slobodan Milosevic, le Libérien Charles Taylor et le Tchadien Hissène Habré ont eux aussi fait face à des juges internationaux pour des crimes de masse. Le premier est décédé en prison avant le verdict, le second a été condamné à cinquante ans de prison, qu’il purge aujourd’hui au Rwanda. Le troisième est toujours en procès à Dakar. Ce dernier est le seul jugé avec l’aval de l’Union africaine. Pour retrouver une crédibilité écornée au fil des ans, la Cour devra aussi s’emparer de l’Histoire. Comme si elle craignait d’affaiblir sa thèse, mais au risque de présenter un récit biaisé, l’accusation n’a pas inclus dans son mémoire d’avant procès le récit des confrontations entre les forces régulières et les rebelles, malgré les demandes des juges. Ces derniers avaient aussi invité le procureur à enquêter sur les crimes commis depuis 2002, début de la crise ivoirienne issue de la partition durable du pays. La défense entend bien compléter le récit de l’accusation, et il appartiendra aux juges d’établir la réalité. Mais, par le passé, dans des affaires visant des miliciens de l’est de la République démocratique du Congo, la Cour avait ramené à de simples conflits ethniques la course régionale au pillage des richesses congolaises. Dans ce « puzzle de 5 000 pièces » à conviction, ainsi que le décrit la défense, les juges seront donc aussi attendus sur l’Histoire. En attendant, ils vont devoir gagner la bataille du temps. Le procès devrait durer plusieurs années. p stéphanie maupas a Côte d’Ivoire change mais le paysage politique demeure figé, toujours dominé par les héritiers vieillissants de Félix Houphouët-Boigny, le père de l’indépendance, en poste de 1960 à 1993, qui, depuis sa mort, se sont unis et déchirés pour conquérir le pouvoir. Ces jours-ci pourraient, en théorie, permettre au pays de débuter un travail d’introspection sur son passé récent le plus trouble. Ainsi, jeudi 28 janvier à La Haye, s’ouvre à la Cour pénale internationale (CPI) le procès de l’ancien président Laurent Gbagbo, jugé pour des crimes contre l’humanité liés à la crise post-électorale de 20102011, ponctuée par la mort de 3 000 personnes. Lundi, à Abidjan, a aussi commencé le procès des meurtriers de l’ex-président, le général Robert Guéï, assassiné le 19 septembre 2002 par des soldats du régime Gbagbo en réaction à une tentative de coup d’Etat. Ce jour-là, la Côte d’Ivoire avait basculé dans une décennie de crises, d’assassinats politiques, y compris par cette même rébellion armée qui allait finalement permettre à Alassane Ouattara de s’installer au pouvoir en 2011. Ces crimes seront-ils jugés par la CPI, par les juridictions locales ou bien enterrés ? Le président Ouattara, réélu fin 2015, a promis de faire de la lutte contre l’impunité une priorité. Mais à la présidence, on prévient que plus un Ivoirien ne sera transféré à La Haye. Et que si la justice internationale insistait pour que lui soient livrées des figures de l’ex-rébellion, une procédure de retrait du statut de Rome, fondateur de la CPI, pourrait être engagée. En attendant, Laurent Gbagbo, lui, attend l’ouverture de son procès avec impatience. Près de cinq ans après son arrestation à Abidjan, le 11 avril 2011, suivie, sept mois plus tard, de « sa déportation » à La Haye, selon la terminologie employée par ses partisans, il apparaît gonflé par l’espérance que ce sera là l’occasion de prouver son innocence pour les crimes qui lui sont reprochés. Et d’y trou- « Les obus sur les populations, les massacres, ne sont pas des inventions » JOËL N’GUESSAN Rassemblement des républicains ver une tribune pour démontrer qu’il fut le véritable vainqueur du second tour de l’élection présidentielle de décembre 2010 contre Alassane Ouattara. Ses visiteurs à la prison de Scheveningen décrivent un homme de 70 ans, affaibli par des problèmes de santé, mais qui n’a rien perdu de sa verve. Il se tient prêt pour ce qui s’apparente à un ultime combat. Laurent Gbagbo n’a pas abdiqué son rêve de sortir de sa cellule réhabilité et de retourner en Côte d’Ivoire où, sans nul doute, une foule de partisans lui réserverait un accueil triomphal. Large aura dans son pays Son entourage et sa défense veulent croire que le vent a tourné, « que la stratégie qui cherchait à profiter de l’hystérie anti-Gbagbo, devant permettre de le juger et de le condamner rapidement, a échoué ». Les audiences, focalisées sur quatre événements de la crise post-électorale de 2010-2011, pourraient durer plus de quatre ans. « Bientôt, il fera jour », répètent pourtant en cœur ses fidèles, pour lesquels son innocence est incontestable et ce procès « politique, arbitraire et inique ». Ils sont désormais appuyés par d’anciens chefs d’Etat africains comme le Mozambicain Joaquim Chissano, ou le Béninois Nicéphore Soglo. En septembre 2015, ils ont écrit à la procureure générale de la CPI, Fatou Bensouda, pour lui demander de « réexaminer l’affaire et entamer le processus de son retrait ou de son interruption », considérant que « la détention et le procès de Laurent Gbagbo ont davantage aggravé les divisions et animosités entre les ci- toyens ivoiriens (…). Il y a donc un risque réel que, s’il est reconnu coupable et condamné par la CPI, cela entraîne une conflagration. » La recommandation n’a pas été suivie. A quelque 6 000 kilomètres de La Haye, au palais présidentiel à Abidjan, Alassane Ouattara peut se satisfaire de voir un ancien allié politique, devenu son pire ennemi, et Charles Blé Goudé, le chef des Jeunes patriotes pro-Gbagbo, répondre devant la justice internationale. Tourné vers son projet de faire de la Côte d’Ivoire une nation « émergente » d’ici à la fin de son second mandat en 2020, M. Ouattara est sûr que Laurent Gbagbo ne sera pas libéré de sitôt. Une certaine inquiétude avait gagné la présidence en juin 2013 après avoir mesuré la faiblesse du dossier présenté par le bureau du procureur lors de l’audience de confirmation des charges. Depuis, l’Etat ivoirien a aidé les enquêteurs de la CPI à récolter certaines preuves, mais les autorités démentent toute idée d’une procédure guidée par des motifs politiques. « La crise a éclaté à cause du refus de Laurent Gbagbo de quitter le pouvoir. Nous avons souhaité qu’il soit jugé par la CPI car, en 2011, nos juridictions avaient pratiquement disparu, et pour éviter d’être taxés de partialité. Nous attendons que le droit soit dit. Les obus tirés sur les populations, les massacres, les morts ne sont pas des inventions », affirme Joël N’Guessan, le porteparole du Rassemblement des républicains (RDR, au pouvoir). Malgré les crimes qui lui sont imputés et son éloignement forcé, l’ex-chef de l’Etat garde une large aura dans son pays. Pascal Affi N’Guessan, qui a pris les rênes de son parti, le Front populaire ivoirien (FPI), s’est retrouvé confronté à une violente fronde interne pour avoir eu l’audace d’envisager la vie politique sans Gbagbo. Lors de l’élection présidentielle du 25 octobre 2015, il n’est pas parvenu à mobiliser plus de 10 % des électeurs sur son nom, les autres partisans de Laurent Gbagbo ayant choisi de boycotter le scrutin. p LE PROFIL Laurent Gbagbo Né le 31 mai 1945 à Gagnoa, en Côte d’Ivoire, Laurent Gbagbo s’est fait un nom en politique en tant qu’opposant à Félix Houphouët-Boigny. Sept ans après la mort de ce grand ami de la France et père de l’indépendance ivoirienne, il est élu président face à Robert Gueï. Son quinquennat durera finalement dix ans, en raison de la crise politico-militaire qui secoue le pays. Il conteste ensuite sa défaite contre Alassane Ouattara lors de la présidentielle organisée fin 2010 et qui débouche sur des violences meurtrières. Il est arrêté par les forces d’Alassane Ouattara, soutenues par la France, le 11 avril 2011, puis transféré à La Haye où son procès pour crimes contre l’humanité devant la Cour pénale internationale devait s’ouvrir jeudi 28 janvier. +06))0 6!8"7&%4-675673 9 8(/ (#$. : 4*672,)0 2'7"1 Pascal Rambert Argument [22 jan. – 13 fév.] $#('"!%& Avec Marie-Sophie Ferdane et Laurent Poitrenaux De mes propres mains [22 – 30 jan.] Avec Arthur Nauzyciel n : Pascal Rambert nevilliers. Directio nce. Théâtre de Gen L’Art comme expérie ional de Création Contemporaine. Nat riel Péri [13] Centre Dramatique ns, 92230 Gennevilliers. Métro Gab sillo 32 26 26. 41 avenue des Gré tions : + 33 [0]1 41 erva Rés om. rs.c theatre2gennevillie c. be. 4 | international 0123 JEUDI 28 JANVIER 2016 CACHEZ CES STATUES QUE ROHANI NE SAURAIT VOIR photo : giuseppe lami/ap des contrats signés pour un montant estimé à 17 milliards d’euros, une rencontre de quarante minutes avec le pape François et une belle polémique. De la visite de quarante-huit heures à Rome du président iranien, Hassan Rohani, on se souviendra aussi de l’initiative prise par les autorités italiennes d’emballer dans des caisses des statues antiques du Musée du Capitole dont la nudité de marbre pouvait choquer le regard de leur hôte. C’est dans ce cadre, en effet, que le premier ministre, Matteo Renzi, a accueilli M. Rohani et sa délégation, lundi 25 janvier, pour un dîner, servi rigoureusement sans vin. L’opposition accuse le chef du gouvernement d’avoir signé la « reddition » des valeurs du pays, de « renier sa culture » ou « de porter atteinte à l’art comme valeur universelle ». Art, culture, identité : des mots chers à M. Renzi, qui entend en faire un rempart contre le terrorisme. En revanche, la visite de M. Rohani au Vatican, mardi, s’est déroulée dans l’harmonie. Le Saint-Siège a souligné « l’important rôle » que l’Iran est appelé à jouer pour lutter contre le terrorisme et le trafic d’armes. « Priez pour moi », a demandé, en farsi, M. Rohani à François avant de prendre congé. Le président iranien devait conclure sa visite mercredi par le Colisée. Pas de crainte : il n’y a plus de statues depuis longtemps ! p philippe ridet (rome, correspondant) MALI I SRAËL L’enlèvement d’une Suissesse revendiqué par AQMI M. Nétanyahou accuse l’ONU « d’encourager le terrorisme » « L’Emirat du Sahara », une branche d’Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI), a affirmé être derrière l’enlèvement de la Suissesse Béatrice Stockly à Tombouctou, dans le nord du Mali, dans la nuit du 7 au 8 janvier. Dans une vidéo postée sur les réseaux sociaux mardi 26 janvier au soir, le groupe djihadiste exige, en contrepartie de la libération de Mme Stockly, qui avait déjà été enlevée en 2012, la remise en liberté de certains de ses combattants emprisonnés au Mali et de l’un de ses dirigeants, détenu par la Cour pénale internationale (CPI) de La Haye. – (AFP.) Le premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, a vivement répliqué au secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, qui a appelé mardi 26 janvier à un gel de la colonisation des territoires palestiniens. « La frustration des Palestiniens s’accroît sous le poids d’un demi-siècle d’occupation et de paralysie du processus de paix », avait estimé M. Ban devant le Conseil de sécurité. « Les commentaires du secrétaire général de l’ONU encouragent le terrorisme », a immédiatement rétorqué Benyamin Nétanyahou dans un communiqué. – (AFP.) Fauteuils & Canapés Club Haut de Gamme SOLDES Fauteuil Clu b: 7 € Soldes selon les dates en vigueur. 90 - 890 € - 9 € 90 L’indémodable fauteuil CLUB , plus de 80 ans et toujours plus de succès ! Cuir mouton ciré, patiné, vieilli, suspension et ressorts. Plus de 30 modèles en exposition. 80, rue Claude-Bernard - 75005 PARIS Tél. : 01.45.35.08.69 www.decoractuel.com L’affaiblissement de Mahmoud Abbas aiguise les ambitions palestiniennes Isolé, impopulaire et confronté à une vague de violences venue de la rue, le vieux leader palestinien est de plus en plus contesté par ceux qui briguent sa succession jérusalem - correspondant L’ air se raréfie autour de Mahmoud Abbas. Agé de 80 ans, le président de l’Autorité palestinienne (AP) est confronté à une contestation intérieure sans précédent et à de sombres perspectives sur le plan international. En septembre 2015, il avait pour projet de remodeler à sa main l’espace politique. Le vieux dirigeant promettait un renouvellement des cadres, une revitalisation des institutions. Rien n’est venu, à l’image du Conseil national (Parlement), toujours pas réuni. Mais la parole s’est libérée. « On assiste à un pourrissement accéléré », souligne un diplomate occidental. Dichotomie de l’AP « Abou Mazen [nom de guerre de M. Abbas] s’est affaibli, il ne peut plus mettre en œuvre tout ce qu’il veut, confirme Hani Al-Masri, directeur du centre d’études Masarat. Les divisions au sein du Fatah s’approfondissent, autour de sa succession. » L’AP surveille et réprime toujours les foyers de contestation trop intenses, dans les médias comme dans les universités. Surtout, éviter d’être débordé. Par deux fois, fin décembre 2015, la police a empêché, de façon virile, la tenue de manifestations au nord de Ramallah, en face de la colonie de Beit El, lieu d’affrontements habituel avec les soldats israéliens. « En réponse, la majorité des membres du comité central du Fatah ont boycotté la cérémonie du 1er janvier à la Mouqata’a [siège de la présidence] », souligne Hani Al-Masri. La ligne de crête sur laquelle avance Abou Mazen consiste à poursuivre la coopération sécuritaire avec les Israéliens, seule garantie d’un calme relatif en Cisjordanie, tout en dénonçant l’occupation. Selon Majid Faraj, puissant chef du renseignement palestinien, ses services ont empêché 200 attaques contre les Israéliens en quatre mois. Mais cette dichotomie est devenue inadmissible pour la population, en particulier la jeunesse. Face à la vague de violences qui a commencé le 1er octobre 2015, faisant près de 160 morts du côté palestinien (en comptant les agresseurs) et 25 du côté israélien, l’AP a successivement laissé faire, tenté d’épouser la colère populaire, puis de la maîtriser, en veillant à ce qu’elle ne se retourne pas contre elle. L’AP a aussi multiplié les arrestations d’activistes du Hamas. Les Israéliens sont ravis. Pour leur part, ils ont annoncé le démantèlement de trois cellules du mouvement islamiste : deux à Hébron et une à Abou Dis, à Jérusalem-Est, qui aurait planifié des attaquessuicides, avec des explosifs. Selon l’armée, le Hamas souhaiterait une escalade spectaculaire. « Le Hamas veut une résistance violente, explique Adnan Damiri, porte-parole des forces de sécurité palestiniennes. On est là pour les en empêcher dans la zone sous notre contrôle. Mais comment voulez-vous qu’on agisse là où les Israéliens ne nous laissent pas aller, en zone C [qui couvre 60 % de la Cisjordanie] ? » Le porte-parole estime que les arrangements sécuritaires avec les Israéliens sont « brisés » par ces derniers, car aucune lumière n’est faite sur les circonstances dans lesquelles certains Palestiniens, hâtivement qualifiés d’agresseurs, ont été tués depuis quatre mois. Pourtant, la coordination se poursuit. L’armée israélienne distribue des bons points à l’AP, dans la presse, comme à un élève bien intentionné. Au Fatah, certains cadres craignent une rupture avec la rue pa- « Il y a une grande tourmente au sein du Fatah » MOUSTAFA BARGHOUTI opposant lestinienne. « Il y a une grande tourmente dans le parti, confirme l’opposant Moustafa Barghouti, ancien candidat à la présidence. Beaucoup soutiennent notre idée que nous sommes face à une Intifada qui va durer, sans alternative, malgré des phases de calme. » Selon la dernière étude du Palestinian Center for Policy and Survey Research, publiée en décembre, deux tiers des Palestiniens souhaitent la démission de M. Abbas. La même proportion soutient les attaques au couteau. Pourtant, les militaires israéliens notent que le calme règne dans les grands camps de réfugiés, chaudrons des soulèvements passés. Internationaliser le conflit L’agitation dans les cercles politiques est due à la fois à la gouvernance opaque et solitaire de M. Abbas et aux appétits suscités par sa succession. Mohammed Dahlan, opposant numéro un en exil, étoffe ses réseaux à distance. A Ramallah, Jibril Rajoub, président de la Fédération palestinienne de football et membre du comité central du Fatah, a lancé les hostilités. Dans une interview à la télévision palestinienne, il a exprimé un sentiment généralisé. « Le processus de paix s’est effondré, et quel est le substitut ? On ne fait que rester assis et débattre : faut-il convoquer le Conseil national, nos relations avec le Hamas, la mise en œuvre des décisions du comité central… ? », s’est-il lamenté. Et, pendant ce temps, la réconciliation promise avec le Hamas reste lettre morte. Le Qatar entreprend actuellement une nouvelle médiation, pour que les deux camps acceptent de former un gouvernement d’union nationale. Confronté à de nouvelles rumeurs sur sa santé défaillante, Mahmoud Abbas a voulu reprendre la main. Le 6 janvier, pour la première fois depuis septembre 2015, il a clairement exclu un effondrement de l’AP, une hypothèse évoquée récemment en conseil de sécurité israélien et LE PROFIL Mahmoud Abbas Né le 23 mars 1935 à Safed, en Palestine sous mandat britannique, il fut un acteur majeur des négociations conduisant à la signature des accords d’Oslo, en 1993. Il a été élu président de l’Autorité palestinienne en janvier 2005. redoutée par l’armée. L’idée de rendre les clés de toute la Cisjordanie à Israël est ancienne. Elle serait un suicide politique pour ceux qui, comme le président, ont consacré leur carrière à l’établissement d’un Etat palestinien. Une nouvelle fois, M. Abbas veut donc agir sur le plan international, dans un contexte dépressif. L’AP se doute qu’il n’y a rien à attendre du président américain, Barack Obama, en fin de mandat. Majdi Khaldi, conseiller diplomatique de longue date du président Abbas, défend la ligne choisie, celle de l’internationalisation du conflit. « En 2016, le président veut une conférence internationale pour mettre fin à l’occupation, sur la base de l’initiative de paix arabe de 2002, dit-il. Il voudrait la mise en place d’un mécanisme de type 5+1, qui a fonctionné pour le nucléaire iranien. » L’AP ne rêve plus d’une résolution au Conseil de sécurité des Nations unies imposant un calendrier contraignant et des paramètres à Israël en vue d’un règlement du conflit. Désormais, l’objectif est un texte offrant une protection internationale au peuple palestinien et condamnant la colonisation. p piotr smolar international | 5 0123 JEUDI 28 JANVIER 2016 Moscou politise un fait divers survenu en Allemagne La police allemande dément qu’une adolescente d’origine russe ait été violée par des immigrés berlin, moscou - correspondants B erlin enquête, Moscou soulève une tempête. Un fait divers douteux survenu en Allemagne a pris une tournure politique après la diffusion d’un reportage sans nuance sur Perviy Kanal, la première chaîne russe, dont la version a été reprise, mardi 26 janvier, par le ministre des affaires étrangères, Sergueï Lavrov. « J’espère que les problèmes migratoires ne vont pas conduire à une tentative d’embellir la réalité à des fins de politique intérieure. Ces problèmes doivent être honnêtement révélés aux électeurs », a asséné le chef de la diplomatie russe. Les faits, en l’espèce, ne sont pas clairs. Le 11 janvier, une jeune Berlinoise de 13 ans, Lisa F., née dans une famille d’origine russe, dispa- raît sur le chemin de l’école. Ses parents publient des avis de recherche. Le lendemain, après trente heures d’absence, des passants la retrouvent. A sa famille, puis en présence de cette dernière, à la police, la jeune fille raconte avoir été enlevée et violée par trois hommes « de pays du Sud », parlant un mauvais allemand. Entendue seule dans un second temps, hors de la présence de ses parents, Lisa aurait cependant livré une autre version. Pour la police allemande, « après enquête, il n’y a eu ni enlèvement ni viol » mais « par protection des droits de la personne, aucun autre élément ne peut être fourni ». Mardi, la justice berlinoise a indiqué enquêter sur le détournement d’une mineure, tout en soulignant, elle aussi, qu’il n’y avait pas eu viol par des immigrés. Se- Dans l’Oregon, mort d’un rancher « rebelle » Le milicien, qui occupait des terres fédérales, aurait été tué par la police américaine san francisco - correspondante L a population locale s’impatientait. La gouverneure de l’Oregon, la démocrate Kate Brown, avait rencontré le directeur du FBI, James Comey, le 20 janvier, et écrit au président Barack Obama pour lui demander de mettre fin à l’action des « radicaux armés ». Dans tout le pays, militants de gauche et antiracistes dénonçaient l’absence de réaction de la police et ses « doubles standards ». « Cent cinquante Blancs en armes s’emparent d’un bâtiment fédéral et ils n’essuient pas un coup de feu. Un jeune Noir de 12 ans joue avec un pistolet factice et il est abattu en moins de deux secondes, et sans même un avertissement », avait protesté un groupe appelé Occupy Democrats. La police fédérale a fini par passer à l’action mardi 26 janvier contre les miliciens antigouvernementaux qui occupaient depuis le 2 janvier le Malheur National Wildlife Refuge, un sanctuaire ornithologique des confins de cet Etat du nord-ouest des Etats-Unis. La confrontation a mal tourné. Robert LaVoy Finicum, 55 ans, qui était devenu le porte-parole du groupe, a trouvé la mort dans l’opération. Les circonstances de son décès ont immédiatement suscité les interrogations. Le leader du groupe, Ammon Bundy, qui a pu téléphoner à son épouse, a affirmé que Robert LaVoy Finicum « coopérait » avec la police quand il a été abattu. L’épouse a livré ce témoignage à une élue locale, Michele Fiore, proche des ranchers. Selon le quotidien The Oregonian, le militant aurait en fait résisté à son arrestation, ainsi que Ryan Bundy, le frère d’Ammon, qui a été légèrement blessé. Appuyé par les « state troopers » de l’Oregon, le FBI a intercepté les miliciens sur la route 395, à une trentaine de kilomètres de Burns, alors qu’ils se rendaient à une réunion sur la question de « la propriété des terres fédérales » avec des habitants du village de John Day. C’était la deuxième fois que les « rebelles » – dont le nombre n’a jamais dépassé la vingtaine – quittaient leur bastion pour aller essayer de convaincre les ranchers locaux de se rallier à leur cause. « Milices go home ! » Dans une région où 75 % des terres appartiennent au gouvernement, leur revendication de reprendre la terre avait trouvé quelque écho, à l’inquiétude des autorités. A Burns, en revanche, localité de 2 800 habitants dont une partie vit des emplois créés par le refuge national, le shérif avait été mandaté par la population pour demander aux miliciens de quitter les lieux. Une manifestation était prévue le 30 janvier avec pour mot d’ordre : « Milices go home ! » Cinq membres du groupe ont été arrêtés sur place, dont les leaders Ammon et Ryan Bundy, les fils d’une famille de mormons du Nevada. Un autre « rebelle », Jon Eric Ritzheimer, militant anti-islamique, s’est rendu de lui-même aux autorités dans l’Arizona, où il était retourné après avoir participé au siège de l’Oregon. Ils sont poursuivis pour avoir entravé l’accès de fonctionnaires fédéraux à leur travail. Robert LaVoy Finicum était l’un des seuls authentiques ranchers du groupe. Persuadé de sa mission « patriotique », il avait fait venir sa famille et posé pour les caméras entouré de ses petits-enfants. Le refuge n’est pas pour autant libéré. Quelques militants s’y trouvaient toujours mercredi, et une milice voisine appelait les « patriotes » à se rendre à leur secours. p corine lesnes lon un porte-parole du parquet, cité dans le quotidien Berliner Zeitung, les rapports sexuels qu’a eus Lisa étaient « consentis » et cette dernière avait déjà par le passé agi de la sorte. « Manifestement, elle est tombée sur de mauvaises fréquentations », a expliqué ce responsable, Martin Steltner. Propagande anti-occidentale Entre-temps, Perviy Kanal est entrée dans la danse. A Moscou, les médias proches du Kremlin se sont depuis longtemps emparés de l’afflux de migrants en Europe à des fins de propagande anti-occidentale, un thème devenu encore plus présent après les agressions sexuelles du Nouvel An à Cologne, attribuées par la police allemande à des immigrés. Le 16 janvier, la première chaîne russe consacre dans son journal du soir plus de quatre minutes à l’affaire, introduite de la sorte par la présentatrice : « Selon des témoignages, les migrants ont commencé à violer des enfants mineurs. Sur le nouvel ordre qui s’est instauré en Allemagne, un reportage d’Ivan Blagoï. » Suivent des paroles d’anonymes dans la rue – parlant tous russe – ainsi que le récit de la tante de Lisa, puis de Sergueï Lavrov a souhaité à l’Allemagne, « du succès pour faire face aux énormes problèmes des migrants » son oncle, assorti de ce commentaire : « La police refuse de chercher les criminels. Ce n’est pas le seul cas. » En incrustation, une vieille vidéo postée sur Internet par un collectif d’extrême droite, Anonymus Kollektiv (à ne pas confondre avec les hackers qui portent le même nom), dans laquelle des hommes d’origine étrangère non reconnaissables se vantaient d’avoir violé une jeune fille, apparaît. Outré, le parquet de Berlin a annoncé son intention de poursuivre « pour incitation à la haine raciale » le journaliste dont le reportage a joué un rôle déterminant dans l’emballement de l’affaire. Très vite, les réseaux sociaux se sont en effet saisis à leur tour de l’histoire en accusant la police de cacher la vérité. A l’appel du mouvement néonazi NPD, une première manifestation est organisée à Marzahn, ce quartier de l’est de Berlin où habite Lisa. Environ 200 personnes y participent, dont une cousine de la jeune fille. Le 23 janvier, d’autres manifestations sont organisées à Berlin, devant la chancellerie, mais aussi dans plusieurs villes du Bade-Wurtemberg et du nord de la Bavière, généralement à l’appel de mouvements d’extrême droite dans la mouvance de Pegida (les Patriotes européens contre l’islamisation de l’Occident). « Question de transparence » Sur les banderoles, on pouvait lire « Respect pour la culture allemande », ou « J’ai peur pour mes petits-enfants ». Cette affaire a également rappelé l’existence d’une forte communauté d’origine russe en Allemagne – environ 2,5 millions de personnes – et l’influence que continuent d’avoir sur eux les médias russes mais aussi le Kremlin, notamment depuis le conflit en Ukraine. En Russie, l’affaire Lisa, reprise sur la chaîne Rossia 24, s’est aussi propagée, alimentée par le pouvoir qui ne perd jamais une occasion de décrire une Europe faible, à la botte des Etats-Unis, et qui perd ses « valeurs ». Mardi, lors de sa traditionnelle rencontre annuelle avec la presse étrangère, Sergueï Lavrov a ainsi souhaité à l’Allemagne, « locomotive de l’UE (…), du succès pour faire face aux énormes problèmes des migrants », tout en s’empressant d’ajouter : « J’espère que les problèmes ne seront pas cachés sous le tapis et que le cas de “notre fille” Lisa, ne se répétera pas, car l’information sur le fait qu’elle a disparu est restée longtemps dissimulée pour des raisons inconnues. » « Aujourd’hui, a poursuivi M. Lavrov, nous travaillons avec son avocat, lui-même en relation avec la famille et notre ambassade. Il est absolument clair que la jeune fille n’a pas disparu volontairement pendant trente heures. » Pourquoi s’engager aussi fermement ? « Pour des questions de transparence », a répondu M. Lavrov au Monde, un peu plus tard en aparté. p frédéric lemaître et isabelle mandraud 6 | international 0123 JEUDI 28 JANVIER 2016 Hollande et Modi, un partenariat sans engagement La visite du chef de l’Etat en Inde n’a pas permis de finaliser la vente de Rafale espérée par Paris new delhi - envoyés spéciaux N ous avons la chance d’être aimés de l’Inde », s’est réjoui François Hollande, mardi 26 janvier, devant la communauté française, à l’ambassade de New Delhi. Malgré de grandes annonces et des affinités certaines entre les deux pays, la visite de trois jours du chef d’Etat français en Inde, du 24 au 26 janvier, s’est pourtant conclue sur un maigre bilan. Au dernier jour de son voyage officiel, le président assistait à la grande parade du Republic Day, sur la monumentale avenue Rajpath, ou « allée des rois ». François Hollande, invité d’honneur « après Barack Obama en 2015 », rappelait à l’envi la délégation française. Après, aussi, le Japon, le Bhoutan, la Thaïlande, l’Indonésie et le Kazakhstan. Un régiment français, le 35e RI, y défilait pour la première fois. La parade militaire a démarré par un lâcher de pétales de fleurs depuis un hélicoptère, et s’est achevée dans le bruit d’avions de combat, invisibles à l’œil nu à cause de la chape de pollution qui recouvrait Delhi. Déception : les avions de combat n’étaient pas des Mirage 2000, promis par la représentation diplomatique française, mais des Soukhoï, de fabrication russe. Les espoirs de la France en Inde sont souvent contrariés. A l’image de ces 36 Rafale que le premier ministre indien, Narendra Modi, avait annoncé vouloir acquérir lors de sa visite à Paris en avril 2015. « Nous pensions signer un accord politique en arrivant mais il a fallu négocier pendant deux jours », explique un proche du président. Eric Trappier, le PDG de Dassault Aviation, a indiqué, lundi, qu’il se donnait quatre semaines pour finaliser le contrat, et notamment régler l’épineuse François Hollande et le premier ministre Narendra Modi, lors de la parade aérienne à New Delhi, le 26 janvier. ADNAN ABIDI/REUTERS question du prix. Comme si, devant l’incapacité de l’Inde à signer ces contrats, la France devait fixer elle-même des délais. François Hollande n’est pas venu en Inde que pour les Rafale, comme il l’a dit lui-même. Mais la conquête du marché indien n’est pas si simple. Avec un taux de croissance supérieur à 7 %, l’Inde offre de beaux débouchés aux entreprises de l’Hexagone. Et pour illustrer cette formidable aubaine, le ministre des finances, Michel Sapin, a donné ces chiffres Dassault Aviation se donne quatre semaines pour finaliser le contrat du Rafale et régler l’épineuse question du prix La justice malaisienne classe une enquête sur le premier ministre encourageants : 1 milliard de dollars (920 millions d’euros) d’investissement par an au cours des cinq dernières années. Sauf que la banque centrale indienne n’est pas aussi optimiste. Selon elle, les investissements français ont plutôt diminué entre 2011 et 2014, avant de remonter légèrement au dernier exercice pour atteindre 347 millions de dollars. « Le milliard de dollars d’investissement est une estimation », a dû clarifier ensuite M. Sapin. « De nombreux investissements pas- P accusations de corruption à l’encontre du premier ministre. Son remplaçant à la tête de la justice a expliqué mardi que ces centaines de millions de dollars, passés par des comptes aux îles Vierges britanniques, provenaient de la famille royale saoudienne. Citant des sources haut placées à Riyad, la BBC a de son côté expliqué que les transferts avaient à l’époque été approuvés par le roi Abdallah en personne, le royaume s’inquiétant de la montée en Malaisie d’un parti inspiré des Frères musulmans. Il s’agissait donc de s’assurer que le parti au pouvoir depuis l’indépendance (1957), l’Organisation nationale unifiée malaise (UMNO), l’emporte une nouvelle fois, en particulier dans l’Etat de Sarawak, où il était en difficulté. « Distraction inutile » Apandi Ali a toutefois jugé que le premier ministre n’a pas enfreint la loi, car les fonds ont été versés à titre « personnel ». Le ministre de la justice affirme par ailleurs que 620 millions de dollars ont été rendus aux Saoudiens, « car la somme n’a pas été utilisée ». Malgré l’origine des fonds, M. Ali a dit n’avoir relevé aucune preuve permettant d’établir que ce don correspondrait à une rétribution pour des faveurs que Najib Razak aurait pu octroyer en sa qualité de premier ministre. Il a par ailleurs expliqué que celui-ci n’était pas au courant lorsqu’il bénéficia d’un virement de quelques dizaines de millions de dollars supplémentaires d’une société contrôlée par le ministère des finances. Ces conclusions amènent davantage de questions, ses opposants exigeant un compte rendu détaillé sur la manière dont ont été dépensés les 61 millions de dollars restant. Najib Razak, lui, s’est félicité de l’issue de l’enquête. « Cette affaire a constitué une distraction inutile pour le pays. Maintenant qu’elle est totalement close, il est temps de nous unir et d’avancer », a jugé le chef de gouvernement. Ses critiques ne l’entendent pas de cette oreille. « C’est contre la nature humaine. Comment expliquez-vous raisonnablement qu’une personne donne 2,6 milliards de ringgits sans rien vouloir en retour ? », s’est insurgée l’avocate Ambiga Sreenevasan auprès du Malaysian Insider. L’affaire avait pris un tour international avec l’ouverture en août et septembre 2015 d’enquêtes sur des transferts de fonds possiblement liés à Najib Razak via la Suisse, Hongkong et les Etats-Unis, des juridictions qui pourraient se révéler moins compréhensives que la justice locale. p harold thibault « C’est gagnant-gagnant » De son côté, M. Modi a habilement profité de la présence de François Hollande en Inde pour l’emmener, en métro, à l’inauguration de l’Alliance solaire et ainsi afficher le visage d’une Inde engagée dans le combat contre le réchauffement climatique. « C’est julien bouissou et david revault d’allonnes L’HISTOIRE DU JOUR En Australie, les républicains s’agitent dans l’ombre d’Elizabeth II L’affaire, à l’origine de manifestations pendant l’été 2015, concerne un don de l’Arabie saoudite au chef du gouvernement, Najib Razak our le ministre de la justice malaisien, l’affaire est close. Le garde des sceaux, Apandi Ali, a formellement enterré, mardi 26 janvier, l’enquête sur les 681 millions de dollars (627 millions d’euros) versés sur un compte personnel du premier ministre, Najib Razak, entre mars et avril 2013, à l’approche d’élections générales qui s’annonçaient difficiles. Depuis sa révélation par la presse en juillet 2015, l’affaire empoisonne le deuxième mandat politique du chef de gouvernement, que ses critiques appellent à la démission. Elle avait provoqué d’importantes manifestations au cours de l’été 2015. Le premier ministre était suspecté d’avoir reçu cette somme colossale d’un fonds public créé par ses soins en 2009 pour appuyer sa politique, le 1Malaysia Development Berhad, ou « 1MDB », le nom qu’a pris le scandale. L’affaire avait incité « Najib », comme il est connu familièrement, à se séparer au cours de l’été de son vice-premier ministre, qui lui demandait de s’expliquer. Le ministre de la justice d’alors, Abdul Gani Patail, l’un des quatre officiels chargés de diriger l’enquête, avait également été congédié, pour « raisons de santé ». Le bruit courait alors que ses enquêteurs s’apprêtaient à retenir des sent en fait par des paradis fiscaux comme l’île Maurice ou Singapour », a finalement reconnu un membre des services diplomatiques français. gagnant-gagnant. C’est une reconnaissance pour le premier ministre indien de la crédibilité de son initiative sur la coalition mondiale solaire », explique Mme Royal, qui veut croire à « une compréhension, une connivence ». La réalité est plus contrastée. Malgré les promesses de M. Modi, la conversion de l’Inde à l’écologie sera longue. Le pays a besoin de l’énergie solaire comme de toutes les autres, en particulier le charbon, pour répondre à un doublement de sa demande en énergie d’ici à 2030. La part du charbon dans cette consommation va passer de 39 % en 2012 à 62 % en 2030. La France a également plaidé pour la vente de réacteurs EPR, soulignant au passage que cette énergie permet de lutter contre le réchauffement climatique. En 2009, un protocole d’accord avait été signé pour la livraison de deux réacteurs EPR à l’Inde. Lors de la visite de M. Hollande, un nouveau protocole d’accord a été signé, cette fois pour la livraison de six réacteurs. Et il y a fort à parier que ces réacteurs connaissent un destin à la « Rafale ». Aux blocages administratifs et aux négociations sur le prix qui n’ont toujours pas abouti, s’ajoutent les protestations de villageois et de pêcheurs, soutenus par des partis politiques locaux, pour faire avorter le projet. Les Rafale ont au moins un avantage de taille sur les réacteurs EPR : ils ne nécessitent pas l’acquisition de vastes terrains, une procédure longue et délicate en Inde. L’Inde, marché d’avenir pour les entreprises françaises, l’Inde figure de la lutte contre le réchauffement climatique ? La réalité est sans doute plus nuancée. Au-delà des effets d’annonce, « la chance d’être aimés de l’Inde » n’a pas encore produit les résultats escomptés. p sydney - correspondance L’ Australie deviendra-t-elle bientôt une république ? La reine Elizabeth II, qui règne sur le pays, reste très populaire, mais le débat a ressurgi pour Australia Day, la fête nationale, qui commémore, le 26 janvier, l’arrivée des premiers colons britanniques en 1788. Le Mouvement républicain australien a proposé aux chefs des huit Etats et Territoires du pays de signer une déclaration qui tient en une courte phrase : « Nous pensons que l’Australie devrait avoir un Australien comme chef d’Etat. » Sept ont signé. Pour Andrew Barr, du Territoire de la capitale australienne, « nos liens avec la monarchie continuent de refléter une nation du passé. Il est temps de grandir ». Le seul à s’être abstenu de signer, le premier ministre d’Australie-Occidentale, Colin Barnett, estime que le moment n’est pas le bon, mais se prononce également pour la république. Le chef de l’opposition travailliste, Bill Shorten, se félicite du « consensus politique » sur la question et a proposé au premier ministre, Malcolm Turnbull, lui-même républicain convaincu, de travailler avec lui. Terrain glissant La question du changement de régime est revenue avec force depuis la nomination du nouveau chef de gouvernement, en septembre 2015. Malcolm Turnbull et son prédécesseur, Tony Abbott, ont beau être de la même formation, le Parti libéral, leur position est diamétralement opposée sur la question. Tony Abbott est un fervent monarchiste, admirateur de la reine Elizabeth II. Dans les années 1990, Malcolm Turnbull était au contraire à la tête d’une campagne pour l’instauration d’une république. Cela avait failli lui coûter sa carrière politique, car en 1999, un référendum avait échoué : 55 % des Australiens avaient voté contre un changement de régime. Malcolm Turnbull est donc le mieux placé pour savoir qu’il s’agit d’un terrain glissant. S’il explique que son « engagement pour que l’Australie ait un chef d’Etat australien n’a pas faibli », il estime que la question n’est pas prioritaire et n’envisage pas de vote tant que règne Elizabeth II. « Je n’ai pas le désir » de reprendre le combat, a-t-il déclaré mardi 26 janvier. Et c’est au « NOS LIENS AVEC peuple de décider : « Aucun politique, ni premier minisLA MONARCHIE tre ni chef de l’opposition, ne peut faire de l’Australie CONTINUENT une république. » La monarchie a toujours DE REFLÉTER UNE la cote dans la population. NATION DU PASSÉ. En 2014, un sondage montrait que 42 % des AustraIL EST TEMPS liens étaient favorables à la république et 51 % pour le DE GRANDIR » régime actuel. Cependant, ANDREW BARR les réponses pourraient chef de l’exécutif évoluer lorsque le prince du Territoire de la Charles montera sur le capitale australienne trône, celui-ci étant moins populaire qu’Elizabeth II. Les royalistes ont pris la parole pour défendre le système en place, qui donne à la reine un pouvoir essentiellement cérémonial. Ils critiquent un projet républicain flou, et soulèvent de nombreuses questions, du mode d’élection du président au rôle qui lui serait donné. Le député libéral Tony Pasin a estimé que la monarchie protégeait l’Australie de personnes comme le candidat à l’investiture républicaine pour la présidentielle américaine Donald Trump : « Voulons-nous un système en Australie où on peut, parce qu’on est riche, faire campagne et devenir président d’une nation ? », a-t-il lancé, en référence au milliardaire. p caroline taïx planète | 7 0123 JEUDI 28 JANVIER 2016 Marée noire du « Prestige » : les victimes seront indemnisées Des soldats espagnols nettoient la plage de Carnota (Galice), en janvier 2003 après le naufrage du « Prestige ». Le capitaine, le propriétaire et l’assureur du navire ont été déclarés civilement responsables par la Cour suprême espagnole madrid - correspondance C e n’est pas vraiment une victoire pour les associations de défense de l’environnement qui, depuis plus de treize ans, se battent pour que toute la lumière soit faite sur la catastrophe du Prestige. L’avarie de ce pétrolier battant pavillon des Bahamas, en pleine tempête, avait provoqué une immense marée noire en 2002 au large de la Galice, en Espagne, déversant 63 000 tonnes de fuel et souillant 2 900 km de côtes espagnoles, portugaises et françaises. Néanmoins, l’arrêt rendu par la Cour suprême espagnole, mardi 26 janvier, qui casse l’acquittement pour délit environnemental prononcé en novembre 2013 par l’audience provinciale de La Corogne, en Galice, devrait au moins permettre aux victimes de la marée noire d’être indemnisées. La haute juridiction espagnole, saisie après un recours du parquet de La Corogne et de l’Etat français, a en effet condamné le capitaine du Prestige, le Grec Apostolos Mangouras, à deux ans de prison comme « auteur d’une atteinte à l’environnement par imprudence ». Un délit pour lequel il avait été acquitté en 2013, tout comme les deux autres pré- venus, le chef mécanicien et le directeur de la Marine marchande espagnole de l’époque, José Luis López-Sors. Pour ces deux derniers, l’acquittement a été maintenu par la Cour suprême. La seule condamnation prononcée en 2013, celle du capitaine pour « désobéissance grave », pour avoir refusé durant trois heures le remorquage, a été annulée. La Cour suprême a justifié sa décision en exposant que « si l’on se dédie au transport avec un navire de vingt-six ans d’ancienneté et dans un état de conservation déficient, surchargé, avec un système de remorquage obsolète, assumant la responsabilité d’une navigation risquée, sur des eaux qui ne sont pas tranquilles, et dans des conditions météorologiques adverses, il est évident que le risque non seulement existait, mais qu’il était plus que grave ». A 81 ans, le capitaine n’ira cependant pas en prison, puisqu’en Espagne, les peines de deux ans ou moins, s’il n’y a pas récidive, permettent d’y échapper. Mais sa condamnation permet à la Cour de déclarer « la responsabilité civile directe » du propriétaire libérien du pétrolier, Mare Shipping Inc., et de l’assureur britannique, The London P & I Club, dont la couverture s’élève à un milliard d’euros. Les victimes de la marée MIGUEL VIDAL/REUTERS noire pourront aussi se tourner vers le Fonds international pour l’indemnisation des dommages entraînés par les hydrocarbures (Fidac). « Farce » Reste encore pour la Cour suprême à fixer le montant global auquel seront condamnés le capitaine, l’assureur et le propriétaire, afin d’indemniser « la réparation des dommages constatés, le manque à gagner, y compris les dommages causés à l’environnement dans ses différents aspects, l’indemnisation des dommages d’ordre matériel et moral, dans la limite des requêtes formulées par les parties dans leurs conclusions ». Le parquet espagnol avait demandé, en 2013, plus de 4,3 milliards d’euros d’indemnisations pour les dommages causés par le naufrage du Prestige. L’association de défense de l’environnement Greenpeace ironise sur la décision de la Cour suprême. « Enfin nous savons qui est le responsable final d’une des plus grandes catastrophes écologiques en Espagne », commente Julio Barea, responsable de campagne de l’ONG en Espagne. Celui-ci dé- « Le pire est qu’aucune leçon ne semble avoir été tirée de la catastrophe » MIGUEL DELGADO Plate-forme de défense du secteur maritime de la pêche en Galice nonce depuis longtemps que les « véritables responsables » de la marée noire n’ont jamais été mis en examen : ni les propriétaires du Prestige, Mare Shipping ; ni l’affréteur, la compagnie suisse Crown Resources, qui s’est dis- soute avant l’ouverture de l’enquête et a empêché que soit connu le destinataire de la cargaison – un fuel lourd de mauvaise qualité et d’origine russe – ; ni l’agence de certification, la société américaine ABS qui avait autorisé le vieux pétrolier construit en 1976 à naviguer et contre laquelle le gouvernement espagnol a porté plainte aux EtatsUnis sans succès ; ni, enfin, les responsables politiques de l’époque, qui ont pris la décision d’éloigner des côtes le pétrolier pendant cinq jours, le faisant errer en mer, en direction des côtes du Portugal puis de la France, avant de se décider à le remorquer à l’abri dans un port, « transformant un accident en catastro- Le nouveau nom de l’énergie. www.uniper-energy.fr Bure: éboulement mortel sur le site d’enfouissement de déchets radioactifs Les opposants demandent l’arrêt du projet de stockage des résidus les plus dangereux du parc électronucléaire français U ne enquête a été ouverte par le procureur de Barle-Duc (Meuse), à la suite de l’accident qui a fait un mort, mardi 26 janvier en milieu de journée, dans le laboratoire souterrain de l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra), situé à 490 mètres de profondeur, dans le sous-sol de la commune de Bure, entre les départements de la Meuse et de la Haute-Marne. Dans un communiqué, l’Andra indique qu’« un éboulement s’est produit au bout d’une galerie d’expérimentation en cours de creusement où intervenaient des salariés d’une entreprise prestataire, lors d’une opération de boulonnage ». La préfecture de la Meuse précise que « le front de taille d’un fond de galerie a glissé alors que des relevés géophysiques étaient en cours » et qu’« un éboulement est survenu, atteignant un technicien de la société Eiffage ». Celui-ci est décédé, tandis qu’un de ses collègues a été légèrement blessé. En mai 2002, un ouvrier avait déjà trouvé la mort lors du creusement de l’un des deux puits d’accès au laboratoire souterrain. Cette installation souterraine est voisine mais distincte du site où doit être aménagé le Centre industriel de stockage géologique (Cigéo) des déchets à haute activité et à vie longue. Construit au milieu d’une couche d’argilite de 120 mètres d’épaisseur, ce laboratoire de recherche et d’expérimentation, dont les travaux avaient commencé en 2000, dispose d’une autorisation de fonctionnement jusqu’en 2030. Il n’accueille pas de déchets nucléaires, seuls des traceurs radioactifs étant utilisés pour des mesures de diffusion dans la roche. Essais préindustriels Dans cette caverne, qui totalise plus de 1 400 kilomètres de galeries, l’Andra mène à la fois des recherches fondamentales sur les qualités de confinement de l’argile et des essais préindustriels sur les techniques de creusement de galeries ou le comportement de la roche. Ces études sont réalisées préalablement à la construction du site de stockage lui-même. Celui-ci est destiné à abriter les 80 000 m3 de déchets radioactifs les plus dangereux générés par le parc électronucléaire français. Le projet est encore à l’instruction : une loi sur la réversibilité du stockage est prévue avant le dépôt, en 2018, d’une demande d’autorisation de création. Les travaux pourraient débuter à l’horizon 2020 pour une mise en service en 2025, avec une phase pilote de cinq à dix ans, puis une exploitation pendant un siècle et demi. Initialement chiffré autour de 15 milliards d’euros, le coût prévisionnel de Cigéo vient d’être réévalué par la ministre de l’écologie, Ségolène Royal, à 25 milliards d’euros. L’Andra l’avait estimé à une trentaine de milliards d’euros, tandis que les producteurs de déchets (EDF, Areva et le CEA) espéraient pouvoir limiter la facture à 20 milliards. Le projet est vivement combattu par les riverains et les antinucléaires. « Cher, dangereux et insensé, le projet Cigéo-Bure doit être abandonné immédiatement », écrit la coordination Bure-Stop, pour laquelle cet éboulement mortel « ne fait que confirmer les risques démesurés » de l’enfouissement des résidus radioactifs. « Alors que l’Andra présentait le sous-sol de Bure comme un coffrefort inébranlable, il pose clairement la question de la stabilité réelle de l’argile souterraine dans laquelle pourrait être creusé Cigéo », ajoute-t-elle. Interrogée, l’Andra indique qu’il est trop tôt pour savoir quelles répercussions cet accident aura sur le projet de stockage géologique de Bure. p pierre le hir phe », selon Greenpeace. « La décision de la Cour suprême est une farce, explose le président de la Plate-forme de défense du secteur maritime de la pêche en Galice, Miguel Delgado, qui compte 31 000 membres. Le capitaine est le moins responsable, puisque la décision d’errer en mer n’a pas été prise par lui mais par les autorités maritimes espagnoles. Mais le pire est qu’aucune leçon ne semble avoir été tirée de la catastrophe. Régulièrement, des navires à la dérive sont détectés au large de la Galice et la gestion des autorités ne répond à aucun protocole clair. » « Cette décision n’empêchera pas un autre Prestige », assure aussi M. Barea. p sandrine morel 8 | france 0123 JEUDI 28 JANVIER 2016 Taubira part, la ligne Valls se renforce La ministre de la justice, opposée à la déchéance de nationalité, a annoncé sa démission mercredi 27 janvier L a démission de Christiane Taubira a été tant de fois prédite, et démentie par les faits, depuis le début du quinquennat de François Hollande que son annonce officielle, mercredi 27 janvier dans la matinée, constitue une véritable surprise. La ministre de la justice a donc décidé de jeter l’éponge alors que la réforme constitutionnelle qui prévoit l’introduction dans la Loi fondamentale de la déchéance de nationalité arrive en commission des lois ce même jour, à l’Assemblée nationale. Jean-Jacques Urvoas, l’actuel président de cette commission, devait la remplacer au cours de la journée. Pour François Hollande et Manuel Valls, il s’agit du dernier acte de la « clarification » de la ligne politique entamée en 2014, avec les départs d’Arnaud Montebourg, Benoît Hamon et Aurélie Filippetti du gouvernement. Opposée fondamentalement à l’extension de la déchéance de nationalité aux binationaux nés Français, Christiane Taubira avait évoqué plusieurs fois avec François Hollande, au cours du mois de janvier, un éventuel départ du gouvernement. Le principe en avait été arrêté avec le chef de l’Etat juste avant son voyage officiel en Inde samedi 23 janvier. A son retour, mardi soir, François Hollande a retrouvé Manuel Valls avec lequel il a arrêté les derniers détails de ce remaniement. Mme Taubira a été reçue à l’Elysée mercredi matin à 8 heures. Une conversation de 45 minutes à laquelle s’est joint en cours de route Manuel Valls. « C’était une conversation claire, chaleureuse, voire affectueuse entre les trois qui se connaissent très bien », explique-t-on à Matignon. « Du côté de Christiane Taubira, c’est le choix de la cohérence, nonobstant la qualité de son travail », indique-t-on à l’Elysée, tout en soulignant que la garde des sceaux « a préparé jusqu’au bout la réforme de la procédure pénale », qui doit également être présentée Jean-Jacques Urvoas et Christiane Taubira, à l’Assemblée nationale, le 24 juin 2015. JEAN-CLAUDE COUTAUSSE/ DIVERGENCE POUR « LE MONDE » devant le Parlement. La garde des sceaux avait déjà frôlé la sortie de route gouvernementale en décembre 2015 quand elle avait annoncé à une radio algérienne l’abandon de l’inscription de la déchéance de nationalité dans la Constitution, deux jours avant que le chef de l’Etat ne la maintienne dans le projet de réforme. Beaucoup s’étaient alors étonnés que Mme Taubira n’en profite pas pour quitter ce gouvernement avec lequel les désaccords s’accumulaient depuis déjà quelques mois. « Le petit regret, Pas de référence aux binationaux Selon plusieurs sources gouvernementales et parlementaires, la référence à la binationalité ne sera pas mentionnée dans le projet de réforme constitutionnelle. « Aucun élément qui pourrait laisser penser qu’il y aurait une discrimination entre les Français ne sera retenu », a déclaré l’une de ces sources. Le gouvernement va supprimer toute référence aux binationaux dans ce texte qui étend la déchéance de nationalité pour les crimes les plus graves. Le premier ministre, Manuel Valls, devait présenter, mercredi 27 janvier, devant la commission des lois de l’Assemblée nationale, la révision de la Constitution et ses deux lois d’application. c’est qu’on aurait pu faire ça le 23 décembre, après la présentation du projet de révision constitutionnelle, mais la ministre avait voulu rester », explique-t-on à Matignon. A la rentrée, la garde des sceaux avait été écartée du processus de réforme par Manuel Valls, qui avait annoncé qu’il défendrait lui-même le projet devant les assemblées. « Parfois, résister, c’est partir » Pourtant, c’est avec un grand sourire que Mme Taubira était apparue, lundi 25 janvier, lors de sa traditionnelle cérémonie des vœux. Recevant place Vendôme les plus hauts magistrats et les corps constitués, la garde des sceaux avait ouvert son discours en citant Jacques Prévert, « Alors on est revenu à pied, à pied tout autour de la terre, à pied tout autour de la mer, tout autour du soleil, de la lune et des étoiles. A pied à cheval en voiture et en bateau à voiles ». « Une belle façon de dire comment nous sommes revenus de l’année 2015 », avait commenté Mme Taubira. Grande adepte des discours sans notes truffés de références littéraires, elle avait une nouvelle fois réjoui son assistance en terminant son allocution en déclamant le poème de Paul Eluard « Bêtes et méchants » dans lesquels on pouvait imaginer l’ombre des terroristes. Mercredi, c’est avec un style aphoristique qu’elle a commenté sa sortie du gouvernement sur Twitter : « Parfois résister c’est rester, parfois résister c’est partir. Par fidélité à soi, à nous. Pour le dernier mot à l’éthique et au droit. » Peut-être escompte-t-elle ainsi se donner le beau rôle, mais sa sortie n’est pas si soignée, tant sa capacité à remporter ses arbitrages gouvernementaux a été mise à mal ces dernières années. A-telle tant résisté sur la réforme constitutionnelle du Conseil supérieur de la magistrature, finalement abandonnée, sur la réforme pénale de 2014, largement amputée par rapport à l’ambition initiale, sur la loi renseignement, qui a ouvert un boulevard aux servi- ces de police et à une surveillance élargie des communications personnelles, ou sur la réforme de la justice des mineurs, quelle estime centrale mais qui n’est toujours pas inscrite à l’ordre du jour d’un conseil des ministres ? Son passage au ministère de la justice aura aussi été marqué par une grande instabilité parmi ses collaborateurs, souvent épuisés par une ministre à la fois brouillon et terriblement exigeante. Alain Christnacht arrivé l’été 2015 Place Vendôme était son quatrième directeur de cabinet en quatre ans. Sa mission était de remettre de l’ordre dans des dossiers mal ficelés ou délaissés. Cet automne, en forme de désaveu pour Christiane Taubira, François Hollande avait directement reçu les syndicats des personnels pénitentiaires et les syndicats de magistrats, ce qui ne relève traditionnellement pas de l’Elysée. Signe que son apport gouvernemental aura davantage été sur le plan des valeurs que des réformes judiciaires, sa grande œuvre restera la loi sur le mariage pour tous. Un grand combat qui l’a révélée aux yeux du pays. Ministre emblématique des gouvernements Ayrault puis Valls, elle a été l’objet d’attaques d’une telle violence de l’extrême droite mais également de toute une partie de la droite parlementaire qu’elle en était devenue une icône pour la gauche. Et de ce fait, une caution pour le gouvernement de Manuel Valls qui s’est progressivement coupé de l’aile gauche du PS. La droite s’est d’ailleurs immédiatement réjouie de cette annonce. « Elle a conduit une politique de désarmement pénal avec la suppression des peines planchers et son renoncement à une politique pénitentiaire stricte : tout ça a encouragé la délinquance et la récidive », explique Guillaume Larrivé, le porte-parole du parti Les Républicains, qui n’hésite pas, signe du poids symbolique de Mme Taubira, à parler de « la pire ministre de la justice de la Ve République ». p nicolas chapuis et jean-baptiste jacquin Jean-Jacques Urvoas nommé à la chancellerie pour service rendu L’arrivée Place Vendôme du député du Finistère, homme de dossiers inspirateur de la loi sur le renseignement, devrait rassurer les magistrats J ean-Jacques Urvoas n’observera plus les membres du gouvernement à distance. Le député PS, qui garde dans son bureau de l’Assemblée des photos le montrant aux côtés des différents ministres régaliens va pouvoir rejoindre sa collection. Nommé, mercredi 27 janvier, ministre de la justice en remplacement de Christiane Taubira, démissionnaire, l’élu du Finistère se voit récompensé pour son travail à la présidence de la commission des lois, qu’il occupe depuis 2012. Plusieurs fois déçu de ne pas avoir reçu de portefeuille ministériel depuis l’élection de François Hollande, ce professeur de droit avait fini par laisser s’envoler ses rêves de gouvernement. Jusqu’à ce qu’arrive le délicat dossier de la révision constitutionnelle et sa mesure controversée d’extension de la déchéance de nationalité aux bi- nationaux nés français, en cas de condamnation pour terrorisme. Depuis qu’elle avait fait savoir son opposition à ce principe, Christiane Taubira était menacée à son poste. M. Urvoas, lui, n’avait jamais été un ardent défenseur de la mesure mais il s’était bien gardé de faire savoir publiquement ses réticences. Bien lui en a pris. Depuis que Manuel Valls lui avait demandé, mi-janvier, de trouver un compromis a priori impossible entre majorité, exécutif et opposition sur la déchéance de nationalité, ce Breton revendiqué s’était attelé à la tâche avec application, dans le plus grand secret. Et non sans une certaine fierté. Ces derniers jours, il se pavanait dans la salle des Quatre-colonnes où se rencontrent députés et journalistes, refusant obstinément de répondre à la presse, mais toujours avec un sourire malicieux. « Il bi- che », reconnaissait un député qui le connaît bien et qui, comme beaucoup d’autres, le juge presque aussi vaniteux que brillant. « Démerder l’indémerdable » M. Urvoas avait ainsi confirmé son rôle d’homme clé dans le dispositif de la majorité, lui qui avait fini par devenir le « candidat naturel à démerder l’indémerdable », comme le dit trivialement un socialiste. Au printemps 2013, c’est déjà lui qui avait été chargé de « démerder » la problématique des déclarations de patrimoine des élus. Le scénario avait été quasiment le même : un événement choc (le scandale Cahuzac en 2013 ; les attentats aujourd’hui), des annonces rapides et non concertées du chef de l’Etat (publication intégrale des déclarations de patrimoine des élus ; extension de la déchéance de nationalité), une opposition forte des parlementaires et, au final, un Jean-Jacques Urvoas nommé rapporteur pour trouver, avec succès, une piste d’atterrissage. « Rigoureux », « méthodique » et « astucieux », selon Richard Ferrand, autre député PS breton, ce fils de militaire est aussi un « travailleur acharné » selon le viceprésident de la commission des lois, Dominique Raimbourg, qui ne laisse rien au hasard. Pour appuyer ses propos, ce dernier aime à raconter que M. Urvoas écrit ses discours avec des stylos de plusieurs couleurs pour distinguer les éléments importants, le fil conducteur ou encore les choses à ne surtout pas oublier. En mars 2015, pour le débat sur le projet de loi renseignement, c’est encore lui qui avait été nommé rapporteur avec pour mission (réussie) de verrouiller le groupe socialiste malgré de nombreuses réti- cences. Ancien strauss-kahnien, adepte de Michel Rocard et de Robert Badinter (ainsi que de Mylène Farmer, mais pas pour les mêmes raisons), M. Urvoas avait fini par se rapprocher de M. Valls et s’attachait depuis à tenir l’équilibre entre loyauté à l’exécutif et défense du Parlement. Elu en 2007 et auteur en 2012 d’un Manuel de survie à l’Assemblée nationale, il avait ainsi plaidé, avec succès, pour l’instauration d’un contrôle parlementaire de l’état d’urgence, lors du vote de la prorogation de celui-ci, quelques jours après les attentats de novembre 2015. Et ne s’était pas privé, en rendant compte de ses travaux, le 13 janvier, pour mettre en garde sur le fait que « les procédures gloutonnes permises par l’état d’urgence ne viennent pas dévorer le droit commun des libertés ». Pour l’Elysée, il était donc « le choix de la compétence ». « Il maî- trise parfaitement les dossiers qu’il aura à gérer. C’est un aussi un signe de confiance vis-à-vis du parlement car c’est un pilier de l’Assemblée depuis le début du quinquennat », expliquait mercredi la présidence. Le nom de son successeur à la commission des lois n’est pas encore connu mais, dans un premier temps, M. Raimbourg prendra sa place comme rapporteur du « projet de loi constitutionnelle de protection de la nation ». A un peu plus d’un an de la fin de son mandat, le député, amoureux du Parlement et défenseur du non-cumul, se demandait s’il voulait rempilait. Après cinq ans dans l’opposition puis cinq ans à la tête des Lois, il essayait de savoir comment se « projeter » dans un troisième mandat et cherchait à s’essayer à quelque chose de nouveau. 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Par notre intermédiaire, ces données pourraient êtres communiquées à des tiers, sauf si vous cochez la case ci-contre. 10 | france 0123 JEUDI 28 JANVIER 2016 Jungle de Calais : la droite dénonce l’inertie Après les manifestations du week-end, Nicolas Sarkozy dénonce « la chienlit » et Alain Juppé se rend sur place C’ est à l’Etat de faire le travail qui est le sien pour éviter la chienlit. » En choisissant un terme entré en 1968 dans l’histoire de France par la voix du général de Gaulle, pour qualifier la situation qu’a connue samedi 23 janvier la ville de Calais (Pas-deCalais), Nicolas Sarkozy ajoute encore à la surenchère verbale à laquelle s’adonnent Les Républicains (LR) ces derniers jours. Cette déclaration, faite mardi, par l’ancien chef de l’Etat, à Strasbourg, s’inscrit dans un crescendo qui n’en finit pas depuis samedi soir. Alain Juppé se rend dans le Pasde-Calais, ce mercredi. Le candidat à la primaire doit visiter les installations de sécurité du site d’Eurotunnel, se rendre sur le port, dans un centre d’accueil et sur le camp de la Lande. Depuis le début de l’année, l’ancien premier ministre déroule ses idées sur l’immigration, la sécurité et l’antiterrorisme. Il les a résumées dans son livre Pour un Etat fort (JC Lattès, 205 p., 12 euros) où il évoque déjà Calais. « La GrandeBretagne est aujourd’hui débordée par ce problème et n’assume pas suffisamment ses responsabilités », écrit celui qui souhaite revenir sur le traité du Touquet entre Paris et Londres qui « correspondait à une réalité en 2003 mais est aujourd’hui dépassé par le flux massif des migrants ». Le sujet de Calais a même résonné dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale, mardi, avec la discussion sur les titres de séjour des étrangers qui se poursuit aujourd’hui. « L’impuissance publique règne à tous les étages, à Calais, à Cologne, à Athènes comme à Bruxelles », a lancé le député (LR, Yonne) Guillaume Larrivé devant un Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur, exaspéré : « Vous êtes dans l’instrumentalisation politique d’un sujet grave en convoquant toutes les outrances, toutes les démagogies. Vous êtes irresponsables. » Entre fermeté et exaspération A Calais, samedi, une statue du général de Gaulle a été taguée et un groupe de migrants a pénétré dans l’enceinte grillagée du port pour se hisser sur un ferry. C’est l’inscription de « Nik la France » à la peinture rouge sur une statue de De Gaulle, qui se trouve à l’origine du concert de protestations. Guillaume Peltier et Eric Ciotti ont été parmi les premiers à faire part de leur indignation sur leur compte Twitter. Le lendemain, Natacha Bouchart, maire LR de Calais, défilait pour la première fois en tête d’un cortège hostile à la présence des migrants dans sa ville. Calais est devenu l’une des priorités des dirigeants du parti LR. Chacun s’est exprimé. Avec un vocabulaire qui oscille entre fermeté et exaspération. « En souillant la statue du général de Gaulle, ces manifestants démontrent leur haine crétine pour la France », a écrit le député (LR, Paris) François Fillon sur son compte Facebook. Lundi, l’exaspération s’est prolongée. A la sortie d’une réunion Natacha Bouchart, maire de Calais, et Xavier Bertrand, président de la région, au port de ferry de Calais, le 25 janvier. SARAH ALCALAY/SIPA de crise avec Mme Bouchart et le patron du port, Jean-Marc Puissesseau, le président LR de la région Nord-Pas-de-Calais-Picardie, Xavier Bertrand, en appelle au renfort de l’armée face à un « drame humanitaire, économique et social ». « L’enjeu n’est pas de revenir à une situation supportable mais à une situation normale. Sans venir sur place, on ne peut pas rendre compte de ce qu’ils vivent. C’est PRÉSENTE EGYPTOMANIA Une collection pour découvrir la vie et les mystères de l’Egypte des pharaons NUMÉRO 3 7,99 seulement Une collection parrainée par Robert Solé Journaliste et écrivain, spécialiste de l’Egypte www.EgyptomaniaLeMonde.fr CHAQUE SEMAINE CHEZ VOTRE MARCHAND DE JOURNAUX pour ça que j’ai demandé au président de la République de se déplacer », nous confie M. Bertrand après avoir rencontré M. Cazeneuve, mercredi 20 janvier. M. Bertrand a obtenu la garantie d’une réunion interministérielle avec l’intérieur et la justice, le 3 février. Il souhaite que les intrusions sur le port, passibles aujourd’hui d’une amende, soient jugées comme des délits. « La réponse de l’Etat ne peut pas reposer sur les seules épaules du ministère de l’intérieur », poursuit-il. Preuve que la droite place Calais en première ligne, l’actualité a aussi animé lundi une grande partie du point presse hebdomadaire du parti. Après s’être concerté avec Nicolas Sarkozy, Eric Ciotti a dénoncé « la perte d’autorité du gouvernement » sur ce territoire soumis à la « loi des bandes, des casseurs ». Le député des Alpes-Maritimes en a profité pour demander « le démantèlement immédiat de la “jungle” de Calais », arguant qu’« il n’est plus possible qu’il y ait des lieux où plus aucun service public ne puisse pénétrer », alors que la police sillonne régulièrement le campement. Et bien qu’aucun recensement ne soit fait des migrants présents, M. Ciotti a « L’enjeu n’est pas de revenir à une situation supportable mais à une situation normale » XAVIER BERTRAND président (LR) de la région Nord-Pas-de-Calais-Picardie affirmé que 1 400 réfugiés sont des demandeurs d’asile et que tous les autres doivent être placés en centre de rétention avant d’être expulsés. Si Les Républicains estiment, par la voix d’Eric Ciotti, que « la situation est dégradée depuis longtemps » certes, mais que ce weekend, « on a franchi un palier avec le ferry pris d’assaut, la manifestation des promigrants et le tag sur la statue du général de Gaulle », cette présentation ne correspond pas tout à fait à la réalité. Depuis que les renforts policiers ont augmenté l’été 2015 à l’entrée du tunnel sous la Manche, le port connaît des assauts plus fréquents. Le 2 octobre 2015, déjà, une cinquantaine de Syriens avaient massivement investi le lieu et bloqué l’accès des piétons à un ferry. L’affaire n’avait pas fait grand bruit. Pas plus que les 3 et 4 septembre, dates où déjà l’enceinte grillagée du port avait été franchie par des groupes importants de migrants. Rien de bien différent samedi. Seulement cette fois, le contexte électoral de la montée du FN aux élections régionales et de concurrence aiguë à l’approche de la primaire pousse chacun à réagir sur les sujets sensibles. Aucun candidat à la primaire ne veut se laisser déborder sur les questions d’immigration. Nicolas Sarkozy est persuadé que cette thématique sera le principal sujet de débat et M. Juppé, son principal rival, durcit son discours depuis le début de l’année. La droite veut contrer la montée du Front national en tentant de trouver l’équilibre entre fermeté et crédibilité. Intervention de l’armée, dénonciation du rôle de l’Angleterre, renforcement des moyens de police, expulsions… Les propositions se multiplient sans être vraiment coordonnées. p maryline baumard et matthieu goar Une surenchère électorale sur l’immigration au-delà de ses « erreurs » et de ses « regrets », Nicolas Sarkozy livre un enseignement majeur dans son livre, ou plutôt une confirmation : il a bien l’intention de mener une campagne à droite toute pour la primaire de novembre. Dans La France pour la vie (Plon, 260 pages, 18,90 euros), publié le 25 janvier, l’ancien chef de l’Etat ne renie pas sa ligne dure de la campagne de 2012. Il assume totalement la stratégie inspirée par Patrick Buisson, son ex-conseiller venu de l’extrême droite, qui consiste à faire preuve d’une fermeté extrême sur les thèmes régaliens (immigration, sécurité) et identitaires (laïcité, islam) pour séduire l’électorat conservateur. « On ne me reprendra pas à faire des compromis de circonstance avec mes convictions. Beaucoup pensent que j’ai perdu en 2012 parce que j’en avais trop fait ; moi, je pense à l’inverse que j’aurais dû faire davantage », écrit-il, jugeant que les attentats du 13 novembre 2015 ont changé la donne. « Le besoin d’autorité et de fermeté n’a jamais été revendiqué et exigé à ce point. » Dans son livre, le président du parti Les Républicains (LR) prône la fin de toutes les aides sociales pour les étrangers en situation irrégulière et conditionne l’entrée sur le territoire à la possession d’un contrat de travail. Favorable à l’interdiction du voile à l’université et des menus sans porc dans les cantines scolaires, il souligne que « la nouvelle immigration » doit « s’assimiler ». Un choix qui vise à marquer sa différence avec Alain Juppé, partisan du concept d’« intégration ». Nettement distancé par le maire de Bordeaux dans les sondages, M. Sarkozy a décidé de formuler les positions les plus dures possible sur l’immigration et les sujets identitaires, dans l’espoir de faire apparaître son rival comme un centriste, qui serait en décalage avec les attentes du peuple de droite. « Sarkozy veut amener Juppé sur le terrain du régalien pour cliver. S’il arrive à installer le débat sur les questions de nationalité, d’identité ou de frontière, il sera difficilement battable », veut croire un de ses partisans, convaincu que le président de LR aura le bénéfice de l’antériorité sur ces sujets. Batterie de propositions Flairant le piège, Alain Juppé a musclé son discours pour tenter d’assécher l’angle d’attaque. Dans son deuxième livre-programme, Pour un Etat fort (J.-C. Lattès, 205 p., 12 euros), publié le 6 janvier, le favori de la primaire montre qu’il n’entend pas se laisser doubler sur le terrain de la fermeté. Rétablissement des peines planchers, restriction des conditions du regroupement familial… Il développe une batterie de propositions – présentées comme « non laxistes » – dans les domaines de la sécurité, de la justice et de l’immigration. Pour montrer qu’il ne sous-estime pas les questions d’immigration, l’ancien premier ministre a prévu de se rendre à la « jungle » de Calais (Pas-de-Calais), mercredi 27 janvier, où se trouvent près de 4 000 migrants. Son objectif ? Atténuer les divergences de fond avec son rival pour que la campagne de la primaire se joue avant tout sur les différences d’image et sur les sondages. Des domaines où il a, pour l’instant, l’avantage sur M. Sarkozy. p alexandre lemarié france | 11 0123 JEUDI 28 JANVIER 2016 BarakaCity, l’ONG islamique qui dérange L’association mêle humanitaire et islam rigoriste. Elle est mise en cause après une émission de Canal+ C’ est l’une des associations emblématiques de cet islam identitaire qui ont émergé en France ces quinze dernières années. BarakaCity, jeune organisation humanitaire musulmane à la popularité indéniable chez les jeunes, se trouve au centre d’une polémique après le passage de son président, Idriss Sihamedi, dans l’émission « Le Supplément » de Canal+, dimanche 24 janvier. Interrogé sur le point de savoir s’il condamnait l’organisation Etat islamique (EI), le président de BarakaCity a semblé vouloir éviter de répondre. « Ce n’est pas équitable, ce n’est pas juste, de me poser la question parce que je suis musulman », a-t-il affirmé avant de se dire « gêné de la question ». « C’est pas qu’on ne condamne pas l’Etat islamique, c’est qu’on essaie d’avoir une certaine pédagogie pour essayer de discuter avec les jeunes et pour leur faire comprendre qu’il y a une alternative qui est bien, qui est pacifique », a-t-il ajouté. Aujourd’hui, le président de BarakaCity porte un regard acerbe sur ce moment de télé : « C’était un véritable traquenard », dit-il. Il pensait être interrogé sur Moussa, un membre de l’ONG arrêté et incarcéré le 22 décembre 2015 au Bangladesh où il effectuait des « repérages » pour venir en aide aux Rohingya, une minorité musulmane persécutée par le régime birman. « J’ai été sommé d’expliquer mes convictions religieuses, de prouver que j’étais quelqu’un de bien en trois minutes. Est-ce que je suis fiché “S”, d’où viennent nos fonds, est-ce que je cache les femmes, quelle est notre position vis-àvis de l’EI ? Je n’étais pas du tout préparé à ce type de questions », assure l’humanitaire. & CIVILIS ATIONS « Je n’ai rien fait d’illégal » Il dénonce un montage le faisant apparaître « dans une posture très intégriste, très islamiste, très exotique ». Ses propos sur les femmes auxquelles il ne serre pas la main ? « J’ai le droit, on est dans le pays de Charlie, pas en Chine, je n’ai rien fait d’illégal », se défend-il. Ses atermoiements sur l’Etat islamique ? « Je ne peux pas avoir un discours de G.I. Joe. Est-ce que BarakaCity a la même idéologie que l’Etat islamique ? Bien sûr que non, c’est absurde. Nous ne sommes pas des guerriers. Mais nous sommes présents dans les zones turco-syriennes, j’y ai vingt ambulances et un camion boulangerie qui sort du pain tous les jours. Si je condamne fermement, nous serons potentiellement une cible, en Syrie et même en France. » Quoi qu’il en soit, le débat a atteint les très nombreux soutiens de l’ONG, qui dépassent la sphère « Je ne peux pas avoir un discours de G.I. Joe. Est-ce que BarakaCity a la même idéologie que l’EI ? Non » IDRISS SIHAMEDI président de BarakaCity de l’islam ultraorthodoxe. Sur le compte Facebook de l’ONG, « liké » par plus de 650 000 personnes, les commentaires s’accumulent depuis dimanche. Ce sont des témoignages de soutien, mais aussi des interrogations, voire des critiques. Reda B. fait partie de ceux qui ont réagi. Cet éducateur de 37 ans, qui habite Ivry-sur-Seine (Val-deMarne), est donateur depuis un an : « J’ai connu l’ONG par Internet, à travers ses actions au Mali, ça m’a touché. » La dimension islamique de BarakaCity lui plaît : « Matin, midi et soir, on tape sur les musulmans, à tort ou à raison. Il faut qu’on trouve un peu de réconfort au sein de notre communauté », justifie-t-il. Ce musulman pratiquant estime pourtant que le président de l’ONG a fait « une erreur » en se présentant sur le plateau de Canal+, auprès de « médias télévisuels [qui] cherchent à faire un coup », et que les propos du président de Baraka « n’ont pas été maîtrisés ». Samia, une étudiante en ressources humaines de 22 ans, juge aussi que « l’intervention du président de l’ONG était de mauvaise qualité », même si les questions qui lui étaient posées étaient « déplacées » à son sens. La communication, c’est pourtant habituellement l’un des points forts de BarakaCity. « C’est mon métier », explique Idriss Sihamedi, qui s’est formé « sur le tas » en « étudiant les rapports de grosses boîtes comme Publicis ». Le jeune homme a fondé BarakaCity à 25 ans : « J’avais un savoir-faire, la capacité de collecter beaucoup d’argent à travers des techniques de communication, j’étais ambitieux. Je voulais m’épanouir dans l’humanitaire auprès des peuples qui vivent la guerre et l’oppression. » « On est dans le feu de l’action » En France, BarakaCity organise des maraudes parisiennes auprès de sans-abri ou, plus ponctuellement, prend en charge les frais de sépulture ou le rapatriement de corps de migrants décédés à Calais. Elle dit intervenir dans 22 pays, « principalement en Afrique », notamment auprès de musulmans persécutés. « En Syrie, en Egypte, en N° 14 FÉVRIER 2016 S & C IV IL IS AT IO N LA CONQUÊTE DE L’OUEST LE MYTHE QUI E FONDA L’AMÉRIQU JÉRUSALEM CONTRE ROME MASSADA E LA RÉSISTANCE ULTIM L’HÉRITAGE CATHARE DE L’HÉRÉSIE À L’OCCULTISME ARI NÉFERT DE RAMSÈS II ÉPOUSE OIR ET FEMME DE POUV Lors de la 32e Rencontre annuelle des musulmans de France, au Bourget (Seine-Saint-Denis), le 3 avril 2015. CORINNE SIMON/CIRIC Palestine, au Bangladesh, en Birmanie, pourquoi l’islam ? », demande, en pleurs, un membre de l’ONG en mission en Centrafrique auprès des musulmans en exil, dans une vidéo de 2014. BarakaCity, relève le spécialiste Bernard Godard dans La Question musulmane en France (Fayard, 2015), est caractéristique de ces nouveaux acteurs de l’islam rigoriste qui « mélangent le registre humanitaire et ceux strictement religieux et purement identitaires ». Samia, donatrice ponctuelle, a justement aimé pouvoir s’« identifier » à une association islamique dans laquelle elle reconnaît « des valeurs qui [lui] sont chères au quotidien ». Elle apprécie surtout d’être informée « en temps et en heure », via Facebook ou Twitter, ou la qualité des campagnes telles que « L’eau c’est la vie », en 2013, qui visait à réunir des fonds pendant le ramadan pour forer des puits au Togo, dans la province musulmane de Sokodé. Dans une vidéo d’appel au don et sur un fond musical religieux, des scènes de conversion, de largages de bombes, de révolution égyptienne précèdent celles où les membres de BarakaCity viennent en aide aux villageois. « On est dans le feu de l’action, on se sent vraiment concernés », apprécie Melissa Gorden, une assistante administrative de 25 ans, installée à Belfort. « Nous sommes l’une des organisations islamiques les plus influentes et populaires de France », revendiquait l’ONG dimanche sur Facebook. Elle emploie vingtdeux salariés à son siège de Courcouronnes (Essonne). Elle ne lie pas de partenariats formels avec les grosses structures humanitaires françaises. Elle utilise parfois des méthodes qui ne correspondent pas au répertoire d’action communément partagé, telles les missions de repérage « clandestines » auprès des Rohingya. 16 millions d’euros de recettes BarakaCity fait recette. Elle dit avoir reçu, depuis 2013, 16 millions d’euros. « 100 % de nos donateurs sont des particuliers », précise M. Sihamedi. Parmi les soutiens, des footballeurs de la Ligue 1 dont M. Sihamedi tait l’identité, mais aussi les rappeurs Rohff ou La Fouine. M. Sihamedi a beau rappeler que son bilan a été certifié conforme, les banques ne veulent pas de l’association. Depuis 2014, ses comptes « ont été fermés trois fois sans que cela soit lié à une Moussa Ibn Yacoub attend sa libération Moussa Ibn Yacoub, le Français membre de BarakaCity, emprisonné au Bangladesh depuis le 22 décembre 2015 pour « activités suspectes », attendait de savoir si sa demande de libération sous caution était acceptée, mercredi 27 janvier. Le jeune homme de 28 ans est poursuivi pour utilisation d’une identité – son nom d’usage musulman – différente de son état civil, Puemo Maxime Tchantchuing. Il lui est aussi reproché de ne pas avoir déclaré ses activités aux autorités. Moussa réalisait au Bangladesh un « état des lieux » sur la situation des réfugiés rohingya, une minorité musulmane persécutée en Birmanie. Son incarcération a entraîné une large mobilisation sur les réseaux sociaux et sur Internet où une pétition #FreeMoussa, lancée à Noël sur le site de l’ONG, a recueilli plus de 435 000 signatures. procédure judiciaire, explique son avocat, Me Samim Bolaky. Cela relève du pouvoir discrétionnaire des établissements ». « Sur le plan judiciaire, l’association est vierge », insiste Me Bolaky. Deux perquisitions dans les locaux de BarakaCity n’ont pas permis à la police de relever d’infraction. L’une, en février 2015, faisait suite à l’usage non réglementaire d’un drone, à proximité des locaux de l’association, destiné à filmer le départ d’un convoi d’ambulances pour la Syrie. La seconde a eu lieu dans le cadre de l’état d’urgence. Pour le ministère de l’intérieur, BarakaCity est « une association sous surveillance », compte tenu de son profil idéologique et du fait qu’elle opère en Syrie. Idriss Sihamedi est très offensif sur Twitter. Le discours du président de l’ONG, qui réfute l’étiquette de salafiste, y apparaît plus dur et plus politique. Avant de lancer la campagne #FreeMoussa, BarakaCity était particulièrement active sur la dénonciation des « abus » de l’état d’urgence, en association avec le Collectif contre l’islamophobie en France. La vidéo réalisée sur le sujet par l’ONG a été vue plus de 1,4 million de fois. p cécile chambraud et julia pascual Najat Vallaud-Belkacem et les « ennemis de la République » la ministre de l’éducation ne veut pas « débattre avec les ennemis de la République ». Après un message sur Facebook et un entretien au Parisien du mardi 26 janvier, c’est à l’Assemblée que Najat Vallaud-Belkacem a dû s’expliquer mardi après-midi, critiquée par une partie de la droite et sur les réseaux sociaux pour avoir réagi a minima, dimanche 24 janvier, sur Canal+, à des déclarations du fondateur de l’ONG musulmane BarakaCity, Idriss Sihamedi. Sur le plateau de l’émission « Le Supplément », Idriss Sihamedi avait expliqué qu’il ne « serre pas la main aux femmes » et s’était montré louvoyant sur la question de savoir s’il condamnait l’organisation Etat islamique. « J’ai refusé de servir la soupe à ce monsieur en lui offrant une tribune supplémentaire », s’est justifiée Mme Vallaud-Belk- acem, mardi, devant les députés. « Ma règle est simple : on ne débat pas avec les ennemis de la République, on les combat, et mon combat est total. Il exclut tout dialogue artificiel et toute mise en scène », a-t-elle ajouté, en évoquant « une polémique dérisoire ». « Petit jeu nauséabond » Dans Le Parisien, Mme Vallaud-Belkacem avait critiqué les producteurs de l’émission, en dénonçant « un petit jeu nauséabond consistant à inviter des gens infréquentables pour faire du buzz ». La ministre, invitée pour présenter les mesures de l’éducation nationale contre la radicalisation, n’était pas préparée à débattre avec le fondateur de BarakaCity, indique son cabinet. « Je ne connais pas bien l’association », reconnaît d’ailleurs la ministre durant l’émission. De son côté, Idriss Sihamedi a déploré sur Facebook le « montage » de l’émission et a dit vouloir s’expliquer « sans être coupé ». Il explique qu’il avait choisi de faire cette émission pour parler de Moussa Ibn Yacoub, membre de l’ONG emprisonné au Bangladesh. Le rédacteur en chef du « Supplément », Guillaume Hennette, dément avoir cherché la confrontation entre ses invités. « Nous avons été factuels du début à la fin, dans le reportage et dans l’interview, rappelle-t-il. Nous avons posé les bonnes questions. On demande à Idriss Sihamedi ce que “musulman orthodoxe” veut dire, ce qui est normal. Il a sa réponse, qui crée un malaise sur le plateau, mais il n’y a pas eu de clash et nous n’avons pas cherché cela. » p violaine morin Un voyage à travers le temps et les grandes civilisations à l’origine de notre monde Dans chaque numéro, vous retrouverez ■ les signatures d’historiens et d’un comité scientifique renommés ■ six dossiers riches en infographie et en iconographie ■ un regard sur toutes les civilisations qui ont marqué notre humanité CHAQUE MOIS CHEZ VOTRE MARCHAND DE JOURNAUX 12 | france 0123 JEUDI 28 JANVIER 2016 La loi fin de vie adoptée sans apaiser le débat Les parlementaires devaient voter, mercredi, le texte instaurant un droit à la «sédation profonde et continue» C e ne sera ni l’avancée décisive espérée par les partisans d’un « droit à mourir » ni le statu quo défendu par les pro-vie. Plus de dix ans après la loi Leonetti, à l’issue d’un long et houleux processus d’élaboration entamé en 2012, la France devrait se doter, mercredi 27 janvier, d’une nouvelle loi sur la fin de vie. Sauf coup de théâtre au Palais du Luxembourg, une majorité de députés puis de sénateurs issus de la majorité et de l’opposition devraient définitivement se prononcer en faveur d’un texte instaurant un droit à la « sédation profonde et continue » jusqu’au décès pour les malades en phase terminale, ainsi que des directives anticipées contraignantes. « On va passer d’un devoir des médecins à un droit des malades », explique le député Jean Leonetti (LR), coauteur de la proposition de loi avec son homologue Alain Claeys (PS). Stricte traduction d’un engagement de campagne du candidat François Hollande en 2012 qui promettait le droit à une « assistance médicalisée pour terminer sa vie dans la dignité », le texte n’autorisera ni l’euthanasie ni le suicide assisté, au grand dam d’une partie des parlementaires de gauche. « Consensus mou » En décembre 2014, plus d’un an et demi après le vote du mariage homosexuel, le chef de l’Etat avait souhaité que l’autre grande réforme sociétale de son quinquennat se fasse dans un « esprit de rassemblement ». Marginalisés par ce choix, le premier ministre, Manuel Valls, et la ministre de la santé, Marisol Touraine, tous deux signataires en 2009 d’une proposition de loi prévoyant une « aide active à mourir », n’ont cessé de répéter que cette loi de consensus devait être vue comme une « étape ». En dépit des – vaines – tentatives de députés de gauche d’instaurer une aide active à mourir, et celles de sénateurs de droite pour Désormais, un médecin ne pourra s’opposer à une demande de sédation de la part d’un patient atteint d’une « affection grave et incurable » neutraliser un texte soupçonné de permettre des pratiques euthanasiques, la version sur laquelle vont se prononcer les deux Chambres mercredi est finalement assez proche de celle que François Hollande avait appelée de ses vœux. « Nous avons levé les inquiétudes et les ambiguïtés sans dénaturer le texte », expliquait Jean Leonetti le 19 janvier, à l’issue d’une commission mixte paritaire qui venait d’harmoniser les positions des deux Chambres sur le sujet. Concrètement, la nouvelle loi va mettre en place ce que M. Leonetti appelle un « droit de dormir avant de mourir pour ne pas souffrir ». Si cette pratique sédative existe déjà dans les hôpitaux français, « elle est loin d’être générale et homogène », avaient constaté les deux auteurs de la proposition de loi. Désormais un médecin ne pourra pas s’opposer à une demande de sédation profonde et continue de la part d’un patient atteint d’une « affection grave et incurable », dont le « pronostic vital est engagé à court terme » et qui présente une « souffrance réfractaire aux traitements ». Ou lorsque sa « décision d’arrêter un traitement engage son pronostic vital à court terme et est susceptible d’entraîner une souffrance insupportable ». Cette sédation, qui devra être accompagnée d’un arrêt de tous les traitements, y compris de l’alimentation et de l’hydratation ar- Soins palliatifs : nomination contestée La possible nomination du docteur Véronique Fournier à la tête du futur Centre national des soins palliatifs et de la fin de vie agite depuis quelques semaines le milieu des soins palliatifs. Pressentie pour diriger la structure qui devra mieux faire connaître les soins palliatifs, la directrice du Centre d’éthique clinique de l’hôpital Cochin est connue pour ses prises de position en faveur d’un recours à l’euthanasie dans certaines situations. Dans un communiqué publié le 15 janvier, la Société française de soins palliatifs (SFAP), une société savante qui rassemble plus de 5 000 soignants et 200 associations de bénévoles, a regretté cette possible nomination, qu’elle a jugée « en conflit avec les positions éthiques du monde des soins palliatifs ». Face à cette levée de boucliers, le ministère de la santé temporise et assure qu’il n’y a « pas d’urgence » à nommer quelqu’un à la tête du centre. SOC I AL Manifestation de milliers de fonctionnaires Des milliers de fonctionnaires ont manifesté, mardi 26 février, dans des cortèges qui mêlaient revendications pour le pouvoir d’achat et, dans l’éducation nationale, contestation de la réforme du collège. Les 5,6 millions d’agents de la fonction publique ont perdu entre « 8 % et 10 % » de leur pouvoir d’achat en cinq ans, selon FO et la CGT, qui ont appelé à la mobilisation avec Solidaires. Depuis 2010, le point d’indice qui sert à calculer leurs salaires est gelé. La ministre de la fonction publique, Marylise Lebranchu, a répété mardi que les fonctionnaires ne tificielles, a concentré depuis un an les critiques des pro-euthanasie et des pro-vie. L’Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD) a regretté que le nouveau texte, « fruit d’un consensus mou », propose « pour seule issue la déshydratation et la dénutrition ». La loi Claeys-Leonetti va « encourager une pratique abracadabrantesque de l’euthanasie », juge le sociologue Philippe Bataille, très critique envers la nouvelle loi. Au collectif pro-vie Soulager mais pas tuer, on estime que ce droit à la sédation « reste très ambigu, les parlementaires ayant refusé de préciser que l’intention de la sédation ne doit pas être de provoquer la mort ». « Quels que soient les limitations légales et les garde-fous, les médecins pourront de moins en moins refuser d’introduire un patient, à sa demande, dans cette antichambre sédative prémortuaire », déplore Damien Le Guay, le président du Comité national d’éthique du funéraire dans une tribune au Figaro. « Avec ce droit à une sédation terminale, des situations inextricables vont apparaître », prévient-il. Procédure collégiale A ces différentes critiques, Bernard Devalois, le chef de service de l’unité de soins palliatifs de l’hôpital de Pontoise (Val-d’Oise), répond qu’il s’agit d’une « sédation palliative ou bientraitante car elle n’est pas responsable du décès. Sauf évidemment si les sédatifs utilisés sont volontairement très largement surdosés », ajoute-t-il, regrettant au passage que les parlementaires aient renoncé à mettre en place un dispositif de contrôle a posteriori des pratiques sédatives, afin d’« évaluer le dispositif et ses éventuelles dérives ». Les directives anticipées, par lesquelles il est possible de faire connaître son refus d’un acharnement thérapeutique – jusque-là simplement indicatives – s’imposeront désormais au médecin, sans être toutefois opposables. Le soignant pourra en effet y déroger « en cas d’urgence vitale pendant le temps nécessaire à une évaluation complète de la situation » et lorsqu’elles « apparaissent manifestement inappropriées ou non conformes à la situation médicale ». Ce refus devra être pris à l’issue d’une procédure collégiale et figurer noir sur blanc dans le dossier médical du patient. Après le vote, plusieurs aspects de la loi devront encore être précisés par décret, dont la formulation du futur formulaire-type de directives anticipées. Une parution espérée d’ici à juin par M. Claeys. p françois béguin devaient pas s’attendre à une « grosse augmentation du point d’indice », lors de la négociation salariale prévue en février. C’est dans l’éducation nationale que la grève a été la plus suivie : 22,3 % des professeurs étaient en grève dans les collèges, selon le ministère (50 % selon le premier syndicat), et 12,24 % dans le primaire (33 %, de source syndicale). – (AFP.) EN FAN C E L’adoption à l’étranger au plus bas Le nombre d’enfants adoptés à l’étranger a chuté de 24 % en France en 2015, tombant au plus bas niveau depuis trente-cinq ans et avoisinant désormais le niveau des adoptions réalisées sur le territoire national. Un total de 815 visas ont été délivrés en 2015 pour des enfants adoptés à l’étranger, comparé à 1 069 en 2014, chiffre qui était déjà en baisse de 20 %, selon le Quai d’Orsay. – (AFP.) I MMI GRAT I ON Quatre blessés au cours d’une rixe dans le camp de Grande-Synthe Quatre migrants ont été légèrement blessés mardi 26 janvier à Grande-Synthe (Nord), dont deux par arme à feu, lors d’une rixe entre bandes rivales de passeurs dans le camp où vivent dans des conditions très précaires quelque 2 500 migrants. – (AFP.) france | 13 0123 JEUDI 28 JANVIER 2016 La colère gronde chez les procureurs sous pression Devant la multiplication des tâches et la pénurie de moyens, les représentants des parquets renoncent à une partie de leurs missions I ls sont chargés d’ouvrir les enquêtes judiciaires, d’engager les poursuites contre les auteurs de délits, de porter le fer jusque dans les tribunaux au nom de l’accusation. Incarnation des rigueurs de la loi pénale, les procureurs de la République n’en sont pas moins sujets aux mouvements d’humeur. En ce début 2016, la colère monte. Depuis le 1er janvier, 86 % des 168 procureurs que compte la France ont décidé de ne pas faire remonter à la chancellerie leur traditionnel « rapport annuel du ministère public ». Plus exactement, ils vont en transmettre une version allégée bâtie sur une trame unique élaborée par la Conférence nationale des procureurs de la République, une association qui les fédère. Une première ! « Nous arrêtons de fournir des éléments basés sur des tableaux faits manuellement alors que nos outils informatiques ne nous permettent pas de produire les statistiques demandées », justifie Marc Cimamonti, procureur de Lyon, qui assume la présidence par intérim de cette Conférence nationale. Cela fait plusieurs mois que la tension monte avec le ministère de la justice. Une première réunion en septembre 2015 avec le cabinet de la garde des sceaux a été suivie en octobre par la réunion annuelle des procureurs de la République et des procureurs généraux (ceux qui siègent dans les cours d’appel) en présence de Christiane Taubira, puis en décembre d’un courrier à la ministre de la justice. C’est désormais un dossier dont devra s’emparer le nouveau garde des sceaux, JeanJacques Urvoas. Revendication d’indépendance Dans un contexte de pénurie de moyens commune à tous les domaines de la justice, les procureurs s’estiment victimes d’une explosion des missions. Entre l’inflation des lois pénales qui sollicitent leur intervention à des étapes toujours plus fréquentes de la procédure, et l’obligation de participer et d’animer des instances partenariales de plus en plus nombreuses, ils affirment ne plus être en mesure de faire face. L’assemblée générale de la Conférence des procureurs, qui ne veut surtout pas être confondue avec un syndicat, a ainsi décidé NOMBRE DE PROCUREURS POUR 100 000 HABITANTS EN 2012 15,7 11,8 10,1 5,9 2,3 2,9 3,2 Irlande France Italie Roy.-Uni 6,5 Allem. Danemark Moy. Pologne Europe SOURCE : RAPPORT 2014 DE LA COMMISSION EUROPÉENNE POUR L’EFFICACITÉ DE LA JUSTICE mi-décembre de faire un tri dans les missions. Outre la grève des rapports administratifs qui leur sont demandés par leur hiérarchie, ils ont décidé de « suspendre leur participation à toute instance partenariale sans lien avec les missions de sécurité ou dénuée de véritable contenu opérationnel ». Le parquet de Lyon a ainsi prévenu qu’il ne participerait pas cette année aux réunions des vingt-six conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance (qui rassemblent maires, préfet, directeur départemental de la sécurité publique, etc.) de son ressort. A Créteil, lors de l’audience solennelle de rentrée du tribunal de grande instance, mardi 19 janvier, Nathalie Bécache, procureure, a affirmé que son parquet « concentre ses forces et recentre son action sur son cœur de métier : l’action publique et la direction de la police judiciaire ». Cette conception selon laquelle le cœur de métier serait le volet répressif fait hurler à la chancellerie où l’on considère au contraire que la prévention et la présence du parquet dans la cité sont des éléments essentiels de la mission. Derrière ce débat, remonte l’éternelle revendication d’indépendance du parquet à l’égard du pouvoir exécutif. La réforme constitutionnelle du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) qui lui donnerait l’autonomie pour la gestion des carrières des magistrats du parquet comme elle existe pour ceux du siège n’est pas près de voir le jour, tant la droite parlementaire y est fondamentalement opposée et la gauche frileuse malgré ses déclarations de grands principes. Le premier procureur de France, Jean-Claude Marin, a relancé le sujet lors de l’audience de rentrée de la Cour de cassation, le 14 janvier. Certes, il s’est réjoui de la loi de 2013 qui proscrit désormais les instructions individuelles de la chancellerie dans les affaires particulières, comme de l’engagement, respecté à ce jour, de la garde de sceaux de ne pas passer outre les avis défavorables du CSM aux nominations de magistrats du parquet. Mais il en demande plus, notamment sur le statut du parquet, appelant de ses vœux « l’inscription du principe de l’unicité du corps [avec les magistrats du siège] dans la Constitution ». Une sortie qui a désinhibé la parole. La très sage Conférence des procureurs généraux y est donc allée, à son tour, d’un communiqué le 20 janvier. Ces « gradés » des cours d’appel légitiment la rébellion des procureurs en affirmant que « les contraintes aiguës qui pèsent aujourd’hui sur les magistrats du ministère public rendent impérieuse la mise en œuvre des mesures propres à adapter (…) l’action des parquets et des parquets généraux à leurs moyens actuels, dans leurs missions essentielles ». Les recrutements record d’élèves à l’Ecole nationale de la magistrature décidés par le gouvernement risquent de ne pas suffire à résoudre les problèmes. p jean-baptiste jacquin La mortalité routière en hausse pour la deuxième année consécutive La vitesse moyenne sur les routes augmente à nouveau depuis 2013 E n 2015, 3 464 personnes sont mortes sur les routes de France, a annoncé l’Observatoire national interministériel de la sécurité routière (Onisr), mercredi 27 janvier. C’est 2,4 % de plus qu’en 2014 (3 384 décès), première année de hausse de la mortalité depuis 2002. C’est la première fois depuis 1980 que la mortalité est en hausse deux années de suite. Parmi les causes avancées, l’Onisr constate une augmentation des vitesses moyennes, de 1 km/h à 4 km/h, selon les réseaux, depuis 2013. Cela constitue une inversion de tendance, après dix années de diminution des vitesses moyennes, liée à l’implantation des radars. « La trop grande connaissance par les automobilistes de l’emplacement des dispositifs de contrôle a manifestement atténué leur efficacité », indique l’Onisr. Le gouvernement n’envisage pas, néanmoins, d’interdire les avertisseurs de type Coyote. Il a annoncé, lors d’un comité interministériel de la sécurité routière, le 2 octobre 2015, une multiplication des radars sur les routes. Mais les leurres annoncés ne verront le jour qu’à partir de février. Passation de marchés L’utilisation d’opérateurs agréés pour faire fonctionner les radars embarqués à bord de voitures banalisées, indétectables par les avertisseurs, nécessite la passation de marchés et ne se fera pas avant septembre. Quant à l’utilisation de drones pour verbaliser depuis les airs, elle soulève de nombreux problèmes juridiques. Pour Chantal Perrichon, présidente de la Ligue contre la violence routière, « ces mauvais résultats montrent que les 81 mesures tous azimuts annoncées par le ministre de l’intérieur depuis le début de l’année n’ont eu aucun effet ». Elle estime que cette deuxième année consécutive de hausse de la mortalité « constitue la sanction d’un ministre [Bernard Cazeneuve] qui ne veut pas travailler avec les experts et qui s’obstine à refuser la seule mesure qui aurait un effet sur la mortalité », à savoir la généralisation de la baisse de la vitesse maximale autorisée, de 90 km/h à 80 km/h, sur les routes à double sens dépourvues de séparateur médian. Cette baisse de la vitesse n’est expérimentée que sur 81 kilomètres de segments routiers. p rafaële rivais 14 | enquête 0123 JEUDI 28 JANVIER 2016 De cape et d’épée Alain Finkielkraut doit être reçu, jeudi 28 janvier, à l’Académie française. Une consécration pour ce philosophe tourmenté qui n’a cessé d’ausculter les angoisses de l’époque raphaëlle bacqué L e tailleur de Stark & Sons a proposé de placer sur le revers de l’habit d’académicien la Légion d’honneur d’Alain Finkielkraut. « Impossible, je l’ai perdue !, s’écrie le philosophe. Non, pas la peine de racheter une médaille. Cela ira très bien comme ça ! » Ce n’est pas que l’auteur de L’Identité malheureuse méprise les honneurs de la République. Mais, au seuil de l’Académie française, à 66 ans, il reste encore en lui les oripeaux de l’ancien professeur de littérature qu’il fut dans les années 1970, à l’université libertaire de Berkeley (Californie), « lorsque [sa] génération déconstruisait mythes et institutions et considérait l’Académie comme le temple de la bourgeoisie triomphante ». Mérimée, lui-même élu à l’Académie en 1844, moquait déjà en son temps les messieurs du Quai Conti et leur « habit broché d’estragon ». « Je ne veux pas être un monsieur », a longtemps protesté Finkielkraut devant ses amis, avant de céder aux « amicales pressions » de l’historien Pierre Nora, qui prononcera, jeudi 28 janvier, son éloge. Mais enfin le voilà, vingt et un mois après son élection, prêt à revêtir son bel habit et muni de cette épée « qui va enfin pouvoir [le] défendre », dit-il en riant. Tout à l’heure, sur le trottoir de la très chic rue de la Paix, devant chez son tailleur, un passant l’a abordé pour lui dire son « admiration ». Puis un autre, un peu plus loin, l’a assuré de son « soutien » après l’émission « Des paroles et des actes », le 21 janvier, où une en- seignante, proche des Indigènes de la République, lui avait intimé, avec un sourire implacable : « Pour le bien de la France, taisezvous M. Finkielkraut ! » Du batailleur ou du narcissique, de l’intellectuel reconnu par l’Académie au polémiste à succès, lequel est le mieux comblé par ces hommages ? Quelques semaines après son élection, le 10 avril 2014, le président de la République, protecteur de l’Académie, l’a reçu en audience, comme le veut l’usage, accompagné du secrétaire perpétuel, Hélène Carrère d’Encausse. François Hollande n’avait jamais vraiment rencontré celui que la gauche désigne au mieux comme un « néoréactionnaire ». Entre eux, la conversation est restée superficielle et mondaine. Trente minutes, tout au plus. Le président n’aime pas ce philosophe venu de la gauche, mais dont les plaidoyers frénétiques et sombres contre l’islam, le délitement de l’école et de l’identité nationale ont fini par rejoindre les angoisses d’une partie du pays. « Il ne veut pas aborder ces sujets », a tranché Finkielkraut en sortant. « Cet homme voit tout en noir », a confié le président à ses conseillers. « JE SUIS UN APÔTRE DE LA DIVERSITÉ » L’Académie joue plus habilement des névroses de « Finky ». Avant de le recevoir en grande pompe, elle l’a soumis, le 21 janvier, à l’épreuve du dictionnaire. Il fallait improviser une petite dissertation orale à partir d’un mot choisi par les Immortels. Ce pourfendeur du métissage est tombé sur « variété ». « J’ai échappé à “varice” ou “variole”, c’est déjà ça », s’amuse-t-il. Devant l’aréopage, curieux de voir comment il allait s’en sortir, Alain Fin- « POURQUOI, ALORS QU’IL EST DRÔLE ET GAI, S’ÉCHINE-T-IL À JOUER AUX ONCLES RABAT-JOIE EN BOUT DE TABLE ? » SYLVIE TOPALOFF avocate et épouse du philosophe kielkraut s’est lancé. Il a cité son ami Milan Kundera : « L’Europe, c’est le maximum de variété dans le minimum d’espace. » Puis le mot de l’écrivain tchèque Vaculik. Alors qu’on lui rapportait cette sentence de De Gaulle « Comment voulez-vous gouverner un pays qui produit plus de 300 sortes de fromages ? », le dissident qui bataillait contre le totalitarisme soviétique s’était écrié : « C’est magnifique ! » Bref, Finkielkraut a passé l’épreuve haut la main. « Vous voyez, je suis un apôtre de la diversité, contrairement à ce que tout le monde raconte ! », dit-il triomphant. Pour l’éprouver encore un peu, il a fallu aussi qu’il entende à l’avance l’éloge que prononcera Pierre Nora – « Des compliments qui me font rougir et quelques taquineries sur mes provocations », confie-t-il. Et surtout qu’il dise le sien devant une sorte de jury de douze académiciens. Ah, ce discours ! Il sait bien qu’il est attendu au tournant. Il doit en effet faire l’éloge de Félicien Marceau, au fauteuil duquel il a été élu. Marceau, écrivain célèbre en son temps, mais aussi ancien collaborateur, condamné par contumace en 1946 à quinze ans de travaux forcés et déchu de sa nationalité belge. Pendant des mois, Finkielkraut s’est lamenté auprès de ses amis : « Voilà qu’on me demande de faire l’éloge d’un nazi ! » Lui, l’auteur du Juif imaginaire, l’homme au nom « tellement imprononçable qu’au lycée [ses] parents avaient obtenu qu’on [l]’appelle seulement Fink ». Puis, il s’est attelé à la tâche. « J’ai téléphoné en Belgique, contacté des historiens, bref, mené ma petite enquête », dit-il aujourd’hui. « C’était un pacifiste qui s’est trompé d’époque, mais il a été naturalisé par de Gaulle et parrainé à l’Académie par Maurice Schumann. Et puis, j’ai eu le pressentiment que ce passé me permettrait de dramatiser mon discours. » Cet été, il est parti à Paros, en Grèce, avec une valise pleine des livres de Marceau, sa femme et deux de ses vieux amis, André Dussollier et Fabrice Luchini. Ils ne l’ont vu qu’au moment des repas. « J’ai écrit mon discours en deux semaines », assuret-il fièrement, avant de reconnaître en riant : « Mais j’avais plusieurs mois d’angoisses derrière moi… » Quai Conti, le « cas Marceau » n’en est plus un depuis longtemps. Proche de Michel Déon, l’auteur passait pour le chantre d’un certain esprit français et le pardon de De Gaulle avait rassuré tout le monde. L’ancien résistant Pierre Emmanuel, seul académicien à avoir refusé de siéger « sur les mêmes bancs qu’un collaborationniste » est presque oublié, alors que presque tous les Immortels se souviennent encore d’avoir vu au théâtre les pièces de Marceau jouées à guichets fermés par Jean-Claude Brialy, Marie Bell ou Guy Bedos. Les académiciens sont bien plus curieux de la façon dont leur nouveau condisciple va se conduire. Pierre Nora leur a rapporté ce mot de Kundera sur son ami Finkielkraut : « C’est un homme qui ne sait pas ne pas réagir. » Ils connaissent ses diatribes de prophète tourmenté à la télévision. Ecoutent souvent, ou sont invités à « Répliques », son émission culte sur France Culture. Ont lu plusieurs de ses essais. Ils savent que le secrétaire perpétuel de l’Académie, Hélène Carrère d’Encausse, « la Tsarine » comme on appelle cette historienne de la Russie, admiratrice de Poutine, partage sa vision d’une France en déclin, enquête | 15 0123 JEUDI 28 JANVIER 2016 Alain Finkielkraut, lors des essayages chez Stark & Sons, mardi 26 janvier, à Paris, et son épée d’académicien reçue des mains d’Amin Maalouf, le 18 janvier. SIMONE PEROLARI POUR « LE MONDE » elle qui rêve de faire entrer Michel Houellebecq sous la coupole. Plusieurs d’entre eux plaident d’ailleurs depuis longtemps auprès du philosophe pour qu’il les rejoigne. La « Tsarine » et Pierre Nora, bien sûr, ont beaucoup œuvré, mais ils ne sont pas les seuls. Quelques mois avant de mourir, l’écrivain d’origine argentine Hector Bianciotti avait déjà engagé Finkielkraut à rejoindre l’auguste assemblée. Max Gallo et Michel Déon sont intervenus à leur tour. Puis c’est Jean d’Ormesson qui a plaidé la cause de l’Académie. Depuis quarante-trois ans qu’il y siège, l’auteur d’Au plaisir de Dieu s’échine à en renouveler les rangs. « J’ai essayé, à la fin des années 1970, de pousser Aragon, mais on m’a dit : “Qu’il fasse ses visites !” Puis j’ai raté Raymond Aron : il ne voulait pas prendre le risque d’être battu. J’ai plaidé pour que Marguerite Yourcenar soit la première femme élue en 1980. Modiano et Le Clézio, hélas, ne veulent pas venir, énumère-t-il dans le charmant boudoir de son hôtel particulier de Neuilly. Nous aurions pu tenter de faire venir André Glucksmann, mais il aurait sans doute été trop antipoutinien pour notre “Tsarine”. Quant à Alain Finkielkraut, je ne partage pas toutes ses idées, qui sont d’ailleurs difficiles à cerner. Mais, pour entrer à l’Académie, il faut du talent, être de bonne compagnie et un peu de notoriété. J’ai dit oui, et Nora lui a téléphoné. » Finkielkraut a hésité, un peu. Il le sait bien, « la doxa intello rigole dès que l’on parle de l’Académie. Fallait-il aller au-devant du sarcasme » ? Dès que sa candidature a été connue, les moqueries n’ont d’ailleurs pas manqué. L’acteur Vincent Lindon, croisé un jour dans sa rue, à proximité du jardin du Luxembourg, l’a interpellé rudement : « Mais enfin, c’est quoi cette lubie ridicule ! » Sa femme, Sylvie Topaloff, avocate reconnue, s’inquiétait de le voir remonter au front après le cancer, la dépression et les multiples polémiques qui, depuis dix ans, ont rétréci peu à peu le cercle de leurs amis. « Lorsque je m’ennuie, je dresse la liste de tous ceux que nous avons perdus à cause de la politique », dit-elle. C’est toujours à elle que l’on téléphone pour dire, outré : « Tu as vu ce qu’il a encore dit ! » C’est elle aussi qui regarde pour lui les réseaux sociaux, après chaque grande émission de télévision à laquelle il succombe. « Alain » n’a pas de portable, déteste Internet, mais il connaît ainsi le moindre tweet vengeur contre lui. « Il devrait se faire rare dans les médias, mais, lorsqu’il est attaqué, il ne peut pas s’empêcher d’entrer dans la bagarre, regrette-t-elle. Pourquoi, alors qu’il est drôle et gai, s’échine-t-il à jouer aux oncles rabat-joie en bout de table ? » Cette Académie si feutrée était-elle bien pour lui, batailleur émotif et passionné capable de dénoncer le « prix du néant » des œuvres de l’artiste contemporain Jeff Koons, comme « la folle célébration du multiculturalisme » de l’enterrement de Nelson Mandela ? Leur fils, Thomas, scénariste de cinéma, a tout de suite levé les doutes. Le jeune homme n’a pas toujours bien vécu le tumulte que provoque un peu partout son père. « Quand mes professeurs le détestaient, ils me détestaient aussi. Lorsqu’ils l’admiraient, je ne pouvais que les décevoir », a-t-il souvent confié à ses amis. Cette fois, il n’a pas hésité. « Tu ne peux pas refuser ! Pense à tes parents. Ce serait pour eux comme une superbe Légion d’honneur. » Car, chez les Finkielkraut, continue de planer la mémoire de ces maroquiniers juifs polonais ayant fui les pogroms nazis où ont péri tant d’oncles, de tantes et de cousins. Au sein du conseil de famille, chacun savait déjà que la mère d’Alain, atteinte de la maladie d’Alzheimer, n’aurait pas conscience de ce suprême signe de la réussite de ce fils unique pour lequel elle était allée plaider, avec sa voix rauque et son mauvais français, devant le proviseur du lycée Henri-IV pour qu’il l’accepte parmi ses élèves – « D’accord, mais trois mois à l’essai », avait dit le directeur du lycée d’élite. C’est en mémoire de cette mère dévorante qui avait attendu tant d’années, la porte ouverte sur le palier, le lycéen prodige, que le fils a dit oui. Elle est morte sans avoir su l’honneur qui lui était fait. « Mes parents ne seront pas là. Ni mon beau-père, regrette-t-il, mais on vit avec ses morts. » Pour se rassurer un peu plus, l’éternel angoissé a cependant encore appelé le cercle des intellectuels qu’il admire. La philosophe Elisabeth de Fontenay, d’abord, – « Ma meilleure amie », confie-t-il –, si souvent en désaccord avec lui, mais qui « ne s’est jamais résolue, dit-elle avec humour, à jeter le bébé avec l’eau du bain ». Puis l’historienne Mona Ozouf. Il voulait savoir pourquoi elle avait refusé l’Académie. Mais aussi s’enquérir de ce qu’elle avait pensé de l’élection de son ami François Furet, mort quelques mois avant son discours d’entrée quai Conti. Alors Mona Ozouf a raconté ses « sentiments mélangés » face au choix du grand historien de la Révolution qui, quelques années avant d’accepter lui-même de devenir Immortel, avait gentiment moqué l’élection de l’avocat Jean-Denis Bredin en le prenant par l’épaule, dans un geste qui lui était familier, pour lui asséner : « Mon pauvre Jean-Denis, cela devait finir comme ça… » Mais elle a achevé de convaincre Finkielkraut. « Il est haï, c’est vrai. Notamment des professeurs qu’il met si souvent en cause, reconnaît-elle. Mais c’est un défenseur de la langue française et des classiques. Et si cela lui fait plaisir, il faut y aller. » SEIZE VOIX SUR VINGT-HUIT À L’ÉPREUVE DU DICTIONNAIRE, CE POURFENDEUR DU MÉTISSAGE EST TOMBÉ SUR « VARIÉTÉ ». « J’AI ÉCHAPPÉ À VARICE OU VARIOLE, C’EST DÉJÀ ÇA », S’AMUSE-T-IL Il a enfin appelé Pascal Bruckner, l’ami des années de jeunesse et le coauteur de son premier grand succès, Le Nouveau Désordre amoureux, en 1977. « Dix ans d’une amitié fraternelle et trente ans d’éloignement », sourit ce dernier. Bruckner avait, lui aussi, refusé l’Académie. Mais il a compris ce que signifiait cette entrée dans le temple de la langue française : « C’est une compensation à l’angoisse de vieillir, une consécration offerte à ses parents, une revanche sur l’adversité et les tribulations de la guerre. » L’élection fut pourtant tumultueuse. Malgré d’ardents soutiens, de Marc Fumaroli à Erik Orsenna, de Jean-Marie Rouart à JeanChristophe Rufin, des académiciens de renom, parmi lesquels Dominique Fernandez, Angelo Rinaldi, François Weyergans, Florence Delay ou Michel Serres, sont vivement montés au front contre son arrivée. Des invectives – « homophobe », « raciste », – ont brisé la courtoisie habituelle de l’assemblée. Dominique Fernandez, dans un entretien à la revue Transfuge, l’avait qualifié « d’immonde ». « On a entendu qu’avec lui le Front national allait entrer à l’Académie ! », s’insurge Jean d’Ormesson. Même Danièle Sallenave, « la marraine de [son] fils ! », rappelle Finkielkraut, qui s’était déjà éloignée quelques années plus tôt, à propos de la guerre en Yougoslavie, puis du conflit israélopalestinien, s’est élevée vivement contre « sa vision mortifère et sa thèse d’un choc des civilisations entre le monde musulman et nous ». Pour finir, Alain Finkielkraut a été élu par seize voix sur vingt-huit dès le premier tour. Mais les huit croix noires de ses opposants lui restent encore en travers de la gorge. Dès le lendemain de son élection controversée, il a dénoncé sur Europe 1, puis dans le mensuel Causeur, où veille sa plus fervente admiratrice, Elisabeth Lévy, « la conjuration conduite par Dominique Fernandez et François Weyergans. Il y a une grande tentative du politiquement correct pour annexer l’Académie, elle a échoué, tant mieux ! ». Hélène Carrère d’Encausse a dû lui rappeler les usages : « Cher Alain, vous êtes désormais l’élu de tous… » Même l’avisé Pierre Nora a glissé à un confrère : « J’ai peur qu’il ne nous mette dans des situations difficiles… » Car son nouveau condisciple Amin Maalouf a eu beau l’assurer, en lui remettant son épée, le 18 janvier, « [il] ser[a] constamment entouré d’amitié », Alain Finkielkraut continue de batailler contre les critiques. « Ma tête est mise à prix dans toute la presse Pigasse », assurait-il encore lundi 25 janvier, sur France Inter, pour fustiger les journaux, notamment Le Monde et L’Obs, dont le banquier Matthieu Pigasse est l’un des actionnaires. « Oui, on l’attend avec un peu d’inquiétude », reconnaît dans un sourire d’Ormesson. Pour le reste, il s’est laissé faire. Son éditeur, le patron de Stock, Manuel Carcassonne, et le président de Lagardère Active, Denis Olivennes, dont le fils est l’assistant de Finkielkraut, se sont chargés de l’aider. La compagne d’Olivennes, l’ancien mannequin Inès de La Fressange, a accompagné « Finky » lors du premier essayage de son habit. Puis, les deux hommes ont conjugué leur sens de la diplomatie, de la politique et leur connaissance des grandes fortunes pour constituer le comité chargé de réunir les quelque 100 000 euros nécessaires au financement de l’uniforme, de l’épée, ainsi que les deux cocktails pour plus de 500 invités qui accompagneront l’élection du nouvel académicien. De grands industriels, François Pinault (ancien président de Kering), des banquiers, comme Eric de Rothschild ou Serge Weinberg, ont apporté leur obole, sans avoir parfois jamais rencontré Finkielkraut. « Je ne connais pas de riches », s’excuse le philosophe. Le nouveau tycoon des médias, Patrick Drahi, avait gardé le souvenir des cours de Finkielkraut à Polytechnique. Il a aussitôt rejoint la troupe. On y a ajouté, dans un savant équilibre d’amis chers et de signatures de renom, la philosophe Sylviane Agacinski, épouse de Lionel Jospin, le directeur du Figaro, Alexis Brezet, l’éditorialiste du Monde Alain Frachon et celui de Marianne, Jacques Julliard, l’éditeur Olivier Nora, les écrivains Yasmina Reza ou Milan Kundera. Bien que Denis Olivennes ait assuré qu’« il n’est pas besoin de partager ses opinions pour considérer que cet intellectuel illustre est le bienvenu à l’Académie », quelques personnalités ont décliné l’offre de rejoindre le comité. C’est le cas d’Elisabeth Badinter, dont Finkielkraut se sentait pourtant proche. « Mais elle a généreusement contribué au financement de l’épée », disent les amis du nouvel académicien. Anne Sinclair, sollicitée, n’a pas voulu non plus figurer dans le cercle, mais celle qui partage la vie de Pierre Nora a été de toutes les cérémonies. Le fondateur du Nouvel Observateur, Jean Daniel, a renoncé lui aussi, bien qu’il partage une partie des analyses du philosophe, « mais les relations entre Finkielkraut et l’hebdomadaire se sont trop envenimées ». Le don le plus important est venu de la communauté juive laïque de Bruxelles. Un soir où Finkielkraut participait à un dîner débat, un petit monsieur est venu le voir pour le prier de venir faire une conférence. « Mais pourquoi as-tu encore accepté l’invitation d’un type que tu ne connais même pas ?, a protesté Sylvie Topaloff. – Parce qu’il ressemble à mon père… – Enfin, Alain, il est plus jeune que toi ! » Le lendemain, un chèque de 10 000 euros arrivait pour le nouvel académicien. « Cette génération de survivants a un bonheur à voir l’un de ses enfants à l’Académie », souffle « Finky ». Des soutiens plus controversés sont cependant restés en retrait. L’écrivain Renaud Camus, théoricien du « grand remplacement » et incessant contempteur des musulmans, qu’Alain Finkielkraut continue de soutenir, a envoyé le 9 janvier une lettre de félicitations de six pages. « Nos rêveries malheureuses et parfois enthousiastes hantent souvent, s’il n’est pas présomptueux de ma part de le dire, les mêmes chemins à travers les mêmes campagnes désolées, ou splendides », notait-il de sa grande écriture, sans s’offusquer de ne pas être invité aux cérémonies. La patronne de Causeur, Elisabeth Lévy – « Le mauvais génie d’Alain », regrette Mona Ozouf – n’a pas été sollicitée pour le comité de l’épée. Le 18 janvier, lors de la première réception d’adoubement, Eric Zemmour se tenait discrètement dans le petit cercle des amis du Figaro. Mais Finkielkraut se moque bien des procès qu’on lui fait. Sur son épée, il a fait graver une citation de Péguy – « La République une et indivisible, c’est notre royaume de France » –, un aleph, la première lettre de l’alphabet hébraïque et, « quand tant d’hommes choisissent des panthères, des tigres et des lions », dit-il, il a fait sculpter sous la garde une petite tête de vache. Il aime « leur danse dans les prés ». Et puis, « Nietzsche disait que la rumination est l’image de la pensée ». Et, enfin, « elles ne veulent de mal à personne », dit-il, apaisé. p 16 | débats 0123 JEUDI 28 JANVIER 2016 L’Iran d’Hassan Rohani est une chance pour la France Méditerranée poubelle | par serguei Après son intransigeance au cours des négociations sur le nucléaire, la France doit s’allier avec Téhéran, notamment pour vaincre l’organisation Etat islamique par seyed hossein mousavian L Les soldats d’Allah de Téhéran sont devenus des hommes d’affaires La révolution de 1979 voulait islamiser le politique. C’est la religion qui est devenue politique et les ayatollahs des diplomates et agents d’une modernité sans démocratie par mahnaz shirali T rente-six ans après son avènement, la République islamique ne ressemble plus à ce qu’elle était à ses débuts. Le monde a désormais affaire à une nouvelle génération de dirigeants, dont la logique politique prime sur la logique religieuse. Le pragmatisme du prési- dent iranien, Rohani, l’a rendu très populaire auprès de la population, au moment où le clergé chiite est plus détesté que jamais. Les paradoxes pèsent lourd et les appréciations divergent : les uns y voient un régime totalitaire ; les autres le prennent pour une démocratie. Le rôle et la place de la religion ont complètement changé, les appartenances religieuses des Iraniens se sont évaporées, et l’effondrement des valeurs, des normes et des croyances religieuses est tellement profond qu’il est difficile de présager de l’avenir. Mais, chose remarquable, ce n’est pas seulement la société iranienne qui est sortie de la religion ; les ayatollahs au pouvoir, à leur tour, se sont éloignés des univers spirituels pour devenir des hommes politiques à part entière. Loin de ressembler aux « hommes de Dieu », prêchant des discours apocalyptiques, ils sont devenus de fins stratèges qui savent 10 GRANDS DESTINS DU XXe SIÈCLE RACONTÉS PAR 0123 1 044 pages - 39,90 € - En vente en librairie mener à bien leur travail selon la logique politique des modernes. L’exemple le plus brillant est celui du président Rohani, qui, avant d’être un religieux, est un homme politique, à la hauteur de sa fonction. S’il est difficile de voir en lui un « président démocrate » – il n’a d’ailleurs ni l’ambition ni la volonté de l’être –, il est encore plus difficile de ne pas remarquer le fossé qui le sépare de ses prédécesseurs, à commencer par l’ancien président Mahmoud Ahmadinejad. PRAGMATISME En 2013 à l’ONU, par exemple, le discours pragmatique du président Rohani a agréablement surpris à la fois les Iraniens et la communauté internationale, qui étaient habitués à quelqu’un comme Ahmadinejad, annonçant une fin tragique aux grandes puissances du monde et les conjurant d’aligner leur politique selon la volonté de Dieu. Si les intérêts de l’islam étaient toujours prioritaires pour l’ayatollah Khomeyni et pour ses successeurs, c’est depuis l’arrivée du président Rohani au pouvoir que, pour la première fois depuis l’avènement du régime islamique, les Iraniens entendent parler de leurs intérêts nationaux avant toute considération religieuse. Pour Khomeyni, c’était l’islam qui était en danger et qu’il fallait protéger, alors que, pour le nouveau président, c’est l’économie qui doit être sauvée. Pour n’en citer qu’un exemple, les généraux de l’armée révolutionnaire (pasdarans), au lieu d’être les « soldats d’Allah », sont devenus des hommes d’affaires. Ainsi, trente-six ans de l’exercice du politique ont changé la nature des religieux au pouvoir. En s’emparant des fonctions étatiques, Khomeyni et ses ayatollahs ont voulu « islamiser » le politique et le soumettre à la transcendance. Mais l’exercice du politique à travers les institutions modernes – comme le Parlement, le Sénat, les Cours suprêmes… –, mises en place sous le régime Pahlavi, les a contraints à s’adapter aux modes de pensée et d’activité liés au monde d’aujourd’hui. Paradoxalement, le régime islamique n’a fait qu’accentuer l’effondrement de la religion en Iran. L’Iran d’aujourd’hui est loin d’être une démocratie, les droits de l’homme sont les grands oubliés et les prisons sont toujours pleines ; pourtant, malgré les apparences, les dirigeants de ce pays sont en train de se libérer de l’emprise de l’islam. Ironie du sort, ces ayatollahs au pouvoir, ces fervents opposants à la modernité, ces ennemis jurés de la démocratie, des libertés et des droits fondamentaux des individus, indépendamment de leur volonté et sans même le savoir, sont en train de devenir des puissants acteurs de la modernité. p ¶ Mahnaz Shirali est sociologue e président iranien, Hassan Rohani, est arrivé à Paris le 27 janvier. Cette visite marque le début d’une nouvelle ère des relations politiques et économiques entre les deux pays. Les conséquences d’un approfondissement de leurs liens se feront sentir au Proche-Orient et en Europe. Reste à savoir si ces pourparlers directs entre les présidents français et iranien déboucheront sur une relation solide et durable entre Paris et Téhéran. Les relations franco-iraniennes ont connu des hauts et des bas depuis 1979. Avant cette date, la France était admirée par de nombreux Iraniens car elle avait accueilli le fondateur de la République islamique, feu l’imam Khomeyni, pendant son exil. Cette place spéciale qu’occupait Paris dans le cœur des Iraniens aurait pu lui permettre de développer des relations stratégiques avec Téhéran et d’œuvrer à l’apaisement des tensions entre l’Iran et l’Occident. Malheureusement, les dirigeants français de l’époque ont gâché cette opportunité. Après la chute de la dictature du chah, le peuple iranien a massivement voté en faveur de l’instauration de la République islamique. Quelques mois plus tard, l’Irak de Saddam Hussein envahissait brusquement l’Iran, déclenchant une guerre de huit ans qui allait causer la mort de plusieurs centaines de milliers d’Iraniens et coûter au pays des centaines de milliards de dollars. Pire encore, Saddam Hussein eut recours pendant cette guerre à des armes chimiques qui tuèrent et invalidèrent plus de 50 000 Iraniens. Il est regrettable de constater que, pendant toute la durée de ce conflit tragique, la France a apporté un soutien inconditionnel à Saddam Hussein, et elle n’inspire plus désormais que de l’antipathie. Les négociations nucléaires entre l’Iran et le P5 + 1, le regroupement des cinq membres du Conseil de sécurité et de l’Allemagne engagés dans ces pourparlers, qui ont abouti à la mi2015 à un accord global, ont également exposé les désaccords entre la France et l’Iran. Après la conclusion de l’accord, j’ai demandé à mes amis et anciens collègues de l’équipe de négociateurs iraniens quel pays à leurs yeux avait joué le rôle le plus négatif au cours des pourparlers. Leur réponse fut unanime : la France. A plusieurs moments, la France s’est montrée plus intransigeante que les Etats-Unis. Mais cela n’a pas empêché, juste après la conclusion de l’accord, le ministre français des affaires étrangères, Laurent Fabius, de se rendre aussitôt à Téhéran dans le but, semble-t-il, de placer son pays dans la meilleure position possible pour passer des accords commerciaux avec l’Iran. Bien entendu, beaucoup de gens en Iran en ont conclu que la France était un pays opportuniste. C’est pourquoi il est important que la visite de M. Rohani à Paris débouche sur des accords substantiels capables de changer l’image de la France en Iran. La situation au Proche-Orient rend nécessaire le développement d’une telle relation. Les groupes salafistes wahhabites – dont les attaques en Occident ont débuté avec le 11-Septembre et ont frappé depuis plusieurs capitales européennes, dont Paris avec les sanglantes attaques de novembre 2015 – ont établi une tête de pont dans la région. Heureusement, la plupart des Occidentaux ont désormais compris que ceux qui financent, arment et formulent l’idéologie de groupes terroristes comme l’organisation Etat islamique (EI), Al-Qaida ou le front Al-Nosra sont des alliés des Occidentaux – c’est notamment le cas de l’Arabie saoudite. Le vice-président américain, Joe Biden, a déclaré que « le principal problème en Syrie » provient des quantités massives d’argent et d’armes que les alliés régionaux des Etats-Unis fournissent à « quiconque est prêt à se battre contre Assad ». A l’époque où elle était secrétaire d’Etat, Hillary Clinton avait également déploré qu’« il ait toujours été extrêmement difficile de persuader les autorités saoudiennes d’accorder une priorité stratégique à la question du financement des groupes terroristes émanant d’Arabie saoudite ». En septembre 2015, elle est même allée plus loin : « Une grande partie de l’extrémisme à l’œuvre aujourd’hui dans le monde est le résultat direct de politiques et de financements mis en place par le gouvernement de Riyad et certains ressortissants saoudiens. Il serait stupide de notre part de ne pas le reconnaître. » ALLIÉ FIABLE Aujourd’hui, le terrorisme salafiste wahhabite incarné par l’EI et Al-Qaida est considéré à travers la planète comme la principale menace contre la paix et la sécurité mondiales. Le monde constate également que l’Iran est en première ligne dans la guerre contre ces groupes. L’Iran a démontré qu’il pouvait être un allié fiable et utile de la France et de l’Europe dans la lutte contre ces organisations. Après la conclusion de l’accord nucléaire, l’Iran a été invité pour la première fois, en octobre 2015, à participer aux pourparlers de paix sur la Syrie. Peu après, en novembre, les parties parvenaient à un premier accord sur la façon de résoudre la crise. Cela montre qu’une coopération renforcée entre l’Iran et l’Europe pourrait déboucher, en 2016, sur des avancées décisives dans la recherche de la paix en Syrie et dans d’autres conflits régionaux comme celui du Yémen. La montée récente des tensions entre l’Iran et l’Arabie saoudite, ajoutée aux crises en Irak et au Yémen, alimente les craintes concernant la sécurité du golfe Persique. La menace qui pèse sur cette voie maritime empruntée par la plus grande partie des exportations mondiales de pétrole pourrait être résolue durablement par la mise sur pied d’un système de coopération régionale. Celui-ci réunirait tous les pays qui bordent le golfe Persique : Iran, Arabie saoudite, Irak, Emirats arabes unis, Koweït, Qatar et Bahreïn. Grâce à l’expérience acquise avec la construction de l’Union européenne (UE), les pays européens pourraient être d’une aide précieuse pour la création d’un tel système dans le Golfe. La stabilité régionale pourrait encore être renforcée en appliquant à tous les pays de la région les dispositions contenues dans l’accord avec l’Iran. Cet accord de non-prolifération nucléaire, le plus complet jamais adopté, institue des limites sans précédent au développement d’une bombe nucléaire. Les normes qu’il définit peuvent servir de modèle pour le reste de la région et contribuer à l’émergence d’un ProcheOrient sans arme nucléaire. Ces questions, ainsi que d’autres, comme la lutte contre le trafic de drogue et le crime organisé, sont des points d’intérêt communs entre l’Europe et l’Iran. Je connais personnellement le président Rohani et le ministre iranien des affaires étrangères, Javad Zarif, j’ai été leur collègue pendant plus d’un quart de siècle. Je sais qu’ils ont des perspectives stratégiques à long terme et qu’ils sont résolus à avancer dans le sens de la paix et de la stabilité mondiales. Cette visite du président Rohani est l’occasion pour la France de décider si elle va simplement chercher à signer quelques nouveaux contrats avec l’Iran ou si elle va saisir cette chance historique de nouer une relation stratégique durable avec l’Iran. p Traduit de l’anglais par Gilles Berton ¶ Seyed Hossein Mousavian est un ancien diplomate iranien, il est aujourd’hui professeur à l’université de Princeton (New Jersey) disparitions & carnet | 17 0123 JEUDI 28 JANVIER 2016 Ludovic Janvier Ecrivain, essayiste Ng Ectpgv Xqu itcpfu fixfipgogpvu Pckuucpegu. dcrv‒ogu. hkcp›cknngu. octkcigu. cppkxgtucktgu fg pckuucpeg. cppkxgtucktgu fg octkcig Cxku fg ffieflu. tgogtekgogpvu. oguugu. eqpfqnficpegu. jqoocigu. cppkxgtucktgu fg ffieflu. uqwxgpktu Eqnnqswgu. eqphfitgpegu. ufiokpcktgu. vcdngu/tqpfgu. rqtvgu/qwxgtvgu. hqtwou. lqwtpfigu fÔfivwfgu. eqpitflu. rtqlgevkqpu/ffidcvu. pqokpcvkqpu. cuugodnfigu ifipfitcngu Uqwvgpcpegu fg ofioqktg. vjflugu. JFT. fkuvkpevkqpu. hfinkekvcvkqpu Gzrqukvkqpu. xgtpkuucigu. ukipcvwtgu. ffifkecegu. ngevwtgu. eqoowpkecvkqpu fkxgtugu JACQUES SASSIER/LEEMAGE L’ écrivain Ludovic Janvier est mort à Paris des suites d’un cancer mercredi 20 janvier, à l’âge de 82 ans. Né dans cette même ville en 1934, il était le petit-fils du diplomate et écrivain haïtien Louis-Joseph Janvier – « Moi né faux nègre et vécu sosie/ de quelqu’un toujours à venir… », écrivait-il dans un poème. Même si les épisodes de sa vie sont la matière première de son œuvre, poétique et en prose, Ludovic Janvier n’était pas homme à se raconter et ses notices biographiques sont des plus succinctes. On sait qu’il fut enseignant… Tout le reste appartient à la littérature. En fait, c’est précisément en marge de la tentation autobiographique qu’il écrit, cherche ses mots, forme ses vers. Ce qui lui importe, c’est la manière de nommer, de former et de déformer, de métamorphoser cette « matière à musique » de la vie. Cependant, dans son dernier ouvrage paru, La Confession d’un bâtard du siècle (Fayard, 2012), sans rien céder, bien au contraire, de son souci du style, de la langue, il se livre davantage. Mais, à nouveau, ce qu’il raconte, c’est moins l’histoire de « l’enfant de personne », de « l’orphelin perpétuel », avec une mère elle-même abandonnée, « une laissée-pourcompte », que cette vie nouvelle née dans le creuset d’une langue en perpétuelle invention et incandescence : « Je danse à l’intérieur de moi. Plus peur. » Que cette langue se fasse prose ou poème, seul importe le chant : « Oui, chanter me hausse vers la clarté, même si je descends vers les notes à pénombre. » Spécialiste de Beckett Mais ce chant si personnel, et souvent d’une puissance impressionnante, n’est pas né d’un vide, d’une absence. La haute silhouette de Samuel Beckett se découpe dans le premier paysage intérieur de Ludovic Janvier – et pas d’une manière abstraite, encore moins de plate révérence. Nous sommes au milieu des années 1960. Avec Beckett, dans sa petite maison d’Ussysur-Marne ou boulevard Saint-Jacques à Paris, avec Agnès, son épouse d’alors, Janvier travaille à la version française de Watt, roman écrit en anglais et sorti en 1953, et aussi à celle d’une nouvelle, D’un ouvrage abandonné. Les traductions paraissent en 1967 et 1968, aux Editions de Minuit. En 1966, aux mêmes éditions, Janvier publie le premier essai en français sur l’écrivain irlandais, Pour Samuel Beckett. Approche admirable de pertinence, ce livre sera suivi trois ans plus tard – au moment où l’écrivain irlandais reçoit 1934 Naissance à Paris 1966 « Pour Samuel Beckett » (Minuit) 1987 « La Mer à boire » (Gallimard) 1993 « Brèves d’amour » (Gallimard) 20 JANVIER 2016 Mort à Paris Rqwt vqwvg kphqtocvkqp < 23 79 4: 4: 4: 23 79 4: 43 58 ectpgvBorwdnkekvg0ht AU CARNET DU «MONDE» Naissance Loan et Olivier PRIBILE ont la joie d’annoncer la naissance de Gaspard, Victor, Sang, le 25 décembre 2015, à Paris. le prix Nobel de littérature – d’un Beckett par lui-même au Seuil. Pour toute une génération de lecteurs, les commentaires de Ludovic Janvier demeurent inséparables de l’œuvre beckettienne. « En travaillant sur l’œuvre de Beckett, j’ai œuvré à mes soubassements », déclarait-il dans un entretien en 2002. « Ayant comparé nos blessures et pas mal ri… », commence ainsi un poème loin de toute confidence impudique, Avec Sam. Il serait d’ailleurs réducteur de parler d’une filiation littéraire. Ce que le jeune écrivain a retenu de son aîné, c’est le rythme, le halètement de la voix, plus que les thèmes et la métaphysique de l’auteur d’En attendant Godot. En 1964, Ludovic Janvier avait publié, toujours chez Jérôme Lindon, un essai sur le Nouveau Roman, Une parole exigeante. C’est dans la lignée de cette esthétique que l’on peut inscrire le premier roman qu’il fit paraître en 1968, chez Gallimard, La Baigneuse. Il sera suivi de trois autres, Face (1974), Naissance (1984) et Monstre va (1988). Mais c’est peut-être en poésie que la parole de Ludovic Janvier est la mieux audible. En 1987, son premier recueil, La Mer à boire, montre un homme certes blessé, douloureux, mais entraîné par le rythme du poème, vivant, s’exaltant par lui. Chantal Thomas, dans la préface de la réédition de ce recueil (Poésie-Gallimard, 2006), souligne combien ces pages « disent la merveille de sentir l’air sur son visage, d’un plaisir de fraîcheur, de la souplesse de la nage, du temps pris pour rêver, attendre une phrase, un mot, l’irruption du désir, ou le déferlement des larmes… ». D’autres recueils suivront. Mais la prose n’a pas dit son dernier mot, qui s’insinue dans le poème, lui donne un autre horizon. Il faut citer dans ce cadre les trois volumes de nouvelles – ce qu’il appela les Brèves d’amour (Gallimard, 1993, 1996 et 2002). Un quatrième étant à paraître en mars. Ludovic Janvier parla un jour de son « infinie fringale de nommer ». Il avait dit aussi : « Je ne peux pas garder le silence. » Cet aveu ne fut jamais pour lui le signe de la moindre facilité ou compromission. p patrick kéchichian Sa famille, Ses illeuls, Ses amis, Les membres du Centre Max Weber ont la tristesse de faire part du décès de Agnès BURET, survenu à Paris, le 21 janvier 2016, à l’âge de quatre-vingt-dix ans. La levée de corps a eu lieu le mardi 26 janvier, à 15 h 30, à la chambre mortuaire de l’hôpital Lariboisière, Paris 10e. L’inhumation se fera ce mercredi 27 janvier, à 14 h 30, au cimetière sud de Calais. Gilles-Henri Polge, 10, rue Joseph-Bara, 75006 Paris. Mme Gérard Clin, née Claude Brun, son épouse, Jean-François Clin, Annabel et Radwan Karim Kassar, Bertrand et Patricia Clin, Philippe-Emmanuel Clin et Ana Beatriz Clin, ses enfants, Mourad Mazouz et Caroline Karim Kassar et leurs enfants, Ilyas et Louize Mazouz, Julie Clin, Aicha Essalki et leurs ils, Abraham Clin, Nael Karim Kassar, Ludovic et Géraldine Cluzel et leurs enfants, Théo, Benjamin et Johana Cluzel, Margaux Clin et Jean-Christian Bédier et leur ils, Léon Bédier, Gabriella Clin, Roland Karim Kassar, Edgar Clin et Alice Hebrard, Maurice Clin, Max Clin, ses petits-enfants et arrière-petits-enfants, Danièle Brun, sa belle-sœur, Jean et Jacqueline Klein, son frère et sa belle-sœur, Ses neveux et nièces, ont le très grand chagrin de faire part du décès de M. Gérard CLIN, ingénieur des Arts et Manufactures, diplômé de l’Ecole Centrale de Paris, oficier de la Légion d’honneur, chevalier de l’ordre national du Mérite, chevalier dans l’ordre des Palmes académiques, Francs-Tireurs et Partisans Maquis Ariège, dans sa quatre-vingt-douzième année. Décès Paris. Catherine Dufour, sa ille Et ses proches, ont la tristesse d’annoncer le décès de Mme Michèle BEAUCOURT DUFOUR, née BEAUCOURT, ancien avocat et conseiller à la cour d’Appel de Paris, chevalier de la Légion d’honneur, survenu le 10 janvier 2016, à Paris, à l’âge de quatre-vingt-six ans. Mme Pierre Vital Bérard, née Magdeleine Badier, son épouse, Luc et Martine, Françoise, Solange, Pascal (†), ses enfants, Charlotte, Margot et Annabel, Manon, Tiphaine et Tancrède, ses petits-enfants, Raphaël, son arrière-petit-ils, ont la tristesse d’annoncer le décès du docteur Pierre Vital BÉRARD, professeur honoraire de clinique ophtalmologique à la faculté de médecine de Marseille, ophtalmologiste honoraire des Hôpitaux de Marseille, survenu le 23 janvier 2016, à Marseille, à l’âge de quatre-vingt-quatorze ans. La cérémonie religieuse aura lieu le jeudi 28 janvier, à 9 h 30, en l’abbaye Saint-Victor de Marseille 7 e , suivie de l’inhumation au cimetière de Carryle-Rouet. Cet avis tient lieu de faire-part. Christian BRETT s’est éteint le 24 janvier 2016. Une cérémonie se tiendra le jeudi 28 janvier, à 14 heures, au funérarium des Batignolles, Paris 17e. L’inhumation aura lieu à 16 heures, au cimetière du Montparnasse, Paris14e. « Gémissons ! Gémissons mais espérons ! » L’inhumation aura lieu le jeudi 28 janvier 2016, au cimetière parisien de Passy, à 15 heures. Ni leurs ni couronnes, ni condoléances. Le président du musée du quai Branly, Les membres du conseil d’orientation scientiique, Le comité de rédaction de la revue d’anthropologie et d’histoire des arts Gradhiva Ainsi que l’ensemble des collaborateurs du musée, ont appris avec une grande tristesse la disparition de M. Daniel FABRE, anthropologue, directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales, directeur de l’Institut interdisciplinaire d’anthropologie du contemporain et membre du comité de direction de Gradhiva et souhaitent transmettre leurs plus sincères condoléances à sa famille. Avec tristesse, sa famille fait savoir que Bernard GATTEGNO, (29 juillet 1941 - 22 janvier 2016), ne parcourra plus le monde. Stella Ghouti Et toute sa famille, font part avec une immense tristesse de la disparition survenue le 24 janvier 2016, de Pierre GHOUTI, La cérémonie religieuse sera célébrée le vendredi 29 janvier, à 10 h 30, en l’église de Saint-Rémy, Gif-sur-Yvette. Micheline Morel-Jacrot, son épouse, Ses enfants, Ses petits-enfants, Ses proches Et tous ses amis, ont la tristesse de faire part du décès de Bernard JACROT, X 47, survenu le 21 janvier 2016. Les obsèques ont eu lieu dans l’intimité. [email protected] 21, rue de la Place, 84160 Cucuron. ont l’immense tristesse de faire part du décès de leur collègue et ami, Rommel MENDES-LEITE, chercheur en anthropologie et sciences sociales, maître de conférences à l’université Lumière Lyon 2. Toutes nos pensées vont à son mari, Frédéric Simon, sa famille et ses ami-e-s. Seysses (Haute-Garonne). Mme Hélène Mignon-Deville, son épouse, Franck Mignon et sa compagne Joëlle, Marianne Mignon et ses illes Lilie et Claire, François Mignon, son frère et son épouse Nicole, Geneviève Mignon-Tonon et son époux, Jean-Pierre Mignon et son épouse Madeleine, Ses neveux et nièces, Parents Et amis, ont la profonde tristesse de faire part du décès de Michel MIGNON, survenu le 26 janvier 2016. Les obsèques civiles auront lieu le jeudi 28 janvier, à 11 heures, au cimetière de Seysses. Mme Cécile Picon, son épouse, Flaminio, Nadia et Joachim, ses enfants, Mme Sarah Picon, sa mère, Félicien, Morgane, Claudia et Etienne ont la tristesse ininie d’annoncer le décès de M. Raphaël PICON, survenu le 21 janvier 2016, à l’âge de quarante-sept ans La cérémonie religieuse aura lieu le vendredi 29 janvier, à 13 h 30, au Temple de l’Etoile, 54-56, avenue de la Grande-Armée, Paris 17e. Ni leurs ni couronnes. Vos dons à l’Armée du Salut seront très appréciés. Alex, Flore, Lilian Pierre-Michel, ses enfants et leur père, Maxeau Pierre-Michel, Paul Ravachol, son père, Marco et Emmanuel Ravachol, Geneviève Ravachol-Nace, ses frères et sœur et leurs conjoints et leurs enfants, Ses nièces et neveux Ainsi que toute sa famille, ont l’immense tristesse de faire part du décès, à l’âge de cinquante-deux ans, de Anne Catherine RAVACHOL, survenu le 26 janvier 2016, des suites d’un cancer. Nous nous souviendrons de sa gentillesse et de sa droiture. Les obsèques auront lieu le samedi 30 janvier, à 11 heures, au cimetière de Pont-Sainte-Marie (Aube). Yumi Rigout, sa ille, Satchie Noro, Ses proches et ses amis, ont la tristesse de faire part de la disparition de Alain RIGOUT, survenue le mardi 12 janvier 2016. Ses proches et ses amis se réuniront au crématorium du cimetière du PèreLachaise, Paris 20e, le vendredi 29 janvier, à 16 heures. Daniel Sebaihia, son ils, Ses sœurs et son frère, Sa famille Et ses amis en France et en Algérie, ont l’immense tristesse de faire part du décès de Ahmed SEBAIHIA, sculpteur, ancien élève des Ecoles des beaux-arts d’Alger et de Paris, le 23 janvier 2016 à Escales (Aude), à l’âge de soixante-et-un ans, entouré de l’affection des siens. Une cérémonie aura lieu le jeudi 28 janvier, à 13 heures, au crématorium de Montpellier, domaine de Grammont, avenue Albert-Einstein. Un registre de condoléances sera mis à disposition. [email protected] Yvonne, son épouse, Gilles, Adrien, ses enfants et leurs conjointes, Violaine, Anne-Sophie, Hugo, Robin, Edgar et Vadim, ses petits-enfants, Virginie de la Grange, sa nièce, Patrick de la Grange, son neveu et sa conjointe, Bénédicte, ont la tristesse d’annoncer la disparition de René TAQUET, éditeur musical, ancien président de la commission des comptes de la SACEM, survenue le 23 janvier 2016, dans sa quatre-vingt-unième année. Une cérémonie se tiendra le jeudi 28 janvier, à 13 h 30, en la salle de la Coupole, au crématorium du cimetière du Père-Lachaise, Paris 20e, suivie d’une inhumation au cimetière de Garches, en présence de ses amis et de ses proches Cet avis tient lieu de faire-part. 4, square Claude-Debussy, 75017 Paris. Mme Greta Vigan, Ses enfants Et ses petits-enfants, ont la douleur de faire part du décès du docteur Claude VIGAN, ancien élève de l’Ecole de santé navale, à Bordeaux, chevalier de l’ordre national de la Santé Publique, survenu le 14 janvier 2016, à l’âge de quatre-vingt-quinze ans. La cérémonie religieuse a été célébrée en l’église du Cannet. 34, avenue Victoria, 06110 Le Cannet. Denis Feissel, Catherine Feissel, ses enfants, Sarah Di Vittorio, sa petite-ille, Josée Wolfers, Pierre Wolfers, Anne Delage-Wolfers, ses frère et sœurs et leurs enfants, Marie-Claude Silverberg, sa nièce, ses enfants et petits-enfants, Margot Kielberg, sa cousine et ses enfants, ont la tristesse de faire part du décès de Hélène WOLFERS-FEISSEL, survenu le 22 janvier 2016, dans sa quatre-vingt-douzième année. Remerciements Janine, sa sœur, Catherine, Natalie, Émilie, Gilles, Éric, Edward et leurs familles, nièces et neveux de Michel TOURNIER, remercient toutes les personnes qui, par leur présence ou leur témoignage, se sont associées à leur tristesse. [email protected] Communication diverse 12e Leçon inaugurale de l’Ecole de Chaillot par José Ignacio Linazasoro, architecte, Madrid, mardi 2 février 2016, de 10 heures à 12 h 30, Entrée libre. Inscription obligatoire citechaillot.fr # # $ !# $ # #$ $# &. + *2.+ #$ $ #$ $ $# $ # *'$ %&# & #$ # . *&%%* # $ !# ! #! *%& + &/& #$ %# # # " $ #$ ! #! # %&!- &(). % * ** %%#&%. * % # %* # * .* # # ** &.*-& + # % *&% 2#/ .$%% *%. (*$%- * # $ $ %%- &- # (( &.* # 3"&0+" # $# *%" &%%+ # .** % * +- % ++&# #$ $ $ %# $ $ ##+ /% &- #$ $ %# $ $ .# % *&&.*#$ % !# # #! %%- * # % &.1 #$ #!#$ * + (-&&*&. # &#+ $%3 * 3 #$ *%" &. # $ $ -* %  # # * +- % ! !$ % ** * (*+ %- +- % *% & / (*+ %- 18 | culture 0123 JEUDI 28 JANVIER 2016 Saint-Sébastien 2016 : haut les Basques ! Désignée Capitale européenne de la culture au côté de Wroclaw, la cité espagnole, qui a connu des décennies de violence, organise une année de festivités autour du thème du « vivre-ensemble » saint-sébastien (espagne) - correspondance D e chaque côté du pont Maria Cristina de Saint-Sébastien, le public se salue avant que le spectacle ne commence. C’est un bon début pour la Capitale européenne de la culture 2016 (conjointement avec Wroclaw, en Pologne), dont le thème est la « convivencia », mot qui signifie davantage que coexistence ou cohabitation : le vivre-ensemble, en bonne entente, en se respectant, en paix… Devant plus de 50 000 personnes venues assister, samedi 23 janvier, à la cérémonie d’inauguration de Donostia-Saint-Sébastien 2016 (DSS2016), les mots « dialogue », « diversité », « convivencia » s’inscrivent en lettres lumineuses sur le pont. Sur les grandes toiles blanches hissées au-dessus de l’ouvrage se projettent les ombres des spectateurs qui traversent le fleuve, s’enlaçant, s’embrassant, dessinant un cœur ou un oiseau avec leurs mains. Certains jouent le jeu, d’autres se disent déçus par une cérémonie un peu légère. Qu’importe. Le coup d’envoi d’une année de festivités est donné. Il y a un an, la tenue même de l’événement suscitait des doutes. Tout le défi de Saint-Sébastien est à présent de faire vivre l’un des plus complexes et polémiques projets de Capitale européenne de la culture. Dans cette ville bourgeoise, l’événement n’a pas été l’occasion de créer de nouveaux équipements ou de réhabiliter des quartiers déprimés. « Nous n’avions pas à travailler sur le “hardware” mais sur un nouveau “software”, résume Pablo Berastegui, directeur de DSS2016. Ce dont la ville avait besoin était de se remettre de près d’un demi-siècle de violences et d’affrontements. Or, les artistes sont les ingénieurs les plus audacieux pour construire des ponts entre les hommes. » Promouvoir le dialogue dans une société qui, durant quarante ans, a basé la convivencia sur le silence, la censure, l’absence de débats ou le repli dans des cercles composés de gens qui pensent tous de manière identique est un défi. Aujourd’hui, si la ville parvient à susciter une réflexion sur la tolérance, le vivre-ensemble et la cohésion sociale par le biais de la culture, son pari sera gagné. Lorsqu’en 2008, le maire socialiste de SaintSébastien, Odon Elorza, présente la candidature de sa ville, son idée est osée, et il la défend avec passion. En fonctions depuis 1991, l’édile porte un projet vu comme « une opportunité pour donner plus de cohésion sociale au pays ». A l’époque, l’ETA est encore actif. Et la ville balnéaire, derrière sa façade aimable, la magnifique baie de la Concha, une gastronomie reconnue, des activités culturelles riches, est déchirée par des tensions sociales fortes entre ceux qui souffrent de la violence et de la menace des séparatistes et ceux qui les soutiennent, ouvertement ou en silence. En juin 2011, lorsque la Commission européenne prend sa décision, l’ETA a annoncé un « cessez-le-feu permanent, général et vérifiable », et les élections municipales de mai ont été marquées par le retour de la mouvance politique proche des séparatistes dans les institutions, après qu’elle a décidé de rejeter l’usage de la violence à des fins politiques. Sous la coalition Bildu, les héritiers de Batasuna, parti interdit en Espagne depuis 2003, remportent la mairie de Saint-Sébastien après vingt ans d’administration socialiste. TROIS « AMBASSADES » ITINÉRANTES Dans l’exposé de sa décision, Bruxelles souligne « un engagement fort contre la violence et l’idée d’utiliser la culture pour cela ». La ville andalouse de Cordoue, qui partait favorite, dépose plainte pour une décision qu’elle juge manipulée politiquement. Au cours des quatre années qui suivent, les polémiques, démissions, blocages se succèdent. Bildu est accusé de ne pas être intéressé par le projet, sauf pour ce qui est de la promotion de la langue basque. La crise économique réduit les apports financiers. Les partis s’opposent sur la Une représentation de « Bridge of Coexistence », créé par Hansel Cereza, le 23 janvier, à l’occasion de la cérémonie d’inauguration de Donostia-SaintSébastien 2016. JAVIER ANDER GILLENEA/AFP couleur des associations qui reçoivent des subventions et des projets à gérer. Durant l’été 2013, un rapport interne de la Commission européenne filtre dans la presse : le comité de suivi de la Capitale critique « un manque de direction du projet », des « ingérences politiques », des « retards dans les délais d’exécution », et exprime des doutes sur la capacité de gestion des quatre institutions qui composent la Fondation Donostia-San Sebastian 2016 : la mairie, la province de Guipuzcoa, le gouvernement régional basque et le ministère de la culture, gouvernés par des partis opposés. « Le processus et la gestation même de ce projet ont mis à l’épreuve notre slogan. Il a fallu apprendre à débattre, à exposer des idées, ce qui est compliqué dans cette ville où les débats politiques ne sont souvent pas naturels, ni sincè- entier. En avril, la ville deviendra, pour un an, la capitale mondiale du livre de l’Unesco, prévoyant une myriade d’événements littéraires. Du 14 octobre au 13 novembre se tiendra la septième édition de l’Olympiade internationale du théâtre, qui réunit depuis 1993 les plus grands noms de la scène mondiale. En décembre, enfin, les cinéphiles profiteront d’un festival du film européen, qui précédera le gala du Prix du cinéma européen, qui avait par le passé récompensé Krzysztof Kieslowski et Andrzej Wajda. Des projets sociaux et éducatifs, visant à créer une interaction avec les habitants de la région et les visiteurs, accompagneront ces événements artistiques. « Ces projets seront particulièrement tournés vers les populations habituellement considérées comme exclues de la culture, dont la communauté rom », précise Arkadiusz Förster. Les amateurs pourront profiter des infrastructures construites pour l’occasion, tel le Forum national de la musique, bijou architectural et acoustique, qui abrite la philharmonie de Wroclaw. Ou s’imprégner de l’ambiance de lieux cultes, comme le Théâtre musical Capitol, qui renvoie aux traditions des théâtres musicaux de l’entre-deux-guerres. Un âge d’or auquel la ville de Wroclaw est attachée. p res car, durant longtemps, exposer des opinions pouvait avoir des conséquences extrêmes », souligne le nouveau maire de Saint-Sébastien élu en mai, Eneko Goia, du Parti nationaliste basque (PNV, modéré). Au milieu des concerts, conférences, expositions, rencontres, prévus toute l’année, certaines propositions résonnent dans la ville. Le spectacle Théâtre Forum : Et toi ? offre la possibilité au public d’essayer de résoudre les conflits qui opposent deux acteurs, sur scène, en participant à la pièce, selon le principe du « théâtre de l’opprimé » créé en 1960 au Brésil. « Notre objectif est de favoriser la communication entre des parties de la ville qui avaient été confrontées, en pensant la culture comme un outil de transformation sociale, affirme M. Berastegui, qui a dû vaincre les réticences de Bildu, qui exigeait un directeur parlant euskera pour prendre la direction de l’événement après une énième démission. Nous espérons pouvoir apporter cette expérience à l’Europe, où ce thème résonne particulièrement en ce moment. » La ville enverra trois « ambassades » itinérantes dans dix villes européennes qui ont été ou sont le théâtre de conflits afin de construire dix récits sur la recherche de la convivencia en Europe. Au programme, une exposition sur le groupe artistique éphémère Gaur rassemble des œuvres de Jorge Oteiza ou Eduardo Chillida au Musée San Telmo, un espace de culte multireligieux éphémère, une exposition de dessins de presse sur le « conflit basque », un festival aux accents antimilitaristes, Stop war festibala (du 25 au 27 mars), ou encore, en mai, une exposition sur la représentation de la paix dans l’art, « Traités de paix », à laquelle ont collaboré une vingtaine de musées nationaux et internationaux. « Il nous reste encore du travail pour articuler le programme du deuxième semestre, mais notre objectif va être atteint », conclut le maire, Eneko Goia, à l’hôtel de ville de Saint-Sébastien, où il se prépare pour assister à l’hommage rendu à Gregorio Ordoñez, un conseiller municipal du Parti populaire (PP) assassiné par l’ETA vingt et un ans plus tôt, le 23 janvier 1995. p jakub iwaniuk (varsovie, correspondance) sandrine morel « LES ARTISTES SONT LES INGÉNIEURS LES PLUS AUDACIEUX POUR CONSTRUIRE DES PONTS ENTRE LES HOMMES » PABLO BERASTEGUI directeur de DSS2016 Wroclaw 2016 veut porter les valeurs de « l’autre Pologne » la culture saura-t-elle prendre le dessus sur le cliché politique ? Alors que, depuis l’arrivée au pouvoir en Pologne des ultraconservateurs du PiS (Droit et justice), le 25 octobre 2015, le pays a mauvaise presse en Europe, la ville de Wroclaw espère porter en 2016 les valeurs de la modernité et de la tolérance, chères à cette « autre Pologne ». La capitale de BasseSilésie, à l’ouest du pays, est, depuis le 15 janvier et pour un an, au côté de la ville espagnole de Saint-Sébastien, la Capitale européenne de la culture. « Nous sommes persuadés que la politique répond à ses propres règles, et qu’elle n’aura aucune influence sur la fréquentation de notre programme culturel », affirme Arkadiusz Förster, le porte-parole de l’initiative. Wroclaw, bastion de la droite modérée depuis près de vingt-cinq ans, symbolise en effet le multiculturalisme et l’ouverture au monde, valeurs opposées à celles véhiculées par le nouveau pouvoir. La ville ambitionne ainsi d’acquérir une visibilité suffisante pour devenir la troisième « marque touristique » du pays, derrière Cracovie et la capitale, Varsovie. Surnommée la « Venise polonaise », Wroclaw est un haut lieu historique et un carrefour culturel, successivement sous influence polonaise, tchèque et allemande. Imprégné de la culture juive, son « quartier des quatre temples », au cœur de la vieille ville, a permis un dialogue interreligieux entre juifs, catholiques, protestants et orthodoxes. Sous domination allemande avant 1945, la ville (alors Breslau), a été détruite à 75 % pendant la seconde guerre mondiale ; ses habitants d’avant-guerre ont été dans leur quasi-totalité déplacés vers l’Allemagne, en vertu des accords de Potsdam, pour être remplacés par des Polonais venus des territoires confisqués par l’Union soviétique. Plus de mille événements Devenue l’incarnation de la renaissance du pays et de son miracle économique, Wroclaw est prisée pour sa qualité de vie et son faible taux de chômage. Les investisseurs étrangers s’y sont implantés dans le secteur des nouvelles technologies. Au cours de l’histoire, pas moins de dix Prix Nobel s’y sont croisés. La ville a aussi vu naître le pianiste et chef d’orchestre allemand Christoph Eschenbach, ou encore le Théâtre Laboratorium, fondé par le metteur en scène et théoricien polonais Jerzy Grotowski. « Créer des espaces pour la beauté » : tel sera l’esprit de la capitale culturelle dans les prochains mois. Une beauté « aussi bien matérielle qu’immatérielle ». Plus de mille événements culturels sont prévus, où se côtoieront des artistes venus du monde culture | 19 0123 JEUDI 28 JANVIER 2016 Christine Macel, une alchimiste de l’art à Venise La conservatrice française, tête chercheuse du Centre Pompidou, va diriger la Biennale d’art contemporain ART Un de ses credo : « La réalité d’aujourd’hui est dans le mouvement et les mutations perpétuelles » F igure clé du Centre Pompidou, la conservatrice Christine Macel connaît Venise comme sa poche : elle a déjà été commissaire du pavillon belge consacré à Eric Duyckaerts lors de la Biennale de 2007, et a collaboré avec Anri Sala quand il représentait la France, en 2013. Mais la Sérénissime lance aujourd’hui à cette quadragénaire un défi d’une autre ampleur en la nommant directrice artistique de sa célèbre biennale, programmée à l’été 2017. Une femme, française : la nouvelle est doublement réjouissante pour le milieu de l’art hexagonal. Depuis les années 1960, Jean Clair est le seul de nos concitoyens à avoir accédé à ce poste, l’un des plus prestigieux au monde dans le domaine de l’art contemporain. Quant aux femmes, on les compte sur les doigts d’une demi-main. Intellectuelle et festive Mais une femme française, c’est loin de résumer le profil singulier de celle qui est fière de rappeler que sa promotion à l’Ecole nationale du patrimoine portait le nom de Paracelse, le plus grand des alchimistes. Comme son prédécesseur, l’Américano-Nigérian Okwui Enwezor, directeur de la Biennale de 2015, elle n’a que faire des catégories et des frontières. Perpétuelle voyageuse, parfaite germanophone, elle s’est efforcée au fil de son parcours de les abolir toutes. D’abord au sein de la Délégation aux arts plastiques, où elle fut inspectrice à la création de 1995 à 2000. Puis au Musée national d’art moderne, où elle est aujourd’hui conservatrice en chef chargée « de la création contemporaine et prospective ». En tête chercheuse du Centre Pompidou, elle s’est longtemps Christine Macel en 2015. J.-C. PLANCHET chargée de l’espace 315, part la plus expérimentale de l’institution, en y défendant de jeunes artistes du monde entier. Accompagnant des plasticiens d’envergure, comme Sophie Calle, Philippe Parreno ou Gabriel Orozco, elle y a aussi porté des projets de grande ampleur. Notamment « Les Promesses du passé », en 2010, exposition née d’une longue exploration des terres oubliées d’Europe de l’Est, du temps du rideau de fer. « Nous vou- Une épopée animée vers le Grand Nord « Tout en haut du monde » ou la quête d’une jeune Russe sur les traces de son grand-père CINÉMA L es grands voyages se méritent. On ne s’embarque pas si aisément pour celui que Tout en haut du monde propose. De Saint-Pétersbourg au pôle Nord, à la fin du XIXe siècle, il suit Sacha, jeune aristocrate russe quittant le confort de son palais pour partir à la recherche de son grandpère, Oloukine. Celui-ci a disparu avec son navire au cours d’une expédition montée avec l’objectif de planter son drapeau sur ce point singulier du globe qui a rendu fous tant d’explorateurs : le pôle Nord. On peut s’étonner de ce que, pour conter cette épopée, le réalisateur et animateur Rémi Chayé ait imaginé tout un monde avec des moyens si modestes. Pas d’effets de matière, de grands aplats de couleur sans lignes de contour, des visages naissant de quelques traits : forts profils de statues grecques pour les hommes, et, pour la demoiselle, seule femme dans l’aventure, une face ronde au petit nez pointu. Il n’y a pas tant de courbes dans ce monde d’hommes et de glace : des angles durs surtout, sur les visages fermés des marins, les lignes pointues du bateau. La blonde Sacha, par contraste, a la douceur d’un dessin de Mary Blair, directrice artistique des plus belles années Disney. La force vive qui fait de Tout en haut du monde un travail d’anima- tion au sens le plus noble tient à son art d’associer l’ombre à la lumière. Elles s’affrontent plus souvent qu’elles ne s’entendent, durcissant un visage soucieux ou malveillant, donnant leur lourdeur aux blocs de glace, une densité inquiétante aux nuées qui accompagnent le bateau dans sa course folle. Paysage grandiose Il y a quelques semaines, le très beau Cafard de Jan Bultheel en faisait un usage du même ordre, dans un univers différent (la première guerre mondiale vue par un bataillon belge), mais au service aussi d’une ambition épique. Passant d’un paysage grandiose au suivant, d’un point de vue à l’autre, avec la même adresse à ménager ses effets, Tout en haut du monde offre un voyage extraordinaire, que n’aurait pas renié Jules Verne. Comme dans Les Aventures du Capitaine Hatteras, cependant, le vrai trésor se cache ici dans un cœur d’homme. Oloukine vit dans l’hypnose continue de son rêve du pôle. Mais il continue de chérir sa petite-fille, et celle-ci le chérit au point de partir le rejoindre tout en haut du monde, où la glace, qui tue les hommes, fait sonner plus fort les mots d’amour. p noémie luciani Film d’animation français de Rémi Chayé (1 h 20). lions écrire une autre histoire de l’art que celle à laquelle l’Occident est habitué, nous expliquait-elle alors. Casser cette vision et dépasser la question des nationalités en créant une histoire transnationale, polyphonique. » Voilà de quoi séduire la Biennale de Venise, un peu plombée par son système archaïque de pavillons nationaux. Dans le communiqué qui annonçait sa nomination, vendredi 22 janvier, le président de la Bien- nale, Paolo Baratta, résume sa tâche avec des accents presque tragiques : « Conscients de vivre une ère d’anxiété, nous avons choisi de confier la direction artistique à Christine Macel, curatrice qui a su injecter une généreuse vitalité dans le monde dans lequel nous vivons, et identifier les énergies nouvelles émanant de tous les continents. » On ne saurait mieux résumer son approche à la fois intellectuelle et festive du champ contemporain, qui s’étend chez elle à la philosophie, à la musique ou aux neurosciences. En 2005, dans son exposition « Dyonisiac », influencée par le philosophe Friedrich Nietzsche et son apologie d’une certaine déraison, elle dévoilait ainsi, dans un accrochage un brin foutraque, son désir de mettre en tension « le conceptuel et la perception, la joie et la raison. Car la joie est tragique, comme le rappelait Deleuze », nous confiait-elle alors, en amoureuse de la vie exigeant du public « qu’il vienne avec son corps autant qu’avec sa tête ». On se souvient encore de la fête de vernissage qui réunissait chez Maxim’s les artistes autour d’un sensuel feu de joie, et de coupes de champagne en formes de phallus dessinées dans le cristal par Kendell Geers. Cette zone de friction entre les sens et la pensée, elle l’avait explorée auparavant dans une exposition du Printemps de Cahors intitulée « Sensitive » (2000). Réflexion qu’elle poursuivit, aux côtés d’Emma Lavigne (aujourd’hui directrice du Centre Pompidou Metz), avec l’exposition « Danser sa vie », en 2011 : une énergisante traversée du XXe siècle qui retissait les liens entre chorégraphes, plasticiens et performeurs. Elle sut aussi, parmi les premières, faire entrer le Centre Pompidou dans l’ère numérique, notamment avec l’exposition « Air de Paris ». Avant Venise, son dernier projet l’a menée, à l’automne 2015, à Palerme, avec l’exposition « Au milieu du milieu », consacrée à la Méditerranée telle que la voient les artistes. Elle y a développé l’un de ses credo : « La réalité d’aujourd’hui est dans le mouvement et les mutations perpétuelles. » Christine Macel dévoilera à l’automne les premiers indices sur sa biennale vénitienne. p emmanuelle lequeux Au Théâtre Nanterre-Amandiers, l’éclatante jeunesse de Molière Le metteur en scène Gwenaël Morin et ses très jeunes et talentueux comédiens jouent quatre « tubes » de l’auteur tutélaire du théâtre français THÉÂTRE C’ est un jeune homme de presque quatre siècles qui triomphe au Théâtre Nanterre-Amandiers, en ce mois de janvier : un Molière d’une fraîcheur et d’une énergie éclatantes, tel que le jouent de très jeunes comédiens formés au Conservatoire de Lyon par Gwenaël Morin, qui les met en scène. Une fois de plus, le directeur du Théâtre du Point du jour, à Lyon, démontre qu’il est bien l’homme qui a redonné à la notion de théâtre populaire toute sa pertinence, et un formidable coup d’accélérateur, en remettant l’art dramatique au cœur de la cité, et en proposant des places à 5 euros pour tous. Il faut donc courir toutes affaires cessantes à Nanterre, surtout avec de jeunes spectateurs qui – quelle drôle d’idée – oseraient penser que le théâtre est un art dépassé, pour voir l’effet que peut produire sur le public un Molière décrassé de toute poussière patrimoniale. Morin et ses acteurs jouent quatre pièces, quatre « tubes » du patron du théâtre français : L’Ecole des femmes, Tartuffe, Dom Juan et Le Misanthrope. Une par soir, du mardi au vendredi. Le samedi, on peut voir les quatre à la suite, en un de ces marathons de théâtre comme on les aime, et qui s’avère ici particulièrement judicieux. Les acteurs sont en jean et en tee-shirt, les filles jouent des rôles masculins et inversement On est loin des ors et des brocarts de Versailles. Sur le grand plateau de Nanterre, Gwenaël Morin n’a besoin que de quelques chaises en plastique et d’accessoires bricolés comme dans un jeu d’enfants pour que le théâtre advienne. La vedette, c’est le texte, tel qu’il est d’ailleurs distribué sous forme de brochure à chaque spectateur au début de chaque représentation. Distribution tirée au sort Les acteurs sont en jean et en teeshirt, les filles jouent des rôles masculins et inversement, et Morin prétend qu’il a tiré au sort pour distribuer les personnages entre ses dix comédiens. On a du mal à le croire, au vu du génial Sganarelle que joue Marion Couzinié, gracieuse jeune femme en robe orange, et de la formidable Célimène qu’incarne Pierre Laloge, jeune homme tout aussi gracieux affublé d’une robe rouge. Mais il faudrait pouvoir citer tous leurs camarades, tant tous font montre de leur talent et de leur singularité. On l’aura compris, la vérité de Molière se joue ici autrement que par l’identification réaliste et psychologique aux personnages. Et pourtant elle éclate comme on l’a rarement vue, avec une santé, un peps, un sens de la farce qui appartiennent à la jeunesse, mais ne peuvent se libérer que sous la houlette d’un grand directeur d’acteurs. Le secret de ces Molière, c’est le jeu, à tous les sens du terme, et dans tous ses états : un jeu absolument jouissif, qui fait rendre à ces quatre comédies leur jus jusqu’à la dernière goutte. Car si « à force de sagesse, on peut être blâmable », comme le dit Philinte dans Le Misanthrope, le plaisir dionysiaque que peut apporter le 28 JAN > 7 FEV terre noire stefano massini irina brook théâtre national de nice théâtre récolte toujours sa récompense. A la fin de l’intégrale du samedi 23 janvier, le public, dont l’âge s’étalait – presque – de 7 à 77 ans, s’est levé comme un seul homme pour ovationner cette fine équipe. Dans la navette et le RER de retour, tout le monde semblait regonflé à bloc. Morin-Poquelin, même combat. Gagnant-gagnant, comme dirait une coquette d’aujourd’hui, dont le prénom rime avec Célimène. p fabienne darge Les Molière de Vitez . Quatre pièces de Molière (L’Ecole des femmes, Tartuffe ou l’Imposteur, Dom Juan ou le Festin de Pierre, Le Misanthrope ou l’Atrabilaire amoureux) mises en scène par Gwenaël Morin. Théâtre Nanterre -Amandiers, Jusqu’au 30 janvier. 20 | culture 0123 JEUDI 28 JANVIER 2016 Le saut redonne du ressort à la danse A l’instar de Jan Martens, plusieurs chorégraphes de la scène contemporaine se sont emparés de ce mouvement DANSE S auter. Ce geste fondamental fait turbiner le spectacle The Dog Days Are Over (2014), chorégraphié par le Flamand Jan Martens. Uniquement soutenus par les frappes de leurs baskets sur le sol, huit danseurs fusent en long, en large, sur un pied et puis l’autre, pendant une heure. Training aérobic avec liquéfaction à vue des performeurs, The Dog Days Are Over accélère le cardio d’un danseur-athlète programmé jusqu’à épuisement. Jan Martens, 31 ans, n’est pas le seul à trouver dans le saut un ressort de création. Il y a quelques années, Julie Nioche, Mette Ingvartsen (sur un trampoline), plus récemment Alessandro Sciarroni et Paula Rosolen, ont eux aussi, dans le même registre minimaliste et maximaliste, fait bondir des danseurs amateurs et professionnels. Tendance gymnique dans l’air du temps, phénomène viral, obsession générationnelle, sauter est en passe de devenir un gimmick de la scène contemporaine. Ce parti pris d’un mouvement basique souligne le besoin pour les chorégraphes conceptuels, jeunes et moins jeunes, de renouer avec l’énergie et la dépense physique après le gel entraîné depuis le mi lieu des années 1990 par la « non danse ». « J’aime les concepts, mais aussi le travail du corps, explique Jan Martens, sorti en 2006 du con servatoire d’Anvers. J’ai longtemps cru qu’on ne pouvait pas combiner concept et divertissement. Mes pièces ne sont pas arides, elles restent sur terre. Quel est le vrai visage de la danse par ces temps incertains ? Que voulons-nous montrer ? Que voulons-nous voir ? » Les questions se précipitent. Dans un contexte où le chambardement de la danse conceptuelle, en France comme en Belgique, a entraîné le désaveu d’un pan du public, le besoin de le rattraper par la manche se fait aussi sentir. « Les gens ont besoin aujourd’hui d’être connectés avec des corps et pas seulement des idées, poursuit Jan Martens. Je ne fabrique pas des spectacles pour jouer trois fois. Je veux toucher le spectateur. » Flashback. Au milieu des an nées 1990, la belle danse des an nées 1980, qui bouffait du mouve Le spectacle « The Dog Days Are Over », du chorégraphe Jan Martens, est à l’affiche du Théâtre des Abbesses, à Paris . PIET GOETHALS ment avec gourmandise, est black boulée par les tenants de la « non danse », autrement nommée « danse conceptuelle » ou « plasti cienne ». Ce chamboulement des codes porte les noms de Jérôme Bel, Boris Charmatz, Christian Rizzo, Rachid Ouramdane, Emmanuelle Huynh… Même si certains « bougent » encore, ils opèrent une critique de l’écriture et de la virtuosité qui ont construit la danse d’auteur. De Jean-Claude Gallotta à Angelin Preljocaj en passant par Anne Teresa De Keersmaeker, inventer son vocabulaire et son style faisait battre – et le fait d’ailleurs toujours – le pouls de l’identité chorégraphique. Le vent a tourné. Le cas de Christian Rizzo, 51 ans, illustre cette évolution. Ce tenant d’une danse plasticienne – Rizzo a étudié à la Villa Arson, à Nice – s’est taillé un nom au tournant des années 2000 grâce à des rituels magnétiques. Proches de l’installation, avec aménagement et déménagement de l’espace serti d’objets géométriques et de plantes vertes, ses spectacles valorisaient une danse de postures. En 2013, il désamorce une bombe, D’après une histoire vraie, pour cinq hommes et deux batteurs, succès du Festival d’Avignon. Un motif de danse traditionnelle turque se love dans les boucles de gestes en suspens. « J’étais arrivé au bout d’un cycle, explique Rizzo, directeur du Centre chorégraphique national de Montpellier depuis 2015. Je risquais de faire du corps un objet, ce que j’ai toujours évité. Dans l’espace vide qu’était devenu le plateau pour moi, j’ai cherché à renouer le contact entre deux êtres. J’ai redécouvert le mouvement et la danse qui fondent mon identité. » Proche du sampling Cette stratégie d’emprunts à un répertoire préexistant est devenue une tendance lourde chez les chorégraphes conceptuels, en particulier de la nouvelle génération. « Je n’ai pas envie d’inventer une langue gestuelle comme c’était le cas avant, poursuit Jan Martens. Je veux trouver pour chacune de mes pièces une langue différente. » Plus question donc pour cette frange d’artistes de ciseler son écriture, mais plutôt de ponctionner des mouvements, d’isoler des séquences chorégraphiques qui « Je veux trouver pour chacune de mes pièces une langue différente » JAN MARTENS chorégraphe servent d’embrayeur, voire de moteur… Une tactique proche du sampling et du remix en musique. Les registres de ce système sont nombreux. Le répertoire folklorique et traditionnel, le clubbing, la danse classique deviennent des banques de données. Alessandro Sciarroni s’est fait connaître en France en 2013 avec Folk-s, Will You Still Love Me Tomorrow ?, en raciné dans l’apprentissage de la danse bavaroise du Schuhplattler. Depuis sa première pièce, Le Royaume des ombres (2009), d’après le ballet La Bayadère, Noé Soulier a détourné le vocabulaire classique dans des pièces comme Signe blanc (2012) et Corps de ballet (2014). D’autres secteurs sont mis à contribution comme le sport (goalball pour Sciarroni dans Aurora ; jujitsu pour Soulier dans Removing), ou la photographie (Boris Charmatz, Daniel Linehan…). A l’affiche du festival DansFabrik, à Brest, Lenio Kaklea, qui se demande « comment retrouver un vocabulaire aujourd’hui », a tissé son solo Arranged by Date à partir d’objets et d’images de sculptures ; Alexandra Bachzetsis, elle, feuillette des attitudes piochées dans des livres comme Gesture in Naples and Classical Antiquity pour Score. Reste ensuite à prendre le pouvoir sur les citations. Ce qui est le défi, même si le ready-made à la Marcel Duchamp ne fait pas peur à certains. « Duchamp est pour moi l’artiste le plus important, affirme Sciarroni, passé par le théâtre et la performance. Mais le ready-made en spectacle n’est évidemment pas suffisant. Je cherche toujours à créer des rencontres avec les interprètes. Nous formons avec les joueurs de goalball d’Aurora une sorte de famille. » D’où un impact humain qui sauve le match, un peu revisité, de la simple reproduction. Si, pour la majorité de ces artistes qui revendiquent une signature d’auteur, sampler n’est pas jouer, rares sont les spectacles qui décollent. The Dog Days Are Over, de Jan Martens, comme Removing, de Noé Soulier, dont le déclencheur, un combat de jujitsu, ouvre les vannes à un feu d’artifice gestuel, explosent grâce à une partition spatiale et rythmique complexe. Avec, en première ligne, un corps pulsant, dansant, et la saveur de l’humain en action. A fond. p rosita boisseau The Dog Days Are Over, de Jan Martens. Les Abbesses, 31, rue des Abbesses, Paris 18e. Jusqu’au 30 janvier. theatredelaville-paris.com/ Ad Noctum, de Christian Rizzo. au MC2, 4, rue Paul-Claudel, à Grenoble. Les 28 et 29 janvier. mc2grenoble.fr Folk-s, de Alessandro Sciarroni, théâtre de Saint-Quentinen-Yvelines, place GeorgesPompidou. Le 6 février. theatresqy.org Festival DansFabrik, à Brest. Du 29 février au 5 mars. dansfabrik.com A Bruxelles, une Brafa entre carapace de tortue et visage du Christ La 61e édition de la foire d’art accueille 137 exposants de tous styles et de toutes époques ARTS bruxelles I l n’y a pas de gardes armés ? », s’indigne une antiquaire londonienne, persuadée que Bruxelles est en proie au terrorisme. Charitablement, on s’abstient de lui dire que le désormais célèbre quartier de Molenbeek- Saint-Jean n’est qu’à deux pas des bâtiments de Tour & Taxis, l’immense site d’entrepôts désaffectés, qui accueille, jusqu’au 31 janvier, une des foires d’art et d’antiquités les plus anciennes d’Europe, la Brafa, dont c’est la 61e édition. Les collectionneurs locaux ne s’inquiètent pas, eux, de cette proximité d’une des com- CRÉATION – DU 29 JANVIER AU 20 FÉVRIER 2016 ROBERTO ZUCCO Bernard-Marie Koltès MISE EN SCÈNE Richard Brunel Réservations : 01 48 13 70 00 www.theatregerardphilipe.com Dans les villes – illustration Serge Bloch DE munes les plus pauvres de Belgique : l’inauguration, le 20 janvier, est suivie d’un dîner de gala, et ils sont habillés pour la circonstance, smoking pour les messieurs, robe du soir pour les dames. Les Belges aiment cette foire, et on les comprend : c’est l’une des très rares à permettre au visiteur de passer, en quelques mètres, d’antiquités gréco-romaines à un stand presque entièrement consacré à l’abstraction géométrique et à l’art cinétique des années 1960 (celui de la galerie bruxelloise La Patinoire royale). Un endroit où se retrouvent quelquesunes des meilleures galeries belges (55 sur les 137 exposants de cette année), comme Albert Baronian, qui montre notamment un fabuleux dessinateur, Jean Bedez, et un non moins étonnant peintre, Michel Frère. Une foire où, sur le même stand, celui d’Axel Vervoordt, cohabitent un tableau abstrait du Japonais Kazuo Shiraga, qui peignait avec les pieds, et une cheminée sculptée en Italie à la Renaissance, comme un peu plus loin, sur le mur de Finch & Co – dont les centres d’intérêt sont si variés que cette galerie londonienne pourrait à elle seule résumer l’esprit de la foire –, on peut voir juxtaposés une carapace de tortue blanche pêchée au XIXe siècle et un visage du Christ sur le voile de sainte Véronique réalisé à Turin au XVIIe siècle. Floraison remarquable Le lieu aussi où on peut s’acheter non pas un, mais deux Jérôme Bosch (galerie De Jonckheere), et où le galeriste Guy Pieters exhume, chaque année, quelques raretés : pour cette édition, un Nam June Paik d’exception, empilement de téléviseurs surmontés d’un chapeau haut de forme, hommage à Abraham Lincoln, où deux très belles sculptures de George Segal, œuvres dont s’enorgueillirait n’importe quel musée. Des musées, il y en a aussi, ou du moins des institutions qui s’en rapprochent : la Fondation Roi Baudouin présente, chaque année, ses activités sur un stand, tout comme la parisienne Cité de la céramique de Sèvres (Hauts-de-Seine), qui mon- tre qu’elle sait encore travailler avec les meilleurs artistes contemporains, comme Clémence van Lunen ou Johan Creten. Des armures (galerie Charbonnier) ou des meubles (galerie Barrère) japonais, de l’art africain ou océanien, des icônes russes, du mobilier de toutes les époques, et jusqu’à la nôtre avec, chez Dutko, les créations spectaculaires d’Eric Schmitt. Ce qu’il y a de réjouissant à voir tout cela, c’est aussi de se dire que le collectionneur belge, lorsqu’il achète un tableau, c’est pour le mettre à son mur, pas pour le revendre le lendemain, et, quand il choisit une chaise, même ancienne, c’est pour s’asseoir dessus. Alors, les marchands présents les soignent, et on trouve fort peu de mauvaises choses dans cette foire, même si tout n’est pas exceptionnel dans la floraison remarquable – mais pas surprenante, vu la prochaine rétrospective annoncée par le Musée d’art moderne de la Ville de Paris – de Bernard Buffet : il y en a un peu partout. L’Ecole de Paris des années 1950 est généralement très bien représentée, avec des Pierre Soulages, des Georges Mathieu comme s’il en pleuvait. Kalman Maklary est venu de Budapest avec des toiles de Simon Hantaï, de Judit Reigl, et la Die Ga lerie arrive de Francfort avec un très bel ensemble d’artistes du groupe CoBrA. Claude Bernard, lui, expose à l’entrée de son stand un des chefs-d’œuvre de Paul Rebeyrolle, une grande toile de la série « Le Sac de Madame Tellikdjian », qui disait la difficulté d’être émigré bien avant que ce problème n’envahisse l’actualité. On s’arrache de cette foire avec regrets. Au moment du départ, une annonce au micro : « Le propriétaire de la Porsche Cayenne immatriculée (…) a laissé ses phares allumés. » Visiblement le seul problème grave de la soirée : les gardes armés n’étaient pas nécessaires. Bruxelles, terre de contrastes. p harry bellet Brussels Art Fair (BRAFA), Tour & Taxis, à Bruxelles. Tous les jours, de 11 heures à 19 heures, jusqu’au 31 janvier. Entrée 25 €. www.brafa.be télévisions | 21 0123 JEUDI 28 JANVIER 2016 Le PS désavoué par ses électeurs VOTRE SOIRÉE TÉLÉ J E UD I 28 JAN VIE R Le documentaire analyse les raisons d’une défiance qui n’a jamais été aussi forte FRANCE 3 JEUDI 28 – 23 H 05 DOCUMENTAIRE T outes les enquêtes d’opinion montrent que les Français jugent leurs élus nationaux éloignés d’eux, formant une caste dont le souci n’est pas d’améliorer leur quotidien, mais de se faire élire. Jamais la défiance à l’encontre des représentants politiques n’a été aussi forte. Le Parti socialiste est le premier à pâtir de la crise que traverse notre culture démocratique, affirment Henry Marquis et Jean-Baptiste Predali, auteurs d’un documentaire incisif intitulé Profession socialiste. En 2012, au début du quinquennat de François Hollande, le Parti socialiste avait pourtant toutes les cartes en main : il dirigeait les grandes villes de France, la majorité des départements, la quasitotalité des régions, l’Assemblée nationale et le Sénat. Trois ans plus tard, les socialistes ont tout perdu. Les orientations du gouvernement, contestées par une partie des militants, et l’ab- sence de résultats expliquent en grande partie cette déroute. Surtout, affirment Henry Marquis et Jean-Baptiste Predali, le Parti socialiste ne fait plus recette parce qu’il est devenu une machine électorale composée de professionnels de la politique, tous issus des élites. Cette dérive, Michèle Delaunay, députée socialiste de la Gironde, l’a dénoncée sur son blog en septembre 2014. Dans ce billet intitulé « Le tunnel ou comment faire carrière sans mettre un pied dans la vraie vie », l’ex-ministre déléguée aux personnes âgées dénonçait « ces élus [qui] n’ont jamais connu la vie réelle ». Crise profonde Les auteurs du documentaire ne précisent pas que ce pamphlet avait été publié dix jours après que Thomas Thévenoud fut contraint de démissionner du gouvernement en raison de ses démêlés avec le fisc. Ce passage sous silence leur permet non seulement d’éviter d’alourdir le récit, mais surtout d’ériger en modèle cette cancérologue de formation, entrée en politique à l’âge de 54 ans. D’autant que les ténors du PS in- TF1 20.55 Section de recherches Série créée par Steven Bawol et Dominique Lancelot. Avec Xavier Deluc, Chrystelle Labaude, Franck Sémonin (Fr., saison 10, ép.1 et 2/13 ; S9, ép. 3/12 ; S7, ép. 6/16). France 2 20.55 Envoyé spécial Magazine présenté par Guilaine Chenu et Françoise Joly. 22.40 Complément d’enquête Présenté par Nicolas Poincaré. La députée PS Michèle Delaunay avait dénoncé « ces élus qui n’ont jamais connu la vie réelle ». NO ONE terrogés refusent de voir la réalité en face, de l’analyser. Bruno Le Roux, entré tôt en politique, chef du groupe PS à l’Assemblée nationale, reste convaincu que sa seule présence sur le terrain et son attachement à sa Seine-Saint-Denis natale le protègent de la « mécanisation de la politique ». Les origines de cette crise de la représentation sont rappelées avec précision. Jusque dans les années 1980, le personnel du Parti socialiste était surtout issu des classes moyennes et populaires. On entrait en politique à la faveur d’une expérience sociale. La professionnalisation du PS date de la décennie 1990 : la politique est alors devenue plus technique, les textes de loi sont passés de vingt à deux cents pages. D’assistant parlementaire à directeur de cabinet, le poste de « collaborateur » est devenu un métier incontournable. En 2012, le PS en comptait 10 000, répartis sur le territoire. Sans leur concours, les politiques n’auraient pas de capacité d’action. A force de privilégier le pragmatisme au détriment des idées, les socialistes n’ont pas su porter une vision politique une fois arrivés au pouvoir. C’est l’une des conclusions que tire ce documentaire. On aurait pu ajouter que, faute d’avoir renouvelé son logiciel idéologique, le Parti socialiste a surtout fini par brouiller le clivage gauche-droite qui structurait la démocratie française. Signe que la crise est profonde, les élus interrogés ont peu de solutions à offrir pour regagner l’opinion publique. De Dominique Potier, député du département de Meurthe-et-Moselle, à Laura Slimani, la présidente des Jeunes socialistes, les plus lucides pensent tout juste qu’il faudrait exercer la politique « à durée déterminée ». p antoine flandrin Profession socialiste, d’Henry Marquis et Jean-Baptiste Predali (France, 2015, 50 min). Entre Paris et la province, l’amour vache Attraction et/ou répulsion, les relations entre la capitale et le reste du pays ont longtemps été mouvementées FRANCE 5 JEUDI 28 – 22 H 15 DOCUMENTAIRE P loucs d’un côté, parigots têtes de veau de l’autre ? Pour débuter la troisième saison de la collection « Duels », Christophe Duchiron signe ce drôle de documentaire consacré à la rivalité Paris-province. Au-delà des clichés, c’est une histoire économique et sociologique de la France qui se dessine, notamment à l’aide d’archives télévisuelles épatantes. La plupart datent des années 1960. A cette époque, la rivalité Parisprovince n’était pas un concept fumeux, si l’on en juge par les témoignages recueillis dans des émissions telles que « Rencontre » ou « Dim Dam Dom ». Sur un plateau télé, en noir et blanc, de jeunes Parisiens évoquent la province, « sordide et moche, avec sa tristesse et ses bistrots sales… ». Face à eux, de jeunes provinciaux, qui voient Paris comme « un endroit effrayant, où les gens, intoxiqués par la réussite, sont bombardés jour et nuit par le bruit ». Moins théâtral, plus touchant, le témoignage face caméra de Louisette, Bretonne qui a quitté la ferme familiale à 18 ans pour trouver à Paris « la liberté, des loisirs et un travail moins dur », rappelle que, durant les années 1960, 80 000 provinciaux débarquaient, chaque année, dans la capitale pour entamer une nouvelle vie. Moqueries, jalousies La centralisation, spécificité française qui date de Louis XIV, va peu à peu laisser place à l’aménagement du territoire. Autoroutes, voies ferrées, industrialisation, établissements culturels, la province se remplume, et le président Pompidou peut entamer un discours en proclamant fièrement : « Je suis provincial. » Et, pendant que Paris étouffe dans des embouteillages monstrueux (images d’archives à l’appui), les autres grandes villes du pays se développent. Amour-haine, attraction-répulsion, les relations entre Paris et le reste du pays ont donc été mouvementées durant une longue période, qui va de l’après-guerre au milieu des années 1970. Avec la décentralisation, projet politique majeur décidé en 1981, les différences s’estompent. Et l’arrivée du TGV fait basculer une partie de la société dans la mobilité. De fait, la France devient un territoire plus homogène. Restent les moqueries, les jalousies, les petites « piques » entre Parisiens et provinciaux qui font partie du folklore, et que de nombreux extraits d’archives télévisuelles permettent de retrouver. Et, comme l’avoue François Morel, provincial devenu acteur en vue de la scène culturelle : « Ma jeunesse en province ? Je m’y suis ennuyé, j’ai rêvé… » p alain constant Paris-province : une rivalité capitale, de Christophe Duchiron (Fr., 2015, 52 min). France 3 20.55 Mes héros Comédie d’Eric Besnard. Avec Josiane Balasko, Gérard Jugnot (Fr., 2012, 85 min). 23.05 Profession socialiste Documentaire d’Henry Marquis (Fr., 2015, 50 min). Canal+ 21.00 False Flag Série créée par Amit Cohen et Maria Feldman. Avec Ishai Golan, Yoav Donat, Angel Bonanni et Ania Bukstein (Isr., S1, ép. 7 et 8/8). 22.25 Strike Back Série avec Philip Winchester, Sullivan Stapleton, Robson Green et Will Yun Lee (EU-GB, 2015, 90 min, S4, ép. 7 et 8/10). France 5 20.45 La Grande Librairie Magazine animé par François Busnel. 22.15 Duels « Paris-province, une rivalité capitale ». Documentaire de Christophe Duchiron (2015, 52 min). Arte 20.55 Wolf Hall Série créée par Peter Kosminsky, d’après les romans de Hilary Mantel. Avec Mark Rylance (GB, 2014, 4 à 6/6). 23.55 Rio, sexe et (un peu de) tragi-comédie Comédie de Jonathan Nossiter. Avec Charlotte Rampling, Bill Pullman et Irène Jacob (Fr.-Br., 2010, 95 min). M6 20.55 Once Upon a Time Série créée par Ed Kitsis et Adam Horowitz. Avec Jennifer Morrison, Ginnifer Goodwin et Elizabeth Mitchell (EU, S4, ép. 10 à 12/23). 23.30 Nouveau look pour une nouvelle vie Présenté par Cristina Cordula. 0123 est édité par la Société éditrice HORIZONTALEMENT 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 I II III IV V VI VII VIII IX X SOLUTION DE LA GRILLE N° 16 - 022 HORIZONTALEMENT I. Instigatrice. II. Note. Ameuter. III. Furtive. Bâti. IV. Ive. Serval. V. Resta. Sinité. VI. Masure. Liera. VII. Auer. Nuée. II. VIII. Tn. Bots. Rote. IX. Iéna. Rem. Don. X. Feinteraient. VERTICALEMENT 1. Inirmatif. 2. Nouveau-née. 3. Stressé. Ni. 4. Têt. Tur- ban. 5. Isar. 6. Gavé. Entre. 7. Amers. User. 8. Té. Vile. Ma. 9. Rubanier. 10. Italie. Ode. 11. Cet. Triton. 12. Erigeaient. I. Travaille à l’arraché. II. Producteur d’hormones sexuelles. Aura plus tard des problèmes de foie. III. Calculer le juste milieu. Met in au bout du compte. IV. Pistes sanglantes. Possessif. Le parti de VGE. V. Plus appréciés par le personnel que par les patrons. Entraîna sur une mauvaise voie. VI. Avoir pour soi. Douce caresse. VII. Fait circuler. Pâte d’Auvergne au parfum aillé. VIII. Sur la portée. Habiter les esprits. Dieu solaire. IX. Mettais en page. Du bleu dans la campagne. X. Firent traîner très longtemps. VERTICALEMENT 1. Bon endroit pour se faire pincer. 2. Expulsion avant terme. 3. Fait un carton aux Archives nationales. Personnel. 4. Possessif. Inini poétique. 5. Coule en Irlande. Acide ribonucléique. 6. Apportai un peu de lumière. 7. Comme un rasage du lendemain. 8. Eut sur lui. Réléchit au problème. 9. Répété pour rire ou pleurer. Equiper le bâtiment. 10. Assure l’égalité. Evitez de pomper celui des autres. Article. 11. Le jeune à souvent les dents longues. Le Petit et le Grand inissent dans la Marne. 12. Pousse ou tire mais ne laissera pas indiférent. La reproduction de tout article est interdite sans l’accord de l’administration. Commission paritaire des publications et agences de presse n° 0717 C 81975 ISSN 0395-2037 0123 Les Unes du Monde RETROUVEZ L’INTÉGRALITÉ DES « UNES » DU MONDE ET RECEVEZ CELLE DE VOTRE CHOIX ENCADRÉE Encyclopéd ie Universalis www.lemond e.fr 65 e Année - N˚19904 - 1,30 ¤ France métropolitaine L’investiture de Barack Nouvelle édition Tome 2-Histoire --- Jeudi 22 janvier Uniquement 2009 Fondateur Premières mesures Le nouveau président américain a demandé la suspension : Hubert Beuve-Méry En plus du « en France - Directeur Monde » métropolitaine : Eric Fottorino Obama des audiences à Guantanam o Barack et Michelle Obama, à pied sur Pennsylvania WASHINGTON Avenue, mardi 20 janvier, CORRESPONDANTE se dirigent montré. Une vers la Maison evant la foule nouvelle génération Blanche. DOUG tallée à la tête s’est insqui ait jamais la plus considérable MILLS/POOL/REUTERS a Les carnets transformationde l’Amérique. Une ère d’une chanteuse. national de été réunie sur le Mall de Angélique a Washington, Des rives du commencé. Kidjo, née au Obama a prononcé, a Le grand Barack lantique, Pacifique à jour. Les cérémonies celles de l’At- aux Etats-Unis pendant Bénin, a chanté discours d’investituremardi 20 janvier, toute l’Amérique la liesse ; les la campagne de Barack Obama ; ambitions d’un presque modeste.un sur le moment s’est arrêtée a Feuille force d’invoquer en 2008, la première rassembleur qu’elle était pendant les A vivre : décision de ; n’est jamaisde route. « La grandeur Abraham en train de festivités de et de nouveau administration: Martin Luther l’accession la nouvelle Lincoln, un l’investiture, au poste du 18 au dant en chef Avec espoir et dû. Elle doit se mériter. avait lui même King ou John Kennedy, pendant cent la suspension des armées, de comman- raconte 20 janvier. Pour Le Monde, (…) vertu, il placé la barre responsable vingt : les cérémonies, elle de plus les courants bravons une fois discours ne très haut. Le l’arme nucléaire, d’un de Guantanamo. jours des audiences passera probablement les rencontres jeune sénateur de – elle a croisé l’actrice glacials et endurons cain-américain Pages 6-7 les tempêtes à postérité, mais afri- le chanteur page 2 et l’éditorial Lauren de 47 ans. venir. » Traduction il fera date pour pas à la Harry Belafonte… Bacall, du discours ce qu’il a inaugural du e intégrale miste Alan Greenspan. Lire la suite et l’écono- a It’s the economy... des Etats-Unis. 44 président page 6 la Il faudra à la velle équipe taraude : qu’est-ce Une question nou- a Bourbier Page 18 beaucoup d’imagination Corine Lesnes pour sortir de que cet événement va changer pour irakien. Barack a promis de l’Afrique ? Page Obama et économiquela tourmente financière retirer toutes 3 qui secoue la de combat américaines les troupes Breakingviews planète. page 13 d’Irak d’ici à mai 2010. Trop rapide, estiment les hauts gradés de l’armée. D Education UK price £ 1,40 GRILLE N° 16 - 023 PAR PHILIPPE DUPUIS du « Monde » SA Durée de la société : 99 ans à compter du 15 décembre 2000. Capital social : 94.610.348,70 ¤. Actionnaire principal : Le Monde Libre (SCS). Rédaction 80, boulevard Auguste-Blanqui, 75707 Paris Cedex 13 Tél. : 01-57-28-20-00 Abonnements par téléphone : de France 3289 (Service 0,30 e/min + prix appel) ; de l’étranger : (33) 1-76-26-32-89 ; par courrier électronique : [email protected]. 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Ils comment la et de déterrent du rupture s’est sable des morceaux d’une faite entre les enseignants qui s’enflamment fibre compacte et Xavier Darcos. immédiatement au contact de Page 10 l’air Bonus Les banquiers ont cédé Enquête page Nicolas Sarkozy des dirigeants a obtenu françaises qu’ilsdes banques renoncent à la « part variable de leur rémunération ». En contrepartie, les banques pourront bénéficier d’une D et qu’ils tentent aide difficilement de l’Etat de d’éteindre avec 10,5 pieds. « C’est d’euros. Montantmilliards du phosphore. leurs dez comme ça Regarbrûle. équivalent à Surles mursde » celle accordée cetterue,des fin 2008. Page cesnoirâtres tra- boutique. 14 sont bes ont projeté visibles.Les bom- victime, Le père de la septième âgée de 16 ans, chimique qui partout ce produit re ne décolèa incendié une pas. « Dites fabrique de bien aux dirigeants Au bord de papier. « C’est petite des nations occidentales la mière foisque que ces sept je voiscela après la pre- innocents sont il y a quelquesfaillite huit ans d’occupation trentemorts pour semaines, rien. l’Américain israélienne », Qu’ici, il n’y a jamais s’exclame Mohammed eu de tirs de Chrysler roquettes. Que Abed négocie l’entrée bo. Dans son c’est costume trois Rab- nel. Que les Israéliensun acte crimidu cette figure constructeur nous en don- La parution du quartier pièces, nent la preuve, italien Fiat deuil. Six membres porte le puisqu’ils sur- de deux dans son capital, textes inédits de sa famille veillent tout depuis le ciel ont été fauchés », enrage de Roland Rehbi Hussein de 35 %. L’Italie à hauteur devant par Barthes, Heid. un magasin, une bombe mains, de cette bonne se réjouit il tient une Entre ses mort en 1980, le 10 janvier. Ils étaient venus enflamme feuille de le s’approvisionner papier avec tous cercle de ses pour l’économienouvelle pendant noms des nationale. décrétéesles trois heures de trêve morts et des blessés,les Le demi-frère disciples. Chrysler, de par Israël pour âge, qu’il énumère ainsi que leur son côté, aura tre aux Gazaouis permet- reprises, l’écrivain, qui de à accès à une comme pour plusieurs en a autorisé technologie Le cratère de de souffler. se persua- la publication, der qu’ils sont plus innovante. la bombe est jours là. Des bien morts. essuie touPage 12 éclats les foudres Michel Bôle-Richard mur et le rideau ont constellé le de l’ancien Algérie 80 DA, métallique de éditeur de Barthes, Allemagne 2,00 Lire la suite ¤, Antilles-Guyane la 2,00 ¤, Autriche page 19 27000profs partirontcha quean àlaretraite,d ’icià2012. née Automobile Fiat : objectif Chrysler Edition Barthes, la polémique et Débats page 5 17 François Wahl. L elivre-en q u êtein co n to u rn ab lep o u ralim en terled su rl’aven éb at ird el’éco le. 2,00 ¤, Belgique 1,40 ¤, Cameroun Maroc 10 DH, 1 500 Norvège 25 KRN, Pays-Bas F CFA, Canada 3,95 $, Côte 2,00 ¤, Portugal d’Ivoire 1 500 F CFA, Croatie cont. 2,00 ¤, u né 18,50 Kn, Danemark Réunion 2,00 d ite u rd ¤, Sénégal 1 e rriè 500 F CFA, Slovénie 25 KRD, Espagne 2,00 rel’é c ra ¤, Finlande n>w 2,20 ¤, Suède 2,50 ¤, Gabon w w 28 KRS, Suisse .a rte b o 2,90 FS, Tunisie 1 500 F CFA, Grande-Bretagne u tiq u e .c 1,9 DT, Turquie o m 1,40 £, Grèce 2,20 ¤, USA 2,20 ¤, Hongrie 3,95 $, Afrique 650 HUF, Irlande CFA autres 2,00 ¤, Italie 1 500 F CFA, 2,00 ¤, Luxembourg 1,40 ¤, Malte 2,50 ¤, Page 20 RENDEZ-VOUS SUR www.lemonde.fr/boutique Présidente : Corinne Mrejen PRINTED IN FRANCE 80, bd Auguste-Blanqui, 75707 PARIS CEDEX 13 Tél : 01-57-28-39-00 Fax : 01-57-28-39-26 L’Imprimerie, 79 rue de Roissy, 93290 Tremblay-en-France Toulouse (Occitane Imprimerie) Montpellier (« Midi Libre ») 22 | styles 0123 JEUDI 28 JANVIER 2016 HAUTE COUTURE PRINTEMPS-ÉTÉ 2016 ILLUSTRATIONS MARGOT VAN HUIJKELOM/ SLO SLO POUR « LE MONDE » histoires d’amour LES SUPER-HÉROÏNES DU LUXE 2 | 3 Les personnages mis en scène par les couturiers parisiens incarnent les variations contrastées d’une femme idéale Chanel. L a haute couture est comme une histoire d’amour. Les couturiers utilisent le meilleur des techniques et des savoir-faire à leur disposition pour imaginer une garde-robe aux mesures – ou à la démesure – d’une femme idéale. Et, à chacun son hyperbole créative. La femme imaginée par Karl Lagerfeld chez Chanel vit dans un décor zen : une grande maison de bois au volume cubique posée sur une pelouse ponctuée de lattes brutes. Elle a beaucoup d’allure, avec son chignon roulé sur la nuque, on dirait une sculpture de Picasso avec la grâce détachée et le regard intense de Dora Maar, artiste et muse de l’homme de Malaga. On sent qu’elle n’aime pas se faire remarquer, du moins pas parce qu’elle brille trop ou qu’elle est trop découverte. Il y a chez elle un besoin de simplicité, d’intemporel, qu’elle assouvit dans une collection très nature, une interprétation libre d’un esprit écolo-chic à la Karl Lagerfeld, c’est-à-dire très détaché du premier degré. En escarpins de soie à semelles de liège sinueuses, elle promène dans son jardin sa silhouette épurée habillée de toutes les nuances de beige. En chemise ou veste courte à épaules arrondies, en jupe droite qui tombe à quelques centimètres de la cheville, elle n’a pour accessoire qu’un porte-iPhone attaché à la ceinture et quelques bijoux insectes piqués çà et là. Les effets de texture sont faussement bruts : broderies mates imitant le tweed, mosaïques de perles de bois, de plumes, de ruban papier, paillettes effets pixels vernis ou marqueteries de bois donnent à sa silhouette un air de Klimt primitif et futuriste à la fois. Pour le soir, elle préfère les cristaux argentés qui soulignent les volumes sculptés, le satin perle souligné d’or éteint, même si elle n’est jamais aussi spectaculaire qu’en simple tailleur ou en pyjama du soir à ourlet asymétrique. Sa silhouette ne peut être datée, elle est donc indémodable et c’est bien ce que recherche son auteur : préserver cette femme de l’éphémère. Et assurer le grand succès de la couture Chanel auprès des clientes. L’histoire ne fait que commencer chez Aouadi, une toute jeune maison, membre invité du calendrier de haute couture. Son créateur, Yacine Aouadi, signe seulement sa deuxième collection, baptisée « Saison des amours aux rayons X ». Ce jeune designer doué a déjà trouvé « sa » femme : une créature diaphane et romantique aux tentations gothiques plus ou moins prononcées. Sa garde-robe se résume à treize silhouettes saisissantes. Elle semble presque flotter dans la semi-pénombre du Petit Palais. En robe d’organza chair suturée de boutons ronds, ou parée de broderies de tulle soufflées repiquées de perles. Ses manteaux rebrodés d’exosquelettes en corail ou marquetés de plumes tachis- Giorgio Armani Privé. tes lui offrent une coquille protectrice. On ne sait pas si elle vient du fond des mers, d’un cliché sépia des années 1920, d’un conte gothique qui pourrait mal tourner. Mais, attention, tout n’est pas fragile et romantique chez elle : les shorts de surfeuse en dentelle et les dos « nageur » de ses robes trahissent une dimension plus athlétique et moderne de sa personnalité en devenir. Chez Bouchra Jarrar, on retrouve une femme épanouie. La créatrice a décidé de mettre entre parenthèses son prêt-à-porter pour se concentrer sur l’exercice de la couture. On a rencontré chez elle, il y a cinq ans, une femme élégante et un peu dure en perfecto laqué et pantalon tailleur impeccable, on découvre cette saison toute la richesse de sa personnalité. Comme si cette femme osait exprimer différemment sa féminité, sans renoncer à son fort tempérament. En long pantalon d’officier galonné vieil or et gansé de satin noir, en blouse et robe de dentelle crème que réchauffe un blouson zippé en velours nuit, brocart vermeil et fourrure miel, en robe de velours de soie frappée perle, rete- Bouchra Jarrar. CHEZ AOUADI, LE JEUNE CRÉATEUR A DÉJÀ TROUVÉ « SA » FEMME : UNE CRÉATURE DIAPHANE ET ROMANTIQUE AUX TENTATIONS GOTHIQUES nue au creux des reins par une bride de cuir, en manteau d’officier sobre, en robe smoking ou en longue veste sans manches où frémissent des vagues de plumes, elle est à la fois sensuelle et forte. Apaisée, elle a les pieds sur terre mais s’autorise à rêver et séduire, avec délicatesse. Le début d’une nouvelle vie pour cette femme très française. La femme Giorgio Armani Privé, en revanche, vient d’ailleurs. Elle n’est ni parisienne ni milanaise, c’est une cliente internationale, toujours rassurée par l’évidente féminité d’une couture formatée pour ses besoins. Dans son monde privilégié et codifié, les occasions de s’habiller pour briller en société sont encore nombreuses. Pour y répondre, Giorgio Armani imagine une collection à dominante mauve. Des blousons sport bordés de cristaux et portés avec des shorts en organza aux robes bustiers soulignées de perles baguettes jais, en passant par les pantalons volantés, les plissés soufflés comme un Murano, les superpositions de volants, les granités graphiques : toutes les formules de mauve sont à la disposition de cette femme incarnée sur le podium par des mannequins portant toutes la même perruque crantée corbeau. Elle se rêve peut-être en sirène de l’espace ; mais ce qui compte pour elle c’est le prestige de la signature Armani et de tenir son rang dans son cercle élitiste où l’habit signé fait la femme couture. Chez Alexandre Vauthier il faut se faire remarquer, faire crépiter les flashs. La femme idéale du Français est une star, une vraie : Rihanna est cliente. Elle assume tous les attributs de la glamazone nostalgique des années Mugler (Vauthier a travaillé avec le maître) : microrobe perfecto en cuir verni, grandes robes chemises en mousseline plissée portées avec des cuissardes lacées à l’arrière de la jambe, dentelle à motif panthère et pantalon de cuir à maxipoches zippées. Mais cette fille sexy et conquérante commence à apprécier les beaux manteaux très bien coupés, les vestes aux épaules parfaites, et les blousons qui se portent façon minirobe. En poursuivant dans cette voie plus sobre, elle peut gagner en maturité sans perdre son sex-appeal. Evoluer, mûrir est indispensable pour le designer comme pour sa créature. Cette vie adulte à deux est la promesse d’une histoire d’amour qui dure. p carine bizet 0123 | 23 0123 JEUDI 28 JANVIER 2016 EUROPE | CHRONIQUE par ar naud l e par m e nt ie r L’amicale du plan B M ea culpa. Nous avons manqué le dernier colloque de Jean-Luc Mélenchon. Nous avions assisté il y a un an au meeting du gymnase Japy. A l’époque, le tribun du Parti de gauche et ses amis de la gauche radicale européenne triomphaient. Avec Syriza, on allait voir ce qu’on allait voir en Grèce. « C’était ce moment sublime où nous avons cru que l’histoire de l’Europe et du monde allait être renversée, une nouvelle fois, par le peuple qui a inventé la démocratie… L’histoire a tourné autrement », a déploré Jean-Luc Mélenchon dimanche 24 janvier. On a vu effectivement. Après le référendum-trahison de juillet, le premier ministre grec, Alexis Tsipras, est rentré dans le rang en acceptant les exigences européennes. Le plan A est mort Mélenchon, lui, est resté fidèle à lui-même. Et organisait ce weekend « le premier sommet pour un plan B en Europe ». Vous vous souvenez, ce fameux plan B inventé par Laurent Fabius lors du référendum de 2005 sur la Constitution européenne. Un plan B qui n’existait pas. Ou plutôt si : il s’appelait traité de Lisbonne. Tous les nonistes de l’époque furent trahis. Avec humour, Jean-Luc Mélenchon a remis le couvert ce week-end. « J’aurais eu plaisir à voir des ouiouistes », a regretté l’eurodéputé dans son discours de clôture. Nous n’y étions pas. Heureusement, Mélenchon, c’est la révolution rouge portée par le génie numérique américain. Google, Twitter, Facebook, YouTube, Instagram, tous ces outils capitalistes nous ont permis de revivre sur son blog cette journée mémorable. Nous souhaitons adhérer à l’amicale du plan B. D’abord, parce qu’il n’y a plus de plan A et parce que Mélenchon a promis qu’il y avait plusieurs plans B. Le plan A est mort. Naguère, le temps jouait en faveur de l’Europe. Aujourd’hui, le statu quo est destructeur. On le constate chaque jour avec la crise de l’euro, des migrants, du terrorisme et la montée des populismes. L’Europe ne peut pas rester au milieu du gué. Elle est prise dans un irrésistible processus de faiblesse et de lâcheté, incapable de choisir, de dire oui ou non à l’euro, oui ou non à Schengen, oui ou non à la Turquie, et de s’en donner les moyens. « Ça ne marche pas, parce qu’on ne fait rien pour que ça marche », résume l’intellectuel centriste Jean-Louis Bourlanges. Il faut que l’Europe choisisse, qu’elle avance ou qu’elle recule. Cela fait plusieurs plans B. Le recul, c’est le programme de Le Pen et Cie. Sortons de l’euro, rétablissons les frontières, réinventons le protectionnisme, vive l’entre-soi : l’Europe des nations xénophobes, ce n’est pas l’Europe. C’est tellement absurde que le FN est en train de mettre de l’eau dans son vin sur le sujet pour amadouer des électeurs supplémentaires. Le premier plan B à proscrire, hélas !, c’est le grand saut fédéral, prôné par l’ancien premier ministre belge Guy Verhofstadt. Peu importe qu’il ait raison ou tort, son discours est inaudible. Les peuples européens n’en veulent pas, car ils ont pris l’Europe en grippe. NOTRE NOUVEAU HÉROS EST UN EUROPÉEN QUI S’IGNORE, HUBERT VÉDRINE L’EUROPE EST PRISE DANS UN IRRÉSISTIBLE PROCESSUS DE FAIBLESSE ET DE LÂCHETÉ L’autre plan B, encore plus dangereux, c’est le saut révolutionnaire. Tout n’est pas faux dans ce que dit l’extrême gauche. Mélenchon accuse la Banque centrale européenne de faire marcher la planche à billets, mais la très rigoureuse Bundesbank dit la même chose. Il fustige le traité transatlantique. Comme presque tout le monde. On connaît les contraintes juridiques européennes, mais il est incompréhensible que la pétition citoyenne contre cette négociation signée par 3,4 millions d’Européens ait été jugée non recevable par la Commission. Et il dénonce une Europe qui a mis tout le monde en concurrence contre tout le monde, créant « une onde de choc qui disloque les Etatsnations et les sociétés ». Là réside l’irréconciliable divergence. L’extrême gauche croit que la mondialisation est une option, alors qu’elle est une réalité à laquelle il faut s’adapter du mieux possible. Et elle pense qu’on peut jouer sans danger avec l’argent au nom de « la volonté du peuple », sans semer la misère. On a d’ailleurs pris peur lorsque Mélenchon a cité Robespierre. Mais nous voilà rassurés : il entend prendre le pouvoir par les urnes. En Allemagne, via un renversement d’alliance du Parti social-démocrate qui s’allierait aux Verts et à Die Linke, le parti d’Oskar Lafontaine. Voilà qui donne un répit jusqu’en 2017, le temps de chercher notre plan B. Une Europe épurée En lisant l’excellente série « Réinventer l’Europe », publiée par L’Opinion entre Noël et le jour de l’An, nous avons trouvé notre planche de salut. Pas celle de Michel Rocard, qui accuse les autres de nos propres turpitudes. L’ancien premier ministre de Mitterrand prétend que « l’Europe ne pourra être relancée sans que les Anglais en sortent ». On en doute, et on sera fixé après le référendum convoqué par David Cameron. Non, notre nouveau héros est un Européen qui s’ignore, Hubert Védrine. L’ancien ministre des affaires étrangères commence par fustiger les « européistes », alors qu’ils ont perdu la bataille et le pouvoir depuis vingt ans. C’est pour mieux renouer le dialogue avec les populations. Védrine appelle à « libérer le projet européen du dogme européiste » : abandon du langage sermonneur ; pause dans l’élargissement ; concentration de l’Europe sur la recherche, l’innovation. Puis vient le discret sursaut. « Il faut cesser de réclamer “plus d’Europe” en général. A deux exceptions près : l’harmonisation budgétaire et fiscale dans la zone euro doit être poursuivie, ce qui imposera de vraies réformes à la France. Et il faut de vraies frontières extérieures à Schengen. » Il y ajoute l’idée d’une Europe transformée en « puissance pacifique – pas pacifiste –, pacificatrice et respectée ». Si l’Europe épurée du XXIe siècle, c’est l’euro, Schengen et une puissance mondiale, on signe des deux mains pour ce plan B. Peu importe si on ne le claironne pas. p BIENVENUE EN EUROPE, M. ROHANI ! L a France entend développer ses relations économiques avec la République islamique d’Iran. Elle accueille pour deux jours, mercredi 27 et jeudi 28 janvier, le président Hassan Rohani : les deux parties veulent conclure une série d’accords importants. Paris a raison. L’Iran est un pays d’avenir au Moyen-Orient, l’un des plus prometteurs, une puissance régionale avec laquelle il faut compter. Mais la France ne doit pas se tromper sur la nature du régime iranien : théocratie complexe, ambiguë, pas unanimement décidée à s’ouvrir à l’Ouest. Les Français ne peuvent l’ignorer. Depuis l’avènement de la République islamique, en 1979, les relations bilatérales ont traversé bien des tempêtes. Les deux pays se sont le plus souvent retrouvés dans des camps opposés – qu’il s’agisse du Liban ou de la guerre Iran-Irak, voire du conflit actuel en Syrie. Dans les guerres politico-religieuses qui ravagent aujourd’hui le Moyen-Orient, Paris donne l’impression d’être trop proche du « camp sunnite » – derrière l’Arabie saoudite –, qui estime que l’Iran chiite est son ennemi acharné. L’accord sur le contrôle du programme nucléaire iranien, conclu le 14 juillet 2015 à Vienne, a ouvert la voie à une levée partielle de l’embargo qui pesait sur Téhéran – soupçonné de se diriger à grands pas vers l’arme nucléaire. La porte est ouverte pour que les Européens développent des relations économiques à la hauteur des légitimes ambitions de l’Iran. Il faut saisir l’occasion. Pays de 80 millions d’habitants, majoritairement jeunes, majoritairement nés après la révolution, l’Iran dispose d’une société civile urbaine éduquée, comptant nombre d’ingénieurs, d’architectes, de scientifiques, de cinéastes, de médecins, hommes et femmes qui en font un pays sans égal dans la région. Autant que la matière fissile, qu’il a pu accumuler, plus que les hydrocarbures, c’est sa matière grise qui fait la force de l’Iran. Paris doit « compenser » son « tropisme » sunnite en reprenant la route de la Perse. Mais M. Rohani ne représente pas toute la direction iranienne. Loin de là. Homme du système, intelligent, il est le parrain de l’accord sur le nucléaire et l’espoir d’un camp dit « réformateur ». Sur le nucléaire, il a été soutenu par le vrai patron du régime, le Guide Ali Khamenei. Celui-ci voulait la levée des sanctions pour soulager l’économie. Pour autant, le Guide, chef de file de la branche « dure » du leadership iranien, ne veut pas que l’ouverture économique se transforme en ouverture politique. Il entend préserver la part de l’ADN du régime qui reste de nature révolutionnaire. Le régime réprime toute dissidence. La justice, parfaitement arbitraire, est aux mains des « durs » : on exécute plus en Iran qu’en Arabie saoudite. L’Iran est le premier soutien du syrien Bachar Al-Assad. La milice chiite libanaise Hezbollah est totalement aux ordres de Téhéran, qui l’a dotée de milliers de missiles braqués sur Israël. Par milices chiites interposées là encore, l’Iran pèse sur le pouvoir irakien. Sortir l’Iran de son statut de paria de la scène internationale est un objectif diplomatique prometteur, surtout si les Européens arrivent à faciliter un dialogue entre Téhéran et Riyad. Mais il faut s’y employer sans illusion : il dépend moins de ce que souhaitent les Européens que de l’issue de la bataille en cours à Téhéran entre « durs » et « réformateurs ». Vers l’Iran, il ne faut pas aller avec des idées simples. p présentent SAMEDI 6 FÉVRIER 2016 10 h - 18 h Programme des conférences 10h30 Master, MS, MSc… Vrais amis ou faux frères ? Animée par Emmanuel Davidenkof Inscrivez-vous 11h30 Intégrer un Master ou un MS via les admissions parallèles Animée par Emmanuel Davidenkof 12h30 Masters en lettres, langues et sciences humaines : quels débouchés ? Animée par Emmanuel Davidenkof 13h30 MS en grande école : comment mettre toutes les chances de son côté Animée par Adrien de Tricornot 14h30 De M1 à M2 : sélection mode d’emploi Animée par Adrien de Tricornot 15h30 Un master à l’étranger : quelle valeur ajoutée ? Animée par Martine Jacot 16h30 Master, MS, MSc, les nouveautés/tendances à ne pas manquer en 2016 Animée par Martine Jacot Avec le soutien de [email protected] Tirage du Monde daté mercredi 27 janvier : 250 751 exemplaires lemonde.fr/campus *2&, )3 #.3/%!?&5 D 6&3?&>&=5 &)"1 + 0%( #." !' ;= . 5;3A;376 3= );35&9 C.E;= 4;66B=B ;3 -?&3 &= >.7B=.)& : )($+ % '#" &*$ ! # !$ " #'%#' & FRANCE Origine POUR VOTRE SANTÉ, PRATIQUEZ UNE ACTIVITÉ PHYSIQUE RÉGULIÈRE. WWW.MANGERBOUGER.FR Photo non contractuelle. LIDL RCS Strasbourg 343 262 622. ,23/$,*'-4 !!! <+F1*< "0 (80$@!4 Apple, des records et des doutes ▶ La marque à la pomme, qui a écoulé 74,8 millions d’iPhone au dernier trimestre, table sur une baisse de ses revenus J amais Apple n’a autant vendu d’iPhone qu’au quatrième trimestre de l’année passée. Avec 74,77 millions de smartphones écoulés dans le monde entre octobre et novembre 2015, la marque à la pomme dépasse ainsi son précédent record (74,47) établi un an auparavant. Le bénéfice net du groupe américain franchit lui aussi un nouveau cap, à 18,4 milliards de dollars sur le tri- mestre, en hausse de 2 %. Il s’agit du plus gros bénéfice net jamais enregistré par une entreprise dans le monde. Un record qu’Apple détenait déjà… Ces chiffres mirifiques n’en cachent pas moins une situation contrastée pour le groupe. Les ventes d’iPhone affichent au dernier trimestre 2015 leur plus faible croissance depuis le lancement du smartphone tactile en 2007. Et elles ne sont pas les seules à avoir pris à contre-pied les analystes. Le chiffre d’affaires global, qui progresse de seulement 1,7 %, à 75,9 milliards de dollars (69,89 milliards d’euros), est également en deçà des estimations. Pour le trimestre en cours, Apple anticipe un chiffre d’affaires situé entre 50 et 53 milliards de dollars. Si l’on prend le milieu de cette fourchette, cela représente- rait une baisse des revenus de 11 %. Il faut remonter quinze ans en arrière pour retrouver une telle contre-performance. Lors de la conférence sur les résultats, le PDG, Tim Cook, a donc insisté sur la montée en puissance des services, comme Apple Music ou son catalogue d’applications. Une activité qui a progressé de 23 % en un an, à 31 milliards de dollars. p Airbnb contre les hôteliers : la bataille de Paris ▶ La plate-forme en ligne connaît un succès spectaculaire ▶ Les hébergeurs traditionnels organisent la riposte → LIR E PAGE 3 → LIR E PAGE 8 Taxis : Valls nomme un médiateur, la grève continue M algré la nomination d’un médiateur, la mobilisation des taxis contre les pratiques des chauffeurs de véhicule de tourisme (VTC) s’est poursuivie mercredi 27 janvier à Paris. Dans la matinée, des véhicules entravaient la circulation porte Maillot, dans le 16e arrondissement, rue de Bercy, près du ministère des finances, et aux abords des aérogares d’Orly et de Roissy-Charles-de-Gaulle. Au lendemain d’une journée émaillée de violences jugées « inadmissibles » par Manuel Valls, la préfecture avait appelé les manifestants à rentrer chez eux. En vain. Les plus déterminés des 2 000 taxis mobilisés en Ile-de-France sont restés. « La journée est reconductible », avait prévenu, mardi, Karim Asnoun, secrétaire général de la CGT-Taxis. Une détermination qui s’est nourrie du veto du premier ministre. Matignon n’a, en effet, pas voulu ouvrir ses portes à ceux qui exigent l’abrogation du statut de VTC, regrette M. Asnoun. Lors d’un entretien en présence du ministre de l’intérieur, Bernard Cazeneuve, du secrétaire d’Etat chargé des transports, Alain Vidalies, et de la secrétaire d’Etat chargée du commerce, Martine Pinville, M. Valls a en revanche donné des gages à la seconde organisation intersyndicale des taxis. juliette garnier → LIR E L A S U IT E PAGE 3 3 MOIS C’EST LE DÉLAI DONT DISPOSE LE MÉDIATEUR POUR MENER À BIEN SA CONCERTATION Dans les bureaux d’Airbnb, à Paris. JOHN VAN HASSELT/CORBIS TRANSPORT AÉRIEN SITUATION BLOQUÉE CHEZ AIR FRANCE → LIR E PAGE 5 BANDE DESSINÉE LES AUTEURS ONT DU MAL À VIVRE DE LEURS BULLES → LIR E PAGE 6 J CAC 40 | 4 348 PTS – 0,21 % j DOW JONES | 16 167 PTS + 1,78 % j EURO-DOLLAR | 1,0863 J PÉTROLE | 31,04 $ LE BARIL J TAUX FRANÇAIS À 10 ANS | 0,73 % VALEURS AU 27/01 - 9 H 30 PERTES & PROFITS | STMICROELECTRONICS Destins croisés E motion sur les bords de l’Isère. Le fabricant franco-italien de puces électroniques STMicroelectronics, très installé à Grenoble, a confirmé la mauvaise nouvelle que tout le monde attendait. Le groupe va sortir du métier des semi-conducteurs pour décodeurs et en conséquence supprimer 1 400 emplois dans le monde dont 430 en France. Un caillou de plus dans la chaussure du champion hexagonal au moment où la course s’accélère sur un terrain de plus en plus difficile. Et aussi pour son patron dont les syndicats, appuyés par une analyse du cabinet Secafi Alpha, demandent ouvertement le départ. La société a annoncé, mercredi 27 janvier, un chiffre d’affaires annuel en baisse de 7 % et un bénéfice net en chute de 20 % par rapport à l’année précédente. Sur le dernier trimestre 2015, la baisse des ventes atteint 8,8 %. Le groupe a souffert d’un effet de change négatif, notamment avec la hausse du dollar qui affecte tous les producteurs, mais cela n’explique pas tout. Piètre performance Cette piètre performance contraste avec la grande forme de son dernier concurrent européen, Infineon, l’ex-filiale de Siemens qui s’est recentrée plus tôt sur les composants pour l’industrie et l’automobile, et anticipe une croissance de 13 % pour son exercice 2015-2013. Un résultat remarquable dans un environnement qui ne l’est pas vraiment. Sur l’ensemble de l’année 2015, les analystes du cabinet Gartner ont calculé que le marché a reculé de 1,9 %, la Cahier du « Monde » No 22094 daté Jeudi 28 janvier 2016 - Ne peut être vendu séparément première baisse depuis 2012. 2016 ne devrait pas connaître de rebond spectaculaire. Comme le montrent les résultats d’Apple, le dernier marché en forte croissance, celui des smartphones, approche de la saturation. D’autant que l’autre secteur phare, celui des PC, est lui en déclin, ce qui n’arrange pas les affaires du leader des puces, Intel. Restent l’automobile et les objets connectés sur lesquels tout le monde des composants se précipite. Et comme un malheur n’arrive jamais seul, une nouvelle et redoutable concurrence émerge, la Chine. Dans son dernier plan quinquennal, le pays ambitionne d’atteindre 100 milliards de dollars de revenu annuel (92 milliards d’euros) dans les semi-conducteurs d’ici à 2020, contre 17 milliards réalisés en 2015, selon les analystes d’Exane. Un effort considérable, caractéristique de la volonté de l’empire du Milieu de faire monter en gamme son industrie, comme son petit voisin taïwanais l’a fait avant lui. Parmi ses priorités, les composants pour les smartphones sur lesquels se battent tous ses concurrents. Au classement mondial des producteurs figurent parmi les dix premiers cinq américains, deux coréens, un japonais. Les deux européens ferment le peloton. La question est : n’y en a-t-il pas un de trop ? D’autant que le franco-italien et l’allemand évoluent sur des domaines proches et qu’ils sont de même taille. Seule différence, Infineon vaut en Bourse deux fois plus que son rival. De quoi trembler en Isère. p philippe escande 220 PAGES 12 € ANALYSEZ 2015 // DÉCHIFFREZ 2016 2 | plein cadre 0123 JEUDI 28 JANVIER 2016 Bicentenaire, le célèbre atelier vosgien est à la recherche de 1 million d’euros auprès de nouveaux investisseurs. Cette somme servirait à accélérer la relance et à ouvrir des boutiques à travers le monde V épinal - envoyé spécial ous désirez une œuvre d’art ? Pour le même prix, vous pouvez devenir actionnaire d’un atelier illustre qui en produit en série ! Seule rescapée des fabriques d’images populaires qui foisonnaient en Europe au XIXe siècle, l’Imagerie d’Epinal est en passe d’ouvrir son capital. Pacôme Vexlard et Christine Lorimy, les deux entrepreneurs qui ont repris l’entreprise vosgienne en 2014, veulent lever rapidement près de 1 million d’euros. « Nous cherchons des partenaires bienveillants qui pourraient nous aider à avancer », indique Mme Lorimy. Le duo a sollicité divers investisseurs et se dit prêt à céder 15 % du capital aux nouveaux venus. Cela valoriserait la société à 6,5 millions d’euros. Pas mal, pour une maison qui affiche un chiffre d’affaires de l’ordre de 750 000 euros, et qui, en pleine phase d’investissement, a perdu environ 100 000 euros par an ces deux dernières années. L’opération risque de faire grincer des dents ceux qui, sur place, voient en ces deux Parisiens des affairistes un peu trop pressés. Le million attendu doit permettre de rembourser l’argent apporté initialement par la société d’économie mixte locale, qui sortira du capital, et surtout d’accélérer la relance. En un an et demi, les deux repreneurs ont déjà beaucoup fait. « Ils sont innovants, compétents, et je suis assez emballé par la dynamique qu’ils apportent », applaudit Michel Heinrich, maire (Les Républicains) d’Epinal et député des Vosges. Mais ils gardent beaucoup de projets en tête. A commencer par l’ouverture de boutiques à Paris, Londres, Bruxelles ou encore Tokyo… « Au moins cinq ou six, voire dix », affirment-ils en chœur. Le magasin éphémère installé avant Noël dans le Marais, à Paris, a montré que les touristes étaient prêts à payer pour de belles affiches, des lithographies numérotées, des sacs imprimés ou encore des jeux de cartes à la marque de l’Imagerie. Pas question de laisser retomber cet engouement. « TOUTE LA SCÉNOGRAPHIE SERA REVUE » Pour Mme Lorimy et M. Vexlard, l’aventure commence un jour du printemps 2014. Les deux amis ont derrière eux tout un lot d’expériences diverses. Lui, un handballeur qui a grandi à 15 km d’Epinal, a créé des sites Web, édité des livres de cuisine, et il est devenu l’agent de CharlElie Couture, dont il organise les enregistrements et les expositions. Elle, une sorte de Charlotte de Turckheim tombée dans le business, a vendu des boulettes Fido et des protège-string, a orchestré la rénovation des bureaux de poste, écrit des sketches, travaillé chez Vente-privée.com, avant de se mettre à son compte comme consultante. « Je suis dans les trucs de combat, la transformation des entreprises, résume-t-elle. Quand ça ronronne, je m’ennuie. » Ce jour-là, le sportif et la battante sont appelés à Epinal par les dirigeants de l’Imagerie en tant que consultants. En activité depuis 1796, l’ancienne Imagerie Pellerin est devenue célébrissime, au point que l’expression « image d’Epinal » pour parler d’un stéréotype naïf est passée dans le langage commun. Mais au XXIe siècle, à quoi rime-t-il d’imprimer des lithographies et de les colorer au pochoir comme deux cents ans plus tôt, lorsque la photographie n’existait pas ? Quand les héritiers des fondateurs ont déposé le bilan, en 1984, l’affaire a été reprise par des entrepreneurs locaux emmenés par Eric Staub. Ils lui ont permis de survivre. Depuis, cependant, l’Imagerie s’est engourdie, juge le duo. Elle est devenue avant tout un écomusée qui diffuse de vieilles images et produit en offset des chromos parfois kitsch représentant Mère Teresa, Philippe Séguin, etc. Une quinzaine de salariés s’active dans un lieu qui en a compté des centaines. Les machines antiques ne servent plus guère. Le premier contact est un peu rugueux. Pour récupérer un peu d’argent, les dirigeants s’apprêtent à confier la marque en licence, expliquent-ils. Le contrat est sur le point d’être signé. « Ne faites surtout pas cela, ce serait l’erreur de votre vie ! », répliquent les deux consultants, persuadés que la marque « Imagerie d’Epinal » est le premier actif de l’entreprise. Editée par l’Imagerie d’Epinal, « Napoléon Thug Life », œuvre de l’artiste franco-colombien Chanoir, inspirée de la gravure « Napoléon sur l’île de Sainte-Hélène » de François Georgin. IMAGERIE D’ÉPINAL L’Imagerie d’Epinal en quête de nouvelles couleurs Une semaine plus tard, nouveau rendezvous. M. Staub a renoncé à l’accord de licence. Il prévoit à présent de céder l’entreprise. Il a même déjà trouvé les acheteurs. « De qui s’agit-il ? », demandent Mme Lorimy et M. Vexlard, curieux. « Ils sont dans cette pièce », répond le patron de l’Imagerie : « C’est vous ! » Dans le train du retour, les deux intéressés établissent la liste des 80 raisons pour lesquelles reprendre une telle maison relève de la folie. Et ils décident de se lancer. Ils voulaient éviter un « truc qui ronronne » ? Gagné. Convaincre les banquiers n’est pas facile. Seuls la Caisse d’épargne et le CIC avancent des fonds. Quant au soutien de l’agglomération, qui prend provisoirement la majorité du capital, il suscite la polémique. Les nouveaux propriétaires sont aussi amenés à remanier l’équipe. Leurs relations avec l’ancien PDG se tendent. Critiqué pour avoir laissé dépérir l’entreprise, M. Staub contre-attaque : « C’était moins dynamique qu’avant, peut-être, mais les résultats étaient encore bons, avec un bénéfice représentant 10 % du chiffre d’affaires. Si nous avions été si mauvais, l’Imagerie n’existerait plus depuis longtemps. » Visiter l’Imagerie, à deux pas de la Moselle, donne la mesure du chantier. Au rez-dechaussée, dans l’atelier historique, quelques ouvriers s’affairent autour d’une pierre à graver de Joann Sfar. Car les deux repreneurs veulent relancer la création. Des artistes comme Joann Sfar, Jacques de Loustal ou Serge Bloch ont réalisé des dessins modernes, en reprenant les codes des compositions d’antan, ou souvent en les détournant. UNE BOUTIQUE ÉPHÉMÈRE INSTALLÉE À PARIS A MONTRÉ QUE LES TOURISTES ÉTAIENT PRÊTS À PAYER POUR LES AFFICHES DE LA MARQUE Témoin, cette illustration de Chanoir représentant Napoléon en lunettes noires, entouré de chats multicolores. Plus loin, une salle héberge de vieilles presses, des casses, une machine à colorier. L’ensemble se visite, moyennant 5 euros par personne. « D’ici à juin, toute la scénographie sera revue, précise Mme Lorimy. Chacun disposera d’une tablette électronique et pourra obtenir des explications, zoomer sur tel ou tel détail, etc. » Objectif : faire revenir les visiteurs dans ce petit musée… et dans la boutique attenante. UNE AUTRE DIMENSION A l’étage, toutes les archives. Des milliers et des milliers de planches, imprimées parfois il y a cent ou cent cinquante ans, prennent doucement la poussière. Des images pieuses représentant saint Brice, saint Donat, « la Très-Sainte Face de Notre Sauveur ». Napoléon sous toutes ses coutures : c’est lui qui a fait la fortune de l’Imagerie. On trouve aussi beaucoup de pages destinées aux enfants, bons points, abécédaires, Bécassine et Arlequin, leçons de choses sur « la première girafe amenée vivante en Europe en 1827 » ou les « sauvages de l’Amérique ». Mme Lorimy s’enfonce entre deux rayonnages. « Fureter ici, c’est effectuer un carottage dans l’histoire de France », s’amuse-t-elle. Tous les prélèvements ne sont pas à la gloire de la maison, qui a défendu une vision du monde cocardière, catholique, colonisatrice, parfois raciste. Une des planches conte par exemple l’histoire d’« un affreux vagabond nègre » qui vole le pain de deux petits enfants de colons installés au Congo. Dans d’autres, l’Imagerie s’est risquée à de la publicité à peine déguisée pour les machines à coudre Singer ou les poêles Choubersky. Les repreneurs entendent bien exploiter une partie de ce fonds. Joliment encadrées, les vieilles images peuvent se vendre. Certaines sont signées de grands noms, Caran d’Ache ou Benjamin Rabier. D’autres font l’objet de retirages. Un accord a été signé avec les éditions du Chêne pour publier sept albums sur l’histoire vue d’Epinal. Le premier, consacré à Verdun et la Grande Guerre, doit sortir en février. A l’époque, l’Imagerie ne faisait pas dans la nuance pour dépeindre les ennemis, ces « Von Kolossaligau » « gonflés d’orgueil et de cochonnade ». Le sous-sol se révèle plus étonnant encore. Dans la pénombre gisent 7 000 pierres sur lesquelles les artistes ont dessiné. Celles du XIXe siècle ont été classées monuments historiques. « On vous laisse les cailloux », avaient dit les anciens propriétaires. « Pour nous, c’est un trésor », confient les nouveaux, qui rêvent d’en exposer dans des musées. Ils ont même mis en vente quelques pierres. Cette « dilapidation du patrimoine » a provoqué la colère de certains, comme Alexandre Renahy, l’animateur d’un blog d’information local. Mme Lorimy et M. Vexlard, eux, ont déjà la suite en tête. Si la relance se poursuit selon leurs plans, ils s’imaginent passer la main dans quelques années à un groupe ou un fonds d’investissement qui pourrait donner une autre dimension à cette maison bicentenaire. Et si le duo échoue, il aura « possédé pendant des mois ce bonheur qu’on nomme l’Espérance », selon la morale d’une planche de 1881, « La Fortune pour tous ». p denis cosnard économie & entreprise | 3 0123 JEUDI 28 JANVIER 2016 Entre Airbnb et les hôteliers, la guerre est déclarée A Paris, les hébergeurs traditionnels mettent des bâtons dans les roues des plates-formes de réservation C’ est la querelle des Anciens et des Modernes, version hôtellerie. Depuis la mi2015, les escarmouches se multiplient entre les sites de réservation d’appartements, tels Airbnb ou Abritel, et les groupes hôteliers alliés aux agences immobilières, souvent soutenus par les élus. Paris, première destination touristique mondiale, est le terrain privilégié de cet affrontement. Dernier épisode de cette rivalité, l’adoption surprise, au bénéfice des hôteliers, par l’Assemblée nationale, jeudi 21 janvier, d’un amendement au projet de loi « Pour une République numérique » – lui-même adopté par les députés en première lecture, mardi 26. Il est possible que cet amendement n’aille pas jusqu’au bout de son parcours législatif. Il n’en reste pas moins une victoire des hôteliers. Amendement « à contre-courant » Présenté par une vingtaine de députés avec, à leur tête, Sandrine Mazetier (Parti socialiste, Paris), il frappe au cœur l’activité des plates-formes de réservation en ligne. Avant toute diffusion, il leur impose de vérifier que les offres de logements émanent bien de propriétaires ou, à défaut, de locataires qui ont l’autorisation écrite de leur bailleur. L’amendement prévoit par ailleurs de lourdes sanctions pour les contrevenants : jusqu’à 25 000 euros d’amende pour les « hôtes », comme les appelle Airbnb, et 80 000 euros pour les sites de réservation. « Cet amendement, adopté nuitamment par une poignée de députés, contre l’avis du gouvernement et du rapporteur de la loi sur le numérique, est contraire au droit européen et à une jurisprudence constante qui exonère les sites Internet de responsabilité sur le contenu des annonces qu’ils publient », soutient Vincent Wermus, directeur général France d’HomeAway, maison mère d’Abritel et Homelidays, et président de l’Union nationale pour la promotion de la location de vacances (UNPLV). Ce syndicat réunit une soixantaine de centrales de réservations, dont Clévacances, Interhom et, bien sûr, Airbnb. Nicolas Ferrary, directeur général France d’Airbnb, ne décolère pas contre cette nouvelle marque du lobbying des syndicats hôteliers. Cet amendement va « à contre-courant de toutes les discussions que nous avons avec le gouvernement », affirme-t-il, ajoutant qu’il ne désespère pas d’obtenir L’offre d’Airbnb à Paris est estimée à 88 700 chambres, contre 75 000 pour les hôtels de touristes », déplore Laurent Duc, président de l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie (UMIH). En dix ans, le nombre annuel de touristes en France est passé de 75 millions à 85 millions. Mais cet afflux supplémentaire échapperait au secteur hôtelier traditionnel. A Paris, le taux d’occupation des hôtels pique du nez. Il est passé « de 83 % à moins de 80 % », se désole M. Duc. Au premier semestre de 2015, expliquet-il, « l’hôtellerie parisienne a perdu 4,8 % de part de marché ». Les catacombes de Paris ont été louées au groupe américain pour la nuit d’Halloween 2015 par la Mairie. FRANÇOIS MORI/AP Comme les hôteliers, les élus de la capitale de tous bords sont vent debout contre le boom des meublés touristiques son retrait : « Ce n’est que la première étape du processus législatif. Nous avons bon espoir de faire entendre notre voix. » Avec cet amendement, les hôteliers ont remporté une bataille, mais sont loin d’avoir gagné la guerre. Arrivé en France en 2011, Airbnb a déjà, symboliquement, remporté une victoire sur le secteur hôtelier à Paris. Selon une étude de la Deustche Bank, publiée le 4 janvier, l’offre du groupe américain dans la capitale est estimée à 88 700 chambres, contre 75 000 pour les hôtels. Cette force de frappe inquiète Jean-Bernard Falco, président de l’Association pour un héberge- ment et un tourisme professionnels (AHTOP). Un tout nouveau lobby créé en juillet, justement pour faire rempart à Airbnb et consorts. Il dénonce « le discours sur l’économie de partage de la société californienne. C’est du boniment et une escroquerie intellectuelle. Un tiers des locations sont illégales. Mais elles génèrent 80 % de leur chiffre d’affaires. » A peine créée, l’AHTOP enchaîne les victoires. C’est encore elle qui a obtenu, à la mi-décembre 2015, que la SNCF mette fin, avant même qu’il n’entre en vigueur, à son partenariat avec Airbnb (la société ferroviaire devait proposer à chaque acheteur de billet de train de mettre son appartement sur la plate-forme du groupe américain). Tout le secteur hôtelier n’est pas aussi belliqueux. « L’apparition de cette nouvelle économie collaborative ne doit pas être considérée comme une menace mais comme une opportunité », tempère Me Odile Cohen, membre de l’Association des avocats lobbyistes et avocate du groupe Madar, nouvel entrant dans l’hôtellerie parisienne haut de gamme. De son côté, Airbnb cultive la dis- crétion… financière. Installé en Irlande, il refuse de rendre public son chiffre d’affaires en France et le nombre des nuitées commercialisées. Tout juste consent-il à révéler que ses « hôtes » dans l’Hexagone, ceux qui louent leur appartement, ont totalisé 481 millions d’euros de recettes entre septembre 2014 et août 2015. Un montant sur lequel le site prélève 3 % auprès des hôtes, et de 6 % à 12 % sur la facture réglée par les clients. En douze mois, Airbnb aurait engrangé environ 72 millions d’euros. Une performance pour un groupe qui ne détient aucun actif immobilier, emploie moins de vingt-cinq personnes et qui a payé moins de 100 000 euros d’impôts sur les sociétés en France en 2014. Au plan mondial, la plate-forme est valorisée plus de 25 milliards d’euros, soit deux fois plus que le groupe Accor. Plus grave, les hôteliers accusent Airbnb de capter à son profit toute la croissance du secteur. « Depuis trois ans, les hôtels ne font plus le plein, alors qu’il y a de plus en plus Gîtes de France, le dinosaure qui résiste La Fédération des gîtes de France, qui a fêté ses 60 ans en 2015, se porte bien. Avec un parc de 60 000 hébergements, dont 15 % de chambres d’hôtes, ses réservations ont, en 2015, progressé de 7 %. Son chiffre d’affaires a atteint 434 millions d’euros. « L’année 2016 s’annonce prometteuse, déclare sa directrice générale, Catherine Pechinot, les réservations pour l’été sont en hausse de près de 8 %. » Le modèle économique de ce réseau qui a été créé par des agriculteurs – il emploie près de 550 personnes – est aux antipodes de celui d’Airbnb. « Nos gîtes sont déclarés et inspectés, nos 47 000 propriétaires paient leurs impôts, collectent la taxe de séjour, font contrôler l’eau des piscines », ajoute Yannick Fassaert, son président, qui se dit agacé par la concurrence de plates-formes comme Airbnb ou Abritel. Le réseau a décidé de fonder une association de défense des propriétaires de gîtes. « Pacte avec le diable » Comme les hôteliers, les élus de la capitale sont vent debout contre le boom des meublés touristiques, proposés par les plates-formes de réservation, qui vident de leurs habitants les arrondissements du centre et font flamber les prix de l’immobilier. « Je suis saisi de plaintes contre ces meublés touristiques. C’est un cancer », soutient Jean-Pierre Lecoq, maire (Les Républicains) du 6e arrondissement. « Nous avons fait la sainte alliance avec les élus de tous bords. La maire socialiste, Anne Hidalgo, et son adjoint communiste au logement, Ian Brossat », dit M. Lecoq. La mairie promet de sévir. « Nous sommes déterminés à démasquer ces locations illégales », prévient M. Brossat, qui veut « multiplier les contrôles et les opérations coups de poing avec une équipe renforcée d’inspecteurs qui va passer de vingt à vingt-cinq ». Une fermeté relative. Les hôteliers dénoncent « un pacte avec le diable » conclu entre Paris et Airbnb. Ils pointent le cas des catacombes, que la mairie a louées au groupe américain pour la nuit d’Halloween 2015, pour la modique somme de 350 000 euros. Manière de se concilier la municipalité, le site de réservation en ligne a aussi pris l’initiative, depuis octobre 2015, de collecter la taxe de séjour. Une manne inattendue de 5 millions d’euros pour Paris. Rien que pour les trois derniers mois de 2015. « Le paiement de la taxe de séjour par Airbnb, c’est le meilleur lobbying qu’ils ont jamais fait », constate, admiratif, M. Duc. p guy dutheil et isabelle rey-lefebvre Taxis : la nomination d’un médiateur ne satisfait aucune des parties Manuel Valls a chargé le député (PS) Laurent Grandguillaume de mener une mission de concertation. La grève se poursuit suite de la première page Les « préfets [ont] été chargés vendredi 22 janvier de poursuivre et d’amplifier » les contrôles des VTC pour éviter « tout comportement abusif ». En vue d’une « concertation sur l’équilibre économique du secteur […] et ses éventuelles évolutions de réglementations », M. Valls a également annoncé la nomination d’un médiateur : le député socialiste Laurent Grandguillaume est chargé d’ouvrir cette concertation « courant février avec l’objectif d’aboutir dans les trois prochains mois ». Il y a urgence. Le 1er mars, la profession devra composer avec une « révolution », note Serge Metz, directeur général de G7, la principale compagnie de taxis. C’est-àdire une nouvelle donne économique, notamment à Paris : la lé- gislation imposera alors des forfaits pour les trajets entre la capitale et les aéroports (à partir de 30 euros pour un trajet sur Orly et 50 euros pour Roissy-Charles-deGaulle) et 7 euros de forfait pour le compteur dit « d’approche », à valoir pour toute course réservée à l’avance. Soit un manque à gagner. Or, les taxis déplorent déjà une baisse drastique de leur chiffre d’affaires et une chute de la valeur de leur licence. Matignon assure que « les situations individuelles des chauffeurs pourront faire l’objet d’un accompagnement spécifique par les services de l’Etat ». Les propositions de 2016 ont un air de déjà-vu. Elles ne plaisent ni aux chauffeurs de taxis, ni aux représentants des VTC. « L’Etat sait combien il est incapable d’appliquer la loi Thévenoud régissant de- « Notre survie est en jeu. On en a marre des réunions et de négocier » L’ASSOCIATION DES TAXIS DE FRANCE puis octobre 2014 l’activité des VTC », souligne Karim Asnoun. Pour sa part, l’Association des Taxis de France souligne sa lassitude. « C’est notre survie qui est en jeu. On en a marre des réunions et de négocier », a déclaré à l’AFP son porte-parole. Il y a tout juste sept mois, en juillet 2015 déjà, un médiateur avait été nommé. Le gouvernement avait alors fait appel à Tho- mas Thévenoud pour mettre autour de la table les représentants des taxis et les VTC. Le député de Saône-et-Loire, à l’origine du texte qui régit les VTC, avait essuyé le refus de la CGT. Les chauffeurs de VTC s’inquiètent, eux aussi, de cette nouvelle concertation. « Après chaque manifestation, les mesures prises ont toujours été des contraintes [nouvelles] imposées aux VTC », se désespère le patron de Snapcar, Yves Weisselberger, par ailleurs président de la Fédération française des transports de personnes sur réservation (FFTPR). Cette fois, le sort des conducteurs qui opèrent sous le statut dit « Loti » est sur la sellette. Ce sésame a permis aux VTC de recruter des chauffeurs pour accompagner leur croissance folle et satisfaire une clientèle conquise par ses berlines noi- res, ses tarifs et son paiement dématérialisé. Ces chauffeurs dits Loti représenteraient désormais 15 % à 30 % des chauffeurs VTC, note la FFTPR. Au grand dam des taxis, qui y voient un dévoiement de ce statut réservé initialement aux conducteurs de groupes de passagers. C’est au gouvernement de résoudre ce point, expliquent en substance les plateformes de VTC. « Il faut renforcer les contrôles » « De facto, le gouvernement rend le développement des VTC impossible en France depuis le 1er janvier 2016, puisqu’il n’a toujours pas arrêté les conditions d’examen pour devenir VTC », s’emporte Yann Hascoët, PDG de ChauffeurPrivé. La loi Thévenoud prévoyait l’établissement d’un examen pour décrocher le statut de VTC à partir de fin décembre 2015. « Il n’est toujours pas mis en place », déplore M. Hascoët. Les « VTCistes » et les chauffeurs de taxis sont cependant d’accord sur un point : la lutte contre le racolage. « Il faut renforcer les contrôles », avance ainsi M. Weisselberger. Le conflit porte notamment sur les lieux de forte affluence, dont les gares et les aéroports où, après avoir déposé leurs passagers, certains chauffeurs de VTC aborderaient des voyageurs directement pour leur proposer leurs services et éviter de repartir à vide. Or, la loi Thévenoud réserve cette maraude aux seuls taxis. Selon Serge Metz, de G7, « Orly est le foyer de tous les conflits, on y constate un racolage massif ». p juliette garnier 4 | économie & entreprise 0123 JEUDI 28 JANVIER 2016 Voitures neuves : Bruxelles veut plus de contrôles La Commission veut se doter de pouvoirs de sanctions à l’encontre des agences d’homologation bruxelles - bureau européen Q uatre mois après le dé but de l’affaire Volk swagen, la Commis sion européenne a rendu publique, mer credi 27 janvier, une série de dis positions destinées à montrer que l’institution agit, et dans le bon sens. Ce scandale, audelà des tricheries d’une icône de l’indus trie allemande, a révélé d’énor mes lacunes dans le contrôle des émissions polluantes des véhicu les, mais aussi un flagrant « lais serfaire » de Bruxelles. La Commission propose la révi sion substantielle d’une directive de 2007 sur « la réception des vé hicules à moteur » consistant à la doter, elle, de pouvoirs de contrô les et de sanctions à l’encontre des agences nationales d’homologa tion des voitures neuves. Pou voirs dont elle est pour l’instant dépourvue : les feux verts de mise sur le marché des véhicules sont délivrés par les agences nationa les des pays membres. La seule compétence de l’insti tution communautaire, pour l’heure, consiste à établir les pro tocoles des tests d’émission de gaz polluants (les oxydes d’azote – NOx –, principaux composants du diesel) ; et à proposer les pla fonds d’émission tolérés lors de ces tests. Avec cette directive amendée, la Commission européenne veut pouvoir procéder à des contrôles a posteriori sur des véhicules déjà « La protection des clients européens est bien moins élevée que celle des Américains » ELZBIETA BIENKOWSKA commissaire à l’industrie Test d’émission de gaz polluants, en conditions réelles, en Allemagne. en circulation. Elle pourra aussi imposer des amendes – jusqu’à 30 000 euros par véhicule – à l’en contre des services techniques (auxquels sont délégués les tests) ou des constructeurs. Pas question, cependant, pour mettre en œuvre ces nouvelles compétences, de créer une agence supranationale. Ce n’est pas du tout dans l’air du temps alors que la Commission tente, sous l’im pulsion de son président, Jean Claude Juncker, de ne plus légifé rer à tout bout de champ. « Nous disposons de centaines d’experts dans la direction générale travaillant à mes côtés, c’est suffisant », assure la commissaire à l’industrie, la Polonaise Elżbieta Bienkowska, qui porte ce projet de directive révisée. Mme Bienkowska propose aussi de mettre fin au conflit d’intérêts potentiel existant, dans la plupart des pays membres, entre les cons tructeurs et les services techniques où les tests sont effectués, puisque les premiers financent directe SEAN GALLUP/GETTY IMAGES/AFP ment les seconds pour leur tâche. Enfin, la Commission veut se doter des moyens de procéder à des rappels, au niveau européen, de véhicules jugés défectueux. Des mesures d’ampleur, aujourd’hui impossibles. A cet égard, « nous avons constaté que la protection des clients européens est bien moins élevée que celle des Américains. Il faudra un jour y remédier », estime Mme Bienkowska. La commissaire espère par ailleurs faire aboutir les négocia tions avec l’étatmajor de Volks wagen, afin d’obtenir du construc teur allemand une compensation financière pour ses clients euro péens. Les premières réunions, en octobre 2015, ont été glaciales, Volkswagen refusant en bloc. Mais la discussion a progressé, assure ton à la Commission, même si, pour l’instant, aucun montant n’aurait été mis sur la table. Mme Bienkowska espère une mise en œuvre de cette réglemen tation d’ici à la fin 2016. Un agenda ambitieux, sachant que le texte doit obtenir le feu vert du Parlement européen et du Con seil (les Etats membres). Côté eurodéputés, les Verts sont plutôt satisfaits. « Cela va dans le bon sens, même si on pense qu’il faut créer une agence européenne d’homologation », estime la Fran çaise Karima Delli. Des Etats membres récalcitrants Mme Delli est, avec des collègues, à l’origine de la commission d’en quête sur Volkswagen, approuvée par le Parlement de Strasbourg, dont les travaux commencent lundi 1er février. Son but étant d’établir les responsabilités (des constructeurs, des Etats, de Bruxelles), elle devrait maintenir la pression sur la Commission La « troïka » est de retour au Portugal Si le pays est sorti du plan d’aide international en mai 2014, la visite des « hommes en noir » constitue un test pour le nouveau premier ministre, le socialiste Antonio Costa L es « hommes en noir » sont de retour dans le pays de Fernando Pessoa. Mercredi 27 janvier, les représentants de la « troïka » – le Fonds monétaire in ternational, la Commission euro péenne, la Banque centrale euro péenne – ont entamé une visite d’une semaine à Lisbonne. Leur mission : surveiller l’état de santé économique du Portugal – et surtout son sérieux budgétaire –, près de deux ans après sa sortie du plan d’aide international en tamé en 2011. En échange d’un prêt de 78 milliards d’euros, le pays s’était alors engagé à mettre en œuvre une série de réformes drastiques destinées à redresser ses finances publiques et à sortir de la récession. Depuis, Le Portugal a réussi son retour sur les marchés financiers et le pays a renoué avec la crois sance. Mais cette troisième visite de suivi « postprogramme » fait néanmoins figure de grand test pour le premier ministre socia liste, Antonio Costa. Ce dernier est arrivé au pouvoir en novem bre 2015. « Son prédécesseur de centredroit, Pedro Passos Coelho, qui a dirigé le pays entre 2011 et 2015, était le bon élève de la “troïka”, rappelle Antonio Costa Pinto, po litologue à l’université de Lis bonne. Il appliquait les réformes demandées sans rechigner, car il était convaincu de la nécessité de libéraliser le Portugal. » Au troisième trimestre de 2015, la dette publique du pays culminait à 130,5 % du PIB Antonio Costa, lui, s’est fait élire sur la promesse d’effacer les sé quelles de l’austérité. Sa coalition tient grâce au soutien (mais sans participation au gouvernement) du Bloc de gauche et des commu nistes, qui réclament des mesures sociales. Mais le premier ministre a également promis de maîtriser les finances publiques de son pays, conformément aux exigences de Bruxelles… « Autant dire que, pour satisfaire les deux camps, il devra se prêter à un délicat exercice d’équilibriste », analyse Antonio Barroso, spécialiste du Portugal chez Teneo Intelligence. Pour le chef du gouvernement – il a été maire de Lisbonne, une ville où il est toujours très popu laire, l’enjeu est clair : il s’agit de convaincre ses partenaires euro péens de la nécessité de redonner un peu d’air à l’économie portu gaise en favorisant la consomma tion. La « troïka », de son côté, re doute à demimot de voir le Por tugal retomber dans ses « travers d’avant la crise », selon les dires d’un proche des créanciers. De fait, la Commission euro péenne s’inquiète de voir le gou vernement de M. Costa envisager de revenir en arrière sur plusieurs mesures qui ont été prises ces cinq dernières années – à l’exem ple de certaines coupes dans les traitements des fonctionnaires et les retraites. De même, la hausse du salaire minimum (de 505 à 530 euros sur quatorze mois) ap pliquée le 1er janvier 2016 a fait grincer des dents à Bruxelles. Comme le FMI, les fonctionnai res européens jugent en effet que le Portugal doit poursuivre les ef forts structurels. Par exemple en réduisant la bureaucratie pesant sur les chefs d’entreprise, en as souplissant plus encore le marché du travail, en déployant une fisca lité favorisant l’investissement plutôt que l’endettement… « Allégement de l’austérité » La Commission de Bruxelles pro fitera également de sa présence à Lisbonne pour passer au crible le budget 2016 du gouvernement dans le cadre du « semestre euro péen », cette évaluation menée dans tous les pays membres, et qui vise à ce qu’aucun ne laisse in dûment filer les déficits. « C’est un test important pour la crédibilité d’Antonio Costa », juge ainsi une source européenne. Le premier ministre tiendratil ses engagements ? Comment fi nanceratil les nouvelles dépen ses envisagées ? Pourratil renon cer à certaines d’entre elles sans se mettre à dos ses alliés de la gauche radicale ? Les discussions s’an noncent houleuses. En théorie, le Portugal est re venu dans les clous en 2015, en ra menant son déficit public à 3 % du produit intérieur brut (PIB), selon les premières estimations. Mais ce chiffre monte en réalité à 4,2 % si l’on ajoute les fonds publics qui ont été consacrés au sauvetage de la banque Banif en décem bre 2015. Le gouvernement s’est toutefois engagé à le ramener à 2,6 % en 2016, misant sur une croissance de 2,1 % du PIB portu gais sur l’année. Un chiffre qui est jugé bien trop optimiste par la Commission européenne, qui ta ble plutôt de son côté sur une pro gression de 1,7 % du PIB du pays… « L’allégement de l’austérité devrait néanmoins favoriser la croissance, l’emploi et, donc, les recettes fiscales », nuance pour sa part Jé sus Castillo, chez Natixis. Autre point de tension : la dette publique – celleci culminait à 130,5 % du PIB au troisième tri mestre de 2015. Le gouvernement de M. Costa compte la ramener sous la barre des 126 % du PIB à la fin de cette année. C’est un objec tif crédible, jugent les économis tes. « Mais le Portugal reste très fragile en la matière : une remontée des taux serait fatale à ses finances publiques », s’inquiète no tamment Antonio Barroso. p marie charrel pendant de longs mois. Quid des pays membres ? Accepterontils de valider un texte accordant autant de pouvoirs à la Commis sion, alors que, jusqu’à présent, ils ont si souvent donné raison à leurs lobbies automobiles ? Ils ont ainsi décidé le 28 octobre, en plein scandale Volkswagen, et alors que la réglementation européenne li mite les émissions de NOx à 80 mg/km, que pour les nou veaux tests censés corriger les abus, ces plafonds pourraient être dépassés jusqu’à un facteur maxi mal de 2,1 jusqu’en 2019, puis de 1,5 à partir de 2020… Les Verts du Parlement euro péen espèrent que cette décision sera cassée en plénière à Stras bourg, début février. La Commis sion estime que c’est vain : les Etats membres n’iront pas plus loin que le compromis d’octobre, assure Mme Bienkowska. De fait, l’échange de courriers auxquels a eu accès Le Monde montre à quel point certains d’entre eux n’ont pas l’intention de céder. Ainsi, le 26 novembre, Gianni Pittella, président du groupe des sociauxdémocrates au Parlement européen, demandait à la ministre de l’environnement du Dane mark, la libérale Eva Kjer Hansen, de mettre à l’agenda d’un conseil des ministres de l’environnement cette décision datant du 28 octo bre, « dans le but de la modifier substantiellement ». Elle lui a ré pondu, dans un courrier du 21 jan vier : « Même si je partage avec vous l’envie d’une réglementation plus restrictive, je vous prie de ne pas utiliser votre veto [lors du vote au Parlement]. Cela ne ferait que retarder l’introduction des nouveaux tests d’émissions [censés mieux lutter contre la triche] »… p cécile ducourtieux 1 400 C’est le nombre de suppressions d’emplois dans le monde (dont 430 en France) que STMicroelectronics a annoncé, mercredi 27 janvier, conséquence de l’abandon progressif de son activité de fabrication de décodeurs. L’industriel avait indiqué, en mai 2015, diverses options pour sa division Digital Product Group qui perd de l’argent depuis des années, frappée par les difficultés du segment des box pour la télévision. L’entité, qui représente environ 15 % du chiffre d’affaires du groupe, a vu ses revenus dégringoler de 20 % en 2015, après avoir perdu du terrain face à ses concurrents. Sur les 1 900 salariés de cette division, principalement localisés en France et en Inde, environ 600 salariés seront conservés dans l’entreprise et seront réaffectés à d’autres activités. CON J ON CT U R E L’emploi intérimaire a progressé en 2015 Après trois ans de baisse, l’emploi intérimaire a augmenté de 4,4 % en 2015, selon les chiffres du baromètre Prism’emploi publiés mercredi 27 janvier. La hausse est quasi générale : 9,9 % dans le commerce, 7,2 % dans les transports, 5,7 % dans les services, 5,1 % dans l’industrie. Seul bémol, le BTP affiche une baisse de 6,4 % sur l’ensemble de l’année. L’embellie pourrait se poursuivre en 2016. BAN QU ES L’Italie et Bruxelles ont un accord sur les créances douteuses La Commission européenne et le gouvernement italien sont parvenus, mardi 26 janvier, à un accord sur les créances douteuses qui empoisonnent les banques italiennes. Un mécanisme de garantie sera mis en place pour aider les établissements à faire face à ces crédits qui ne seront peut-être jamais remboursés, dont le montant est estimé à 200 milliards d’euros. Ils sont un frein à la reprise, car ils empêchent les banques d’accorder de nouveaux prêts. – (AFP.) LUXE Première baisse des exportations horlogères suisses depuis 2009 Les exportations horlogères suisses se sont contractées de 3,3 %, à 21,5 milliards de francs suisses (19,5 milliards d’euros) en 2015, reculant pour la première fois depuis 2009, a annoncé, mardi 26 janvier, la Fédération de l’horlogerie suisse (FHS). Rien qu’à Hongkong, le premier débouché des horlogers suisses, les exportations ont chuté de 22,9 %. La FHS explique cette contre-performance par la surévaluation du franc suisse, le ralentissement économique en Chine, le faible niveau du rouble et le terrorisme. Ce contexte devrait peser encore en 2016. économie & entreprise | 5 0123 JEUDI 28 JANVIER 2016 Chez Air France, les syndicats ne décolèrent pas L’intersyndicale prévoit de rejeter, jeudi 28 janvier, le nouveau plan de la direction de la compagnie L e ton a changé, dit-on chez Air France, mais les mêmes blocages demeurent. La majorité des syndicats n’est toujours pas satisfaite du plan de développement présenté le 15 janvier par la direction à l’occasion d’un comité centrale d’entreprise (CCE) extraordinaire. L’intersyndicale qui rassemble onze organisations dont le Syndicat national des pilotes de ligne (SNPL), les deux principaux syndicats d’hôtesses et de stewards et la CGT, est toujours vent debout contre les propositions de la di rection. Elles ne seraient qu’un « plan de décroissance dissimulé par un ingénieux plan de communication », a jugé l’intersyndicale, mardi 26 janvier. Un rejet qui devrait être réitéré à l’occasion d’un nouveau CCE d’Air France prévu jeudi 28 janvier. Les syndicats ne décolèrent pas contre la diminution de la flotte prévue dans la stratégie présentée mi-janvier par la direction. Paradoxalement, ce plan de croissance qui court jusqu’en 2020 commence par… une décroissance de la flotte de la compagnie en 2016. Cette année, dénoncent les syndicats, Air France comptera cinq avions de moins. Et en 2020, la flotte de la compagnie sera seulement revenue à son niveau de 2014. « Une croissance négative » ironisent les syndicats. Une « attrition », comme l’on dit chez Air France prévue lors de l’annonce du « Plan B » qui avait provoqué des heurts à l’occasion du CCE chahuté du 5 octobre 2015. Faute d’avoir obtenu un accord avec les syndicats, la direction avait à l’époque annoncé une réduction de la flotte, des fermetures de lignes et des suppressions de postes dont des licenciements secs. 1000 départs sont prévus cette année. Des mesures d’économies toujours en vigueur pour 2016 même si Air France a choisi de renoncer aux départs Les représentants des personnels s’opposent à la diminution de la flotte de la compagnie contraints. « Les faits sont têtus », explique Philippe Evain, président du SNPL d’Air France. Selon lui, les salariés d’Air France et notamment les pilotes « ne comprennent pas du tout les raisons qui poussent à la sortie des cinq appareils de la flotte en 2016 ». Une stratégie qui irait à contrecourant de celles choisies par toutes les autres compagnies. « Pourquoi faire de la décroissance au moment où tout le monde cherche à occuper les places sur le marché ? » s’interroge le patron du SNPL. Carotte et bâton Gilles Gateau, le nouveau directeur des ressources humaines (DRH) d’Air France, ne l’entend pas de cette oreille. Il répète qu’il est désormais « trop tard pour revenir sur la diminution de la flotte en 2016 ». Une décision prise à l’automne 2015. Le DRH demande aux syndicats « d’arrêter de regarder dans le rétroviseur » pour s’intéresser à l’avenir. A la place, M. Gateau invite, à nouveau, les organisations syndicales de la compagnie à négocier « un compromis ». Il rappelle aussi que la direction propose dans sa nouvelle version du plan Perform 2020, une croissance de l’offre long-courrier de près de 10 % d’ici 2020. La carotte mais aussi le bâton. Ce développement « dépend de la compétitivité de l’entreprise » donc « de la réduction de ses coûts », a ajouté M. Gateau. Un En 2020, Air France retrouvera une flotte à son niveau de 2014. NICOLAS MESSYASZ/HANSLUCAS discours qui ne semble pas convaincre les syndicats. Miguel Fortéa, secrétaire général de la CGT d’Air France dénonce la volonté de la direction « de sous-traiter l’activité piste dès l’été 2016 ». Une démarche qui entraînerait, selon lui, « la disparition de certains métiers dits à faible valeur ajoutée ». Du côté des pilotes, M. Evain déplore que « la seule croissance prévue passe par des délocalisations ». Le SNPL pointe du doigt le développement via KLM et Transavia Hollande. La filiale à bas coûts a an- noncé l’ouverture prochaine d’une base à Munich pour employer des personnels locaux à moindres coûts. Versement de primes Pour obtenir satisfaction, le SNPL continue de réclamer avec force l’organisation d’une « table ronde ». Les pilotes veulent que « l’Etat, la direction et les syndicats se mettent autour de la table ». Toutefois, le front du refus des syndicats commence à se fissurer. Mardi, la direction a annoncé la si- Accident de Brétigny : la SNCF soupçonnée d’avoir voulu influencer l’enquête judiciaire L Selon l’hebdomadaire, tous les cheminots concernés par l’enquête ont été « invités à un entretien avec le service juridique » de la SNCF, suivie d’un débriefing après leur audition par les enquêteurs. « Moi, je t’invite à ne rien apporter [aux policiers]… Tu viens avec rien. Il faut attendre leurs demandes », déclare ainsi à un cheminot une cadre du service juridique, chargée de cet « accompagnement ». Dans un communiqué envoyé mardi 26 janvier au soir, la SNCF précise que le rôle de la direction juridique de la compagnie est de défendre et d’accompagner ses salariés « lorsqu’ils sont mis en cause dans l’exercice de leur fonction. C’est le cas pour l’instruction concernant l’accident de Brétigny. Les salariés auditionnés par les juges sont totalement libres de leurs propos et participent à la manifestation de la vérité ». Ecoutes de cadres dirigeants Selon une autre source, « les salariés ont la liberté de choisir la façon de se préparer à ces entretiens. Certains recourent au service juridique, d’autres aux syndicats et d’autres, encore, à des avocats. La SNCF n’intervient pas sur le fond du dossier, mais conseille sur l’organisation des auditions ». Le Canard enchaîné évoque parallèlement les incitations du service juridique pour modifier un L’entreprise, dotée d’une forte hiérarchie, ne permet guère aux voix dissonantes de s’exprimer rapport interne sur l’accident, qui évoque le renouvellement d’appareils de voies « en très mauvais état ». Pour le service juridique, pas besoin d’entrer dans tant de détails : « On va supprimer “en très mauvais état”, ça n’ajoute rien. On se doute bien qu’on n’est pas en train de régénérer des appareils neufs », glisse une juriste à l’auteur du rapport. Ces premiers éléments seront-ils suffisants pour que la justice ouvre une procédure connexe pour entrave à la justice ou subornation de témoin contre l’entreprise publique ? Le procureur d’Evry, interrogé par Le Monde, s’est refusé à tout commentaire. Cependant, en mettant sur écoute des cadres dirigeants du groupe public, les enquêteurs se sont assurés de la bonne coopération de la SNCF, et non de la seule promesse de coopération de leurs dirigeants. d’un éventuel accord salarial. Après le CCE du 15 janvier, Air France qui a engrangé ses premiers bénéfices en 2015, a promis le versement de primes d’intéressement aux salariés. « Un plan supplémentaire d’intéressement viendra s’ajouter » pour les années 2016-2017 avait même annoncé le DRH. Toutefois, les négociations salariales annuelles obligatoires devraient se tenir « durant la dernière semaine de janvier », a-t-il promis. p guy dutheil L’HISTOIRE DU JOUR L’ex-SNCM boit encore la tasse T Enquêter au sein de la SNCF sur un accident aussi dramatique, relève de la gageure. L’entreprise, dotée d’une organisation hiérarchique très forte, ne permet guère aux voix dissonantes de s’exprimer. Un « consensus » que la culture de la solidarité cheminote ne fait qu’amplifier. Les écoutes avaient pour objectif d’y voir plus clair sur la qualité des déclarations de chacun afin de préciser les responsabilités précises de chaque salarié. La justice connaît déjà les raisons du déraillement à Brétigny du train Paris-Limoges. Le train est venu buté sur une éclisse – une grosse agrafe qui maintient deux rails au sein d’un aiguillage. Selon les différentes expertises, une fissure sur cet élément n’avait pas été détectée lors des tournées de surveillance, alors que trois des quatre boulons s’étaient cassés ou dévissés. Bref, un défaut de maintenance sur les voies est à l’origine de l’accident. Mais qui est responsable de ce défaut de maintenance ? Début janvier, trois cheminots de la SNCF, chargés de la surveillance des voies au moment du déraillement, ont été placés sous le statut de témoins assistés, tandis que SNCF Mobilité et SNCF Réseau sont pour leur part mis en examen. p out est encore bouleversé dans le dossier maritime corse. Le 20 novembre 2015, le tribunal de commerce de Marseille avait choisi un entrepreneur du cru, Patrick Rocca, pour reprendre l’essentiel de la Société nationale Corse-Méditerranée (SNCM), cette compagnie dont les ferries font la navette entre la Corse et le continent. Deux mois plus tard, l’entreprise boit de nouveau la tasse. Au point que pour sauver la mise, M. Rocca s’apprête à faire alliance avec ses deux principaux rivaux. Un comité d’entreprise exceptionnel de MCM (Maritime Corse Méditerranée), la compagnie née sur les décombres de la SNCM, a été convoqué mercredi 27 janvier. M. Rocca devait y annoncer un rapprochement avec Corsica Linea, la société montée par deux des candidats déçus à la reprise de la SNCM, le groupement d’entrepreneurs corses Corsica Maritima et l’armateur franco-tunisien Daniel Berrebi. L’opération, montée dans l’urgence, doit encore être validée par le tribunal de commerce. Sinon, la nouvelle entité « risque de déposer son bilan très vite, peut-être dès le 28 janvier », rapporte Le Marin, qui a révélé l’affaire. « A l’heure actuelle, M. Rocca n’est semble-t-il pas sûr de pouvoir payer les salaires à la fin du mois », appuie un homme au fait du dossier. M. ROCCA S’APPRÊTE Lorsque M. Rocca avait obtenu les clés de l’ex-SNCM, il était clair que le À FAIRE ALLIANCE redressement de la compagnie, en difficulté chronique depuis des anAVEC SES RIVAUX nées, était loin d’être acquis. Son plan était jugé fragile, et ses apports finanDE CORSICA LINEA ciers, trop limités. Mais nul n’imaginait une chute aussi rapide. Tout a été accéléré par l’initiative de M. Berrebi et des entrepreneurs réunis sous la bannière Corsica Maritima. Comme ils l’avaient promis, ils ont créé début janvier une compagnie concurrente, à partir de rien et sans subvention, afin de ne plus dépendre de l’ex-SNCM pour leur approvisionnement en marchandises. Cette nouvelle société a vite capté une bonne part de la clientèle, et compliqué énormément la tâche de M. Rocca. Dans ces conditions, celui-ci n’avait guère d’autre option que de lancer un SOS à ses ennemis. « Il lui a été proposé de rentrer dans le consortium au même niveau que les autres entrepreneurs corses », indique l’un de ceux qui ont suivi les tractations des derniers jours. Une fusion qui risque de provoquer bien des vagues. p philippe jacqué denis cosnard Les salariés entendus par la justice auraient été « briefés » en amont par la compagnie a SNCF a « tout fait pour manipuler l’enquête judiciaire » sur l’accident de train de Brétigny-sur-Orge, qui a fait sept morts et plusieurs dizaines de blessés graves le 12 juillet 2013, accuse Le Canard enchaîné dans son édition du mercredi 27 janvier. Le train Intercités Paris-Limoges avait déraillé au passage d’un aiguillage défectueux en gare de la commune située au sud de Paris. Pour étayer son accusation, l’hebdomadaire assure s’appuyer sur de nombreuses pièces contenues dans le dossier d’enquête sur cette catastrophe. Les journalistes ont notamment eu accès aux comptes rendus d’écoutes téléphoniques de certains responsables de la SNCF. Cette mesure, inédite pour ce type d’enquête, a permis aux enquêteurs de la police judiciaire de détecter leur « double langage ». Lors d’une audition, un dirigeant multiplie par exemple les propos lénifiants sur l’organisation des équipes de la maintenance sur place. Mais, en privé, il se lâche. « Brétigny, c’est des crevards. Faut tous les foutre dehors ! », lance-t-il au téléphone. « Sur le terrain, c’est souvent plus proche d’Audiard que de Proust, justifie un proche du dossier. Cela ne veut pas dire qu’il y a pour autant manipulation de la vérité, et que la SNCF est sortie des clous. » gnature, par trois organisations, CFDT, CFE-CGC et UNSA de l’Accord triennal de gestion prévisionnelle des emplois. Pour apposer sa signature, l’UNSA a quitté l’intersyndicale. A eux trois, les syndicats représentent plus de 50 % des personnels au sol. Un « événement important » selon Air France. Avec cet accord se félicite M. Gateau, aucun licenciement sec ne pourra intervenir jusqu’en juin 2018. Le climat pourrait commencer de se détendre avec la négociation 6 | économie & entreprise 0123 JEUDI 28 JANVIER 2016 Auteur de BD, un métier de plus en plus précaire Plus de 50 % des professionnels du 9e art gagnent moins que le smic, selon une étude dévoilée à Angoulême I l ne fait pas bon être auteur de bande dessinée en ce moment. Une précarité alarmante plane sur la corporation, comme en témoigne une enquête réalisée par la profession et à laquelle Le Monde a eu accès avant sa communication au Festival d’Angoulême, qui se déroule du 28 au 31 janvier. Plus d’un auteur sur deux (53 %) ayant répondu y déclarent toucher un revenu inférieur au smic brut, et même au seuil de pauvreté pour 36 % d’entre eux. La situation est pire pour les femmes : 67 % des auteures interrogées disent gagner moins que le smic, et moins que le seuil de pauvreté pour 50 % d’entre elles. Après la polémique provoquée par l’annonce d’une première liste de trente noms exclusivement masculins pour l’élection du prochain Grand Prix (Le Monde du 7 janvier), ces données ne vont pas contredire l’idée selon laquelle les femmes ont plus de difficultés que les hommes dans le 9e art. « Sentiment d’injustice » L’enquête des Etats généraux de la bande dessinée, du nom de l’association d’auteurs qui l’a menée, fait suite à un débat sur la précarisation du métier organisé lors du dernier Festival d’Angoulême. Une marche dans les rues de la ville avait rassemblé 500 professionnels contre un projet d’augmentation des cotisations de retraite complémentaire. Afin de réaliser une « photographie » de la corporation, un questionnaire a été envoyé à l’automne à 3 000 personnes – 1 300 auteurs déjà identifiés, mais aussi des coloristes, des scénaristes occasionnels et des jeunes diplômés d’école spécialisée. La moitié ont répondu, en se répartissant euxmêmes dans les catégories « amateurs » (15 %), « professionnels précaires » (53 %) et « professionnels installés » (32 %). 71 % des sondés ont un emploi parallèle, en général dans un autre domaine artistique ou dans l’enseignement La faiblesse des revenus n’est pas le seul enseignement de l’étude. Celle-ci dévoile aussi que 50 % des répondants travaillent plus de quarante heures par semaine, et que, pour 80 % d’entre eux, le travail empiète sur au moins deux week-ends par mois. Afin de diversifier (et d’augmenter) leurs ressources, 71 % ont par ailleurs un emploi parallèle, en général dans un autre domaine artistique ou dans l’enseignement. Leur protection sociale, enfin, s’avère particulièrement faible : 88 % des professionnels interrogés n’ont jamais bénéficié d’un congé maladie, souvent par manque d’information. « Un sentiment d’injustice anime les auteurs, qui ont l’impression de cotiser dans le vide », note l’écrivain et scénariste Benoît Peeters, président des Etats généraux de la bande dessinée. Les raisons de ce contexte sont nombreuses, et connues : hausse des prélèvements obligatoires dans les métiers artistiques, baisse des ventes en librairie, diminution des droits d’auteur… Alors qu’il n’y a jamais eu autant d’albums dans les rayons – 4 000 nouveautés par an, contre 700 il y a trente ans –, un prolétariat de la bande dessinée semble s’être formé au fil des années. Si les grands noms continuent de très bien gagner leur vie (l’un d’eux a fait état d’un à-valoir de 160 000 euros), c’est surtout « la catégorie médiane des auteurs qui En marge du Festival de bande dessinée d’Angoulême, le 31 janvier 2015. PIERRE DUFFOUR/AFP voit sa situation se dégrader », souligne Benoît Peeters. Jeanne Puchol, 58 ans, appartient à cette tranche de créateurs, « ni hyperconnus ni marginaux, qui souffrent en ce moment ». Alternant les parutions chez les grands et les petits éditeurs, cette ancienne story-boardeuse publicitaire publie depuis 1983, mais ne s’est exclusivement consacrée à la BD qu’il y a neuf ans. Elle a connu l’âge d’or des magazines comme (A suivre), qui payaient une première fois les planches à l’unité avant qu’un éditeur ne les achète une deuxième fois sous la forme d’à-valoir. Ses ventes dépassaient alors 10 000 exemplaires par ouvrage. Elles sont moitié moindre désormais. En ajoutant ses cours d’illustration pour la Ville de Paris, Jeanne Puchol touche le smic. La vente d’originaux lui permet d’empocher « un 13e mois ». Les choses ont changé, selon elle, le jour où les maisons d’édition traditionnelles sont entrées dans le giron de grands groupes. « Les coûts de fabrication ont été tirés vers le bas pour faire baisser le prix de revient des livres. La Le grand mercato du prêt-à-porter en France Les fonds d’investissement cherchent à s’emparer des griffes les plus prometteuses D’ un côté, des griffes branchées (Sandro, Maje et autres The Kooples) que les fonds d’investissement s’arrachent. De l’autre, des marques célèbres dans la tourmente (Sinequanone, Gérard Darel) qui passent par le redressement judiciaire. Tel est le paysage, étonnamment divers, des marques de vêtements vendus en France aujourd’hui. Pour Sandro, Maje et Claudie Pierlot (SMCP), l’avenir semble plein de promesses. Le petit groupe s’apprête en effet à changer de main pour la deuxième fois en moins de trois ans. Le fonds américain KKR, qui en possède 65 % depuis 2013, souhaite déjà le revendre. La valorisation de ces trois griffes, vendues dans plus de 1 000 boutiques et 34 pays, dépasse désormais le milliard d’euros. Soit 350 millions d’euros de plus qu’en 2013. La croissance ne faiblit pas. Les ventes grimpent de plus de 20 % par an, dopées par 120 nouvelles ouvertures de boutiques chaque année. Elles sont tirées par l’international et les vêtements – fabriqués en Europe de l’Est, au Maghreb ou en Asie – sont produits à des coûts plus serrés qu’un pantalon moulant. Le fonds américain a mandaté les banques UBS et Bank of America Merrill Lynch pour trouver un acquéreur cette année. Bloomberg évoque comme éventuel repreneur Lion Capital (déjà ac- A côté des marques qui font des envieux, bon nombre traversent des passes difficiles tionnaire, dans la mode, du britannique AllSaints), ou le producteur de textiles chinois Shandong Ruyi. A moins que KKR n’opte pour une mise en Bourse, comme l’évoque Reuters, afin de profiter de la dynamique dont jouit le groupe en Chine pour attirer des investisseurs – SMCP a ouvert 45 boutiques dans le pays depuis dix-huit mois. Toujours dans cette catégorie de griffes branchées, jeunes, où les jeans sont vendus 150 euros et les vestes 340 euros, le fonds d’inves tissement LBO, qui détient 20 % de The Kooples depuis 2011, compte aussi céder cette participation mi noritaire. La marque créée par les fils des fondateurs de Comptoirs des cotonniers s’est fait une spé cialité de vêtir les couples. A son arrivée sur le marché, elle était valorisée 250 millions d’euros ; elle approcherait les 400 millions aujourd’hui. L’actionnaire de cette marque a mandaté, selon le journal L’Agefi, une filiale de l’américain Sage Group spécialisé dans la mode et la beauté, pour dénicher un acquéreur. Enfin, les temps sont fastes aussi pour Ba&sh et son prêt-àporter féminin, comme pour El Ganso et son « sport chic » à l’espagnole. L Capital, le fonds d’investissement du groupe LVMH et de Groupe Arnault (le holding familial du PDG du numéro un mondial du luxe), a pris 50 % du premier et 49 % du second. A côté de ces griffes qui font des envieux chez les investisseurs, bon nombre d’autres traversent des passes difficiles. Lestée par une centaine de millions d’euros de dettes, la société Gérard Darel a changé de mains. Détenue depuis 2008 à 90 % par le fonds Advent et à 10 % par la famille Gerbi, qui avait fondé l’entreprise, Gérard Darel avait été placée en redressement judiciaire en juin 2015. Choisie comme repreneur par le tribunal de commerce de Paris le 26 octobre 2015, la famille Gerbi prévoit de conserver 630 des 767 salariés et d’investir 40 millions d’euros. « Concurrence très forte » Une autre enseigne, Sinequanone, sortie voici un an d’un redressement judiciaire, est à nouveau dans la tourmente, plombée par sa forte exposition au marché russe et les suites des attentats qui ont frappé la France. L’entreprise vient d’être placée en redressement pour six mois. L’un des proches du dossier assure que cela ne prélude pas pour autant à un changement d’actionnaires. dernière variable d’ajustement était l’auteur », dénonce-t-elle. L’avènement du roman graphique – un format plus petit avec davantage de pages et un dessin moins élaboré – aurait également contribué à appauvrir la profession, poursuit Jeanne Puchol : « Le paiement à la page a été remplacé par le forfait. Tout dépend bien sûr de l’investissement que chacun met dans son travail, mais ramené au taux horaire, un roman graphique est payé au lance-pierre. » Dans ce climat, un certain pessimisme pèse sur le secteur. 66 % des auteurs interrogés dans l’enquête pensent que leur situation va se dégrader lors des prochaines années. « Le profil des auteurs risque de changer également, redoute M. Puchol. La bande dessinée est un mode d’expression populaire auxquels ont toujours eu accès des gens d’extraction modeste, comme Gir ou Mézières. Ce ne sera plus possible demain. Il faudra avoir ses parents derrière soi. Le milieu va s’embourgeoiser, et les thématiques traitées ne seront plus les mêmes. » p frédéric potet L’HISTOIRE DU JOUR En 2016, les assureurs rêvent d’abstinence… réglementaire J Quant à Eleven Paris, ses teeshirts qui détournent des photographies de personnalités sont partout, et pourtant, elle vient de demander au tribunal de commerce de Paris d’être placée sous procédure de sauvegarde. Le temps de relancer la marque dans le prêt-à-porter, veut croire cette PME, qui a conclu à l’amiable une transaction pour indemniser des stars américaines qui s’estimaient lésées. D’autres enseignes restent également en difficulté, comme Vivarte, malgré près de 2 000 suppressions de postes. Deux filiales du groupe, la Compagnie vosgienne de la chaussure et Defimode, sont en vente. La chute de la fréquentation, notamment dans les centres commerciaux, liée à la météo et aux attentats, a pénalisé bon nombre d’enseignes d’habillement. « Avec une concurrence très forte, la moindre insuffisance de renouvellement dans la création peut être lourde de conséquences pour les enseignes qui doivent supporter une dette importante », analyse Cedric Colaert, chargé de la sous-performance et des restructurations chez Eight Advisory. D’autant que H&M, Zara, Gap ou Uniqlo imposent toujours leur cadence de collections très courtes et de prix compressés. M. Colaert s’attend à des fermetures de magasins et d’importants licenciements avant la fin d’année. p e voulais venir ce soir avec le code des assurances, mais mes collaborateurs m’en ont empêché. Ils m’ont affirmé que le sol ne résisterait pas à son poids, qu’il n’était pas question de causer de dégâts dans ce bâtiment que nous assurons en partie… » D’un naturel discret, Thierry Derez, le PDG de Covea, leader français de l’assurance de biens et de responsabilité, qui regroupe MAAF, MMA et GMF, manie souvent la dérision pour exprimer ses désaccords. A l’occasion de ses vœux, le 19 janvier, sa charge a visé l’accumulation des réglementations et leurs contradictions. « L’année 2015 a été attrayante sur ce plan », grince-t-il. Ainsi, la loi Hamon est « un chef-d’œuvre administratif pour se débarrasser des chaînes existentielles ». Elle vise à faire baisser les tarifs, en permettant, notamment, de résilier à tout moment son contrat automobile ou habitation après une année d’engagement. Conséquence, selon M. Derez ? « Un renchérissement des cotisations » en raison des coûts de gestion. Quant à l’accord national interprofessionnel (ANI), entré en vigueur début janvier, il va « enchaîner les Fran« L’ANNÉE ÉCOULÉE çais » en instaurant une assurance A ÉTÉ ATTRAYANTE santé complémentaire collective obligatoire pour les salariés. Il rencontre EN TERMES un accueil plus que mitigé chez les toutes petites entreprises (TPE). « En DE NOUVELLES décembre 2015, quand nous les avons RÉGLEMENTATIONS » contactées, certaines nous ont demandé pourquoi nous venions si tôt », THIERRY DEREZ note l’assureur, qui y voit la confirmaPDG de Covea tion que « l’anticipation n’est pas une spécialité française ». D’autres ne croyaient pas à sa mise en place ou ne s’en inquiétaient pas, puisque aucune sanction n’est prévue en cas de non-application des textes. D’où la tentation de jouer la montre… Dans ce contexte, le vœu le plus cher de M. Derez pour 2016 est « rien ». « Ni règlement, ni loi, ni ordonnance », en clair « une année d’abstinence ». Un souhait ambitieux, car il sera difficile d’arrêter la frénésie réglementaire. « A la mi-janvier, j’ai noté que le Journal officiel était déjà à la publication de la loi numéro sept », dit-il. Et de plaindre ceux qui, dans l’administration, ont dû sacrifier leurs vacances à ces fins. Ses vœux leur sont aussi dédiés… p nicole vulser dominique gallois idées | 7 0123 JEUDI 28 JANVIER 2016 VU D’AILLEURS | CHRONIQUE par j ean- cl aude juncke r La solidarité européenne finira par prévaloir L’ année 2015 a été celle où la solidarité européenne a résisté à ce qui pourrait bien avoir été les plus grandes difficultés qu’elle a rencontrées depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Elle a été mise à rude épreuve pendant une grande partie de l’année par la crise grecque, dont les effets économiques et sociaux continuent de se faire sentir tant dans la zone euro que dans l’Union européenne. Depuis le début de 2015, les négociations sur le dossier grec ont éprouvé notre patience. Beaucoup de temps et de confiance ont été perdus. Des ponts ont été coupés. Certaines paroles ont été prononcées qu’il est difficile d’effacer. Nous avons vu des démocraties européennes montées les unes contre les autres. Ce n’est qu’une fois au bord du précipice que nous sommes parvenus à prendre du recul. En fin de compte, les Etats membres de l’Union sont restés aux côtés de la Grèce. Des engagements ont été pris, mis en œuvre et appliqués. Un nouveau programme est actuellement en place. La solidarité européenne a prévalu et la confiance a commencé à se rétablir. L’essentiel sera maintenant de réaliser les réformes ; la Commission européenne continue à soutenir la Grèce, mais c’est encore un long chemin. La solidarité européenne continue d’être mise à l’épreuve par la crise des réfugiés. Au début de 2015, la Commission a présenté une politique globale en matière de migration et a immédiatement pris des mesures afin de gérer la crise. Nous avons triplé notre présence en mer Méditerranée. Cela a contribué à sauver des vies. Nous nous sommes battus contre les réseaux criminels de passeurs et de trafiquants. Nous avons fait preuve de solidarité. Nous sommes convenus de procéder à la relocalisation, dans nos Etats membres, des personnes qui ont le plus besoin d’une protection internationale. Nous travaillons en étroite collaboration avec la Turquie, qui joue un rôle essentiel dans la région. Nous avons également lancé un nouveau partenariat avec l’Afrique pour remédier aux causes profondes des migrations. Les agences de l’Union continuent à aider les autorités nationales des Etats membres les plus touchés, souvent surchargées, à procéder à l’identification, au filtrage et au relevé des empreintes digitales des migrants à leur arrivée, à accélérer le traitement des demandes d’asile et à coordonner le retour de ceux qui ne peuvent bénéficier du droit d’asile. PERSÉVÉRANCE L’Union dispose en théorie de toutes les solutions à ses problèmes. Toutefois, la réalité est tout autre. Mais, au risque de me répéter, je ne parviens toujours pas à comprendre pourquoi il a été si difficile de donner suite à des engagements pris au niveau politique le plus élevé. Par exemple, sommet après sommet, les dirigeants déclarent qu’ils vont envoyer des gardes-frontières pour aider la Grèce à contrôler les limites de l’Union, ou une aide financière en Jordanie, au Liban et en Turquie pour aider à gérer le grand nombre de réfugiés dans ces pays. Mais les semaines passent sans que ces engagements soient tenus. Au contraire, les blâmes sont distribués à droite et à gauche. Cela monte les Etats membres les uns contre les autres. Il s’est enclenché une spirale négative dans laquelle les gouvernements nationaux restreignent leur régime d’asile pour le rendre moins attrayant que celui du pays voisin, tandis que les responsables politiques alimentent un populisme qui n’apporte que de la colère, et non des solutions. Il est temps d’avoir un peu plus confiance dans la capacité de l’Europe à apporter des réponses collectives à des problèmes que chaque Etat membre de l’Union subit, seul, de manière intense. En finir avec la législation de l’Union en matière d’asile ne supprimera pas les obligations nationales de respecter le droit international et l’exigence humanitaire d’offrir l’asile aux personnes qui en ont besoin. Au contraire, une norme commune de traitement des demandes d’asile par les Etats membres crée un système équitable et évite que tous affluent en un seul endroit. De même, un corps européen de gardes-frontières et de gardes-côtes, indépendant de la volonté et des moyens des différents Etats membres, nous permettra de rétablir l’ordre et de gérer efficacement les frontières extérieures de l’Union. Après les attentats en France, en 2015, la solidarité européenne doit prévaloir. Nous ne céderons pas à la peur en rétablissant des murs qui n’ont été détruits que récemment. Nous ne confondrons pas les auteurs de ces crimes odieux avec les personnes qui les fuient. L’intégration européenne est une question souvent complexe. Nous ne réussissons pas toujours du premier coup. Si je pouvais décrire l’Europe d’un seul mot, ce serait « persévérance ». Ensemble, nous serons unis contre ce qui cherche à nous diviser. Nous persévérerons en 2016. Et nous réussirons. p © Project Syndicate, 2015. www.project-syndicate.org ¶ Jean-Claude Juncker est président de la Commission européenne Pékin redouble d’attention De l’influence de Google sur les résultats envers l’Amérique latine électoraux La Chine poursuit sa percée dans le sud du continent américain pour contrebalancer le partenariat transpacifique promu par Washington par christophe granier L a mise en place par les EtatsUnis du Partenariat transpacifique (TPP) de libre-échange qui exclut la Chine a réveillé, si besoin était, l’intérêt chinois pour l’Amérique latine. Pékin préconise de faire évoluer les membres de l’APEC (Coopération économique Asie-Pacifique) en une zone de libre-échange AsiePacifique dans le but de faire de l’ombre au TPP, qui dépend de Washington. A Manille, le 18 novembre 2015, le 23e sommet de l’APEC a témoigné de la volonté concurrente des présidents Xi et Obama de séduire les pays du sud du continent américain. Les pays d’Amérique latine riverains du Pacifique restent ouverts aux offres des deux puissances. Si les Etats-Unis ont tenté de verrouiller une majorité d’entre eux en invitant dans le TPP le Mexique, le Pérou et le Chili, la Chine, qui possède déjà ses entrées au Nicaragua et au Costa Rica, a fait un mouvement en direction de la Colombie, soudain parée de toutes les qualités. Les échanges sino-colombiens totalisent 15,5 milliards de dollars et ont crû au cours de l’année 2015, alors que ceux enregistrés avec les autres pays d’Amérique latine ont stagné ou reculé. Devenue la troisième économie sudaméricaine en 2014 à la place de l’Argentine, la Colombie semble disposée à écouter les sirènes de l’Orient ; le président Juan Manuel Santos s’est dit intéressé par la coopération chinoise en matière d’infrastructures, de production agricole et d’agroalimentaire, et compte sur la Chine à l’ONU pour appuyer le processus de paix dans son pays. Souvent placés en première ligne des entreprises chinoises lorsqu’un pays stratégique est à conquérir, ¶ Christophe Granier est conseiller du commerce extérieur Huawei (semi-privé) et ZTE (semi-public) sont les têtes de pont de Pékin en Colombie. L’annonce par le Fonds monétaire international de l’inclusion du yen dans son panier de droits de tirage spéciaux a suscité l’intérêt. Le vice-président argentin, Amado Boudou, a demandé l’accélération du processus d’internationalisation de la devise chinoise ; son pays avait obtenu en juillet de Pékin un swap de devises de 11 milliards de dollars, véritable bouée de sauvetage pour le pays. Auparavant, la Chine avait accordé un quota de 8 milliards de dollars aux investisseurs internationaux qualifiés au Chili. La China Construction Bank est devenue la première banque de clearing du yen du continent au Chili, et l’Industrial & Commercial Bank of China en Argentine. UNE POLITIQUE DES PETITS PAS Pour ces raisons d’ordre politique, les projets d’infrastructures chinois en Amérique latine ne tarderont pas à se multiplier, même si l’exemple négatif du Mexique démontre la difficulté de contrer l’influence américaine dans sa zone réservée. La Chine privilégie une politique des petits pas, doublée de quelques grandes réalisations isolées. Le grand chantier du canal transcontinental au Nicaragua doit être considéré avec le recul à une illusion par trop onéreuse, mais les deux projets de liaison ferrée du Pacifique à l’Atlantique à travers l’Amérique du Sud sont plus avancés et vraisemblables. L’approche financière qui se développe depuis mi2015 démontre que d’autres moyens, tout aussi efficaces mais moins spectaculaires, sont utilisés par Pékin. Enfin, souhaitant imprimer sa marque historique personnelle dans le domaine culturel comme dans d’autres domaines, le président Xi Jinping s’est investi dans le projet d’« Année d’échange culturel Chine-Amérique latine » pour 2016, dont l’ampleur est la meilleure preuve de l’intérêt porté par la Chine au continent latin. Les importations chinoises de produits agricoles continueront à jouer le rôle moteur. Elles doivent doubler d’ici à 2020. Organisé depuis 2013, le Forum des ministres de l’agriculture de Chine, d’Amérique latine et des Caraïbes vient d’être institutionnalisé : son objet est de créer une plate-forme d’échanges entre les agences gouvernementales et les instituts de recherche agronomique pour développer la coopération agricole. Un plan quinquennal (2015-2019) de coopération porte déjà sur l’élevage, la forêt et la pêche. p Deux scientifiques américains ont démontré que le rang des candidats à une élection présidentielle sur le moteur de recherche orienterait le choix des internautes indécis par charles cuvelliez O n a évoqué l’espace pris par le Front national sur le Web comme un des facteurs de son succès lors du premier tour des élections régionales. La simple présence en bonne place d’un candidat plutôt que d’un autre influencerait-elle l’électeur ? Les candidats aux élections primaires en vue des présidentielles, aux Etats-Unis comme en France, seraient bien inspirés de lire une étude parue dans la prestigieuse revue de l’Académie des sciences des Etats-Unis (« The Search Engine Manipulation Effect [SEME] and Its Possible Impact on the Outcomes of Elections », de Robert Epstein et Ronald E. Robertson, et Proceedings of the National Academy of Sciences of the USA - PNAS, www.pnas.org). Car la réponse est oui ! Les élections présidentielles dans les pays démocratiques se gagnent à quelques points de pourcentage près : pas plus de 8 % en moyenne pour les élections aux Etats-Unis, 3,6 % pour la dernière en 2012, et le poids des électeurs indécis pèse donc d’autant plus. Or, le rang des candidats à une élection présidentielle sur Google influencerait le choix des internautes indécis. Les auteurs l’ont démontré en créant un outil de recherche similaire au moteur de Google (Kadoodle), et ont recruté des volontaires, divisés en trois groupes : chacun d’eux a reçu une information préalable identique sur une élection passée (celle du premier ministre australien) et sur les NARENDRA MODI, LE VAINQUEUR SURPRISE DES ÉLECTIONS EN INDE, AVAIT DOMINÉ LE CLASSEMENT GOOGLE AVEC UNE PRÉSENCE DE 25 % SUPÉRIEURE À CELLE DE SES CONCURRENTS candidats en lice (Tony Abbott et Julia Gillard). Ils ont ensuite été autorisés à faire quinze minutes de recherches personnelles sur Kadoodle. Pour le groupe 1, Kadoodle plaçait artificiellement le candidat A en tête des résultats de la recherche ; pour le groupe 2, c’était le candidat B. Le troisième groupe était l’échantillon témoin. Les recherches, quel que soit le groupe, donnaient toujours les mêmes trente références qui pointaient vers des pages Web réelles de cette élection passée, seul l’ordre d’apparition de ces trente références variait. Les résultats ont été sans appel : la préférence des groupes allait dans le sens du rang du classement qui favorisait le candidat A ou le candidat B. Sympathie, confiance et intention de vote allaient dans le même sens. TRANSPARENT ET MESURABLE Les auteurs ont été jusqu’à interférer avec une élection réelle en Inde, avec un groupe témoin mais de taille tellement petite qu’il ne pouvait modifier les résultats réels. Grâce à Google Trends, ils ont pu montrer que Narendra Modi, le vainqueur surprise de ces élections, avait dominé le classement Google avec une présence de 25 % supérieure à celle de ses concurrents pendant les soixante et un jours qui ont précédé les élections. Google a-t-il involontairement contribué au succès électoral de M. Modi ? Est-ce là une énième manipulation comme en sont capables, volontairement ou pas, les médias ? Les auteurs rappellent comment, en 1876, l’élection du 19e président des Etats-Unis, Rutherford B. Hayes, fut gagnée grâce à Western Union, la compagnie des télégraphes qui livra à l’équipe de Hayes copie des télégrammes de son concurrent (un Watergate avant la lettre) et manipula les journaux. L’étude reprend aussi des études antérieures qui montrent que 91,5 % des clics sur Google sont effectués sur la première page, 32,5 % sur le premier lien et 17,6 % sur le second. On sait aussi depuis plus d’un siècle, rappellent les auteurs, que le simple fait de classer des résultats ou des objets sur une liste exerce une influence sur celui qui en prend connaissance : le premier et le dernier de la liste ont tou- jours plus de chance de rester dans la mémoire. L’étude évoque, en outre, l’effet bien connu de Fox News, la chaîne de télévision conservatrice : son arrivée dans un Etat américain augmente localement le vote à droite. Alors, pourquoi s’inquiéter au sujet de Google ? Justement parce que Google n’est pas un média comme les autres. L’accès des candidats aux médias lors d’élections est transparent et mesurable : nous pouvons nous rendre compte que tel ou tel est plus favorisé à l’antenne. Et si Fox News provoque un biais, il n’y a heureusement pas que Fox News comme chaîne de télévision. En revanche, combien d’entre nous, en Europe, utilisent un autre outil de recherche que Google ? Comment se rendre compte qu’un tel outil fait apparaître d’abord un candidat plutôt qu’un autre si on ne peut le comparer avec un autre ? Pis, alors que les auteurs de l’étude ont fait comprendre indirectement par des allusions et des questions aux participants que le rang pouvait influencer leur choix, cela n’a pas altéré leur jugement et leur préférence, qui sont restés liés au classement. Est-ce à dire que Google peut volontairement manipuler son classement pour favoriser tel ou tel candidat ? Pour l’instant non, dit l’étude (bien que ses auteurs s’étonnent du refus de Google de répondre à leurs questions), mais on sait aussi que plus le classement est favorable à un site, plus on clique dessus et plus le classement lui reste favorable… C’est même la base de l’algorithme de Google. On sait aussi que les ingénieurs de Google procèdent à des ajustements de leurs algorithmes plus de 600 fois par an. Comment ? On l’ignore. Alors, faut-il à nouveau craindre Google-Big Brother ? Il faudrait d’abord, avant de crier au scandale, voir comment d’autres outils numériques influencent indirectement nos choix ; Facebook, LinkedIn et tous les autres réseaux sociaux peuvent compenser l’effet de Google. Et, surtout, il faut que cette étude expérimentale soit répliquée par d’autres chercheurs pour être confirmée. p ¶ Charles Cuvelliez est professeur à l’Ecole polytechnique de Bruxelles (ULB). Il est aussi membre du Collège de l’Institut belge des services postaux et des télécommunications (IBPT), le régulateur des communications électroniques en Belgique 8 | MÉDIAS&PIXELS 0123 JEUDI 28 JANVIER 2016 La croissance d’Apple marque le pas L’entreprise, qui a vendu 74,77 millions d’iPhone au dernier trimestre, anticipe une baisse de ses revenus new york - correspondant L e vent serait-il en train de tourner pour Apple ? La marque à la pomme qui, ces dernières années, a toujours publié des chiffres de croissance impressionnants, est en train de marquer le pas. Les ventes d’iPhone ont quasiment fait du surplace au cours de la très cruciale saison des fêtes. Le groupe anticipe par ailleurs une baisse de ses revenus pour le trimestre en cours, du jamais-vu depuis l’été 2001. Apple semble avoir atteint une sorte de plafond entre octobre et décembre 2015. Le groupe américain a annoncé, mardi 26 janvier, avoir vendu 74,77 millions d’iPhone sur le dernier trimestre, soit à peine 270 000 de plus qu’il y a un an. Un chiffre « incroyable », estime néanmoins Tim Cook, le PDG de groupe. Il est vrai que la barre était très haute, dans la mesure où le dernier trimestre de 2014 correspondait à la montée en puissance des iPhone 6. Des appareils qui constituaient une rupture, notamment en termes de taille d’écran. Leur renouvellement, un an plus tard, n’a pas été aussi révolutionnaire, ce qui se ressent dans l’évolution des ventes. Reste que celles-ci ont déçu les analystes, alors que l’iPhone constitue la vache à lait du groupe : il représente plus de 60 % du chiffre d’affaires et en- core davantage en termes de profits. « Les arbres ne poussent pas jusqu’au ciel, tempère Jean-Louis Gassée, un ancien dirigeant d’Apple, aujourd’hui reconverti dans le capital-risque dans la Silicon Valley. Nous allons assister sur le marché des smartphones à la même évolution que dans les PC, avec moins de nouveaux clients et plus de renouvellement et une ou deux sociétés qui vont continuer à prendre des parts de marché tout en étant capables de dégager une très bonne rentabilité. De ce point de vue, Apple est idéalement positionné », assure-t-il. D’ailleurs, la marque à la pomme affirme qu’elle n’a jamais autant attiré d’anciens utilisateurs d’Android, le système d’exploitation concurrent de Google. Vers un modèle de service Toutefois, les ventes d’iPhone ne sont pas les seules à avoir pris à contre-pied les analystes. Le chiffre d’affaires global, qui progresse de seulement 1,7 %, à 75,9 milliards de dollars (soit 69,89 milliards d’euros), est également en deçà des estimations. Apple invoque principalement la montée du dollar par rapport aux autres devises. Sans les effets de change, ses ventes auraient bondi de 8 %, estime le groupe. Mais qu’on se rassure : Apple reste une impressionnante machine à cash. « Notre situation financière n’a jamais été aussi forte », explique M. Cook. Le Twitter poursuit sa réorganisation Les grandes manœuvres continuent au sein de Twitter. La société de microblogging a annoncé, mardi 26 janvier, avoir recruté une nouvelle directrice marketing en la personne de Leslie Berland. Cette dernière est issue des rangs d’American Express où elle gérait la publicité, le marketing et les partenariats numériques. Le patron-fondateur de Twitter, Jack Dorsey, avait annoncé dimanche soir le départ de quatre vice-présidents, tandis que le responsable de son application de vidéos, Vine, avait, lui, décidé de rejoindre Google. Dans un Apple Store, à Pékin. KIM KYUNG-HOON/ REUTERS groupe a réalisé 18,36 milliards de dollars de bénéfices entre octobre et décembre, en hausse de 1,9 %. Quant à sa trésorerie, elle s’élève désormais à 216 milliards, soit dix de plus qu’à la fin septembre. Le PDG a souligné que ce qui fait la force de la marque aujourd’hui, ce sont des clients fidèles, qui rachètent, dans la plupart des cas, des produits Apple. Même si M. Cook affirme que le groupe continue à croître en Chine, malgré la moins bonne conjoncture, il sait que les relais de croissance pour l’iPhone se font de plus en plus rares. C’est pourquoi, lors de la conférence téléphonique sur les résultats du groupe, il a insisté sur la montée La firme de Cupertino reste une machine à cash, avec une trésorerie de 216 milliards de dollars en puissance des services, comme Apple Music ou son catalogue d’applications. Le directeur financier du groupe, Luca Maestri, a ainsi souligné que cette activité avait progressé de 23 % en un an, à Cybersécurité : les sociétés sensibles en première ligne L sécurité des systèmes d’information (Anssi), en charge de la sécurité informatique des administrations et des entreprises. Si les arrêtés ont mis deux ans à voir le jour, c’est qu’il a fallu négocier pied à pied avec les industriels. Les nouvelles normes de sécurité voulues par l’Anssi, qui requièrent la mise en place d’une gouvernance particulière, de systèmes de surveillance et de détection élaborés et des plans de continuité en cas d’incidents, sont aussi synonymes de dépenses accrues. « Leur mise en place va coûter des millions d’euros, puis les entreprises devront dépenser encore quelques millions par an car il faut des prestataires pour la maintenance. Mais il faut voir combien elles devraient débourser en cas de véritable défaillance », dit Guillaume Poupard. Les budgets cybersécurité devraient passer de 10 % des dépenses informatiques globales à une fourchette de 15 % à 20 %. Convaincre les industriels n’a pas été une mince affaire, même pour ceux ayant pris de l’avance en la matière. Avec les banques, le dialogue a été viril. « Les négociations ont été difficiles. Au départ, les ingénieurs de l’Anssi avaient des demandes qui n’avaient rien à voir avec la réalité du business », dit-on au sein d’une société de service. « Il est vrai qu’au début, on ne parlait pas la même langue. Mais on disait pourtant la même chose », assure M. Poupard. La plupart n’avaient pas envie de se laisser dicter leur conduite. « On n’a pas attendu l’Anssi pour agir », dit-on chez un opérateur télécoms. Directive européenne Pour alléger la facture, les entreprises se sont employées à réduire au maximum la partie de leur activité jugée la plus stratégique, concernée par la nouvelle réglementation. « Attention aux tricheurs », prévient quand même le patron de l’Anssi. Sujet le plus litigieux : l’obligation de communication à l’Anssi des actes de piratage, alors que les entreprises préfèrent rester discrètes. A partir de quand devront-elles alerter les services de l’Etat ? Guillaume Poupard, qui n’a pas envie que l’Anssi croule sous les alertes, estime qu’il faut trouver le juste équilibre. De leur côté, les entreprises sont circonspectes. « Ce qui ne serait pas souhaitable, c’est qu’on se retrouve en situation Sujet le plus litigieux : l’obligation de communication des actes de piratage compliqué pour Apple. Le groupe anticipe un chiffre d’affaires situé entre 50 et 53 milliards de dollars. Une fourchette large, qui reflète les inquiétudes d’Apple sur la volatilité sur le marché de change. Quoi qu’il en soit, si l’on prend le milieu de cette fourchette, cela représenterait une baisse des revenus de 11 %. Il faut remonter quinze ans en arrière pour retrouver une telle contre-performance. M. Maestri a indiqué qu’Apple était en train d’augmenter ses prix sur certains marchés pour préserver ses marges, ce qui a pour effet de ralentir les ventes. Reste à savoir si ce ralentissement est passager ou plus durable. p stéphane lauer Défendre l’indépendance des médias par la loi Deux cents entreprises devront respecter des mesures renforcées de sécurité informatique e 23 décembre 2015, les habitants de la région d’IvanoFrankivsk, dans l’ouest de l’Ukraine, se sont retrouvés dans le noir. Pour la première fois, ce n’est pas une simple défaillance des systèmes mais un acte de piratage informatique qui a fait tomber les réseaux de plusieurs compagnies d’électricité locales. Un train qui déraille, une coupure d’eau géante ou une centrale nucléaire qui tombe en panne : tels sont les dangers que la France a tenté d’anticiper en adoptant, fin 2013, un arsenal législatif imposant des mesures de sécurité informatique renforcée aux « opérateurs d’importance vitale » (OIV), ces entreprises dont la défaillance ferait peser des risques sur la nation. Deux ans après le vote de la loi, 18 arrêtés d’application, un par secteur industriel concerné, vont être publiés ces prochaines semaines. Ils vont concerner quelque 200 OIV œuvrant dans le secteur bancaire, l’énergie, le transport d’énergie, les télécoms ou les hôpitaux. « Ces règles entreront en application à partir du 1er juillet. Ensuite, les opérateurs disposeront de trois à six mois pour les mettre en œuvre, en fonction de la complexité du dispositif », a expliqué, le 26 janvier au Forum international de la cybersécurité de Lille, Guillaume Poupard, le directeur général de l’Agence nationale de la 31 milliards de dollars. Une évolution que « le marché n’a pas encore intégrée », regrette M. Maestri. « On assiste à un glissement du centre de gravité économique d’Apple, insiste M. Gassée. Les services croissent et ajoutent plus de valeur au matériel. Comme Google avec son moteur de recherche, Apple a su se construire un écosystème incontournable pour les utilisateurs et qui devient de plus en plus profitable. » Le cercle est d’autant plus vertueux qu’il y a désormais dans le monde plus de 1 milliard d’appareils Apple en activité. En attendant que ce « glissement » s’exprime pleinement, le trimestre en cours s’annonce de se dénoncer les uns les autres », avertit l’un d’eux. En attendant, ces nouvelles obligations sont une manne pour les prestataires informatiques français. « Notre chiffre d’affaires a augmenté de 30 % l’an dernier, à plus de 100 millions d’euros. Et ces nouvelles règles nous assurent une croissance pour trois ans », dit François Lavaste, à la tête d’Airbus Defence & Space CyberSecurity, une filiale dédiée d’Airbus. « Nous voyons arriver beaucoup d’appels d’offres », se félicite Laurent Maury, vice-président de Thales. La législation adoptée par la France devrait faire tache d’huile. En avril, le Parlement européen votera l’adoption de la directive Network and Information Security, qui impose de nouvelles obligations à une série de sociétés stratégiques. « Les entreprises françaises sont rassurées par cette harmonisation. Elles disaient que nos règles créaient une rupture de concurrence », se félicite M. Poupard. Moins contraignantes que les règles françaises, les normes européennes toucheront plus d’acteurs. Google sera censé s’y plier. Mais pas Facebook. « Les réseaux sociaux ont mystérieusement disparu de l’accord une semaine avant son adoption », déclare Zoltan Precsenyi, en charge des affaires publiques chez Symantec. p sandrine cassini Le député PS Patrick Bloche a rédigé un texte répondant à la concentration du secteur R enforcer la « liberté, le pluralisme et l’indépendance des médias ». Tel est le but de la proposition de loi rédigée par le député PS de Paris Patrick Bloche, en collaboration avec la ministre de la culture, Fleur Pellerin, et l’exécutif, et que Le Monde s’est procuré. Les auteurs réagissent notamment aux polémiques survenues après la prise de contrôle de Canal+ et i-Télé par Vincent Bolloré, mais ne ciblent pas frontalement l’entrepreneur breton : les industriels qui possèdent des médias sont nombreux, de Patrick Drahi (BFM-TV, RMC…) à Martin Bouygues (TF1) en passant par Xavier Niel (actionnaire à titre individuel du Monde). La proposition de loi précise les pouvoirs du Conseil supérieur de l’audiovisuel : ce dernier « s’assure que les intérêts économiques des actionnaires des éditeurs de services de communication audiovisuelle et de leurs annonceurs ne portent aucune atteinte » au pluralisme et à l’indépendance. Une allusion indirecte aux accusations de censure dirigées contre Canal+ après la non-diffusion d’un documentaire sur le Crédit mutuel ou sur l’Olympique de Marseille (et sur lesquelles Vincent Bolloré a nié être intervenu). L’article 7 propose, lui, de généraliser dans les télévisions et ra- dios les « comités relatifs à l’honnêteté, l’indépendance, au pluralisme de l’information et des programmes ». Leurs membres, « indépendants », ne doivent pas, « pendant leurs fonctions et dans un délai de trois ans avant leur nomination, [avoir] pris, reçu ou conservé, directement ou indirectement, un intérêt quelconque dans la société éditrice » ou « l’un de ses actionnaires ». Cette disposition fait écho à la polémique autour de la nomination du comité d’éthique de Canal+. Deux des six personnalités choisies ont des liens avec des sociétés de M. Bolloré. Pour la majorité socialiste, ce texte vise à montrer qu’elle ne reste pas inactive alors que le secteur se concentre. La reprise en main du groupe Canal+ par Vincent Bolloré a suscité des protestations publiques à i-Télé. Le 28 septembre, sur France Inter, Fleur Pellerin s’était posée en « garante du pluralisme des médias », tout en précisant au sujet de M. Bolloré : « Aucune enquête n’a pour l’instant révélé s’il y avait eu une intervention directe. » Avant d’être votée, la proposition de loi de Patrick Bloche, président de la commission des affaires culturelles de l’Assemblée nationale, devra être discutée avec les professionnels du secteur. p alexandre piquard universités &grandes écoles TINO Les concours se renouvellent Pour intégrer une école, les classes préparatoires ne sont plus aujourd’hui la seule voie. Admissions parallèles et passerelles se multiplient, le recrutement s’élargit. Mais les établissements prestigieux ne s’y résolvent que timidement L entement mais sûrement, la France infléchit la loi des concours aux grandes écoles – une spécificité française « inventée » par Vauban en 1697 pour recruter ses ingénieurs. Le meilleur exemple est celui de la rude sélection imposée à l’issue de la première année commune aux études de santé (Paces) – médecine, pharmacie, dentisterie, sages-femmes – que 78 % des étudiants ratent chaque année, numerus clausus oblige. Dix universités, dont celle d’Angers qui a même supprimé la Paces, expérimentent actuellement des voies permettant d’offrir une seconde chance ou des alternatives aux recalés. Ces initiatives seront évaluées en 2019, mais on voit mal pourquoi elles ne seraient pas étendues. Les écoles de commerce, elles, organisent la montée des admissions dites parallèles, voies ouvertes aux détenteurs d’un BTS, d’un DUT, d’un cycle universitaire ou d’un diplôme étranger. Si bien que, selon les derniers chiffres de la Conférence des grandes écoles, les élèves issus des classes préparatoires ne représentent plus que 37 % des inscrits dans les business schools. Au compte-gouttes A y regarder de plus près, cette moyenne cache le fait que les écoles de commerce les plus renommées ne font qu’entrouvrir leurs portes aux étudiants qui ne sont pas issus de classes prépa, contrairement aux écoles dites moyennes ou petites. Pour celles qui peinent à remplir leurs promotions, les passerelles sont une aubaine. Les écoles d’ingénieurs élargissent aussi leur recrutement mais dans une moindre mesure. Et les plus prestigieuses comme Polytechnique, Centrale, Supélec ou certaines Ecoles normales supérieures ne le font qu’au compte-gouttes. Les bacheliers peuvent aussi miser sur une école à prépa intégrée, moins exigeante qu’une spé. Et ailleurs, comment se passe le recrutement ? Aux Etats-Unis, pas de concours mais une sélection drastique – par les notes et par l’argent –, pour entrer dans les meilleures universités. Le système est plus égalitaire et varié en Allemagne. Mais pour les études médicales, une commission fédérale détermine le nombre de places et les répartit géographiquement en fonction des besoins locaux. Un exemple à imiter ? p martine jacot les prépas privées, pour quoi faire ? Les offres dispendieuses de cours du soir ou de stages intensifs en tout genre se multiplient. Mais la qualité et les résultats ne sont pas toujours au rendez-vous. PA G E 8 conseils aux parents dont l’enfant vient d’échouer Des spécialistes donnent de précieuses clés afin d’accompagner au mieux un adolescent confronté à cette étape difficile. PA G E 1 0 Inscriptions jusqu’au 3 avril 2016 www.concours-sesame.net Renseignements Une seule date d’épreuves écrites, le 20 avril 2016 [email protected] Tél. : 05 56 52 56 41 www.facebook.com/concours.sesame Cahier du « Monde » No 22094 daté Jeudi 28 janvier 2016 - Ne peut être vendu séparément @ConcoursSESAME -Crédits photos: Corbis. Hors procédure APB. 2| UNIVERSITÉS & GRANDES ÉCOLES | Concours 0123 Jeudi 28 janvier 2016 Après une prépa, une place pour (presque) tous Répartir plutôt que sélectionner, tel est le rôle aujourd’hui dévolu aux concours. Dès lors, quasi tous les étudiants peuvent intégrer une école A u terme de deux années de travail acharné en prépa, les étudiants sont récompensés : ils sont presque assurés d’intégrer une grande école à l’issue des concours. On compte en effet autant de places offertes aux concours des écoles d’ingénieurs que d’élèves en deuxième année de prépa, et près d’un quart des écoles de commerce n’ont pas rempli leur promotion en 2015. « Le système du concours est classant mais pas excluant », affirme Anne-Lucie Wack, présidente de la Conférence des grandes écoles (CGE). La CGE évoque « un parcours de réussite, sécurisé », avec un emploi à la clé. Toutefois, pour ceux qui visent les écoles les plus prestigieuses, extrêmement sélectives, la pression et le risque d’échec restent élevés. Chaque étudiant aurait donc sa place, en fonction de son profil, à condition d’avoir su venir à bout de la masse de travail en prépa. La croissance continue des effectifs des écoles, amorcée dans les années 1990, favorise cette mécanique de répartition, plutôt que de sélection. Entre 2007 et 2014, selon la CGE, les grandes écoles ont admis 100 000 étudiants supplémentaires (soit une hausse de 36 %), en diversifiant notamment leurs voies de recrutement. Du côté des écoles d’ingé- nieurs, pour répondre aux attentes du marché du travail, le nombre d’élèves a plus que doublé en vingt ans (passant de près de 58 000 en 1990 à plus de 124 000 en 2012). « Les besoins de l’économie se sont déplacés vers les fonctions d’expertise. Mais le vivier des scientifiques ne s’est pas suffisamment développé », estime Sylvie Bonnet, présidente de l’Union des professeurs des classes préparatoires scientifiques (UPS). Il faudrait aujourd’hui former de 5 000 à 10 000 ingénieurs de plus par an, au dire de la Conférence des directeurs des écoles françaises d’ingénieurs (CDEFI). L’augmentation du nombre d’étudiants joue-t-elle sur la qualité du recrutement ? Non, assure François Cansell, président de la CDEFI : « Les concours ont évolué, mais leur niveau reste le même. Pour preuve, les ingénieurs français trouvent rapidement du travail et sont recherchés à l’étranger. » Et Sylvie Bonnet de confirmer : « Chaque école maintient son degré d’exigence, en recrutant aussi à l’international. » Quant aux prépas, elles se veulent réactives face aux mutations : « Lors de la réforme du lycée, par exemple, on a Entre 2007 et 2014, les grandes écoles ont admis 100 000 étudiants supplémentaires, soit une hausse de 36 % réfléchi pour s’adapter. C’est ce qu’on fait en permanence, en amont avec le second degré, en aval avec les écoles », déclare encore la présidente de l’UPS. Dans les écoles de commerce également, le nombre de places Quelques prépas prestigieuses Les prépas particulièrement réputées permettent d’intégrer les écoles les plus prestigieuses. La presse publie régulièrement des classements, qui varient peu d’une année sur l’autre et s’affinent en fonction des écoles visées. Quelques noms reviennent souvent quand on interroge les écoles : dans le désordre, Henri-IV, Louis-le-Grand, Fénelon, Jean-Baptiste-Say, Stanislas, Ipésup, à Paris ; Hoche et Sainte-Geneviève, à Versailles ; Pasteur, à Neuilly-sur-Seine, Madeleine-Daniélou, à Rueil-Malmaison ; Le Parc, Ampère, Sainte-Marie à Lyon, Pierre-de-Fermat et Ozenne à Toulouse, Saint-Jean à Douai, etc. "=>)=4;8 (7=4751 .D3$- @F$/<G;D$>)$ &*)!$@=; 2$;?D>*@$8 $7 &*) 59% )N*JL*%(= ELGJ( A-*%("LJ (M 4 -MI @ 9MGN&J(= FM( 'LJ!-G$LM *LFJG(. -BN( IFJ "P$MG(JM-G$LM-" (G LFE(JG( IFJ "P(MGJ(KJ$I( + 0> )=>)=4;8 )=??4> KLFJ H &J-M)(I O*L"(I )( >L!!(J*( C;*74D7 KLFJ "(I ,LFJI$(JI ;C> 6-MG(I ? CF)(M*$- :JLFK :JLFK( ;1> <$#LM ? ALFJ&L&M( ;7 6LJ!-M)$( :JLFK( 1FK )( >L 8- 2L*%(""( ;7 1GJ-I,LFJ& 6LE-M*$- AFI$M(II 1*%LL" 3-J$I :J(ML,"( ;7 0N"N*L! 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Un peloton de tête se distingue aisément, grâce au système des accréditations internationales et aux palmarès de la presse qui se multiplient depuis environ vingt d’ans. « Dans les années 1990, les différences entre écoles étaient moins marquées, surtout pour les écoles de province, alors plus indifférenciées », remarque M. Roche. Les écoles figurant en bas de tableau peinent à faire le plein. En conséquence, elles réduisent leurs exigences. Certaines auraient fait chuter leur seuil d’admissibilité à 5/20 ou 6/20, au risque d’ôter tout sens au concours après prépa… Face à ce phénomène, les étudiants font jouer le rapport qualité-prix : ils peuvent préférer des formations universitaires nettement moins coûteuses, notamment celles des instituts d’administration des entreprises. « On assiste à une inversion : ce sont aux écoles de séduire les étudiants, constate M. Roche. Et la régulation de la qualité se fait par les étudiants, quand ils renoncent à une école au niveau d’exigence trop bas. » Prises dans cet engrenage, à terme, les écoles de commerce les plus fragiles risqueraient de disparaître. Pour accroître leur nombre d’étudiants, les écoles de commerce comme celles d’ingénieurs ont développé les admissions parallèles qui prévoient aussi des concours (après un DUT, un BTS, une L2 ou une L3). « Le mot “concours” cache en réalité une grande diversité, remarque AnneLucie Wack. Actuellement, on observe un changement de paradigme : on ne compte en moyenne que 40 % d’étudiants issus des prépas dans les grandes écoles d’ingénieurs et de commerce, contre 40 % provenant des admissions parallèles et 20 % qui suivent des formations post-bac. » Dans les établissements en trois ans recrutant après prépa, la part des admissions parallèles atteint 27 % en moyenne. Cette diversité des voies d’entrée favorise notamment l’ouverture sociale dont manquent les grandes écoles. Si les plus prestigieuses, telle Polytechnique, recrutent essentiellement par le biais des prépas, d’autres accordent une large place aux admissions parallèles. p diane galbaud En commerce, la montée des admissions parallèles Si les plus prestigieuses misent sur les prépas, les « petites » écoles explorent une autre voie A priori, les chiffres parlent d’eux-mêmes : selon les données les plus récentes de la Conférence des grandes écoles (CGE), 53 % des entrants dans les business schools passent désormais par les admissions parallèles – après un BTS ou un DUT, un cycle universitaire ou un cursus international. Elles sont donc devenues la première voie d’accès à ces écoles. Les étudiants issus des classes préparatoires, de leur côté, ne représentent plus que 37 % des inscrits, les 10 % qui restent intégrant leur école juste après le bac. Pour autant, faut-il parler de déclin des prépas ? On en est loin. Les écoles de tête continuent de miser en priorité sur les candidats qui y ont été formés – HEC, par exemple, n’accepte pas d’admissions parallèles en première année. En revanche, les « petites » écoles se tournent massivement vers les voies parallèles – certaines ont quasiment renoncé à recruter à la sortie des prépas. « En réalité, les effectifs des prépas ont continué d’augmenter ces dernières années, souligne Stéphan Bourcieu, directeur général de l’ESC Dijon-Bourgogne. Mais cette hausse a été moins rapide que celle des promotions de nos écoles. Le complément a été apporté par les admissions parallèles. D’autant que, à côté des concours comme Passerelle ou Tremplin, les écoles recrutent de plus en plus de candidats internationaux. » En une dizaine d’années, l’école dijonnaise a ainsi fait passer ses recrutements à l’issue de prépas de 135 à environ 185, tandis que ses admissions parallèles (concours Passerelle 1 et 2) ont quasiment doublé (de 170 à environ 300). Quant au nombre d’admis étrangers, il a ex- plosé, passant de 5 à 90. En outre, certains candidats ont pu être rebutés par le coût de certaines prépas privées, ou dissuadés par le rythme de travail qu’imposent en général ces classes. « Cette évolution découle de la montée en puissance du système LMD [licence-master-doctorat], estime Stéphan Bourcieu. Le niveau de sortie en licence est désormais bien identifié par les candidats et les familles. De plus, toutes nos écoles sont engagées dans une stratégie de croissance à l’international. Il n’est donc pas surprenant que beaucoup d’entre elles recrutent à bac + 3. Et ce mouvement devrait se poursuivre. » « Nos cours réunissent donc des élèves issus des prépas, et d’autres venus des IUT, des universités, de l’international. Cette diversité des profils est un atout pour la qualité de nos enseignements, indique de son côté Florence Legros, directrice de l’ICN Business School à Nancy, où le taux d’admissions parallèles demeure assez stable. Mais nous ne voyons aucune désaffection à l’égard des prépas, qui restent une valeur sûre. » Pour la CGE, en tout cas, pas de doute : les classes prépa restent bien « la voie privilégiée pour intégrer une grande école ». « La montée en puissance des admissions parallèles n’est pas synonyme de recul des classes préparatoires, estime Jacques Chaniol, responsable de la commission amont à la CGE. Simplement, l’essentiel de la hausse des effectifs, depuis une quinzaine d’années, s’effectue par d’autres voies. Aujourd’hui, la tendance est à la stabilisation. » A ses yeux, les élèves issus des différentes voies « réussissent aussi bien les uns que les autres ». p jean-claude lewandowski Concours | 0123 Jeudi 28 janvier 2016 UNIVERSITÉS & GRANDES ÉCOLES |3 De timides itinéraires bis Grâce aux «seconds concours», les étudiants de l’université peuvent tenter leur chance à Normale, Polytechnique ou HEC L TINO ouis Pasteur, Jean-Paul Sartre, Georges Pompidou ou encore Raymond Aron sont diplômés de l’Ecole normale supérieure (ENS) de la rue d’Ulm à Paris. Pourtant, l’école est-elle connue du grand public ? « Les jeunes n’ont pas vraiment conscience des formations qu’offre l’ENS, ni de la place qu’y tient aujourd’hui la recherche », note son directeur, Marc Mézard. L’ENS a donc décidé, pour la première fois de son histoire, d’ouvrir ses portes au public, le samedi 13 février, afin de présenter ses différents départements, mais aussi de promouvoir ses voies d’accès. Outre ses concours en lettres et en sciences réservés aux élèves de prépas, l’ENS organise depuis 2008 une admission sur dossier et sur entretien. L’objectif est de repérer des profils très brillants dans un domaine, qui ne se seraient pas forcément distingués dans un concours pluridisciplinaire, mais affichent un projet d’études précis. La sélection s’effectue au niveau de chaque département de l’école. Peuvent postuler des étudiants de deuxième ou troisième année de licence. Les 120 « normaliens étudiants » ainsi recrutés en 2015 n’ont pas à s’engager pour dix ans auprès de l’Etat et ne sont donc pas rémunérés comme les 194 « normaliens élèves » issus des prépas. Mais ils bénéficient de la même formation, avec « un suivi très individualisé », précise M. Mézard. Ils introduisent aussi une plus grande diversité dans les promotions : « 30 % d’entre eux sont boursiers, contre 17 % parmi les lauréats du premier concours. » Batterie d’oraux Depuis 2000, Polytechnique entend, elle aussi, « donner une chance aux jeunes qui ne sont pas montés dans le train des prépas », dit Michel Gonin, responsable du concours. Outre les 400 places briguées par 4 604 candidats de prépa, l’X en a proposé 18 en 2015 à des profils exclusivement universitaires, détenteurs d’une licence de maths, de physique, de mécanique ou de chimie. Ici, les recrues bénéficient du même statut que leurs camarades et reçoivent une solde. Leur nombre va passer à 23 à la session 2016 et atteindra un plafond de 50 d’ici cinq ans. « Nous sommes absolument satisfaits des élèves que nous recrutons en prépa. La filière universitaire, elle, a vocation à rester une voie d’admission parallèle », commente M. Gonin. Si, à l’échelle de la conférence des grandes écoles (CGE), les classes prépas ne représentent plus que 39 % des admissions, leur monopole n’a pas été ébranlé dans les plus prestigieuses. A l’ENS Lyon, un second concours est destiné depuis 1992 aux licences scientifiques. Il leur ouvre les mêmes droits que les admis des prépas… mais ne compte que 7 places. A Centrale Supélec, à Paris, le concours Casting propose 20 places aux universitaires, pour 390 offertes à la sortie des prépas. Un lycéen dont l’ambition est d’intégrer l’une des grandes écoles les plus renommées a donc tout intérêt à opter pour une classe préparatoire. « Elle reste la voie d’accès privilégiée à HEC », insiste Julien Manteau, directeur du développement de l’école. Depuis 1996, la prestigieuse école de Jouyen-Josas (Yvelines) a créé une autre entrée dans son programme grande école ; mais elle est proposée au niveau master et concerne donc des étudiants plus avancés, ou en quête d’une double compétence, comme des ingénieurs ou des juristes. Longtemps, la plupart des places de ce « concours d’admission directe » (CAD) – soit 50 sur 75 –, ont été réservées à des candidats issus de grandes écoles partenaires, comme Sciences Po ou les Mines ParisTech. Ce quota n’existe plus, mais beaucoup d’admis proviennent toujours de ces établissements. Et pour certaines grandes écoles, « admission sur titre » ne signifie pas seulement l’étude d’un dossier mais parfois également toute une batterie d’oraux – six à Polytechnique et quatre à HEC… p aurélie djavadi D2F ;8="8*AA$ (37G?$77 ) A*?&"$A$?6 /4+ INTÉGREZ UNE GRANDE ÉCOLE DE COMMERCE À BAC+2/3 DIPLÔME VISÉ ISÉ BAC+5 • GRADE MASTER 62 /.0".)33# 7220()2+ #2 &!$ )2,- $1 %*.,*, /0,,7'4#,5 1 ÉCOLE, 4 VILLES ;=38 %=??$8 %$ B'*1$?G8 H 1=68$ *1$?G8: 1 EXPÉRIENCE NIQ QUE INTERNATIONALE UNIQUE S 21 SPÉCIALISATIONS MÉTIERS (Marketing, Finance, RH, Luxe, Digital, Wine, Sport…) 8+91 0.#) 6# 534$#1 POSSIBILITÉ D’ALTERNANCE $0")! # /%"-+01. # ()((+ # (,%& # '%&2$+(()+" # &0&2+! # !2"0!/%1"* # 2%1(%1!+ '''12*#1$+!(/ % &/)20 , -+.#+)//&%(/"2*#1$+ <-('6:..#5#4- $%#4.#:!4#5#4- .,2?/:#,/ 2/:*?1 "#--# ?&36# #.- 5#5'/# $# 16124-01/16 7 D2F:<&@! 0E! -95># ,9.52:C (Paris, Bordeaux, Chambéry, Lyon) Admissions parallèles llèl en 1re ett 2e années é CONCOURS EVOL 1 et 2: inseec-bs.com PROCHAINES 05/03 17/03 30/04 02/04 28/05 SESSIONS: 4| UNIVERSITÉS & GRANDES ÉCOLES | Concours 0123 Jeudi 28 janvier 2016 Il n’y a pas que les maths dans la spé A niveau d’excellence égal en sciences, les candidats qui ont mis l’ accent sur les oraux et sur les matières littéraires tirent bien mieux leur épingle du jeu aux concours des écoles d’ingénieurs L es candidats aux concours des écoles d’ingénieurs auraient tort de tout miser sur les matières scientifiques. Pour réussir, il faut certes exceller dans ce domaine, mais pas seulement : la différence se fait aussi en français et en langues, tandis que les oraux permettent aux jurys d’éprouver la détermination ou l’ouverture d’esprit des étudiants. « C’est un message parfois difficile à faire passer auprès des élèves : il est quasiment impossible d’intégrer une grande école d’ingénieurs comme Polytechnique, Centrale ou les Mines uniquement grâce aux points obtenus dans les matières scientifiques », affirme Roger Mansuy, En filière mathsphysique, le français et la langue vivante sont coefficient 6, autant que l’une des deux épreuves de physique enseignant en mathématiques et en informatique en prépas scientifiques à Louis-le-Grand, à Paris, qui place chaque année une centaine d’élèves à l’X. En filière maths-physique (MP), par exemple, le français et la langue vivante sont coefficient 6, soit autant que l’une des deux épreuves de physique ! Ces deux matières doivent être travaillées avec régularité pendant les deux ans de prépa, car « l’investissement sur le long terme permet de rendre une bonne copie le jour du concours », estime encore l’enseignant. Même constat aux MinesParis Tech, dont la centaine d’admis chaque année est notamment sélectionnée par le concours commun Mines-Ponts (neuf écoles, 13 000 candidats). En français, les candidats sont notés sur une dissertation en rapport avec le thème au programme – « Le monde des passions » pour la session 2016 – et doivent s’appuyer sur les trois œuvres étudiées dans l’année. Mieux vaut les maîtriser parfaitement : « Les œuvres du programme sont prioritaires, et des références externes ne sont donc bienvenues que lorsque le programme a déjà été bien exploité », peut-on lire dans le rapport du jury de concours MinesPonts 2015. Une fois franchies les épreuves écrites d’admissibilité, c’est lors des oraux que les candidats peuvent véritablement tirer leur épingle du jeu. « C’est loin d’être une formalité : compte tenu des coefficients, ils peuvent faire gagner énormément de places », insiste Julien Bohdanowicz, directeur des études chargé du cycle ingénieurs civils aux Mines-Paris Tech. Outre les classiques épreuves de maths ou de physique, le travail d’initiative personnelle encadré (TIPE), évalué à l’oral du concours commun Mines-Ponts, est valorisé par un coefficient 6 – contre un coefficient 12 pour l’oral de maths et 10 pour celui de physique. Il peut être l’occasion de montrer son investissement dans un projet qu’on a choisi. Dans certaines écoles, comme l’Ecole catholique d’arts et métiers (ECAM) de Lyon, les candidats retenus après les écrits sont convoqués à un entretien de sélection. « Le jeune qui arrive aux oraux a déjà montré ses qualités scientifiques. Au cours de l’oral, on cherche à aller plus loin, à percevoir la vision qu’il a du métier d’ingénieur, sa capacité à réfléchir au monde qui l’entoure, son ouverture d’esprit », explique Christiane Lobert, coordinatrice pédagogique au sein de l’établissement. Cette ouverture au monde peut être testée au détour de l’oral d’anglais du concours commun Mines-Telecom (coefficient 7 à l’oral en MP, presque autant que les maths ou la physique, coefficient 8). L’oral peut également être l’occasion de valoriser les activités extrascolaires. Engagement associatif, pratique d’un instrument de musique ou d’un sport : le jury apprécie les candidats capables de s’investir en dehors des seules études. « J’ai évoqué ma passion pour l’athlétisme et j’ai parlé de l’équipe d’enfants que j’entraînais avant la prépa pour montrer ma capacité à gérer un groupe et mon sens des responsabilités », raconte Mélanie Leroyer-Fortin, reçue à la rentrée 2015 à l’Ecole nationale supérieure de techniques avancées (Ensta) Bretagne, avec une note de 18 sur 20 à l’entretien. Enfin, – mais c’est presque une évidence –, bien connaître l’école que l’on cherche à intégrer et être capable d’expliquer en quoi elle s’insère dans son projet professionnel est toujours très apprécié. p françoise marmouyet Une troisième voie pour devenir ingénieur POUR LES ASPIRANTS ingénieurs, les cycles préparatoires communs (CPC) aux écoles d’ingénieurs sont une troisième voie intéressante, à mi-chemin entre la prépa intégrée et la classe préparatoire aux grandes écoles (CPGE). Une centaine d’écoles, comme celles du réseau Polytech, les instituts nationaux polytechniques (INP) ou la fédération Gay-Lussac, sont accessibles par ces cycles. Ils s’adressent aux néobacheliers effrayés à l’idée de préparer pendant deux ans un concours en CPGE, mais surtout à ceux qui ne souhaitent pas se spécialiser trop vite en intégrant la prépa intégrée d’une école donnée. Le principe ? Une sélection postbac sur dossier scolaire et entretien individuel après validation du dossier APB, une préparation en deux ans, et une admission dans l’une des écoles du réseau en fonction des vœux émis et des résultats au contrôle continu. « Des élèves moteurs » Mais attention : pas de repos pour ces élèves ayant vocation à se retrouver assis au bout de trois ans aux côtés de leurs camarades ayant fait le choix de la classe prépa. « Physique, chimie ou science de l’ingénieur : la quantité de travail comme les connaissances ou compétences développées sont exactement les mêmes qu’en CPGE », explique Isabelle Schanen, directrice de la « prépa des INP » de Grenoble – CPC proposé sur six sites en France. De 15 % à 20 % des élèves quittent d’ailleurs la prépa à la fin de la première année, faute de résultats suffisants au contrôle continu. Le temps gagné à ne pas préparer le concours est utilisé pour « travailler son projet professionnel », assister aux présentations des quelque 30 écoles du réseau réparties sur six sites, ainsi que de leurs spécialités. Ce qui permet de choisir des thèmes de formation plus ciblés au milieu de la deuxième année, en cohérence avec les vœux d’écoles et de spécialités qui seront faits dans la foulée. Résultat ? Les 10 % d’élèves issus de la « prépa des INP » qui intègrent les écoles du réseau, à côté de ceux de CPGE – la grande majorité – et ceux de classe préparatoire intégrée pour certains sites « sont des élèves moteurs dans l’école car ils savent pourquoi ils sont là », indique Isabelle Schanen. Victime de son succès, la « prépa des INP » a reçu, en 2015, 4 000 candidatures pour seulement 400 places sur ses différents sites. La sélection est donc sévère. p séverin graveleau Et pourquoi pas une école juste après le bac ? 80 prépas dites « intégrées » sont accessibles aux bacheliers C CONCOURS 2016 PROGRAMME MASTER GRANDE ECOLE Visé Bac +5 / Grade Master / RNCP Niveau I / AACSB Accredited Admissions parallèles (Bac +2 / Bac +3) * 200 places ouvertes Concours ESC Clermont > Accès Bac +2 en 1ère année du Programme : Dossier + Tage2 > Accès Bac +3 en 2ème année du Programme : Dossier + Tage Mage Inscriptions sur www.candidat-esc-clermont.fr En savoir plus : [email protected] Ecole Supérieure de Commerce à Clermont depuis 1919, accréditée AACSB depuis 2005 Une Valeur sûre * prépas + admissions parallèles ESC CLERMONT onseillère d’orientation au centre d’information et d’orientation (CIO) Mediacom de Paris, Elisabeth Devals a croisé beaucoup de bacheliers qui hésitent à se lancer dans des études d’ingénieur parce qu’ils redoutent la prépa et les concours subséquents. « Ce sont des profils parfaits pour les écoles post-bac avec prépas intégrées », assure-t-elle. Elles sont un peu plus de 80 en France à proposer une formation en cinq ans – deux années de prépa dite « intégrée » et trois ans de cycle ingénieur – après la terminale. Dans les classements, certaines écoles comme les six instituts nationaux des sciences appliquées (INSA) rivalisent même avec des écoles d’ingénieurs post-prépa. Mais il n’est pas donné à tous les bacheliers d’y entrer. En 2015, sur 13 772 candidats, seuls 2 571 sont parvenus à intégrer un INSA. « Le nombre de candidats augmente tous les ans », remarque M’Hamed Drissi, directeur de l’INSA Rennes. Au concours Geipi Polytech, commun à 30 écoles publiques d’ingénieurs, le nombre de candidats a augmenté de 9 % en 2015. Là aussi le nombre d’admis reste faible : 2 500 sur 14 490 inscrits. En conséquence, le niveau exigé à l’entrée s’est élevé. « Un peu plus de 80 % de nos admis ont obtenu une mention bien ou très bien au bac », constate M’Hamed Drissi. La commission d’admission du réseau INSA examine le dossier scolaire des postulants : notes en mathématiques, en physique-chimie, en anglais, ainsi que celles du bac de français. « Comme les élèves vont devoir produire un travail régulier, nous sommes particulièrement attentifs à leur capacité à fournir des efforts sur le long terme », souligne le directeur de l’INSA « Nous sommes particulièrement attentifs à la capacité des élèves à fournir des efforts sur le long terme » M’Hamed Drissi directeur de l’INSA Rennes Rennes. Les candidats dont le dossier a été retenu sont ensuite convoqués pour un entretien. Les écoles du Geipi Polytech privilégient, elles, le concours pour recruter leurs étudiants. « Personne n’est éliminé par l’analyse du dossier. Tous les candidats ont une chance d’intégrer une de nos écoles », assure Alain Sarfati, président du bureau du Geipi Polytech. Un tiers des candidats, ceux dont le dossier est en haut de la pile, sont convoqués à un oral. Les deux autres tiers passent un écrit avec deux épreuves, une de mathématiques, une de physiquechimie, calquées sur le programme du bac. « Des prépas privées proposent des entraînements aux bacheliers. Aucune n’est reconnue par Geipi Polytech. Une bonne maîtrise du programme du bac et nos annales suffisent à réussir le concours », estime Alain Sarfati. D’autres banques d’épreuves existent, comme le concours Puissance 11 qui donne accès à douze écoles d’ingénieurs postbac ou encore le concours Alpha qui en regroupe sept. Une douzaine d’établissements préfèrent conserver leur indépendance et garder leur propre mode de recrutement. A vérifier avant de faire son choix : les équivalences délivrées par les établissements. « Certaines écoles n’en ont pas. Si l’élève abandonne en cours de route, il doit reprendre ses études à bac +1 », explique Elisabeth Devals. Le taux d’insertion des diplômés sur le marché du travail est un autre élément de comparaison entre les écoles à regarder de près. p angèle guicharnaud Concours | 0123 Jeudi 28 janvier 2016 En école de commerce, l’oral fait toute la différence V l’approche de l’entretien – est important », conseille Elian Pilvin, directeur du développement de l’EM Normandie et membre du jury, pour qui « le gros facteur discriminant est le niveau de langue ». « L’oral doit être abordé comme un entretien d’embauche. Les trois premières minutes sont les plus importantes. L’élève doit emmener le jury dans une zone de confort et orienter le choix des questions sur des sujets qu’il maîtrise. Réciter son CV ou un discours appris sur le bout des doigts est contre-productif. Le jury est attentif à l’ambition du candidat, au savoir-vivre et à sa curiosité. Il ne s’agit pas de noter son niveau d’expertise dans un domaine », explique-t-il. « Un entretien d’admission, ça se prépare autant que les écrits ! » prévient Geneviève Poulingue, professeure de management et directrice du programme grande école à la Skema Business School. Le jury demande aux élèves d’imaginer leur carrière dix ans plus tard, sous la forme d’un CV projectif : « Il s’agit de vérifier s’ils se sont renseignés sur les spécificités de l’école. Ce n’est pas nous qui allons créer leur projet professionnel. C’est à eux d’être acteurs de leur formation, sinon le diplôme ne servira à rien sur le marché du travail. » Pas question d’arriver à l’oral avec un projet ficelé, mais il faut montrer au jury qu’une réflexion est engagée. A l’Essec, un test d’aptitude en mathématiques sous forme de QCM compte pour un tiers de la note d’oral (coefficient 10). « L’idée est de pouvoir évaluer | Olivier Thual, président du concours commun polytechnique, filière maths-physique, en présente les épreuves, accessibles et « sans pièges » entretien O livier Thual est professeur à l’INP de Toulouse et président du concours commun polytechnique (CCP), filière maths-physique. la capacité et la rapidité de raisonnement en mathématiques, en français et en culture générale. Il est conçu pour que les étudiants ne puissent pas le terminer. La sélection se fait sur les mathématiques », assure Anne-Claire Pache, directrice générale adjointe en charge de la grande école et des masters à l’Essec. « Cet exercice nécessite un entraînement régulier et chronométré. Il ne s’agit pas d’apprendre par cœur mais d’en comprendre la logique. » Ensuite, l’entretien de personnalité, d’une durée de quarante-cinq minutes, éprouve la motivation et l’aisance orale du candidat. « Il ne faut pas exagérer ses engagements ou embellir la réalité. Le but est de montrer son potentiel de management. Pourquoi pas à travers des expériences ratées et les enseignements qu’on en a tirés. La capacité à apprendre de ses erreurs est un plus », dit-elle. « Des journées gratuites de formation à l’écrit et à l’oral sont organisées dans la plupart des écoles, indique Christian Chenel, directeur des programmes de Novancia Business School et délégué général du concours Atout +3, qui regroupe huit écoles de commerce post-bac. C’est l’occasion de se renseigner sur les coefficients de chaque épreuve, différents selon les écoles, pour savoir sur quoi mettre l’accent. Des sujets types sont disponibles en ligne. S’y intéresser en amont permet d’être plus serein le jour J et de mettre en avant cette démarche lors de l’entretien. » p Peut-on réussir sans être une « bête à concours » ? Il faut bien connaître le corps du programme et s’entraîner. Pour celui qui travaille de cette façon, il n’y a pas d’exercices difficiles, ni de pièges. Le concours commun polytechnique de la filière maths-physique, par exemple, sélectionne 1 000 candidats sur quelque 7 000 qui s’y inscrivent en moyenne. Parmi eux, 4 500 sont admissibles à l’oral, soit environ 70 %. Mais seuls quelque 4 000 se présenteront, certains préférant se concentrer sur d’autres concours. Sur ces 4 000, 3 000 auront une proposition d’une école plus prisée, obtenue par un autre concours, ou décideront de refaire un an de prépa. Donc, quand on arrive à l’oral – et on a 7 chances sur 10 d’y parvenir –, on est quasiment certain d’avoir une proposition d’école. On manque d’ingénieurs en France : pour les élèves sérieux, et motivés, déjà passés par la prépa, il y a de la place ! Comment les écoles choisissent-elles leurs étudiants ? Le classement détermine le choix. Les élèves établissent une liste de vœux hiérarchisés avant les épreuves. Par la suite, ils ne peuvent plus en modifier l’ordre, maxime françois 12 Grandes Écoles de Management |5 « Sept chances sur dix de réussir » Les candidats négligent trop souvent l’entretien. Cette épreuve peut pourtant départager les concurrents sur la ligne d’arrivée oici un chèque de 100 000 euros. Vous n’avez pas le droit de faire d’investissements spéculatifs, pas de placements, pas de voyages. Que faites-vous avec cet argent ? » La question a été posée à Rémi, 20 ans, lors de son oral d’admission à la Kedge Business School. Le jeune homme ne s’y attendait pas et a préféré rendre le chèque aux membres du jury. Ce type de question a de quoi surprendre des élèves jusqu’alors concentrés sur les écrits, qui constituent les premiers groupes d’épreuves des différents concours, qu’il s’agisse des écoles accessibles après une classe préparatoire, regroupées majoritairement dans la banque commune d’épreuve (BCE) et Ecricome, tout comme les écoles postbac, via les concours Sésame, Accès, et Atout +3, ou sur titre (Passerelle 1 et 2). Et c’est là que le bât blesse, puisque, peu ou prou, selon leur filière, ils suivent tous la même formation pour les écrits. « Pourquoi notre école plutôt qu’une autre ? Dans quel secteur voulez-vous travailler ? Si vous aviez une baguette magique, avec qui aimeriez-vous dîner ? Comment êtes-vous perçu dans un groupe ? » Autant de questions auxquelles il faut se préparer. « 90 % des élèves sèchent dès qu’on leur demande de citer trois ministres du gouvernement. Ils sont souvent déconnectés du monde qui les entoure après deux ans en prépa ou une année de terminale à réviser le baccalauréat. Lire les journaux régulièrement – et surtout à UNIVERSITÉS & GRANDES ÉCOLES comme pour APB. Les écoles n’ont pas d’autre choix que d’accepter les étudiants classés – sachant que la barre d’admissibilité est fixée par les 33 écoles. Elles ont aussi toutes les mêmes coefficients. En revanche, les écoles en banque d’épreuves pondèrent les notes comme elles le souhaitent. Comment se démarquer ? Nul besoin de se démarquer ! Les CCP ne cherchent pas les candidats exceptionnels qui, de toute façon, iront dans les quelques écoles qui leur sont réservées. L’objectif est de s’assurer que ceux qui sont sélectionnés ont les capacités de réussir leur scolarité dans les écoles d’ingénieurs – toutes de bon niveau – qu’ils intégreront. Les épreuves sont conçues pour récompenser des coureurs de fond plutôt que des sprinteurs, des connaissances solides plutôt que des performances atypiques, et ce dans toutes les matières. Les sciences humaines par exemple – français, philosophie, langue – comptent autant que le reste. Toutefois, depuis 2013, on évalue davantage les compétences telles que la communication ou la recherche d’informations dans des documents. Il y a une note par compétence, ce qui permet, d’après les correcteurs, d’évaluer plus justement et de bien cerner les qualités des candidats. Ainsi, on notera mieux quelqu’un qui sait très bien expliquer sa démarche, même s’il n’a pas parfaitement réussi ses exercices. p propos recueillis par erwin canard 12 voies de réussite Bac +2/3/4 DIplôME vIsé GraDE MastEr +,)%$! - !'," (%" &$'#*(" Intégrez une Grande Ecole de Management Dimension internationale formation d'excellence Proximité avec les entreprises Crédit photo : Alexis Cheziere’ Un Concours commun pour 12 Grandes Ecoles de Commerce Ý EDC PARIS buSInESS SChool Ý GRouPE ESC DIJon-bouRGoGnE Ý EM noRMAnDIE Ý GRouPE ESC TRoYES Ý EM STRASbouRG Ý MonTPEllIER buSInESS SChool Ý ESC lA RoChEllE Ý noVAnCIA buSInESS SChool PARIS Ý ESC PAu Ý REnnES SChool of buSInESS Ý GREnoblE EColE DE MAnAGEMEnT Ý TÉlÉCoM ÉColE DE MAnAGEMEnT ‘Crédit photo : Télécom Ecole de Management’ Inscriptions jusqu'au 21 mars 2016 Epreuves écrites le 6 avril 2016 Informations et inscriptions sur : www.passerelle-esc.com 6| UNIVERSITÉS & GRANDES ÉCOLES | Concours 0123 Jeudi 28 janvier 2016 De nouveaux dispositifs pour limiter les échecs en médecine Dix universités expérimentent des voies qui permettent de contourner l’écueil de la première année commune aux études de santé (Paces). Et d’intégrer la deuxième année sans passer le concours T rop formatée, véritable usine à gaz qui laisse sur le carreau 78 % de candidats, la première année commune aux études de santé (Paces) est sous le feu des critiques depuis quelques années. Elle n’est plus un passage obligé : dix universités (Angers, Paris-V, Paris-VII, Paris-XIII, Rouen, Saint-Etienne, Strasbourg, l’université d’Auvergne, Poitiers et Tours) expérimentent des alternatives à la Paces, qui seront évaluées en 2019-2020. Objectif : créer des passerelles pour entrer directement en deuxième année d’études de santé, sans concours, à l’issue par exemple d’une licence. Le but est de diversifier le profil des étudiants reçus en deuxième année de médecine, pharmacie, odontologie et maïeutique, et d’offrir une alternative aux recalés. Sans renoncer à l’excellence. A Strasbourg, à la rentrée 2015, en parallèle de la Paces, la faculté de médecine a créé une « passerelle d’excellence » pour permettre à des étudiants qui ont validé une deuxième année de licence (L2) sciences du vivant d’intégrer une deuxième année d’études de médecine, maïeutique, odontologie, tandis que les titulaires d’une L2 de chimie peuvent pré- tendre à une deuxième année de pharmacie. Mais les places sont limitées : en médecine, 15 places sur les 232 imposées par le numerus clausus sont réservées à cette passerelle. Et 31 sur 122 en pharmacie. « La sélection se fera sur dossier puis entretien : seuls les meilleurs pourront être recrutés », prévient Izzie-Jacques Namer, président de la commission pédagogique du premier cycle. Ceux qui auront connu un premier échec au concours à l’issue d’une année de Paces – que l’on ne peut passer que deux fois – mais qui auront obtenu la moyenne aux épreuves pourront aussi rejoindre le dispositif. « On veut absolument que les étudiants aient un diplôme, pour mettre fin à la “boucherie” de la Paces », explique le professeur Arnaud Ducruix, responsable du projet Alter Paces mis en place à Paris-V, Paris-VII et Paris-XIII à la rentrée 2014. Ce dispositif va plus loin que celui de Strasbourg : il permet aux meilleurs étudiants issus de n’importe quelle licence de ces trois facultés de rejoindre une deuxième année d’études de santé, après avoir suivi des modules complémentaires à leur formation d’origine. En septembre 2015, les neuf étudiants qui ont intégré, sur dossier et après entretien, une deuxième année au sein de ces facultés étaient tous issus de licences de biologie-santé mais, dès la rentrée, ils pourront venir d’horizons aussi variés que le droit ou la psychologie. Une cin- « Le concours sélectionne des jeunes brillants, mais dont les profils manquent de diversité » Jean-Luc Dumas doyen de l’UFR santé de Paris-XIII #"2#. -., Stages intensifs pour obtenir le Bac S, ES et L avec menion !,(*%,*! #$ #."(! Stages et cycles coninus pour la préparaion au concours &.!0*" !,(*%,*! #$ Stages et cycles de préparaion au concours ,$%,$/"! +*! (*# +* "2)($% Stages intensifs indépendants et complémentaires #"2#. ,*'!. Stages intensifs et cycles coninus pour la préparaion au concours quantaine d’étudiants suivent cette année des modules complémentaires dans l’espoir d’être sélectionnés. « Nous voulons ouvrir le recrutement car le concours sélectionne des jeunes certes très brillants, mais dont les profils manquent de diversité, et ne correspondent pas toujours à la grande variété des métiers de la santé qu’ils exerceront », observe Jean-Luc Dumas, doyen de l’UFR santé de Paris-XIII, qui souhaite, à terme, ouvrir 30 % des places de deuxième année à des étudiants sélectionnés par ce mode de recrutement dans sa faculté. Guillaume Leydier, en deuxième année à la faculté de médecine de Saint-Etienne, a bénéficié du même dispositif, après trois ans de prépa, un échec au concours de vétérinaire et une licence de biologie. Une aubaine : « Je rêvais de faire médecine, mais je ne me voyais pas repartir en première année, en prenant le risque de me retrouver sans rien si j’échouais au concours », explique-t-il. A Angers, la Paces a même été supprimée. Elle a été remplacée par « PluriPASS », un parcours pluridisciplinaire d’accès à la deuxième année d’études de santé, mais aussi à des licences dans le domaine des sciences de la vie et des sciences humaines, et même à des écoles d’ingénieurs. « Cette voie d’accès unique permet une spécialisation progressive et a pour objectif de conduire un maximum d’étudiants à une licence, sans faire perdre de temps aux recalés en deuxième année d’études de santé », dit Isabelle Richard, doyenne de la faculté de médecine d’Angers. Après avoir échoué au concours l’an dernier, Maxime Corre s’est inscrit en PluriPASS cette année. « C’est une bonne chose de permettre aux étudiants d’avancer malgré l’échec », estime le jeune homme, qui espère intégrer une école d’ingénieurs s’il n’accède pas à médecine. p françoise marmouyet A Bobigny, une classe prépa santé unique en France (+1)+,)/5&13 $ "#5.054#5%'5*2 $ /(-6,!(+1)+,)/5&13 *.'$& "!+- ,+')(.%# Une prépa unique en France a été lancée en 2012 par l’université Paris-XIII, à Bobigny. L’année préparatoire aux études de santé (APES) accueille les bacheliers du département désireux de passer le concours de la Paces. « Il s’agit de préparer des jeunes qui ne sont pas issus d’un milieu favorisé en leur donnant toutes les chances de réussir », explique Brigitte Martin-Pont, responsable du dispositif. Le but est également, à terme, de lutter contre la désertification médicale en Seine-Saint-Denis, en recrutant des candidats locaux dont on espère qu’ils exerceront dans le département. Une quarantaine d’étudiants ont fait leur rentrée en 2015, encadrés par 30 enseignants – contre 60 pour les 1 200 étudiants de Paces à Paris-XIII. Au programme : remise à niveau, découverte des matières médicales et des métiers de la santé, acquisition de méthodes de travail… A ce jour, deux étudiants du dispositif ont réussi le concours de la Paces, quelques autres se sont engagés dans le paramédical. Grâce à un système de passerelles, ceux qui valident leur année peuvent aussi intégrer des cursus de l’UFR santé, médecine et biologie humaine (SMBH) de Paris-XIII. Repères Le numerus clausus est le nombre de candidats admis en deuxième année d’études de santé (médecine, odontologie, pharmacie ou maïeutique). En 2014-2015, il était de 12 803 places pour 58 567 étudiants inscrits en première année. Seuls 22 % d’entre eux ont donc accédé à l’une de ces quatre filières. Les pays européens qui n’appliquent pas le numerus clausus attirent les étudiants Français, rebutés par le taux d’échec très élevé à un concours auquel ils ne peuvent se présenter que deux fois. Environ 1 100 d’entre eux étaient inscrits en Roumanie pour l’année 2014-2015. La Belgique et l’Espagne sont également des destinations prisées. Les épreuves classantes nationales (ECN) déterminent les affectations en tant qu’interne à l’issue de la sixième année de médecine. Les candidats munis d’un diplôme européen sont autorisés à les passer en France. En 2015, ils étaient 349 sur 9 148 inscrits. Seuls 213 d’entre eux (soit 61 %) ont finalement choisi un poste dans l’Hexagone. Concours | 0123 Jeudi 28 janvier 2016 UNIVERSITÉS & GRANDES ÉCOLES |7 Profs : une sélectivité à géométrie variable Les concours d’enseignement sont inégalement sélectifs. Le recrutement fluctue en fonction des impératifs du moment, des disciplines ou des académies L es concours enseignants sont régulièrement soupçonnés de pâtir d’une baisse de niveau. Des rumeurs ont couru sur les exigences réduites des jurys, particulièrement ces dernières années, en raison de la crise du recrutement. Une chose est sûre : ces concours connaissent une sélectivité très variable suivant les époques. Les critiques sur le niveau en berne visent en fait deux groupes de concours. D’abord celui de professeur des écoles, dans les acadé- En Seine-SaintDenis en 2015, il a fallu un second concours pour pourvoir 500 postes de professeurs des écoles qui n’avaient pas trouvé preneur mies où l’on peine à recruter. A la différence de leurs collègues du secondaire, qui passent un concours national et peuvent être affectés partout en France, les enseignants du primaire passent des concours académiques et postulent dans un département. Or, les territoires sont très inégalement attractifs. Les académies de Rennes ou de Nice sont prisées, celles de Créteil ou de Reims boudées. En Seine-Saint-Denis, le département le plus pauvre et le plus jeune de France, rattaché à l’académie de Créteil, il a fallu organiser un second concours en 2015 pour arriver à pourvoir tous les postes : 500 n’avaient pas trouvé preneur à l’issue du concours « normal ». La ministre de l’éducation, Najat Vallaud-Belkacem, s’est ensuite félicitée du « bon niveau de recrutement » des 500 nouveaux reçus. Mais cela n’a pas éteint les craintes d’une notation trop indulgente. « Il est impossible de tirer des conclusions tranchées, estime Stéphane Crochet, chargé de ces questions au syndicat SEUNSA. Des candidats recalés de Bordeaux ou de Toulouse sont venus passer le second concours de Créteil. Or, ces académies sont extrêmement sélectives, et certains avaient un meilleur niveau que des reçus au concours “normal” de Créteil. » En 2015, selon les statistiques officielles, 63,8 % des candidats ayant concouru aux épreuves d’admission ont été reçus à Créteil, contre 27 % à Bordeaux et 22,3 % à Toulouse. Les autres concours visés sont, dans le secondaire, les capes des disciplines souffrant d’une crise de vocations. Il s’agit avant tout des mathématiques, dont les étudiants privilégient des débouchés jugés plus prometteurs, et dans une moindre mesure de l’anglais, de l’allemand, ou des lettres classiques. En maths, des candidats seraient admissibles avec des notes très basses. Il n’est toutefois pas sûr que les jurys soient si laxistes : les enseignants du secondaire sont très attachés à leur discipline et on les voit mal brader les concours. En 2014, 41 % des postes en maths sont d’ailleurs restés vacants. Historien de l’éducation, Claude Lelièvre juge absurde de parler de « baisse de niveau ». « Il y a encore dix ans, rappelle-t-il, avant la ré- forme qui a fait obligation aux profs des écoles d’avoir un master comme dans le secondaire, ils étaient recrutés au niveau licence. Comment évoquer une baisse de niveau s’ils ont un diplôme bac + 5 ? » Au fil des ans, la sélectivité des concours n’a cessé de varier au gré des impératifs du moment, poursuit l’historien : « Lorsque l’Etat décrète que 80 % d’une classe d’âge ira jusqu’au bac, il recrute en masse des profs du secondaire. Deux ans plus tard, c’est fini. » Mais il insiste sur la raison d’être de ces concours : ils ont été créés pour empêcher tout favoritisme de la part des chefs d’établissement. « Et là, ça fonctionne », ajoute-t-il. p véronique soulé Touche pas à l’agrég L’agrégation, qui fête cette année ses 250 ans, est au cœur d’une polémique. Le 13 novembre 2015, le secrétaire d’Etat chargé de l’enseignement supérieur et de la recherche, Thierry Mandon, a annoncé son intention de réserver jusqu’à 15 % des places aux titulaires de doctorat à l’issue d’un concours qui leur serait réservé. Le gouvernement souhaitait s’engager ainsi à améliorer l’insertion des docteurs, malaimés en France, où les entreprises, mais aussi la fonction publique, préfèrent les diplômés des grandes écoles. Le secrétaire d’Etat s’est cependant heurté à un tir de barrage de la part des syndicats enseignants et de la société des agrégés. Certains craignent que ces 15 % ne réduisent d’autant le nombre des postes proposés par la voie classique. D’autres déplorent le fait que ces futurs agrégés venus de l’université n’auront jamais appris à enseigner. TINO www.en3s.fr Demain avec nos équipes, nous assurerons chaque année la collecte des cotisations L’AVENIR DE LA PROTECTION SOCIALE SE DESSINE AVEC VOUS 226 603 entreprises Six épreuves écrites, six épreuves d’admission, dont un entretien face à un jury de sept personnes : le recrutement de l’Ecole nationale de la magistrature a de quoi donner des sueurs froides D ifficile de faire des impasses. Droit civil, droit pénal, compositions, cas pratiques : toutes les branches du droit sont abordées. « Aucun cours de droit n’est dispensé dans l’école, donc il faut que ces matières soient maîtrisées en amont du premier concours, celui qui est réservé aux étudiants titulaires au moins d’un master 1 en droit », explique Xavier Ronsin, directeur de l’Ecole nationale de la magistrature (ENM). La composition de culture générale est l’épreuve la plus redoutée pour l’admissibilité. « Les étudiants en droit n’y sont pas habitués », constate Pascale Martin-Bidou, directrice des études en charge de la préparation à l’ENM au sein de l’Institut d’études ju- « Nous cherchons de belles personnalités, des gens qui peuvent faire preuve d’empathie, d’écoute » Xavier Ronsin directeur de l’Ecole nationale de la magistrature diciaires (IEJ) de l’université Paris-II (Panthéon-Assas). Cette dissertation permet de jauger la capacité des candidats à interroger le thème proposé. « Ce n’est pas tant la réponse qu’une façon de penser qui va être évaluée. Il faut éviter les poncifs, bien problématiser et faire preuve d’une réflexion originale », précise Xavier Ronsin. Pour rassurer ses 300 étudiants, l’IEJ de Paris-II y consacre six heures hebdomadaires. « Nous avons aussi ajouté cette année un cours de géopolitique, car le rapport du jury faisait état du manque de connaissances des candidats dans ce domaine », ajoute Pascale Martin-Bidou. L’IEJ a également innové dans la préparation à l’épreuve orale. Depuis deux ans, une comédienne dispense des cours de communication aux étudiants. « C’est une façon de leur donner confiance en eux pour qu’ils soient le plus naturels possible », assure Pascale Martin-Bidou. Le jury, composé de sept personnes dont un psychologue, évalue le savoir-être des candidats au cours d’entretiens individuels et collectifs. « Nous cherchons de belles personnalités, des honnêtes hommes et femmes du XXIe siècle qui peuvent faire preuve d’empathie, d’écoute, des qualités essentielles pour être en contact avec les victimes et les prévenus », souligne Xavier Ronsin. Depuis 2009, les candidats doivent également se soumettre à un test d’aptitude et de personnalité sous forme de QCM ainsi qu’à un rendez-vous avec un psychologue. Ce dernier émet un avis qui aide le jury à apprécier la personnalité des candidats. Pour préparer le concours d’entrée à l’ENM, les étudiants ont l’embarras du choix. Aux 47 IEJ de France, s’ajoutent trois prépas « égalité des chances » proposées par l’ENM et deux formations dispensées par les instituts d’études politiques (IEP) d’Aix-en-Provence et de Paris. De nombreuses prépas privées existent également. « Des formations chères et de niveau très variable », estime le directeur de l’ENM. Certains candidats cumulent IEJ et prépa privée, avec le risque de « s’essouffler avant l’arrivée, prévient Pascale MartinBidou. Cela permet de multiplier les entraînements, mais ne laisse pas toujours le temps de réviser les connaissances. » Point positif pour les candidats : depuis 2012, chaque année, davantage de places sont ouvertes. Le nombre d’admis au premier concours est passé de 153 en 2011, à 181 en 2012 et 245 en 2015, dans le plan de lutte contre le terrorisme. Avec 366 admis tous concours confondus (y compris celui réservé à la fonction publique et celui destiné aux personnes ayant plus de huit années d’expérience professionnelle dans le privé), la promotion 2016 est la plus importante depuis la création de l’école, en 1958. Mais le concours reste sélectif : 11,67 % des candidats ont été admis au premier concours en 2014. p angèle guicharnaud auprès de de notre région. DEVENEZ DIRIGEANT DE LA PROTECTION SOCIALE Virginie, Mathieu, Aurélien, Laurène, Justine et Yoann, élèves de la 54e promo de l’EN3S, futurs dirigeants au sein des URSSAF Des métiers à la hauteur de vos valeurs Inscriptions du 13 janvier au 31 mars 2016 Informations et inscriptions en ligne www.en3s.fr/concours-d-entree/ Suivez l’actualité de l’EN3S sur les réseaux sociaux Faites comme eux, inscrivez-vous au concours d’entrée EN3S 2016 Source : rapport d’activité 2013 URSSAF Rhône-Alpes • © photo : CEG Studio • Le marathon du concours de la magistrature 8| UNIVERSITÉS & GRANDES ÉCOLES | Concours 0123 Jeudi 28 janvier 2016 TINO Des prépas privées, pour quelle utilité ? La multiplication des concours s’accompagne d’une prolifération d’offres de préparation. Le plus souvent privées… et onéreuses D ans le sillage des concours donnant accès à une multitude de formations, les prépas privées se répandent à toute vitesse. Si certaines d’entre elles sont bâties sur le modèle des classes préparatoires aux grandes écoles à temps plein, d’autres se contentent de proposer un « soutien » ponctuel ou quelques heures de cours par semaine. « Ces organismes sont de plus en plus actifs, confirme Isabelle Auber, conseillère chez Fabert, un centre d’orientation qui propose aussi un moteur de recherche des établissements privés – lequel recense des centaines de « préparations » aux examens et concours, et ce dans tous les domaines. Partout où la sélection est draconienne, les “prépas” s’imposent. C’est un marché en pleine croissance, dont l’émergence répond à l’inquiétude des parents, mais aussi à la diversité accrue des modes de sélection. » Ces prépas sont toutes payantes, et parfois très chères. Pour une formule à temps plein, il faut compter en général autour de 5 000 euros par an. Mais certains cours intensifs peuvent facilement dépasser les 10 000 euros, voire 12 000 euros annuels. Certains candidats n’hésitent pas à cumuler prépa privée et cours du soir – par exemple pour viser les écoles de commerce les plus cotées. L’addition totale peut alors atteindre plusieurs dizaines de milliers d’euros par an… « En France, le principe du concours est bien accepté, parce qu’il est paré des vertus de la méritocratie, analyse le sociologue François Dubet. Mais il débouche sur un essor des prépas privées qui, elles, n’ont rien de méritocratique. Même si elles coûtent cher, on se dit que le jeu en vaut la chandelle… Ce phénomène participe de la privatisation rampante de Pour une formule à temps plein, comptez environ 5 000 euros annuels. Mais certains cours intensifs dépassent les 12 000 euros l’enseignement supérieur. Il existe aujourd’hui un nombre croissant de formations privées, qui génèrent à leur tour des prépas privées. Mais comment critiquer leur existence si, de son côté, le secteur public ne propose pas une formation de qualité ? Au bout du compte, cela pose la question du financement de l’éducation. » La vogue de ces « prépas » est tout particulièrement marquée pour l’accès à deux domaines : la fonction publique (métiers de bibliothécaire, de travailleur social, etc.) et le secteur de la santé. En ce qui concerne les études de médecine, il devient même très difficile d’en entreprendre sans passer par une prépa. Des prép art La prépa privée aux écoles d’art publiques Préparez en un an les concours des grandes écoles d’Art, d’Architecture, de Bd/Animation, de Cinéma, de Design, de Graphisme… Portes Ouvertes Paris / Toulouse Samedi 6 et Dimanche 7 février de 10h à 18h. Exposition de travaux d’étudiants, informations sur les écoles supérieures d’art... 0.#0(.,/". 8,('45--#3#2, $%#2-#5!2#3#2, -*0:.5#*. 0.5): 4:!(4#3#2, 1*)#., (*0.6- $* +#&,1.(,/ établissements spécialisés, comme Médisup, ont pris position sur ce créneau, avec une large gamme de programmes. Certaines écoles d’infirmiers ont même monté leur propre cycle préparatoire. Le groupe Ecole supérieure de commerce (ESC) Troyes, par exemple, propose une série de prépas santé et social, pour les concours d’entrée dans les écoles de psychomotriciens, d’orthoptistes, d’audioprothésistes, de podologues ou de travailleurs sociaux. « Le plus souvent, ces écoles n’offrent que quelques dizaines de places pour des milliers de candidats. La sélection y est donc draconienne, explique Christine Vitalis, la directrice des prépas santé-social du groupe. Mais elles délivrent un diplôme d’Etat et garantissent un emploi quasi assuré à la sortie. Aussi attirent-elles un grand nombre de jeunes. » Sans compter que, si cette formation est payante (autour de 3 700 euros pour le paramédical à l’ESC Troyes), les écoles d’infirmiers et de travailleurs sociaux, elles, sont publiques et gratuites. N’importe qui peut aujourd’hui ouvrir sa prépa, à peu près sans contrôle. A côté de structures ayant pignon sur rue, d’autres se lancent parfois sans aucun élève, ou n’offrent aucune garantie… A l’ESC Troyes, les prépas santé et social, toutes à plein temps, affichent des taux de réussite bien supérieurs à la moyenne nationale. « Nous bénéficions d’une solide notoriété dans le secteur, grâce à notre ancienneté », assure Christine Vitalis. « Dans l’ensemble, les abus sont rares, estime de son côté Isabelle Auber. De toute façon, si le taux d’admission n’est pas à la hauteur, cela se sait très vite. » Quelques institutions publiques tentent cependant de prendre contre-pied de la tendance. Ainsi l’Ecole nationale de la magistrature (ENM) a-t-elle lancé des prépas « Egalité des chances », entièrement gratuites, à Paris, à Bordeaux et à Douai. « C’est une façon de rester fidèles à nos valeurs d’école républicaine, souligne Xavier Ronsin, le directeur de l’ENM. Pour un concours qui sélectionne de futurs juges et procureurs, il est normal que les lauréats présentent la même diversité que la population – sur le plan social comme sur celui des territoires. » Ces cursus accueillent au total 45 élèves – 6 places sont en outre réservées à des candidats de Nouvelle-Calédonie et de Guyane. Le taux de réussite (plus de 20 %) au « premier concours », réservé aux étudiants, est largement supérieur à celui des prépas privées et des instituts d’études juridiques (IEJ) créés par les universités. La même démarche a aussi été tentée par l’Ecole nationale de l’administration (ENA) – avec un succès tout mitigé : seuls quelques candidats ont intégré l’école, mais plusieurs dizaines d’entre eux ont réussi un autre concours de la fonction publique. Ce type de dispositifs ne suffira pourtant pas à inverser la tendance. « Un nombre croissant d’étudiants, soucieux de mettre toutes les chances de leur côté, se croient obligés de s’inscrire en même temps dans un IEJ et dans une prépa privée, déplore Xavier Ronsin. On aboutit ainsi à une forme de sélection par l’argent. Sans compter que, si la plupart de ces “prépas” font du bon travail, d’autres, même cotées, sont à la limite de l’escroquerie. » p jean-claude lewandowski « J’ai eu le regard critique qui me manquait » MARIANNE MAUCLAIR, étudiante de 19 ans, explique son choix d’une prépa publique d’arts appliqués à Saint-Brieuc. « Après avoir obtenu mon bac en arts appliqués, j’ai effectué une année d’études à l’université Rennes-II en arts plastiques pour rentrer aux Beaux-Arts de Bretagne. A la fin de l’année scolaire, j’ai passé les concours sans succès. Mais, lors de l’oral, le jury m’a conseillé de faire une année de prépa. Cette même année, des amis ont réussi à intégrer des écoles après une année de prépa. Tout cela m’a décidée à postuler. J’ai envoyé mon dossier à la prépa de l’école des Beaux-Arts Emile-Daubé, à Saint-Brieuc. J’ai été sélectionnée pour l’oral. Il s’agit avant tout d’une discussion sur nos travaux personnels et sur nos centres d’intérêt. J’ai notamment pu parler du fait que j’avais fait du bénévolat dans des festivals. L’essentiel est de faire sentir que l’on est curieux et ouvert. Il faut aussi montrer qu’on a un projet professionnel en tête, et qu’on a une idée des écoles que l’on souhaite intégrer à la fin de l’année. C’est mieux d’y avoir réfléchi, même s’il reste possible de changer d’avis en cours de formation. Grâce aux cours pratiques très variés que nous suivons par demi-classe (sculpture, modelage, gravure, techniques photographiques…), j’ai fait des progrès impressionnants. Quand je regarde mes travaux de septembre et ceux d’aujourd’hui, je me rends compte que cela n’a rien à voir. Bilan trimestriel La prépa, c’est aussi un suivi personnalisé. Chaque semaine, avec quatre autres élèves et un professeur, nous discutons du projet individuel que nous menons tout au long de l’année. C’est l’occasion de prendre de la distance avec son travail et de réfléchir à de nouvelles approches. Comment aller plus loin ? Comment y intégrer une autre technique ? C’est justement ce regard critique, ce recul qui me manquait l’année précédente, quand je préparais les concours seule. Chaque trimestre, nous faisons également un bilan devant des professeurs et un artiste invité pour l’occasion. C’est un très bon entraînement à l’épreuve orale. On a beau avoir un superbe projet, si on ne sait pas le présenter, le défendre, l’expliquer, on perd des points. Des artistes viennent également dans le cadre d’ateliers. Pendant trois jours, ils nous font travailler sur un thème particulier. C’est intensif mais très riche. Cela peut ressembler aux mises en situation parfois demandées lors des concours. En ce qui concerne le choix d’une école, nos professeurs nous aident à nous orienter. Les rencontres avec des artistes qui enseignent dans d’autres écoles des Beaux-Arts sont également des occasions de leur poser des questions sur ces établissements, leurs spécialités, leurs méthodes pédagogiques. J’ai aussi visité quelques écoles pour être sûre que l’ambiance me plaît. La plupart des Beaux-Arts ont leur propre concours, il ne faut pas trop se disperser. Après avoir étudié l’offre de différentes écoles, j’ai choisi de passer cinq concours cette année. Principalement pour entrer dans des écoles publiques, qui offrent beaucoup de possibilités. Elles sont de bon niveau et restent abordables du point de vue financier. » p propos recueillis par angèle guicharnaud Concours | 0123 Jeudi 28 janvier 2016 UNIVERSITÉS & GRANDES ÉCOLES |9 admissions parallèles : témoignages 2 100 euros de frais pour passer sept concours Se présenter aux épreuves revient parfois à faire le tour de France. Et la facture est lourde P asser les concours coûte cher. Roxane Baduel y a consacré un budget total d’« environ 2 100 euros », en 2014. Elle a passé les écrits dans trois écoles de commerce du concours Ecricome et dans treize des vingt-trois écoles de la banque commune d’épreuves (BCE). Les oraux, passés dans sept écoles de commerce d’autant de villes (Strasbourg, Paris, Montpellier, Rennes, Pau, Bordeaux et Dijon), lui ont fait faire « un véritable tour de France en train ». Sachant que certaines écoles offraient un repas et qu’elle a choisi des hébergements chez des étudiants des campus « en déplacement, en stage ou à l’étranger », qui lui ont loué leur chambre « 10 à 20 euros la nuit ». Logistique des jours J Rares sont les concours gratuits, hormis ceux de la fonction publique. Pour valider une candidature en écoles de commerce, d’ingénieurs, d’art ou de journalisme, il faut souvent s’acquitter de frais de dossier, qui couvrent – d’après les responsables des admissions – organisation des épreuves et correction des copies. Les tarifs varient beaucoup. Comptez 60 euros pour les trente écoles d’ingénieurs du concours Geipi-Polytech, 40 euros pour les Beaux-Arts de Nantes, 150 euros pour Sciences Po Paris et 315 euros (hors épreuves orales) pour les douze écoles de commerce du concours Passerelle. Pour la BCE (vingt-trois écoles), la facture dépend des établissements choisis. En cas de désistement, inutile d’espérer un remboursement. En revanche, les boursiers bénéficient de réductions, voire d’une exonération des frais d’inscription. Reste à prévoir la logistique des jours J. Certains instituts d’études politiques ont mutualisé leurs épreuves, ce qui permet de limiter les déplacements. Les instituts régionaux d’administration (IRA) organisent leurs écrits dans une vingtaine de centres. Une fois admissibles, les candidats devront toutefois se rendre dans l’un des cinq IRA choisis pour passer les oraux. Dans les écoles de commerce, cette étape peut se transformer en véritable marathon. Roxane Baduel, aujourd’hui à l’EM Strasbourg, ne le regrette pas. « Ce tour de France m’a permis de conforter mon choix en découvrant les campus et en rencontrant des étudiants. Nos profs de prépa nous conseillaient même de rester deux jours sur place pour avoir le temps de faire le point. » A condition d’anticiper, pour réduire la facture des hébergements. A condition aussi d’avoir des parents qui peuvent aider à la payer. p aurélie djavadi acoustique « Mes profs m’ont « Pour HEC, parlé de cette voie j’ai révisé à fond d’accès aux ENS » six semaines » « Les épreuves de l’X sont un peu déroutantes » Erkan Narmanli, 21 ans, a été admis sur dossier à l’Ecole normale supérieure d’Ulm en mathématiques en 2014 David Ouakil, 25 ans, est entré à HEC par le concours d’admission parallèle en 2015 Loïc Richier, 26 ans, entré à Polytechnique après une licence de maths, en est sorti major en 2013 Poussé par ses profs de terminale à s’inscrire en classe préparatoire, Erkan Narmanli ne s’y est pas plu. Après DR un an, ce passionné de maths a préféré se réorienter vers la fac. Mais ce choix ne lui a pas fermé la porte des grandes écoles. « A l’université Pierre-et-Marie Curie, des enseignants formés à Normale-Sup m’ont parlé des admissions sur dossier à Ulm et à Lyon. » Lors de son entretien à Paris, il a parlé de son envie de faire de la recherche et des sujets qui l’intéressaient. « Parmi les candidats, certains étaient déjà passés par deux ans de prépa. » A-t-il été difficile de trouver sa place dans la promotion ? « On m’avait dit que les premiers admis sur dossier n’avaient pas toujours été bien vus, et que ce n’était pas la voie royale. Mais ce n’est pas du tout ce que je vis, je suis très bien intégré dans l’école », assure Erkan. Pour preuve, il a été élu dès son arrivée au bureau des élèves. Et apprécie l’enseignement en phase avec les dernières avancées scientifiques. « A côté des cours en amphi, plus académiques, on participe à des travaux de recherche en groupe. Je m’amuse beaucoup », conclut-il. p a. dj. Créer son entreprise ? La perspective avait toujours fait rêver David Ouakil. Mais c’est durant ses études à l’Ecole nationale supérieure des DR arts et métiers, à Paris qu’il s’est mis à y penser sérieusement. « En m’investissant dans des associations du campus, j’ai réalisé que j’aimais mener des projets de A à Z, avec une certaine indépendance », raconte-t-il. Sur le modèle des conférences TED, il a organisé avec dix autres étudiants une grande rencontre avec des économistes et des personnalités du numérique. En dernière année, il a opté pour une spécialité en entrepreneuriat. Utile, mais « pas suffisant pour créer sa boîte dès la sortie de l’école ». Il a alors décidé de tenter sa chance au concours d’admission directe d’HEC. « J’ai révisé à fond pendant quatre à six semaines. En revanche, le format des épreuves ne m’a pas trop surpris car cela ressemblait aux oraux des écoles d’ingénieurs que j’avais passés en fin de prépa. » Comme tous les lauréats de cette voie d’admission parallèle, il a dû repasser des matières telles que statistiques ou comptabilité, à côté de son master. Un défi relevé sans stress. p a. dj. A l’heure du bac, Loïc Richier n’avait pas de projet précis. Peu tenté par une prépa, il opte pour une licence de maths à Nancy et commence DR à s’intéresser à la recherche. Et si Polytechnique lui offrait un tremplin vers ces carrières ? Ses profs lui soufflent l’idée et l’aident à préparer le concours réservé aux universitaires, en parallèle des cours et des partiels. « Les épreuves sont un peu déroutantes car on n’est pas habitué à passer des oraux à la fac », dit-il. Sceptique sur ses chances de réussite, ce passionné de probabilités postule dans d’autres programmes universitaires. Mais c’est bel et bien à l’X qu’il fait sa rentrée en 2010. « Il m’a fallu reprendre des matières comme la physique, ce qui ne m’enchantait pas au départ, mais j’en ai vite vu les bénéfices », assure-t-il. Malgré une différence de rythme entre la licence et la grande école, Loïc s’est accroché. Au point de sortir major de sa promotion en 2013 ! « De la qualité des cours aux infrastructures, j’ai bénéficié d’un environnement exceptionnel, et de beaucoup de conseils pour mes stages. » Aujourd’hui en deuxième année de thèse à l’ENS Lyon, il partage volontiers son expérience avec les étudiants en licence à Nancy. Pour les encourager. p a. dj. Concours commun à 30 Écoles d’Ingénieurs publiques post bac aéronautique agroalimentaire automobile biologie électronique énergie environnement finance génie civil informatique Terminales S logistique 2 800 places matériaux Terminales STI2D-STL 300 places mécanique optique santé télécoms topographie… Diplômes habilités par la Commission des Titres d’Ingénieur AgroSup et ESIREM à Dijon | EEIGM, ENSGSI et ESSTIN à Nancy ENIT Tarbes | ENSIM et ESGT au Mans | ESIROI La Réunion Esisar Valence | ISAT Nevers | ISEL Le Havre | ISTIA Angers ISTY Mantes-Vélizy | SupGalilée Paris | Télécom Lille Télécom Saint-Étienne | Les 13 écoles du réseau Polytech : Annecy-Chambéry, Clermont-Ferrand, Grenoble, Lille, Lyon, Marseille, Montpellier, Nantes, Nice Sophia, Orléans, Paris-Sud, Paris-UPMC, Tours. www.geipi-polytech.org 10 | UNIVERSITÉS & GRANDES ÉCOLES | Concours 0123 Jeudi 28 janvier 2016 Petit guide pour parents de candidats malheureux Que faire et que dire pour accompagner un adolescent qui n’a pas réussi ses concours ? Des spécialistes répondent CONCOURS COMMUNS 2016 L e couperet est tombé, le concours est raté. Si, pour le candidat, la pilule est dure à avaler, les parents se retrouvent eux aussi dans une situation délicate. Comment accompagner son enfant tout en restant à sa juste place ? C’est-à-dire ni trop près, au risque de l’étouffer, ni trop loin, au risque de lui donner le sentiment que sa déception leur importe peu. Une posture acrobatique, comparable « au moment de l’apprentissage de la marche : les parents doivent adopter une attitude présents-absents », analyse le Dr Jean-Philippe Gueguen, chef du service de psychiatrie des adolescents de l’hôpital Simone-Veil d’Eaubonne-Montmorency (Val-d’Oise). Pour le professeur Philippe Gutton, psychiatre et psychanalyste, fondateur de la revue Adolescence, le temps constitue un allié de choix dans le processus. « Rien ne sert de chercher à analyser l’échec à chaud, le jeune ne sera pas réceptif. Mieux vaut prendre du champ en partant quelques jours en vacances, par exemple. » Car, comme le souligne le professeur Daniel Marcelli, psychiatre et coauteur de L’Etat adolescent. Miroir de la société (Armand Colin, 2013), « le processus de renoncement demande au moins un à trois mois ». Ce temps de « deuil » offre l’occasion aux parents d’accueillir la tristesse de leur enfant. Il convient alors de faire attention à sa posture – une écoute affectueuse – comme aux mots choisis. « Il ne faut ni dramatiser la situation ni la minimiser, préconise Séverine Goudin, coach d’orientation et thérapeute. Le mot « Le mot “échec” me semble à proscrire tant il est lourd et définitif » Séverine Goudin coach d’orientation et thérapeute “échec” me semble à proscrire tant il est lourd et définitif. On ne parle pas d’un naufrage, mais d’une “non-réussite” à un instant T. » Puis vient le temps de la réassurance. Forcément ébranlé dans ses capacités, l’élève a besoin d’être rasséréné, d’autant que « certains échecs débordent le problème du moment », souligne Philippe Gutton, pour aboutir à une remise en cause générale. Car « le jeune peut être tenté de relire tout son parcours à l’aune de ce trébuchement. » Aux parents de mettre en exergue ses qualités pour aider à la restauration de l’estime de soi. « Ils peuvent aussi insister sur le fait – même s’il est difficile pour l’adolescent de l’entendre à ce moment-là – que cette expérience de vie est plus formatrice qu’un succès », suggère Séverine Goudin. Une fois les plaies pansées, on peut alors analyser les causes du « loupé ». Est-il dû à un manque de travail ? A une mauvaise gestion du stress ? Les parents aussi peuvent s’interroger : « Ce concours, est-ce vraiment le jeune qui désirait le passer ou bien plutôt eux ? » interroge malicieusement Daniel Marcelli. Il souligne que « de nombreux adolescents ne se sentent investis positivement que s’ils empruntent la voie choisie pour eux par leurs géniteurs ». Une fois la question de la motivation clarifiée, il convient d’élaborer un plan d’action. Repasser le (ou les) concours, ou bifurquer. Quelle que soit l’option choisie, « au jeune d’être moteur, tout en étant soutenu par ses parents. » Ni de trop loin, ni de trop près… p joséphine lebard Quand les étudiants craquent Le Relais étudiants lycéens de Paris propose un accueil psychologique et pédagogique spécifique pour les élèves surmenés P ENTREZ EN 1re ANNÉE SAM. 28 MAI 2016 Inscriptions du 4 fév. au 21 avr. 2016 ENTREZ EN 2e ANNÉE SAM. 19 MARS 2016 Inscriptions du 7 jan. au 25 fév. 2016 © www.pollenstudio.fr Renseignements et inscriptions www.sciencespo-concourscommuns.fr our Etienne, le déclic a eu lieu pendant un devoir. Elève en prépa lettres et sciences sociales au lycée Henri-IV à Paris, il a depuis quelque temps « des douleurs au ventre et au dos, des difficultés à dormir et à [se] concentrer, des notes catastrophiques, plus seulement en maths, mais dans toutes les matières ». Ce jour-là, il rend « carrément copie blanche ». Un enseignant lui parle alors du Relais étudiants lycéens de Paris qui propose, depuis plus de dix ans, un accueil psychologique et pédagogique spécifique aux étudiants de classes prépa surmenés. Pour Etienne, qui choisira finalement de « cuber » sa prépa puis d’entrer à Sciences Po Paris, l’accompagnement, limité habituellement à six séances, va s’étaler sur quatre ans. Comme lui, environ 250 élèves et étudiants poussent chaque année les portes du Relais étudiants lycéens de Paris, dans le 13e arrondissement, qui dépend de la Fondation santé des étudiants de France. Parmi eux, 30 % à 40 % viennent de prépas. Un chiffre à relativiser, compte tenu des quelque 15 000 élèves en prépa à Paris. Le relais entretient des relations avec les établissements les plus prestigieux de la capitale : Henri-IV, Louis-leGrand, Saint-Louis, Janson-deSailly, etc. Des établissements soucieux de leur image, mais également du bien-être de leurs élèves, soumis à de fortes exigences de rendement scolaire. « Dans 90 % des cas, ces jeunes arrivent devant notre équipe pluridisciplinaire [médecin, psychologue et enseignant] en disant “plus rien ne va”, sans pouvoir détailler davantage leur inconfort », commente le Dr Dominique Monchablon, psychiatre et chef de service du Relais. Troubles du sommeil, fatigue matinale, mala- dies à répétition, douleurs physiques, tristesse, isolement et, pour finir, absentéisme. Ces troubles anxieux et dépressifs, « s’ils ne veulent pas dire obligatoirement “dépression” », sont toujours pénalisants pour les performances scolaires. Ils entament les capacités de concentration, de mémorisation et de sens logique, dans une « spirale négative » du « je suis déprimé, donc lent ; j’ai de mauvais résultats, donc je prends sur mon temps de sommeil pour travailler ; je suis alors encore plus fatigué et lent, etc. » Hiérarchiser les priorités Rythme de travail soutenu, premières mauvaises notes pour des élèves habitués à être premiers de la classe, adaptation à la vie parisienne pour les provinciaux, pression de la famille : les raisons de décrocher sont multiples. Maladie, décès familiaux, difficultés amoureuses ou sexuelles, « le rythme de la prépa ne permet parfois pas d’absorber les péripéties de vie de tout un chacun », commente Christophe Ferveur, psychologue. Lors des entretiens, qui durent environ une heure, l’équipe s’attache donc à « montrer l’articulation » entre les difficultés scolaires rencontrées à un moment précis, ces « péripéties de vie », et les troubles psychologiques. Pour Etienne, la prise de conscience a été immédiate. « Dès la première réunion avec l’équipe, j’ai compris que mes difficultés scolaires et physiques étaient en grande partie liées. Mais aussi que j’avais petit à petit supprimé de ma vie tous mes loisirs », analyse-t-il aujourd’hui, à 25 ans. L’équipe est là pour aider l’élève à hiérarchiser les priorités, à comprendre si certaines activités abandonnées étaient nécessaires à son équilibre. Sans jamais remettre en cause la prépa en tant que telle, ni le projet de l’élève. « Nous travaillons surtout sur les représentations que l’individu a de la prépa, des concours, de la pression que lui met ou non sa famille », commente Catherine Brébant, psychologue. Pour l’amener à relativiser. Pour deux tiers des élèves, ces entretiens psychologiques, couplés à des ateliers pédagogiques avec un enseignant, suffisent à retrouver le chemin de la sérénité, voire des performances scolaires. Pour le tiers restant, ceux pour qui la prépa aurait révélé des fragilités psychologiques latentes, une stratégie thérapeutique extérieure peut être envisagée : relaxation, psychothérapie et, en dernier recours, traitement médicamenteux. p séverin graveleau Signaux d’alerte Fatigue Elle se manifeste sous la forme d’un sentiment d’épuisement quotidien, matinal, avec des réveils précoces. Douleurs physiques Troubles musculaires ou encore douleurs d’estomac persistantes peuvent avoir un impact important sur les résultats. Découragement Inquiétezvous si ce sentiment est profond, quotidien et durable. Absentéisme « Un élève de prépa qui choisit de rater un cours est un étudiant qui ne va pas bien », rappelle Dominique Monchablon, psychiatre. Perte du plaisir Elle peut concerner la vie scolaire, amicale, amoureuse ou familiale. Concours | 0123 Jeudi 28 janvier 2016 UNIVERSITÉS & GRANDES ÉCOLES | 11 Un système qui produit des perdants S’il est censé garantir justice et équité, le concours assure avant tout la reproduction sociale des élites, soulignent certains sociologues. L’excellence qu’il symbolise est définie de façon trop étroite L e concours est le joyau de la méritocratie scolaire à la française : anonyme, avec des épreuves identiques pour tous, il garantit justice et équité pour distinguer ceux qui formeront l’élite de la nation. Pourtant, cette méritocratie dont notre pays est si fier est loin d’être parfaite. Elle peine à s’ouvrir et échoue à représenter la diversité de la société. Il est toujours délicat de critiquer les concours en France. Leurs contempteurs sont d’emblée accusés de vouloir détruire « un système qui marche » dans un enseignement supérieur mal en point. Ils sont aussi soupçonnés de relents de gauchisme en préférant, au nom d’un égalitarisme de masse, un nivellement par le bas à l’excellence de quelques-uns. Richard Descoings, ex-directeur de Sciences Po décédé en 2012, qui n’était pourtant pas un révolutionnaire, en avait fait l’expérience. Dans les années 2000, il avait dénoncé les limites d’un mode de sélection qui reproduit les inégalités et avait décidé d’en bousculer les règles. Il avait notamment ouvert une voie d’accès spécifique pour les lycéens de zone d’éducation prioritaire (ZEP). Il s’était heurté à un tir de barrage des grandes écoles, arc-boutées sur leur foi dans le concours républicain. Soucieuses d’ouvrir socialement leurs rangs, toutes ont, depuis, mis en place des dispositifs d’« égalité des chances ». Le plus connu, baptisé « Une grande école : pourquoi pas moi ? » – accompagnement de lycéens, sorties culturelles, visites d’entreprise, etc. – vise à combattre l’autocensure et à encourager l’ambition de « Supprimer les concours ? Ce serait absurde ! » | Pour Bernard Ramanantsoa, ex-directeur général de HEC, les compétences acquises en prépa servent toute la vie tribune B ernard Ramanantsoa a dirigé HEC Paris de 1995 à 2015. Il défend l’utilité des concours. Il a récemment publié Apprendre et oser (Albin Michel, 2015) et tient un blog consacré à l’enseignement supérieur, « Libre cours ». Il nous adresse ce point de vue : « En ce début d’année, le degré de fébrilité des futurs candidats aux concours et de leurs professeurs de prépas vient de franchir un seuil : ils entament la dernière ligne droite. Moment choisi pour répondre à quelques questions récurrentes sur ces fameux concours, perçus comme le sésame de toute vie professionnelle, mais où certains ne voient qu’un désuet rite de passage. Allons-y tout de go : les concours présentent bien plus d’avantages que d’inconvénients s’ils sont conçus intelligemment. D’abord, soyons lucides : il ne serait pas possible de recevoir à HEC ou dans une autre grande école tous ceux qui s’inscrivent. Et l’évaluation de la motivation est le plus souvent un artifice : imaginez-vous une candidate ou un candidat, sortant de deux ou trois ans de prépa, sans motivation ? C’est pousser le culte du paradoxe un peu loin. Plus important, les meilleurs concours testent des qualités qui se travaillent préalablement et seront ensuite fort utiles dans la car- rière professionnelle. Etre capable de traiter en quelques heures, sur des bases solides et tout en nuances, du « crépuscule de la vérité », de « La lettre tue », ou de « Quand je danse, je danse », sous la forme de dissertations de culture générale ou de philosophie (pour les prépas en lettres) ; savoir avancer rigoureusement, en mathématiques, sur les notions d’« équilibre et [de] pilotage d’un système linéaire » ne s’improvise pas : il faut s’y préparer et donc travailler. Cette démarche va être utile toute la vie. « Savoir penser » Certains contempteurs des concours s’interrogent sur le lien entre la capacité à disserter sur de tels sujets et la performance des futurs cadres d’entreprise : c’est qu’ils confondent utilisation et utilité. Savoir penser, savoir articuler des nuances, ne jamais oublier quelles sont les hypothèses qui sous-tendent une démarche est utile et évite pour toujours les jugements à l’emportepièce, les pires bévues ou les approximations. Reconnaissons que ce n’est déjà pas si mal. Le bon sens ne suffit pas à traiter des problèmes de plus en plus complexes du monde contemporain. Alors, supprimer les concours, comme on le préconise parfois, serait absurde, dépourvu de sens. Et qu’on ne nous oppose pas les com- paraisons internationales : les concours en Chine, en Inde et au Japon existent et sont d’une difficulté d’un tout autre niveau que les nôtres, qui apparaissent comme des hors-d’œuvre quand on en parle aux collègues de ces pays. Et, là où il n’existe pas de concours aussi difficiles, c’est le travail assidu, pendant plusieurs années, souvent très spécialisé sur une seule matière, qui fait office de sélection. Pourquoi pas. On peut préférer le marathon au demi-fond. Il en faut pour tous les goûts. D’où l’ouverture d’autres voies que les concours classes prépas dans toutes les grandes écoles… mais il y a quand même un concours ! Rassurez-vous donc, chers candidats, ce sont souvent ceux qui ont mal préparé ces concours qui les fustigent. « Ils sont trop verts », disait ainsi le renard de La Fontaine. Dans votre situation, un seul conseil : travaillez, mais travaillez sereinement. Vous êtes en train de préparer votre avenir et, après quelques années de vie professionnelle, l’obstacle du concours vous apparaîtra comme un épiphénomène. Vous avez la chance d’apprendre, de renforcer le socle de votre culture générale, la vraie, pas celle des jeux télévisés. Savourez : c’est parfois dur, on le sait, mais ce sont des années que vous ne regretterez pas. » p jeunes de milieu populaire. Mais le but n’est pas de les faire accéder à ces grandes écoles où peu, au final, se retrouveront. « Rares sont les pays qui ont autant confiance dans le concours, souligne le sociologue François Dubet, directeur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS). C’est une obsession française issue de la Révolution : remplacer les élites de naissance par les élites de l’intelligence. » Une confiance excessive, selon lui, dans un système qui avantage certains enfants, issus de milieux favorisés, les plus aptes à réussir dans une école « championne du monde du déterminisme social ». Pour François Dubet, ce n’est pas tant le concours qui pose problème que le fait que tout notre système scolaire soit organisé en fonction de lui : « Dès la maternelle, les familles des classes moyennes supérieures, les mieux informées, pensent à préparer leurs enfants. Puis, au cours de la scolarité, la recherche systématique des meilleurs élèves fait que les autres sont maltraités. » Supprimer le concours ne serait toutefois pas la solution, estime encore le sociologue. Ce qui est en cause est « son monopole, qui assure l’incroyable reproduction sociale des élites, même si, de temps en temps, un élève défavorisé y accède et devient la preuve que c’est possible. » Il faudrait plutôt « diversifier les voies d’accès aux élites ». Le concours même est-il aussi juste que ses partisans veulent le croire ? « Pour ceux qui le passent, on est bien dans une situation de parfaite égalité, répond la sociologue Agnès van Zanten, directrice de recherche au CNRS et professeure à Sciences Po. Les règles en sont extrêmement codifiées et l’égalité formelle très forte. » Mais, ajoute-t-elle, « on ne tient pas compte des parcours individuels, des aides familiales ou sco- laires dont certains ont bénéficié et pas d’autres. On pourrait très bien imaginer calculer le mérite autrement : par la quantité d’efforts fournis par chacun pour parvenir à ce niveau. » Il y a aussi la question des épreuves, comme la culture générale ou les langues, et de leurs biais sociaux : elles favorisent les étudiants issus de milieux éduqués. « Pour bien parler l’anglais, il faut avoir effectué des séjours dans un pays anglo-saxon, souligne la sociologue, ce que toutes les familles ne peuvent offrir. » « C’est une obsession française issue de la Révolution : remplacer les élites de naissance par les élites de l’intelligence » François Dubet sociologue Agnès van Zanten regrette qu’il y ait peu de recherches en France sur les concours. Aux Etats-Unis où ces études sont nombreuses, la sélection a passablement évolué. « Les universités d’élite américaines prennent en compte une pluralité de critères : notes, rang dans la classe, résultats aux tests, dossier, lettre de motivation… Et elles ont dégagé une élite issue de groupes ethniques défavorisés. » Pour les deux sociologues, l’excellence symbolisée par le concours est définie de façon trop étroite et trop scolaire. Erigeant la compétition en vertu tout au long de la scolarité, elle produit beaucoup de « perdants », condamnés à rester loin derrière, faute d’avoir un jour réussi un concours. p véronique soulé g eijin B _ Paris _ s ante N _ s pu cam www.audencia.com INNOVATIVE BUSINESS LEADERS FOR A RESPONSIBLE WORLD 115 ANS 2 700 ETUDIANTS* 12 586 DIPLÔMÉS* *PROGRAMME GRANDE ÉCOLE 6e AU CLASSEMENT SIGEM 100 ENSEIGNANTS CHERCHEURS 400 EXPERTS ASSOCIÉS 202 PARTENAIRES INTERNATIONAUX 66 NATIONALITÉS 51% DES DIPLOMÉS ONT UNE ACTIVITÉ INTERNATIONALE 12 | UNIVERSITÉS & GRANDES ÉCOLES | Concours 0123 Jeudi 28 janvier 2016 L’Ivy League, univers impitoyable Aux Etats-Unis, la sélection à l’entrée des meilleures universités, drastique, joue sur les notes mais aussi sur l’argent P our les étudiants américains, l’entrée à l’université est un parcours du combattant qui commence bien avant la dernière année d’études secondaires. Dès l’équivalent de la classe de troisième, les lycéens qui visent des universités de haut rang s’attachent à ajouter à leur parcours ces éléments qui peuvent faire la différence aux yeux des comités d’admission : sport, démonstrations d’excellence, de leadership, de curiosité d’esprit (apprentissage du mandarin, par exemple). L’engagement social (community service) ou une expérience de bénévolat, comme un stage dans une clinique pour les pauvres ou dans une ONG en Afrique, sont hautement recommandés. Les huit meilleures universités sont regroupées dans le groupe dit « Ivy League » (d’après ivy, le lierre qui recouvrait les bâtiments des augustes institutions de la Nouvelle-Angleterre). La sélection y est impitoyable. En 2015, le taux d’acceptation est tombé pour la première fois à 5 % dans une université, celle de Stanford, qui a admis 2 144 étudiants pour 42 487 candidats. Viennent ensuite Harvard (5,3 %), soit 1 990 admis pour 37 305 dossiers, Yale (6,5 %) et Columbia (6,1 %). Chaque candidature est payante (85 dollars, soit 78 euros), et les établissements les plus prestigieux touchent des millions de dollars grâce aux rejets. La sélection s’effectue d’abord sur les notes. En classe de 1re (Junior), les lycéens passent l’un ou l’autre des tests nationaux – Standard Admission Test (SAT) ou American College Testing (ACT). Le plus commun est le SAT, un QCM de trois épreuves (maths, écriture et lecture critique) que les élèves remplissent avec des crayons de papier, obligatoirement nu- méro 2 (HB). Non seulement il faut aller vite en 3 h 45, mais les réponses fausses sont pénalisées. Pour espérer entrer à Stanford ou à Harvard, il est bon de se prévaloir d’un quasi-sans-faute (800 points par sujet) ou au moins d’un score supérieur à 2 150. Moins de 0,05 % des candidats réussissent le score parfait de 2 400 points (360 sur 1,6 million d’inscrits en 2012). Le SAT a donné lieu à toute une industrie de préparation à l’examen, qui n’est accessible qu’aux plus riches. Les comités d’admission examinent aussi le « Grade Points Average » (GPA), la moyenne des notes sur les quatre ans de lycée. A leur dossier, rempli en ligne, les candidats doivent ajouter des recommandations personnalisées d’un professeur, entraîneur sportif ou éducateur. Et un « essai », soit un texte (650 mots maximum) de motivation, de personnalité, sur un sujet déterminé chaque année par l’établissement. Un exemple pour 2016 : « Décrivez une action ou un événement, formel ou informel, qui a marqué votre passage de l’enfance à l’âge adulte dans le contexte de votre culture, famille ou communauté. » Souci de diversité Plus de 600 universités ont une banque d’épreuves communes (la « common app ») mais chacune se réserve le droit de demander un texte supplémentaire. Au total, les élèves soumettent parfois trois ou quatre « essais » différents. Là aussi, des répétiteurs privés offrent leurs services (de 60 à 130 dollars l’heure). Les séances commencent par un brainstorming, censé permettre aux candidats de trouver dans leur vie, souvent sans histoires, l’épisode qui a montré un trait exceptionnel de leur personnalité. Il est bon d’expliquer qu’on a surmonté une épreuve ou un échec, voire d’émouvoir les examinateurs avec une enfance difficile. Les universités appliquent ensuite des correctifs divers. L’origine ethnique, d’abord. Certains Etats, comme la Californie, ont abandonné la discrimination positive (affirmative action) dans la sélection de leurs étudiants. D’autres continuent à l’imposer. Chaque établissement affiche en tout cas un souci de diversité. Etre une « latina » est certainement un plus. Les garçons « anglo » et les étudiants d’origine asiatique, une minorité qui crève le plafond de la réussite scolaire, se plaignent d’être désavantagés, à résultats académiques équivalents. Les sportifs de haut niveau bénéficient de conditions exceptionnelles, indépendamment de leurs notes. Dernier critère d’admission, le plus flou : « l’héritage » (legacy). Sauf à être des cancres avérés, les fils et filles d’anciens élèves ont peu de chances d’êtres recalés par l’université de papa (ou de maman), surtout si les parents sont généreux avec leur alma mater. Les études coûtent cher : 60 000 dollars par an, avec hébergement et repas, à Harvard ; 59 000 dollars à Yale ; 32 600 à Berkeley pour les domiciliés en Californie (56 000 pour les étudiants d’autres Etats). Les universités soulignent le nombre de bourses distribuées (60 % des étudiants de Harvard ont une bourse grâce à un programme d’aide de 160 mil- lions ; 50 % à Yale) pour les plus désargentés et les minorités notamment noires et « latinas ». Mais la majorité des étudiants ne reçoivent qu’une aide de quelques milliers de dollars sur quatre ans, loin de compenser le coût de la scolarité. Les dossiers d’inscription sont en général clos fin janvier. Attendues avec angoisse, les lettres d’admission arrivent début mai. Au début de l’été, le grand mercato des admissions est terminé. p corine lesnes (san francisco, correspondante) Universités d’élite La plus réputée est Harvard, la plus ancienne université du pays, fondée en 1636 et située à Cambridge (Massachusetts). Elle est suivie de Yale, à New Haven (Connecticut), Princeton (New Jersey), Brown à Providence (Rhode Island), Columbia à New York, Dartmouth à Hanover (New Hampshire), University of Pennsylvania à Philadelphie (Pennsylvanie) et Cornell, à Ithaca (New York). Toutes sont privées, installées dans des locaux magnifiques. Ce club d’élite comprend aussi l’université Stanford (Californie), le Massachusetts Institute of Technology (MIT) et l’université de Chicago. L’université de Californie à Berkeley est le seul établissement public du même rang. Le cas de l’Allemagne Pas de concours outre-Rhin. Mais des places limitées, et des notes au bac déterminantes LE CONCOURS PASS Photos: Le Lann 16125-01/16 E Intégrez les programmes BBA des Groupes EDHEC et INSEEC HORS APB PROCÉDURE Le concours commun pour l’accès à 5 grandes écoles de commerce bac+4 Infos & inscriptions sur concours-pass.com BORDEAUX LILLE LYON NICE PARIS n Allemagne, les études supérieures à l’université ou dans une école supérieure (Hochschule) sont théoriquement ouvertes à tous les détenteurs d’une autorisation d’accès aux études supérieures, à savoir en général le baccalauréat. Il n’y a pas en Allemagne de « grandes écoles » à la française, recrutant principalement leurs étudiants à l’issue de concours. Mais les processus de sélection existent : ils sont fonction des matières et des établissements. Le baccalauréat est en soi une sélection puisque seule la moitié des élèves d’une classe d’âge le passent, les autres se dirigeant vers des formations en alternance, plus répandues qu’en France. Les « alternants » peuvent cependant obtenir par la suite une autorisation d’accès aux études supérieures, en général limitée à leur domaine de compétence, s’ils justifient d’une formation et d’une expérience professionnelle suffisante. Cette spécificité allemande tend à se réduire : on observe une augmentation du nombre de bacheliers ces dernières années, au détriment des apprentis. Engagement social apprécié Pour un bachelier, deux options sont possibles. Soit il a choisi un cursus sans procédure d’admission, auquel cas il lui suffit de s’inscrire dans l’établissement de son choix. Soit il a choisi une matière ou une école dont l’admission est encadrée. C’est le cas en médecine et en pharmacie, et dans tous les cursus où il y a plus de candidats que de places disponibles. Le bachelier candidat doit alors se soumettre à une procédure d’admission que l’établissement est libre de fixer : la note au baccalauréat est bien sûr déterminante, mais une expérience professionnelle – stage ou engagement social – peut aussi être exigée ou appréciée, surtout en cas de note insuffisance. Certaines écoles font passer des tests ou des entretiens afin d’établir un classement et une liste d’attente pour l’attribution des places. En médecine et en pharmacie, le nombre de places est déterminé au niveau fédéral, par une commission siégeant à Dortmund (Rhénanie-du-Nord - Westphalie), qui veille aussi à la répartition des étudiants en fonction des besoins géographiques. C’est inhabituel en Allemagne, où les décisions se prennent en général au niveau local. Dans certaines matières très demandées, comme le droit, la psychologie, l’économie et la gestion d’entreprise, la plupart des grandes universités organisent des procédures d’admission. Un candidat aux études de psychologie devra ainsi justifier de la note maximale au bac pour être admis. Si ses notes sont insuffisantes, il peut faire le choix d’attendre. Ce crédit-temps lui permet d’augmenter ses chances d’être pris dans la formation de son choix. Enfin, certaines universités sont plus demandées que d’autres. « A Berlin, à Munich ou à Heidelberg, les candidats sont très nombreux, il est plus difficile d’entrer dans ses universités, mais les critères exacts d’admission ne sont pas fixés à l’avance », explique Stefanie Busch, responsable du département admission à la Conférence des recteurs du supérieur (HRK), qui représente la plupart des universités et des écoles supérieures publiques allemandes. Au total, un étudiant français désireux de s’inscrire en Allemagne devra consulter les sites (en général en allemand mais aussi en anglais) de chaque établissement. p cécile boutelet (berlin, correspondance)