Monde 3 en 1 du jeudi 28 janvier 2016

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Monde 3 en 1 du jeudi 28 janvier 2016
UNIVERSITÉS
& GRANDES
ÉCOLES
SUPPLÉMENT
Jeudi 28 janvier 2016 ­ 72e année ­ No 22094 ­ 2,40 € ­ France métropolitaine ­ www.lemonde.fr ―
Fondateur : Hubert Beuve­Méry ­ Directeur : Jérôme Fenoglio
TAUBIRA
CLAQUE
LA PORTE
▶ Christiane Taubira a
démissionné du gouver­
nement après s’être oppo­
sée, sans succès, à la
déchéance de nationalité
▶ Le président de la
commission des lois,
Jean­Jacques Urvoas,
proche de Manuel Valls,
la remplace au ministère
de la justice
FINKIELKRAUT
DANS
UN FAUTEUIL
▶ Le philosophe
tourmenté entre jeudi
à l’Académie française
▶ L’auteur du « Juif
imaginaire » doit
prononcer l’éloge de
l’ancien collaborateur
Félicien Marceau
→ LIR E
PAGE S 1 4 - 1 5
BIENVENUE
EN EUROPE,
M. ROHANI !
→ LI R E P A G E 23
POLÉMIQUE
▶ Son départ creuse
la fracture au sein de
la gauche sur les moyens
de la lutte antiterroriste
BARAKACITY,
DE L’ASSOCIATION
HUMANITAIRE À
L’ISLAM RIGORISTE
→ LIR E
→ LIR E
PAGE 8
PAGE 1 1
POLITIQUE
LA DROITE
S’EMPARE
DE LA « JUNGLE »
DE CALAIS
Christiane
Taubira,
à la sortie
de l’Elysée,
en juin 2015.
LOÏC VENANCEI/AFP
→ LIR E
LAURENT GBAGBO
JUGÉ POUR
CRIMES CONTRE
L’HUMANITÉ
L
aurent Gbagbo sera le premier ex­chef d’Etat à
comparaître devant la Cour pénale internatio­
nale (CPI). Jeudi 28 janvier, l’ancien président
de la Côte d’Ivoire et son éphémère ministre de la
jeunesse Charles Blé Goudé y répondront de crimes
contre l’humanité. Selon l’ONU, les violences qui ont
enflammé le pays après la présidentielle de novem­
bre 2010 ont fait plus de 3 000 morts en cinq mois.
Le procès qui s’ouvre et durera plusieurs années
reviendra sur cette période noire, entre le 27 no­
vembre 2010 et le 12 avril 2011, quand les forces ar­
mées ivoiriennes, appuyées par des milices et des
mercenaires, auraient ciblé les partisans d’Alassane
Ouattara, déclaré vainqueur d’un scrutin contesté.
Gbagbo aurait activé les forces armées, Blé Goudé
mobilisé la jeunesse.
Faute de mandats d’arrêt contre les partisans de
Ouattara, la CPI est accusée de conduire une justice
de vainqueurs. Il est vrai que la Cour a encore besoin
de la coopération de la Côte d’Ivoire pour faire venir
ses témoins contre Gbagbo.
LE REGARD DE PLANTU
→ LIR E
!# !"
Théâtre de l’Europe
PAGE S 2 - 3
jusqu’au 25 mars 2016
Berthier 17e
Un deuxième
médiateur
au chevet
des taxis
TARTUFFE
MolIère
luc Bondy
SOCIAL
Deux mondes qui s’affrontent,
les anciens contre les modernes.
Les taxis contre Uber, les hôte­
liers contre Airbnb. Mercredi ma­
tin, la mobilisation des taxis con­
tre les VTC se poursuivait à Paris,
malgré la nomination par le gou­
vernement d’un médiateur. Il y a
quelques jours, les députés adop­
taient un amendement émanant
du lobby hôtelier : les sites de lo­
cation entre particuliers de­
vraient désormais vérifier que
les offres de logement émanent
bien de propriétaires ou de loca­
taires autorisés par leur bailleur.
→ C A HIE R
THeATre-odeon.eu
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É CO PAGE 3
Algérie 200 DA, Allemagne 2,80 €, Andorre 2,60 €, Autriche 3,00 €, Belgique 2,40 €, Cameroun 2 000 F CFA, Canada 4,75 $, Côte d'Ivoire 2 000 F CFA, Danemark 32 KRD, Espagne 2,70 €, Espagne Canaries 2,90 €, Gabon 2 000 F CFA, Grande-Bretagne 2,00 £, Grèce 2,80 €, Guadeloupe-Martinique 2,60 €, Guyane 3,00 €, Hongrie 990 HUF,
Irlande 2,70 €, Italie 2,70 €, Liban 6 500 LBP, Luxembourg 2,40 €, Malte 2,70 €, Maroc 15 DH, Pays-Bas 2,80 €, Portugal cont. 2,70 €, La Réunion 2,60 €, Sénégal 2 000 F CFA, Slovénie 2,70 €, Saint-Martin 3,00 €, Suisse 3,60 CHF, TOM Avion 480 XPF, Tunisie 2,80 DT, Turquie 11,50 TL, Afrique CFA autres 2 000 F CFA
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CÔTE D’IVOIRE
PAGE 1 0
2 | international
0123
JEUDI 28 JANVIER 2016
G B A G B O D E VA N T L A J U S T I C E I N T E R N AT I O N A L E
Laurent Gbagbo,
un procès crucial
pour la CPI
L’ancien président ivoirien et son ex-ministre
de la jeunesse, Charles Blé Goudé,
sont accusés de crimes contre l’humanité
par la Cour pénale internationale.
L’audience s’ouvre jeudi 28 janvier à La Haye
L’
la haye - correspondance
un fut président de la Côte
d’Ivoire et l’autre rêve d’entrer à son tour dans l’Histoire.
Laurent Gbagbo et Charles
Blé Goudé s’assiéront côte à
côte, jeudi 28 janvier, dans le
box des accusés de la Cour pénale internationale (CPI). L’ex-chef d’Etat ivoirien et son
éphémère ministre de la jeunesse y répondront de crimes contre l’humanité commis
lors des violences qui ont enflammé la Côte
d’Ivoire après la présidentielle de novembre 2010, faisant, selon l’ONU, plus de 3 000
morts en cinq mois.
Selon l’accusation, les deux hommes
auraient planifié, organisé et coordonné
« un plan commun » pour permettre à Laurent Gbagbo de conserver le pouvoir « par
tous les moyens, y compris en commettant
des crimes ». Entre le 27 novembre 2010 et le
12 avril 2011, les forces armées ivoiriennes,
appuyées par des milices et des mercenaires, auraient ciblé les partisans d’Alassane
Ouattara, déclaré vainqueur d’une élection
controversée, attaquant, tuant, blessant,
violant et persécutant des centaines de civils. Laurent Gbagbo aurait activé les forces
armées dans cet objectif.
Quant au « général de la rue », doté d’un indéniable charisme dont il use jusque dans le
box des accusés, il aurait mobilisé la jeunesse, ciblé l’ennemi, lancé les mots d’ordre.
Contre les deux accusés, le substitut du procureur, Eric MacDonald, entend appeler
plus de cent témoins à la barre. Ils dépose-
ront notamment sur les cinq faits retenus
par l’accusation : la répression d’une marche vers la Radio-Télévision ivoirienne,
d’une manifestation dans le quartier populaire d’Abobo, puis son bombardement, et
des tueries commises à Yopougon. Plusieurs témoins déposeront sous pseudonyme. Pour les juges, « la société ivoirienne
est encore polarisée », et Laurent Gbagbo
compte « beaucoup de partisans », ce qui, estiment-ils, pourrait « augmenter les risques
sur les témoins ».
COOPÉRATION SÉLECTIVE
A La Haye, Charles Blé Goudé se présente en
nouveau Mandela, « pas forcément pour le
parcours », reprend, dans un semblant d’humilité, son avocat, Me Simplice Seri Zokou,
mais parce qu’il se sent comme l’icône sudafricaine : diabolisé. L’ambitieux politicien,
qui « aspire à jouer sa partition en Côte
d’Ivoire », a constitué une équipe formée de
camarades de lycée pour plaider sa cause
hors du prétoire. Lors de sa première audition à La Haye, il avait dû assurer ses partisans de son soutien à Laurent Gbagbo.
A 70 ans, l’ex-président laisse à ses avocats
le soin de mener la bataille procédurale. Selon l’un des experts psychiatres de la Cour, il
serait bien moins soucieux de l’issue du procès, que de « ce qu’il laissera comme trace
dans l’Histoire de son pays ». Pour autant,
Laurent Gbagbo n’appartient pas encore au
passé. Il pèse encore en Côte d’Ivoire. Sur son
parti, qui se déchire l’héritage, ou sur les candidats, qui cherchent l’adoubement du chef.
Sur le pouvoir ivoirien, qui suit minutieuse-
ment toutes les étapes de l’affaire, contrant
régulièrement, par des courriers à la Cour, les
allégations des deux accusés.
Les avocats de la Côte d’Ivoire, les Français
Jean-Pierre Mignard et Jean-Paul Benoît, ont
même demandé à participer au procès, rappelant avoir eu « une coopération effective
avec la Cour depuis l’ouverture de l’enquête
par le procureur ». Une coopération sélective : poursuivie depuis février 2012, Simone
Gbagbo n’a pas été livrée par le pouvoir ivoirien, qui assure vouloir désormais conduire
devant ses propres tribunaux les procès sur
les violences de 2010-2011. L’ex-première
dame a déjà été condamnée dans une pre-
SELON L’UN DES
PSYCHIATRES DE LA
COUR, M. GBAGBO
SERAIT SURTOUT
SOUCIEUX DE
« CE QU’IL LAISSERA
COMME TRACE
DANS L’HISTOIRE
DE SON PAYS »
mière affaire à vingt ans de prison. Et le président Ouattara a affirmé, au printemps
2015, qu’aucun suspect ne serait désormais
livré à la Cour.
Les autorités ivoiriennes assurent qu’elles
peuvent juger les acteurs de la crise devant
leurs propres tribunaux. Une façon d’éviter
d’avoir à livrer, à l’avenir, ceux qui se sont
aussi illustrés aux côtés d’Alassane Ouattara
et sur lesquels la procureure, Fatou Bensouda, assure toujours enquêter. Mais faute
de mandats d’arrêt à ce jour contre les partisans du chef d’Etat, la CPI est accusée de conduire une justice de vainqueurs. « L’absence
d’accusations contre les forces pro-Ouattara
Une relation tumultueuse entre le président déchu et la France
Dans le pays où est née la « Françafrique », l’ancienne puissance coloniale a joué un rôle déterminant dans la chute de Laurent Gbagbo
E
ntre Laurent Gbagbo et la
France, ce fut une décennie d’incompréhension et
de défiance. Le divorce s’est conclu par une guerre ouverte dans
les rues d’Abidjan. L’ancien président ivoirien est attendu, jeudi
28 janvier, dans le box des accusés de la Cour pénale internationale (CPI) pour l’ouverture de son
procès pour crimes contre
l’humanité. Un sort auquel Paris
n’est pas étranger.
Le 11 avril 2011, Laurent Gbagbo
n’a pas été extrait par l’armée
française de la résidence présidentielle où il s’était retranché avec les
siens, mais c’est tout comme. Ce
sont les blindés et les hélicoptères
français de l’opération « Licorne »
qui ont ouvert la voie aux fantassins de l’ex-rébellion ayant rallié
Alassane Ouattara, le vainqueur
de l’élection présidentielle qui
s’était tenue quatre mois plus tôt.
Pour Laurent Gbagbo, cela ne fait
pas l’ombre d’un doute : depuis le
coup d’état raté du 19 septembre 2002 mué en rébellion, Paris
n’a cessé de comploter contre lui
pour préserver ses intérêts et
placer un affidé.
Dans un pays où fut inventé le
concept de « Françafrique », la rhétorique martelée sans relâche a
permis à M. Gbagbo, élu en 2000
dans des conditions qu’il a lui
même jugées « calamiteuses » –
ses principaux rivaux ayant été
exclus de la course – d’endosser
les habits du héraut d’une
seconde décolonisation. Une posture. De l’aveu de son porte-parole, Bernard Houdin, « Laurent
Gbagbo est un produit de la culture
française et n’a jamais rien fait
contre les entreprises françaises ».
Dès lors, comment expliquer le
divorce ? « Gbagbo, c’est une
énorme histoire française avec encore beaucoup de points d’interrogation », avance Gildas Le Lidec,
l’ambassadeur de France à Abidjan entre 2002 et 2005. « La relation se dégrade à partir de la défaite de Lionel Jospin en 2002 »,
juge Guy Labertit, l’ex-délégué du
PS à l’Afrique et rare socialiste
français à avoir conservé des relations avec son camarade ivoirien.
« La relation se
dégrade à partir
de la défaite de
Lionel Jospin,
en 2002 »
GUY LABERTIT
ex-délégué du PS à l’Afrique
Deux ans plus tôt, le premier ministre de l’époque s’était opposé à
Jacques Chirac qui préconisait
une intervention militaire pour
réinstaller au pouvoir Henri Konan Bédié, tout juste déposé par
un coup d’Etat, le 24 décembre 1999. « Les deux problèmes de
Gbagbo, pour Chirac, étaient qu’il
avait contribué à la chute de Bédié,
qu’il voyait comme l’héritier
d’Houphouët, et qu’il était mal élu,
raconte Michel de Bonnecorse,
l’ancien « M. Afrique » de l’Elysée.
Puis, cela s’est envenimé lorsque
l’on a refusé de dégommer les rebelles en 2002 qui s’étaient repliés sur
Bouaké. Tout de suite après, les pro-
ches de Gbagbo ont parlé de double
jeu alors que l’on avait fourni des armes à leurs soldats et protégé
Abidjan d’une nouvelle attaque. »
Dès lors, un dialogue de sourds
s’installe entre l’ex-puissance coloniale et sa vitrine africaine. A
Abidjan, on attend de la France
qu’elle « libère » le pays de ces rebelles soutenus par le Burkina
Faso. A l’Elysée, on dénonce les dérives « fascistes » du pouvoir ivoirien. Dans des courriers adressés
à ses proches que Le Monde a pu
consulter, l’ambassadeur Renaud
Vignal, aujourd’hui disparu, écrit,
en novembre 2002, un mois
avant son rappel à Paris : « Nous
entrons de plus en plus dans la nuit
totalitaire. »
« Bavure manipulée »
La politique française à l’égard de
la Côte d’Ivoire est alors divisée entre tenants du « tout sauf Gbagbo »
et du « rien sans Gbagbo ». Les soldats de l’opération « Licorne » doivent s’interposer entre deux
camps qui ne veulent pas la paix.
« Une erreur stratégique fonda-
mentale qui expliquera tout
l’échec de notre intervention »,
tranche Gildas Le Lidec.
Viennent ensuite les négociations interivoiriennes, organisées
à Linas-Marcoussis en janvier 2003, où certains ambitionnent de « transformer Gbagbo en
reine d’Angleterre » en le dépossédant d’une partie de ses pouvoirs
régaliens. Un fiasco qu’il retournera à son avantage, laissant ses
proches attiser le sentiment antifrançais. Il atteindra son paroxysme en novembre 2004. Le 4,
l’armée ivoirienne lance une offensive pour reprendre le contrôle
du nord du pays. L’opération « Dignité » est un échec, mais le 6,
deux Soukhoï bombardent la base
française à Bouaké, tuant neuf soldats et un civil américain.
Les raisons de cet acte demeurent encore mystérieuses. Les services français y voient la main des
durs du régime, qui entendent
ainsi camoufler la défaite. L’entourage de Laurent Gbagbo avance la
thèse d’« une bavure manipulée »
par la France pour justifier un ren-
versement. Dans la foulée, l’aviation ivoirienne est détruite, des
colonnes de blindés tricolores
foncent sur Abidjan. Dans la capitale économique ivoirienne, alors
que les patriotes pro-Gbagbo enflamment la rue et les symboles
de la présence de l’ancien colon,
les soldats de « Licorne » tirent sur
des manifestants. Des dizaines
d’Ivoiriens – le nombre exact reste
inconnu – sont tués. Cet événement marque une rupture dans la
crise franco-ivoirienne.
Le dernier acte se jouera sept ans
plus tard, en avril 2011. Alors que
Laurent Gbagbo refuse de céder le
pouvoir, en dépit de sa défaite
dans les urnes, certifiée par les
Nations unies, Nicolas Sarkozy
lance l’armée à l’assaut de la résidence présidentielle. Laurent
Gbagbo, après avoir su si bien
manœuvrer, est pris de court. Jusqu’au bout, il n’a pas voulu croire à
cet engagement décisif de la
France. Une erreur d’analyse qui
s’est avérée fatale pour son pouvoir. p
cyril bensimon
international | 3
0123
JEUDI 28 JANVIER 2016
D’Abidjan à La Haye, la Côte d’Ivoire
face aux dérives de son histoire récente
Le président Ouattara suit de près le procès de son prédécesseur
L
(…) a entraîné une opinion très polarisée à
propos de la CPI », estime Human Rights
Watch dans un communiqué et a « porté atteinte à la légitimité de la Cour dans l’opinion
populaire ».
Des combattants pro-Ouattara
interrogent un homme des forces
loyales à Gbagbo qu’ils soupçonnent
d’assassinat, à Abidjan, le
14 avril 2011.
MICHAEL ZUMSTEIN/AGENCE VU POUR « LE MONDE »
AFFAIRE D’ENVERGURE
L’organisation de défense des droits de
l’homme regrette que le procureur n’ait pas
conduit dans le même temps ses enquêtes
contre les deux camps et se soit ainsi lié les
mains. La Cour a encore besoin de la coopération de la Côte d’Ivoire pour faire venir ses témoins contre Laurent Gbagbo et se trouve en
quelque sorte prise en otage. A ce jour, le
pouvoir a pu instrumentaliser la Cour à ces
seules fins : écarter l’ex-chef d’Etat de la scène
politique, sans permettre à celle-ci de remplir pleinement son mandat.
Pour la Cour, le procès de Laurent Gbagbo
est l’occasion de conduire une affaire d’envergure. Depuis qu’elle a ouvert ses portes
en 2002, c’est la première fois qu’elle juge un
ancien chef d’Etat. Ambitieuse, elle a déjà ciblé le président soudanais, Omar Al-Bachir,
contre lequel pèsent deux mandats d’arrêt, a
visé Mouammar Kadhafi, avant qu’il ne soit
tué en Libye en octobre 2011, et a mis en accusation Uhuru Kenyatta, élu malgré cela président du Kenya et dont l’affaire s’est finalement soldée par un non-lieu.
Cette fois, c’est à un « ex » que la Cour s’attaque, pour lequel l’Union africaine ne s’est pas
mobilisée, comme elle l’avait fait pour le Kényan et le Soudanais. « En Afrique francophone, avoir un geste pour Gbagbo, c’est pren-
« L’ABSENCE
D’ACCUSATIONS
CONTRE LES FORCES
PRO-OUATTARA
PORTE ATTEINTE
À LA LÉGITIMITÉ
DE LA COUR
DANS L’OPINION
POPULAIRE »
HUMAN RIGHTS WATCH
dre des risques, estime Guy Labertit, ancien
directeur Afrique du Parti socialiste et ami de
l’ancien président. Les pays du Sahel pensent
d’abord à leur sécurité. » Politicien ivoirien et
gendre de Laurent Gbagbo, Stéphane Kipré
estime que « les chefs d’Etat en service ne peuvent pas s’immiscer dans des questions qui
concernent un ancien chef d’Etat ».
Quoi qu’il en soit, Laurent Gbagbo vient
allonger la liste des ex-chefs d’Etat poursuivis pour crimes contre l’humanité. Avant
lui, le Serbe Slobodan Milosevic, le Libérien
Charles Taylor et le Tchadien Hissène Habré
ont eux aussi fait face à des juges internationaux pour des crimes de masse. Le premier
est décédé en prison avant le verdict, le second a été condamné à cinquante ans de
prison, qu’il purge aujourd’hui au Rwanda.
Le troisième est toujours en procès à Dakar.
Ce dernier est le seul jugé avec l’aval de
l’Union africaine.
Pour retrouver une crédibilité écornée au
fil des ans, la Cour devra aussi s’emparer de
l’Histoire. Comme si elle craignait d’affaiblir
sa thèse, mais au risque de présenter un récit
biaisé, l’accusation n’a pas inclus dans son
mémoire d’avant procès le récit des confrontations entre les forces régulières et les rebelles, malgré les demandes des juges. Ces derniers avaient aussi invité le procureur à enquêter sur les crimes commis depuis 2002,
début de la crise ivoirienne issue de la partition durable du pays. La défense entend bien
compléter le récit de l’accusation, et il appartiendra aux juges d’établir la réalité.
Mais, par le passé, dans des affaires visant
des miliciens de l’est de la République démocratique du Congo, la Cour avait ramené
à de simples conflits ethniques la course régionale au pillage des richesses congolaises.
Dans ce « puzzle de 5 000 pièces » à conviction, ainsi que le décrit la défense, les juges
seront donc aussi attendus sur l’Histoire.
En attendant, ils vont devoir gagner la bataille du temps. Le procès devrait durer plusieurs années. p
stéphanie maupas
a Côte d’Ivoire change mais
le paysage politique demeure figé, toujours dominé par les héritiers vieillissants
de Félix Houphouët-Boigny, le
père de l’indépendance, en poste
de 1960 à 1993, qui, depuis sa
mort, se sont unis et déchirés
pour conquérir le pouvoir. Ces
jours-ci pourraient, en théorie,
permettre au pays de débuter un
travail d’introspection sur son
passé récent le plus trouble. Ainsi,
jeudi 28 janvier à La Haye, s’ouvre
à la Cour pénale internationale
(CPI) le procès de l’ancien président Laurent Gbagbo, jugé pour
des crimes contre l’humanité liés
à la crise post-électorale de 20102011, ponctuée par la mort de
3 000 personnes. Lundi, à Abidjan, a aussi commencé le procès
des meurtriers de l’ex-président,
le général Robert Guéï, assassiné
le 19 septembre 2002 par des soldats du régime Gbagbo en réaction à une tentative de coup
d’Etat. Ce jour-là, la Côte d’Ivoire
avait basculé dans une décennie
de crises, d’assassinats politiques,
y compris par cette même rébellion armée qui allait finalement
permettre à Alassane Ouattara de
s’installer au pouvoir en 2011.
Ces crimes seront-ils jugés par la
CPI, par les juridictions locales ou
bien enterrés ? Le président Ouattara, réélu fin 2015, a promis de
faire de la lutte contre l’impunité
une priorité. Mais à la présidence,
on prévient que plus un Ivoirien
ne sera transféré à La Haye. Et que
si la justice internationale insistait pour que lui soient livrées des
figures de l’ex-rébellion, une procédure de retrait du statut de
Rome, fondateur de la CPI, pourrait être engagée.
En attendant, Laurent Gbagbo,
lui, attend l’ouverture de son procès avec impatience. Près de cinq
ans après son arrestation à Abidjan, le 11 avril 2011, suivie, sept
mois plus tard, de « sa déportation » à La Haye, selon la terminologie employée par ses partisans,
il apparaît gonflé par l’espérance
que ce sera là l’occasion de prouver son innocence pour les crimes
qui lui sont reprochés. Et d’y trou-
« Les obus sur
les populations,
les massacres,
ne sont pas
des inventions »
JOËL N’GUESSAN
Rassemblement
des républicains
ver une tribune pour démontrer
qu’il fut le véritable vainqueur du
second tour de l’élection présidentielle de décembre 2010
contre Alassane Ouattara.
Ses visiteurs à la prison de Scheveningen décrivent un homme
de 70 ans, affaibli par des problèmes de santé, mais qui n’a rien
perdu de sa verve. Il se tient prêt
pour ce qui s’apparente à un ultime combat. Laurent Gbagbo n’a
pas abdiqué son rêve de sortir de
sa cellule réhabilité et de retourner en Côte d’Ivoire où, sans nul
doute, une foule de partisans lui
réserverait un accueil triomphal.
Large aura dans son pays
Son entourage et sa défense veulent croire que le vent a tourné,
« que la stratégie qui cherchait à
profiter de l’hystérie anti-Gbagbo,
devant permettre de le juger et de le
condamner
rapidement,
a
échoué ». Les audiences, focalisées
sur quatre événements de la crise
post-électorale de 2010-2011, pourraient durer plus de quatre ans.
« Bientôt, il fera jour », répètent
pourtant en cœur ses fidèles, pour
lesquels son innocence est incontestable et ce procès « politique, arbitraire et inique ». Ils sont désormais appuyés par d’anciens chefs
d’Etat africains comme le Mozambicain Joaquim Chissano, ou le Béninois Nicéphore Soglo. En septembre 2015, ils ont écrit à la procureure générale de la CPI, Fatou Bensouda, pour lui demander de
« réexaminer l’affaire et entamer le
processus de son retrait ou de son
interruption », considérant que « la
détention et le procès de Laurent
Gbagbo ont davantage aggravé les
divisions et animosités entre les ci-
toyens ivoiriens (…). Il y a donc un
risque réel que, s’il est reconnu coupable et condamné par la CPI, cela
entraîne une conflagration. »
La recommandation n’a pas été
suivie. A quelque 6 000 kilomètres de La Haye, au palais présidentiel à Abidjan, Alassane Ouattara
peut se satisfaire de voir un ancien
allié politique, devenu son pire ennemi, et Charles Blé Goudé, le chef
des Jeunes patriotes pro-Gbagbo,
répondre devant la justice internationale. Tourné vers son projet de
faire de la Côte d’Ivoire une nation
« émergente » d’ici à la fin de son
second mandat en 2020, M. Ouattara est sûr que Laurent Gbagbo ne
sera pas libéré de sitôt. Une certaine inquiétude avait gagné la
présidence en juin 2013 après
avoir mesuré la faiblesse du dossier présenté par le bureau du procureur lors de l’audience de confirmation des charges. Depuis, l’Etat
ivoirien a aidé les enquêteurs de la
CPI à récolter certaines preuves,
mais les autorités démentent
toute idée d’une procédure guidée
par des motifs politiques.
« La crise a éclaté à cause du refus
de Laurent Gbagbo de quitter le
pouvoir. Nous avons souhaité qu’il
soit jugé par la CPI car, en 2011, nos
juridictions avaient pratiquement
disparu, et pour éviter d’être taxés
de partialité. Nous attendons que
le droit soit dit. Les obus tirés sur les
populations, les massacres, les
morts ne sont pas des inventions »,
affirme Joël N’Guessan, le porteparole du Rassemblement des républicains (RDR, au pouvoir).
Malgré les crimes qui lui sont
imputés et son éloignement forcé,
l’ex-chef de l’Etat garde une large
aura dans son pays. Pascal Affi
N’Guessan, qui a pris les rênes de
son parti, le Front populaire ivoirien (FPI), s’est retrouvé confronté
à une violente fronde interne pour
avoir eu l’audace d’envisager la vie
politique sans Gbagbo. Lors de
l’élection présidentielle du 25 octobre 2015, il n’est pas parvenu à
mobiliser plus de 10 % des électeurs sur son nom, les autres partisans de Laurent Gbagbo ayant
choisi de boycotter le scrutin. p
LE PROFIL
Laurent Gbagbo
Né le 31 mai 1945 à Gagnoa,
en Côte d’Ivoire, Laurent
Gbagbo s’est fait un nom en
politique en tant qu’opposant
à Félix Houphouët-Boigny.
Sept ans après la mort de ce
grand ami de la France et père
de l’indépendance ivoirienne,
il est élu président face à Robert
Gueï. Son quinquennat durera
finalement dix ans, en raison
de la crise politico-militaire
qui secoue le pays.
Il conteste ensuite sa défaite
contre Alassane Ouattara lors
de la présidentielle organisée
fin 2010 et qui débouche sur
des violences meurtrières. Il est
arrêté par les forces d’Alassane
Ouattara, soutenues par la
France, le 11 avril 2011,
puis transféré à La Haye
où son procès pour crimes
contre l’humanité devant
la Cour pénale internationale
devait s’ouvrir jeudi 28 janvier.
+06))0 6!8"7&%4-675673 9 8(/ (#$. : 4*672,)0 2'7"1
Pascal Rambert
Argument [22 jan. – 13 fév.] $#('"!%&
Avec Marie-Sophie Ferdane
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De mes propres mains [22 – 30 jan.]
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4 | international
0123
JEUDI 28 JANVIER 2016
CACHEZ CES STATUES QUE
ROHANI NE SAURAIT VOIR
photo : giuseppe lami/ap
des contrats signés pour un montant
estimé à 17 milliards d’euros, une rencontre de quarante minutes avec le pape François et une belle polémique. De la visite de
quarante-huit heures à Rome du président
iranien, Hassan Rohani, on se souviendra
aussi de l’initiative prise par les autorités
italiennes d’emballer dans des caisses des
statues antiques du Musée du Capitole
dont la nudité de marbre pouvait choquer
le regard de leur hôte. C’est dans ce cadre,
en effet, que le premier ministre, Matteo
Renzi, a accueilli M. Rohani et sa délégation, lundi 25 janvier, pour un dîner, servi
rigoureusement sans vin.
L’opposition accuse le chef du gouvernement d’avoir signé la « reddition » des
valeurs du pays, de « renier sa culture » ou
« de porter atteinte à l’art comme valeur
universelle ». Art, culture, identité : des
mots chers à M. Renzi, qui entend en faire
un rempart contre le terrorisme.
En revanche, la visite de M. Rohani au
Vatican, mardi, s’est déroulée dans l’harmonie. Le Saint-Siège a souligné « l’important rôle » que l’Iran est appelé à jouer
pour lutter contre le terrorisme et le trafic
d’armes. « Priez pour moi », a demandé, en
farsi, M. Rohani à François avant de prendre congé. Le président iranien devait conclure sa visite mercredi par le Colisée. Pas
de crainte : il n’y a plus de statues depuis
longtemps ! p
philippe ridet
(rome, correspondant)
MALI
I SRAËL
L’enlèvement d’une
Suissesse revendiqué
par AQMI
M. Nétanyahou accuse
l’ONU « d’encourager
le terrorisme »
« L’Emirat du Sahara », une
branche d’Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI), a affirmé être derrière l’enlèvement de la Suissesse Béatrice
Stockly à Tombouctou, dans
le nord du Mali, dans la nuit
du 7 au 8 janvier. Dans une
vidéo postée sur les réseaux
sociaux mardi 26 janvier
au soir, le groupe djihadiste
exige, en contrepartie de la
libération de Mme Stockly, qui
avait déjà été enlevée en 2012,
la remise en liberté de certains de ses combattants emprisonnés au Mali et de l’un
de ses dirigeants, détenu par
la Cour pénale internationale
(CPI) de La Haye. – (AFP.)
Le premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou,
a vivement répliqué au secrétaire général de l’ONU,
Ban Ki-moon, qui a appelé
mardi 26 janvier à un gel de
la colonisation des territoires palestiniens. « La frustration des Palestiniens s’accroît
sous le poids d’un demi-siècle
d’occupation et de paralysie
du processus de paix », avait
estimé M. Ban devant le Conseil de sécurité. « Les commentaires du secrétaire général de l’ONU encouragent le
terrorisme », a immédiatement rétorqué Benyamin Nétanyahou dans un
communiqué. – (AFP.)
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L’affaiblissement de Mahmoud Abbas
aiguise les ambitions palestiniennes
Isolé, impopulaire et confronté à une vague de violences venue de la rue, le vieux leader
palestinien est de plus en plus contesté par ceux qui briguent sa succession
jérusalem - correspondant
L’
air se raréfie autour de
Mahmoud Abbas. Agé de
80 ans, le président de
l’Autorité palestinienne (AP) est
confronté à une contestation intérieure sans précédent et à de
sombres perspectives sur le plan
international. En septembre 2015,
il avait pour projet de remodeler à
sa main l’espace politique. Le
vieux dirigeant promettait un renouvellement des cadres, une revitalisation des institutions. Rien
n’est venu, à l’image du Conseil
national (Parlement), toujours
pas réuni. Mais la parole s’est libérée. « On assiste à un pourrissement accéléré », souligne un
diplomate occidental.
Dichotomie de l’AP
« Abou Mazen [nom de guerre de
M. Abbas] s’est affaibli, il ne peut
plus mettre en œuvre tout ce qu’il
veut, confirme Hani Al-Masri,
directeur du centre d’études
Masarat. Les divisions au sein du
Fatah s’approfondissent, autour
de sa succession. » L’AP surveille et
réprime toujours les foyers de
contestation trop intenses, dans
les médias comme dans les universités. Surtout, éviter d’être débordé. Par deux fois, fin décembre 2015, la police a empêché, de
façon virile, la tenue de manifestations au nord de Ramallah, en
face de la colonie de Beit El, lieu
d’affrontements habituel avec les
soldats israéliens. « En réponse, la
majorité des membres du comité
central du Fatah ont boycotté la cérémonie du 1er janvier à la Mouqata’a [siège de la présidence] », souligne Hani Al-Masri.
La ligne de crête sur laquelle
avance Abou Mazen consiste à
poursuivre la coopération sécuritaire avec les Israéliens, seule garantie d’un calme relatif en Cisjordanie, tout en dénonçant l’occupation. Selon Majid Faraj, puissant
chef du renseignement palestinien, ses services ont empêché
200 attaques contre les Israéliens
en quatre mois. Mais cette dichotomie est devenue inadmissible
pour la population, en particulier
la jeunesse. Face à la vague de violences qui a commencé le 1er octobre 2015, faisant près de 160 morts
du côté palestinien (en comptant
les agresseurs) et 25 du côté israélien, l’AP a successivement laissé
faire, tenté d’épouser la colère populaire, puis de la maîtriser, en
veillant à ce qu’elle ne se retourne
pas contre elle.
L’AP a aussi multiplié les arrestations d’activistes du Hamas. Les
Israéliens sont ravis. Pour leur
part, ils ont annoncé le démantèlement de trois cellules du mouvement islamiste : deux à Hébron
et une à Abou Dis, à Jérusalem-Est,
qui aurait planifié des attaquessuicides, avec des explosifs. Selon
l’armée, le Hamas souhaiterait
une escalade spectaculaire. « Le
Hamas veut une résistance violente, explique Adnan Damiri,
porte-parole des forces de sécurité palestiniennes. On est là pour
les en empêcher dans la zone sous
notre contrôle. Mais comment
voulez-vous qu’on agisse là où les
Israéliens ne nous laissent pas aller, en zone C [qui couvre 60 % de
la Cisjordanie] ? »
Le porte-parole estime que les
arrangements sécuritaires avec
les Israéliens sont « brisés » par ces
derniers, car aucune lumière n’est
faite sur les circonstances dans
lesquelles certains Palestiniens,
hâtivement qualifiés d’agresseurs, ont été tués depuis quatre
mois. Pourtant, la coordination se
poursuit. L’armée israélienne distribue des bons points à l’AP, dans
la presse, comme à un élève bien
intentionné.
Au Fatah, certains cadres craignent une rupture avec la rue pa-
« Il y a une grande
tourmente
au sein du Fatah »
MOUSTAFA BARGHOUTI
opposant
lestinienne. « Il y a une grande
tourmente dans le parti, confirme
l’opposant Moustafa Barghouti,
ancien candidat à la présidence.
Beaucoup soutiennent notre idée
que nous sommes face à une Intifada qui va durer, sans alternative,
malgré des phases de calme. »
Selon la dernière étude du Palestinian Center for Policy and Survey
Research, publiée en décembre,
deux tiers des Palestiniens souhaitent la démission de M. Abbas.
La même proportion soutient les
attaques au couteau. Pourtant, les
militaires israéliens notent que le
calme règne dans les grands
camps de réfugiés, chaudrons des
soulèvements passés.
Internationaliser le conflit
L’agitation dans les cercles politiques est due à la fois à la gouvernance opaque et solitaire de
M. Abbas et aux appétits suscités
par sa succession. Mohammed
Dahlan, opposant numéro un en
exil, étoffe ses réseaux à distance.
A Ramallah, Jibril Rajoub, président de la Fédération palestinienne de football et membre du
comité central du Fatah, a lancé les
hostilités. Dans une interview à la
télévision palestinienne, il a exprimé un sentiment généralisé.
« Le processus de paix s’est effondré, et quel est le substitut ? On ne
fait que rester assis et débattre :
faut-il convoquer le Conseil national, nos relations avec le Hamas, la
mise en œuvre des décisions du comité central… ? », s’est-il lamenté.
Et, pendant ce temps, la réconciliation promise avec le Hamas
reste lettre morte. Le Qatar entreprend actuellement une nouvelle
médiation, pour que les deux
camps acceptent de former un
gouvernement d’union nationale.
Confronté à de nouvelles rumeurs sur sa santé défaillante,
Mahmoud Abbas a voulu reprendre la main. Le 6 janvier, pour la
première fois depuis septembre 2015, il a clairement exclu un
effondrement de l’AP, une hypothèse évoquée récemment en
conseil de sécurité israélien et
LE PROFIL
Mahmoud Abbas
Né le 23 mars 1935 à Safed,
en Palestine sous mandat britannique, il fut un acteur majeur
des négociations conduisant
à la signature des accords
d’Oslo, en 1993. Il a été élu
président de l’Autorité palestinienne en janvier 2005.
redoutée par l’armée. L’idée de
rendre les clés de toute la Cisjordanie à Israël est ancienne. Elle serait un suicide politique pour
ceux qui, comme le président, ont
consacré leur carrière à l’établissement d’un Etat palestinien.
Une nouvelle fois, M. Abbas veut
donc agir sur le plan international,
dans un contexte dépressif. L’AP se
doute qu’il n’y a rien à attendre du
président américain, Barack
Obama, en fin de mandat. Majdi
Khaldi, conseiller diplomatique de
longue date du président Abbas,
défend la ligne choisie, celle de l’internationalisation du conflit.
« En 2016, le président veut une
conférence internationale pour
mettre fin à l’occupation, sur la base
de l’initiative de paix arabe de 2002,
dit-il. Il voudrait la mise en place
d’un mécanisme de type 5+1, qui a
fonctionné pour le nucléaire iranien. » L’AP ne rêve plus d’une résolution au Conseil de sécurité des
Nations unies imposant un calendrier contraignant et des paramètres à Israël en vue d’un règlement
du conflit. Désormais, l’objectif est
un texte offrant une protection internationale au peuple palestinien
et condamnant la colonisation. p
piotr smolar
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JEUDI 28 JANVIER 2016
Moscou
politise un fait
divers survenu
en Allemagne
La police allemande dément
qu’une adolescente d’origine russe
ait été violée par des immigrés
berlin, moscou - correspondants
B
erlin enquête, Moscou
soulève une tempête.
Un fait divers douteux
survenu en Allemagne a
pris une tournure politique après
la diffusion d’un reportage sans
nuance sur Perviy Kanal, la première chaîne russe, dont la version a été reprise, mardi 26 janvier, par le ministre des affaires
étrangères, Sergueï Lavrov. « J’espère que les problèmes migratoires ne vont pas conduire à une tentative d’embellir la réalité à des fins
de politique intérieure. Ces problèmes doivent être honnêtement
révélés aux électeurs », a asséné le
chef de la diplomatie russe.
Les faits, en l’espèce, ne sont pas
clairs. Le 11 janvier, une jeune Berlinoise de 13 ans, Lisa F., née dans
une famille d’origine russe, dispa-
raît sur le chemin de l’école. Ses
parents publient des avis de recherche. Le lendemain, après
trente heures d’absence, des passants la retrouvent. A sa famille,
puis en présence de cette dernière, à la police, la jeune fille raconte avoir été enlevée et violée
par trois hommes « de pays du
Sud », parlant un mauvais allemand. Entendue seule dans un second temps, hors de la présence
de ses parents, Lisa aurait cependant livré une autre version.
Pour la police allemande, « après
enquête, il n’y a eu ni enlèvement
ni viol » mais « par protection des
droits de la personne, aucun autre
élément ne peut être fourni ».
Mardi, la justice berlinoise a indiqué enquêter sur le détournement d’une mineure, tout en soulignant, elle aussi, qu’il n’y avait
pas eu viol par des immigrés. Se-
Dans l’Oregon, mort
d’un rancher « rebelle »
Le milicien, qui occupait des terres fédérales,
aurait été tué par la police américaine
san francisco - correspondante
L
a population locale s’impatientait. La gouverneure de
l’Oregon, la démocrate Kate
Brown, avait rencontré le directeur du FBI, James Comey, le
20 janvier, et écrit au président
Barack Obama pour lui demander
de mettre fin à l’action des « radicaux armés ». Dans tout le pays,
militants de gauche et antiracistes
dénonçaient l’absence de réaction
de la police et ses « doubles standards ». « Cent cinquante Blancs en
armes s’emparent d’un bâtiment
fédéral et ils n’essuient pas un coup
de feu. Un jeune Noir de 12 ans joue
avec un pistolet factice et il est
abattu en moins de deux secondes,
et sans même un avertissement »,
avait protesté un groupe appelé
Occupy Democrats.
La police fédérale a fini par passer à l’action mardi 26 janvier
contre les miliciens antigouvernementaux qui occupaient depuis le 2 janvier le Malheur National Wildlife Refuge, un sanctuaire
ornithologique des confins de cet
Etat du nord-ouest des Etats-Unis.
La confrontation a mal tourné.
Robert LaVoy Finicum, 55 ans, qui
était devenu le porte-parole du
groupe, a trouvé la mort dans
l’opération.
Les circonstances de son décès
ont immédiatement suscité les
interrogations. Le leader du
groupe, Ammon Bundy, qui a pu
téléphoner à son épouse, a affirmé que Robert LaVoy Finicum
« coopérait » avec la police quand
il a été abattu. L’épouse a livré ce
témoignage à une élue locale,
Michele Fiore, proche des ranchers. Selon le quotidien The Oregonian, le militant aurait en fait
résisté à son arrestation, ainsi que
Ryan Bundy, le frère d’Ammon,
qui a été légèrement blessé.
Appuyé par les « state troopers »
de l’Oregon, le FBI a intercepté les
miliciens sur la route 395, à une
trentaine de kilomètres de Burns,
alors qu’ils se rendaient à une réunion sur la question de « la propriété des terres fédérales » avec
des habitants du village de John
Day. C’était la deuxième fois que
les « rebelles » – dont le nombre
n’a jamais dépassé la vingtaine –
quittaient leur bastion pour aller
essayer de convaincre les ranchers
locaux de se rallier à leur cause.
« Milices go home ! »
Dans une région où 75 % des terres
appartiennent au gouvernement,
leur revendication de reprendre la
terre avait trouvé quelque écho, à
l’inquiétude des autorités. A
Burns, en revanche, localité de
2 800 habitants dont une partie
vit des emplois créés par le refuge
national, le shérif avait été mandaté par la population pour demander aux miliciens de quitter
les lieux. Une manifestation était
prévue le 30 janvier avec pour mot
d’ordre : « Milices go home ! »
Cinq membres du groupe ont
été arrêtés sur place, dont les leaders Ammon et Ryan Bundy, les
fils d’une famille de mormons du
Nevada. Un autre « rebelle », Jon
Eric Ritzheimer, militant anti-islamique, s’est rendu de lui-même
aux autorités dans l’Arizona, où il
était retourné après avoir participé au siège de l’Oregon. Ils sont
poursuivis pour avoir entravé
l’accès de fonctionnaires fédéraux à leur travail.
Robert LaVoy Finicum était l’un
des seuls authentiques ranchers
du groupe. Persuadé de sa mission
« patriotique », il avait fait venir sa
famille et posé pour les caméras
entouré de ses petits-enfants. Le
refuge n’est pas pour autant libéré. Quelques militants s’y trouvaient toujours mercredi, et une
milice voisine appelait les « patriotes » à se rendre à leur secours. p
corine lesnes
lon un porte-parole du parquet,
cité dans le quotidien Berliner
Zeitung, les rapports sexuels qu’a
eus Lisa étaient « consentis » et
cette dernière avait déjà par le
passé agi de la sorte. « Manifestement, elle est tombée sur de mauvaises fréquentations », a expliqué
ce responsable, Martin Steltner.
Propagande anti-occidentale
Entre-temps, Perviy Kanal est entrée dans la danse. A Moscou, les
médias proches du Kremlin se
sont depuis longtemps emparés
de l’afflux de migrants en Europe
à des fins de propagande anti-occidentale, un thème devenu encore plus présent après les agressions sexuelles du Nouvel An à
Cologne, attribuées par la police
allemande à des immigrés.
Le 16 janvier, la première chaîne
russe consacre dans son journal
du soir plus de quatre minutes à
l’affaire, introduite de la sorte par
la présentatrice : « Selon des témoignages, les migrants ont commencé à violer des enfants mineurs. Sur le nouvel ordre qui s’est
instauré en Allemagne, un reportage d’Ivan Blagoï. » Suivent des
paroles d’anonymes dans la rue
– parlant tous russe – ainsi que le
récit de la tante de Lisa, puis de
Sergueï Lavrov
a souhaité à
l’Allemagne, « du
succès pour faire
face aux énormes
problèmes
des migrants »
son oncle, assorti de ce commentaire : « La police refuse de chercher les criminels. Ce n’est pas le
seul cas. »
En incrustation, une vieille vidéo postée sur Internet par un
collectif d’extrême droite, Anonymus Kollektiv (à ne pas confondre avec les hackers qui portent le même nom), dans laquelle
des hommes d’origine étrangère
non reconnaissables se vantaient
d’avoir violé une jeune fille,
apparaît.
Outré, le parquet de Berlin a annoncé son intention de poursuivre « pour incitation à la haine raciale » le journaliste dont le reportage a joué un rôle déterminant
dans l’emballement de l’affaire.
Très vite, les réseaux sociaux se
sont en effet saisis à leur tour de
l’histoire en accusant la police de
cacher la vérité.
A l’appel du mouvement néonazi NPD, une première manifestation est organisée à Marzahn,
ce quartier de l’est de Berlin où
habite Lisa. Environ 200 personnes y participent, dont une
cousine de la jeune fille. Le 23 janvier, d’autres manifestations
sont organisées à Berlin, devant
la chancellerie, mais aussi dans
plusieurs villes du Bade-Wurtemberg et du nord de la Bavière, généralement à l’appel de mouvements d’extrême droite dans la
mouvance de Pegida (les Patriotes européens contre l’islamisation de l’Occident).
« Question de transparence »
Sur les banderoles, on pouvait
lire « Respect pour la culture allemande », ou « J’ai peur pour mes
petits-enfants ». Cette affaire a
également rappelé l’existence
d’une forte communauté d’origine russe en Allemagne – environ 2,5 millions de personnes – et
l’influence que continuent
d’avoir sur eux les médias russes
mais aussi le Kremlin, notamment depuis le conflit en
Ukraine.
En Russie, l’affaire Lisa, reprise
sur la chaîne Rossia 24, s’est aussi
propagée, alimentée par le pouvoir qui ne perd jamais une occasion de décrire une Europe faible,
à la botte des Etats-Unis, et qui
perd ses « valeurs ».
Mardi, lors de sa traditionnelle
rencontre annuelle avec la presse
étrangère, Sergueï Lavrov a ainsi
souhaité à l’Allemagne, « locomotive de l’UE (…), du succès pour
faire face aux énormes problèmes
des migrants », tout en s’empressant d’ajouter : « J’espère que les
problèmes ne seront pas cachés
sous le tapis et que le cas de “notre
fille” Lisa, ne se répétera pas, car
l’information sur le fait qu’elle a
disparu est restée longtemps dissimulée pour des raisons inconnues. »
« Aujourd’hui, a poursuivi M. Lavrov, nous travaillons avec son
avocat, lui-même en relation avec
la famille et notre ambassade. Il
est absolument clair que la jeune
fille n’a pas disparu volontairement pendant trente heures. »
Pourquoi s’engager aussi fermement ? « Pour des questions de
transparence », a répondu M. Lavrov au Monde, un peu plus tard
en aparté. p
frédéric lemaître
et isabelle mandraud
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JEUDI 28 JANVIER 2016
Hollande et Modi, un partenariat sans engagement
La visite du chef de l’Etat en Inde n’a pas permis de finaliser la vente de Rafale espérée par Paris
new delhi - envoyés spéciaux
N
ous avons la chance
d’être aimés de l’Inde »,
s’est réjoui François
Hollande, mardi 26
janvier, devant la communauté
française, à l’ambassade de
New Delhi. Malgré de grandes
annonces et des affinités certaines entre les deux pays, la visite
de trois jours du chef d’Etat français en Inde, du 24 au 26 janvier,
s’est pourtant conclue sur un
maigre bilan.
Au dernier jour de son voyage
officiel, le président assistait à la
grande parade du Republic Day,
sur la monumentale avenue Rajpath, ou « allée des rois ». François
Hollande, invité d’honneur
« après Barack Obama en 2015 »,
rappelait à l’envi la délégation
française. Après, aussi, le Japon, le
Bhoutan, la Thaïlande, l’Indonésie et le Kazakhstan. Un régiment
français, le 35e RI, y défilait pour la
première fois. La parade militaire
a démarré par un lâcher de pétales
de fleurs depuis un hélicoptère, et
s’est achevée dans le bruit d’avions de combat, invisibles à l’œil
nu à cause de la chape de pollution qui recouvrait Delhi. Déception : les avions de combat
n’étaient pas des Mirage 2000,
promis par la représentation diplomatique française, mais des
Soukhoï, de fabrication russe.
Les espoirs de la France en Inde
sont souvent contrariés. A l’image
de ces 36 Rafale que le premier ministre indien, Narendra Modi,
avait annoncé vouloir acquérir
lors de sa visite à Paris en
avril 2015. « Nous pensions signer
un accord politique en arrivant
mais il a fallu négocier pendant
deux jours », explique un proche
du président. Eric Trappier, le PDG
de Dassault Aviation, a indiqué,
lundi, qu’il se donnait quatre semaines pour finaliser le contrat,
et notamment régler l’épineuse
François Hollande et le premier ministre Narendra Modi, lors de la parade aérienne à New Delhi, le 26 janvier. ADNAN ABIDI/REUTERS
question du prix. Comme si, devant l’incapacité de l’Inde à signer
ces contrats, la France devait fixer
elle-même des délais.
François Hollande n’est pas
venu en Inde que pour les Rafale,
comme il l’a dit lui-même. Mais la
conquête du marché indien n’est
pas si simple. Avec un taux de
croissance supérieur à 7 %, l’Inde
offre de beaux débouchés aux entreprises de l’Hexagone. Et pour
illustrer
cette
formidable
aubaine, le ministre des finances,
Michel Sapin, a donné ces chiffres
Dassault Aviation
se donne
quatre semaines
pour finaliser
le contrat
du Rafale et
régler l’épineuse
question du prix
La justice malaisienne classe
une enquête sur le premier ministre
encourageants : 1 milliard de dollars (920 millions d’euros) d’investissement par an au cours des
cinq dernières années. Sauf que la
banque centrale indienne n’est
pas aussi optimiste. Selon elle, les
investissements français ont plutôt diminué entre 2011 et 2014,
avant de remonter légèrement au
dernier exercice pour atteindre
347 millions de dollars.
« Le milliard de dollars d’investissement est une estimation », a dû
clarifier ensuite M. Sapin. « De
nombreux investissements pas-
P
accusations de corruption à l’encontre du premier ministre.
Son remplaçant à la tête de la
justice a expliqué mardi que ces
centaines de millions de dollars,
passés par des comptes aux îles
Vierges britanniques, provenaient de la famille royale saoudienne. Citant des sources haut
placées à Riyad, la BBC a de son
côté expliqué que les transferts
avaient à l’époque été approuvés
par le roi Abdallah en personne, le
royaume s’inquiétant de la montée en Malaisie d’un parti inspiré
des Frères musulmans. Il s’agissait donc de s’assurer que le parti
au pouvoir depuis l’indépendance (1957), l’Organisation nationale unifiée malaise (UMNO),
l’emporte une nouvelle fois, en
particulier dans l’Etat de Sarawak,
où il était en difficulté.
« Distraction inutile »
Apandi Ali a toutefois jugé que le
premier ministre n’a pas enfreint
la loi, car les fonds ont été versés à
titre « personnel ». Le ministre de
la justice affirme par ailleurs que
620 millions de dollars ont été
rendus aux Saoudiens, « car la
somme n’a pas été utilisée ».
Malgré l’origine des fonds, M. Ali
a dit n’avoir relevé aucune preuve
permettant d’établir que ce don
correspondrait à une rétribution
pour des faveurs que Najib Razak
aurait pu octroyer en sa qualité de
premier ministre. Il a par ailleurs
expliqué que celui-ci n’était pas
au courant lorsqu’il bénéficia
d’un virement de quelques dizaines de millions de dollars supplémentaires d’une société contrôlée par le ministère des finances.
Ces conclusions amènent davantage de questions, ses opposants exigeant un compte rendu
détaillé sur la manière dont ont
été dépensés les 61 millions de
dollars restant. Najib Razak, lui,
s’est félicité de l’issue de l’enquête. « Cette affaire a constitué
une distraction inutile pour le
pays. Maintenant qu’elle est totalement close, il est temps de nous
unir et d’avancer », a jugé le chef
de gouvernement.
Ses critiques ne l’entendent pas
de cette oreille. « C’est contre la nature humaine. Comment expliquez-vous
raisonnablement
qu’une personne donne 2,6 milliards de ringgits sans rien vouloir
en retour ? », s’est insurgée l’avocate Ambiga Sreenevasan auprès
du Malaysian Insider. L’affaire
avait pris un tour international
avec l’ouverture en août et septembre 2015 d’enquêtes sur des
transferts de fonds possiblement
liés à Najib Razak via la Suisse,
Hongkong et les Etats-Unis, des
juridictions qui pourraient se révéler moins compréhensives que
la justice locale. p
harold thibault
« C’est gagnant-gagnant »
De son côté, M. Modi a habilement profité de la présence de
François Hollande en Inde pour
l’emmener, en métro, à l’inauguration de l’Alliance solaire et ainsi
afficher le visage d’une Inde engagée dans le combat contre le réchauffement climatique. « C’est
julien bouissou
et david revault d’allonnes
L’HISTOIRE DU JOUR
En Australie, les républicains s’agitent
dans l’ombre d’Elizabeth II
L’affaire, à l’origine de manifestations pendant l’été 2015, concerne
un don de l’Arabie saoudite au chef du gouvernement, Najib Razak
our le ministre de la justice
malaisien, l’affaire est
close. Le garde des sceaux,
Apandi Ali, a formellement enterré, mardi 26 janvier, l’enquête
sur les 681 millions de dollars
(627 millions d’euros) versés sur
un compte personnel du premier
ministre, Najib Razak, entre mars
et avril 2013, à l’approche d’élections générales qui s’annonçaient
difficiles.
Depuis sa révélation par la
presse en juillet 2015, l’affaire empoisonne le deuxième mandat
politique du chef de gouvernement, que ses critiques appellent
à la démission. Elle avait provoqué d’importantes manifestations au cours de l’été 2015. Le premier ministre était suspecté
d’avoir reçu cette somme colossale d’un fonds public créé par ses
soins en 2009 pour appuyer sa
politique, le 1Malaysia Development Berhad, ou « 1MDB », le nom
qu’a pris le scandale.
L’affaire avait incité « Najib »,
comme il est connu familièrement, à se séparer au cours de l’été
de son vice-premier ministre, qui
lui demandait de s’expliquer. Le
ministre de la justice d’alors, Abdul Gani Patail, l’un des quatre officiels chargés de diriger l’enquête, avait également été congédié, pour « raisons de santé ». Le
bruit courait alors que ses enquêteurs s’apprêtaient à retenir des
sent en fait par des paradis fiscaux
comme l’île Maurice ou Singapour », a finalement reconnu un
membre des services diplomatiques français.
gagnant-gagnant. C’est une reconnaissance pour le premier ministre
indien de la crédibilité de son initiative sur la coalition mondiale
solaire », explique Mme Royal, qui
veut croire à « une compréhension, une connivence ». La réalité
est plus contrastée. Malgré les
promesses de M. Modi, la conversion de l’Inde à l’écologie sera longue. Le pays a besoin de l’énergie
solaire comme de toutes les
autres, en particulier le charbon,
pour répondre à un doublement
de sa demande en énergie d’ici à
2030. La part du charbon dans
cette consommation va passer de
39 % en 2012 à 62 % en 2030.
La France a également plaidé
pour la vente de réacteurs EPR,
soulignant au passage que cette
énergie permet de lutter contre le
réchauffement
climatique.
En 2009, un protocole d’accord
avait été signé pour la livraison de
deux réacteurs EPR à l’Inde. Lors
de la visite de M. Hollande, un
nouveau protocole d’accord a été
signé, cette fois pour la livraison
de six réacteurs. Et il y a fort à parier que ces réacteurs connaissent
un destin à la « Rafale ». Aux blocages administratifs et aux négociations sur le prix qui n’ont toujours
pas abouti, s’ajoutent les protestations de villageois et de pêcheurs,
soutenus par des partis politiques
locaux, pour faire avorter le projet.
Les Rafale ont au moins un
avantage de taille sur les réacteurs
EPR : ils ne nécessitent pas l’acquisition de vastes terrains, une
procédure longue et délicate en
Inde. L’Inde, marché d’avenir
pour les entreprises françaises,
l’Inde figure de la lutte contre le
réchauffement climatique ? La
réalité est sans doute plus nuancée. Au-delà des effets d’annonce,
« la chance d’être aimés de l’Inde »
n’a pas encore produit les résultats escomptés. p
sydney - correspondance
L’
Australie deviendra-t-elle bientôt une
république ? La reine Elizabeth II, qui
règne sur le pays, reste très populaire,
mais le débat a ressurgi pour Australia Day, la
fête nationale, qui commémore, le 26 janvier,
l’arrivée des premiers colons britanniques
en 1788. Le Mouvement républicain australien a proposé aux chefs des huit Etats et Territoires du pays de signer une déclaration qui
tient en une courte phrase : « Nous pensons
que l’Australie devrait avoir un Australien
comme chef d’Etat. » Sept ont signé.
Pour Andrew Barr, du Territoire de la capitale australienne, « nos liens avec la monarchie continuent de refléter une nation du
passé. Il est temps de grandir ». Le seul à s’être
abstenu de signer, le premier ministre d’Australie-Occidentale, Colin Barnett, estime que
le moment n’est pas le bon, mais se prononce
également pour la république. Le chef de l’opposition travailliste, Bill Shorten, se félicite du
« consensus politique » sur la question et a
proposé au premier ministre, Malcolm
Turnbull, lui-même républicain convaincu,
de travailler avec lui.
Terrain glissant
La question du changement de régime est revenue avec force depuis la nomination du
nouveau chef de gouvernement, en septembre 2015. Malcolm Turnbull et son prédécesseur, Tony Abbott, ont beau être de la même
formation, le Parti libéral, leur position est diamétralement opposée sur la question. Tony
Abbott est un fervent monarchiste, admirateur de la reine Elizabeth II. Dans les années
1990, Malcolm Turnbull était au contraire à la
tête d’une campagne pour l’instauration
d’une république. Cela avait failli lui coûter sa
carrière politique, car en 1999, un référendum
avait échoué : 55 % des Australiens avaient
voté contre un changement de régime.
Malcolm Turnbull est donc le mieux placé
pour savoir qu’il s’agit d’un terrain glissant.
S’il explique que son « engagement pour que
l’Australie ait un chef d’Etat australien n’a pas
faibli », il estime que la question n’est pas prioritaire et n’envisage pas de vote tant que règne
Elizabeth II. « Je n’ai pas le désir » de reprendre
le combat, a-t-il déclaré
mardi 26 janvier. Et c’est au
« NOS LIENS AVEC
peuple de décider : « Aucun
politique, ni premier minisLA MONARCHIE
tre ni chef de l’opposition,
ne peut faire de l’Australie
CONTINUENT
une république. »
La monarchie a toujours
DE REFLÉTER UNE
la cote dans la population.
NATION DU PASSÉ.
En 2014, un sondage montrait que 42 % des AustraIL EST TEMPS
liens étaient favorables à la
république et 51 % pour le
DE GRANDIR »
régime actuel. Cependant,
ANDREW BARR
les réponses pourraient
chef de l’exécutif
évoluer lorsque le prince
du Territoire de la
Charles montera sur le
capitale australienne
trône, celui-ci étant moins
populaire qu’Elizabeth II.
Les royalistes ont pris la parole pour défendre le système en place, qui donne à la reine
un pouvoir essentiellement cérémonial. Ils
critiquent un projet républicain flou, et soulèvent de nombreuses questions, du mode
d’élection du président au rôle qui lui serait
donné. Le député libéral Tony Pasin a estimé
que la monarchie protégeait l’Australie de
personnes comme le candidat à l’investiture
républicaine pour la présidentielle américaine Donald Trump : « Voulons-nous un système en Australie où on peut, parce qu’on est
riche, faire campagne et devenir président
d’une nation ? », a-t-il lancé, en référence au
milliardaire. p
caroline taïx
planète | 7
0123
JEUDI 28 JANVIER 2016
Marée noire du
« Prestige » : les
victimes seront
indemnisées
Des soldats
espagnols
nettoient
la plage
de Carnota
(Galice), en
janvier 2003
après le
naufrage du
« Prestige ».
Le capitaine, le propriétaire
et l’assureur du navire ont été
déclarés civilement responsables
par la Cour suprême espagnole
madrid - correspondance
C
e n’est pas vraiment une
victoire pour les associations de défense de
l’environnement qui,
depuis plus de treize ans, se battent pour que toute la lumière soit
faite sur la catastrophe du Prestige. L’avarie de ce pétrolier battant pavillon des Bahamas, en
pleine tempête, avait provoqué
une immense marée noire
en 2002 au large de la Galice, en
Espagne, déversant 63 000 tonnes de fuel et souillant 2 900 km
de côtes espagnoles, portugaises
et françaises. Néanmoins, l’arrêt
rendu par la Cour suprême espagnole, mardi 26 janvier, qui casse
l’acquittement pour délit environnemental prononcé en novembre 2013 par l’audience provinciale de La Corogne, en Galice,
devrait au moins permettre aux
victimes de la marée noire d’être
indemnisées.
La haute juridiction espagnole,
saisie après un recours du parquet de La Corogne et de l’Etat
français, a en effet condamné le
capitaine du Prestige, le Grec
Apostolos Mangouras, à deux
ans de prison comme « auteur
d’une atteinte à l’environnement
par imprudence ». Un délit pour
lequel il avait été acquitté en 2013,
tout comme les deux autres pré-
venus, le chef mécanicien et le directeur de la Marine marchande
espagnole de l’époque, José Luis
López-Sors. Pour ces deux derniers, l’acquittement a été maintenu par la Cour suprême. La
seule condamnation prononcée
en 2013, celle du capitaine pour
« désobéissance grave », pour
avoir refusé durant trois heures
le remorquage, a été annulée.
La Cour suprême a justifié sa décision en exposant que « si l’on se
dédie au transport avec un navire
de vingt-six ans d’ancienneté et
dans un état de conservation déficient, surchargé, avec un système
de remorquage obsolète, assumant la responsabilité d’une navigation risquée, sur des eaux qui ne
sont pas tranquilles, et dans des
conditions météorologiques adverses, il est évident que le risque
non seulement existait, mais qu’il
était plus que grave ».
A 81 ans, le capitaine n’ira cependant pas en prison, puisqu’en Espagne, les peines de deux ans ou
moins, s’il n’y a pas récidive, permettent d’y échapper. Mais sa
condamnation permet à la Cour
de déclarer « la responsabilité civile directe » du propriétaire libérien du pétrolier, Mare Shipping
Inc., et de l’assureur britannique,
The London P & I Club, dont la
couverture s’élève à un milliard
d’euros. Les victimes de la marée
MIGUEL
VIDAL/REUTERS
noire pourront aussi se tourner
vers le Fonds international pour
l’indemnisation des dommages
entraînés par les hydrocarbures
(Fidac).
« Farce »
Reste encore pour la Cour suprême à fixer le montant global
auquel seront condamnés le capitaine, l’assureur et le propriétaire,
afin d’indemniser « la réparation
des dommages constatés, le manque à gagner, y compris les dommages causés à l’environnement
dans ses différents aspects, l’indemnisation des dommages d’ordre matériel et moral, dans la limite des requêtes formulées par les
parties dans leurs conclusions ». Le
parquet espagnol avait demandé,
en 2013, plus de 4,3 milliards
d’euros d’indemnisations pour
les dommages causés par le naufrage du Prestige.
L’association de défense de l’environnement Greenpeace ironise sur la décision de la Cour suprême. « Enfin nous savons qui est
le responsable final d’une des plus
grandes catastrophes écologiques
en Espagne », commente Julio Barea, responsable de campagne de
l’ONG en Espagne. Celui-ci dé-
« Le pire est
qu’aucune leçon
ne semble avoir
été tirée de
la catastrophe »
MIGUEL DELGADO
Plate-forme de défense
du secteur maritime
de la pêche en Galice
nonce depuis longtemps que les
« véritables responsables » de la
marée noire n’ont jamais été mis
en examen : ni les propriétaires
du Prestige, Mare Shipping ; ni
l’affréteur, la compagnie suisse
Crown Resources, qui s’est dis-
soute avant l’ouverture de l’enquête et a empêché que soit
connu le destinataire de la cargaison – un fuel lourd de mauvaise
qualité et d’origine russe – ; ni
l’agence de certification, la société américaine ABS qui avait
autorisé le vieux pétrolier construit en 1976 à naviguer et contre
laquelle le gouvernement espagnol a porté plainte aux EtatsUnis sans succès ; ni, enfin, les
responsables politiques de l’époque, qui ont pris la décision
d’éloigner des côtes le pétrolier
pendant cinq jours, le faisant errer en mer, en direction des côtes
du Portugal puis de la France,
avant de se décider à le remorquer à l’abri dans un port, « transformant un accident en catastro-
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Bure: éboulement mortel sur le site
d’enfouissement de déchets radioactifs
Les opposants demandent l’arrêt du projet de stockage
des résidus les plus dangereux du parc électronucléaire français
U
ne enquête a été ouverte
par le procureur de Barle-Duc (Meuse), à la suite
de l’accident qui a fait un mort,
mardi 26 janvier en milieu de
journée, dans le laboratoire souterrain de l’Agence nationale pour
la gestion des déchets radioactifs
(Andra), situé à 490 mètres de
profondeur, dans le sous-sol de la
commune de Bure, entre les départements de la Meuse et de la
Haute-Marne.
Dans un communiqué, l’Andra
indique qu’« un éboulement s’est
produit au bout d’une galerie d’expérimentation en cours de creusement où intervenaient des salariés
d’une entreprise prestataire, lors
d’une opération de boulonnage ».
La préfecture de la Meuse précise
que « le front de taille d’un fond de
galerie a glissé alors que des relevés géophysiques étaient en
cours » et qu’« un éboulement est
survenu, atteignant un technicien
de la société Eiffage ». Celui-ci est
décédé, tandis qu’un de ses collègues a été légèrement blessé. En
mai 2002, un ouvrier avait déjà
trouvé la mort lors du creusement de l’un des deux puits d’accès au laboratoire souterrain.
Cette installation souterraine
est voisine mais distincte du site
où doit être aménagé le Centre industriel de stockage géologique
(Cigéo) des déchets à haute activité et à vie longue. Construit au
milieu d’une couche d’argilite de
120 mètres d’épaisseur, ce laboratoire de recherche et d’expérimentation, dont les travaux
avaient commencé en 2000, dispose d’une autorisation de fonctionnement jusqu’en 2030. Il n’accueille pas de déchets nucléaires,
seuls des traceurs radioactifs
étant utilisés pour des mesures de
diffusion dans la roche.
Essais préindustriels
Dans cette caverne, qui totalise
plus de 1 400 kilomètres de galeries, l’Andra mène à la fois des recherches fondamentales sur les
qualités de confinement de l’argile et des essais préindustriels
sur les techniques de creusement
de galeries ou le comportement
de la roche.
Ces études sont réalisées préalablement à la construction du site
de stockage lui-même. Celui-ci est
destiné à abriter les 80 000 m3 de
déchets radioactifs les plus dangereux générés par le parc électronucléaire français. Le projet est
encore à l’instruction : une loi sur
la réversibilité du stockage est
prévue avant le dépôt, en 2018,
d’une demande d’autorisation de
création. Les travaux pourraient
débuter à l’horizon 2020 pour
une mise en service en 2025, avec
une phase pilote de cinq à dix ans,
puis une exploitation pendant un
siècle et demi.
Initialement chiffré autour de
15 milliards d’euros, le coût prévisionnel de Cigéo vient d’être réévalué par la ministre de l’écologie,
Ségolène Royal, à 25 milliards
d’euros. L’Andra l’avait estimé à
une trentaine de milliards
d’euros, tandis que les producteurs de déchets (EDF, Areva et le
CEA) espéraient pouvoir limiter la
facture à 20 milliards.
Le projet est vivement combattu par les riverains et les antinucléaires. « Cher, dangereux et insensé, le projet Cigéo-Bure doit être
abandonné
immédiatement »,
écrit la coordination Bure-Stop,
pour laquelle cet éboulement
mortel « ne fait que confirmer les
risques démesurés » de l’enfouissement des résidus radioactifs.
« Alors que l’Andra présentait le
sous-sol de Bure comme un coffrefort inébranlable, il pose clairement la question de la stabilité
réelle de l’argile souterraine dans
laquelle pourrait être creusé Cigéo », ajoute-t-elle. Interrogée,
l’Andra indique qu’il est trop tôt
pour savoir quelles répercussions
cet accident aura sur le projet de
stockage géologique de Bure. p
pierre le hir
phe », selon Greenpeace.
« La décision de la Cour suprême
est une farce, explose le président
de la Plate-forme de défense du
secteur maritime de la pêche en
Galice, Miguel Delgado, qui
compte 31 000 membres. Le capitaine est le moins responsable,
puisque la décision d’errer en mer
n’a pas été prise par lui mais par les
autorités maritimes espagnoles. Mais le pire est qu’aucune leçon
ne semble avoir été tirée de la catastrophe. Régulièrement, des navires à la dérive sont détectés au
large de la Galice et la gestion des
autorités ne répond à aucun protocole clair. » « Cette décision n’empêchera pas un autre Prestige »,
assure aussi M. Barea. p
sandrine morel
8 | france
0123
JEUDI 28 JANVIER 2016
Taubira part, la ligne Valls se renforce
La ministre de la justice, opposée à la déchéance de nationalité, a annoncé sa démission mercredi 27 janvier
L
a démission de Christiane
Taubira a été tant de fois
prédite, et démentie par
les faits, depuis le début du
quinquennat de François Hollande que son annonce officielle,
mercredi 27 janvier dans la matinée, constitue une véritable surprise. La ministre de la justice a
donc décidé de jeter l’éponge alors
que la réforme constitutionnelle
qui prévoit l’introduction dans la
Loi fondamentale de la déchéance
de nationalité arrive en commission des lois ce même jour, à l’Assemblée nationale.
Jean-Jacques Urvoas, l’actuel
président de cette commission,
devait la remplacer au cours de la
journée. Pour François Hollande
et Manuel Valls, il s’agit du dernier acte de la « clarification » de la
ligne politique entamée en 2014,
avec les départs d’Arnaud Montebourg, Benoît Hamon et Aurélie
Filippetti du gouvernement.
Opposée fondamentalement à
l’extension de la déchéance de nationalité aux binationaux nés
Français, Christiane Taubira avait
évoqué plusieurs fois avec François Hollande, au cours du mois
de janvier, un éventuel départ du
gouvernement. Le principe en
avait été arrêté avec le chef de
l’Etat juste avant son voyage officiel en Inde samedi 23 janvier.
A son retour, mardi soir, François
Hollande a retrouvé Manuel Valls
avec lequel il a arrêté les derniers
détails de ce remaniement. Mme
Taubira a été reçue à l’Elysée mercredi matin à 8 heures. Une conversation de 45 minutes à laquelle
s’est joint en cours de route Manuel Valls. « C’était une conversation claire, chaleureuse, voire affectueuse entre les trois qui se connaissent très bien », explique-t-on à Matignon. « Du côté de Christiane
Taubira, c’est le choix de la cohérence, nonobstant la qualité de son
travail », indique-t-on à l’Elysée,
tout en soulignant que la garde des
sceaux « a préparé jusqu’au bout la
réforme de la procédure pénale »,
qui doit également être présentée
Jean-Jacques Urvoas
et Christiane Taubira,
à l’Assemblée nationale,
le 24 juin 2015.
JEAN-CLAUDE COUTAUSSE/
DIVERGENCE POUR « LE MONDE »
devant le Parlement.
La garde des sceaux avait déjà
frôlé la sortie de route gouvernementale en décembre 2015 quand
elle avait annoncé à une radio algérienne l’abandon de l’inscription de la déchéance de nationalité dans la Constitution, deux
jours avant que le chef de l’Etat ne
la maintienne dans le projet de réforme. Beaucoup s’étaient alors
étonnés que Mme Taubira n’en
profite pas pour quitter ce gouvernement avec lequel les désaccords s’accumulaient depuis déjà
quelques mois. « Le petit regret,
Pas de référence aux binationaux
Selon plusieurs sources gouvernementales et parlementaires,
la référence à la binationalité ne sera pas mentionnée dans le
projet de réforme constitutionnelle. « Aucun élément qui pourrait
laisser penser qu’il y aurait une discrimination entre les Français
ne sera retenu », a déclaré l’une de ces sources. Le gouvernement
va supprimer toute référence aux binationaux dans ce texte qui
étend la déchéance de nationalité pour les crimes les plus graves.
Le premier ministre, Manuel Valls, devait présenter, mercredi
27 janvier, devant la commission des lois de l’Assemblée nationale, la révision de la Constitution et ses deux lois d’application.
c’est qu’on aurait pu faire ça le
23 décembre, après la présentation
du projet de révision constitutionnelle, mais la ministre avait voulu
rester », explique-t-on à Matignon. A la rentrée, la garde des
sceaux avait été écartée du processus de réforme par Manuel
Valls, qui avait annoncé qu’il défendrait lui-même le projet devant les assemblées.
« Parfois, résister, c’est partir »
Pourtant, c’est avec un grand sourire que Mme Taubira était apparue, lundi 25 janvier, lors de sa traditionnelle cérémonie des vœux.
Recevant place Vendôme les plus
hauts magistrats et les corps constitués, la garde des sceaux avait
ouvert son discours en citant Jacques Prévert, « Alors on est revenu
à pied, à pied tout autour de la
terre, à pied tout autour de la mer,
tout autour du soleil, de la lune et
des étoiles. A pied à cheval en voiture et en bateau à voiles ». « Une
belle façon de dire comment nous
sommes revenus de l’année 2015 »,
avait commenté Mme Taubira.
Grande adepte des discours
sans notes truffés de références
littéraires, elle avait une nouvelle
fois réjoui son assistance en terminant son allocution en déclamant le poème de Paul Eluard
« Bêtes et méchants » dans lesquels on pouvait imaginer l’ombre des terroristes. Mercredi, c’est
avec un style aphoristique qu’elle
a commenté sa sortie du gouvernement sur Twitter : « Parfois résister c’est rester, parfois résister
c’est partir. Par fidélité à soi, à
nous. Pour le dernier mot à l’éthique et au droit. »
Peut-être escompte-t-elle ainsi
se donner le beau rôle, mais sa
sortie n’est pas si soignée, tant sa
capacité à remporter ses arbitrages gouvernementaux a été mise
à mal ces dernières années. A-telle tant résisté sur la réforme
constitutionnelle du Conseil supérieur de la magistrature, finalement abandonnée, sur la réforme
pénale de 2014, largement amputée par rapport à l’ambition initiale, sur la loi renseignement, qui
a ouvert un boulevard aux servi-
ces de police et à une surveillance
élargie des communications personnelles, ou sur la réforme de la
justice des mineurs, quelle estime
centrale mais qui n’est toujours
pas inscrite à l’ordre du jour d’un
conseil des ministres ?
Son passage au ministère de la
justice aura aussi été marqué par
une grande instabilité parmi ses
collaborateurs, souvent épuisés
par une ministre à la fois
brouillon et terriblement exigeante. Alain Christnacht arrivé
l’été 2015 Place Vendôme était son
quatrième directeur de cabinet en
quatre ans. Sa mission était de remettre de l’ordre dans des dossiers mal ficelés ou délaissés.
Cet automne, en forme de désaveu pour Christiane Taubira,
François Hollande avait directement reçu les syndicats des personnels pénitentiaires et les syndicats de magistrats, ce qui ne relève traditionnellement pas de
l’Elysée. Signe que son apport
gouvernemental aura davantage
été sur le plan des valeurs que des
réformes judiciaires, sa grande
œuvre restera la loi sur le mariage
pour tous. Un grand combat qui
l’a révélée aux yeux du pays.
Ministre emblématique des gouvernements Ayrault puis Valls, elle
a été l’objet d’attaques d’une telle
violence de l’extrême droite mais
également de toute une partie de
la droite parlementaire qu’elle en
était devenue une icône pour la
gauche. Et de ce fait, une caution
pour le gouvernement de Manuel
Valls qui s’est progressivement
coupé de l’aile gauche du PS. La
droite s’est d’ailleurs immédiatement réjouie de cette annonce.
« Elle a conduit une politique de désarmement pénal avec la suppression des peines planchers et son renoncement à une politique pénitentiaire stricte : tout ça a encouragé la délinquance et la récidive »,
explique Guillaume Larrivé, le
porte-parole du parti Les Républicains, qui n’hésite pas, signe du
poids symbolique de Mme Taubira,
à parler de « la pire ministre de la
justice de la Ve République ». p
nicolas chapuis
et jean-baptiste jacquin
Jean-Jacques Urvoas nommé à la chancellerie pour service rendu
L’arrivée Place Vendôme du député du Finistère, homme de dossiers inspirateur de la loi sur le renseignement, devrait rassurer les magistrats
J
ean-Jacques Urvoas n’observera plus les membres du gouvernement à distance. Le député PS, qui garde dans son
bureau de l’Assemblée des photos
le montrant aux côtés des différents ministres régaliens va pouvoir rejoindre sa collection.
Nommé, mercredi 27 janvier, ministre de la justice en remplacement de Christiane Taubira, démissionnaire, l’élu du Finistère se
voit récompensé pour son travail à
la présidence de la commission
des lois, qu’il occupe depuis 2012.
Plusieurs fois déçu de ne pas
avoir reçu de portefeuille ministériel depuis l’élection de François
Hollande, ce professeur de droit
avait fini par laisser s’envoler ses
rêves de gouvernement. Jusqu’à ce
qu’arrive le délicat dossier de la révision constitutionnelle et sa mesure controversée d’extension de
la déchéance de nationalité aux bi-
nationaux nés français, en cas de
condamnation pour terrorisme.
Depuis qu’elle avait fait savoir son
opposition à ce principe, Christiane Taubira était menacée à son
poste. M. Urvoas, lui, n’avait jamais été un ardent défenseur de la
mesure mais il s’était bien gardé de
faire savoir publiquement ses réticences. Bien lui en a pris.
Depuis que Manuel Valls lui avait
demandé, mi-janvier, de trouver
un compromis a priori impossible
entre majorité, exécutif et opposition sur la déchéance de nationalité, ce Breton revendiqué s’était attelé à la tâche avec application,
dans le plus grand secret. Et non
sans une certaine fierté. Ces derniers jours, il se pavanait dans la
salle des Quatre-colonnes où se
rencontrent députés et journalistes, refusant obstinément de répondre à la presse, mais toujours
avec un sourire malicieux. « Il bi-
che », reconnaissait un député qui
le connaît bien et qui, comme
beaucoup d’autres, le juge presque
aussi vaniteux que brillant.
« Démerder l’indémerdable »
M. Urvoas avait ainsi confirmé son
rôle d’homme clé dans le dispositif
de la majorité, lui qui avait fini par
devenir le « candidat naturel à démerder l’indémerdable », comme
le dit trivialement un socialiste. Au
printemps 2013, c’est déjà lui qui
avait été chargé de « démerder » la
problématique des déclarations de
patrimoine des élus. Le scénario
avait été quasiment le même : un
événement choc (le scandale Cahuzac en 2013 ; les attentats
aujourd’hui), des annonces rapides et non concertées du chef de
l’Etat (publication intégrale des déclarations de patrimoine des élus ;
extension de la déchéance de nationalité), une opposition forte des
parlementaires et, au final, un
Jean-Jacques Urvoas nommé rapporteur pour trouver, avec succès,
une piste d’atterrissage.
« Rigoureux », « méthodique » et
« astucieux », selon Richard
Ferrand, autre député PS breton, ce
fils de militaire est aussi un « travailleur acharné » selon le viceprésident de la commission des
lois, Dominique Raimbourg, qui
ne laisse rien au hasard. Pour appuyer ses propos, ce dernier aime à
raconter que M. Urvoas écrit ses
discours avec des stylos de plusieurs couleurs pour distinguer les
éléments importants, le fil conducteur ou encore les choses à ne
surtout pas oublier.
En mars 2015, pour le débat sur le
projet de loi renseignement, c’est
encore lui qui avait été nommé rapporteur avec pour mission (réussie) de verrouiller le groupe socialiste malgré de nombreuses réti-
cences. Ancien strauss-kahnien,
adepte de Michel Rocard et de Robert Badinter (ainsi que de Mylène
Farmer, mais pas pour les mêmes
raisons), M. Urvoas avait fini par se
rapprocher de M. Valls et s’attachait depuis à tenir l’équilibre entre
loyauté à l’exécutif et défense du
Parlement. Elu en 2007 et auteur
en 2012 d’un Manuel de survie à l’Assemblée nationale, il avait ainsi
plaidé, avec succès, pour l’instauration d’un contrôle parlementaire
de l’état d’urgence, lors du vote de
la prorogation de celui-ci, quelques
jours après les attentats de novembre 2015. Et ne s’était pas privé, en
rendant compte de ses travaux, le
13 janvier, pour mettre en garde sur
le fait que « les procédures gloutonnes permises par l’état d’urgence ne
viennent pas dévorer le droit commun des libertés ».
Pour l’Elysée, il était donc « le
choix de la compétence ». « Il maî-
trise parfaitement les dossiers qu’il
aura à gérer. C’est un aussi un signe
de confiance vis-à-vis du parlement
car c’est un pilier de l’Assemblée depuis le début du quinquennat », expliquait mercredi la présidence. Le
nom de son successeur à la commission des lois n’est pas encore
connu mais, dans un premier
temps, M. Raimbourg prendra sa
place comme rapporteur du « projet de loi constitutionnelle de protection de la nation ».
A un peu plus d’un an de la fin de
son mandat, le député, amoureux
du Parlement et défenseur du
non-cumul, se demandait s’il
voulait rempilait. Après cinq ans
dans l’opposition puis cinq ans à
la tête des Lois, il essayait de savoir comment se « projeter » dans
un troisième mandat et cherchait
à s’essayer à quelque chose de nouveau. Ce sera chose faite. p
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10 | france
0123
JEUDI 28 JANVIER 2016
Jungle de Calais : la droite dénonce l’inertie
Après les manifestations du week-end, Nicolas Sarkozy dénonce « la chienlit » et Alain Juppé se rend sur place
C’
est à l’Etat de faire le
travail qui est le sien
pour éviter la chienlit. » En choisissant
un terme entré en 1968 dans l’histoire de France par la voix du général de Gaulle, pour qualifier la
situation qu’a connue samedi
23 janvier la ville de Calais (Pas-deCalais), Nicolas Sarkozy ajoute encore à la surenchère verbale à laquelle s’adonnent Les Républicains (LR) ces derniers jours. Cette
déclaration, faite mardi, par l’ancien chef de l’Etat, à Strasbourg,
s’inscrit dans un crescendo qui
n’en finit pas depuis samedi soir.
Alain Juppé se rend dans le Pasde-Calais, ce mercredi. Le candidat à la primaire doit visiter les
installations de sécurité du site
d’Eurotunnel, se rendre sur le
port, dans un centre d’accueil et
sur le camp de la Lande. Depuis le
début de l’année, l’ancien premier ministre déroule ses idées
sur l’immigration, la sécurité et
l’antiterrorisme. Il les a résumées
dans son livre Pour un Etat fort
(JC Lattès, 205 p., 12 euros) où il
évoque déjà Calais. « La GrandeBretagne est aujourd’hui débordée par ce problème et n’assume
pas suffisamment ses responsabilités », écrit celui qui souhaite
revenir sur le traité du Touquet
entre Paris et Londres qui « correspondait à une réalité en 2003 mais
est aujourd’hui dépassé par le flux
massif des migrants ».
Le sujet de Calais a même résonné dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale, mardi, avec la
discussion sur les titres de séjour
des étrangers qui se poursuit
aujourd’hui. « L’impuissance publique règne à tous les étages, à
Calais, à Cologne, à Athènes
comme à Bruxelles », a lancé le
député (LR, Yonne) Guillaume
Larrivé devant un Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur,
exaspéré : « Vous êtes dans l’instrumentalisation politique d’un
sujet grave en convoquant toutes
les outrances, toutes les démagogies. Vous êtes irresponsables. »
Entre fermeté et exaspération
A Calais, samedi, une statue du général de Gaulle a été taguée et un
groupe de migrants a pénétré dans
l’enceinte grillagée du port pour se
hisser sur un ferry. C’est l’inscription de « Nik la France » à la peinture rouge sur une statue de
De Gaulle, qui se trouve à l’origine
du concert de protestations.
Guillaume Peltier et Eric Ciotti ont
été parmi les premiers à faire part
de leur indignation sur leur
compte Twitter. Le lendemain,
Natacha Bouchart, maire LR de Calais, défilait pour la première fois
en tête d’un cortège hostile à la présence des migrants dans sa ville.
Calais est devenu l’une des priorités des dirigeants du parti LR.
Chacun s’est exprimé. Avec un vocabulaire qui oscille entre fermeté
et exaspération. « En souillant la
statue du général de Gaulle, ces
manifestants démontrent leur
haine crétine pour la France », a
écrit le député (LR, Paris) François
Fillon sur son compte Facebook.
Lundi, l’exaspération s’est prolongée. A la sortie d’une réunion
Natacha
Bouchart,
maire de
Calais,
et Xavier
Bertrand,
président de
la région,
au port de
ferry de Calais,
le 25 janvier.
SARAH ALCALAY/SIPA
de crise avec Mme Bouchart et le
patron du port, Jean-Marc Puissesseau, le président LR de la région Nord-Pas-de-Calais-Picardie,
Xavier Bertrand, en appelle au
renfort de l’armée face à un
« drame humanitaire, économique
et social ». « L’enjeu n’est pas de revenir à une situation supportable
mais à une situation normale. Sans
venir sur place, on ne peut pas rendre compte de ce qu’ils vivent. C’est
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pour ça que j’ai demandé au président de la République de se déplacer », nous confie M. Bertrand
après avoir rencontré M. Cazeneuve, mercredi 20 janvier.
M. Bertrand a obtenu la garantie
d’une réunion interministérielle
avec l’intérieur et la justice, le 3 février. Il souhaite que les intrusions sur le port, passibles
aujourd’hui d’une amende, soient
jugées comme des délits. « La réponse de l’Etat ne peut pas reposer
sur les seules épaules du ministère
de l’intérieur », poursuit-il.
Preuve que la droite place Calais
en première ligne, l’actualité a
aussi animé lundi une grande
partie du point presse hebdomadaire du parti. Après s’être concerté avec Nicolas Sarkozy, Eric
Ciotti a dénoncé « la perte d’autorité du gouvernement » sur ce territoire soumis à la « loi des bandes,
des casseurs ». Le député des Alpes-Maritimes en a profité pour
demander « le démantèlement immédiat de la “jungle” de Calais »,
arguant qu’« il n’est plus possible
qu’il y ait des lieux où plus aucun
service public ne puisse pénétrer »,
alors que la police sillonne régulièrement le campement. Et bien
qu’aucun recensement ne soit fait
des migrants présents, M. Ciotti a
« L’enjeu n’est
pas de revenir
à une situation
supportable mais
à une situation
normale »
XAVIER BERTRAND
président (LR) de la région
Nord-Pas-de-Calais-Picardie
affirmé que 1 400 réfugiés sont
des demandeurs d’asile et que
tous les autres doivent être placés
en centre de rétention avant
d’être expulsés.
Si Les Républicains estiment,
par la voix d’Eric Ciotti, que « la situation est dégradée depuis longtemps » certes, mais que ce weekend, « on a franchi un palier avec
le ferry pris d’assaut, la manifestation des promigrants et le tag sur
la statue du général de Gaulle »,
cette présentation ne correspond
pas tout à fait à la réalité.
Depuis que les renforts policiers ont augmenté l’été 2015 à
l’entrée du tunnel sous la Manche, le port connaît des assauts
plus fréquents. Le 2 octobre 2015,
déjà, une cinquantaine de Syriens
avaient massivement investi le
lieu et bloqué l’accès des piétons à
un ferry. L’affaire n’avait pas fait
grand bruit. Pas plus que les 3 et
4 septembre, dates où déjà l’enceinte grillagée du port avait été
franchie par des groupes importants de migrants. Rien de bien
différent samedi. Seulement
cette fois, le contexte électoral de
la montée du FN aux élections régionales et de concurrence aiguë
à l’approche de la primaire
pousse chacun à réagir sur les sujets sensibles.
Aucun candidat à la primaire ne
veut se laisser déborder sur les
questions d’immigration. Nicolas Sarkozy est persuadé que cette
thématique sera le principal sujet
de débat et M. Juppé, son principal rival, durcit son discours depuis le début de l’année. La droite
veut contrer la montée du Front
national en tentant de trouver
l’équilibre entre fermeté et crédibilité. Intervention de l’armée,
dénonciation du rôle de l’Angleterre, renforcement des moyens
de police, expulsions… Les propositions se multiplient sans être
vraiment coordonnées. p
maryline baumard
et matthieu goar
Une surenchère électorale sur l’immigration
au-delà de ses « erreurs » et de ses « regrets », Nicolas Sarkozy livre un enseignement
majeur dans son livre, ou plutôt une confirmation : il a bien l’intention de mener une
campagne à droite toute pour la primaire de
novembre. Dans La France pour la vie (Plon,
260 pages, 18,90 euros), publié le 25 janvier,
l’ancien chef de l’Etat ne renie pas sa ligne
dure de la campagne de 2012. Il assume totalement la stratégie inspirée par Patrick Buisson,
son ex-conseiller venu de l’extrême droite, qui
consiste à faire preuve d’une fermeté extrême
sur les thèmes régaliens (immigration, sécurité) et identitaires (laïcité, islam) pour séduire
l’électorat conservateur.
« On ne me reprendra pas à faire des compromis de circonstance avec mes convictions.
Beaucoup pensent que j’ai perdu en 2012 parce
que j’en avais trop fait ; moi, je pense à l’inverse
que j’aurais dû faire davantage », écrit-il, jugeant que les attentats du 13 novembre 2015
ont changé la donne. « Le besoin d’autorité et
de fermeté n’a jamais été revendiqué et exigé à
ce point. »
Dans son livre, le président du parti Les Républicains (LR) prône la fin de toutes les aides
sociales pour les étrangers en situation irrégulière et conditionne l’entrée sur le territoire à
la possession d’un contrat de travail. Favorable à l’interdiction du voile à l’université et des
menus sans porc dans les cantines scolaires, il
souligne que « la nouvelle immigration » doit
« s’assimiler ». Un choix qui vise à marquer sa
différence avec Alain Juppé, partisan du concept d’« intégration ».
Nettement distancé par le maire de Bordeaux dans les sondages, M. Sarkozy a décidé
de formuler les positions les plus dures possible sur l’immigration et les sujets identitaires,
dans l’espoir de faire apparaître son rival
comme un centriste, qui serait en décalage
avec les attentes du peuple de droite. « Sarkozy
veut amener Juppé sur le terrain du régalien
pour cliver. S’il arrive à installer le débat sur les
questions de nationalité, d’identité ou de frontière, il sera difficilement battable », veut croire
un de ses partisans, convaincu que le président de LR aura le bénéfice de l’antériorité sur
ces sujets.
Batterie de propositions
Flairant le piège, Alain Juppé a musclé son discours pour tenter d’assécher l’angle d’attaque.
Dans son deuxième livre-programme, Pour un
Etat fort (J.-C. Lattès, 205 p., 12 euros), publié le
6 janvier, le favori de la primaire montre qu’il
n’entend pas se laisser doubler sur le terrain de
la fermeté. Rétablissement des peines planchers, restriction des conditions du regroupement familial… Il développe une batterie de propositions – présentées comme « non laxistes » –
dans les domaines de la sécurité, de la justice et
de l’immigration.
Pour montrer qu’il ne sous-estime pas les
questions d’immigration, l’ancien premier ministre a prévu de se rendre à la « jungle » de Calais (Pas-de-Calais), mercredi 27 janvier, où se
trouvent près de 4 000 migrants. Son objectif ?
Atténuer les divergences de fond avec son rival
pour que la campagne de la primaire se joue
avant tout sur les différences d’image et sur les
sondages. Des domaines où il a, pour l’instant,
l’avantage sur M. Sarkozy. p
alexandre lemarié
france | 11
0123
JEUDI 28 JANVIER 2016
BarakaCity,
l’ONG islamique
qui dérange
L’association mêle humanitaire
et islam rigoriste. Elle est mise en
cause après une émission de Canal+
C’
est l’une des associations emblématiques de cet islam
identitaire qui ont
émergé en France ces quinze dernières années. BarakaCity, jeune
organisation humanitaire musulmane à la popularité indéniable
chez les jeunes, se trouve au centre
d’une polémique après le passage
de son président, Idriss Sihamedi,
dans l’émission « Le Supplément »
de Canal+, dimanche 24 janvier.
Interrogé sur le point de savoir
s’il condamnait l’organisation Etat
islamique (EI), le président de BarakaCity a semblé vouloir éviter de
répondre. « Ce n’est pas équitable,
ce n’est pas juste, de me poser la
question parce que je suis musulman », a-t-il affirmé avant de se
dire « gêné de la question ». « C’est
pas qu’on ne condamne pas l’Etat
islamique, c’est qu’on essaie d’avoir
une certaine pédagogie pour essayer de discuter avec les jeunes et
pour leur faire comprendre qu’il y a
une alternative qui est bien, qui est
pacifique », a-t-il ajouté.
Aujourd’hui, le président de BarakaCity porte un regard acerbe
sur ce moment de télé : « C’était un
véritable traquenard », dit-il. Il
pensait être interrogé sur Moussa,
un membre de l’ONG arrêté et incarcéré le 22 décembre 2015 au
Bangladesh où il effectuait des
« repérages » pour venir en aide
aux Rohingya, une minorité musulmane persécutée par le régime
birman. « J’ai été sommé d’expliquer mes convictions religieuses, de
prouver que j’étais quelqu’un de
bien en trois minutes. Est-ce que je
suis fiché “S”, d’où viennent nos
fonds, est-ce que je cache les femmes, quelle est notre position vis-àvis de l’EI ? Je n’étais pas du tout préparé à ce type de questions », assure l’humanitaire.
& CIVILIS ATIONS
« Je n’ai rien fait d’illégal »
Il dénonce un montage le faisant
apparaître « dans une posture très
intégriste, très islamiste, très exotique ». Ses propos sur les femmes
auxquelles il ne serre pas la main ?
« J’ai le droit, on est dans le pays de
Charlie, pas en Chine, je n’ai rien fait
d’illégal », se défend-il. Ses atermoiements sur l’Etat islamique ?
« Je ne peux pas avoir un discours
de G.I. Joe. Est-ce que BarakaCity a
la même idéologie que l’Etat islamique ? Bien sûr que non, c’est absurde. Nous ne sommes pas des
guerriers. Mais nous sommes présents dans les zones turco-syriennes, j’y ai vingt ambulances et un
camion boulangerie qui sort du
pain tous les jours. Si je condamne
fermement, nous serons potentiellement une cible, en Syrie et même
en France. »
Quoi qu’il en soit, le débat a atteint les très nombreux soutiens
de l’ONG, qui dépassent la sphère
« Je ne peux pas
avoir un discours
de G.I. Joe. Est-ce
que BarakaCity
a la même
idéologie que
l’EI ? Non »
IDRISS SIHAMEDI
président de BarakaCity
de l’islam ultraorthodoxe. Sur le
compte Facebook de l’ONG,
« liké » par plus de 650 000 personnes, les commentaires s’accumulent depuis dimanche. Ce sont
des témoignages de soutien, mais
aussi des interrogations, voire des
critiques.
Reda B. fait partie de ceux qui
ont réagi. Cet éducateur de 37 ans,
qui habite Ivry-sur-Seine (Val-deMarne), est donateur depuis un
an : « J’ai connu l’ONG par Internet,
à travers ses actions au Mali, ça m’a
touché. » La dimension islamique
de BarakaCity lui plaît : « Matin,
midi et soir, on tape sur les musulmans, à tort ou à raison. Il faut
qu’on trouve un peu de réconfort au
sein de notre communauté », justifie-t-il. Ce musulman pratiquant
estime pourtant que le président
de l’ONG a fait « une erreur » en se
présentant sur le plateau de Canal+, auprès de « médias télévisuels [qui] cherchent à faire un
coup », et que les propos du président de Baraka « n’ont pas été maîtrisés ». Samia, une étudiante en
ressources humaines de 22 ans,
juge aussi que « l’intervention du
président de l’ONG était de mauvaise qualité », même si les questions qui lui étaient posées étaient
« déplacées » à son sens.
La communication, c’est pourtant habituellement l’un des
points forts de BarakaCity. « C’est
mon métier », explique Idriss Sihamedi, qui s’est formé « sur le tas »
en « étudiant les rapports de grosses boîtes comme Publicis ». Le
jeune homme a fondé BarakaCity
à 25 ans : « J’avais un savoir-faire, la
capacité de collecter beaucoup
d’argent à travers des techniques de
communication, j’étais ambitieux.
Je voulais m’épanouir dans l’humanitaire auprès des peuples qui vivent la guerre et l’oppression. »
« On est dans le feu de l’action »
En France, BarakaCity organise des
maraudes parisiennes auprès de
sans-abri ou, plus ponctuellement, prend en charge les frais de
sépulture ou le rapatriement de
corps de migrants décédés à Calais.
Elle dit intervenir dans 22 pays,
« principalement en Afrique », notamment auprès de musulmans
persécutés. « En Syrie, en Egypte, en
N° 14
FÉVRIER 2016
S
& C IV IL IS AT IO N
LA CONQUÊTE
DE L’OUEST
LE MYTHE QUI
E
FONDA L’AMÉRIQU
JÉRUSALEM
CONTRE ROME
MASSADA
E
LA RÉSISTANCE ULTIM
L’HÉRITAGE
CATHARE
DE L’HÉRÉSIE
À L’OCCULTISME
ARI
NÉFERT
DE RAMSÈS II
ÉPOUSE
OIR
ET FEMME DE POUV
Lors de la 32e Rencontre annuelle des musulmans de France, au Bourget (Seine-Saint-Denis), le 3 avril 2015. CORINNE SIMON/CIRIC
Palestine, au Bangladesh, en Birmanie, pourquoi l’islam ? », demande, en pleurs, un membre de
l’ONG en mission en Centrafrique
auprès des musulmans en exil,
dans une vidéo de 2014. BarakaCity, relève le spécialiste Bernard
Godard dans La Question musulmane en France (Fayard, 2015), est
caractéristique de ces nouveaux
acteurs de l’islam rigoriste qui
« mélangent le registre humanitaire et ceux strictement religieux et
purement identitaires ».
Samia, donatrice ponctuelle, a
justement aimé pouvoir s’« identifier » à une association islamique
dans laquelle elle reconnaît « des
valeurs qui [lui] sont chères au quotidien ». Elle apprécie surtout
d’être informée « en temps et en
heure », via Facebook ou Twitter,
ou la qualité des campagnes telles
que « L’eau c’est la vie », en 2013,
qui visait à réunir des fonds pendant le ramadan pour forer des
puits au Togo, dans la province
musulmane de Sokodé. Dans une
vidéo d’appel au don et sur un
fond musical religieux, des scènes
de conversion, de largages de
bombes, de révolution égyptienne
précèdent celles où les membres
de BarakaCity viennent en aide
aux villageois. « On est dans le feu
de l’action, on se sent vraiment concernés », apprécie Melissa Gorden,
une assistante administrative de
25 ans, installée à Belfort.
« Nous sommes l’une des organisations islamiques les plus influentes et populaires de France », revendiquait l’ONG dimanche sur
Facebook. Elle emploie vingtdeux salariés à son siège de Courcouronnes (Essonne). Elle ne lie
pas de partenariats formels avec
les grosses structures humanitaires françaises. Elle utilise parfois
des méthodes qui ne correspondent pas au répertoire d’action
communément partagé, telles les
missions de repérage « clandestines » auprès des Rohingya.
16 millions d’euros de recettes
BarakaCity fait recette. Elle dit
avoir reçu, depuis 2013, 16 millions d’euros. « 100 % de nos donateurs sont des particuliers », précise M. Sihamedi. Parmi les soutiens, des footballeurs de la Ligue 1
dont M. Sihamedi tait l’identité,
mais aussi les rappeurs Rohff ou
La Fouine. M. Sihamedi a beau
rappeler que son bilan a été certifié conforme, les banques ne veulent pas de l’association. Depuis
2014, ses comptes « ont été fermés
trois fois sans que cela soit lié à une
Moussa Ibn Yacoub attend sa libération
Moussa Ibn Yacoub, le Français membre de BarakaCity, emprisonné au Bangladesh depuis le 22 décembre 2015 pour « activités
suspectes », attendait de savoir si sa demande de libération sous
caution était acceptée, mercredi 27 janvier. Le jeune homme de
28 ans est poursuivi pour utilisation d’une identité – son nom
d’usage musulman – différente de son état civil, Puemo Maxime
Tchantchuing. Il lui est aussi reproché de ne pas avoir déclaré ses
activités aux autorités. Moussa réalisait au Bangladesh un « état
des lieux » sur la situation des réfugiés rohingya, une minorité
musulmane persécutée en Birmanie. Son incarcération a entraîné une large mobilisation sur les réseaux sociaux et sur Internet où une pétition #FreeMoussa, lancée à Noël sur le site de
l’ONG, a recueilli plus de 435 000 signatures.
procédure judiciaire, explique son
avocat, Me Samim Bolaky. Cela relève du pouvoir discrétionnaire des
établissements ».
« Sur le plan judiciaire, l’association est vierge », insiste Me Bolaky.
Deux perquisitions dans les locaux de BarakaCity n’ont pas permis à la police de relever d’infraction. L’une, en février 2015, faisait
suite à l’usage non réglementaire
d’un drone, à proximité des locaux
de l’association, destiné à filmer le
départ d’un convoi d’ambulances
pour la Syrie. La seconde a eu lieu
dans le cadre de l’état d’urgence.
Pour le ministère de l’intérieur, BarakaCity est « une association sous
surveillance », compte tenu de son
profil idéologique et du fait qu’elle
opère en Syrie.
Idriss Sihamedi est très offensif
sur Twitter. Le discours du président de l’ONG, qui réfute l’étiquette de salafiste, y apparaît plus
dur et plus politique. Avant de lancer la campagne #FreeMoussa, BarakaCity était particulièrement active sur la dénonciation des
« abus » de l’état d’urgence, en association avec le Collectif contre
l’islamophobie en France. La vidéo
réalisée sur le sujet par l’ONG a été
vue plus de 1,4 million de fois. p
cécile chambraud
et julia pascual
Najat Vallaud-Belkacem et les « ennemis de la République »
la ministre de l’éducation ne veut pas
« débattre avec les ennemis de la République ». Après un message sur Facebook et un
entretien au Parisien du mardi 26 janvier,
c’est à l’Assemblée que Najat Vallaud-Belkacem a dû s’expliquer mardi après-midi, critiquée par une partie de la droite et sur les
réseaux sociaux pour avoir réagi a minima,
dimanche 24 janvier, sur Canal+, à des déclarations du fondateur de l’ONG musulmane BarakaCity, Idriss Sihamedi.
Sur le plateau de l’émission « Le Supplément », Idriss Sihamedi avait expliqué qu’il
ne « serre pas la main aux femmes » et
s’était montré louvoyant sur la question de
savoir s’il condamnait l’organisation Etat
islamique. « J’ai refusé de servir la soupe à ce
monsieur en lui offrant une tribune supplémentaire », s’est justifiée Mme Vallaud-Belk-
acem, mardi, devant les députés. « Ma règle
est simple : on ne débat pas avec les ennemis
de la République, on les combat, et mon
combat est total. Il exclut tout dialogue artificiel et toute mise en scène », a-t-elle ajouté,
en évoquant « une polémique dérisoire ».
« Petit jeu nauséabond »
Dans Le Parisien, Mme Vallaud-Belkacem
avait critiqué les producteurs de l’émission,
en dénonçant « un petit jeu nauséabond
consistant à inviter des gens infréquentables
pour faire du buzz ». La ministre, invitée
pour présenter les mesures de l’éducation
nationale contre la radicalisation, n’était
pas préparée à débattre avec le fondateur de
BarakaCity, indique son cabinet. « Je ne connais pas bien l’association », reconnaît
d’ailleurs la ministre durant l’émission.
De son côté, Idriss Sihamedi a déploré sur
Facebook le « montage » de l’émission et a
dit vouloir s’expliquer « sans être coupé ». Il
explique qu’il avait choisi de faire cette
émission pour parler de Moussa Ibn Yacoub, membre de l’ONG emprisonné au
Bangladesh.
Le rédacteur en chef du « Supplément »,
Guillaume Hennette, dément avoir cherché la confrontation entre ses invités.
« Nous avons été factuels du début à la fin,
dans le reportage et dans l’interview, rappelle-t-il. Nous avons posé les bonnes questions. On demande à Idriss Sihamedi ce que
“musulman orthodoxe” veut dire, ce qui est
normal. Il a sa réponse, qui crée un malaise
sur le plateau, mais il n’y a pas eu de clash et
nous n’avons pas cherché cela. » p
violaine morin
Un voyage à travers le temps et les grandes
civilisations à l’origine de notre monde
Dans chaque numéro, vous retrouverez
■ les signatures d’historiens et d’un comité scientifique renommés
■ six dossiers riches en infographie et en iconographie
■ un regard sur toutes les civilisations qui ont marqué notre humanité
CHAQUE MOIS CHEZ VOTRE MARCHAND DE JOURNAUX
12 | france
0123
JEUDI 28 JANVIER 2016
La loi fin de vie adoptée
sans apaiser le débat
Les parlementaires devaient voter, mercredi, le texte
instaurant un droit à la «sédation profonde et continue»
C
e ne sera ni l’avancée décisive espérée par les partisans d’un « droit à mourir » ni le statu quo défendu par les
pro-vie. Plus de dix ans après la loi
Leonetti, à l’issue d’un long et
houleux processus d’élaboration
entamé en 2012, la France devrait
se doter, mercredi 27 janvier,
d’une nouvelle loi sur la fin de vie.
Sauf coup de théâtre au Palais
du Luxembourg, une majorité de
députés puis de sénateurs issus
de la majorité et de l’opposition
devraient définitivement se prononcer en faveur d’un texte instaurant un droit à la « sédation
profonde et continue » jusqu’au
décès pour les malades en phase
terminale, ainsi que des directives
anticipées contraignantes. « On
va passer d’un devoir des médecins
à un droit des malades », explique
le député Jean Leonetti (LR), coauteur de la proposition de loi avec
son homologue Alain Claeys (PS).
Stricte traduction d’un engagement de campagne du candidat
François Hollande en 2012 qui
promettait le droit à une « assistance médicalisée pour terminer
sa vie dans la dignité », le texte
n’autorisera ni l’euthanasie ni le
suicide assisté, au grand dam
d’une partie des parlementaires
de gauche.
« Consensus mou »
En décembre 2014, plus d’un an et
demi après le vote du mariage homosexuel, le chef de l’Etat avait
souhaité que l’autre grande réforme sociétale de son quinquennat se fasse dans un « esprit de rassemblement ». Marginalisés par ce
choix, le premier ministre, Manuel Valls, et la ministre de la
santé, Marisol Touraine, tous
deux signataires en 2009 d’une
proposition de loi prévoyant une
« aide active à mourir », n’ont
cessé de répéter que cette loi de
consensus devait être vue comme
une « étape ».
En dépit des – vaines – tentatives de députés de gauche d’instaurer une aide active à mourir, et
celles de sénateurs de droite pour
Désormais,
un médecin ne
pourra s’opposer
à une demande
de sédation de la
part d’un patient
atteint d’une
« affection grave
et incurable »
neutraliser un texte soupçonné
de permettre des pratiques
euthanasiques, la version sur laquelle vont se prononcer les deux
Chambres mercredi est finalement assez proche de celle que
François Hollande avait appelée
de ses vœux. « Nous avons levé les
inquiétudes et les ambiguïtés sans
dénaturer le texte », expliquait
Jean Leonetti le 19 janvier, à l’issue d’une commission mixte paritaire qui venait d’harmoniser
les positions des deux Chambres
sur le sujet.
Concrètement, la nouvelle loi va
mettre en place ce que M. Leonetti
appelle un « droit de dormir avant
de mourir pour ne pas souffrir ». Si
cette pratique sédative existe déjà
dans les hôpitaux français, « elle
est loin d’être générale et homogène », avaient constaté les deux
auteurs de la proposition de loi.
Désormais un médecin ne
pourra pas s’opposer à une demande de sédation profonde et
continue de la part d’un patient
atteint d’une « affection grave et
incurable », dont le « pronostic vital est engagé à court terme » et
qui présente une « souffrance réfractaire aux traitements ». Ou
lorsque sa « décision d’arrêter un
traitement engage son pronostic
vital à court terme et est susceptible d’entraîner une souffrance insupportable ».
Cette sédation, qui devra être accompagnée d’un arrêt de tous les
traitements, y compris de l’alimentation et de l’hydratation ar-
Soins palliatifs : nomination contestée
La possible nomination du docteur Véronique Fournier à la tête du
futur Centre national des soins palliatifs et de la fin de vie agite depuis quelques semaines le milieu des soins palliatifs. Pressentie
pour diriger la structure qui devra mieux faire connaître les soins
palliatifs, la directrice du Centre d’éthique clinique de l’hôpital
Cochin est connue pour ses prises de position en faveur d’un recours à l’euthanasie dans certaines situations. Dans un communiqué publié le 15 janvier, la Société française de soins palliatifs
(SFAP), une société savante qui rassemble plus de 5 000 soignants
et 200 associations de bénévoles, a regretté cette possible nomination, qu’elle a jugée « en conflit avec les positions éthiques du
monde des soins palliatifs ». Face à cette levée de boucliers, le
ministère de la santé temporise et assure qu’il n’y a « pas d’urgence » à nommer quelqu’un à la tête du centre.
SOC I AL
Manifestation de milliers
de fonctionnaires
Des milliers de fonctionnaires ont manifesté, mardi
26 février, dans des cortèges
qui mêlaient revendications
pour le pouvoir d’achat et,
dans l’éducation nationale,
contestation de la réforme du
collège. Les 5,6 millions
d’agents de la fonction publique ont perdu entre « 8 % et
10 % » de leur pouvoir d’achat
en cinq ans, selon FO et la
CGT, qui ont appelé à la mobilisation avec Solidaires.
Depuis 2010, le point d’indice
qui sert à calculer leurs salaires est gelé. La ministre de la
fonction publique, Marylise
Lebranchu, a répété mardi
que les fonctionnaires ne
tificielles, a concentré depuis un
an les critiques des pro-euthanasie et des pro-vie. L’Association
pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD) a regretté que le
nouveau texte, « fruit d’un consensus mou », propose « pour seule issue la déshydratation et la dénutrition ». La loi Claeys-Leonetti va
« encourager une pratique abracadabrantesque de l’euthanasie »,
juge le sociologue Philippe Bataille, très critique envers la nouvelle loi.
Au collectif pro-vie Soulager
mais pas tuer, on estime que ce
droit à la sédation « reste très ambigu, les parlementaires ayant refusé de préciser que l’intention de
la sédation ne doit pas être de provoquer la mort ». « Quels que
soient les limitations légales et les
garde-fous, les médecins pourront
de moins en moins refuser d’introduire un patient, à sa demande,
dans cette antichambre sédative
prémortuaire », déplore Damien
Le Guay, le président du Comité
national d’éthique du funéraire
dans une tribune au Figaro. « Avec
ce droit à une sédation terminale,
des situations inextricables vont
apparaître », prévient-il.
Procédure collégiale
A ces différentes critiques, Bernard Devalois, le chef de service
de l’unité de soins palliatifs de
l’hôpital de Pontoise (Val-d’Oise),
répond qu’il s’agit d’une « sédation palliative ou bientraitante car
elle n’est pas responsable du décès.
Sauf évidemment si les sédatifs utilisés sont volontairement très largement surdosés », ajoute-t-il, regrettant au passage que les parlementaires aient renoncé à mettre
en place un dispositif de contrôle
a posteriori des pratiques sédatives, afin d’« évaluer le dispositif et
ses éventuelles dérives ».
Les directives anticipées, par lesquelles il est possible de faire connaître son refus d’un acharnement thérapeutique – jusque-là
simplement indicatives – s’imposeront désormais au médecin,
sans être toutefois opposables. Le
soignant pourra en effet y déroger
« en cas d’urgence vitale pendant le
temps nécessaire à une évaluation
complète de la situation » et lorsqu’elles « apparaissent manifestement inappropriées ou non conformes à la situation médicale ».
Ce refus devra être pris à l’issue
d’une procédure collégiale et figurer noir sur blanc dans le dossier
médical du patient. Après le vote,
plusieurs aspects de la loi devront
encore être précisés par décret,
dont la formulation du futur formulaire-type de directives anticipées. Une parution espérée d’ici à
juin par M. Claeys. p
françois béguin
devaient pas s’attendre à une
« grosse augmentation du
point d’indice », lors de la négociation salariale prévue en
février. C’est dans l’éducation
nationale que la grève a été la
plus suivie : 22,3 % des professeurs étaient en grève dans
les collèges, selon le
ministère (50 % selon le
premier syndicat), et 12,24 %
dans le primaire (33 %, de
source syndicale). – (AFP.)
EN FAN C E
L’adoption à l’étranger
au plus bas
Le nombre d’enfants adoptés
à l’étranger a chuté de 24 %
en France en 2015, tombant
au plus bas niveau depuis
trente-cinq ans et avoisinant
désormais le niveau des
adoptions réalisées sur le territoire national. Un total de
815 visas ont été délivrés
en 2015 pour des enfants
adoptés à l’étranger, comparé
à 1 069 en 2014, chiffre qui
était déjà en baisse de 20 %,
selon le Quai d’Orsay. – (AFP.)
I MMI GRAT I ON
Quatre blessés au cours
d’une rixe dans le camp
de Grande-Synthe
Quatre migrants ont été
légèrement blessés mardi
26 janvier à Grande-Synthe
(Nord), dont deux par arme
à feu, lors d’une rixe entre
bandes rivales de passeurs
dans le camp où vivent
dans des conditions
très précaires quelque
2 500 migrants. – (AFP.)
france | 13
0123
JEUDI 28 JANVIER 2016
La colère gronde chez
les procureurs sous pression
Devant la multiplication des tâches et la pénurie de moyens,
les représentants des parquets renoncent à une partie de leurs missions
I
ls sont chargés d’ouvrir les enquêtes judiciaires, d’engager
les poursuites contre les
auteurs de délits, de porter le fer
jusque dans les tribunaux au nom
de l’accusation. Incarnation des rigueurs de la loi pénale, les procureurs de la République n’en sont
pas moins sujets aux mouvements d’humeur. En ce début
2016, la colère monte.
Depuis le 1er janvier, 86 % des
168 procureurs que compte la
France ont décidé de ne pas faire
remonter à la chancellerie leur traditionnel « rapport annuel du ministère public ». Plus exactement,
ils vont en transmettre une version allégée bâtie sur une trame
unique élaborée par la Conférence
nationale des procureurs de la
République, une association qui
les fédère. Une première ! « Nous
arrêtons de fournir des éléments
basés sur des tableaux faits manuellement alors que nos outils informatiques ne nous permettent
pas de produire les statistiques demandées », justifie Marc Cimamonti, procureur de Lyon, qui assume la présidence par intérim de
cette Conférence nationale.
Cela fait plusieurs mois que la
tension monte avec le ministère
de la justice. Une première réunion en septembre 2015 avec le
cabinet de la garde des sceaux a
été suivie en octobre par la réunion annuelle des procureurs de la
République et des procureurs généraux (ceux qui siègent dans les
cours d’appel) en présence de
Christiane Taubira, puis en décembre d’un courrier à la ministre
de la justice. C’est désormais un
dossier dont devra s’emparer le
nouveau garde des sceaux, JeanJacques Urvoas.
Revendication d’indépendance
Dans un contexte de pénurie de
moyens commune à tous les domaines de la justice, les procureurs s’estiment victimes d’une
explosion des missions. Entre l’inflation des lois pénales qui sollicitent leur intervention à des étapes
toujours plus fréquentes de la procédure, et l’obligation de participer et d’animer des instances partenariales de plus en plus nombreuses, ils affirment ne plus être
en mesure de faire face.
L’assemblée générale de la Conférence des procureurs, qui ne
veut surtout pas être confondue
avec un syndicat, a ainsi décidé
NOMBRE DE PROCUREURS POUR 100 000 HABITANTS
EN 2012
15,7
11,8
10,1
5,9
2,3
2,9
3,2
Irlande
France
Italie
Roy.-Uni
6,5
Allem. Danemark Moy. Pologne
Europe
SOURCE : RAPPORT 2014 DE LA COMMISSION EUROPÉENNE POUR L’EFFICACITÉ DE LA JUSTICE
mi-décembre de faire un tri dans
les missions. Outre la grève des
rapports administratifs qui leur
sont demandés par leur hiérarchie, ils ont décidé de « suspendre
leur participation à toute instance
partenariale sans lien avec les missions de sécurité ou dénuée de véritable contenu opérationnel ».
Le parquet de Lyon a ainsi prévenu qu’il ne participerait pas
cette année aux réunions des
vingt-six conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance (qui rassemblent maires,
préfet, directeur départemental
de la sécurité publique, etc.) de son
ressort. A Créteil, lors de
l’audience solennelle de rentrée
du tribunal de grande instance,
mardi 19 janvier, Nathalie Bécache, procureure, a affirmé que son
parquet « concentre ses forces et recentre son action sur son cœur de
métier : l’action publique et la direction de la police judiciaire ». Cette
conception selon laquelle le cœur
de métier serait le volet répressif
fait hurler à la chancellerie où l’on
considère au contraire que la prévention et la présence du parquet
dans la cité sont des éléments essentiels de la mission.
Derrière ce débat, remonte
l’éternelle revendication d’indépendance du parquet à l’égard du
pouvoir exécutif. La réforme constitutionnelle du Conseil supérieur
de la magistrature (CSM) qui lui
donnerait l’autonomie pour la
gestion des carrières des magistrats du parquet comme elle
existe pour ceux du siège n’est pas
près de voir le jour, tant la droite
parlementaire y est fondamentalement opposée et la gauche frileuse malgré ses déclarations de
grands principes.
Le premier procureur de France,
Jean-Claude Marin, a relancé le sujet lors de l’audience de rentrée de
la Cour de cassation, le 14 janvier.
Certes, il s’est réjoui de la loi de
2013 qui proscrit désormais les
instructions individuelles de la
chancellerie dans les affaires particulières, comme de l’engagement, respecté à ce jour, de la
garde de sceaux de ne pas passer
outre les avis défavorables du CSM
aux nominations de magistrats
du parquet. Mais il en demande
plus, notamment sur le statut du
parquet, appelant de ses vœux
« l’inscription du principe de l’unicité du corps [avec les magistrats
du siège] dans la Constitution ».
Une sortie qui a désinhibé la parole. La très sage Conférence des
procureurs généraux y est donc
allée, à son tour, d’un communiqué le 20 janvier. Ces « gradés » des
cours d’appel légitiment la rébellion des procureurs en affirmant
que « les contraintes aiguës qui pèsent aujourd’hui sur les magistrats
du ministère public rendent impérieuse la mise en œuvre des mesures propres à adapter (…) l’action
des parquets et des parquets généraux à leurs moyens actuels, dans
leurs missions essentielles ».
Les recrutements record d’élèves
à l’Ecole nationale de la magistrature décidés par le gouvernement
risquent de ne pas suffire à résoudre les problèmes. p
jean-baptiste jacquin
La mortalité routière en hausse
pour la deuxième année consécutive
La vitesse moyenne sur les routes augmente à nouveau depuis 2013
E
n 2015, 3 464 personnes
sont mortes sur les routes
de France, a annoncé l’Observatoire national interministériel de la sécurité routière (Onisr),
mercredi 27 janvier. C’est 2,4 % de
plus qu’en 2014 (3 384 décès), première année de hausse de la mortalité depuis 2002. C’est la première fois depuis 1980 que la
mortalité est en hausse deux années de suite.
Parmi les causes avancées,
l’Onisr constate une augmentation des vitesses moyennes, de
1 km/h à 4 km/h, selon les réseaux, depuis 2013. Cela constitue
une inversion de tendance, après
dix années de diminution des vitesses moyennes, liée à l’implantation des radars.
« La trop grande connaissance
par les automobilistes de l’emplacement des dispositifs de contrôle
a manifestement atténué leur efficacité », indique l’Onisr.
Le gouvernement n’envisage
pas, néanmoins, d’interdire les
avertisseurs de type Coyote. Il a
annoncé, lors d’un comité interministériel de la sécurité routière,
le 2 octobre 2015, une multiplication des radars sur les routes.
Mais les leurres annoncés ne verront le jour qu’à partir de février.
Passation de marchés
L’utilisation d’opérateurs agréés
pour faire fonctionner les radars
embarqués à bord de voitures
banalisées, indétectables par les
avertisseurs, nécessite la passation de marchés et ne se fera pas
avant septembre. Quant à
l’utilisation de drones pour verbaliser depuis les airs, elle soulève de nombreux problèmes
juridiques.
Pour Chantal Perrichon, présidente de la Ligue contre la violence routière, « ces mauvais résultats montrent que les 81 mesures
tous azimuts annoncées par le ministre de l’intérieur depuis le début
de l’année n’ont eu aucun effet ».
Elle estime que cette deuxième
année consécutive de hausse de
la mortalité « constitue la sanction d’un ministre [Bernard Cazeneuve] qui ne veut pas travailler
avec les experts et qui s’obstine à
refuser la seule mesure qui aurait
un effet sur la mortalité », à savoir
la généralisation de la baisse de la
vitesse maximale autorisée, de
90 km/h à 80 km/h, sur les routes
à double sens dépourvues de séparateur médian. Cette baisse de
la vitesse n’est expérimentée que
sur 81 kilomètres de segments
routiers. p
rafaële rivais
14 | enquête
0123
JEUDI 28 JANVIER 2016
De cape
et d’épée
Alain Finkielkraut
doit être reçu,
jeudi 28 janvier,
à l’Académie française.
Une consécration pour
ce philosophe tourmenté
qui n’a cessé d’ausculter
les angoisses de l’époque
raphaëlle bacqué
L
e tailleur de Stark & Sons a proposé de placer sur le revers de
l’habit d’académicien la Légion
d’honneur d’Alain Finkielkraut.
« Impossible, je l’ai perdue !, s’écrie
le philosophe. Non, pas la peine de
racheter une médaille. Cela ira très bien
comme ça ! » Ce n’est pas que l’auteur de
L’Identité malheureuse méprise les honneurs
de la République. Mais, au seuil de l’Académie
française, à 66 ans, il reste encore en lui les
oripeaux de l’ancien professeur de littérature
qu’il fut dans les années 1970, à l’université libertaire de Berkeley (Californie), « lorsque [sa]
génération déconstruisait mythes et institutions et considérait l’Académie comme le temple de la bourgeoisie triomphante ».
Mérimée, lui-même élu à l’Académie
en 1844, moquait déjà en son temps les messieurs du Quai Conti et leur « habit broché
d’estragon ». « Je ne veux pas être un monsieur », a longtemps protesté Finkielkraut devant ses amis, avant de céder aux « amicales
pressions » de l’historien Pierre Nora, qui prononcera, jeudi 28 janvier, son éloge. Mais enfin le voilà, vingt et un mois après son élection, prêt à revêtir son bel habit et muni de
cette épée « qui va enfin pouvoir [le] défendre », dit-il en riant.
Tout à l’heure, sur le trottoir de la très chic
rue de la Paix, devant chez son tailleur, un
passant l’a abordé pour lui dire son « admiration ». Puis un autre, un peu plus loin, l’a assuré de son « soutien » après l’émission « Des
paroles et des actes », le 21 janvier, où une en-
seignante, proche des Indigènes de la République, lui avait intimé, avec un sourire implacable : « Pour le bien de la France, taisezvous M. Finkielkraut ! » Du batailleur ou du
narcissique, de l’intellectuel reconnu par
l’Académie au polémiste à succès, lequel est le
mieux comblé par ces hommages ?
Quelques semaines après son élection, le
10 avril 2014, le président de la République,
protecteur de l’Académie, l’a reçu en
audience, comme le veut l’usage, accompagné du secrétaire perpétuel, Hélène Carrère
d’Encausse. François Hollande n’avait jamais
vraiment rencontré celui que la gauche désigne au mieux comme un « néoréactionnaire ». Entre eux, la conversation est restée
superficielle et mondaine. Trente minutes,
tout au plus. Le président n’aime pas ce philosophe venu de la gauche, mais dont les plaidoyers frénétiques et sombres contre l’islam,
le délitement de l’école et de l’identité nationale ont fini par rejoindre les angoisses d’une
partie du pays. « Il ne veut pas aborder ces sujets », a tranché Finkielkraut en sortant. « Cet
homme voit tout en noir », a confié le président à ses conseillers.
« JE SUIS UN APÔTRE DE LA DIVERSITÉ »
L’Académie joue plus habilement des névroses de « Finky ». Avant de le recevoir en
grande pompe, elle l’a soumis, le 21 janvier, à
l’épreuve du dictionnaire. Il fallait improviser
une petite dissertation orale à partir d’un
mot choisi par les Immortels. Ce pourfendeur du métissage est tombé sur « variété ».
« J’ai échappé à “varice” ou “variole”, c’est déjà
ça », s’amuse-t-il. Devant l’aréopage, curieux
de voir comment il allait s’en sortir, Alain Fin-
« POURQUOI, ALORS
QU’IL EST DRÔLE ET
GAI, S’ÉCHINE-T-IL À
JOUER AUX ONCLES
RABAT-JOIE EN BOUT
DE TABLE ? »
SYLVIE TOPALOFF
avocate et épouse
du philosophe
kielkraut s’est lancé. Il a cité son ami Milan
Kundera : « L’Europe, c’est le maximum de variété dans le minimum d’espace. » Puis le mot
de l’écrivain tchèque Vaculik. Alors qu’on lui
rapportait cette sentence de De Gaulle « Comment voulez-vous gouverner un pays qui produit plus de 300 sortes de fromages ? », le dissident qui bataillait contre le totalitarisme soviétique s’était écrié : « C’est magnifique ! »
Bref, Finkielkraut a passé l’épreuve haut la
main. « Vous voyez, je suis un apôtre de la diversité, contrairement à ce que tout le monde
raconte ! », dit-il triomphant.
Pour l’éprouver encore un peu, il a fallu
aussi qu’il entende à l’avance l’éloge que prononcera Pierre Nora – « Des compliments qui
me font rougir et quelques taquineries sur mes
provocations », confie-t-il. Et surtout qu’il
dise le sien devant une sorte de jury de douze
académiciens. Ah, ce discours ! Il sait bien
qu’il est attendu au tournant. Il doit en effet
faire l’éloge de Félicien Marceau, au fauteuil
duquel il a été élu. Marceau, écrivain célèbre
en son temps, mais aussi ancien collaborateur, condamné par contumace en 1946 à
quinze ans de travaux forcés et déchu de sa
nationalité belge.
Pendant des mois, Finkielkraut s’est lamenté auprès de ses amis : « Voilà qu’on me
demande de faire l’éloge d’un nazi ! » Lui,
l’auteur du Juif imaginaire, l’homme au nom
« tellement imprononçable qu’au lycée [ses]
parents avaient obtenu qu’on [l]’appelle seulement Fink ». Puis, il s’est attelé à la tâche. « J’ai
téléphoné en Belgique, contacté des historiens,
bref, mené ma petite enquête », dit-il
aujourd’hui. « C’était un pacifiste qui s’est
trompé d’époque, mais il a été naturalisé par
de Gaulle et parrainé à l’Académie par Maurice
Schumann. Et puis, j’ai eu le pressentiment que
ce passé me permettrait de dramatiser mon
discours. » Cet été, il est parti à Paros, en
Grèce, avec une valise pleine des livres de
Marceau, sa femme et deux de ses vieux
amis, André Dussollier et Fabrice Luchini. Ils
ne l’ont vu qu’au moment des repas. « J’ai
écrit mon discours en deux semaines », assuret-il fièrement, avant de reconnaître en riant :
« Mais j’avais plusieurs mois d’angoisses derrière moi… »
Quai Conti, le « cas Marceau » n’en est plus
un depuis longtemps. Proche de Michel
Déon, l’auteur passait pour le chantre d’un
certain esprit français et le pardon de De
Gaulle avait rassuré tout le monde. L’ancien
résistant Pierre Emmanuel, seul académicien
à avoir refusé de siéger « sur les mêmes bancs
qu’un collaborationniste » est presque oublié,
alors que presque tous les Immortels se souviennent encore d’avoir vu au théâtre les pièces de Marceau jouées à guichets fermés par
Jean-Claude Brialy, Marie Bell ou Guy Bedos.
Les académiciens sont bien plus curieux de
la façon dont leur nouveau condisciple va se
conduire. Pierre Nora leur a rapporté ce mot
de Kundera sur son ami Finkielkraut : « C’est
un homme qui ne sait pas ne pas réagir. » Ils
connaissent ses diatribes de prophète tourmenté à la télévision. Ecoutent souvent, ou
sont invités à « Répliques », son émission
culte sur France Culture. Ont lu plusieurs de
ses essais. Ils savent que le secrétaire perpétuel de l’Académie, Hélène Carrère d’Encausse, « la Tsarine » comme on appelle cette
historienne de la Russie, admiratrice de Poutine, partage sa vision d’une France en déclin,
enquête | 15
0123
JEUDI 28 JANVIER 2016
Alain Finkielkraut, lors des essayages
chez Stark & Sons, mardi 26 janvier, à Paris,
et son épée d’académicien reçue des mains
d’Amin Maalouf, le 18 janvier.
SIMONE PEROLARI POUR « LE MONDE »
elle qui rêve de faire entrer Michel Houellebecq sous la coupole.
Plusieurs d’entre eux plaident d’ailleurs depuis longtemps auprès du philosophe pour
qu’il les rejoigne. La « Tsarine » et Pierre Nora,
bien sûr, ont beaucoup œuvré, mais ils ne
sont pas les seuls. Quelques mois avant de
mourir, l’écrivain d’origine argentine Hector
Bianciotti avait déjà engagé Finkielkraut à rejoindre l’auguste assemblée. Max Gallo et Michel Déon sont intervenus à leur tour.
Puis c’est Jean d’Ormesson qui a plaidé la
cause de l’Académie. Depuis quarante-trois
ans qu’il y siège, l’auteur d’Au plaisir de Dieu
s’échine à en renouveler les rangs. « J’ai essayé, à la fin des années 1970, de pousser Aragon, mais on m’a dit : “Qu’il fasse ses visites !”
Puis j’ai raté Raymond Aron : il ne voulait pas
prendre le risque d’être battu. J’ai plaidé pour
que Marguerite Yourcenar soit la première
femme élue en 1980. Modiano et Le Clézio, hélas, ne veulent pas venir, énumère-t-il dans le
charmant boudoir de son hôtel particulier de
Neuilly. Nous aurions pu tenter de faire venir
André Glucksmann, mais il aurait sans doute
été trop antipoutinien pour notre “Tsarine”.
Quant à Alain Finkielkraut, je ne partage pas
toutes ses idées, qui sont d’ailleurs difficiles à
cerner. Mais, pour entrer à l’Académie, il faut
du talent, être de bonne compagnie et un peu
de notoriété. J’ai dit oui, et Nora lui a téléphoné. »
Finkielkraut a hésité, un peu. Il le sait bien,
« la doxa intello rigole dès que l’on parle de
l’Académie. Fallait-il aller au-devant du sarcasme » ? Dès que sa candidature a été connue, les moqueries n’ont d’ailleurs pas manqué. L’acteur Vincent Lindon, croisé un jour
dans sa rue, à proximité du jardin du Luxembourg, l’a interpellé rudement : « Mais enfin,
c’est quoi cette lubie ridicule ! »
Sa femme, Sylvie Topaloff, avocate reconnue, s’inquiétait de le voir remonter au front
après le cancer, la dépression et les multiples
polémiques qui, depuis dix ans, ont rétréci
peu à peu le cercle de leurs amis. « Lorsque je
m’ennuie, je dresse la liste de tous ceux que
nous avons perdus à cause de la politique »,
dit-elle. C’est toujours à elle que l’on téléphone pour dire, outré : « Tu as vu ce qu’il a
encore dit ! » C’est elle aussi qui regarde pour
lui les réseaux sociaux, après chaque grande
émission de télévision à laquelle il succombe.
« Alain » n’a pas de portable, déteste Internet,
mais il connaît ainsi le moindre tweet vengeur contre lui. « Il devrait se faire rare dans
les médias, mais, lorsqu’il est attaqué, il ne
peut pas s’empêcher d’entrer dans la bagarre,
regrette-t-elle. Pourquoi, alors qu’il est drôle et
gai, s’échine-t-il à jouer aux oncles rabat-joie
en bout de table ? »
Cette Académie si feutrée était-elle bien
pour lui, batailleur émotif et passionné capable de dénoncer le « prix du néant » des
œuvres de l’artiste contemporain Jeff Koons,
comme « la folle célébration du multiculturalisme » de l’enterrement de Nelson Mandela ?
Leur fils, Thomas, scénariste de cinéma, a
tout de suite levé les doutes. Le jeune homme
n’a pas toujours bien vécu le tumulte que
provoque un peu partout son père. « Quand
mes professeurs le détestaient, ils me détestaient aussi. Lorsqu’ils l’admiraient, je ne pouvais que les décevoir », a-t-il souvent confié à
ses amis. Cette fois, il n’a pas hésité. « Tu ne
peux pas refuser ! Pense à tes parents. Ce serait
pour eux comme une superbe Légion d’honneur. » Car, chez les Finkielkraut, continue de
planer la mémoire de ces maroquiniers juifs
polonais ayant fui les pogroms nazis où ont
péri tant d’oncles, de tantes et de cousins.
Au sein du conseil de famille, chacun savait
déjà que la mère d’Alain, atteinte de la maladie d’Alzheimer, n’aurait pas conscience de ce
suprême signe de la réussite de ce fils unique
pour lequel elle était allée plaider, avec sa
voix rauque et son mauvais français, devant
le proviseur du lycée Henri-IV pour qu’il l’accepte parmi ses élèves – « D’accord, mais trois
mois à l’essai », avait dit le directeur du lycée
d’élite. C’est en mémoire de cette mère dévorante qui avait attendu tant d’années, la porte
ouverte sur le palier, le lycéen prodige, que le
fils a dit oui. Elle est morte sans avoir su
l’honneur qui lui était fait. « Mes parents ne
seront pas là. Ni mon beau-père, regrette-t-il,
mais on vit avec ses morts. »
Pour se rassurer un peu plus, l’éternel angoissé a cependant encore appelé le cercle
des intellectuels qu’il admire. La philosophe
Elisabeth de Fontenay, d’abord, – « Ma
meilleure amie », confie-t-il –, si souvent en
désaccord avec lui, mais qui « ne s’est jamais
résolue, dit-elle avec humour, à jeter le bébé
avec l’eau du bain ».
Puis l’historienne Mona Ozouf. Il voulait savoir pourquoi elle avait refusé l’Académie.
Mais aussi s’enquérir de ce qu’elle avait pensé
de l’élection de son ami François Furet, mort
quelques mois avant son discours d’entrée
quai Conti. Alors Mona Ozouf a raconté ses
« sentiments mélangés » face au choix du
grand historien de la Révolution qui, quelques années avant d’accepter lui-même de
devenir Immortel, avait gentiment moqué
l’élection de l’avocat Jean-Denis Bredin en le
prenant par l’épaule, dans un geste qui lui
était familier, pour lui asséner : « Mon pauvre
Jean-Denis, cela devait finir comme ça… » Mais
elle a achevé de convaincre Finkielkraut. « Il
est haï, c’est vrai. Notamment des professeurs
qu’il met si souvent en cause, reconnaît-elle.
Mais c’est un défenseur de la langue française
et des classiques. Et si cela lui fait plaisir, il faut
y aller. »
SEIZE VOIX SUR VINGT-HUIT
À L’ÉPREUVE
DU DICTIONNAIRE,
CE POURFENDEUR
DU MÉTISSAGE
EST TOMBÉ
SUR « VARIÉTÉ ».
« J’AI ÉCHAPPÉ À
VARICE OU VARIOLE,
C’EST DÉJÀ ÇA »,
S’AMUSE-T-IL
Il a enfin appelé Pascal Bruckner, l’ami des
années de jeunesse et le coauteur de son premier grand succès, Le Nouveau Désordre
amoureux, en 1977. « Dix ans d’une amitié fraternelle et trente ans d’éloignement », sourit ce
dernier. Bruckner avait, lui aussi, refusé l’Académie. Mais il a compris ce que signifiait
cette entrée dans le temple de la langue française : « C’est une compensation à l’angoisse de
vieillir, une consécration offerte à ses parents,
une revanche sur l’adversité et les tribulations
de la guerre. »
L’élection fut pourtant tumultueuse. Malgré d’ardents soutiens, de Marc Fumaroli à
Erik Orsenna, de Jean-Marie Rouart à JeanChristophe Rufin, des académiciens de renom, parmi lesquels Dominique Fernandez,
Angelo Rinaldi, François Weyergans, Florence
Delay ou Michel Serres, sont vivement montés au front contre son arrivée.
Des invectives – « homophobe », « raciste », –
ont brisé la courtoisie habituelle de l’assemblée. Dominique Fernandez, dans un entretien à la revue Transfuge, l’avait qualifié
« d’immonde ». « On a entendu qu’avec lui le
Front national allait entrer à l’Académie ! »,
s’insurge Jean d’Ormesson. Même Danièle
Sallenave, « la marraine de [son] fils ! », rappelle Finkielkraut, qui s’était déjà éloignée
quelques années plus tôt, à propos de la
guerre en Yougoslavie, puis du conflit israélopalestinien, s’est élevée vivement contre « sa
vision mortifère et sa thèse d’un choc des civilisations entre le monde musulman et nous ».
Pour finir, Alain Finkielkraut a été élu par
seize voix sur vingt-huit dès le premier tour.
Mais les huit croix noires de ses opposants lui
restent encore en travers de la gorge.
Dès le lendemain de son élection controversée, il a dénoncé sur Europe 1, puis dans le
mensuel Causeur, où veille sa plus fervente
admiratrice, Elisabeth Lévy, « la conjuration
conduite par Dominique Fernandez et François Weyergans. Il y a une grande tentative du
politiquement correct pour annexer l’Académie, elle a échoué, tant mieux ! ».
Hélène Carrère d’Encausse a dû lui rappeler
les usages : « Cher Alain, vous êtes désormais
l’élu de tous… » Même l’avisé Pierre Nora a
glissé à un confrère : « J’ai peur qu’il ne nous
mette dans des situations difficiles… » Car son
nouveau condisciple Amin Maalouf a eu
beau l’assurer, en lui remettant son épée, le
18 janvier, « [il] ser[a] constamment entouré
d’amitié », Alain Finkielkraut continue de batailler contre les critiques. « Ma tête est mise à
prix dans toute la presse Pigasse », assurait-il
encore lundi 25 janvier, sur France Inter, pour
fustiger les journaux, notamment Le Monde
et L’Obs, dont le banquier Matthieu Pigasse
est l’un des actionnaires. « Oui, on l’attend
avec un peu d’inquiétude », reconnaît dans un
sourire d’Ormesson.
Pour le reste, il s’est laissé faire. Son éditeur,
le patron de Stock, Manuel Carcassonne, et le
président de Lagardère Active, Denis Olivennes, dont le fils est l’assistant de Finkielkraut,
se sont chargés de l’aider. La compagne d’Olivennes, l’ancien mannequin Inès de La Fressange, a accompagné « Finky » lors du premier essayage de son habit.
Puis, les deux hommes ont conjugué leur
sens de la diplomatie, de la politique et leur
connaissance des grandes fortunes pour
constituer le comité chargé de réunir les quelque 100 000 euros nécessaires au financement de l’uniforme, de l’épée, ainsi que les
deux cocktails pour plus de 500 invités qui
accompagneront l’élection du nouvel académicien.
De grands industriels, François Pinault (ancien président de Kering), des banquiers,
comme Eric de Rothschild ou Serge Weinberg, ont apporté leur obole, sans avoir parfois jamais rencontré Finkielkraut. « Je ne
connais pas de riches », s’excuse le philosophe. Le nouveau tycoon des médias, Patrick
Drahi, avait gardé le souvenir des cours de
Finkielkraut à Polytechnique. Il a aussitôt rejoint la troupe. On y a ajouté, dans un savant
équilibre d’amis chers et de signatures de renom, la philosophe Sylviane Agacinski,
épouse de Lionel Jospin, le directeur du Figaro, Alexis Brezet, l’éditorialiste du Monde
Alain Frachon et celui de Marianne, Jacques
Julliard, l’éditeur Olivier Nora, les écrivains
Yasmina Reza ou Milan Kundera.
Bien que Denis Olivennes ait assuré qu’« il
n’est pas besoin de partager ses opinions pour
considérer que cet intellectuel illustre est le
bienvenu à l’Académie », quelques personnalités ont décliné l’offre de rejoindre le comité.
C’est le cas d’Elisabeth Badinter, dont Finkielkraut se sentait pourtant proche. « Mais
elle a généreusement contribué au financement de l’épée », disent les amis du nouvel
académicien. Anne Sinclair, sollicitée, n’a pas
voulu non plus figurer dans le cercle, mais
celle qui partage la vie de Pierre Nora a été de
toutes les cérémonies. Le fondateur du Nouvel Observateur, Jean Daniel, a renoncé lui
aussi, bien qu’il partage une partie des analyses du philosophe, « mais les relations entre
Finkielkraut et l’hebdomadaire se sont trop
envenimées ». Le don le plus important est
venu de la communauté juive laïque de
Bruxelles. Un soir où Finkielkraut participait
à un dîner débat, un petit monsieur est venu
le voir pour le prier de venir faire une conférence. « Mais pourquoi as-tu encore accepté
l’invitation d’un type que tu ne connais même
pas ?, a protesté Sylvie Topaloff.
– Parce qu’il ressemble à mon père…
– Enfin, Alain, il est plus jeune que toi ! »
Le lendemain, un chèque de 10 000 euros
arrivait pour le nouvel académicien. « Cette
génération de survivants a un bonheur à voir
l’un de ses enfants à l’Académie », souffle
« Finky ».
Des soutiens plus controversés sont cependant restés en retrait. L’écrivain Renaud Camus, théoricien du « grand remplacement »
et incessant contempteur des musulmans,
qu’Alain Finkielkraut continue de soutenir, a
envoyé le 9 janvier une lettre de félicitations
de six pages. « Nos rêveries malheureuses et
parfois enthousiastes hantent souvent, s’il
n’est pas présomptueux de ma part de le dire,
les mêmes chemins à travers les mêmes campagnes désolées, ou splendides », notait-il de
sa grande écriture, sans s’offusquer de ne pas
être invité aux cérémonies. La patronne de
Causeur, Elisabeth Lévy – « Le mauvais génie
d’Alain », regrette Mona Ozouf – n’a pas été
sollicitée pour le comité de l’épée. Le 18 janvier, lors de la première réception d’adoubement, Eric Zemmour se tenait discrètement
dans le petit cercle des amis du Figaro.
Mais Finkielkraut se moque bien des procès
qu’on lui fait. Sur son épée, il a fait graver une
citation de Péguy – « La République une et indivisible, c’est notre royaume de France » –, un
aleph, la première lettre de l’alphabet hébraïque et, « quand tant d’hommes choisissent des
panthères, des tigres et des lions », dit-il, il a
fait sculpter sous la garde une petite tête de
vache. Il aime « leur danse dans les prés ». Et
puis, « Nietzsche disait que la rumination est
l’image de la pensée ». Et, enfin, « elles ne veulent de mal à personne », dit-il, apaisé. p
16 | débats
0123
JEUDI 28 JANVIER 2016
L’Iran d’Hassan Rohani est
une chance pour la France
Méditerranée poubelle | par serguei
Après son intransigeance
au cours des négociations
sur le nucléaire, la France
doit s’allier avec Téhéran,
notamment pour
vaincre l’organisation
Etat islamique
par seyed hossein mousavian
L
Les soldats d’Allah de Téhéran
sont devenus des hommes d’affaires
La révolution de 1979
voulait islamiser
le politique. C’est la religion
qui est devenue politique
et les ayatollahs des
diplomates et agents d’une
modernité sans démocratie
par mahnaz shirali
T
rente-six ans après son avènement, la République islamique ne
ressemble plus à ce qu’elle était à
ses débuts. Le monde a désormais affaire à
une nouvelle génération de dirigeants,
dont la logique politique prime sur la logique religieuse. Le pragmatisme du prési-
dent iranien, Rohani, l’a rendu très populaire auprès de la population, au moment
où le clergé chiite est plus détesté que jamais. Les paradoxes pèsent lourd et les appréciations divergent : les uns y voient un
régime totalitaire ; les autres le prennent
pour une démocratie. Le rôle et la place de
la religion ont complètement changé, les
appartenances religieuses des Iraniens se
sont évaporées, et l’effondrement des
valeurs, des normes et des croyances religieuses est tellement profond qu’il est
difficile de présager de l’avenir.
Mais, chose remarquable, ce n’est pas
seulement la société iranienne qui est
sortie de la religion ; les ayatollahs au
pouvoir, à leur tour, se sont éloignés des
univers spirituels pour devenir des hommes politiques à part entière. Loin de ressembler aux « hommes de Dieu », prêchant des discours apocalyptiques, ils
sont devenus de fins stratèges qui savent
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mener à bien leur travail selon la logique
politique des modernes.
L’exemple le plus brillant est celui du
président Rohani, qui, avant d’être un religieux, est un homme politique, à la hauteur de sa fonction. S’il est difficile de voir
en lui un « président démocrate » – il n’a
d’ailleurs ni l’ambition ni la volonté de
l’être –, il est encore plus difficile de ne pas
remarquer le fossé qui le sépare de ses prédécesseurs, à commencer par l’ancien président Mahmoud Ahmadinejad.
PRAGMATISME
En 2013 à l’ONU, par exemple, le discours
pragmatique du président Rohani a
agréablement surpris à la fois les Iraniens
et la communauté internationale, qui
étaient habitués à quelqu’un comme
Ahmadinejad, annonçant une fin tragique aux grandes puissances du monde et
les conjurant d’aligner leur politique
selon la volonté de Dieu.
Si les intérêts de l’islam étaient toujours
prioritaires pour l’ayatollah Khomeyni et
pour ses successeurs, c’est depuis l’arrivée
du président Rohani au pouvoir que, pour
la première fois depuis l’avènement du régime islamique, les Iraniens entendent
parler de leurs intérêts nationaux avant
toute considération religieuse. Pour Khomeyni, c’était l’islam qui était en danger et
qu’il fallait protéger, alors que, pour le
nouveau président, c’est l’économie qui
doit être sauvée. Pour n’en citer qu’un
exemple, les généraux de l’armée révolutionnaire (pasdarans), au lieu d’être les
« soldats d’Allah », sont devenus des hommes d’affaires.
Ainsi, trente-six ans de l’exercice du politique ont changé la nature des religieux au
pouvoir. En s’emparant des fonctions étatiques, Khomeyni et ses ayatollahs ont
voulu « islamiser » le politique et le soumettre à la transcendance. Mais l’exercice
du politique à travers les institutions modernes – comme le Parlement, le Sénat, les
Cours suprêmes… –, mises en place sous le
régime Pahlavi, les a contraints à s’adapter
aux modes de pensée et d’activité liés au
monde d’aujourd’hui. Paradoxalement, le
régime islamique n’a fait qu’accentuer l’effondrement de la religion en Iran.
L’Iran d’aujourd’hui est loin d’être une
démocratie, les droits de l’homme sont les
grands oubliés et les prisons sont toujours
pleines ; pourtant, malgré les apparences,
les dirigeants de ce pays sont en train de se
libérer de l’emprise de l’islam. Ironie du
sort, ces ayatollahs au pouvoir, ces fervents opposants à la modernité, ces ennemis jurés de la démocratie, des libertés et
des droits fondamentaux des individus,
indépendamment de leur volonté et sans
même le savoir, sont en train de devenir
des puissants acteurs de la modernité. p
¶
Mahnaz Shirali est sociologue
e président iranien, Hassan Rohani, est arrivé à Paris le 27 janvier. Cette visite marque le début
d’une nouvelle ère des relations politiques et économiques entre les deux
pays. Les conséquences d’un approfondissement de leurs liens se feront sentir au Proche-Orient et en Europe. Reste
à savoir si ces pourparlers directs entre
les présidents français et iranien déboucheront sur une relation solide et
durable entre Paris et Téhéran.
Les relations franco-iraniennes ont
connu des hauts et des bas depuis 1979.
Avant cette date, la France était admirée
par de nombreux Iraniens car elle avait
accueilli le fondateur de la République
islamique, feu l’imam Khomeyni, pendant son exil. Cette place spéciale qu’occupait Paris dans le cœur des Iraniens
aurait pu lui permettre de développer
des relations stratégiques avec Téhéran
et d’œuvrer à l’apaisement des tensions
entre l’Iran et l’Occident.
Malheureusement, les dirigeants
français de l’époque ont gâché cette
opportunité. Après la chute de la dictature du chah, le peuple iranien a massivement voté en faveur de l’instauration de la République islamique. Quelques mois plus tard, l’Irak de Saddam
Hussein envahissait brusquement
l’Iran, déclenchant une guerre de huit
ans qui allait causer la mort de plusieurs centaines de milliers d’Iraniens
et coûter au pays des centaines de milliards de dollars. Pire encore, Saddam
Hussein eut recours pendant cette
guerre à des armes chimiques qui tuèrent et invalidèrent plus de 50 000 Iraniens. Il est regrettable de constater
que, pendant toute la durée de ce conflit tragique, la France a apporté un
soutien inconditionnel à Saddam Hussein, et elle n’inspire plus désormais
que de l’antipathie.
Les négociations nucléaires entre
l’Iran et le P5 + 1, le regroupement des
cinq membres du Conseil de sécurité
et de l’Allemagne engagés dans ces
pourparlers, qui ont abouti à la mi2015 à un accord global, ont également
exposé les désaccords entre la France
et l’Iran. Après la conclusion de l’accord, j’ai demandé à mes amis et anciens collègues de l’équipe de négociateurs iraniens quel pays à leurs yeux
avait joué le rôle le plus négatif au
cours des pourparlers. Leur réponse
fut unanime : la France.
A plusieurs moments, la France s’est
montrée plus intransigeante que les
Etats-Unis. Mais cela n’a pas empêché,
juste après la conclusion de l’accord, le
ministre français des affaires étrangères, Laurent Fabius, de se rendre aussitôt à Téhéran dans le but, semble-t-il,
de placer son pays dans la meilleure
position possible pour passer des accords commerciaux avec l’Iran.
Bien entendu, beaucoup de gens en
Iran en ont conclu que la France était
un pays opportuniste. C’est pourquoi il
est important que la visite de M. Rohani à Paris débouche sur des accords
substantiels capables de changer
l’image de la France en Iran.
La situation au Proche-Orient rend
nécessaire le développement d’une
telle relation. Les groupes salafistes wahhabites – dont les attaques en Occident ont débuté avec le 11-Septembre et
ont frappé depuis plusieurs capitales
européennes, dont Paris avec les sanglantes attaques de novembre 2015 –
ont établi une tête de pont dans la région. Heureusement, la plupart des Occidentaux ont désormais compris que
ceux qui financent, arment et formulent l’idéologie de groupes terroristes
comme l’organisation Etat islamique
(EI), Al-Qaida ou le front Al-Nosra sont
des alliés des Occidentaux – c’est
notamment le cas de l’Arabie saoudite.
Le vice-président américain, Joe
Biden, a déclaré que « le principal problème en Syrie » provient des quantités
massives d’argent et d’armes que les alliés régionaux des Etats-Unis fournissent à « quiconque est prêt à se battre
contre Assad ». A l’époque où elle était
secrétaire d’Etat, Hillary Clinton avait
également déploré qu’« il ait toujours
été extrêmement difficile de persuader
les autorités saoudiennes d’accorder
une priorité stratégique à la question du
financement des groupes terroristes
émanant d’Arabie saoudite ». En septembre 2015, elle est même allée plus
loin : « Une grande partie de l’extrémisme à l’œuvre aujourd’hui dans le
monde est le résultat direct de politiques
et de financements mis en place par le
gouvernement de Riyad et certains ressortissants saoudiens. Il serait stupide
de notre part de ne pas le reconnaître. »
ALLIÉ FIABLE
Aujourd’hui, le terrorisme salafiste
wahhabite incarné par l’EI et Al-Qaida
est considéré à travers la planète
comme la principale menace contre la
paix et la sécurité mondiales. Le
monde constate également que l’Iran
est en première ligne dans la guerre
contre ces groupes. L’Iran a démontré
qu’il pouvait être un allié fiable et utile
de la France et de l’Europe dans la lutte
contre ces organisations.
Après la conclusion de l’accord nucléaire, l’Iran a été invité pour la première fois, en octobre 2015, à participer
aux pourparlers de paix sur la Syrie.
Peu après, en novembre, les parties
parvenaient à un premier accord sur la
façon de résoudre la crise. Cela montre
qu’une coopération renforcée entre
l’Iran et l’Europe pourrait déboucher,
en 2016, sur des avancées décisives
dans la recherche de la paix en Syrie et
dans d’autres conflits régionaux
comme celui du Yémen.
La montée récente des tensions entre
l’Iran et l’Arabie saoudite, ajoutée aux
crises en Irak et au Yémen, alimente les
craintes concernant la sécurité du
golfe Persique. La menace qui pèse sur
cette voie maritime empruntée par la
plus grande partie des exportations
mondiales de pétrole pourrait être résolue durablement par la mise sur pied
d’un système de coopération régionale. Celui-ci réunirait tous les pays qui
bordent le golfe Persique : Iran, Arabie
saoudite, Irak, Emirats arabes unis,
Koweït, Qatar et Bahreïn. Grâce à l’expérience acquise avec la construction
de l’Union européenne (UE), les pays
européens pourraient être d’une aide
précieuse pour la création d’un tel système dans le Golfe.
La stabilité régionale pourrait encore
être renforcée en appliquant à tous les
pays de la région les dispositions contenues dans l’accord avec l’Iran. Cet accord de non-prolifération nucléaire, le
plus complet jamais adopté, institue
des limites sans précédent au développement d’une bombe nucléaire. Les
normes qu’il définit peuvent servir de
modèle pour le reste de la région et
contribuer à l’émergence d’un ProcheOrient sans arme nucléaire.
Ces questions, ainsi que d’autres,
comme la lutte contre le trafic de drogue et le crime organisé, sont des
points d’intérêt communs entre l’Europe et l’Iran. Je connais personnellement le président Rohani et le ministre iranien des affaires étrangères,
Javad Zarif, j’ai été leur collègue pendant plus d’un quart de siècle. Je sais
qu’ils ont des perspectives stratégiques à long terme et qu’ils sont résolus à avancer dans le sens de la paix et
de la stabilité mondiales. Cette visite
du président Rohani est l’occasion
pour la France de décider si elle va
simplement chercher à signer quelques nouveaux contrats avec l’Iran ou
si elle va saisir cette chance historique
de nouer une relation stratégique
durable avec l’Iran. p
Traduit de l’anglais par Gilles Berton
¶
Seyed Hossein Mousavian
est un ancien diplomate iranien, il est
aujourd’hui professeur à l’université
de Princeton (New Jersey)
disparitions & carnet | 17
0123
JEUDI 28 JANVIER 2016
Ludovic Janvier
Ecrivain, essayiste
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JACQUES
SASSIER/LEEMAGE
L’
écrivain Ludovic Janvier
est mort à Paris des suites d’un cancer mercredi 20 janvier, à l’âge
de 82 ans. Né dans cette même
ville en 1934, il était le petit-fils du
diplomate et écrivain haïtien
Louis-Joseph Janvier – « Moi né
faux nègre et vécu sosie/ de quelqu’un toujours à venir… », écrivait-il dans un poème. Même si les
épisodes de sa vie sont la matière
première de son œuvre, poétique
et en prose, Ludovic Janvier n’était
pas homme à se raconter et ses notices biographiques sont des plus
succinctes. On sait qu’il fut enseignant… Tout le reste appartient à
la littérature. En fait, c’est précisément en marge de la tentation
autobiographique qu’il écrit, cherche ses mots, forme ses vers. Ce
qui lui importe, c’est la manière de
nommer, de former et de déformer, de métamorphoser cette
« matière à musique » de la vie.
Cependant, dans son dernier
ouvrage paru, La Confession d’un
bâtard du siècle (Fayard, 2012), sans
rien céder, bien au contraire, de
son souci du style, de la langue, il
se livre davantage. Mais, à nouveau, ce qu’il raconte, c’est moins
l’histoire de « l’enfant de personne », de « l’orphelin perpétuel »,
avec une mère elle-même abandonnée, « une laissée-pourcompte », que cette vie nouvelle
née dans le creuset d’une langue
en perpétuelle invention et incandescence : « Je danse à l’intérieur de
moi. Plus peur. » Que cette langue
se fasse prose ou poème, seul importe le chant : « Oui, chanter me
hausse vers la clarté, même si je descends vers les notes à pénombre. »
Spécialiste de Beckett
Mais ce chant si personnel, et souvent d’une puissance impressionnante, n’est pas né d’un vide, d’une
absence. La haute silhouette de Samuel Beckett se découpe dans le
premier paysage intérieur de Ludovic Janvier – et pas d’une manière abstraite, encore moins de
plate révérence. Nous sommes au
milieu des années 1960. Avec Beckett, dans sa petite maison d’Ussysur-Marne ou boulevard Saint-Jacques à Paris, avec Agnès, son
épouse d’alors, Janvier travaille à la
version française de Watt, roman
écrit en anglais et sorti en 1953, et
aussi à celle d’une nouvelle, D’un
ouvrage abandonné. Les traductions paraissent en 1967 et 1968,
aux Editions de Minuit.
En 1966, aux mêmes éditions,
Janvier publie le premier essai en
français sur l’écrivain irlandais,
Pour Samuel Beckett. Approche admirable de pertinence, ce livre sera
suivi trois ans plus tard – au moment où l’écrivain irlandais reçoit
1934 Naissance à Paris
1966 « Pour Samuel
Beckett » (Minuit)
1987 « La Mer à boire »
(Gallimard)
1993 « Brèves d’amour »
(Gallimard)
20 JANVIER 2016
Mort à Paris
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AU CARNET DU «MONDE»
Naissance
Loan et Olivier PRIBILE
ont la joie d’annoncer la naissance de
Gaspard, Victor, Sang,
le 25 décembre 2015, à Paris.
le prix Nobel de littérature – d’un
Beckett par lui-même au Seuil.
Pour toute une génération de lecteurs, les commentaires de Ludovic Janvier demeurent inséparables de l’œuvre beckettienne. « En
travaillant sur l’œuvre de Beckett,
j’ai œuvré à mes soubassements »,
déclarait-il dans un entretien
en 2002. « Ayant comparé nos blessures et pas mal ri… », commence
ainsi un poème loin de toute confidence impudique, Avec Sam. Il
serait d’ailleurs réducteur de parler d’une filiation littéraire. Ce que
le jeune écrivain a retenu de son
aîné, c’est le rythme, le halètement
de la voix, plus que les thèmes et la
métaphysique de l’auteur d’En attendant Godot.
En 1964, Ludovic Janvier avait publié, toujours chez Jérôme Lindon,
un essai sur le Nouveau Roman,
Une parole exigeante. C’est dans la
lignée de cette esthétique que l’on
peut inscrire le premier roman
qu’il fit paraître en 1968, chez Gallimard, La Baigneuse. Il sera suivi de
trois autres, Face (1974), Naissance
(1984) et Monstre va (1988).
Mais c’est peut-être en poésie
que la parole de Ludovic Janvier est
la mieux audible. En 1987, son premier recueil, La Mer à boire, montre un homme certes blessé, douloureux, mais entraîné par le
rythme du poème, vivant, s’exaltant par lui. Chantal Thomas, dans
la préface de la réédition de ce recueil (Poésie-Gallimard, 2006),
souligne combien ces pages « disent la merveille de sentir l’air sur
son visage, d’un plaisir de fraîcheur,
de la souplesse de la nage, du temps
pris pour rêver, attendre une
phrase, un mot, l’irruption du désir,
ou le déferlement des larmes… ».
D’autres recueils suivront. Mais
la prose n’a pas dit son dernier
mot, qui s’insinue dans le poème,
lui donne un autre horizon. Il faut
citer dans ce cadre les trois volumes de nouvelles – ce qu’il appela
les Brèves d’amour (Gallimard,
1993, 1996 et 2002). Un quatrième
étant à paraître en mars. Ludovic
Janvier parla un jour de son « infinie fringale de nommer ». Il avait
dit aussi : « Je ne peux pas garder le
silence. » Cet aveu ne fut jamais
pour lui le signe de la moindre facilité ou compromission. p
patrick kéchichian
Sa famille,
Ses illeuls,
Ses amis,
Les membres du Centre Max Weber
ont la tristesse de faire part du décès de
Agnès BURET,
survenu à Paris, le 21 janvier 2016,
à l’âge de quatre-vingt-dix ans.
La levée de corps a eu lieu le mardi
26 janvier, à 15 h 30, à la chambre
mortuaire de l’hôpital Lariboisière,
Paris 10e.
L’inhumation se fera ce mercredi
27 janvier, à 14 h 30, au cimetière sud
de Calais.
Gilles-Henri Polge,
10, rue Joseph-Bara,
75006 Paris.
Mme Gérard Clin, née Claude Brun,
son épouse,
Jean-François Clin,
Annabel et Radwan Karim Kassar,
Bertrand et Patricia Clin,
Philippe-Emmanuel Clin
et Ana Beatriz Clin,
ses enfants,
Mourad Mazouz
et Caroline Karim Kassar
et leurs enfants, Ilyas et Louize Mazouz,
Julie Clin, Aicha Essalki
et leurs ils, Abraham Clin,
Nael Karim Kassar,
Ludovic et Géraldine Cluzel
et leurs enfants, Théo, Benjamin
et Johana Cluzel,
Margaux Clin et Jean-Christian Bédier
et leur ils, Léon Bédier,
Gabriella Clin,
Roland Karim Kassar,
Edgar Clin et Alice Hebrard,
Maurice Clin,
Max Clin,
ses petits-enfants et arrière-petits-enfants,
Danièle Brun,
sa belle-sœur,
Jean et Jacqueline Klein,
son frère et sa belle-sœur,
Ses neveux et nièces,
ont le très grand chagrin de faire part
du décès de
M. Gérard CLIN,
ingénieur des Arts et Manufactures,
diplômé de l’Ecole Centrale de Paris,
oficier de la Légion d’honneur,
chevalier de l’ordre national du Mérite,
chevalier
dans l’ordre des Palmes académiques,
Francs-Tireurs
et Partisans Maquis Ariège,
dans sa quatre-vingt-douzième année.
Décès
Paris.
Catherine Dufour,
sa ille
Et ses proches,
ont la tristesse d’annoncer le décès de
Mme Michèle
BEAUCOURT DUFOUR,
née BEAUCOURT,
ancien avocat et conseiller
à la cour d’Appel de Paris,
chevalier de la Légion d’honneur,
survenu le 10 janvier 2016, à Paris,
à l’âge de quatre-vingt-six ans.
Mme Pierre Vital Bérard,
née Magdeleine Badier,
son épouse,
Luc et Martine,
Françoise,
Solange,
Pascal (†),
ses enfants,
Charlotte, Margot et Annabel,
Manon,
Tiphaine et Tancrède,
ses petits-enfants,
Raphaël,
son arrière-petit-ils,
ont la tristesse d’annoncer le décès du
docteur Pierre Vital BÉRARD,
professeur honoraire
de clinique ophtalmologique
à la faculté de médecine de Marseille,
ophtalmologiste honoraire
des Hôpitaux de Marseille,
survenu le 23 janvier 2016, à Marseille,
à l’âge de quatre-vingt-quatorze ans.
La cérémonie religieuse aura lieu
le jeudi 28 janvier, à 9 h 30, en l’abbaye
Saint-Victor de Marseille 7 e , suivie
de l’inhumation au cimetière de Carryle-Rouet.
Cet avis tient lieu de faire-part.
Christian BRETT
s’est éteint le 24 janvier 2016.
Une cérémonie se tiendra le jeudi
28 janvier, à 14 heures, au funérarium
des Batignolles, Paris 17e.
L’inhumation aura lieu à 16 heures,
au cimetière du Montparnasse, Paris14e.
« Gémissons !
Gémissons mais espérons ! »
L’inhumation aura lieu le jeudi
28 janvier 2016, au cimetière parisien
de Passy, à 15 heures.
Ni leurs ni couronnes,
ni condoléances.
Le président du musée du quai Branly,
Les membres
du conseil d’orientation scientiique,
Le comité de rédaction
de la revue d’anthropologie et d’histoire
des arts Gradhiva
Ainsi que l’ensemble
des collaborateurs du musée,
ont appris avec une grande tristesse
la disparition de
M. Daniel FABRE,
anthropologue,
directeur d’études à l’École
des hautes études en sciences sociales,
directeur de l’Institut interdisciplinaire
d’anthropologie du contemporain
et membre du comité
de direction de Gradhiva
et souhaitent transmettre leurs plus sincères
condoléances à sa famille.
Avec tristesse, sa famille
fait savoir que
Bernard GATTEGNO,
(29 juillet 1941 - 22 janvier 2016),
ne parcourra plus le monde.
Stella Ghouti
Et toute sa famille,
font part avec une immense tristesse
de la disparition survenue
le 24 janvier 2016, de
Pierre GHOUTI,
La cérémonie religieuse sera célébrée
le vendredi 29 janvier, à 10 h 30, en
l’église de Saint-Rémy, Gif-sur-Yvette.
Micheline Morel-Jacrot,
son épouse,
Ses enfants,
Ses petits-enfants,
Ses proches
Et tous ses amis,
ont la tristesse de faire part du décès de
Bernard JACROT,
X 47,
survenu le 21 janvier 2016.
Les obsèques ont eu lieu dans
l’intimité.
[email protected]
21, rue de la Place,
84160 Cucuron.
ont l’immense tristesse de faire part
du décès de leur collègue et ami,
Rommel MENDES-LEITE,
chercheur en anthropologie
et sciences sociales,
maître de conférences
à l’université Lumière Lyon 2.
Toutes nos pensées vont à son mari,
Frédéric Simon, sa famille et ses ami-e-s.
Seysses (Haute-Garonne).
Mme Hélène Mignon-Deville,
son épouse,
Franck Mignon
et sa compagne Joëlle,
Marianne Mignon
et ses illes Lilie et Claire,
François Mignon,
son frère
et son épouse Nicole,
Geneviève Mignon-Tonon
et son époux,
Jean-Pierre Mignon
et son épouse Madeleine,
Ses neveux et nièces,
Parents
Et amis,
ont la profonde tristesse de faire part
du décès de
Michel MIGNON,
survenu le 26 janvier 2016.
Les obsèques civiles auront lieu
le jeudi 28 janvier, à 11 heures, au
cimetière de Seysses.
Mme Cécile Picon,
son épouse,
Flaminio, Nadia et Joachim,
ses enfants,
Mme Sarah Picon,
sa mère,
Félicien, Morgane, Claudia et Etienne
ont la tristesse ininie d’annoncer le décès
de
M. Raphaël PICON,
survenu le 21 janvier 2016,
à l’âge de quarante-sept ans
La cérémonie religieuse aura lieu
le vendredi 29 janvier, à 13 h 30,
au Temple de l’Etoile, 54-56, avenue de
la Grande-Armée, Paris 17e.
Ni leurs ni couronnes.
Vos dons à l’Armée du Salut seront
très appréciés.
Alex, Flore, Lilian Pierre-Michel,
ses enfants
et leur père, Maxeau Pierre-Michel,
Paul Ravachol,
son père,
Marco et Emmanuel Ravachol,
Geneviève Ravachol-Nace,
ses frères et sœur
et leurs conjoints
et leurs enfants,
Ses nièces et neveux
Ainsi que toute sa famille,
ont l’immense tristesse de faire part
du décès,
à l’âge de cinquante-deux ans, de
Anne Catherine RAVACHOL,
survenu le 26 janvier 2016,
des suites d’un cancer.
Nous nous souviendrons de sa
gentillesse et de sa droiture.
Les obsèques auront lieu le samedi
30 janvier, à 11 heures, au cimetière
de Pont-Sainte-Marie (Aube).
Yumi Rigout,
sa ille,
Satchie Noro,
Ses proches et ses amis,
ont la tristesse de faire part de la disparition
de
Alain RIGOUT,
survenue le mardi 12 janvier 2016.
Ses proches et ses amis se réuniront
au crématorium du cimetière du PèreLachaise, Paris 20e, le vendredi 29 janvier,
à 16 heures.
Daniel Sebaihia,
son ils,
Ses sœurs et son frère,
Sa famille
Et ses amis en France et en Algérie,
ont l’immense tristesse de faire part
du décès de
Ahmed SEBAIHIA,
sculpteur,
ancien élève des Ecoles
des beaux-arts d’Alger et de Paris,
le 23 janvier 2016 à Escales (Aude),
à l’âge de soixante-et-un ans,
entouré de l’affection des siens.
Une cérémonie aura lieu le jeudi
28 janvier, à 13 heures, au crématorium de
Montpellier, domaine de Grammont,
avenue Albert-Einstein.
Un registre de condoléances sera mis
à disposition.
[email protected]
Yvonne,
son épouse,
Gilles, Adrien,
ses enfants
et leurs conjointes,
Violaine, Anne-Sophie,
Hugo, Robin, Edgar et Vadim,
ses petits-enfants,
Virginie de la Grange,
sa nièce,
Patrick de la Grange,
son neveu
et sa conjointe, Bénédicte,
ont la tristesse d’annoncer la disparition
de
René TAQUET,
éditeur musical,
ancien président de la commission
des comptes de la SACEM,
survenue le 23 janvier 2016,
dans sa quatre-vingt-unième année.
Une cérémonie se tiendra le jeudi
28 janvier, à 13 h 30, en la salle de la
Coupole, au crématorium du cimetière
du Père-Lachaise, Paris 20e, suivie d’une
inhumation au cimetière de Garches,
en présence de ses amis et de ses proches
Cet avis tient lieu de faire-part.
4, square Claude-Debussy,
75017 Paris.
Mme Greta Vigan,
Ses enfants
Et ses petits-enfants,
ont la douleur de faire part du décès du
docteur Claude VIGAN,
ancien élève
de l’Ecole de santé navale, à Bordeaux,
chevalier
de l’ordre national de la Santé Publique,
survenu le 14 janvier 2016,
à l’âge de quatre-vingt-quinze ans.
La cérémonie religieuse a été célébrée
en l’église du Cannet.
34, avenue Victoria,
06110 Le Cannet.
Denis Feissel,
Catherine Feissel,
ses enfants,
Sarah Di Vittorio,
sa petite-ille,
Josée Wolfers,
Pierre Wolfers,
Anne Delage-Wolfers,
ses frère et sœurs
et leurs enfants,
Marie-Claude Silverberg,
sa nièce,
ses enfants et petits-enfants,
Margot Kielberg,
sa cousine
et ses enfants,
ont la tristesse de faire part du décès de
Hélène WOLFERS-FEISSEL,
survenu le 22 janvier 2016,
dans sa quatre-vingt-douzième année.
Remerciements
Janine,
sa sœur,
Catherine, Natalie, Émilie, Gilles, Éric,
Edward
et leurs familles,
nièces et neveux de
Michel TOURNIER,
remercient toutes les personnes qui,
par leur présence ou leur témoignage,
se sont associées à leur tristesse.
[email protected]
Communication diverse
12e Leçon inaugurale
de l’Ecole de Chaillot
par José Ignacio Linazasoro,
architecte, Madrid,
mardi 2 février 2016,
de 10 heures à 12 h 30,
Entrée libre.
Inscription obligatoire
citechaillot.fr
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18 | culture
0123
JEUDI 28 JANVIER 2016
Saint-Sébastien
2016 : haut
les Basques !
Désignée Capitale européenne de la culture
au côté de Wroclaw, la cité espagnole, qui
a connu des décennies de violence, organise
une année de festivités autour du thème
du « vivre-ensemble »
saint-sébastien (espagne) - correspondance
D
e chaque côté du pont Maria
Cristina de Saint-Sébastien,
le public se salue avant que le
spectacle ne commence.
C’est un bon début pour la
Capitale européenne de la
culture 2016 (conjointement avec Wroclaw, en
Pologne), dont le thème est la « convivencia »,
mot qui signifie davantage que coexistence
ou cohabitation : le vivre-ensemble, en bonne
entente, en se respectant, en paix… Devant
plus de 50 000 personnes venues assister, samedi 23 janvier, à la cérémonie d’inauguration de Donostia-Saint-Sébastien 2016
(DSS2016), les mots « dialogue », « diversité »,
« convivencia » s’inscrivent en lettres lumineuses sur le pont. Sur les grandes toiles blanches hissées au-dessus de l’ouvrage se projettent les ombres des spectateurs qui traversent
le fleuve, s’enlaçant, s’embrassant, dessinant
un cœur ou un oiseau avec leurs mains. Certains jouent le jeu, d’autres se disent déçus par
une cérémonie un peu légère. Qu’importe. Le
coup d’envoi d’une année de festivités est
donné. Il y a un an, la tenue même de l’événement suscitait des doutes.
Tout le défi de Saint-Sébastien est à présent
de faire vivre l’un des plus complexes et polémiques projets de Capitale européenne de la
culture. Dans cette ville bourgeoise, l’événement n’a pas été l’occasion de créer de nouveaux équipements ou de réhabiliter des
quartiers déprimés. « Nous n’avions pas à travailler sur le “hardware” mais sur un nouveau
“software”, résume Pablo Berastegui, directeur de DSS2016. Ce dont la ville avait besoin
était de se remettre de près d’un demi-siècle de
violences et d’affrontements. Or, les artistes
sont les ingénieurs les plus audacieux pour
construire des ponts entre les hommes. »
Promouvoir le dialogue dans une société
qui, durant quarante ans, a basé la convivencia
sur le silence, la censure, l’absence de débats
ou le repli dans des cercles composés de gens
qui pensent tous de manière identique est un
défi. Aujourd’hui, si la ville parvient à susciter
une réflexion sur la tolérance, le vivre-ensemble et la cohésion sociale par le biais de la culture, son pari sera gagné.
Lorsqu’en 2008, le maire socialiste de SaintSébastien, Odon Elorza, présente la candidature de sa ville, son idée est osée, et il la défend
avec passion. En fonctions depuis 1991, l’édile
porte un projet vu comme « une opportunité
pour donner plus de cohésion sociale au pays ».
A l’époque, l’ETA est encore actif. Et la ville balnéaire, derrière sa façade aimable, la magnifique baie de la Concha, une gastronomie reconnue, des activités culturelles riches, est déchirée par des tensions sociales fortes entre
ceux qui souffrent de la violence et de la menace des séparatistes et ceux qui les soutiennent, ouvertement ou en silence.
En juin 2011, lorsque la Commission européenne prend sa décision, l’ETA a annoncé un
« cessez-le-feu permanent, général et vérifiable », et les élections municipales de mai ont
été marquées par le retour de la mouvance
politique proche des séparatistes dans les institutions, après qu’elle a décidé de rejeter
l’usage de la violence à des fins politiques.
Sous la coalition Bildu, les héritiers de Batasuna, parti interdit en Espagne depuis 2003,
remportent la mairie de Saint-Sébastien
après vingt ans d’administration socialiste.
TROIS « AMBASSADES » ITINÉRANTES
Dans l’exposé de sa décision, Bruxelles souligne « un engagement fort contre la violence et
l’idée d’utiliser la culture pour cela ». La ville
andalouse de Cordoue, qui partait favorite,
dépose plainte pour une décision qu’elle juge
manipulée politiquement. Au cours des quatre années qui suivent, les polémiques, démissions, blocages se succèdent. Bildu est accusé de ne pas être intéressé par le projet, sauf
pour ce qui est de la promotion de la langue
basque. La crise économique réduit les apports financiers. Les partis s’opposent sur la
Une représentation
de « Bridge
of Coexistence », créé
par Hansel Cereza,
le 23 janvier,
à l’occasion
de la cérémonie
d’inauguration
de Donostia-SaintSébastien 2016. JAVIER
ANDER GILLENEA/AFP
couleur des associations qui reçoivent des
subventions et des projets à gérer.
Durant l’été 2013, un rapport interne de la
Commission européenne filtre dans la
presse : le comité de suivi de la Capitale critique « un manque de direction du projet », des
« ingérences politiques », des « retards dans les
délais d’exécution », et exprime des doutes sur
la capacité de gestion des quatre institutions
qui composent la Fondation Donostia-San Sebastian 2016 : la mairie, la province de Guipuzcoa, le gouvernement régional basque et le
ministère de la culture, gouvernés par des
partis opposés.
« Le processus et la gestation même de ce projet ont mis à l’épreuve notre slogan. Il a fallu apprendre à débattre, à exposer des idées, ce qui
est compliqué dans cette ville où les débats politiques ne sont souvent pas naturels, ni sincè-
entier. En avril, la ville deviendra, pour un an, la capitale mondiale du livre de l’Unesco, prévoyant une
myriade d’événements littéraires. Du 14 octobre au
13 novembre se tiendra la septième édition de
l’Olympiade internationale du théâtre, qui réunit
depuis 1993 les plus grands noms de la scène mondiale. En décembre, enfin, les cinéphiles profiteront
d’un festival du film européen, qui précédera le gala
du Prix du cinéma européen, qui avait par le passé
récompensé Krzysztof Kieslowski et Andrzej Wajda.
Des projets sociaux et éducatifs, visant à créer une
interaction avec les habitants de la région et les visiteurs, accompagneront ces événements artistiques.
« Ces projets seront particulièrement tournés vers les
populations habituellement considérées comme exclues de la culture, dont la communauté rom », précise Arkadiusz Förster. Les amateurs pourront profiter des infrastructures construites pour l’occasion,
tel le Forum national de la musique, bijou architectural et acoustique, qui abrite la philharmonie de
Wroclaw. Ou s’imprégner de l’ambiance de lieux
cultes, comme le Théâtre musical Capitol, qui
renvoie aux traditions des théâtres musicaux de
l’entre-deux-guerres. Un âge d’or auquel la ville de
Wroclaw est attachée. p
res car, durant longtemps, exposer des opinions pouvait avoir des conséquences extrêmes », souligne le nouveau maire de Saint-Sébastien élu en mai, Eneko Goia, du Parti
nationaliste basque (PNV, modéré).
Au milieu des concerts, conférences, expositions, rencontres, prévus toute l’année, certaines propositions résonnent dans la ville. Le
spectacle Théâtre Forum : Et toi ? offre la possibilité au public d’essayer de résoudre les conflits qui opposent deux acteurs, sur scène, en
participant à la pièce, selon le principe du
« théâtre de l’opprimé » créé en 1960 au Brésil.
« Notre objectif est de favoriser la communication entre des parties de la ville qui avaient
été confrontées, en pensant la culture comme
un outil de transformation sociale, affirme
M. Berastegui, qui a dû vaincre les réticences
de Bildu, qui exigeait un directeur parlant euskera pour prendre la direction de l’événement
après une énième démission. Nous espérons
pouvoir apporter cette expérience à l’Europe,
où ce thème résonne particulièrement en ce
moment. » La ville enverra trois « ambassades » itinérantes dans dix villes européennes
qui ont été ou sont le théâtre de conflits afin
de construire dix récits sur la recherche de la
convivencia en Europe.
Au programme, une exposition sur le
groupe artistique éphémère Gaur rassemble
des œuvres de Jorge Oteiza ou Eduardo
Chillida au Musée San Telmo, un espace de
culte multireligieux éphémère, une exposition de dessins de presse sur le « conflit basque », un festival aux accents antimilitaristes,
Stop war festibala (du 25 au 27 mars), ou encore, en mai, une exposition sur la représentation de la paix dans l’art, « Traités de paix », à
laquelle ont collaboré une vingtaine de musées nationaux et internationaux.
« Il nous reste encore du travail pour articuler
le programme du deuxième semestre, mais
notre objectif va être atteint », conclut le maire,
Eneko Goia, à l’hôtel de ville de Saint-Sébastien, où il se prépare pour assister à l’hommage rendu à Gregorio Ordoñez, un conseiller municipal du Parti populaire (PP) assassiné par l’ETA vingt et un ans plus tôt, le
23 janvier 1995. p
jakub iwaniuk (varsovie, correspondance)
sandrine morel
« LES ARTISTES
SONT
LES INGÉNIEURS
LES PLUS AUDACIEUX
POUR CONSTRUIRE
DES PONTS ENTRE
LES HOMMES »
PABLO BERASTEGUI
directeur de DSS2016
Wroclaw 2016 veut porter les valeurs de « l’autre Pologne »
la culture saura-t-elle prendre le dessus sur le
cliché politique ? Alors que, depuis l’arrivée au pouvoir en Pologne des ultraconservateurs du PiS (Droit
et justice), le 25 octobre 2015, le pays a mauvaise
presse en Europe, la ville de Wroclaw espère porter
en 2016 les valeurs de la modernité et de la tolérance,
chères à cette « autre Pologne ». La capitale de BasseSilésie, à l’ouest du pays, est, depuis le 15 janvier et
pour un an, au côté de la ville espagnole de Saint-Sébastien, la Capitale européenne de la culture. « Nous
sommes persuadés que la politique répond à ses
propres règles, et qu’elle n’aura aucune influence sur la
fréquentation de notre programme culturel », affirme
Arkadiusz Förster, le porte-parole de l’initiative.
Wroclaw, bastion de la droite modérée depuis près
de vingt-cinq ans, symbolise en effet le multiculturalisme et l’ouverture au monde, valeurs opposées à
celles véhiculées par le nouveau pouvoir. La ville
ambitionne ainsi d’acquérir une visibilité suffisante
pour devenir la troisième « marque touristique » du
pays, derrière Cracovie et la capitale, Varsovie.
Surnommée la « Venise polonaise », Wroclaw est
un haut lieu historique et un carrefour culturel, successivement sous influence polonaise, tchèque et
allemande. Imprégné de la culture juive, son « quartier des quatre temples », au cœur de la vieille ville, a
permis un dialogue interreligieux entre juifs, catholiques, protestants et orthodoxes. Sous domination
allemande avant 1945, la ville (alors Breslau), a été
détruite à 75 % pendant la seconde guerre mondiale ; ses habitants d’avant-guerre ont été dans leur
quasi-totalité déplacés vers l’Allemagne, en vertu
des accords de Potsdam, pour être remplacés par
des Polonais venus des territoires confisqués par
l’Union soviétique.
Plus de mille événements
Devenue l’incarnation de la renaissance du pays et
de son miracle économique, Wroclaw est prisée
pour sa qualité de vie et son faible taux de chômage.
Les investisseurs étrangers s’y sont implantés dans
le secteur des nouvelles technologies. Au cours de
l’histoire, pas moins de dix Prix Nobel s’y sont croisés. La ville a aussi vu naître le pianiste et chef d’orchestre allemand Christoph Eschenbach, ou encore
le Théâtre Laboratorium, fondé par le metteur en
scène et théoricien polonais Jerzy Grotowski. « Créer
des espaces pour la beauté » : tel sera l’esprit de la capitale culturelle dans les prochains mois.
Une beauté « aussi bien matérielle qu’immatérielle ». Plus de mille événements culturels sont prévus, où se côtoieront des artistes venus du monde
culture | 19
0123
JEUDI 28 JANVIER 2016
Christine Macel, une alchimiste de l’art à Venise
La conservatrice française, tête chercheuse du Centre Pompidou, va diriger la Biennale d’art contemporain
ART
Un de ses credo :
« La réalité
d’aujourd’hui
est dans
le mouvement
et les mutations
perpétuelles »
F
igure clé du Centre Pompidou, la conservatrice
Christine Macel connaît
Venise comme sa poche :
elle a déjà été commissaire du
pavillon belge consacré à Eric Duyckaerts lors de la Biennale de 2007,
et a collaboré avec Anri Sala quand
il représentait la France, en 2013.
Mais la Sérénissime lance
aujourd’hui à cette quadragénaire
un défi d’une autre ampleur en la
nommant directrice artistique de
sa célèbre biennale, programmée
à l’été 2017.
Une femme, française : la nouvelle est doublement réjouissante
pour le milieu de l’art hexagonal.
Depuis les années 1960, Jean Clair
est le seul de nos concitoyens à
avoir accédé à ce poste, l’un des
plus prestigieux au monde dans le
domaine de l’art contemporain.
Quant aux femmes, on les compte
sur les doigts d’une demi-main.
Intellectuelle et festive
Mais une femme française, c’est
loin de résumer le profil singulier
de celle qui est fière de rappeler
que sa promotion à l’Ecole nationale du patrimoine portait le nom
de Paracelse, le plus grand des alchimistes. Comme son prédécesseur, l’Américano-Nigérian Okwui
Enwezor, directeur de la Biennale
de 2015, elle n’a que faire des catégories et des frontières. Perpétuelle voyageuse, parfaite germanophone, elle s’est efforcée au fil
de son parcours de les abolir toutes. D’abord au sein de la Délégation aux arts plastiques, où elle fut
inspectrice à la création de 1995 à
2000. Puis au Musée national
d’art moderne, où elle est
aujourd’hui conservatrice en chef
chargée « de la création contemporaine et prospective ».
En tête chercheuse du Centre
Pompidou, elle s’est longtemps
Christine Macel en 2015. J.-C. PLANCHET
chargée de l’espace 315, part la plus
expérimentale de l’institution, en
y défendant de jeunes artistes du
monde entier. Accompagnant des
plasticiens d’envergure, comme
Sophie Calle, Philippe Parreno ou
Gabriel Orozco, elle y a aussi porté
des projets de grande ampleur.
Notamment « Les Promesses du
passé », en 2010, exposition née
d’une longue exploration des terres oubliées d’Europe de l’Est, du
temps du rideau de fer. « Nous vou-
Une épopée animée
vers le Grand Nord
« Tout en haut du monde » ou la quête d’une
jeune Russe sur les traces de son grand-père
CINÉMA
L
es grands voyages se méritent. On ne s’embarque pas
si aisément pour celui que
Tout en haut du monde propose.
De Saint-Pétersbourg au pôle
Nord, à la fin du XIXe siècle, il suit
Sacha, jeune aristocrate russe quittant le confort de son palais pour
partir à la recherche de son grandpère, Oloukine. Celui-ci a disparu
avec son navire au cours d’une expédition montée avec l’objectif de
planter son drapeau sur ce point
singulier du globe qui a rendu fous
tant d’explorateurs : le pôle Nord.
On peut s’étonner de ce que,
pour conter cette épopée, le réalisateur et animateur Rémi Chayé
ait imaginé tout un monde avec
des moyens si modestes. Pas d’effets de matière, de grands aplats de
couleur sans lignes de contour, des
visages naissant de quelques
traits : forts profils de statues grecques pour les hommes, et, pour la
demoiselle, seule femme dans
l’aventure, une face ronde au petit
nez pointu. Il n’y a pas tant de
courbes dans ce monde d’hommes et de glace : des angles durs
surtout, sur les visages fermés des
marins, les lignes pointues du bateau. La blonde Sacha, par contraste, a la douceur d’un dessin de
Mary Blair, directrice artistique
des plus belles années Disney.
La force vive qui fait de Tout en
haut du monde un travail d’anima-
tion au sens le plus noble tient à
son art d’associer l’ombre à la lumière. Elles s’affrontent plus souvent qu’elles ne s’entendent, durcissant un visage soucieux ou
malveillant, donnant leur lourdeur aux blocs de glace, une densité inquiétante aux nuées qui accompagnent le bateau dans sa
course folle.
Paysage grandiose
Il y a quelques semaines, le très
beau Cafard de Jan Bultheel en faisait un usage du même ordre, dans
un univers différent (la première
guerre mondiale vue par un bataillon belge), mais au service
aussi d’une ambition épique.
Passant d’un paysage grandiose
au suivant, d’un point de vue à
l’autre, avec la même adresse à
ménager ses effets, Tout en haut
du monde offre un voyage extraordinaire, que n’aurait pas renié Jules Verne. Comme dans Les Aventures du Capitaine Hatteras, cependant, le vrai trésor se cache ici dans
un cœur d’homme. Oloukine vit
dans l’hypnose continue de son
rêve du pôle. Mais il continue de
chérir sa petite-fille, et celle-ci le
chérit au point de partir le rejoindre tout en haut du monde, où la
glace, qui tue les hommes, fait sonner plus fort les mots d’amour. p
noémie luciani
Film d’animation français
de Rémi Chayé (1 h 20).
lions écrire une autre histoire de
l’art que celle à laquelle l’Occident
est habitué, nous expliquait-elle
alors. Casser cette vision et dépasser la question des nationalités en
créant une histoire transnationale,
polyphonique. » Voilà de quoi séduire la Biennale de Venise, un peu
plombée par son système archaïque de pavillons nationaux.
Dans le communiqué qui annonçait sa nomination, vendredi
22 janvier, le président de la Bien-
nale, Paolo Baratta, résume sa
tâche avec des accents presque
tragiques : « Conscients de vivre
une ère d’anxiété, nous avons
choisi de confier la direction artistique à Christine Macel, curatrice qui
a su injecter une généreuse vitalité
dans le monde dans lequel nous vivons, et identifier les énergies nouvelles émanant de tous les continents. » On ne saurait mieux résumer son approche à la fois intellectuelle et festive du champ
contemporain, qui s’étend chez
elle à la philosophie, à la musique
ou aux neurosciences.
En 2005, dans son exposition
« Dyonisiac », influencée par le
philosophe Friedrich Nietzsche et
son apologie d’une certaine déraison, elle dévoilait ainsi, dans un accrochage un brin foutraque, son
désir de mettre en tension « le conceptuel et la perception, la joie et la
raison. Car la joie est tragique,
comme le rappelait Deleuze », nous
confiait-elle alors, en amoureuse
de la vie exigeant du public « qu’il
vienne avec son corps autant
qu’avec sa tête ». On se souvient
encore de la fête de vernissage qui
réunissait chez Maxim’s les artistes autour d’un sensuel feu de joie,
et de coupes de champagne en formes de phallus dessinées dans le
cristal par Kendell Geers.
Cette zone de friction entre les
sens et la pensée, elle l’avait explorée auparavant dans une exposition du Printemps de Cahors intitulée « Sensitive » (2000). Réflexion qu’elle poursuivit, aux côtés d’Emma Lavigne (aujourd’hui
directrice du Centre Pompidou
Metz), avec l’exposition « Danser
sa vie », en 2011 : une énergisante
traversée du XXe siècle qui retissait
les liens entre chorégraphes, plasticiens et performeurs. Elle sut
aussi, parmi les premières, faire
entrer le Centre Pompidou dans
l’ère numérique, notamment avec
l’exposition « Air de Paris ».
Avant Venise, son dernier projet
l’a menée, à l’automne 2015, à
Palerme, avec l’exposition « Au milieu du milieu », consacrée à la Méditerranée telle que la voient les artistes. Elle y a développé l’un de ses
credo : « La réalité d’aujourd’hui est
dans le mouvement et les mutations perpétuelles. » Christine
Macel dévoilera à l’automne les
premiers indices sur sa biennale
vénitienne. p
emmanuelle lequeux
Au Théâtre Nanterre-Amandiers,
l’éclatante jeunesse de Molière
Le metteur en scène Gwenaël Morin et ses très jeunes et talentueux comédiens
jouent quatre « tubes » de l’auteur tutélaire du théâtre français
THÉÂTRE
C’
est un jeune homme de
presque quatre siècles
qui triomphe au Théâtre Nanterre-Amandiers, en ce
mois de janvier : un Molière d’une
fraîcheur et d’une énergie éclatantes, tel que le jouent de très jeunes comédiens formés au Conservatoire de Lyon par Gwenaël Morin, qui les met en scène. Une fois
de plus, le directeur du Théâtre du
Point du jour, à Lyon, démontre
qu’il est bien l’homme qui a redonné à la notion de théâtre populaire toute sa pertinence, et un
formidable coup d’accélérateur,
en remettant l’art dramatique au
cœur de la cité, et en proposant
des places à 5 euros pour tous.
Il faut donc courir toutes affaires
cessantes à Nanterre, surtout avec
de jeunes spectateurs qui – quelle
drôle d’idée – oseraient penser que
le théâtre est un art dépassé, pour
voir l’effet que peut produire sur le
public un Molière décrassé de
toute poussière patrimoniale. Morin et ses acteurs jouent quatre pièces, quatre « tubes » du patron du
théâtre français : L’Ecole des femmes, Tartuffe, Dom Juan et Le Misanthrope. Une par soir, du mardi
au vendredi. Le samedi, on peut
voir les quatre à la suite, en un de
ces marathons de théâtre comme
on les aime, et qui s’avère ici particulièrement judicieux.
Les acteurs
sont en jean
et en tee-shirt,
les filles jouent
des rôles
masculins
et inversement
On est loin des ors et des brocarts
de Versailles. Sur le grand plateau
de Nanterre, Gwenaël Morin n’a
besoin que de quelques chaises en
plastique et d’accessoires bricolés
comme dans un jeu d’enfants
pour que le théâtre advienne. La
vedette, c’est le texte, tel qu’il est
d’ailleurs distribué sous forme de
brochure à chaque spectateur au
début de chaque représentation.
Distribution tirée au sort
Les acteurs sont en jean et en teeshirt, les filles jouent des rôles
masculins et inversement, et Morin prétend qu’il a tiré au sort pour
distribuer les personnages entre
ses dix comédiens. On a du mal à
le croire, au vu du génial Sganarelle que joue Marion Couzinié,
gracieuse jeune femme en robe
orange, et de la formidable Célimène qu’incarne Pierre Laloge,
jeune homme tout aussi gracieux
affublé d’une robe rouge. Mais il
faudrait pouvoir citer tous leurs
camarades, tant tous font montre
de leur talent et de leur singularité.
On l’aura compris, la vérité de
Molière se joue ici autrement que
par l’identification réaliste et psychologique aux personnages. Et
pourtant elle éclate comme on l’a
rarement vue, avec une santé, un
peps, un sens de la farce qui appartiennent à la jeunesse, mais ne
peuvent se libérer que sous la houlette d’un grand directeur d’acteurs. Le secret de ces Molière, c’est
le jeu, à tous les sens du terme, et
dans tous ses états : un jeu absolument jouissif, qui fait rendre à ces
quatre comédies leur jus jusqu’à la
dernière goutte.
Car si « à force de sagesse, on peut
être blâmable », comme le dit Philinte dans Le Misanthrope, le plaisir
dionysiaque que peut apporter le
28 JAN > 7 FEV
terre
noire
stefano massini
irina brook
théâtre
national
de nice
théâtre récolte toujours sa récompense. A la fin de l’intégrale du samedi 23 janvier, le public, dont
l’âge s’étalait – presque – de 7 à
77 ans, s’est levé comme un seul
homme pour ovationner cette fine
équipe. Dans la navette et le RER de
retour, tout le monde semblait regonflé à bloc. Morin-Poquelin,
même combat. Gagnant-gagnant,
comme dirait une coquette
d’aujourd’hui, dont le prénom
rime avec Célimène. p
fabienne darge
Les Molière de Vitez . Quatre
pièces de Molière (L’Ecole des
femmes, Tartuffe ou l’Imposteur,
Dom Juan ou le Festin de Pierre,
Le Misanthrope ou l’Atrabilaire
amoureux) mises en scène par
Gwenaël Morin. Théâtre Nanterre
-Amandiers, Jusqu’au 30 janvier.
20 | culture
0123
JEUDI 28 JANVIER 2016
Le saut redonne du ressort à la danse
A l’instar de Jan Martens, plusieurs chorégraphes de la scène contemporaine se sont emparés de ce mouvement
DANSE
S
auter. Ce geste fondamental fait turbiner le spectacle The Dog Days Are Over
(2014), chorégraphié par le
Flamand Jan Martens. Uniquement soutenus par les frappes de
leurs baskets sur le sol, huit danseurs fusent en long, en large, sur
un pied et puis l’autre, pendant
une heure. Training aérobic avec liquéfaction à vue des performeurs,
The Dog Days Are Over accélère le
cardio d’un danseur-athlète programmé jusqu’à épuisement.
Jan Martens, 31 ans, n’est pas le
seul à trouver dans le saut un ressort de création. Il y a quelques
années, Julie Nioche, Mette
Ingvartsen (sur un trampoline),
plus récemment Alessandro
Sciarroni et Paula Rosolen, ont
eux aussi, dans le même registre
minimaliste et maximaliste, fait
bondir des danseurs amateurs et
professionnels. Tendance gymnique dans l’air du temps, phénomène viral, obsession générationnelle, sauter est en passe de
devenir un gimmick de la scène
contemporaine.
Ce parti pris d’un mouvement
basique souligne le besoin pour les
chorégraphes conceptuels, jeunes
et moins jeunes, de renouer avec
l’énergie et la dépense physique
après le gel entraîné depuis le mi­
lieu des années 1990 par la « non­
danse ». « J’aime les concepts, mais
aussi le travail du corps, explique
Jan Martens, sorti en 2006 du con­
servatoire d’Anvers. J’ai longtemps
cru qu’on ne pouvait pas combiner
concept et divertissement. Mes pièces ne sont pas arides, elles restent
sur terre. Quel est le vrai visage de la
danse par ces temps incertains ?
Que voulons-nous montrer ? Que
voulons-nous voir ? »
Les questions se précipitent.
Dans un contexte où le chambardement de la danse conceptuelle,
en France comme en Belgique, a
entraîné le désaveu d’un pan du
public, le besoin de le rattraper
par la manche se fait aussi sentir.
« Les gens ont besoin aujourd’hui
d’être connectés avec des corps et
pas seulement des idées, poursuit
Jan Martens. Je ne fabrique pas des
spectacles pour jouer trois fois. Je
veux toucher le spectateur. »
Flash­back. Au milieu des an­
nées 1990, la belle danse des an­
nées 1980, qui bouffait du mouve­
Le spectacle « The Dog Days Are Over », du chorégraphe Jan Martens, est à l’affiche du Théâtre des Abbesses, à Paris . PIET GOETHALS
ment avec gourmandise, est black­
boulée par les tenants de la « non­
danse », autrement nommée
« danse conceptuelle » ou « plasti­
cienne ». Ce chamboulement des
codes porte les noms de Jérôme
Bel, Boris Charmatz, Christian
Rizzo, Rachid Ouramdane, Emmanuelle Huynh… Même si certains
« bougent » encore, ils opèrent
une critique de l’écriture et de la
virtuosité qui ont construit la
danse d’auteur. De Jean-Claude
Gallotta à Angelin Preljocaj en passant par Anne Teresa De Keersmaeker, inventer son vocabulaire
et son style faisait battre – et le fait
d’ailleurs toujours – le pouls de
l’identité chorégraphique.
Le vent a tourné. Le cas de Christian Rizzo, 51 ans, illustre cette évolution. Ce tenant d’une danse plasticienne – Rizzo a étudié à la Villa
Arson, à Nice – s’est taillé un nom
au tournant des années 2000
grâce à des rituels magnétiques.
Proches de l’installation, avec
aménagement et déménagement
de l’espace serti d’objets géométriques et de plantes vertes, ses spectacles valorisaient une danse de
postures. En 2013, il désamorce
une bombe, D’après une histoire
vraie, pour cinq hommes et
deux batteurs, succès du Festival
d’Avignon. Un motif de danse traditionnelle turque se love dans les
boucles de gestes en suspens.
« J’étais arrivé au bout d’un cycle,
explique Rizzo, directeur du Centre chorégraphique national de
Montpellier depuis 2015. Je risquais de faire du corps un objet, ce
que j’ai toujours évité. Dans l’espace vide qu’était devenu le plateau
pour moi, j’ai cherché à renouer le
contact entre deux êtres. J’ai redécouvert le mouvement et la danse
qui fondent mon identité. »
Proche du sampling
Cette stratégie d’emprunts à un
répertoire préexistant est devenue une tendance lourde chez les
chorégraphes conceptuels, en
particulier de la nouvelle génération. « Je n’ai pas envie d’inventer
une langue gestuelle comme c’était
le cas avant, poursuit Jan Martens.
Je veux trouver pour chacune de
mes pièces une langue différente. »
Plus question donc pour cette
frange d’artistes de ciseler son
écriture, mais plutôt de ponctionner des mouvements, d’isoler des
séquences chorégraphiques qui
« Je veux trouver
pour chacune
de mes pièces
une langue
différente »
JAN MARTENS
chorégraphe
servent d’embrayeur, voire de moteur… Une tactique proche du
sampling et du remix en musique.
Les registres de ce système sont
nombreux. Le répertoire folklorique et traditionnel, le clubbing, la
danse classique deviennent des
banques de données. Alessandro
Sciarroni s’est fait connaître en
France en 2013 avec Folk-s, Will
You Still Love Me Tomorrow ?, en­
raciné dans l’apprentissage de la
danse bavaroise du Schuhplattler.
Depuis sa première pièce, Le
Royaume des ombres (2009),
d’après le ballet La Bayadère, Noé
Soulier a détourné le vocabulaire
classique dans des pièces comme
Signe blanc (2012) et Corps de
ballet (2014).
D’autres secteurs sont mis à contribution comme le sport (goalball
pour Sciarroni dans Aurora ; jujitsu pour Soulier dans Removing),
ou la photographie (Boris Charmatz, Daniel Linehan…). A l’affiche
du festival DansFabrik, à Brest,
Lenio Kaklea, qui se demande
« comment retrouver un vocabulaire aujourd’hui », a tissé son solo
Arranged by Date à partir d’objets
et d’images de sculptures ; Alexandra Bachzetsis, elle, feuillette des
attitudes piochées dans des livres
comme Gesture in Naples and
Classical Antiquity pour Score.
Reste ensuite à prendre le pouvoir sur les citations. Ce qui est le
défi, même si le ready-made à la
Marcel Duchamp ne fait pas peur
à certains. « Duchamp est pour
moi l’artiste le plus important, affirme Sciarroni, passé par le théâtre et la performance. Mais le
ready-made en spectacle n’est évidemment pas suffisant. Je cherche
toujours à créer des rencontres
avec les interprètes. Nous formons
avec les joueurs de goalball
d’Aurora une sorte de famille. »
D’où un impact humain qui sauve
le match, un peu revisité, de la
simple reproduction.
Si, pour la majorité de ces artistes
qui revendiquent une signature
d’auteur, sampler n’est pas jouer,
rares sont les spectacles qui décollent. The Dog Days Are Over, de Jan
Martens, comme Removing, de
Noé Soulier, dont le déclencheur,
un combat de jujitsu, ouvre les
vannes à un feu d’artifice gestuel,
explosent grâce à une partition
spatiale et rythmique complexe.
Avec, en première ligne, un corps
pulsant, dansant, et la saveur de
l’humain en action. A fond. p
rosita boisseau
The Dog Days Are Over,
de Jan Martens. Les Abbesses, 31,
rue des Abbesses, Paris 18e.
Jusqu’au 30 janvier.
theatredelaville-paris.com/
Ad Noctum, de Christian Rizzo.
au MC2, 4, rue Paul-Claudel,
à Grenoble. Les 28 et 29 janvier.
mc2grenoble.fr
Folk-s, de Alessandro Sciarroni,
théâtre de Saint-Quentinen-Yvelines, place GeorgesPompidou. Le 6 février.
theatresqy.org
Festival DansFabrik, à Brest.
Du 29 février au 5 mars.
dansfabrik.com
A Bruxelles, une Brafa entre carapace de tortue et visage du Christ
La 61e édition de la foire d’art accueille 137 exposants de tous styles et de toutes époques
ARTS
bruxelles
I
l n’y a pas de gardes armés ? »,
s’indigne une antiquaire londonienne, persuadée que
Bruxelles est en proie au terrorisme. Charitablement, on s’abstient de lui dire que le désormais
célèbre quartier de Molenbeek-
Saint-Jean n’est qu’à deux pas des
bâtiments de Tour & Taxis, l’immense site d’entrepôts désaffectés, qui accueille, jusqu’au 31 janvier, une des foires d’art et d’antiquités les plus anciennes d’Europe, la Brafa, dont c’est la 61e
édition. Les collectionneurs locaux ne s’inquiètent pas, eux, de
cette proximité d’une des com-
CRÉATION – DU 29 JANVIER AU 20 FÉVRIER 2016
ROBERTO
ZUCCO
Bernard-Marie Koltès
MISE EN SCÈNE
Richard Brunel
Réservations : 01 48 13 70 00
www.theatregerardphilipe.com
Dans les villes – illustration Serge Bloch
DE
munes les plus pauvres de Belgique : l’inauguration, le 20 janvier,
est suivie d’un dîner de gala, et ils
sont habillés pour la circonstance,
smoking pour les messieurs, robe
du soir pour les dames.
Les Belges aiment cette foire, et
on les comprend : c’est l’une des
très rares à permettre au visiteur
de passer, en quelques mètres,
d’antiquités gréco-romaines à un
stand presque entièrement consacré à l’abstraction géométrique
et à l’art cinétique des années
1960 (celui de la galerie bruxelloise La Patinoire royale). Un endroit où se retrouvent quelquesunes des meilleures galeries belges (55 sur les 137 exposants de
cette année), comme Albert Baronian, qui montre notamment un
fabuleux dessinateur, Jean Bedez,
et un non moins étonnant peintre, Michel Frère.
Une foire où, sur le même stand,
celui d’Axel Vervoordt, cohabitent
un tableau abstrait du Japonais Kazuo Shiraga, qui peignait avec les
pieds, et une cheminée sculptée en
Italie à la Renaissance, comme un
peu plus loin, sur le mur de Finch
& Co – dont les centres d’intérêt
sont si variés que cette galerie londonienne pourrait à elle seule résumer l’esprit de la foire –, on peut
voir juxtaposés une carapace de
tortue blanche pêchée au XIXe siècle et un visage du Christ sur le
voile de sainte Véronique réalisé à
Turin au XVIIe siècle.
Floraison remarquable
Le lieu aussi où on peut s’acheter
non pas un, mais deux Jérôme
Bosch (galerie De Jonckheere), et
où le galeriste Guy Pieters exhume, chaque année, quelques raretés : pour cette édition, un Nam
June Paik d’exception, empilement de téléviseurs surmontés
d’un chapeau haut de forme, hommage à Abraham Lincoln, où deux
très belles sculptures de George Segal, œuvres dont s’enorgueillirait
n’importe quel musée. Des musées, il y en a aussi, ou du moins
des institutions qui s’en rapprochent : la Fondation Roi Baudouin
présente, chaque année, ses activités sur un stand, tout comme la parisienne Cité de la céramique de
Sèvres (Hauts-de-Seine), qui mon-
tre qu’elle sait encore travailler
avec les meilleurs artistes contemporains, comme Clémence van Lunen ou Johan Creten.
Des armures (galerie Charbonnier) ou des meubles (galerie Barrère) japonais, de l’art africain ou
océanien, des icônes russes, du
mobilier de toutes les époques, et
jusqu’à la nôtre avec, chez Dutko,
les créations spectaculaires d’Eric
Schmitt. Ce qu’il y a de réjouissant
à voir tout cela, c’est aussi de se dire
que le collectionneur belge, lorsqu’il achète un tableau, c’est pour
le mettre à son mur, pas pour le revendre le lendemain, et, quand il
choisit une chaise, même ancienne, c’est pour s’asseoir dessus.
Alors, les marchands présents les
soignent, et on trouve fort peu de
mauvaises choses dans cette foire,
même si tout n’est pas exceptionnel dans la floraison remarquable
– mais pas surprenante, vu la prochaine rétrospective annoncée
par le Musée d’art moderne de la
Ville de Paris – de Bernard Buffet : il
y en a un peu partout. L’Ecole de
Paris des années 1950 est généralement très bien représentée, avec
des Pierre Soulages, des Georges
Mathieu comme s’il en pleuvait.
Kalman Maklary est venu de Budapest avec des toiles de Simon
Hantaï, de Judit Reigl, et la Die Ga­
lerie arrive de Francfort avec un
très bel ensemble d’artistes du
groupe CoBrA. Claude Bernard, lui,
expose à l’entrée de son stand un
des chefs-d’œuvre de Paul Rebeyrolle, une grande toile de la série
« Le Sac de Madame Tellikdjian »,
qui disait la difficulté d’être émigré
bien avant que ce problème n’envahisse l’actualité.
On s’arrache de cette foire avec
regrets. Au moment du départ,
une annonce au micro : « Le propriétaire de la Porsche Cayenne immatriculée (…) a laissé ses phares allumés. » Visiblement le seul problème grave de la soirée : les gardes
armés n’étaient pas nécessaires.
Bruxelles, terre de contrastes. p
harry bellet
Brussels Art Fair (BRAFA),
Tour & Taxis, à Bruxelles.
Tous les jours, de 11 heures
à 19 heures, jusqu’au 31 janvier.
Entrée 25 €. www.brafa.be
télévisions | 21
0123
JEUDI 28 JANVIER 2016
Le PS désavoué
par ses électeurs
VOTRE
SOIRÉE
TÉLÉ
J E UD I 28 JAN VIE R
Le documentaire analyse les raisons
d’une défiance qui n’a jamais été aussi forte
FRANCE 3
JEUDI 28 – 23 H 05
DOCUMENTAIRE
T
outes les enquêtes
d’opinion montrent
que les Français jugent
leurs élus nationaux
éloignés d’eux, formant une
caste dont le souci n’est pas
d’améliorer leur quotidien, mais
de se faire élire. Jamais la défiance à l’encontre des représentants politiques n’a été aussi
forte. Le Parti socialiste est le
premier à pâtir de la crise que
traverse notre culture démocratique, affirment Henry Marquis
et Jean-Baptiste Predali, auteurs
d’un documentaire incisif intitulé Profession socialiste.
En 2012, au début du quinquennat de François Hollande, le Parti
socialiste avait pourtant toutes
les cartes en main : il dirigeait les
grandes villes de France, la majorité des départements, la quasitotalité des régions, l’Assemblée
nationale et le Sénat.
Trois ans plus tard, les socialistes
ont tout perdu. Les orientations
du gouvernement, contestées par
une partie des militants, et l’ab-
sence de résultats expliquent en
grande partie cette déroute.
Surtout, affirment Henry Marquis et Jean-Baptiste Predali, le
Parti socialiste ne fait plus recette
parce qu’il est devenu une machine électorale composée de professionnels de la politique, tous issus des élites. Cette dérive, Michèle
Delaunay, députée socialiste de la
Gironde, l’a dénoncée sur son blog
en septembre 2014. Dans ce billet
intitulé « Le tunnel ou comment
faire carrière sans mettre un pied
dans la vraie vie », l’ex-ministre déléguée aux personnes âgées dénonçait « ces élus [qui] n’ont jamais
connu la vie réelle ».
Crise profonde
Les auteurs du documentaire ne
précisent pas que ce pamphlet
avait été publié dix jours après
que Thomas Thévenoud fut contraint de démissionner du gouvernement en raison de ses démêlés avec le fisc. Ce passage sous silence leur permet non seulement
d’éviter d’alourdir le récit, mais
surtout d’ériger en modèle cette
cancérologue de formation, entrée en politique à l’âge de 54 ans.
D’autant que les ténors du PS in-
TF1
20.55 Section de recherches
Série créée par Steven Bawol
et Dominique Lancelot.
Avec Xavier Deluc, Chrystelle
Labaude, Franck Sémonin
(Fr., saison 10, ép.1 et 2/13 ;
S9, ép. 3/12 ; S7, ép. 6/16).
France 2
20.55 Envoyé spécial
Magazine présenté
par Guilaine Chenu et Françoise Joly.
22.40 Complément d’enquête
Présenté par Nicolas Poincaré.
La députée PS Michèle Delaunay avait dénoncé « ces élus qui n’ont jamais connu la vie réelle ». NO ONE
terrogés refusent de voir la réalité
en face, de l’analyser. Bruno Le
Roux, entré tôt en politique, chef
du groupe PS à l’Assemblée nationale, reste convaincu que sa seule
présence sur le terrain et son attachement à sa Seine-Saint-Denis
natale le protègent de la « mécanisation de la politique ».
Les origines de cette crise de la
représentation sont rappelées
avec précision. Jusque dans les années 1980, le personnel du Parti
socialiste était surtout issu des
classes moyennes et populaires.
On entrait en politique à la faveur
d’une expérience sociale. La professionnalisation du PS date de la
décennie 1990 : la politique est
alors devenue plus technique, les
textes de loi sont passés de vingt à
deux cents pages. D’assistant parlementaire à directeur de cabinet,
le poste de « collaborateur » est devenu un métier incontournable.
En 2012, le PS en comptait 10 000,
répartis sur le territoire. Sans leur
concours, les politiques n’auraient
pas de capacité d’action.
A force de privilégier le pragmatisme au détriment des idées, les
socialistes n’ont pas su porter
une vision politique une fois arrivés au pouvoir. C’est l’une des
conclusions que tire ce documentaire. On aurait pu ajouter que,
faute d’avoir renouvelé son logiciel idéologique, le Parti socialiste
a surtout fini par brouiller le clivage gauche-droite qui structurait la démocratie française.
Signe que la crise est profonde,
les élus interrogés ont peu de solutions à offrir pour regagner
l’opinion publique. De Dominique Potier, député du département de Meurthe-et-Moselle, à
Laura Slimani, la présidente des
Jeunes socialistes, les plus lucides pensent tout juste qu’il faudrait exercer la politique « à durée déterminée ». p
antoine flandrin
Profession socialiste, d’Henry
Marquis et Jean-Baptiste Predali
(France, 2015, 50 min).
Entre Paris et la province, l’amour vache
Attraction et/ou répulsion, les relations entre la capitale et le reste du pays ont longtemps été mouvementées
FRANCE 5
JEUDI 28 – 22 H 15
DOCUMENTAIRE
P
loucs d’un côté, parigots
têtes de veau de l’autre ?
Pour débuter la troisième
saison de la collection « Duels »,
Christophe Duchiron signe ce
drôle de documentaire consacré à
la rivalité Paris-province. Au-delà
des clichés, c’est une histoire économique et sociologique de la
France qui se dessine, notamment à l’aide d’archives télévisuelles épatantes. La plupart datent des années 1960.
A cette époque, la rivalité Parisprovince n’était pas un concept fumeux, si l’on en juge par les témoignages recueillis dans des émissions telles que « Rencontre » ou
« Dim Dam Dom ». Sur un plateau
télé, en noir et blanc, de jeunes Parisiens évoquent la province, « sordide et moche, avec sa tristesse et
ses bistrots sales… ». Face à eux, de
jeunes provinciaux, qui voient Paris comme « un endroit effrayant,
où les gens, intoxiqués par la réussite, sont bombardés jour et nuit
par le bruit ». Moins théâtral, plus
touchant, le témoignage face caméra de Louisette, Bretonne qui a
quitté la ferme familiale à 18 ans
pour trouver à Paris « la liberté, des
loisirs et un travail moins dur », rappelle que, durant les années 1960,
80 000 provinciaux débarquaient,
chaque année, dans la capitale
pour entamer une nouvelle vie.
Moqueries, jalousies
La centralisation, spécificité française qui date de Louis XIV, va peu à
peu laisser place à l’aménagement
du territoire. Autoroutes, voies ferrées, industrialisation, établissements culturels, la province se
remplume, et le président Pompidou peut entamer un discours en
proclamant fièrement : « Je suis
provincial. » Et, pendant que Paris
étouffe dans des embouteillages
monstrueux (images d’archives à
l’appui), les autres grandes villes
du pays se développent.
Amour-haine, attraction-répulsion, les relations entre Paris et le
reste du pays ont donc été mouvementées durant une longue période, qui va de l’après-guerre au
milieu des années 1970. Avec la décentralisation, projet politique
majeur décidé en 1981, les différences s’estompent. Et l’arrivée du
TGV fait basculer une partie de la
société dans la mobilité. De fait, la
France devient un territoire plus
homogène. Restent les moqueries,
les jalousies, les petites « piques »
entre Parisiens et provinciaux qui
font partie du folklore, et que de
nombreux extraits d’archives télévisuelles permettent de retrouver.
Et, comme l’avoue François Morel,
provincial devenu acteur en vue
de la scène culturelle : « Ma jeunesse en province ? Je m’y suis ennuyé, j’ai rêvé… » p
alain constant
Paris-province : une rivalité
capitale, de Christophe Duchiron
(Fr., 2015, 52 min).
France 3
20.55 Mes héros
Comédie d’Eric Besnard.
Avec Josiane Balasko, Gérard Jugnot
(Fr., 2012, 85 min).
23.05 Profession socialiste
Documentaire d’Henry Marquis
(Fr., 2015, 50 min).
Canal+
21.00 False Flag
Série créée par Amit Cohen
et Maria Feldman. Avec Ishai Golan,
Yoav Donat, Angel Bonanni
et Ania Bukstein (Isr., S1, ép. 7 et 8/8).
22.25 Strike Back
Série avec Philip Winchester, Sullivan
Stapleton, Robson Green et Will Yun
Lee (EU-GB, 2015, 90 min, S4, ép. 7 et
8/10).
France 5
20.45 La Grande Librairie
Magazine animé par François Busnel.
22.15 Duels
« Paris-province, une rivalité
capitale ». Documentaire de
Christophe Duchiron (2015, 52 min).
Arte
20.55 Wolf Hall
Série créée par Peter Kosminsky,
d’après les romans de Hilary Mantel.
Avec Mark Rylance (GB, 2014, 4 à
6/6).
23.55 Rio, sexe et (un peu de)
tragi-comédie
Comédie de Jonathan Nossiter.
Avec Charlotte Rampling, Bill Pullman
et Irène Jacob (Fr.-Br., 2010, 95 min).
M6
20.55 Once Upon a Time
Série créée par Ed Kitsis et Adam
Horowitz. Avec Jennifer Morrison,
Ginnifer Goodwin et Elizabeth
Mitchell (EU, S4, ép. 10 à 12/23).
23.30 Nouveau look
pour une nouvelle vie
Présenté par Cristina Cordula.
0123 est édité par la Société éditrice
HORIZONTALEMENT
1
2
3
4
5
6
7
8
9
10
11
12
I
II
III
IV
V
VI
VII
VIII
IX
X
SOLUTION DE LA GRILLE N° 16 - 022
HORIZONTALEMENT I. Instigatrice. II. Note. Ameuter. III. Furtive. Bâti.
IV. Ive. Serval. V. Resta. Sinité. VI. Masure. Liera. VII. Auer. Nuée. II. VIII.
Tn. Bots. Rote. IX. Iéna. Rem. Don. X. Feinteraient.
VERTICALEMENT 1. Inirmatif. 2. Nouveau-née. 3. Stressé. Ni. 4. Têt. Tur-
ban. 5. Isar. 6. Gavé. Entre. 7. Amers. User. 8. Té. Vile. Ma. 9. Rubanier.
10. Italie. Ode. 11. Cet. Triton. 12. Erigeaient.
I. Travaille à l’arraché. II. Producteur
d’hormones sexuelles. Aura plus tard
des problèmes de foie. III. Calculer le
juste milieu. Met in au bout du
compte. IV. Pistes sanglantes. Possessif. Le parti de VGE. V. Plus appréciés
par le personnel que par les patrons.
Entraîna sur une mauvaise voie.
VI. Avoir pour soi. Douce caresse.
VII. Fait circuler. Pâte d’Auvergne au
parfum aillé. VIII. Sur la portée. Habiter les esprits. Dieu solaire. IX. Mettais en page. Du bleu dans la campagne. X. Firent traîner très
longtemps.
VERTICALEMENT
1. Bon endroit pour se faire pincer.
2. Expulsion avant terme. 3. Fait un
carton aux Archives nationales. Personnel. 4. Possessif. Inini poétique.
5. Coule en Irlande. Acide ribonucléique. 6. Apportai un peu de lumière. 7. Comme un rasage du lendemain. 8. Eut sur lui. Réléchit au
problème. 9. Répété pour rire ou
pleurer. Equiper le bâtiment. 10. Assure l’égalité. Evitez de pomper celui
des autres. Article. 11. Le jeune à souvent les dents longues. Le Petit et le
Grand inissent dans la Marne.
12. Pousse ou tire mais ne laissera
pas indiférent.
La reproduction de tout article est interdite
sans l’accord de l’administration. Commission
paritaire des publications et agences de presse
n° 0717 C 81975 ISSN 0395-2037
0123
Les Unes du Monde
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L’investiture
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Tome 2-Histoire
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Jeudi 22 janvier
Uniquement
2009
Fondateur
Premières mesures
Le nouveau président
américain a demandé
la suspension
: Hubert Beuve-Méry
En plus du «
en France
- Directeur
Monde »
métropolitaine
: Eric Fottorino
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Barack et
Michelle Obama,
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WASHINGTON
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20 janvier,
CORRESPONDANTE
se dirigent
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a Les carnets
transformationde l’Amérique. Une ère
d’une chanteuse.
national de été réunie sur le Mall
de Angélique
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Washington,
Des rives du commencé.
Kidjo, née au
Obama a prononcé,
a Le grand
Barack lantique,
Pacifique à
jour. Les cérémonies
celles de l’At- aux Etats-Unis pendant Bénin, a chanté
discours d’investituremardi 20 janvier,
toute l’Amérique
la liesse ; les
la campagne
de Barack Obama
;
ambitions d’un
presque modeste.un sur le moment
s’est arrêtée
a Feuille
force d’invoquer
en 2008,
la première
rassembleur
qu’elle était
pendant les
A vivre :
décision de
; n’est jamaisde route. « La grandeur
Abraham
en train de
festivités de et de nouveau administration:
Martin Luther
l’accession
la nouvelle
Lincoln,
un
l’investiture,
au poste
du 18 au
dant en chef
Avec espoir et dû. Elle doit se mériter.
avait lui même King ou John Kennedy,
pendant cent la suspension
des armées, de comman- raconte 20 janvier. Pour Le Monde,
(…)
vertu,
il
placé la barre
responsable
vingt
: les cérémonies,
elle
de plus les courants bravons une fois
discours ne
très haut. Le l’arme nucléaire, d’un
de Guantanamo. jours des audiences
passera probablement
les rencontres
jeune sénateur de – elle a croisé l’actrice
glacials et endurons
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Pages 6-7
les tempêtes à
postérité, mais
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page 2
et l’éditorial
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de 47 ans.
venir. » Traduction
il fera date pour pas à la
Harry Belafonte… Bacall,
du discours
ce qu’il a
inaugural du e intégrale
miste Alan Greenspan.
Lire la suite
et l’écono- a It’s the economy...
des Etats-Unis.
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Il faudra à la
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pour sortir de
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page 13
d’Irak d’ici
à mai 2010.
Trop rapide,
estiment les
hauts gradés
de l’armée.
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Education
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GRILLE N° 16 - 023
PAR PHILIPPE DUPUIS
du « Monde » SA
Durée de la société : 99 ans
à compter du 15 décembre 2000.
Capital social : 94.610.348,70 ¤.
Actionnaire principal : Le Monde Libre (SCS).
Rédaction 80, boulevard Auguste-Blanqui,
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CEDROM-SNI 01-44-82-66-40
Le Monde sur microilms : 03-88-04-28-60
SUDOKU
N°16-023
L’avenir de
Xavier Darcos
Ruines, pleurs
et deuil :
dans Gaza dévastée
« Mission terminée
»:
le ministre
de
REPORTAGE
ne cache pas l’éducation
considérera qu’il se
GAZA
bientôt en
ENVOYÉ SPÉCIAL
disponibilité
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Bonus
Les banquiers
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22 |
styles
0123
JEUDI 28 JANVIER 2016
HAUTE COUTURE PRINTEMPS-ÉTÉ 2016
ILLUSTRATIONS
MARGOT VAN HUIJKELOM/
SLO SLO
POUR « LE MONDE »
histoires d’amour
LES SUPER-HÉROÏNES DU LUXE 2 | 3
Les personnages mis en scène
par les couturiers parisiens
incarnent les variations contrastées
d’une femme idéale
Chanel.
L
a haute couture est
comme une histoire
d’amour. Les couturiers
utilisent le meilleur des
techniques et des savoir-faire à
leur disposition pour imaginer
une garde-robe aux mesures – ou
à la démesure – d’une femme
idéale. Et, à chacun son hyperbole
créative. La femme imaginée par
Karl Lagerfeld chez Chanel vit
dans un décor zen : une grande
maison de bois au volume cubique posée sur une pelouse ponctuée de lattes brutes.
Elle a beaucoup d’allure, avec
son chignon roulé sur la nuque,
on dirait une sculpture de Picasso
avec la grâce détachée et le regard
intense de Dora Maar, artiste et
muse de l’homme de Malaga. On
sent qu’elle n’aime pas se faire remarquer, du moins pas parce
qu’elle brille trop ou qu’elle est
trop découverte. Il y a chez elle un
besoin de simplicité, d’intemporel, qu’elle assouvit dans une collection très nature, une interprétation libre d’un esprit écolo-chic
à la Karl Lagerfeld, c’est-à-dire très
détaché du premier degré.
En escarpins de soie à semelles
de liège sinueuses, elle promène
dans son jardin sa silhouette épurée habillée de toutes les nuances
de beige. En chemise ou veste
courte à épaules arrondies, en jupe
droite qui tombe à quelques centimètres de la cheville, elle n’a pour
accessoire qu’un porte-iPhone attaché à la ceinture et quelques bijoux insectes piqués çà et là.
Les effets de texture sont faussement bruts : broderies mates imitant le tweed, mosaïques de perles
de bois, de plumes, de ruban papier, paillettes effets pixels vernis
ou marqueteries de bois donnent
à sa silhouette un air de Klimt primitif et futuriste à la fois. Pour le
soir, elle préfère les cristaux argentés qui soulignent les volumes
sculptés, le satin perle souligné
d’or éteint, même si elle n’est jamais aussi spectaculaire qu’en
simple tailleur ou en pyjama du
soir à ourlet asymétrique. Sa silhouette ne peut être datée, elle est
donc indémodable et c’est bien ce
que recherche son auteur : préserver cette femme de l’éphémère. Et
assurer le grand succès de la couture Chanel auprès des clientes.
L’histoire ne fait que commencer chez Aouadi, une toute jeune
maison, membre invité du calendrier de haute couture. Son créateur, Yacine Aouadi, signe seulement sa deuxième collection,
baptisée « Saison des amours aux
rayons X ». Ce jeune designer
doué a déjà trouvé « sa » femme :
une créature diaphane et romantique aux tentations gothiques
plus ou moins prononcées. Sa
garde-robe se résume à treize silhouettes saisissantes. Elle semble
presque flotter dans la semi-pénombre du Petit Palais.
En robe d’organza chair suturée
de boutons ronds, ou parée de
broderies de tulle soufflées repiquées de perles. Ses manteaux rebrodés d’exosquelettes en corail
ou marquetés de plumes tachis-
Giorgio Armani Privé.
tes lui offrent une coquille protectrice. On ne sait pas si elle vient du
fond des mers, d’un cliché sépia
des années 1920, d’un conte gothique qui pourrait mal tourner.
Mais, attention, tout n’est pas fragile et romantique chez elle : les
shorts de surfeuse en dentelle et
les dos « nageur » de ses robes trahissent une dimension plus athlétique et moderne de sa personnalité en devenir.
Chez Bouchra Jarrar, on retrouve une femme épanouie. La
créatrice a décidé de mettre entre
parenthèses son prêt-à-porter
pour se concentrer sur l’exercice
de la couture. On a rencontré chez
elle, il y a cinq ans, une femme élégante et un peu dure en perfecto
laqué et pantalon tailleur impeccable, on découvre cette saison
toute la richesse de sa personnalité. Comme si cette femme osait
exprimer différemment sa féminité, sans renoncer à son fort tempérament.
En long pantalon d’officier galonné vieil or et gansé de satin
noir, en blouse et robe de dentelle
crème que réchauffe un blouson
zippé en velours nuit, brocart vermeil et fourrure miel, en robe de
velours de soie frappée perle, rete-
Bouchra Jarrar.
CHEZ AOUADI,
LE JEUNE CRÉATEUR
A DÉJÀ TROUVÉ
« SA » FEMME :
UNE CRÉATURE
DIAPHANE
ET ROMANTIQUE
AUX TENTATIONS
GOTHIQUES
nue au creux des reins par une
bride de cuir, en manteau d’officier sobre, en robe smoking ou en
longue veste sans manches où
frémissent des vagues de plumes,
elle est à la fois sensuelle et forte.
Apaisée, elle a les pieds sur terre
mais s’autorise à rêver et séduire,
avec délicatesse. Le début d’une
nouvelle vie pour cette femme
très française.
La femme Giorgio Armani
Privé, en revanche, vient
d’ailleurs. Elle n’est ni parisienne
ni milanaise, c’est une cliente internationale, toujours rassurée
par l’évidente féminité d’une couture formatée pour ses besoins.
Dans son monde privilégié et codifié, les occasions de s’habiller
pour briller en société sont encore
nombreuses. Pour y répondre,
Giorgio Armani imagine une collection à dominante mauve. Des
blousons sport bordés de cristaux
et portés avec des shorts en organza aux robes bustiers soulignées de perles baguettes jais, en
passant par les pantalons volantés, les plissés soufflés comme un
Murano, les superpositions de volants, les granités graphiques :
toutes les formules de mauve sont
à la disposition de cette femme incarnée sur le podium par des
mannequins portant toutes la
même perruque crantée corbeau.
Elle se rêve peut-être en sirène de
l’espace ; mais ce qui compte pour
elle c’est le prestige de la signature
Armani et de tenir son rang dans
son cercle élitiste où l’habit signé
fait la femme couture.
Chez Alexandre Vauthier il faut
se faire remarquer, faire crépiter
les flashs. La femme idéale du
Français est une star, une vraie :
Rihanna est cliente. Elle assume
tous les attributs de la glamazone
nostalgique des années Mugler
(Vauthier a travaillé avec le maître) : microrobe perfecto en cuir
verni, grandes robes chemises en
mousseline plissée portées avec
des cuissardes lacées à l’arrière de
la jambe, dentelle à motif panthère et pantalon de cuir à maxipoches zippées. Mais cette fille
sexy et conquérante commence à
apprécier les beaux manteaux
très bien coupés, les vestes aux
épaules parfaites, et les blousons
qui se portent façon minirobe. En
poursuivant dans cette voie plus
sobre, elle peut gagner en maturité sans perdre son sex-appeal.
Evoluer, mûrir est indispensable
pour le designer comme pour sa
créature. Cette vie adulte à deux
est la promesse d’une histoire
d’amour qui dure. p
carine bizet
0123 | 23
0123
JEUDI 28 JANVIER 2016
EUROPE | CHRONIQUE
par ar naud l e par m e nt ie r
L’amicale
du plan B
M
ea culpa. Nous
avons manqué le
dernier colloque de
Jean-Luc
Mélenchon. Nous avions assisté il y a un
an au meeting du gymnase Japy. A
l’époque, le tribun du Parti de gauche et ses amis de la gauche radicale européenne triomphaient.
Avec Syriza, on allait voir ce qu’on
allait voir en Grèce. « C’était ce moment sublime où nous avons cru
que l’histoire de l’Europe et du
monde allait être renversée, une
nouvelle fois, par le peuple qui a inventé la démocratie… L’histoire a
tourné autrement », a déploré
Jean-Luc Mélenchon dimanche
24 janvier. On a vu effectivement.
Après le référendum-trahison de
juillet, le premier ministre grec,
Alexis Tsipras, est rentré dans le
rang en acceptant les exigences
européennes.
Le plan A est mort
Mélenchon, lui, est resté fidèle à
lui-même. Et organisait ce weekend « le premier sommet pour un
plan B en Europe ». Vous vous souvenez, ce fameux plan B inventé
par Laurent Fabius lors du référendum de 2005 sur la Constitution
européenne. Un plan B qui n’existait pas. Ou plutôt si : il s’appelait
traité de Lisbonne. Tous les nonistes de l’époque furent trahis. Avec
humour, Jean-Luc Mélenchon a
remis le couvert ce week-end.
« J’aurais eu plaisir à voir des ouiouistes », a regretté l’eurodéputé
dans son discours de clôture. Nous
n’y étions pas. Heureusement,
Mélenchon, c’est la révolution
rouge portée par le génie numérique américain. Google, Twitter,
Facebook, YouTube, Instagram,
tous ces outils capitalistes nous
ont permis de revivre sur son blog
cette journée mémorable.
Nous souhaitons adhérer à
l’amicale du plan B. D’abord, parce
qu’il n’y a plus de plan A et parce
que Mélenchon a promis qu’il y
avait plusieurs plans B.
Le plan A est mort. Naguère, le
temps jouait en faveur de l’Europe. Aujourd’hui, le statu quo est
destructeur. On le constate chaque jour avec la crise de l’euro, des
migrants, du terrorisme et la
montée des populismes. L’Europe
ne peut pas rester au milieu du
gué. Elle est prise dans un irrésistible processus de faiblesse et de
lâcheté, incapable de choisir, de
dire oui ou non à l’euro, oui ou
non à Schengen, oui ou non à la
Turquie, et de s’en donner les
moyens. « Ça ne marche pas, parce
qu’on ne fait rien pour que ça marche », résume l’intellectuel centriste Jean-Louis Bourlanges. Il
faut que l’Europe choisisse, qu’elle
avance ou qu’elle recule. Cela fait
plusieurs plans B.
Le recul, c’est le programme de
Le Pen et Cie. Sortons de l’euro, rétablissons les frontières, réinventons le protectionnisme, vive l’entre-soi : l’Europe des nations xénophobes, ce n’est pas l’Europe. C’est
tellement absurde que le FN est en
train de mettre de l’eau dans son
vin sur le sujet pour amadouer des
électeurs supplémentaires.
Le premier plan B à proscrire, hélas !, c’est le grand saut fédéral,
prôné par l’ancien premier ministre belge Guy Verhofstadt. Peu importe qu’il ait raison ou tort, son
discours est inaudible. Les peuples
européens n’en veulent pas, car ils
ont pris l’Europe en grippe.
NOTRE NOUVEAU
HÉROS EST
UN EUROPÉEN
QUI S’IGNORE,
HUBERT VÉDRINE
L’EUROPE EST
PRISE DANS
UN IRRÉSISTIBLE
PROCESSUS
DE FAIBLESSE
ET DE LÂCHETÉ
L’autre plan B, encore plus dangereux, c’est le saut révolutionnaire. Tout n’est pas faux dans ce
que dit l’extrême gauche. Mélenchon accuse la Banque centrale
européenne de faire marcher la
planche à billets, mais la très
rigoureuse Bundesbank dit la
même chose. Il fustige le traité
transatlantique. Comme presque
tout le monde. On connaît les contraintes juridiques européennes,
mais il est incompréhensible que
la pétition citoyenne contre cette
négociation signée par 3,4 millions d’Européens ait été jugée
non recevable par la Commission.
Et il dénonce une Europe qui a mis
tout le monde en concurrence
contre tout le monde, créant « une
onde de choc qui disloque les Etatsnations et les sociétés ».
Là réside l’irréconciliable divergence. L’extrême gauche croit que
la mondialisation est une option,
alors qu’elle est une réalité à laquelle il faut s’adapter du mieux
possible. Et elle pense qu’on peut
jouer sans danger avec l’argent au
nom de « la volonté du peuple »,
sans semer la misère. On a
d’ailleurs pris peur lorsque Mélenchon a cité Robespierre. Mais nous
voilà rassurés : il entend prendre le
pouvoir par les urnes. En Allemagne, via un renversement
d’alliance du Parti social-démocrate qui s’allierait aux Verts et à
Die Linke, le parti d’Oskar Lafontaine. Voilà qui donne un répit jusqu’en 2017, le temps de chercher
notre plan B.
Une Europe épurée
En lisant l’excellente série « Réinventer l’Europe », publiée par
L’Opinion entre Noël et le jour de
l’An, nous avons trouvé notre planche de salut. Pas celle de Michel
Rocard, qui accuse les autres de
nos propres turpitudes. L’ancien
premier ministre de Mitterrand
prétend que « l’Europe ne pourra
être relancée sans que les Anglais
en sortent ». On en doute, et on
sera fixé après le référendum
convoqué par David Cameron.
Non, notre nouveau héros est
un Européen qui s’ignore, Hubert
Védrine. L’ancien ministre des
affaires étrangères commence
par fustiger les « européistes »,
alors qu’ils ont perdu la bataille et
le pouvoir depuis vingt ans. C’est
pour mieux renouer le dialogue
avec les populations. Védrine appelle à « libérer le projet européen
du dogme européiste » : abandon
du langage sermonneur ; pause
dans l’élargissement ; concentration de l’Europe sur la recherche,
l’innovation. Puis vient le discret
sursaut. « Il faut cesser de réclamer
“plus d’Europe” en général. A deux
exceptions près : l’harmonisation
budgétaire et fiscale dans la zone
euro doit être poursuivie, ce qui
imposera de vraies réformes à la
France. Et il faut de vraies frontières extérieures à Schengen. » Il y
ajoute l’idée d’une Europe transformée en « puissance pacifique
– pas pacifiste –, pacificatrice et
respectée ».
Si l’Europe épurée du XXIe siècle,
c’est l’euro, Schengen et une puissance mondiale, on signe des deux
mains pour ce plan B. Peu importe
si on ne le claironne pas. p
BIENVENUE
EN EUROPE,
M. ROHANI !
L
a France entend développer ses relations économiques avec la République islamique d’Iran. Elle accueille
pour deux jours, mercredi 27 et jeudi
28 janvier, le président Hassan Rohani : les
deux parties veulent conclure une série
d’accords importants. Paris a raison. L’Iran
est un pays d’avenir au Moyen-Orient, l’un
des plus prometteurs, une puissance régionale avec laquelle il faut compter. Mais la
France ne doit pas se tromper sur la nature
du régime iranien : théocratie complexe,
ambiguë, pas unanimement décidée à
s’ouvrir à l’Ouest.
Les Français ne peuvent l’ignorer. Depuis
l’avènement de la République islamique,
en 1979, les relations bilatérales ont traversé bien des tempêtes. Les deux pays se
sont le plus souvent retrouvés dans des
camps opposés – qu’il s’agisse du Liban ou
de la guerre Iran-Irak, voire du conflit
actuel en Syrie. Dans les guerres politico-religieuses qui ravagent aujourd’hui le
Moyen-Orient, Paris donne l’impression
d’être trop proche du « camp sunnite »
– derrière l’Arabie saoudite –, qui estime
que l’Iran chiite est son ennemi acharné.
L’accord sur le contrôle du programme
nucléaire iranien, conclu le 14 juillet 2015 à
Vienne, a ouvert la voie à une levée partielle
de l’embargo qui pesait sur Téhéran – soupçonné de se diriger à grands pas vers l’arme
nucléaire. La porte est ouverte pour que les
Européens développent des relations économiques à la hauteur des légitimes ambitions de l’Iran. Il faut saisir l’occasion.
Pays de 80 millions d’habitants, majoritairement jeunes, majoritairement nés
après la révolution, l’Iran dispose d’une société civile urbaine éduquée, comptant
nombre d’ingénieurs, d’architectes, de
scientifiques, de cinéastes, de médecins,
hommes et femmes qui en font un pays
sans égal dans la région. Autant que la
matière fissile, qu’il a pu accumuler, plus
que les hydrocarbures, c’est sa matière grise
qui fait la force de l’Iran. Paris doit « compenser » son « tropisme » sunnite en reprenant la route de la Perse.
Mais M. Rohani ne représente pas toute la
direction iranienne. Loin de là. Homme du
système, intelligent, il est le parrain de l’accord sur le nucléaire et l’espoir d’un camp
dit « réformateur ». Sur le nucléaire, il a été
soutenu par le vrai patron du régime, le
Guide Ali Khamenei. Celui-ci voulait la levée des sanctions pour soulager l’économie. Pour autant, le Guide, chef de file de la
branche « dure » du leadership iranien, ne
veut pas que l’ouverture économique se
transforme en ouverture politique. Il entend préserver la part de l’ADN du régime
qui reste de nature révolutionnaire.
Le régime réprime toute dissidence. La
justice, parfaitement arbitraire, est aux
mains des « durs » : on exécute plus en Iran
qu’en Arabie saoudite. L’Iran est le premier
soutien du syrien Bachar Al-Assad. La
milice chiite libanaise Hezbollah est totalement aux ordres de Téhéran, qui l’a dotée
de milliers de missiles braqués sur Israël.
Par milices chiites interposées là encore,
l’Iran pèse sur le pouvoir irakien.
Sortir l’Iran de son statut de paria de la
scène internationale est un objectif diplomatique prometteur, surtout si les Européens arrivent à faciliter un dialogue entre Téhéran et Riyad. Mais il faut s’y employer sans illusion : il dépend moins de
ce que souhaitent les Européens que de
l’issue de la bataille en cours à Téhéran
entre « durs » et « réformateurs ». Vers
l’Iran, il ne faut pas aller avec des idées
simples. p
présentent
SAMEDI
6 FÉVRIER 2016
10 h - 18 h
Programme des conférences
10h30
Master, MS, MSc… Vrais amis ou faux frères ?
Animée par Emmanuel Davidenkof
Inscrivez-vous
11h30
Intégrer un Master ou un MS via les admissions parallèles
Animée par Emmanuel Davidenkof
12h30
Masters en lettres, langues et sciences humaines : quels débouchés ?
Animée par Emmanuel Davidenkof
13h30
MS en grande école : comment mettre toutes les chances de son côté
Animée par Adrien de Tricornot
14h30
De M1 à M2 : sélection mode d’emploi
Animée par Adrien de Tricornot
15h30
Un master à l’étranger : quelle valeur ajoutée ?
Animée par Martine Jacot
16h30
Master, MS, MSc, les nouveautés/tendances à ne pas manquer en 2016
Animée par Martine Jacot
Avec le soutien de
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Tirage du Monde daté mercredi 27 janvier : 250 751 exemplaires
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Apple, des records et des doutes
▶ La marque à la pomme, qui a écoulé 74,8 millions d’iPhone au dernier trimestre, table sur une baisse de ses revenus
J
amais Apple n’a autant vendu
d’iPhone qu’au quatrième trimestre
de l’année passée. Avec 74,77 millions
de smartphones écoulés dans le
monde entre octobre et novembre 2015,
la marque à la pomme dépasse ainsi son
précédent record (74,47) établi un an
auparavant. Le bénéfice net du groupe
américain franchit lui aussi un nouveau
cap, à 18,4 milliards de dollars sur le tri-
mestre, en hausse de 2 %. Il s’agit du plus
gros bénéfice net jamais enregistré par
une entreprise dans le monde. Un record
qu’Apple détenait déjà…
Ces chiffres mirifiques n’en cachent pas
moins une situation contrastée pour le
groupe. Les ventes d’iPhone affichent au
dernier trimestre 2015 leur plus faible
croissance depuis le lancement du
smartphone tactile en 2007.
Et elles ne sont pas les seules à avoir pris
à contre-pied les analystes. Le chiffre d’affaires global, qui progresse de seulement
1,7 %, à 75,9 milliards de dollars (69,89 milliards d’euros), est également en deçà des
estimations.
Pour le trimestre en cours, Apple anticipe un chiffre d’affaires situé entre 50 et
53 milliards de dollars. Si l’on prend le milieu de cette fourchette, cela représente-
rait une baisse des revenus de 11 %. Il faut
remonter quinze ans en arrière pour retrouver une telle contre-performance.
Lors de la conférence sur les résultats, le
PDG, Tim Cook, a donc insisté sur la montée en puissance des services, comme Apple Music ou son catalogue d’applications.
Une activité qui a progressé de 23 % en un
an, à 31 milliards de dollars. p
Airbnb contre les hôteliers : la bataille de Paris
▶ La plate-forme
en ligne connaît
un succès
spectaculaire
▶ Les hébergeurs
traditionnels
organisent
la riposte
→ LIR E PAGE 3
→ LIR E PAGE 8
Taxis : Valls
nomme un
médiateur, la
grève continue
M
algré la nomination
d’un médiateur, la mobilisation des taxis
contre les pratiques des chauffeurs de véhicule de tourisme
(VTC) s’est poursuivie mercredi
27 janvier à Paris. Dans la matinée,
des véhicules entravaient la circulation porte Maillot, dans le 16e arrondissement, rue de Bercy, près
du ministère des finances, et aux
abords des aérogares d’Orly et de
Roissy-Charles-de-Gaulle. Au lendemain d’une journée émaillée de
violences jugées « inadmissibles »
par Manuel Valls, la préfecture
avait appelé les manifestants à
rentrer chez eux. En vain. Les plus
déterminés des 2 000 taxis mobilisés en Ile-de-France sont restés.
« La journée est reconductible »,
avait prévenu, mardi, Karim Asnoun, secrétaire général de la
CGT-Taxis. Une détermination qui
s’est nourrie du veto du premier
ministre. Matignon n’a, en effet,
pas voulu ouvrir ses portes à ceux
qui exigent l’abrogation du statut
de VTC, regrette M. Asnoun.
Lors d’un entretien en présence
du ministre de l’intérieur, Bernard
Cazeneuve, du secrétaire d’Etat
chargé des transports, Alain Vidalies, et de la secrétaire d’Etat chargée du commerce, Martine Pinville, M. Valls a en revanche donné
des gages à la seconde organisation intersyndicale des taxis.
juliette garnier
→ LIR E L A S U IT E PAGE 3
3
MOIS
C’EST LE DÉLAI DONT DISPOSE
LE MÉDIATEUR POUR MENER À BIEN
SA CONCERTATION
Dans les bureaux d’Airbnb,
à Paris. JOHN VAN HASSELT/CORBIS
TRANSPORT AÉRIEN
SITUATION BLOQUÉE
CHEZ AIR FRANCE
→ LIR E
PAGE 5
BANDE DESSINÉE
LES AUTEURS
ONT DU MAL À VIVRE
DE LEURS BULLES
→ LIR E
PAGE 6
J CAC 40 | 4 348 PTS – 0,21 %
j DOW JONES | 16 167 PTS + 1,78 %
j EURO-DOLLAR | 1,0863
J PÉTROLE | 31,04 $ LE BARIL
J TAUX FRANÇAIS À 10 ANS | 0,73 %
VALEURS AU 27/01 - 9 H 30
PERTES & PROFITS | STMICROELECTRONICS
Destins croisés
E
motion sur les bords de l’Isère. Le fabricant franco-italien de puces électroniques STMicroelectronics, très installé à
Grenoble, a confirmé la mauvaise nouvelle que tout le monde attendait. Le groupe va
sortir du métier des semi-conducteurs pour décodeurs et en conséquence supprimer
1 400 emplois dans le monde dont 430 en
France. Un caillou de plus dans la chaussure du
champion hexagonal au moment où la course
s’accélère sur un terrain de plus en plus difficile. Et aussi pour son patron dont les syndicats,
appuyés par une analyse du cabinet Secafi Alpha, demandent ouvertement le départ.
La société a annoncé, mercredi 27 janvier, un
chiffre d’affaires annuel en baisse de 7 % et un
bénéfice net en chute de 20 % par rapport à l’année précédente. Sur le dernier trimestre 2015, la
baisse des ventes atteint 8,8 %. Le groupe a souffert d’un effet de change négatif, notamment
avec la hausse du dollar qui affecte tous les producteurs, mais cela n’explique pas tout.
Piètre performance
Cette piètre performance contraste avec la
grande forme de son dernier concurrent européen, Infineon, l’ex-filiale de Siemens qui s’est
recentrée plus tôt sur les composants pour l’industrie et l’automobile, et anticipe une croissance de 13 % pour son exercice 2015-2013. Un
résultat remarquable dans un environnement
qui ne l’est pas vraiment. Sur l’ensemble de
l’année 2015, les analystes du cabinet Gartner
ont calculé que le marché a reculé de 1,9 %, la
Cahier du « Monde » No 22094 daté Jeudi 28 janvier 2016 - Ne peut être vendu séparément
première baisse depuis 2012. 2016 ne devrait
pas connaître de rebond spectaculaire.
Comme le montrent les résultats d’Apple, le
dernier marché en forte croissance, celui des
smartphones, approche de la saturation.
D’autant que l’autre secteur phare, celui des PC,
est lui en déclin, ce qui n’arrange pas les affaires
du leader des puces, Intel. Restent l’automobile
et les objets connectés sur lesquels tout le
monde des composants se précipite.
Et comme un malheur n’arrive jamais seul,
une nouvelle et redoutable concurrence
émerge, la Chine. Dans son dernier plan quinquennal, le pays ambitionne d’atteindre
100 milliards de dollars de revenu annuel
(92 milliards d’euros) dans les semi-conducteurs d’ici à 2020, contre 17 milliards réalisés
en 2015, selon les analystes d’Exane. Un effort
considérable, caractéristique de la volonté de
l’empire du Milieu de faire monter en gamme
son industrie, comme son petit voisin taïwanais l’a fait avant lui. Parmi ses priorités, les
composants pour les smartphones sur lesquels se battent tous ses concurrents.
Au classement mondial des producteurs figurent parmi les dix premiers cinq américains,
deux coréens, un japonais. Les deux européens
ferment le peloton. La question est : n’y en a-t-il
pas un de trop ? D’autant que le franco-italien et
l’allemand évoluent sur des domaines proches
et qu’ils sont de même taille. Seule différence,
Infineon vaut en Bourse deux fois plus que son
rival. De quoi trembler en Isère. p
philippe escande
220 PAGES
12 €
ANALYSEZ 2015 // DÉCHIFFREZ 2016
2 | plein cadre
0123
JEUDI 28 JANVIER 2016
Bicentenaire, le célèbre atelier
vosgien est à la recherche
de 1 million d’euros auprès
de nouveaux investisseurs.
Cette somme servirait à accélérer
la relance et à ouvrir des boutiques
à travers le monde
V
épinal - envoyé spécial
ous désirez une œuvre d’art ?
Pour le même prix, vous
pouvez devenir actionnaire
d’un atelier illustre qui en
produit en série ! Seule rescapée des fabriques d’images
populaires qui foisonnaient en Europe au
XIXe siècle, l’Imagerie d’Epinal est en passe
d’ouvrir son capital. Pacôme Vexlard et
Christine Lorimy, les deux entrepreneurs qui
ont repris l’entreprise vosgienne en 2014,
veulent lever rapidement près de 1 million
d’euros. « Nous cherchons des partenaires
bienveillants qui pourraient nous aider à
avancer », indique Mme Lorimy.
Le duo a sollicité divers investisseurs et se
dit prêt à céder 15 % du capital aux nouveaux
venus. Cela valoriserait la société à 6,5 millions d’euros. Pas mal, pour une maison qui
affiche un chiffre d’affaires de l’ordre de
750 000 euros, et qui, en pleine phase d’investissement,
a
perdu
environ
100 000 euros par an ces deux dernières années. L’opération risque de faire grincer des
dents ceux qui, sur place, voient en ces deux
Parisiens des affairistes un peu trop pressés.
Le million attendu doit permettre de rembourser l’argent apporté initialement par la
société d’économie mixte locale, qui sortira
du capital, et surtout d’accélérer la relance.
En un an et demi, les deux repreneurs ont
déjà beaucoup fait. « Ils sont innovants, compétents, et je suis assez emballé par la dynamique qu’ils apportent », applaudit Michel
Heinrich, maire (Les Républicains) d’Epinal
et député des Vosges. Mais ils gardent beaucoup de projets en tête. A commencer par
l’ouverture de boutiques à Paris, Londres,
Bruxelles ou encore Tokyo… « Au moins cinq
ou six, voire dix », affirment-ils en chœur. Le
magasin éphémère installé avant Noël dans
le Marais, à Paris, a montré que les touristes
étaient prêts à payer pour de belles affiches,
des lithographies numérotées, des sacs imprimés ou encore des jeux de cartes à la marque de l’Imagerie. Pas question de laisser retomber cet engouement.
« TOUTE LA SCÉNOGRAPHIE SERA REVUE »
Pour Mme Lorimy et M. Vexlard, l’aventure
commence un jour du printemps 2014. Les
deux amis ont derrière eux tout un lot d’expériences diverses. Lui, un handballeur qui a
grandi à 15 km d’Epinal, a créé des sites Web,
édité des livres de cuisine, et il est devenu
l’agent de CharlElie Couture, dont il organise
les enregistrements et les expositions. Elle,
une sorte de Charlotte de Turckheim tombée
dans le business, a vendu des boulettes Fido
et des protège-string, a orchestré la rénovation des bureaux de poste, écrit des sketches,
travaillé chez Vente-privée.com, avant de se
mettre à son compte comme consultante.
« Je suis dans les trucs de combat, la transformation des entreprises, résume-t-elle. Quand
ça ronronne, je m’ennuie. »
Ce jour-là, le sportif et la battante sont appelés à Epinal par les dirigeants de l’Imagerie
en tant que consultants. En activité depuis
1796, l’ancienne Imagerie Pellerin est devenue célébrissime, au point que l’expression
« image d’Epinal » pour parler d’un stéréotype naïf est passée dans le langage commun. Mais au XXIe siècle, à quoi rime-t-il
d’imprimer des lithographies et de les colorer au pochoir comme deux cents ans plus
tôt, lorsque la photographie n’existait pas ?
Quand les héritiers des fondateurs ont déposé le bilan, en 1984, l’affaire a été reprise
par des entrepreneurs locaux emmenés par
Eric Staub. Ils lui ont permis de survivre. Depuis, cependant, l’Imagerie s’est engourdie,
juge le duo. Elle est devenue avant tout un
écomusée qui diffuse de vieilles images et
produit en offset des chromos parfois kitsch
représentant Mère Teresa, Philippe Séguin,
etc. Une quinzaine de salariés s’active dans
un lieu qui en a compté des centaines. Les
machines antiques ne servent plus guère.
Le premier contact est un peu rugueux.
Pour récupérer un peu d’argent, les dirigeants
s’apprêtent à confier la marque en licence, expliquent-ils. Le contrat est sur le point d’être
signé. « Ne faites surtout pas cela, ce serait l’erreur de votre vie ! », répliquent les deux consultants, persuadés que la marque « Imagerie
d’Epinal » est le premier actif de l’entreprise.
Editée par l’Imagerie
d’Epinal, « Napoléon
Thug Life », œuvre
de l’artiste
franco-colombien
Chanoir, inspirée
de la gravure
« Napoléon sur l’île
de Sainte-Hélène »
de François Georgin.
IMAGERIE D’ÉPINAL
L’Imagerie d’Epinal en quête
de nouvelles couleurs
Une semaine plus tard, nouveau rendezvous. M. Staub a renoncé à l’accord de licence. Il prévoit à présent de céder l’entreprise. Il a même déjà trouvé les acheteurs.
« De qui s’agit-il ? », demandent Mme Lorimy
et M. Vexlard, curieux. « Ils sont dans cette
pièce », répond le patron de l’Imagerie : « C’est
vous ! »
Dans le train du retour, les deux intéressés
établissent la liste des 80 raisons pour lesquelles reprendre une telle maison relève de
la folie. Et ils décident de se lancer.
Ils voulaient éviter un « truc qui ronronne » ? Gagné. Convaincre les banquiers
n’est pas facile. Seuls la Caisse d’épargne et le
CIC avancent des fonds. Quant au soutien de
l’agglomération, qui prend provisoirement
la majorité du capital, il suscite la polémique. Les nouveaux propriétaires sont aussi
amenés à remanier l’équipe. Leurs relations
avec l’ancien PDG se tendent. Critiqué pour
avoir laissé dépérir l’entreprise, M. Staub
contre-attaque : « C’était moins dynamique
qu’avant, peut-être, mais les résultats étaient
encore bons, avec un bénéfice représentant
10 % du chiffre d’affaires. Si nous avions été si
mauvais, l’Imagerie n’existerait plus depuis
longtemps. »
Visiter l’Imagerie, à deux pas de la Moselle,
donne la mesure du chantier. Au rez-dechaussée, dans l’atelier historique, quelques
ouvriers s’affairent autour d’une pierre à graver de Joann Sfar. Car les deux repreneurs
veulent relancer la création. Des artistes
comme Joann Sfar, Jacques de Loustal ou
Serge Bloch ont réalisé des dessins modernes, en reprenant les codes des compositions d’antan, ou souvent en les détournant.
UNE BOUTIQUE
ÉPHÉMÈRE INSTALLÉE
À PARIS A MONTRÉ
QUE LES TOURISTES
ÉTAIENT PRÊTS
À PAYER POUR
LES AFFICHES
DE LA MARQUE
Témoin, cette illustration de Chanoir représentant Napoléon en lunettes noires, entouré de chats multicolores.
Plus loin, une salle héberge de vieilles presses, des casses, une machine à colorier. L’ensemble se visite, moyennant 5 euros par personne. « D’ici à juin, toute la scénographie sera
revue, précise Mme Lorimy. Chacun disposera
d’une tablette électronique et pourra obtenir
des explications, zoomer sur tel ou tel détail,
etc. » Objectif : faire revenir les visiteurs dans
ce petit musée… et dans la boutique attenante.
UNE AUTRE DIMENSION
A l’étage, toutes les archives. Des milliers et
des milliers de planches, imprimées parfois
il y a cent ou cent cinquante ans, prennent
doucement la poussière. Des images pieuses
représentant saint Brice, saint Donat, « la
Très-Sainte Face de Notre Sauveur ». Napoléon sous toutes ses coutures : c’est lui qui a
fait la fortune de l’Imagerie. On trouve aussi
beaucoup de pages destinées aux enfants,
bons points, abécédaires, Bécassine et Arlequin, leçons de choses sur « la première girafe
amenée vivante en Europe en 1827 » ou les
« sauvages de l’Amérique ».
Mme Lorimy s’enfonce entre deux rayonnages. « Fureter ici, c’est effectuer un carottage
dans l’histoire de France », s’amuse-t-elle.
Tous les prélèvements ne sont pas à la gloire
de la maison, qui a défendu une vision du
monde cocardière, catholique, colonisatrice,
parfois raciste. Une des planches conte par
exemple l’histoire d’« un affreux vagabond
nègre » qui vole le pain de deux petits enfants
de colons installés au Congo. Dans d’autres,
l’Imagerie s’est risquée à de la publicité à
peine déguisée pour les machines à coudre
Singer ou les poêles Choubersky.
Les repreneurs entendent bien exploiter
une partie de ce fonds. Joliment encadrées,
les vieilles images peuvent se vendre. Certaines sont signées de grands noms, Caran
d’Ache ou Benjamin Rabier. D’autres font
l’objet de retirages. Un accord a été signé avec
les éditions du Chêne pour publier sept albums sur l’histoire vue d’Epinal. Le premier,
consacré à Verdun et la Grande Guerre, doit
sortir en février. A l’époque, l’Imagerie ne faisait pas dans la nuance pour dépeindre les
ennemis, ces « Von Kolossaligau » « gonflés
d’orgueil et de cochonnade ».
Le sous-sol se révèle plus étonnant encore.
Dans la pénombre gisent 7 000 pierres sur
lesquelles les artistes ont dessiné. Celles du
XIXe siècle ont été classées monuments historiques. « On vous laisse les cailloux », avaient
dit les anciens propriétaires. « Pour nous, c’est
un trésor », confient les nouveaux, qui rêvent
d’en exposer dans des musées. Ils ont même
mis en vente quelques pierres. Cette « dilapidation du patrimoine » a provoqué la colère
de certains, comme Alexandre Renahy, l’animateur d’un blog d’information local.
Mme Lorimy et M. Vexlard, eux, ont déjà la
suite en tête. Si la relance se poursuit selon
leurs plans, ils s’imaginent passer la main
dans quelques années à un groupe ou un
fonds d’investissement qui pourrait donner
une autre dimension à cette maison bicentenaire. Et si le duo échoue, il aura « possédé
pendant des mois ce bonheur qu’on nomme
l’Espérance », selon la morale d’une planche
de 1881, « La Fortune pour tous ». p
denis cosnard
économie & entreprise | 3
0123
JEUDI 28 JANVIER 2016
Entre Airbnb et les hôteliers, la guerre est déclarée
A Paris, les hébergeurs traditionnels mettent des bâtons dans les roues des plates-formes de réservation
C’
est la querelle des Anciens et des Modernes, version hôtellerie. Depuis la mi2015, les escarmouches se multiplient entre les sites de réservation
d’appartements, tels Airbnb ou
Abritel, et les groupes hôteliers alliés aux agences immobilières,
souvent soutenus par les élus. Paris, première destination touristique mondiale, est le terrain privilégié de cet affrontement.
Dernier épisode de cette rivalité,
l’adoption surprise, au bénéfice
des hôteliers, par l’Assemblée nationale, jeudi 21 janvier, d’un
amendement au projet de loi
« Pour une République numérique » – lui-même adopté par les
députés en première lecture,
mardi 26. Il est possible que cet
amendement n’aille pas jusqu’au
bout de son parcours législatif. Il
n’en reste pas moins une victoire
des hôteliers.
Amendement « à contre-courant »
Présenté par une vingtaine de députés avec, à leur tête, Sandrine
Mazetier (Parti socialiste, Paris), il
frappe au cœur l’activité des plates-formes de réservation en ligne.
Avant toute diffusion, il leur impose de vérifier que les offres de logements émanent bien de propriétaires ou, à défaut, de locataires qui ont l’autorisation écrite de
leur bailleur. L’amendement prévoit par ailleurs de lourdes sanctions pour les contrevenants : jusqu’à 25 000 euros d’amende pour
les « hôtes », comme les appelle
Airbnb, et 80 000 euros pour les sites de réservation.
« Cet amendement, adopté nuitamment par une poignée de députés, contre l’avis du gouvernement
et du rapporteur de la loi sur le numérique, est contraire au droit
européen et à une jurisprudence
constante qui exonère les sites Internet de responsabilité sur le contenu des annonces qu’ils publient »,
soutient Vincent Wermus, directeur général France d’HomeAway,
maison mère d’Abritel et Homelidays, et président de l’Union nationale pour la promotion de la
location de vacances (UNPLV). Ce
syndicat réunit une soixantaine
de centrales de réservations, dont
Clévacances, Interhom et, bien
sûr, Airbnb.
Nicolas Ferrary, directeur général France d’Airbnb, ne décolère
pas contre cette nouvelle marque
du lobbying des syndicats hôteliers. Cet amendement va « à contre-courant de toutes les discussions que nous avons avec le gouvernement », affirme-t-il, ajoutant
qu’il ne désespère pas d’obtenir
L’offre d’Airbnb
à Paris est
estimée à 88 700
chambres,
contre 75 000
pour les hôtels
de touristes », déplore Laurent Duc,
président de l’Union des métiers
et des industries de l’hôtellerie
(UMIH). En dix ans, le nombre annuel de touristes en France est
passé de 75 millions à 85 millions.
Mais cet afflux supplémentaire
échapperait au secteur hôtelier
traditionnel. A Paris, le taux d’occupation des hôtels pique du nez.
Il est passé « de 83 % à moins de
80 % », se désole M. Duc. Au premier semestre de 2015, expliquet-il, « l’hôtellerie parisienne a perdu
4,8 % de part de marché ».
Les catacombes de Paris ont été louées au groupe américain pour la nuit d’Halloween 2015 par la Mairie. FRANÇOIS MORI/AP
Comme les
hôteliers, les élus
de la capitale
de tous bords
sont vent debout
contre le boom
des meublés
touristiques
son retrait : « Ce n’est que la première étape du processus législatif.
Nous avons bon espoir de faire entendre notre voix. »
Avec cet amendement, les hôteliers ont remporté une bataille,
mais sont loin d’avoir gagné la
guerre. Arrivé en France en 2011,
Airbnb a déjà, symboliquement,
remporté une victoire sur le secteur hôtelier à Paris. Selon une
étude de la Deustche Bank, publiée
le 4 janvier, l’offre du groupe américain dans la capitale est estimée à
88 700 chambres, contre 75 000
pour les hôtels.
Cette force de frappe inquiète
Jean-Bernard Falco, président de
l’Association pour un héberge-
ment et un tourisme professionnels (AHTOP). Un tout nouveau
lobby créé en juillet, justement
pour faire rempart à Airbnb et
consorts. Il dénonce « le discours
sur l’économie de partage de la société californienne. C’est du boniment et une escroquerie intellectuelle. Un tiers des locations sont illégales. Mais elles génèrent 80 % de
leur chiffre d’affaires. »
A peine créée, l’AHTOP enchaîne
les victoires. C’est encore elle qui a
obtenu, à la mi-décembre 2015,
que la SNCF mette fin, avant
même qu’il n’entre en vigueur, à
son partenariat avec Airbnb (la société ferroviaire devait proposer à
chaque acheteur de billet de train
de mettre son appartement sur la
plate-forme du groupe américain).
Tout le secteur hôtelier n’est pas
aussi belliqueux. « L’apparition de
cette nouvelle économie collaborative ne doit pas être considérée
comme une menace mais comme
une opportunité », tempère
Me Odile Cohen, membre de l’Association des avocats lobbyistes
et avocate du groupe Madar, nouvel entrant dans l’hôtellerie parisienne haut de gamme.
De son côté, Airbnb cultive la dis-
crétion… financière. Installé en Irlande, il refuse de rendre public
son chiffre d’affaires en France et
le nombre des nuitées commercialisées. Tout juste consent-il à révéler que ses « hôtes » dans l’Hexagone, ceux qui louent leur appartement, ont totalisé 481 millions
d’euros de recettes entre septembre 2014 et août 2015. Un montant
sur lequel le site prélève 3 % auprès
des hôtes, et de 6 % à 12 % sur la facture réglée par les clients. En douze
mois, Airbnb aurait engrangé environ 72 millions d’euros.
Une performance pour un
groupe qui ne détient aucun actif
immobilier, emploie moins de
vingt-cinq personnes et qui a payé
moins de 100 000 euros d’impôts
sur les sociétés en France en 2014.
Au plan mondial, la plate-forme
est valorisée plus de 25 milliards
d’euros, soit deux fois plus que le
groupe Accor.
Plus grave, les hôteliers accusent
Airbnb de capter à son profit toute
la croissance du secteur. « Depuis
trois ans, les hôtels ne font plus le
plein, alors qu’il y a de plus en plus
Gîtes de France, le dinosaure qui résiste
La Fédération des gîtes de France, qui a fêté ses 60 ans en 2015,
se porte bien. Avec un parc de 60 000 hébergements, dont 15 %
de chambres d’hôtes, ses réservations ont, en 2015, progressé de
7 %. Son chiffre d’affaires a atteint 434 millions d’euros. « L’année
2016 s’annonce prometteuse, déclare sa directrice générale, Catherine Pechinot, les réservations pour l’été sont en hausse de près
de 8 %. » Le modèle économique de ce réseau qui a été créé par
des agriculteurs – il emploie près de 550 personnes – est aux antipodes de celui d’Airbnb. « Nos gîtes sont déclarés et inspectés,
nos 47 000 propriétaires paient leurs impôts, collectent la taxe de
séjour, font contrôler l’eau des piscines », ajoute Yannick Fassaert,
son président, qui se dit agacé par la concurrence de plates-formes comme Airbnb ou Abritel. Le réseau a décidé de fonder une
association de défense des propriétaires de gîtes.
« Pacte avec le diable »
Comme les hôteliers, les élus de la
capitale sont vent debout contre
le boom des meublés touristiques, proposés par les plates-formes de réservation, qui vident de
leurs habitants les arrondissements du centre et font flamber
les prix de l’immobilier. « Je suis
saisi de plaintes contre ces meublés touristiques. C’est un cancer »,
soutient Jean-Pierre Lecoq, maire
(Les Républicains) du 6e arrondissement. « Nous avons fait la sainte
alliance avec les élus de tous bords.
La maire socialiste, Anne Hidalgo,
et son adjoint communiste au logement, Ian Brossat », dit M. Lecoq. La mairie promet de sévir.
« Nous sommes déterminés à démasquer ces locations illégales »,
prévient M. Brossat, qui veut
« multiplier les contrôles et les opérations coups de poing avec une
équipe renforcée d’inspecteurs qui
va passer de vingt à vingt-cinq ».
Une fermeté relative. Les hôteliers dénoncent « un pacte avec le
diable » conclu entre Paris et Airbnb. Ils pointent le cas des catacombes, que la mairie a louées au
groupe américain pour la nuit
d’Halloween 2015, pour la modique somme de 350 000 euros.
Manière de se concilier la municipalité, le site de réservation en ligne a aussi pris l’initiative, depuis
octobre 2015, de collecter la taxe de
séjour. Une manne inattendue de
5 millions d’euros pour Paris. Rien
que pour les trois derniers mois de
2015. « Le paiement de la taxe de séjour par Airbnb, c’est le meilleur lobbying qu’ils ont jamais fait », constate, admiratif, M. Duc. p
guy dutheil
et isabelle rey-lefebvre
Taxis : la nomination d’un médiateur ne satisfait aucune des parties
Manuel Valls a chargé le député (PS) Laurent Grandguillaume de mener une mission de concertation. La grève se poursuit
suite de la première page
Les « préfets [ont] été chargés vendredi 22 janvier de poursuivre et
d’amplifier » les contrôles des VTC
pour éviter « tout comportement
abusif ». En vue d’une « concertation sur l’équilibre économique du
secteur […] et ses éventuelles évolutions de réglementations »,
M. Valls a également annoncé la
nomination d’un médiateur : le
député socialiste Laurent Grandguillaume est chargé d’ouvrir
cette concertation « courant février avec l’objectif d’aboutir dans
les trois prochains mois ».
Il y a urgence. Le 1er mars, la profession devra composer avec une
« révolution », note Serge Metz, directeur général de G7, la principale compagnie de taxis. C’est-àdire une nouvelle donne économique, notamment à Paris : la lé-
gislation imposera alors des
forfaits pour les trajets entre la capitale et les aéroports (à partir de
30 euros pour un trajet sur Orly et
50 euros pour Roissy-Charles-deGaulle) et 7 euros de forfait pour le
compteur dit « d’approche », à valoir pour toute course réservée à
l’avance. Soit un manque à gagner. Or, les taxis déplorent déjà
une baisse drastique de leur chiffre d’affaires et une chute de la valeur de leur licence. Matignon assure que « les situations individuelles des chauffeurs pourront
faire l’objet d’un accompagnement spécifique par les services de
l’Etat ».
Les propositions de 2016 ont un
air de déjà-vu. Elles ne plaisent ni
aux chauffeurs de taxis, ni aux représentants des VTC. « L’Etat sait
combien il est incapable d’appliquer la loi Thévenoud régissant de-
« Notre survie
est en jeu.
On en a marre
des réunions
et de négocier »
L’ASSOCIATION
DES TAXIS DE FRANCE
puis octobre 2014 l’activité des
VTC », souligne Karim Asnoun.
Pour sa part, l’Association des
Taxis de France souligne sa lassitude. « C’est notre survie qui est en
jeu. On en a marre des réunions et
de négocier », a déclaré à l’AFP son
porte-parole.
Il y a tout juste sept mois, en
juillet 2015 déjà, un médiateur
avait été nommé. Le gouvernement avait alors fait appel à Tho-
mas Thévenoud pour mettre
autour de la table les représentants des taxis et les VTC. Le député de Saône-et-Loire, à l’origine
du texte qui régit les VTC, avait essuyé le refus de la CGT.
Les chauffeurs de VTC s’inquiètent, eux aussi, de cette nouvelle
concertation. « Après chaque manifestation, les mesures prises ont
toujours été des contraintes [nouvelles] imposées aux VTC », se désespère le patron de Snapcar, Yves
Weisselberger, par ailleurs président de la Fédération française
des transports de personnes sur
réservation (FFTPR). Cette fois, le
sort des conducteurs qui opèrent
sous le statut dit « Loti » est sur la
sellette. Ce sésame a permis aux
VTC de recruter des chauffeurs
pour accompagner leur croissance folle et satisfaire une clientèle conquise par ses berlines noi-
res, ses tarifs et son paiement dématérialisé.
Ces chauffeurs dits Loti représenteraient désormais 15 % à
30 % des chauffeurs VTC, note la
FFTPR. Au grand dam des taxis,
qui y voient un dévoiement de ce
statut réservé initialement aux
conducteurs de groupes de passagers. C’est au gouvernement de
résoudre ce point, expliquent
en substance les plateformes de
VTC.
« Il faut renforcer les contrôles »
« De facto, le gouvernement rend le
développement des VTC impossible en France depuis le 1er janvier 2016, puisqu’il n’a toujours pas
arrêté les conditions d’examen
pour devenir VTC », s’emporte
Yann Hascoët, PDG de ChauffeurPrivé. La loi Thévenoud prévoyait
l’établissement d’un examen
pour décrocher le statut de VTC à
partir de fin décembre 2015. « Il
n’est toujours pas mis en place »,
déplore M. Hascoët.
Les « VTCistes » et les chauffeurs
de taxis sont cependant d’accord
sur un point : la lutte contre le racolage. « Il faut renforcer les contrôles », avance ainsi M. Weisselberger. Le conflit porte notamment sur les lieux de forte affluence, dont les gares et les
aéroports où, après avoir déposé
leurs passagers, certains chauffeurs de VTC aborderaient des
voyageurs directement pour leur
proposer leurs services et éviter
de repartir à vide. Or, la loi Thévenoud réserve cette maraude aux
seuls taxis.
Selon Serge Metz, de G7, « Orly
est le foyer de tous les conflits, on y
constate un racolage massif ». p
juliette garnier
4 | économie & entreprise
0123
JEUDI 28 JANVIER 2016
Voitures neuves :
Bruxelles veut
plus de contrôles
La Commission veut se doter de
pouvoirs de sanctions à l’encontre
des agences d’homologation
bruxelles - bureau européen
Q
uatre mois après le dé­
but de l’affaire Volk­
swagen, la Commis­
sion européenne a
rendu publique, mer­
credi 27 janvier, une série de dis­
positions destinées à montrer
que l’institution agit, et dans le
bon sens. Ce scandale, au­delà des
tricheries d’une icône de l’indus­
trie allemande, a révélé d’énor­
mes lacunes dans le contrôle des
émissions polluantes des véhicu­
les, mais aussi un flagrant « lais­
ser­faire » de Bruxelles.
La Commission propose la révi­
sion substantielle d’une directive
de 2007 sur « la réception des vé­
hicules à moteur » consistant à la
doter, elle, de pouvoirs de contrô­
les et de sanctions à l’encontre des
agences nationales d’homologa­
tion des voitures neuves. Pou­
voirs dont elle est pour l’instant
dépourvue : les feux verts de mise
sur le marché des véhicules sont
délivrés par les agences nationa­
les des pays membres.
La seule compétence de l’insti­
tution communautaire, pour
l’heure, consiste à établir les pro­
tocoles des tests d’émission de
gaz polluants (les oxydes d’azote –
NOx –, principaux composants
du diesel) ; et à proposer les pla­
fonds d’émission tolérés lors de
ces tests.
Avec cette directive amendée, la
Commission européenne veut
pouvoir procéder à des contrôles
a posteriori sur des véhicules déjà
« La protection
des clients
européens
est bien moins
élevée que celle
des Américains »
ELZBIETA BIENKOWSKA
commissaire à l’industrie
Test d’émission de gaz polluants,
en conditions réelles, en Allemagne.
en circulation. Elle pourra aussi
imposer des amendes – jusqu’à
30 000 euros par véhicule – à l’en­
contre des services techniques
(auxquels sont délégués les tests)
ou des constructeurs.
Pas question, cependant, pour
mettre en œuvre ces nouvelles
compétences, de créer une agence
supranationale. Ce n’est pas du
tout dans l’air du temps alors que
la Commission tente, sous l’im­
pulsion de son président, Jean­
Claude Juncker, de ne plus légifé­
rer à tout bout de champ. « Nous
disposons de centaines d’experts
dans la direction générale travaillant à mes côtés, c’est suffisant », assure la commissaire à
l’industrie, la Polonaise Elżbieta
Bienkowska, qui porte ce projet de
directive révisée.
Mme Bienkowska propose aussi
de mettre fin au conflit d’intérêts
potentiel existant, dans la plupart
des pays membres, entre les cons­
tructeurs et les services techniques
où les tests sont effectués, puisque
les premiers financent directe­
SEAN GALLUP/GETTY IMAGES/AFP
ment les seconds pour leur tâche.
Enfin, la Commission veut se
doter des moyens de procéder à
des rappels, au niveau européen,
de véhicules jugés défectueux.
Des
mesures
d’ampleur,
aujourd’hui impossibles. A cet
égard, « nous avons constaté que
la protection des clients européens
est bien moins élevée que celle des
Américains. Il faudra un jour y remédier », estime Mme Bienkowska.
La commissaire espère par
ailleurs faire aboutir les négocia­
tions avec l’état­major de Volks­
wagen, afin d’obtenir du construc­
teur allemand une compensation
financière pour ses clients euro­
péens. Les premières réunions, en
octobre 2015, ont été glaciales,
Volkswagen refusant en bloc. Mais
la discussion a progressé, assure­
t­on à la Commission, même si,
pour l’instant, aucun montant
n’aurait été mis sur la table.
Mme Bienkowska espère une
mise en œuvre de cette réglemen­
tation d’ici à la fin 2016. Un
agenda ambitieux, sachant que le
texte doit obtenir le feu vert du
Parlement européen et du Con­
seil (les Etats membres). Côté
eurodéputés, les Verts sont plutôt
satisfaits. « Cela va dans le bon
sens, même si on pense qu’il faut
créer une agence européenne
d’homologation », estime la Fran­
çaise Karima Delli.
Des Etats membres récalcitrants
Mme Delli est, avec des collègues, à
l’origine de la commission d’en­
quête sur Volkswagen, approuvée
par le Parlement de Strasbourg,
dont les travaux commencent
lundi 1er février. Son but étant
d’établir les responsabilités (des
constructeurs, des Etats, de
Bruxelles), elle devrait maintenir
la pression sur la Commission
La « troïka » est de retour au Portugal
Si le pays est sorti du plan d’aide international en mai 2014, la visite des « hommes en noir »
constitue un test pour le nouveau premier ministre, le socialiste Antonio Costa
L
es « hommes en noir » sont
de retour dans le pays de
Fernando Pessoa. Mercredi
27 janvier, les représentants de la
« troïka » – le Fonds monétaire in­
ternational, la Commission euro­
péenne, la Banque centrale euro­
péenne – ont entamé une visite
d’une semaine à Lisbonne.
Leur mission : surveiller l’état de
santé économique du Portugal –
et surtout son sérieux budgétaire
–, près de deux ans après sa sortie
du plan d’aide international en­
tamé en 2011. En échange d’un
prêt de 78 milliards d’euros, le
pays s’était alors engagé à mettre
en œuvre une série de réformes
drastiques destinées à redresser
ses finances publiques et à sortir
de la récession.
Depuis, Le Portugal a réussi son
retour sur les marchés financiers
et le pays a renoué avec la crois­
sance. Mais cette troisième visite
de suivi « postprogramme » fait
néanmoins figure de grand test
pour le premier ministre socia­
liste, Antonio Costa. Ce dernier est
arrivé au pouvoir en novem­
bre 2015.
« Son prédécesseur de centredroit, Pedro Passos Coelho, qui
a dirigé le pays entre 2011 et 2015,
était le bon élève de la “troïka”,
rappelle Antonio Costa Pinto, po­
litologue à l’université de Lis­
bonne. Il appliquait les réformes
demandées sans rechigner, car il
était convaincu de la nécessité de
libéraliser le Portugal. »
Au troisième
trimestre de
2015, la dette
publique du pays
culminait
à 130,5 % du PIB
Antonio Costa, lui, s’est fait élire
sur la promesse d’effacer les sé­
quelles de l’austérité. Sa coalition
tient grâce au soutien (mais sans
participation au gouvernement)
du Bloc de gauche et des commu­
nistes, qui réclament des mesures
sociales. Mais le premier ministre
a également promis de maîtriser
les finances publiques de son pays,
conformément aux exigences de
Bruxelles… « Autant dire que, pour
satisfaire les deux camps, il devra se
prêter à un délicat exercice d’équilibriste », analyse Antonio Barroso,
spécialiste du Portugal chez Teneo
Intelligence.
Pour le chef du gouvernement –
il a été maire de Lisbonne, une
ville où il est toujours très popu­
laire, l’enjeu est clair : il s’agit de
convaincre ses partenaires euro­
péens de la nécessité de redonner
un peu d’air à l’économie portu­
gaise en favorisant la consomma­
tion. La « troïka », de son côté, re­
doute à demi­mot de voir le Por­
tugal retomber dans ses « travers
d’avant la crise », selon les dires
d’un proche des créanciers.
De fait, la Commission euro­
péenne s’inquiète de voir le gou­
vernement de M. Costa envisager
de revenir en arrière sur plusieurs
mesures qui ont été prises ces
cinq dernières années – à l’exem­
ple de certaines coupes dans les
traitements des fonctionnaires et
les retraites. De même, la hausse
du salaire minimum (de 505 à
530 euros sur quatorze mois) ap­
pliquée le 1er janvier 2016 a fait
grincer des dents à Bruxelles.
Comme le FMI, les fonctionnai­
res européens jugent en effet que
le Portugal doit poursuivre les ef­
forts structurels. Par exemple en
réduisant la bureaucratie pesant
sur les chefs d’entreprise, en as­
souplissant plus encore le marché
du travail, en déployant une fisca­
lité favorisant l’investissement
plutôt que l’endettement…
« Allégement de l’austérité »
La Commission de Bruxelles pro­
fitera également de sa présence
à Lisbonne pour passer au crible
le budget 2016 du gouvernement
dans le cadre du « semestre euro­
péen », cette évaluation menée
dans tous les pays membres, et
qui vise à ce qu’aucun ne laisse in­
dûment filer les déficits. « C’est un
test important pour la crédibilité
d’Antonio Costa », juge ainsi une
source européenne.
Le premier ministre tiendra­t­il
ses engagements ? Comment fi­
nancera­t­il les nouvelles dépen­
ses envisagées ? Pourra­t­il renon­
cer à certaines d’entre elles sans se
mettre à dos ses alliés de la gauche
radicale ? Les discussions s’an­
noncent houleuses.
En théorie, le Portugal est re­
venu dans les clous en 2015, en ra­
menant son déficit public à 3 % du
produit intérieur brut (PIB), selon
les premières estimations. Mais
ce chiffre monte en réalité à 4,2 %
si l’on ajoute les fonds publics qui
ont été consacrés au sauvetage de
la banque Banif en décem­
bre 2015. Le gouvernement s’est
toutefois engagé à le ramener
à 2,6 % en 2016, misant sur une
croissance de 2,1 % du PIB portu­
gais sur l’année. Un chiffre qui est
jugé bien trop optimiste par la
Commission européenne, qui ta­
ble plutôt de son côté sur une pro­
gression de 1,7 % du PIB du pays…
« L’allégement de l’austérité devrait néanmoins favoriser la croissance, l’emploi et, donc, les recettes
fiscales », nuance pour sa part Jé­
sus Castillo, chez Natixis.
Autre point de tension : la dette
publique – celle­ci culminait à
130,5 % du PIB au troisième tri­
mestre de 2015. Le gouvernement
de M. Costa compte la ramener
sous la barre des 126 % du PIB à la
fin de cette année. C’est un objec­
tif crédible, jugent les économis­
tes. « Mais le Portugal reste très
fragile en la matière : une remontée des taux serait fatale à ses finances publiques », s’inquiète no­
tamment Antonio Barroso. p
marie charrel
pendant de longs mois. Quid des
pays membres ? Accepteront­ils
de valider un texte accordant
autant de pouvoirs à la Commis­
sion, alors que, jusqu’à présent, ils
ont si souvent donné raison à
leurs lobbies automobiles ? Ils ont
ainsi décidé le 28 octobre, en plein
scandale Volkswagen, et alors que
la réglementation européenne li­
mite les émissions de NOx à
80 mg/km, que pour les nou­
veaux tests censés corriger les
abus, ces plafonds pourraient être
dépassés jusqu’à un facteur maxi­
mal de 2,1 jusqu’en 2019, puis de
1,5 à partir de 2020…
Les Verts du Parlement euro­
péen espèrent que cette décision
sera cassée en plénière à Stras­
bourg, début février. La Commis­
sion estime que c’est vain : les
Etats membres n’iront pas plus
loin que le compromis d’octobre,
assure Mme Bienkowska. De fait,
l’échange de courriers auxquels a
eu accès Le Monde montre à quel
point certains d’entre eux n’ont
pas l’intention de céder.
Ainsi, le 26 novembre, Gianni
Pittella, président du groupe des
sociaux­démocrates au Parlement
européen, demandait à la ministre
de l’environnement du Dane­
mark, la libérale Eva Kjer Hansen,
de mettre à l’agenda d’un conseil
des ministres de l’environnement
cette décision datant du 28 octo­
bre, « dans le but de la modifier
substantiellement ». Elle lui a ré­
pondu, dans un courrier du 21 jan­
vier : « Même si je partage avec
vous l’envie d’une réglementation
plus restrictive, je vous prie de ne
pas utiliser votre veto [lors du vote
au Parlement]. Cela ne ferait que
retarder l’introduction des nouveaux tests d’émissions [censés
mieux lutter contre la triche] »… p
cécile ducourtieux
1 400
C’est le nombre de suppressions d’emplois dans le monde (dont 430 en
France) que STMicroelectronics a annoncé, mercredi 27 janvier, conséquence de l’abandon progressif de son activité de fabrication de décodeurs. L’industriel avait indiqué, en mai 2015, diverses options pour sa
division Digital Product Group qui perd de l’argent depuis des années,
frappée par les difficultés du segment des box pour la télévision. L’entité,
qui représente environ 15 % du chiffre d’affaires du groupe, a vu ses revenus dégringoler de 20 % en 2015, après avoir perdu du terrain face à
ses concurrents. Sur les 1 900 salariés de cette division, principalement
localisés en France et en Inde, environ 600 salariés seront conservés
dans l’entreprise et seront réaffectés à d’autres activités.
CON J ON CT U R E
L’emploi intérimaire
a progressé en 2015
Après trois ans de baisse, l’emploi intérimaire a augmenté
de 4,4 % en 2015, selon les
chiffres du baromètre
Prism’emploi publiés mercredi 27 janvier. La hausse est
quasi générale : 9,9 % dans le
commerce, 7,2 % dans les
transports, 5,7 % dans les services, 5,1 % dans l’industrie.
Seul bémol, le BTP affiche une
baisse de 6,4 % sur l’ensemble
de l’année. L’embellie pourrait
se poursuivre en 2016.
BAN QU ES
L’Italie et Bruxelles
ont un accord sur
les créances douteuses
La Commission européenne
et le gouvernement italien
sont parvenus, mardi 26 janvier, à un accord sur les
créances douteuses qui empoisonnent les banques italiennes. Un mécanisme de
garantie sera mis en place
pour aider les établissements
à faire face à ces crédits qui
ne seront peut-être jamais
remboursés, dont le montant
est estimé à 200 milliards
d’euros. Ils sont un frein à la
reprise, car ils empêchent les
banques d’accorder de nouveaux prêts. – (AFP.)
LUXE
Première baisse des
exportations horlogères
suisses depuis 2009
Les exportations horlogères
suisses se sont contractées de
3,3 %, à 21,5 milliards de
francs suisses (19,5 milliards
d’euros) en 2015, reculant
pour la première fois depuis
2009, a annoncé, mardi
26 janvier, la Fédération de
l’horlogerie suisse (FHS). Rien
qu’à Hongkong, le premier
débouché des horlogers suisses, les exportations ont
chuté de 22,9 %. La FHS explique cette contre-performance par la surévaluation
du franc suisse, le ralentissement économique en Chine,
le faible niveau du rouble et
le terrorisme. Ce contexte devrait peser encore en 2016.
économie & entreprise | 5
0123
JEUDI 28 JANVIER 2016
Chez Air France, les syndicats ne décolèrent pas
L’intersyndicale prévoit de rejeter, jeudi 28 janvier, le nouveau plan de la direction de la compagnie
L
e ton a changé, dit-on
chez Air France, mais les
mêmes blocages demeurent. La majorité des syndicats n’est toujours pas satisfaite
du plan de développement présenté le 15 janvier par la direction
à l’occasion d’un comité centrale
d’entreprise (CCE) extraordinaire.
L’intersyndicale qui rassemble
onze organisations dont le Syndicat national des pilotes de ligne
(SNPL), les deux principaux syndicats d’hôtesses et de stewards et la
CGT, est toujours vent debout
contre les propositions de la di­
rection. Elles ne seraient qu’un
« plan de décroissance dissimulé
par un ingénieux plan de communication », a jugé l’intersyndicale,
mardi 26 janvier. Un rejet qui devrait être réitéré à l’occasion d’un
nouveau CCE d’Air France prévu
jeudi 28 janvier.
Les syndicats ne décolèrent pas
contre la diminution de la flotte
prévue dans la stratégie présentée
mi-janvier par la direction. Paradoxalement, ce plan de croissance qui court jusqu’en 2020
commence par… une décroissance de la flotte de la compagnie
en 2016. Cette année, dénoncent
les syndicats, Air France comptera
cinq avions de moins. Et en 2020,
la flotte de la compagnie sera seulement revenue à son niveau de
2014. « Une croissance négative »
ironisent les syndicats. Une « attrition », comme l’on dit chez Air
France prévue lors de l’annonce
du « Plan B » qui avait provoqué
des heurts à l’occasion du CCE
chahuté du 5 octobre 2015.
Faute d’avoir obtenu un accord
avec les syndicats, la direction
avait à l’époque annoncé une réduction de la flotte, des fermetures de lignes et des suppressions
de postes dont des licenciements
secs. 1000 départs sont prévus
cette année. Des mesures
d’économies toujours en vigueur
pour 2016 même si Air France
a choisi de renoncer aux départs
Les
représentants
des personnels
s’opposent
à la diminution
de la flotte
de la compagnie
contraints. « Les faits sont têtus »,
explique Philippe Evain, président du SNPL d’Air France. Selon
lui, les salariés d’Air France et notamment les pilotes « ne comprennent pas du tout les raisons
qui poussent à la sortie des cinq
appareils de la flotte en 2016 ».
Une stratégie qui irait à contrecourant de celles choisies par toutes les autres compagnies.
« Pourquoi faire de la décroissance au moment où tout le
monde cherche à occuper les places sur le marché ? » s’interroge le
patron du SNPL.
Carotte et bâton
Gilles Gateau, le nouveau directeur des ressources humaines
(DRH) d’Air France, ne l’entend pas
de cette oreille. Il répète qu’il est
désormais « trop tard pour revenir
sur la diminution de la flotte
en 2016 ». Une décision prise à
l’automne 2015. Le DRH demande
aux syndicats « d’arrêter de regarder dans le rétroviseur » pour s’intéresser à l’avenir.
A la place, M. Gateau invite, à
nouveau, les organisations syndicales de la compagnie à négocier
« un compromis ». Il rappelle aussi
que la direction propose dans sa
nouvelle version du plan Perform
2020, une croissance de l’offre
long-courrier de près de 10 % d’ici
2020. La carotte mais aussi le bâton. Ce développement « dépend
de la compétitivité de l’entreprise »
donc « de la réduction de ses
coûts », a ajouté M. Gateau. Un
En 2020, Air France retrouvera une flotte à son niveau de 2014. NICOLAS MESSYASZ/HANSLUCAS
discours qui ne semble pas convaincre les syndicats. Miguel Fortéa, secrétaire général de la CGT
d’Air France dénonce la volonté de
la direction « de sous-traiter l’activité piste dès l’été 2016 ». Une démarche qui entraînerait, selon lui,
« la disparition de certains métiers
dits à faible valeur ajoutée ». Du
côté des pilotes, M. Evain déplore
que « la seule croissance prévue
passe par des délocalisations ». Le
SNPL pointe du doigt le développement via KLM et Transavia Hollande. La filiale à bas coûts a an-
noncé l’ouverture prochaine
d’une base à Munich pour employer des personnels locaux à
moindres coûts.
Versement de primes
Pour obtenir satisfaction, le SNPL
continue de réclamer avec force
l’organisation d’une « table
ronde ». Les pilotes veulent que
« l’Etat, la direction et les syndicats
se mettent autour de la table ».
Toutefois, le front du refus des
syndicats commence à se fissurer.
Mardi, la direction a annoncé la si-
Accident de Brétigny : la SNCF soupçonnée
d’avoir voulu influencer l’enquête judiciaire
L
Selon l’hebdomadaire, tous les
cheminots concernés par l’enquête ont été « invités à un entretien avec le service juridique » de la
SNCF, suivie d’un débriefing après
leur audition par les enquêteurs.
« Moi, je t’invite à ne rien apporter
[aux policiers]… Tu viens avec rien.
Il faut attendre leurs demandes »,
déclare ainsi à un cheminot une
cadre du service juridique, chargée de cet « accompagnement ».
Dans un communiqué envoyé
mardi 26 janvier au soir, la SNCF
précise que le rôle de la direction
juridique de la compagnie est de
défendre et d’accompagner ses salariés « lorsqu’ils sont mis en cause
dans l’exercice de leur fonction.
C’est le cas pour l’instruction concernant l’accident de Brétigny. Les
salariés auditionnés par les juges
sont totalement libres de leurs propos et participent à la manifestation de la vérité ».
Ecoutes de cadres dirigeants
Selon une autre source, « les salariés ont la liberté de choisir la façon de se préparer à ces entretiens.
Certains recourent au service juridique, d’autres aux syndicats et
d’autres, encore, à des avocats. La
SNCF n’intervient pas sur le fond
du dossier, mais conseille sur l’organisation des auditions ».
Le Canard enchaîné évoque parallèlement les incitations du service juridique pour modifier un
L’entreprise,
dotée d’une forte
hiérarchie,
ne permet guère
aux voix
dissonantes
de s’exprimer
rapport interne sur l’accident, qui
évoque le renouvellement d’appareils de voies « en très mauvais
état ». Pour le service juridique, pas
besoin d’entrer dans tant de détails : « On va supprimer “en très
mauvais état”, ça n’ajoute rien. On
se doute bien qu’on n’est pas en
train de régénérer des appareils
neufs », glisse une juriste à l’auteur
du rapport.
Ces premiers éléments seront-ils
suffisants pour que la justice
ouvre une procédure connexe
pour entrave à la justice ou subornation de témoin contre l’entreprise publique ? Le procureur
d’Evry, interrogé par Le Monde,
s’est refusé à tout commentaire.
Cependant, en mettant sur
écoute des cadres dirigeants du
groupe public, les enquêteurs se
sont assurés de la bonne coopération de la SNCF, et non de la seule
promesse de coopération de leurs
dirigeants.
d’un éventuel accord salarial.
Après le CCE du 15 janvier, Air
France qui a engrangé ses premiers bénéfices en 2015, a promis
le versement de primes d’intéressement aux salariés. « Un plan
supplémentaire d’intéressement
viendra s’ajouter » pour les années
2016-2017 avait même annoncé le
DRH. Toutefois, les négociations
salariales annuelles obligatoires
devraient se tenir « durant la dernière semaine de janvier », a-t-il
promis. p
guy dutheil
L’HISTOIRE DU JOUR
L’ex-SNCM boit encore la tasse
T
Enquêter au sein de la SNCF sur
un accident aussi dramatique, relève de la gageure. L’entreprise,
dotée d’une organisation hiérarchique très forte, ne permet guère
aux voix dissonantes de s’exprimer. Un « consensus » que la culture de la solidarité cheminote ne
fait qu’amplifier. Les écoutes
avaient pour objectif d’y voir plus
clair sur la qualité des déclarations de chacun afin de préciser
les responsabilités précises de
chaque salarié.
La justice connaît déjà les raisons
du déraillement à Brétigny du
train Paris-Limoges. Le train est
venu buté sur une éclisse – une
grosse agrafe qui maintient deux
rails au sein d’un aiguillage. Selon
les différentes expertises, une fissure sur cet élément n’avait pas été
détectée lors des tournées de surveillance, alors que trois des quatre boulons s’étaient cassés ou dévissés. Bref, un défaut de maintenance sur les voies est à l’origine
de l’accident.
Mais qui est responsable de ce
défaut de maintenance ? Début
janvier, trois cheminots de la
SNCF, chargés de la surveillance
des voies au moment du déraillement, ont été placés sous le
statut de témoins assistés, tandis que SNCF Mobilité et SNCF
Réseau sont pour leur part mis
en examen. p
out est encore bouleversé dans le dossier maritime corse.
Le 20 novembre 2015, le tribunal de commerce de Marseille avait choisi un entrepreneur du cru, Patrick Rocca,
pour reprendre l’essentiel de la Société nationale Corse-Méditerranée (SNCM), cette compagnie dont les ferries font la navette entre la Corse et le continent. Deux mois plus tard, l’entreprise boit
de nouveau la tasse. Au point que pour sauver la mise, M. Rocca
s’apprête à faire alliance avec ses deux principaux rivaux.
Un comité d’entreprise exceptionnel de MCM (Maritime
Corse Méditerranée), la compagnie née sur les décombres de la
SNCM, a été convoqué mercredi 27 janvier. M. Rocca devait y annoncer un rapprochement avec Corsica Linea, la société montée
par deux des candidats déçus à la reprise de la SNCM, le groupement d’entrepreneurs corses Corsica Maritima et l’armateur
franco-tunisien Daniel Berrebi.
L’opération, montée dans l’urgence, doit encore être validée
par le tribunal de commerce. Sinon, la nouvelle entité « risque
de déposer son bilan très vite, peut-être dès le 28 janvier », rapporte Le Marin, qui a révélé l’affaire. « A l’heure actuelle,
M. Rocca n’est semble-t-il pas sûr de pouvoir payer les salaires à
la fin du mois », appuie un homme
au fait du dossier.
M. ROCCA S’APPRÊTE
Lorsque M. Rocca avait obtenu les
clés de l’ex-SNCM, il était clair que le
À FAIRE ALLIANCE
redressement de la compagnie, en
difficulté chronique depuis des anAVEC SES RIVAUX
nées, était loin d’être acquis. Son plan
était jugé fragile, et ses apports finanDE CORSICA LINEA
ciers, trop limités. Mais nul n’imaginait une chute aussi rapide.
Tout a été accéléré par l’initiative de M. Berrebi et des entrepreneurs réunis sous la bannière Corsica Maritima. Comme ils
l’avaient promis, ils ont créé début janvier une compagnie concurrente, à partir de rien et sans subvention, afin de ne plus dépendre de l’ex-SNCM pour leur approvisionnement en marchandises. Cette nouvelle société a vite capté une bonne part de
la clientèle, et compliqué énormément la tâche de M. Rocca.
Dans ces conditions, celui-ci n’avait guère d’autre option que
de lancer un SOS à ses ennemis. « Il lui a été proposé de rentrer
dans le consortium au même niveau que les autres entrepreneurs
corses », indique l’un de ceux qui ont suivi les tractations
des derniers jours. Une fusion qui risque de provoquer bien
des vagues. p
philippe jacqué
denis cosnard
Les salariés entendus par la justice auraient été « briefés » en amont par la compagnie
a SNCF a « tout fait pour manipuler l’enquête judiciaire »
sur l’accident de train de
Brétigny-sur-Orge, qui a fait sept
morts et plusieurs dizaines de
blessés graves le 12 juillet 2013, accuse Le Canard enchaîné dans son
édition du mercredi 27 janvier.
Le train Intercités Paris-Limoges
avait déraillé au passage d’un
aiguillage défectueux en gare de
la commune située au sud de Paris. Pour étayer son accusation,
l’hebdomadaire assure s’appuyer
sur de nombreuses pièces contenues dans le dossier d’enquête sur
cette catastrophe.
Les journalistes ont notamment
eu accès aux comptes rendus
d’écoutes téléphoniques de certains responsables de la SNCF.
Cette mesure, inédite pour ce type
d’enquête, a permis aux enquêteurs de la police judiciaire de détecter leur « double langage ».
Lors d’une audition, un dirigeant multiplie par exemple les
propos lénifiants sur l’organisation des équipes de la maintenance sur place. Mais, en privé, il
se lâche. « Brétigny, c’est des
crevards. Faut tous les foutre dehors ! », lance-t-il au téléphone.
« Sur le terrain, c’est souvent plus
proche d’Audiard que de Proust,
justifie un proche du dossier. Cela
ne veut pas dire qu’il y a pour
autant manipulation de la vérité,
et que la SNCF est sortie des clous. »
gnature, par trois organisations,
CFDT, CFE-CGC et UNSA de l’Accord triennal de gestion prévisionnelle des emplois. Pour apposer sa signature, l’UNSA a quitté
l’intersyndicale. A eux trois, les
syndicats représentent plus de
50 % des personnels au sol. Un
« événement important » selon Air
France. Avec cet accord se félicite
M. Gateau, aucun licenciement
sec ne pourra intervenir jusqu’en
juin 2018.
Le climat pourrait commencer
de se détendre avec la négociation
6 | économie & entreprise
0123
JEUDI 28 JANVIER 2016
Auteur de BD, un métier de plus en plus précaire
Plus de 50 % des professionnels du 9e art gagnent moins que le smic, selon une étude dévoilée à Angoulême
I
l ne fait pas bon être auteur
de bande dessinée en ce moment. Une précarité alarmante plane sur la corporation, comme en témoigne une enquête réalisée par la profession et
à laquelle Le Monde a eu accès
avant sa communication au Festival d’Angoulême, qui se déroule
du 28 au 31 janvier. Plus d’un
auteur sur deux (53 %) ayant répondu y déclarent toucher un revenu inférieur au smic brut, et
même au seuil de pauvreté pour
36 % d’entre eux. La situation est
pire pour les femmes : 67 % des
auteures interrogées disent gagner moins que le smic, et moins
que le seuil de pauvreté pour 50 %
d’entre elles. Après la polémique
provoquée par l’annonce d’une
première liste de trente noms exclusivement masculins pour
l’élection du prochain Grand Prix
(Le Monde du 7 janvier), ces données ne vont pas contredire l’idée
selon laquelle les femmes ont
plus de difficultés que les hommes dans le 9e art.
« Sentiment d’injustice »
L’enquête des Etats généraux de la
bande dessinée, du nom de l’association d’auteurs qui l’a menée,
fait suite à un débat sur la précarisation du métier organisé lors du
dernier Festival d’Angoulême.
Une marche dans les rues de la
ville avait rassemblé 500 professionnels contre un projet d’augmentation des cotisations de retraite complémentaire. Afin de
réaliser une « photographie » de la
corporation, un questionnaire a
été envoyé à l’automne à
3 000 personnes – 1 300 auteurs
déjà identifiés, mais aussi des coloristes, des scénaristes occasionnels et des jeunes diplômés
d’école spécialisée. La moitié ont
répondu, en se répartissant euxmêmes dans les catégories « amateurs » (15 %), « professionnels
précaires » (53 %) et « professionnels installés » (32 %).
71 % des sondés
ont un emploi
parallèle,
en général dans
un autre domaine
artistique
ou dans
l’enseignement
La faiblesse des revenus n’est pas
le seul enseignement de l’étude.
Celle-ci dévoile aussi que 50 % des
répondants travaillent plus de
quarante heures par semaine, et
que, pour 80 % d’entre eux, le travail empiète sur au moins deux
week-ends par mois. Afin de diversifier (et d’augmenter) leurs ressources, 71 % ont par ailleurs un
emploi parallèle, en général dans
un autre domaine artistique ou
dans l’enseignement. Leur protection sociale, enfin, s’avère particulièrement faible : 88 % des professionnels interrogés n’ont jamais
bénéficié d’un congé maladie, souvent par manque d’information.
« Un sentiment d’injustice anime les
auteurs, qui ont l’impression de cotiser dans le vide », note l’écrivain et
scénariste Benoît Peeters, président des Etats généraux de la
bande dessinée.
Les raisons de ce contexte sont
nombreuses, et connues : hausse
des prélèvements obligatoires
dans les métiers artistiques,
baisse des ventes en librairie, diminution des droits d’auteur…
Alors qu’il n’y a jamais eu autant
d’albums dans les rayons
– 4 000 nouveautés par an, contre
700 il y a trente ans –, un prolétariat de la bande dessinée semble
s’être formé au fil des années. Si
les grands noms continuent de
très bien gagner leur vie (l’un
d’eux a fait état d’un à-valoir de
160 000 euros), c’est surtout « la
catégorie médiane des auteurs qui
En marge du Festival de bande dessinée d’Angoulême, le 31 janvier 2015. PIERRE DUFFOUR/AFP
voit sa situation se dégrader », souligne Benoît Peeters.
Jeanne Puchol, 58 ans, appartient à cette tranche de créateurs,
« ni hyperconnus ni marginaux, qui
souffrent en ce moment ». Alternant les parutions chez les grands
et les petits éditeurs, cette ancienne story-boardeuse publicitaire publie depuis 1983, mais ne
s’est exclusivement consacrée à la
BD qu’il y a neuf ans. Elle a connu
l’âge d’or des magazines comme
(A suivre), qui payaient une première fois les planches à l’unité
avant qu’un éditeur ne les achète
une deuxième fois sous la forme
d’à-valoir. Ses ventes dépassaient
alors 10 000 exemplaires par
ouvrage. Elles sont moitié moindre désormais. En ajoutant ses
cours d’illustration pour la Ville de
Paris, Jeanne Puchol touche le
smic. La vente d’originaux lui permet d’empocher « un 13e mois ».
Les choses ont changé, selon
elle, le jour où les maisons d’édition traditionnelles sont entrées
dans le giron de grands groupes.
« Les coûts de fabrication ont été
tirés vers le bas pour faire baisser le
prix de revient des livres. La
Le grand mercato du prêt-à-porter en France
Les fonds d’investissement cherchent à s’emparer des griffes les plus prometteuses
D’
un côté, des griffes
branchées (Sandro,
Maje et autres The
Kooples) que les fonds d’investissement s’arrachent. De l’autre,
des marques célèbres dans la
tourmente (Sinequanone, Gérard
Darel) qui passent par le redressement judiciaire. Tel est le paysage,
étonnamment divers, des marques de vêtements vendus en
France aujourd’hui.
Pour Sandro, Maje et Claudie
Pierlot (SMCP), l’avenir semble
plein de promesses. Le petit
groupe s’apprête en effet à changer de main pour la deuxième fois
en moins de trois ans. Le fonds
américain KKR, qui en possède
65 % depuis 2013, souhaite déjà le
revendre.
La valorisation de ces trois griffes, vendues dans plus de
1 000 boutiques et 34 pays, dépasse désormais le milliard
d’euros. Soit 350 millions d’euros
de plus qu’en 2013. La croissance
ne faiblit pas. Les ventes grimpent
de plus de 20 % par an, dopées par
120 nouvelles ouvertures de boutiques chaque année. Elles sont
tirées par l’international et les vêtements – fabriqués en Europe de
l’Est, au Maghreb ou en Asie – sont
produits à des coûts plus serrés
qu’un pantalon moulant.
Le fonds américain a mandaté
les banques UBS et Bank of America Merrill Lynch pour trouver
un acquéreur cette année. Bloomberg évoque comme éventuel
repreneur Lion Capital (déjà ac-
A côté des
marques qui font
des envieux,
bon nombre
traversent des
passes difficiles
tionnaire, dans la mode, du britannique AllSaints), ou le producteur de textiles chinois Shandong
Ruyi. A moins que KKR n’opte
pour une mise en Bourse, comme
l’évoque Reuters, afin de profiter
de la dynamique dont jouit le
groupe en Chine pour attirer des
investisseurs – SMCP a ouvert
45 boutiques dans le pays depuis
dix-huit mois.
Toujours dans cette catégorie de
griffes branchées, jeunes, où les
jeans sont vendus 150 euros et les
vestes 340 euros, le fonds d’inves­
tissement LBO, qui détient 20 % de
The Kooples depuis 2011, compte
aussi céder cette participation mi­
noritaire. La marque créée par les
fils des fondateurs de Comptoirs
des cotonniers s’est fait une spé­
cialité de vêtir les couples. A son
arrivée sur le marché, elle était valorisée 250 millions d’euros ; elle
approcherait les 400 millions
aujourd’hui. L’actionnaire de cette
marque a mandaté, selon le journal L’Agefi, une filiale de l’américain Sage Group spécialisé dans la
mode et la beauté, pour dénicher
un acquéreur.
Enfin, les temps sont fastes
aussi pour Ba&sh et son prêt-àporter féminin, comme pour
El Ganso et son « sport chic » à l’espagnole. L Capital, le fonds d’investissement du groupe LVMH et
de Groupe Arnault (le holding
familial du PDG du numéro un
mondial du luxe), a pris 50 % du
premier et 49 % du second.
A côté de ces griffes qui font des
envieux chez les investisseurs,
bon nombre d’autres traversent
des passes difficiles. Lestée par
une centaine de millions d’euros
de dettes, la société Gérard Darel a
changé de mains. Détenue depuis
2008 à 90 % par le fonds Advent et
à 10 % par la famille Gerbi, qui
avait fondé l’entreprise, Gérard
Darel avait été placée en redressement judiciaire en juin 2015.
Choisie comme repreneur par le
tribunal de commerce de Paris le
26 octobre 2015, la famille Gerbi
prévoit de conserver 630 des
767 salariés et d’investir 40 millions d’euros.
« Concurrence très forte »
Une autre enseigne, Sinequanone, sortie voici un an d’un redressement judiciaire, est à nouveau dans la tourmente, plombée
par sa forte exposition au marché
russe et les suites des attentats qui
ont frappé la France. L’entreprise
vient d’être placée en redressement pour six mois. L’un des proches du dossier assure que cela ne
prélude pas pour autant à un
changement d’actionnaires.
dernière variable d’ajustement
était l’auteur », dénonce-t-elle.
L’avènement du roman graphique – un format plus petit avec davantage de pages et un dessin
moins élaboré – aurait également
contribué à appauvrir la profession, poursuit Jeanne Puchol : « Le
paiement à la page a été remplacé
par le forfait. Tout dépend bien sûr
de l’investissement que chacun met
dans son travail, mais ramené au
taux horaire, un roman graphique
est payé au lance-pierre. »
Dans ce climat, un certain pessimisme pèse sur le secteur. 66 %
des auteurs interrogés dans l’enquête pensent que leur situation
va se dégrader lors des prochaines
années. « Le profil des auteurs
risque de changer également,
redoute M. Puchol. La bande dessinée est un mode d’expression
populaire auxquels ont toujours
eu accès des gens d’extraction
modeste, comme Gir ou Mézières.
Ce ne sera plus possible demain. Il
faudra avoir ses parents derrière
soi. Le milieu va s’embourgeoiser,
et les thématiques traitées ne
seront plus les mêmes. » p
frédéric potet
L’HISTOIRE DU JOUR
En 2016, les assureurs rêvent
d’abstinence… réglementaire
J
Quant à Eleven Paris, ses teeshirts qui détournent des photographies de personnalités sont
partout, et pourtant, elle vient de
demander au tribunal de commerce de Paris d’être placée sous
procédure de sauvegarde. Le
temps de relancer la marque dans
le prêt-à-porter, veut croire cette
PME, qui a conclu à l’amiable une
transaction pour indemniser des
stars américaines qui s’estimaient lésées.
D’autres enseignes restent également en difficulté, comme
Vivarte, malgré près de 2 000 suppressions de postes. Deux filiales
du groupe, la Compagnie vosgienne de la chaussure et Defimode, sont en vente.
La chute de la fréquentation,
notamment dans les centres commerciaux, liée à la météo et aux attentats, a pénalisé bon nombre
d’enseignes d’habillement. « Avec
une concurrence très forte, la
moindre insuffisance de renouvellement dans la création peut être
lourde de conséquences pour les
enseignes qui doivent supporter
une dette importante », analyse Cedric Colaert, chargé de la sous-performance et des restructurations
chez Eight Advisory. D’autant que
H&M, Zara, Gap ou Uniqlo imposent toujours leur cadence de collections très courtes et de prix
compressés. M. Colaert s’attend à
des fermetures de magasins et
d’importants licenciements avant
la fin d’année. p
e voulais venir ce soir avec le code des assurances, mais mes
collaborateurs m’en ont empêché. Ils m’ont affirmé que le sol
ne résisterait pas à son poids, qu’il n’était pas question de causer de dégâts dans ce bâtiment que nous assurons en partie… »
D’un naturel discret, Thierry Derez, le PDG de Covea, leader français de l’assurance de biens et de responsabilité, qui regroupe
MAAF, MMA et GMF, manie souvent la dérision pour exprimer
ses désaccords.
A l’occasion de ses vœux, le 19 janvier, sa charge a visé l’accumulation des réglementations et leurs contradictions. « L’année
2015 a été attrayante sur ce plan », grince-t-il. Ainsi, la loi Hamon
est « un chef-d’œuvre administratif pour se débarrasser des chaînes existentielles ». Elle vise à faire baisser les tarifs, en permettant, notamment, de résilier à tout moment son contrat automobile ou habitation après une année d’engagement. Conséquence, selon M. Derez ? « Un renchérissement des cotisations »
en raison des coûts de gestion.
Quant à l’accord national interprofessionnel (ANI), entré en vigueur début janvier, il va « enchaîner les Fran« L’ANNÉE ÉCOULÉE
çais » en instaurant une assurance
A ÉTÉ ATTRAYANTE
santé complémentaire collective obligatoire pour les salariés. Il rencontre
EN TERMES
un accueil plus que mitigé chez les
toutes petites entreprises (TPE). « En
DE NOUVELLES
décembre 2015, quand nous les avons
RÉGLEMENTATIONS » contactées, certaines nous ont demandé pourquoi nous venions si tôt »,
THIERRY DEREZ
note l’assureur, qui y voit la confirmaPDG de Covea
tion que « l’anticipation n’est pas une
spécialité française ». D’autres ne
croyaient pas à sa mise en place ou ne s’en inquiétaient pas, puisque aucune sanction n’est prévue en cas de non-application des
textes. D’où la tentation de jouer la montre…
Dans ce contexte, le vœu le plus cher de M. Derez pour 2016 est
« rien ». « Ni règlement, ni loi, ni ordonnance », en clair « une année
d’abstinence ». Un souhait ambitieux, car il sera difficile d’arrêter
la frénésie réglementaire. « A la mi-janvier, j’ai noté que le Journal
officiel était déjà à la publication de la loi numéro sept », dit-il. Et
de plaindre ceux qui, dans l’administration, ont dû sacrifier leurs
vacances à ces fins. Ses vœux leur sont aussi dédiés… p
nicole vulser
dominique gallois
idées | 7
0123
JEUDI 28 JANVIER 2016
VU D’AILLEURS | CHRONIQUE
par j ean- cl aude juncke r
La solidarité européenne finira par prévaloir
L’
année 2015 a été celle où la
solidarité européenne a résisté à ce qui pourrait bien
avoir été les plus grandes difficultés
qu’elle a rencontrées depuis la fin de
la seconde guerre mondiale.
Elle a été mise à rude épreuve pendant une grande partie de l’année
par la crise grecque, dont les effets
économiques et sociaux continuent
de se faire sentir tant dans la zone
euro que dans l’Union européenne.
Depuis le début de 2015, les négociations sur le dossier grec ont éprouvé
notre patience. Beaucoup de temps
et de confiance ont été perdus. Des
ponts ont été coupés. Certaines paroles ont été prononcées qu’il est difficile d’effacer. Nous avons vu des démocraties européennes montées les
unes contre les autres.
Ce n’est qu’une fois au bord du précipice que nous sommes parvenus à
prendre du recul. En fin de compte,
les Etats membres de l’Union sont
restés aux côtés de la Grèce. Des engagements ont été pris, mis en
œuvre et appliqués. Un nouveau
programme est actuellement en
place. La solidarité européenne a
prévalu et la confiance a commencé
à se rétablir. L’essentiel sera maintenant de réaliser les réformes ; la
Commission européenne continue à
soutenir la Grèce, mais c’est encore
un long chemin.
La solidarité européenne continue
d’être mise à l’épreuve par la crise des
réfugiés. Au début de 2015, la Commission a présenté une politique globale en matière de migration et a immédiatement pris des mesures afin
de gérer la crise. Nous avons triplé
notre présence en mer Méditerranée.
Cela a contribué à sauver des vies.
Nous nous sommes battus contre les
réseaux criminels de passeurs et de
trafiquants. Nous avons fait preuve
de solidarité. Nous sommes convenus de procéder à la relocalisation,
dans nos Etats membres, des personnes qui ont le plus besoin d’une protection internationale. Nous travaillons en étroite collaboration avec
la Turquie, qui joue un rôle essentiel
dans la région. Nous avons également lancé un nouveau partenariat
avec l’Afrique pour remédier aux causes profondes des migrations. Les
agences de l’Union continuent à aider
les autorités nationales des Etats
membres les plus touchés, souvent
surchargées, à procéder à l’identification, au filtrage et au relevé des empreintes digitales des migrants à leur
arrivée, à accélérer le traitement des
demandes d’asile et à coordonner le
retour de ceux qui ne peuvent bénéficier du droit d’asile.
PERSÉVÉRANCE
L’Union dispose en théorie de toutes
les solutions à ses problèmes. Toutefois, la réalité est tout autre. Mais, au
risque de me répéter, je ne parviens
toujours pas à comprendre pourquoi
il a été si difficile de donner suite à
des engagements pris au niveau politique le plus élevé.
Par exemple, sommet après sommet, les dirigeants déclarent qu’ils
vont envoyer des gardes-frontières
pour aider la Grèce à contrôler les limites de l’Union, ou une aide financière en Jordanie, au Liban et en Turquie pour aider à gérer le grand
nombre de réfugiés dans ces pays.
Mais les semaines passent sans que
ces engagements soient tenus. Au
contraire, les blâmes sont distribués
à droite et à gauche. Cela monte les
Etats membres les uns contre les
autres. Il s’est enclenché une spirale
négative dans laquelle les gouvernements nationaux restreignent leur
régime d’asile pour le rendre moins
attrayant que celui du pays voisin,
tandis que les responsables politiques alimentent un populisme qui
n’apporte que de la colère, et non
des solutions.
Il est temps d’avoir un peu plus
confiance dans la capacité de l’Europe à apporter des réponses collectives à des problèmes que chaque Etat
membre de l’Union subit, seul, de
manière intense. En finir avec la législation de l’Union en matière
d’asile ne supprimera pas les obligations nationales de respecter le droit
international et l’exigence humanitaire d’offrir l’asile aux personnes qui
en ont besoin. Au contraire, une
norme commune de traitement des
demandes d’asile par les Etats membres crée un système équitable et
évite que tous affluent en un seul endroit. De même, un corps européen
de gardes-frontières et de gardes-côtes, indépendant de la volonté et des
moyens des différents Etats membres, nous permettra de rétablir l’ordre et de gérer efficacement les frontières extérieures de l’Union.
Après les attentats en France,
en 2015, la solidarité européenne doit
prévaloir. Nous ne céderons pas à la
peur en rétablissant des murs qui
n’ont été détruits que récemment.
Nous ne confondrons pas les auteurs
de ces crimes odieux avec les personnes qui les fuient.
L’intégration européenne est une
question souvent complexe. Nous ne
réussissons pas toujours du premier
coup. Si je pouvais décrire l’Europe
d’un seul mot, ce serait « persévérance ». Ensemble, nous serons unis
contre ce qui cherche à nous diviser.
Nous persévérerons en 2016. Et nous
réussirons. p
© Project Syndicate, 2015.
www.project-syndicate.org
¶
Jean-Claude Juncker
est président
de la Commission européenne
Pékin redouble d’attention De l’influence de Google sur les résultats
envers l’Amérique latine
électoraux
La Chine poursuit
sa percée dans le sud
du continent américain
pour contrebalancer
le partenariat
transpacifique promu
par Washington
par christophe granier
L
a mise en place par les EtatsUnis du Partenariat transpacifique (TPP) de libre-échange
qui exclut la Chine a réveillé, si
besoin était, l’intérêt chinois pour
l’Amérique latine. Pékin préconise de
faire évoluer les membres de l’APEC
(Coopération économique Asie-Pacifique) en une zone de libre-échange AsiePacifique dans le but de faire de l’ombre au TPP, qui dépend de Washington.
A Manille, le 18 novembre 2015, le 23e
sommet de l’APEC a témoigné de la volonté concurrente des présidents Xi et
Obama de séduire les pays du sud du
continent américain.
Les pays d’Amérique latine riverains
du Pacifique restent ouverts aux offres
des deux puissances. Si les Etats-Unis
ont tenté de verrouiller une majorité
d’entre eux en invitant dans le TPP le
Mexique, le Pérou et le Chili, la Chine,
qui possède déjà ses entrées au Nicaragua et au Costa Rica, a fait un mouvement en direction de la Colombie, soudain parée de toutes les qualités. Les
échanges sino-colombiens totalisent
15,5 milliards de dollars et ont crû au
cours de l’année 2015, alors que ceux
enregistrés avec les autres pays d’Amérique latine ont stagné ou reculé.
Devenue la troisième économie sudaméricaine en 2014 à la place de l’Argentine, la Colombie semble disposée à
écouter les sirènes de l’Orient ; le président Juan Manuel Santos s’est dit intéressé par la coopération chinoise en
matière d’infrastructures, de production agricole et d’agroalimentaire, et
compte sur la Chine à l’ONU pour appuyer le processus de paix dans son
pays. Souvent placés en première ligne
des entreprises chinoises lorsqu’un
pays stratégique est à conquérir,
¶
Christophe Granier
est conseiller du commerce extérieur
Huawei (semi-privé) et ZTE (semi-public) sont les têtes de pont de Pékin
en Colombie.
L’annonce par le Fonds monétaire international de l’inclusion du yen dans
son panier de droits de tirage spéciaux
a suscité l’intérêt. Le vice-président
argentin, Amado Boudou, a demandé
l’accélération du processus d’internationalisation de la devise chinoise ; son
pays avait obtenu en juillet de Pékin un
swap de devises de 11 milliards de dollars, véritable bouée de sauvetage pour
le pays. Auparavant, la Chine avait accordé un quota de 8 milliards de dollars
aux investisseurs internationaux qualifiés au Chili. La China Construction
Bank est devenue la première banque
de clearing du yen du continent au
Chili, et l’Industrial & Commercial
Bank of China en Argentine.
UNE POLITIQUE DES PETITS PAS
Pour ces raisons d’ordre politique, les
projets d’infrastructures chinois en
Amérique latine ne tarderont pas à se
multiplier, même si l’exemple négatif
du Mexique démontre la difficulté de
contrer l’influence américaine dans sa
zone réservée. La Chine privilégie une
politique des petits pas, doublée de
quelques grandes réalisations isolées.
Le grand chantier du canal transcontinental au Nicaragua doit être considéré
avec le recul à une illusion par trop onéreuse, mais les deux projets de liaison
ferrée du Pacifique à l’Atlantique à travers l’Amérique du Sud sont plus avancés et vraisemblables. L’approche financière qui se développe depuis mi2015 démontre que d’autres moyens,
tout aussi efficaces mais moins spectaculaires, sont utilisés par Pékin.
Enfin, souhaitant imprimer sa marque historique personnelle dans le domaine culturel comme dans d’autres
domaines, le président Xi Jinping s’est
investi dans le projet d’« Année
d’échange culturel Chine-Amérique latine » pour 2016, dont l’ampleur est la
meilleure preuve de l’intérêt porté par
la Chine au continent latin.
Les importations chinoises de produits agricoles continueront à jouer le
rôle moteur. Elles doivent doubler d’ici
à 2020. Organisé depuis 2013, le Forum
des ministres de l’agriculture de Chine,
d’Amérique latine et des Caraïbes vient
d’être institutionnalisé : son objet est
de créer une plate-forme d’échanges
entre les agences gouvernementales et
les instituts de recherche agronomique
pour développer la coopération agricole. Un plan quinquennal (2015-2019)
de coopération porte déjà sur l’élevage,
la forêt et la pêche. p
Deux scientifiques américains ont démontré
que le rang des candidats à une élection
présidentielle sur le moteur de recherche
orienterait le choix des internautes indécis
par charles cuvelliez
O
n a évoqué l’espace pris
par le Front national sur le
Web comme un des facteurs de son succès lors du
premier tour des élections régionales.
La simple présence en bonne place
d’un candidat plutôt que d’un autre
influencerait-elle l’électeur ? Les candidats aux élections primaires en vue
des présidentielles, aux Etats-Unis
comme en France, seraient bien inspirés de lire une étude parue dans la
prestigieuse revue de l’Académie des
sciences des Etats-Unis (« The Search
Engine Manipulation Effect [SEME]
and Its Possible Impact on the Outcomes of Elections », de Robert Epstein et
Ronald E. Robertson, et Proceedings of
the National Academy of Sciences of
the USA - PNAS, www.pnas.org). Car la
réponse est oui !
Les élections présidentielles dans
les pays démocratiques se gagnent à
quelques points de pourcentage près :
pas plus de 8 % en moyenne pour les
élections aux Etats-Unis, 3,6 % pour la
dernière en 2012, et le poids des électeurs indécis pèse donc d’autant plus.
Or, le rang des candidats à une élection présidentielle sur Google influencerait le choix des internautes
indécis. Les auteurs l’ont démontré en
créant un outil de recherche similaire
au moteur de Google (Kadoodle), et
ont recruté des volontaires, divisés en
trois groupes : chacun d’eux a reçu
une information préalable identique
sur une élection passée (celle du premier ministre australien) et sur les
NARENDRA MODI,
LE VAINQUEUR SURPRISE
DES ÉLECTIONS EN INDE,
AVAIT DOMINÉ LE
CLASSEMENT GOOGLE
AVEC UNE PRÉSENCE
DE 25 % SUPÉRIEURE
À CELLE DE
SES CONCURRENTS
candidats en lice (Tony Abbott et Julia
Gillard). Ils ont ensuite été autorisés à
faire quinze minutes de recherches
personnelles sur Kadoodle. Pour le
groupe 1, Kadoodle plaçait artificiellement le candidat A en tête des résultats de la recherche ; pour le groupe 2,
c’était le candidat B. Le troisième
groupe était l’échantillon témoin. Les
recherches, quel que soit le groupe,
donnaient toujours les mêmes trente
références qui pointaient vers des pages Web réelles de cette élection passée, seul l’ordre d’apparition de ces
trente références variait. Les résultats
ont été sans appel : la préférence des
groupes allait dans le sens du rang du
classement qui favorisait le candidat A ou le candidat B. Sympathie,
confiance et intention de vote allaient
dans le même sens.
TRANSPARENT ET MESURABLE
Les auteurs ont été jusqu’à interférer
avec une élection réelle en Inde, avec
un groupe témoin mais de taille tellement petite qu’il ne pouvait modifier
les résultats réels. Grâce à Google
Trends, ils ont pu montrer que Narendra Modi, le vainqueur surprise de ces
élections, avait dominé le classement
Google avec une présence de 25 % supérieure à celle de ses concurrents
pendant les soixante et un jours qui
ont précédé les élections. Google a-t-il
involontairement contribué au succès électoral de M. Modi ?
Est-ce là une énième manipulation
comme en sont capables, volontairement ou pas, les médias ? Les auteurs
rappellent comment, en 1876, l’élection du 19e président des Etats-Unis,
Rutherford B. Hayes, fut gagnée grâce
à Western Union, la compagnie des télégraphes qui livra à l’équipe de Hayes
copie des télégrammes de son concurrent (un Watergate avant la lettre)
et manipula les journaux. L’étude reprend aussi des études antérieures
qui montrent que 91,5 % des clics sur
Google sont effectués sur la première
page, 32,5 % sur le premier lien et
17,6 % sur le second. On sait aussi depuis plus d’un siècle, rappellent les
auteurs, que le simple fait de classer
des résultats ou des objets sur une
liste exerce une influence sur celui
qui en prend connaissance : le premier et le dernier de la liste ont tou-
jours plus de chance de rester dans la
mémoire. L’étude évoque, en outre,
l’effet bien connu de Fox News, la
chaîne de télévision conservatrice :
son arrivée dans un Etat américain
augmente localement le vote à droite.
Alors, pourquoi s’inquiéter au sujet
de Google ?
Justement parce que Google n’est
pas un média comme les autres. L’accès des candidats aux médias lors
d’élections est transparent et mesurable : nous pouvons nous rendre
compte que tel ou tel est plus favorisé
à l’antenne. Et si Fox News provoque
un biais, il n’y a heureusement pas
que Fox News comme chaîne de télévision. En revanche, combien d’entre
nous, en Europe, utilisent un autre
outil de recherche que Google ? Comment se rendre compte qu’un tel outil
fait apparaître d’abord un candidat
plutôt qu’un autre si on ne peut le
comparer avec un autre ? Pis, alors
que les auteurs de l’étude ont fait
comprendre indirectement par des allusions et des questions aux participants que le rang pouvait influencer
leur choix, cela n’a pas altéré leur jugement et leur préférence, qui sont
restés liés au classement.
Est-ce à dire que Google peut volontairement manipuler son classement
pour favoriser tel ou tel candidat ?
Pour l’instant non, dit l’étude (bien
que ses auteurs s’étonnent du refus
de Google de répondre à leurs questions), mais on sait aussi que plus le
classement est favorable à un site,
plus on clique dessus et plus le classement lui reste favorable… C’est même
la base de l’algorithme de Google. On
sait aussi que les ingénieurs de Google procèdent à des ajustements de
leurs algorithmes plus de 600 fois par
an. Comment ? On l’ignore.
Alors, faut-il à nouveau craindre
Google-Big Brother ? Il faudrait
d’abord, avant de crier au scandale,
voir comment d’autres outils numériques influencent indirectement nos
choix ; Facebook, LinkedIn et tous les
autres réseaux sociaux peuvent compenser l’effet de Google. Et, surtout, il
faut que cette étude expérimentale
soit répliquée par d’autres chercheurs
pour être confirmée. p
¶
Charles Cuvelliez est professeur à
l’Ecole polytechnique de Bruxelles (ULB).
Il est aussi membre du Collège de l’Institut belge des services postaux et des télécommunications (IBPT), le régulateur des
communications électroniques en Belgique
8 | MÉDIAS&PIXELS
0123
JEUDI 28 JANVIER 2016
La croissance d’Apple marque le pas
L’entreprise, qui a vendu 74,77 millions d’iPhone au dernier trimestre, anticipe une baisse de ses revenus
new york - correspondant
L
e vent serait-il en train de
tourner pour Apple ? La
marque à la pomme qui,
ces dernières années, a
toujours publié des chiffres de
croissance impressionnants, est
en train de marquer le pas. Les
ventes d’iPhone ont quasiment
fait du surplace au cours de la très
cruciale saison des fêtes. Le
groupe anticipe par ailleurs une
baisse de ses revenus pour le trimestre en cours, du jamais-vu depuis l’été 2001.
Apple semble avoir atteint une
sorte de plafond entre octobre et
décembre 2015. Le groupe américain a annoncé, mardi 26 janvier,
avoir vendu 74,77 millions
d’iPhone sur le dernier trimestre,
soit à peine 270 000 de plus qu’il
y a un an. Un chiffre « incroyable », estime néanmoins Tim
Cook, le PDG de groupe. Il est vrai
que la barre était très haute, dans
la mesure où le dernier trimestre
de 2014 correspondait à la montée en puissance des iPhone 6.
Des appareils qui constituaient
une rupture, notamment en termes de taille d’écran. Leur renouvellement, un an plus tard, n’a
pas été aussi révolutionnaire, ce
qui se ressent dans l’évolution
des ventes.
Reste que celles-ci ont déçu les
analystes, alors que l’iPhone
constitue la vache à lait du
groupe : il représente plus de
60 % du chiffre d’affaires et en-
core davantage en termes de profits. « Les arbres ne poussent pas
jusqu’au ciel, tempère Jean-Louis
Gassée, un ancien dirigeant d’Apple, aujourd’hui reconverti dans
le capital-risque dans la Silicon
Valley. Nous allons assister sur le
marché des smartphones à la
même évolution que dans les PC,
avec moins de nouveaux clients et
plus de renouvellement et une ou
deux sociétés qui vont continuer à
prendre des parts de marché tout
en étant capables de dégager une
très bonne rentabilité. De ce point
de vue, Apple est idéalement positionné », assure-t-il. D’ailleurs, la
marque à la pomme affirme
qu’elle n’a jamais autant attiré
d’anciens utilisateurs d’Android,
le système d’exploitation concurrent de Google.
Vers un modèle de service
Toutefois, les ventes d’iPhone ne
sont pas les seules à avoir pris à
contre-pied les analystes. Le chiffre d’affaires global, qui progresse
de seulement 1,7 %, à 75,9 milliards de dollars (soit 69,89 milliards d’euros), est également en
deçà des estimations. Apple invoque principalement la montée du
dollar par rapport aux autres devises. Sans les effets de change,
ses ventes auraient bondi de 8 %,
estime le groupe.
Mais qu’on se rassure : Apple
reste une impressionnante machine à cash. « Notre situation financière n’a jamais été aussi
forte », explique M. Cook. Le
Twitter poursuit sa réorganisation
Les grandes manœuvres continuent au sein de Twitter. La société
de microblogging a annoncé, mardi 26 janvier, avoir recruté une
nouvelle directrice marketing en la personne de Leslie Berland.
Cette dernière est issue des rangs d’American Express
où elle gérait la publicité, le marketing et les partenariats
numériques. Le patron-fondateur de Twitter, Jack Dorsey,
avait annoncé dimanche soir le départ de quatre vice-présidents,
tandis que le responsable de son application de vidéos,
Vine, avait, lui, décidé de rejoindre Google.
Dans un Apple
Store, à Pékin.
KIM KYUNG-HOON/
REUTERS
groupe a réalisé 18,36 milliards de
dollars de bénéfices entre octobre
et décembre, en hausse de 1,9 %.
Quant à sa trésorerie, elle s’élève
désormais à 216 milliards, soit dix
de plus qu’à la fin septembre. Le
PDG a souligné que ce qui fait la
force de la marque aujourd’hui, ce
sont des clients fidèles, qui rachètent, dans la plupart des cas, des
produits Apple.
Même si M. Cook affirme que le
groupe continue à croître en
Chine, malgré la moins bonne
conjoncture, il sait que les relais
de croissance pour l’iPhone se
font de plus en plus rares. C’est
pourquoi, lors de la conférence téléphonique sur les résultats du
groupe, il a insisté sur la montée
La firme
de Cupertino
reste une
machine à cash,
avec une
trésorerie
de 216 milliards
de dollars
en puissance des services, comme
Apple Music ou son catalogue
d’applications. Le directeur financier du groupe, Luca Maestri, a
ainsi souligné que cette activité
avait progressé de 23 % en un an, à
Cybersécurité : les sociétés sensibles
en première ligne
L
sécurité des systèmes d’information (Anssi), en charge de la sécurité informatique des administrations et des entreprises.
Si les arrêtés ont mis deux ans à
voir le jour, c’est qu’il a fallu négocier pied à pied avec les industriels.
Les nouvelles normes de sécurité
voulues par l’Anssi, qui requièrent
la mise en place d’une gouvernance particulière, de systèmes de
surveillance et de détection élaborés et des plans de continuité en
cas d’incidents, sont aussi synonymes de dépenses accrues. « Leur
mise en place va coûter des millions
d’euros, puis les entreprises devront
dépenser encore quelques millions
par an car il faut des prestataires
pour la maintenance. Mais il faut
voir combien elles devraient débourser en cas de véritable défaillance », dit Guillaume Poupard.
Les budgets cybersécurité devraient passer de 10 % des dépenses informatiques globales à une
fourchette de 15 % à 20 %.
Convaincre les industriels n’a
pas été une mince affaire, même
pour ceux ayant pris de l’avance
en la matière. Avec les banques, le
dialogue a été viril. « Les négociations ont été difficiles. Au départ,
les ingénieurs de l’Anssi avaient des
demandes qui n’avaient rien à voir
avec la réalité du business », dit-on
au sein d’une société de service.
« Il est vrai qu’au début, on ne parlait pas la même langue. Mais on
disait pourtant la même chose »,
assure M. Poupard. La plupart
n’avaient pas envie de se laisser
dicter leur conduite. « On n’a pas
attendu l’Anssi pour agir », dit-on
chez un opérateur télécoms.
Directive européenne
Pour alléger la facture, les entreprises se sont employées à réduire
au maximum la partie de leur activité jugée la plus stratégique, concernée par la nouvelle réglementation. « Attention aux tricheurs »,
prévient quand même le patron
de l’Anssi. Sujet le plus litigieux :
l’obligation de communication à
l’Anssi des actes de piratage, alors
que les entreprises préfèrent rester discrètes. A partir de quand devront-elles alerter les services de
l’Etat ? Guillaume Poupard, qui n’a
pas envie que l’Anssi croule sous
les alertes, estime qu’il faut trouver le juste équilibre. De leur côté,
les entreprises sont circonspectes.
« Ce qui ne serait pas souhaitable,
c’est qu’on se retrouve en situation
Sujet le plus
litigieux :
l’obligation de
communication
des actes
de piratage
compliqué pour Apple. Le groupe
anticipe un chiffre d’affaires situé
entre 50 et 53 milliards de dollars.
Une fourchette large, qui reflète
les inquiétudes d’Apple sur la volatilité sur le marché de change.
Quoi qu’il en soit, si l’on prend le
milieu de cette fourchette, cela représenterait une baisse des revenus de 11 %. Il faut remonter
quinze ans en arrière pour retrouver une telle contre-performance.
M. Maestri a indiqué qu’Apple
était en train d’augmenter ses prix
sur certains marchés pour préserver ses marges, ce qui a pour effet
de ralentir les ventes. Reste à savoir si ce ralentissement est passager ou plus durable. p
stéphane lauer
Défendre l’indépendance
des médias par la loi
Deux cents entreprises devront respecter des mesures renforcées de sécurité informatique
e 23 décembre 2015, les habitants de la région d’IvanoFrankivsk, dans l’ouest de
l’Ukraine, se sont retrouvés dans le
noir. Pour la première fois, ce n’est
pas une simple défaillance des systèmes mais un acte de piratage informatique qui a fait tomber les réseaux de plusieurs compagnies
d’électricité locales. Un train qui
déraille, une coupure d’eau géante
ou une centrale nucléaire qui
tombe en panne : tels sont les dangers que la France a tenté d’anticiper en adoptant, fin 2013, un arsenal législatif imposant des mesures de sécurité informatique renforcée
aux
« opérateurs
d’importance vitale » (OIV), ces entreprises dont la défaillance ferait
peser des risques sur la nation.
Deux ans après le vote de la loi,
18 arrêtés d’application, un par
secteur industriel concerné, vont
être publiés ces prochaines semaines. Ils vont concerner quelque 200 OIV œuvrant dans le secteur bancaire, l’énergie, le transport d’énergie, les télécoms ou les
hôpitaux. « Ces règles entreront en
application à partir du 1er juillet.
Ensuite, les opérateurs disposeront
de trois à six mois pour les mettre
en œuvre, en fonction de la complexité du dispositif », a expliqué,
le 26 janvier au Forum international de la cybersécurité de Lille,
Guillaume Poupard, le directeur
général de l’Agence nationale de la
31 milliards de dollars. Une évolution que « le marché n’a pas encore
intégrée », regrette M. Maestri.
« On assiste à un glissement du
centre de gravité économique
d’Apple, insiste M. Gassée. Les services croissent et ajoutent plus de
valeur au matériel. Comme Google avec son moteur de recherche,
Apple a su se construire un écosystème incontournable pour les utilisateurs et qui devient de plus en
plus profitable. » Le cercle est
d’autant plus vertueux qu’il y a
désormais dans le monde plus de
1 milliard d’appareils Apple en activité.
En attendant que ce « glissement » s’exprime pleinement, le
trimestre en cours s’annonce
de se dénoncer les uns les autres »,
avertit l’un d’eux.
En attendant, ces nouvelles obligations sont une manne pour les
prestataires informatiques français. « Notre chiffre d’affaires a augmenté de 30 % l’an dernier, à plus de
100 millions d’euros. Et ces nouvelles règles nous assurent une croissance pour trois ans », dit François
Lavaste, à la tête d’Airbus Defence
& Space CyberSecurity, une filiale
dédiée d’Airbus. « Nous voyons arriver beaucoup d’appels d’offres »,
se félicite Laurent Maury, vice-président de Thales.
La législation adoptée par la
France devrait faire tache d’huile.
En avril, le Parlement européen
votera l’adoption de la directive
Network and Information Security, qui impose de nouvelles obligations à une série de sociétés
stratégiques. « Les entreprises françaises sont rassurées par cette harmonisation. Elles disaient que nos
règles créaient une rupture de concurrence », se félicite M. Poupard.
Moins contraignantes que les règles françaises, les normes européennes toucheront plus d’acteurs. Google sera censé s’y plier.
Mais pas Facebook. « Les réseaux
sociaux ont mystérieusement disparu de l’accord une semaine
avant son adoption », déclare Zoltan Precsenyi, en charge des affaires publiques chez Symantec. p
sandrine cassini
Le député PS Patrick Bloche a rédigé un texte
répondant à la concentration du secteur
R
enforcer la « liberté, le pluralisme et l’indépendance
des médias ». Tel est le but
de la proposition de loi rédigée
par le député PS de Paris Patrick
Bloche, en collaboration avec la
ministre de la culture, Fleur Pellerin, et l’exécutif, et que Le Monde
s’est procuré. Les auteurs réagissent notamment aux polémiques
survenues après la prise de contrôle de Canal+ et i-Télé par Vincent Bolloré, mais ne ciblent pas
frontalement l’entrepreneur breton : les industriels qui possèdent
des médias sont nombreux, de
Patrick Drahi (BFM-TV, RMC…) à
Martin Bouygues (TF1) en passant
par Xavier Niel (actionnaire à titre
individuel du Monde).
La proposition de loi précise les
pouvoirs du Conseil supérieur de
l’audiovisuel : ce dernier « s’assure
que les intérêts économiques des
actionnaires des éditeurs de services de communication audiovisuelle et de leurs annonceurs ne
portent aucune atteinte » au pluralisme et à l’indépendance. Une allusion indirecte aux accusations
de censure dirigées contre Canal+
après la non-diffusion d’un documentaire sur le Crédit mutuel ou
sur l’Olympique de Marseille (et
sur lesquelles Vincent Bolloré a
nié être intervenu).
L’article 7 propose, lui, de généraliser dans les télévisions et ra-
dios les « comités relatifs à l’honnêteté, l’indépendance, au pluralisme
de l’information et des programmes ». Leurs membres, « indépendants », ne doivent pas, « pendant
leurs fonctions et dans un délai de
trois ans avant leur nomination,
[avoir] pris, reçu ou conservé, directement ou indirectement, un intérêt quelconque dans la société éditrice » ou « l’un de ses actionnaires ». Cette disposition fait écho à
la polémique autour de la nomination du comité d’éthique de Canal+. Deux des six personnalités
choisies ont des liens avec des sociétés de M. Bolloré.
Pour la majorité socialiste, ce
texte vise à montrer qu’elle ne
reste pas inactive alors que le secteur se concentre. La reprise en
main du groupe Canal+ par Vincent Bolloré a suscité des protestations publiques à i-Télé.
Le 28 septembre, sur France Inter,
Fleur Pellerin s’était posée en « garante du pluralisme des médias »,
tout en précisant au sujet de
M. Bolloré : « Aucune enquête n’a
pour l’instant révélé s’il y avait eu
une intervention directe. » Avant
d’être votée, la proposition de loi
de Patrick Bloche, président de la
commission des affaires culturelles de l’Assemblée nationale, devra être discutée avec les professionnels du secteur. p
alexandre piquard
universités
&grandes écoles
TINO
Les concours se renouvellent
Pour intégrer une école, les classes préparatoires ne sont plus aujourd’hui la seule voie. Admissions parallèles et passerelles
se multiplient, le recrutement s’élargit. Mais les établissements prestigieux ne s’y résolvent que timidement
L
entement mais sûrement, la France
infléchit la loi des concours aux
grandes écoles – une spécificité
française « inventée » par Vauban
en 1697 pour recruter ses ingénieurs. Le meilleur exemple est celui de la rude sélection imposée à l’issue de la
première année commune aux études de santé
(Paces) – médecine, pharmacie, dentisterie,
sages-femmes – que 78 % des étudiants ratent
chaque année, numerus clausus oblige.
Dix universités, dont celle d’Angers qui a même
supprimé la Paces, expérimentent actuellement
des voies permettant d’offrir une seconde
chance ou des alternatives aux recalés. Ces initiatives seront évaluées en 2019, mais on voit
mal pourquoi elles ne seraient pas étendues.
Les écoles de commerce, elles, organisent la
montée des admissions dites parallèles, voies
ouvertes aux détenteurs d’un BTS, d’un DUT,
d’un cycle universitaire ou d’un diplôme étranger. Si bien que, selon les derniers chiffres de la
Conférence des grandes écoles, les élèves issus
des classes préparatoires ne représentent plus
que 37 % des inscrits dans les business schools.
Au compte-gouttes
A y regarder de plus près, cette moyenne cache
le fait que les écoles de commerce les plus renommées ne font qu’entrouvrir leurs portes aux
étudiants qui ne sont pas issus de classes prépa,
contrairement aux écoles dites moyennes ou
petites. Pour celles qui peinent à remplir leurs
promotions, les passerelles sont une aubaine.
Les écoles d’ingénieurs élargissent aussi leur
recrutement mais dans une moindre mesure. Et
les plus prestigieuses comme Polytechnique,
Centrale, Supélec ou certaines Ecoles normales
supérieures ne le font qu’au compte-gouttes. Les
bacheliers peuvent aussi miser sur une école à
prépa intégrée, moins exigeante qu’une spé.
Et ailleurs, comment se passe le recrutement ?
Aux Etats-Unis, pas de concours mais une sélection drastique – par les notes et par l’argent –,
pour entrer dans les meilleures universités. Le
système est plus égalitaire et varié en Allemagne.
Mais pour les études médicales, une commission fédérale détermine le nombre de places et
les répartit géographiquement en fonction des
besoins locaux. Un exemple à imiter ? p
martine jacot
les prépas privées,
pour quoi faire ? Les offres
dispendieuses de cours du soir
ou de stages intensifs en tout
genre se multiplient. Mais la
qualité et les résultats ne sont pas
toujours au rendez-vous. PA G E 8
conseils aux parents dont
l’enfant vient d’échouer
Des spécialistes donnent
de précieuses clés afin
d’accompagner au mieux
un adolescent confronté
à cette étape difficile. PA G E 1 0
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Hors procédure APB.
2|
UNIVERSITÉS
& GRANDES ÉCOLES
| Concours
0123
Jeudi 28 janvier 2016
Après une prépa,
une place pour
(presque) tous
Répartir plutôt que sélectionner, tel est le rôle aujourd’hui dévolu aux
concours. Dès lors, quasi tous les étudiants peuvent intégrer une école
A
u terme de deux
années de travail
acharné en prépa,
les étudiants sont
récompensés : ils
sont presque assurés d’intégrer une grande école
à l’issue des concours. On compte
en effet autant de places offertes
aux concours des écoles d’ingénieurs que d’élèves en deuxième
année de prépa, et près d’un
quart des écoles de commerce
n’ont pas rempli leur promotion
en 2015.
« Le système du concours est
classant mais pas excluant », affirme Anne-Lucie Wack, présidente de la Conférence des grandes écoles (CGE). La CGE évoque
« un parcours de réussite, sécurisé », avec un emploi à la clé. Toutefois, pour ceux qui visent les
écoles les plus prestigieuses, extrêmement sélectives, la pression
et le risque d’échec restent élevés.
Chaque étudiant aurait donc sa
place, en fonction de son profil, à
condition d’avoir su venir à bout
de la masse de travail en prépa. La
croissance continue des effectifs
des écoles, amorcée dans les années 1990, favorise cette mécanique de répartition, plutôt que de
sélection. Entre 2007 et 2014, selon la CGE, les grandes écoles ont
admis 100 000 étudiants supplémentaires (soit une hausse de
36 %), en diversifiant notamment
leurs voies de recrutement.
Du côté des écoles d’ingé-
nieurs, pour répondre aux attentes du marché du travail, le nombre d’élèves a plus que doublé en
vingt ans (passant de près de
58 000 en 1990 à plus de 124 000
en 2012). « Les besoins de l’économie se sont déplacés vers les fonctions d’expertise. Mais le vivier des
scientifiques ne s’est pas suffisamment développé », estime Sylvie
Bonnet, présidente de l’Union
des professeurs des classes préparatoires scientifiques (UPS). Il
faudrait aujourd’hui former de
5 000 à 10 000 ingénieurs de
plus par an, au dire de la Conférence des directeurs des écoles
françaises d’ingénieurs (CDEFI).
L’augmentation du nombre
d’étudiants joue-t-elle sur la qualité du recrutement ? Non, assure
François Cansell, président de la
CDEFI : « Les concours ont évolué,
mais leur niveau reste le même.
Pour preuve, les ingénieurs français
trouvent rapidement du travail et
sont recherchés à l’étranger. »
Et Sylvie Bonnet de confirmer :
« Chaque école maintient son degré d’exigence, en recrutant aussi
à l’international. » Quant aux prépas, elles se veulent réactives face
aux mutations : « Lors de la réforme du lycée, par exemple, on a
Entre 2007 et 2014,
les grandes écoles
ont admis
100 000 étudiants
supplémentaires,
soit une hausse
de 36 %
réfléchi pour s’adapter. C’est ce
qu’on fait en permanence, en
amont avec le second degré, en
aval avec les écoles », déclare encore la présidente de l’UPS.
Dans les écoles de commerce
également, le nombre de places
Quelques prépas prestigieuses
Les prépas particulièrement réputées permettent d’intégrer
les écoles les plus prestigieuses. La presse publie régulièrement
des classements, qui varient peu d’une année sur l’autre et
s’affinent en fonction des écoles visées. Quelques noms
reviennent souvent quand on interroge les écoles : dans le
désordre, Henri-IV, Louis-le-Grand, Fénelon, Jean-Baptiste-Say,
Stanislas, Ipésup, à Paris ; Hoche et Sainte-Geneviève, à
Versailles ; Pasteur, à Neuilly-sur-Seine, Madeleine-Daniélou,
à Rueil-Malmaison ; Le Parc, Ampère, Sainte-Marie à Lyon,
Pierre-de-Fermat et Ozenne à Toulouse, Saint-Jean à Douai, etc.
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offertes grimpe, mais la situation
n’est pas comparable. Cette
hausse viserait en partie à répondre aux besoins de financement
des écoles, du fait de la concurrence accrue et de la baisse des
subventions des tutelles. Comme
l’explique Loïck Roche, président
du Chapitre des écoles de management de la CGE, « les écoles
jouent sur trois leviers : les frais de
scolarité – mais elles ne peuvent
plus guère les augmenter –, le
nombre d’étudiants par promotion et le nombre de programmes ». Sans surprise, les écoles de
commerce bien classées n’ont
aucun mal à remplir leurs promotions, car elles restent fortement
attractives. Un peloton de tête se
distingue aisément, grâce au système des accréditations internationales et aux palmarès de la
presse qui se multiplient depuis
environ vingt d’ans. « Dans les années 1990, les différences entre
écoles étaient moins marquées,
surtout pour les écoles de province, alors plus indifférenciées »,
remarque M. Roche.
Les écoles figurant en bas de tableau peinent à faire le plein. En
conséquence, elles réduisent leurs
exigences. Certaines auraient fait
chuter leur seuil d’admissibilité à
5/20 ou 6/20, au risque d’ôter tout
sens au concours après prépa…
Face à ce phénomène, les étudiants font jouer le rapport qualité-prix : ils peuvent préférer des
formations universitaires nettement moins coûteuses, notamment celles des instituts d’administration des entreprises.
« On assiste à une inversion : ce
sont aux écoles de séduire les étudiants, constate M. Roche. Et la régulation de la qualité se fait par les
étudiants, quand ils renoncent à
une école au niveau d’exigence
trop bas. » Prises dans cet engrenage, à terme, les écoles de commerce les plus fragiles risqueraient de disparaître.
Pour accroître leur nombre
d’étudiants, les écoles de commerce comme celles d’ingénieurs
ont développé les admissions parallèles qui prévoient aussi des
concours (après un DUT, un BTS,
une L2 ou une L3). « Le mot
“concours” cache en réalité une
grande diversité, remarque AnneLucie Wack. Actuellement, on observe un changement de paradigme : on ne compte en moyenne
que 40 % d’étudiants issus des prépas dans les grandes écoles d’ingénieurs et de commerce, contre
40 % provenant des admissions
parallèles et 20 % qui suivent des
formations post-bac. »
Dans les établissements en
trois ans recrutant après prépa,
la part des admissions parallèles
atteint 27 % en moyenne. Cette
diversité des voies d’entrée favorise notamment l’ouverture sociale dont manquent les grandes
écoles. Si les plus prestigieuses,
telle Polytechnique, recrutent essentiellement par le biais des
prépas, d’autres accordent une
large place aux admissions
parallèles. p
diane galbaud
En commerce,
la montée des
admissions parallèles
Si les plus prestigieuses misent sur les prépas,
les « petites » écoles explorent une autre voie
A
priori, les chiffres parlent d’eux-mêmes : selon
les données les plus récentes de la Conférence des grandes écoles (CGE), 53 % des entrants dans les business schools passent désormais par les
admissions parallèles – après un
BTS ou un DUT, un cycle universitaire ou un cursus international.
Elles sont donc devenues la première voie d’accès à ces écoles.
Les étudiants issus des classes
préparatoires, de leur côté, ne représentent plus que 37 % des inscrits, les 10 % qui restent intégrant leur école juste après le bac.
Pour autant, faut-il parler de déclin des prépas ? On en est loin. Les
écoles de tête continuent de miser
en priorité sur les candidats qui y
ont été formés – HEC, par exemple, n’accepte pas d’admissions
parallèles en première année. En
revanche, les « petites » écoles se
tournent massivement vers les
voies parallèles – certaines ont
quasiment renoncé à recruter à la
sortie des prépas.
« En réalité, les effectifs des prépas
ont continué d’augmenter ces dernières années, souligne Stéphan
Bourcieu, directeur général de
l’ESC Dijon-Bourgogne. Mais cette
hausse a été moins rapide que celle
des promotions de nos écoles. Le
complément a été apporté par les
admissions parallèles. D’autant
que, à côté des concours comme
Passerelle ou Tremplin, les écoles
recrutent de plus en plus de candidats internationaux. » En une dizaine d’années, l’école dijonnaise
a ainsi fait passer ses recrutements à l’issue de prépas de 135 à
environ 185, tandis que ses admissions parallèles (concours Passerelle 1 et 2) ont quasiment doublé
(de 170 à environ 300). Quant au
nombre d’admis étrangers, il a ex-
plosé, passant de 5 à 90. En outre,
certains candidats ont pu être rebutés par le coût de certaines prépas privées, ou dissuadés par le
rythme de travail qu’imposent en
général ces classes.
« Cette évolution découle de la
montée en puissance du système
LMD [licence-master-doctorat], estime Stéphan Bourcieu. Le niveau
de sortie en licence est désormais
bien identifié par les candidats et
les familles. De plus, toutes nos écoles sont engagées dans une stratégie de croissance à l’international.
Il n’est donc pas surprenant que
beaucoup d’entre elles recrutent à
bac + 3. Et ce mouvement devrait se
poursuivre. »
« Nos cours réunissent donc des
élèves issus des prépas, et d’autres
venus des IUT, des universités, de
l’international. Cette diversité des
profils est un atout pour la qualité
de nos enseignements, indique de
son côté Florence Legros, directrice de l’ICN Business School à
Nancy, où le taux d’admissions
parallèles demeure assez stable.
Mais nous ne voyons aucune
désaffection à l’égard des prépas,
qui restent une valeur sûre. »
Pour la CGE, en tout cas, pas de
doute : les classes prépa restent
bien « la voie privilégiée pour intégrer une grande école ». « La montée en puissance des admissions
parallèles n’est pas synonyme de
recul des classes préparatoires, estime Jacques Chaniol, responsable
de la commission amont à la CGE.
Simplement, l’essentiel de la hausse
des effectifs, depuis une quinzaine
d’années, s’effectue par d’autres
voies. Aujourd’hui, la tendance est
à la stabilisation. » A ses yeux, les
élèves issus des différentes voies
« réussissent aussi bien les uns que
les autres ». p
jean-claude lewandowski
Concours |
0123
Jeudi 28 janvier 2016
UNIVERSITÉS
& GRANDES ÉCOLES
|3
De timides itinéraires bis
Grâce aux «seconds concours», les étudiants de l’université
peuvent tenter leur chance à Normale, Polytechnique ou HEC
L
TINO
ouis Pasteur, Jean-Paul
Sartre, Georges Pompidou ou encore Raymond
Aron sont diplômés de
l’Ecole normale supérieure (ENS)
de la rue d’Ulm à Paris. Pourtant,
l’école est-elle connue du grand
public ? « Les jeunes n’ont pas vraiment conscience des formations
qu’offre l’ENS, ni de la place qu’y
tient aujourd’hui la recherche »,
note son directeur, Marc Mézard.
L’ENS a donc décidé, pour la première fois de son histoire, d’ouvrir
ses portes au public, le samedi
13 février, afin de présenter ses différents départements, mais aussi
de promouvoir ses voies d’accès.
Outre ses concours en lettres et
en sciences réservés aux élèves de
prépas, l’ENS organise depuis
2008 une admission sur dossier
et sur entretien. L’objectif est de
repérer des profils très brillants
dans un domaine, qui ne se seraient pas forcément distingués
dans un concours pluridisciplinaire, mais affichent un projet
d’études précis. La sélection s’effectue au niveau de chaque département de l’école. Peuvent
postuler des étudiants de
deuxième ou troisième année de
licence. Les 120 « normaliens étudiants » ainsi recrutés en 2015
n’ont pas à s’engager pour dix ans
auprès de l’Etat et ne sont donc
pas rémunérés comme les 194
« normaliens élèves » issus des
prépas. Mais ils bénéficient de la
même formation, avec « un suivi
très individualisé », précise M. Mézard. Ils introduisent aussi une
plus grande diversité dans les
promotions : « 30 % d’entre eux
sont boursiers, contre 17 % parmi
les lauréats du premier concours. »
Batterie d’oraux
Depuis 2000, Polytechnique entend, elle aussi, « donner une
chance aux jeunes qui ne sont pas
montés dans le train des prépas »,
dit Michel Gonin, responsable du
concours. Outre les 400 places briguées par 4 604 candidats de
prépa, l’X en a proposé 18 en 2015
à des profils exclusivement universitaires, détenteurs d’une licence de maths, de physique, de
mécanique ou de chimie. Ici, les
recrues bénéficient du même statut que leurs camarades et reçoivent une solde. Leur nombre va
passer à 23 à la session 2016 et atteindra un plafond de 50 d’ici
cinq ans. « Nous sommes absolument satisfaits des élèves que
nous recrutons en prépa. La filière
universitaire, elle, a vocation à rester une voie d’admission parallèle », commente M. Gonin.
Si, à l’échelle de la conférence des
grandes écoles (CGE), les classes
prépas ne représentent plus que
39 % des admissions, leur monopole n’a pas été ébranlé dans
les plus prestigieuses. A l’ENS
Lyon, un second concours est destiné depuis 1992 aux licences
scientifiques. Il leur ouvre les mêmes droits que les admis des prépas… mais ne compte que 7 places.
A Centrale Supélec, à Paris, le
concours Casting propose 20 places aux universitaires, pour 390
offertes à la sortie des prépas.
Un lycéen dont l’ambition est
d’intégrer l’une des grandes écoles
les plus renommées a donc tout
intérêt à opter pour une classe
préparatoire. « Elle reste la voie
d’accès privilégiée à HEC », insiste
Julien Manteau, directeur du développement de l’école. Depuis
1996, la prestigieuse école de Jouyen-Josas (Yvelines) a créé une
autre entrée dans son programme
grande école ; mais elle est proposée au niveau master et concerne
donc des étudiants plus avancés,
ou en quête d’une double compétence, comme des ingénieurs ou
des juristes. Longtemps, la plupart
des places de ce « concours d’admission directe » (CAD) – soit 50
sur 75 –, ont été réservées à des
candidats issus de grandes écoles
partenaires, comme Sciences Po
ou les Mines ParisTech. Ce quota
n’existe plus, mais beaucoup d’admis proviennent toujours de ces
établissements.
Et pour certaines grandes écoles,
« admission sur titre » ne signifie
pas seulement l’étude d’un dossier mais parfois également toute
une batterie d’oraux – six à Polytechnique et quatre à HEC… p
aurélie djavadi
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INTÉGREZ UNE GRANDE ÉCOLE
DE COMMERCE À BAC+2/3
DIPLÔME VISÉ
ISÉ BAC+5 • GRADE MASTER
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(Paris, Bordeaux, Chambéry, Lyon)
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llèl en 1re ett 2e années
é
CONCOURS EVOL 1 et 2: inseec-bs.com
PROCHAINES 05/03 17/03 30/04 02/04 28/05
SESSIONS:
4|
UNIVERSITÉS
& GRANDES ÉCOLES
| Concours
0123
Jeudi 28 janvier 2016
Il n’y a pas que les maths dans la spé
A niveau d’excellence égal en sciences, les candidats qui ont mis l’ accent sur les oraux et sur les matières littéraires
tirent bien mieux leur épingle du jeu aux concours des écoles d’ingénieurs
L
es candidats aux concours des
écoles d’ingénieurs auraient tort
de tout miser sur les matières
scientifiques. Pour réussir, il faut
certes exceller dans ce domaine, mais
pas seulement : la différence se fait aussi
en français et en langues, tandis que les
oraux permettent aux jurys d’éprouver
la détermination ou l’ouverture d’esprit
des étudiants.
« C’est un message parfois difficile à
faire passer auprès des élèves : il est quasiment impossible d’intégrer une grande
école d’ingénieurs comme Polytechnique,
Centrale ou les Mines uniquement grâce
aux points obtenus dans les matières
scientifiques », affirme Roger Mansuy,
En filière mathsphysique, le français et
la langue vivante sont
coefficient 6, autant
que l’une des deux
épreuves de physique
enseignant en mathématiques et en informatique en prépas scientifiques à
Louis-le-Grand, à Paris, qui place chaque
année une centaine d’élèves à l’X. En
filière maths-physique (MP), par exemple, le français et la langue vivante sont
coefficient 6, soit autant que l’une des
deux épreuves de physique !
Ces deux matières doivent être travaillées avec régularité pendant les deux
ans de prépa, car « l’investissement sur le
long terme permet de rendre une bonne
copie le jour du concours », estime encore
l’enseignant. Même constat aux MinesParis Tech, dont la centaine d’admis chaque année est notamment sélectionnée
par le concours commun Mines-Ponts
(neuf écoles, 13 000 candidats).
En français, les candidats sont notés
sur une dissertation en rapport avec le
thème au programme – « Le monde des
passions » pour la session 2016 – et
doivent s’appuyer sur les trois œuvres
étudiées dans l’année. Mieux vaut les
maîtriser parfaitement : « Les œuvres
du programme sont prioritaires, et des
références externes ne sont donc bienvenues que lorsque le programme a déjà
été bien exploité », peut-on lire dans le
rapport du jury de concours MinesPonts 2015.
Une fois franchies les épreuves écrites
d’admissibilité, c’est lors des oraux que
les candidats peuvent véritablement tirer
leur épingle du jeu. « C’est loin d’être une
formalité : compte tenu des coefficients, ils
peuvent faire gagner énormément de
places », insiste Julien Bohdanowicz,
directeur des études chargé du cycle
ingénieurs civils aux Mines-Paris Tech.
Outre les classiques épreuves de maths
ou de physique, le travail d’initiative personnelle encadré (TIPE), évalué à l’oral du
concours commun Mines-Ponts, est valorisé par un coefficient 6 – contre un
coefficient 12 pour l’oral de maths et 10
pour celui de physique. Il peut être l’occasion de montrer son investissement
dans un projet qu’on a choisi.
Dans certaines écoles, comme l’Ecole
catholique d’arts et métiers (ECAM) de
Lyon, les candidats retenus après les
écrits sont convoqués à un entretien de
sélection. « Le jeune qui arrive aux
oraux a déjà montré ses qualités scientifiques. Au cours de l’oral, on cherche à
aller plus loin, à percevoir la vision qu’il
a du métier d’ingénieur, sa capacité à
réfléchir au monde qui l’entoure, son
ouverture d’esprit », explique Christiane
Lobert, coordinatrice pédagogique au
sein de l’établissement. Cette ouverture
au monde peut être testée au détour de
l’oral d’anglais du concours commun
Mines-Telecom (coefficient 7 à l’oral en
MP, presque autant que les maths ou la
physique, coefficient 8).
L’oral peut également être l’occasion
de valoriser les activités extrascolaires.
Engagement associatif, pratique d’un
instrument de musique ou d’un sport :
le jury apprécie les candidats capables
de s’investir en dehors des seules études. « J’ai évoqué ma passion pour
l’athlétisme et j’ai parlé de l’équipe d’enfants que j’entraînais avant la prépa
pour montrer ma capacité à gérer un
groupe et mon sens des responsabilités », raconte Mélanie Leroyer-Fortin,
reçue à la rentrée 2015 à l’Ecole nationale supérieure de techniques avancées
(Ensta) Bretagne, avec une note de 18
sur 20 à l’entretien. Enfin, – mais c’est
presque une évidence –, bien connaître
l’école que l’on cherche à intégrer et
être capable d’expliquer en quoi elle
s’insère dans son projet professionnel
est toujours très apprécié. p
françoise marmouyet
Une troisième voie pour devenir ingénieur
POUR LES ASPIRANTS ingénieurs, les cycles préparatoires
communs (CPC) aux écoles
d’ingénieurs sont une
troisième voie intéressante,
à mi-chemin entre la prépa
intégrée et la classe préparatoire aux grandes écoles
(CPGE). Une centaine d’écoles,
comme celles du réseau
Polytech, les instituts nationaux polytechniques (INP)
ou la fédération Gay-Lussac,
sont accessibles par ces cycles.
Ils s’adressent aux néobacheliers effrayés à l’idée de préparer pendant deux ans
un concours en CPGE, mais
surtout à ceux qui ne
souhaitent pas se spécialiser
trop vite en intégrant la prépa
intégrée d’une école donnée.
Le principe ? Une sélection
postbac sur dossier scolaire
et entretien individuel après
validation du dossier APB,
une préparation en deux ans,
et une admission dans l’une
des écoles du réseau en fonction
des vœux émis et des résultats
au contrôle continu.
« Des élèves moteurs »
Mais attention : pas de repos
pour ces élèves ayant vocation
à se retrouver assis au bout
de trois ans aux côtés de leurs
camarades ayant fait le choix
de la classe prépa. « Physique,
chimie ou science de l’ingénieur :
la quantité de travail comme
les connaissances ou compétences développées sont exactement
les mêmes qu’en CPGE », explique
Isabelle Schanen, directrice de
la « prépa des INP » de Grenoble
– CPC proposé sur six sites
en France. De 15 % à 20 % des
élèves quittent d’ailleurs
la prépa à la fin de la première
année, faute de résultats
suffisants au contrôle continu.
Le temps gagné à ne pas
préparer le concours est utilisé
pour « travailler son projet
professionnel », assister aux présentations des quelque 30 écoles
du réseau réparties sur six sites,
ainsi que de leurs spécialités.
Ce qui permet de choisir
des thèmes de formation plus
ciblés au milieu de la deuxième
année, en cohérence avec les
vœux d’écoles et de spécialités
qui seront faits dans la foulée.
Résultat ? Les 10 % d’élèves
issus de la « prépa des INP »
qui intègrent les écoles du
réseau, à côté de ceux de CPGE
– la grande majorité – et ceux
de classe préparatoire intégrée
pour certains sites « sont des
élèves moteurs dans l’école car ils
savent pourquoi ils sont là », indique Isabelle Schanen. Victime de
son succès, la « prépa des INP » a
reçu, en 2015, 4 000 candidatures
pour seulement 400 places
sur ses différents sites.
La sélection est donc sévère. p
séverin graveleau
Et pourquoi pas une école
juste après le bac ?
80 prépas dites « intégrées » sont accessibles aux bacheliers
C
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Visé Bac +5 / Grade Master / RNCP Niveau I / AACSB Accredited
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Une Valeur sûre
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ESC CLERMONT
onseillère d’orientation
au centre d’information
et d’orientation (CIO)
Mediacom de Paris, Elisabeth Devals a croisé beaucoup de
bacheliers qui hésitent à se lancer
dans des études d’ingénieur parce
qu’ils redoutent la prépa et les
concours subséquents. « Ce sont
des profils parfaits pour les écoles
post-bac avec prépas intégrées »,
assure-t-elle.
Elles sont un peu plus de 80 en
France à proposer une formation
en cinq ans – deux années de
prépa dite « intégrée » et trois ans
de cycle ingénieur – après la terminale. Dans les classements, certaines écoles comme les six instituts
nationaux des sciences appliquées
(INSA) rivalisent même avec des
écoles d’ingénieurs post-prépa.
Mais il n’est pas donné à tous
les bacheliers d’y entrer. En 2015,
sur 13 772 candidats, seuls 2 571
sont parvenus à intégrer un INSA.
« Le nombre de candidats augmente tous les ans », remarque
M’Hamed Drissi, directeur de
l’INSA Rennes. Au concours Geipi
Polytech, commun à 30 écoles
publiques d’ingénieurs, le nombre de candidats a augmenté de
9 % en 2015. Là aussi le nombre
d’admis reste faible : 2 500 sur
14 490 inscrits. En conséquence,
le niveau exigé à l’entrée s’est
élevé. « Un peu plus de 80 % de
nos admis ont obtenu une mention bien ou très bien au bac »,
constate M’Hamed Drissi.
La commission d’admission
du réseau INSA examine le dossier scolaire des postulants :
notes en mathématiques, en
physique-chimie, en anglais,
ainsi que celles du bac de français. « Comme les élèves vont devoir produire un travail régulier,
nous sommes particulièrement
attentifs à leur capacité à fournir
des efforts sur le long terme »,
souligne le directeur de l’INSA
« Nous sommes
particulièrement
attentifs à la
capacité des élèves
à fournir des efforts
sur le long terme »
M’Hamed Drissi
directeur de l’INSA Rennes
Rennes. Les candidats dont le
dossier a été retenu sont ensuite
convoqués pour un entretien.
Les écoles du Geipi Polytech privilégient, elles, le concours pour
recruter leurs étudiants. « Personne n’est éliminé par l’analyse
du dossier. Tous les candidats ont
une chance d’intégrer une de nos
écoles », assure Alain Sarfati, président du bureau du Geipi Polytech. Un tiers des candidats, ceux
dont le dossier est en haut de la
pile, sont convoqués à un oral. Les
deux autres tiers passent un écrit
avec deux épreuves, une de mathématiques, une de physiquechimie, calquées sur le programme du bac. « Des prépas privées
proposent des entraînements aux
bacheliers. Aucune n’est reconnue
par Geipi Polytech. Une bonne
maîtrise du programme du bac et
nos annales suffisent à réussir le
concours », estime Alain Sarfati.
D’autres banques d’épreuves
existent, comme le concours
Puissance 11 qui donne accès à
douze écoles d’ingénieurs postbac ou encore le concours Alpha
qui en regroupe sept. Une
douzaine d’établissements préfèrent conserver leur indépendance et garder leur propre
mode de recrutement.
A vérifier avant de faire son
choix : les équivalences délivrées
par les établissements. « Certaines
écoles n’en ont pas. Si l’élève abandonne en cours de route, il doit reprendre ses études à bac +1 », explique Elisabeth Devals. Le taux
d’insertion des diplômés sur le
marché du travail est un autre
élément de comparaison entre
les écoles à regarder de près. p
angèle guicharnaud
Concours |
0123
Jeudi 28 janvier 2016
En école de commerce,
l’oral fait toute la différence
V
l’approche de l’entretien – est important »,
conseille Elian Pilvin, directeur du développement de l’EM Normandie et membre du jury, pour qui « le gros facteur
discriminant est le niveau de langue ».
« L’oral doit être abordé comme un entretien d’embauche. Les trois premières
minutes sont les plus importantes. L’élève
doit emmener le jury dans une zone de
confort et orienter le choix des questions
sur des sujets qu’il maîtrise. Réciter son
CV ou un discours appris sur le bout des
doigts est contre-productif. Le jury est
attentif à l’ambition du candidat, au savoir-vivre et à sa curiosité. Il ne s’agit pas
de noter son niveau d’expertise dans un
domaine », explique-t-il.
« Un entretien d’admission, ça se prépare
autant que les écrits ! » prévient Geneviève Poulingue, professeure de management et directrice du programme grande
école à la Skema Business School. Le jury
demande aux élèves d’imaginer leur carrière dix ans plus tard, sous la forme d’un
CV projectif : « Il s’agit de vérifier s’ils se
sont renseignés sur les spécificités de
l’école. Ce n’est pas nous qui allons créer
leur projet professionnel. C’est à eux d’être
acteurs de leur formation, sinon le diplôme ne servira à rien sur le marché du
travail. » Pas question d’arriver à l’oral
avec un projet ficelé, mais il faut montrer
au jury qu’une réflexion est engagée.
A l’Essec, un test d’aptitude en mathématiques sous forme de QCM compte
pour un tiers de la note d’oral (coefficient 10). « L’idée est de pouvoir évaluer
| Olivier Thual, président du concours
commun polytechnique, filière maths-physique,
en présente les épreuves, accessibles et « sans pièges »
entretien
O
livier Thual est professeur à
l’INP de Toulouse et président du concours commun
polytechnique (CCP), filière
maths-physique.
la capacité et la rapidité de raisonnement en mathématiques, en français
et en culture générale. Il est conçu pour
que les étudiants ne puissent pas le
terminer. La sélection se fait sur les
mathématiques », assure Anne-Claire
Pache, directrice générale adjointe en
charge de la grande école et des masters
à l’Essec. « Cet exercice nécessite un
entraînement régulier et chronométré. Il
ne s’agit pas d’apprendre par cœur mais
d’en comprendre la logique. »
Ensuite, l’entretien de personnalité,
d’une durée de quarante-cinq minutes,
éprouve la motivation et l’aisance orale
du candidat. « Il ne faut pas exagérer ses
engagements ou embellir la réalité. Le but
est de montrer son potentiel de management. Pourquoi pas à travers des expériences ratées et les enseignements qu’on
en a tirés. La capacité à apprendre de ses
erreurs est un plus », dit-elle. « Des journées gratuites de formation à l’écrit et à
l’oral sont organisées dans la plupart des
écoles, indique Christian Chenel, directeur des programmes de Novancia Business School et délégué général du
concours Atout +3, qui regroupe huit écoles de commerce post-bac. C’est l’occasion
de se renseigner sur les coefficients de chaque épreuve, différents selon les écoles,
pour savoir sur quoi mettre l’accent. Des
sujets types sont disponibles en ligne. S’y
intéresser en amont permet d’être plus
serein le jour J et de mettre en avant cette
démarche lors de l’entretien. » p
Peut-on réussir sans être une « bête
à concours » ?
Il faut bien connaître le corps du programme et s’entraîner. Pour celui qui travaille de cette façon, il n’y a pas d’exercices difficiles, ni de pièges. Le concours
commun polytechnique de la filière
maths-physique, par exemple, sélectionne 1 000 candidats sur quelque 7 000 qui
s’y inscrivent en moyenne. Parmi eux,
4 500 sont admissibles à l’oral, soit environ 70 %. Mais seuls quelque 4 000 se
présenteront, certains préférant se
concentrer sur d’autres concours. Sur ces
4 000, 3 000 auront une proposition
d’une école plus prisée, obtenue par un
autre concours, ou décideront de refaire
un an de prépa. Donc, quand on arrive à
l’oral – et on a 7 chances sur 10 d’y parvenir –, on est quasiment certain d’avoir
une proposition d’école. On manque
d’ingénieurs en France : pour les élèves
sérieux, et motivés, déjà passés par la
prépa, il y a de la place !
Comment les écoles choisissent-elles
leurs étudiants ?
Le classement détermine le choix. Les
élèves établissent une liste de vœux hiérarchisés avant les épreuves. Par la suite,
ils ne peuvent plus en modifier l’ordre,
maxime françois
12 Grandes Écoles de Management
|5
« Sept chances sur dix
de réussir »
Les candidats négligent trop souvent l’entretien. Cette épreuve peut
pourtant départager les concurrents sur la ligne d’arrivée
oici un chèque de 100 000 euros.
Vous n’avez pas le droit de faire
d’investissements spéculatifs,
pas de placements, pas de
voyages. Que faites-vous avec cet argent ? » La question a été posée à Rémi,
20 ans, lors de son oral d’admission à la
Kedge Business School. Le jeune homme
ne s’y attendait pas et a préféré rendre le
chèque aux membres du jury.
Ce type de question a de quoi surprendre des élèves jusqu’alors concentrés
sur les écrits, qui constituent les premiers groupes d’épreuves des différents
concours, qu’il s’agisse des écoles accessibles après une classe préparatoire,
regroupées majoritairement dans la
banque commune d’épreuve (BCE) et
Ecricome, tout comme les écoles postbac, via les concours Sésame, Accès, et
Atout +3, ou sur titre (Passerelle 1 et 2). Et
c’est là que le bât blesse, puisque, peu ou
prou, selon leur filière, ils suivent tous
la même formation pour les écrits.
« Pourquoi notre école plutôt qu’une
autre ? Dans quel secteur voulez-vous travailler ? Si vous aviez une baguette magique, avec qui aimeriez-vous dîner ? Comment êtes-vous perçu dans un groupe ? »
Autant de questions auxquelles il faut se
préparer. « 90 % des élèves sèchent dès
qu’on leur demande de citer trois ministres du gouvernement. Ils sont souvent
déconnectés du monde qui les entoure
après deux ans en prépa ou une année de
terminale à réviser le baccalauréat. Lire
les journaux régulièrement – et surtout à
UNIVERSITÉS
& GRANDES ÉCOLES
comme pour APB. Les écoles n’ont pas
d’autre choix que d’accepter les étudiants classés – sachant que la barre
d’admissibilité est fixée par les 33 écoles.
Elles ont aussi toutes les mêmes coefficients. En revanche, les écoles en banque
d’épreuves pondèrent les notes comme
elles le souhaitent.
Comment se démarquer ?
Nul besoin de se démarquer ! Les CCP
ne cherchent pas les candidats exceptionnels qui, de toute façon, iront dans
les quelques écoles qui leur sont réservées. L’objectif est de s’assurer que ceux
qui sont sélectionnés ont les capacités de
réussir leur scolarité dans les écoles d’ingénieurs – toutes de bon niveau – qu’ils
intégreront. Les épreuves sont conçues
pour récompenser des coureurs de fond
plutôt que des sprinteurs, des connaissances solides plutôt que des performances atypiques, et ce dans toutes les matières. Les sciences humaines par exemple –
français, philosophie, langue – comptent
autant que le reste. Toutefois, depuis
2013, on évalue davantage les compétences telles que la communication ou la
recherche d’informations dans des documents. Il y a une note par compétence, ce
qui permet, d’après les correcteurs, d’évaluer plus justement et de bien cerner les
qualités des candidats. Ainsi, on notera
mieux quelqu’un qui sait très bien expliquer sa démarche, même s’il n’a pas
parfaitement réussi ses exercices. p
propos recueillis par erwin canard
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6|
UNIVERSITÉS
& GRANDES ÉCOLES
| Concours
0123
Jeudi 28 janvier 2016
De nouveaux dispositifs
pour limiter les échecs
en médecine
Dix universités expérimentent des voies qui permettent de contourner
l’écueil de la première année commune aux études de santé (Paces).
Et d’intégrer la deuxième année sans passer le concours
T
rop formatée, véritable usine à gaz qui
laisse sur le carreau
78 % de candidats,
la première année
commune aux études de santé (Paces) est sous le
feu des critiques depuis quelques
années. Elle n’est plus un passage
obligé : dix universités (Angers,
Paris-V, Paris-VII, Paris-XIII,
Rouen, Saint-Etienne, Strasbourg, l’université d’Auvergne,
Poitiers et Tours) expérimentent
des alternatives à la Paces, qui seront évaluées en 2019-2020. Objectif : créer des passerelles pour
entrer directement en deuxième
année d’études de santé, sans
concours, à l’issue par exemple
d’une licence. Le but est de diversifier le profil des étudiants reçus
en deuxième année de médecine, pharmacie, odontologie et
maïeutique, et d’offrir une
alternative aux recalés. Sans renoncer à l’excellence.
A Strasbourg, à la rentrée 2015,
en parallèle de la Paces, la faculté
de médecine a créé une « passerelle d’excellence » pour permettre à des étudiants qui ont validé
une deuxième année de licence
(L2) sciences du vivant d’intégrer
une deuxième année d’études de
médecine, maïeutique, odontologie, tandis que les titulaires
d’une L2 de chimie peuvent pré-
tendre à une deuxième année de
pharmacie. Mais les places sont
limitées : en médecine, 15 places
sur les 232 imposées par le numerus clausus sont réservées à
cette passerelle. Et 31 sur 122 en
pharmacie. « La sélection se fera
sur dossier puis entretien : seuls
les meilleurs pourront être recrutés », prévient Izzie-Jacques Namer, président de la commission
pédagogique du premier cycle.
Ceux qui auront connu un premier échec au concours à l’issue
d’une année de Paces – que l’on
ne peut passer que deux fois –
mais qui auront obtenu la
moyenne aux épreuves pourront
aussi rejoindre le dispositif.
« On veut absolument que les
étudiants aient un diplôme, pour
mettre fin à la “boucherie” de la
Paces », explique le professeur
Arnaud Ducruix, responsable du
projet Alter Paces mis en place à
Paris-V, Paris-VII et Paris-XIII à la
rentrée 2014. Ce dispositif va plus
loin que celui de Strasbourg : il
permet aux meilleurs étudiants
issus de n’importe quelle licence
de ces trois facultés de rejoindre
une deuxième année d’études de
santé, après avoir suivi des modules complémentaires à leur
formation d’origine.
En septembre 2015, les neuf
étudiants qui ont intégré, sur
dossier et après entretien, une
deuxième année au sein de ces
facultés étaient tous issus de licences de biologie-santé mais,
dès la rentrée, ils pourront venir
d’horizons aussi variés que le
droit ou la psychologie. Une cin-
« Le concours
sélectionne des
jeunes brillants,
mais dont les
profils manquent
de diversité »
Jean-Luc Dumas
doyen de l’UFR santé de Paris-XIII
#"2#. -.,
Stages intensifs pour obtenir le Bac S, ES et L avec menion
!,(*%,*! #$ #."(!
Stages et cycles coninus pour la préparaion au concours
&.!0*" !,(*%,*! #$
Stages et cycles de préparaion au concours
,$%,$/"! +*! (*# +* "2)($%
Stages intensifs indépendants et complémentaires
#"2#. ,*'!.
Stages intensifs et cycles coninus pour la préparaion au concours
quantaine d’étudiants suivent
cette année des modules complémentaires dans l’espoir
d’être sélectionnés. « Nous voulons ouvrir le recrutement car le
concours sélectionne des jeunes
certes très brillants, mais dont
les profils manquent de diversité,
et ne correspondent pas toujours
à la grande variété des métiers
de la santé qu’ils exerceront »,
observe Jean-Luc Dumas, doyen
de l’UFR santé de Paris-XIII, qui
souhaite, à terme, ouvrir 30 %
des places de deuxième année à
des étudiants sélectionnés par
ce mode de recrutement dans sa
faculté.
Guillaume
Leydier,
en
deuxième année à la faculté de
médecine de Saint-Etienne, a bénéficié du même dispositif,
après trois ans de prépa, un
échec au concours de vétérinaire
et une licence de biologie. Une
aubaine : « Je rêvais de faire médecine, mais je ne me voyais pas
repartir en première année, en
prenant le risque de me retrouver
sans rien si j’échouais au concours », explique-t-il.
A Angers, la Paces a même été
supprimée. Elle a été remplacée
par « PluriPASS », un parcours
pluridisciplinaire d’accès à la
deuxième année d’études de
santé, mais aussi à des licences
dans le domaine des sciences de
la vie et des sciences humaines,
et même à des écoles d’ingénieurs. « Cette voie d’accès unique
permet une spécialisation progressive et a pour objectif de conduire un maximum d’étudiants à
une licence, sans faire perdre de
temps aux recalés en deuxième
année d’études de santé », dit Isabelle Richard, doyenne de la faculté de médecine d’Angers.
Après avoir échoué au concours l’an dernier, Maxime
Corre s’est inscrit en PluriPASS
cette année. « C’est une bonne
chose de permettre aux étudiants
d’avancer
malgré
l’échec », estime le jeune
homme, qui espère intégrer une
école d’ingénieurs s’il n’accède
pas à médecine. p
françoise marmouyet
A Bobigny, une classe prépa santé
unique en France
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Une prépa unique en France a été lancée en 2012 par l’université
Paris-XIII, à Bobigny. L’année préparatoire aux études de santé
(APES) accueille les bacheliers du département désireux de passer
le concours de la Paces. « Il s’agit de préparer des jeunes qui ne sont
pas issus d’un milieu favorisé en leur donnant toutes les chances
de réussir », explique Brigitte Martin-Pont, responsable du dispositif. Le but est également, à terme, de lutter contre la désertification médicale en Seine-Saint-Denis, en recrutant des candidats locaux dont on espère qu’ils exerceront dans le département.
Une quarantaine d’étudiants ont fait leur rentrée en 2015, encadrés par 30 enseignants – contre 60 pour les 1 200 étudiants de
Paces à Paris-XIII. Au programme : remise à niveau, découverte
des matières médicales et des métiers de la santé, acquisition de
méthodes de travail… A ce jour, deux étudiants du dispositif ont
réussi le concours de la Paces, quelques autres se sont engagés
dans le paramédical. Grâce à un système de passerelles, ceux qui
valident leur année peuvent aussi intégrer des cursus de l’UFR
santé, médecine et biologie humaine (SMBH) de Paris-XIII.
Repères
Le numerus clausus
est le nombre de candidats admis en deuxième
année d’études de santé
(médecine, odontologie,
pharmacie ou maïeutique). En 2014-2015, il était
de 12 803 places
pour 58 567 étudiants inscrits en première année.
Seuls 22 % d’entre eux ont
donc accédé à l’une
de ces quatre filières.
Les pays européens
qui n’appliquent pas le
numerus clausus attirent
les étudiants Français, rebutés par le taux d’échec
très élevé
à un concours auquel
ils ne peuvent se présenter que deux fois. Environ
1 100 d’entre eux étaient
inscrits en Roumanie
pour l’année 2014-2015.
La Belgique et l’Espagne
sont également des
destinations prisées.
Les épreuves classantes nationales (ECN)
déterminent les
affectations en tant
qu’interne à l’issue de la
sixième année de médecine. Les candidats munis
d’un diplôme européen
sont autorisés à les passer
en France. En 2015, ils
étaient 349 sur 9 148
inscrits. Seuls 213 d’entre
eux (soit 61 %) ont finalement choisi un poste
dans l’Hexagone.
Concours |
0123
Jeudi 28 janvier 2016
UNIVERSITÉS
& GRANDES ÉCOLES
|7
Profs : une sélectivité
à géométrie variable
Les concours d’enseignement sont inégalement sélectifs. Le recrutement fluctue
en fonction des impératifs du moment, des disciplines ou des académies
L
es concours enseignants
sont régulièrement soupçonnés de pâtir d’une
baisse de niveau. Des rumeurs ont couru sur les exigences
réduites des jurys, particulièrement ces dernières années, en raison de la crise du recrutement.
Une chose est sûre : ces concours
connaissent une sélectivité très
variable suivant les époques.
Les critiques sur le niveau en
berne visent en fait deux groupes
de concours. D’abord celui de professeur des écoles, dans les acadé-
En Seine-SaintDenis en 2015,
il a fallu un second
concours pour
pourvoir 500 postes
de professeurs des
écoles qui n’avaient
pas trouvé preneur
mies où l’on peine à recruter. A la
différence de leurs collègues du
secondaire, qui passent un concours national et peuvent être affectés partout en France, les enseignants du primaire passent des
concours académiques et postulent dans un département. Or, les
territoires sont très inégalement
attractifs. Les académies de Rennes ou de Nice sont prisées, celles
de Créteil ou de Reims boudées.
En Seine-Saint-Denis, le département le plus pauvre et le plus
jeune de France, rattaché à l’académie de Créteil, il a fallu organiser
un second concours en 2015 pour
arriver à pourvoir tous les postes :
500 n’avaient pas trouvé preneur
à l’issue du concours « normal ».
La ministre de l’éducation, Najat
Vallaud-Belkacem, s’est ensuite félicitée du « bon niveau de recrutement » des 500 nouveaux reçus.
Mais cela n’a pas éteint les
craintes d’une notation trop indulgente. « Il est impossible de tirer des conclusions tranchées, estime Stéphane Crochet, chargé de
ces questions au syndicat SEUNSA. Des candidats recalés de
Bordeaux ou de Toulouse sont venus passer le second concours de
Créteil. Or, ces académies sont extrêmement sélectives, et certains
avaient un meilleur niveau que
des reçus au concours “normal” de
Créteil. » En 2015, selon les statistiques officielles, 63,8 % des candidats ayant concouru aux épreuves d’admission ont été reçus à
Créteil, contre 27 % à Bordeaux et
22,3 % à Toulouse.
Les autres concours visés sont,
dans le secondaire, les capes des
disciplines souffrant d’une crise de
vocations. Il s’agit avant tout des
mathématiques, dont les étudiants privilégient des débouchés
jugés plus prometteurs, et dans
une moindre mesure de l’anglais,
de l’allemand, ou des lettres classiques. En maths, des candidats seraient admissibles avec des notes
très basses. Il n’est toutefois pas sûr
que les jurys soient si laxistes : les
enseignants du secondaire sont
très attachés à leur discipline et on
les voit mal brader les concours.
En 2014, 41 % des postes en maths
sont d’ailleurs restés vacants.
Historien de l’éducation, Claude
Lelièvre juge absurde de parler de
« baisse de niveau ». « Il y a encore
dix ans, rappelle-t-il, avant la ré-
forme qui a fait obligation aux
profs des écoles d’avoir un master
comme dans le secondaire, ils
étaient recrutés au niveau licence.
Comment évoquer une baisse de niveau s’ils ont un diplôme bac + 5 ? »
Au fil des ans, la sélectivité des
concours n’a cessé de varier au gré
des impératifs du moment, poursuit l’historien : « Lorsque l’Etat décrète que 80 % d’une classe d’âge
ira jusqu’au bac, il recrute en masse
des profs du secondaire. Deux ans
plus tard, c’est fini. » Mais il insiste
sur la raison d’être de ces concours : ils ont été créés pour empêcher tout favoritisme de la part
des chefs d’établissement. « Et là,
ça fonctionne », ajoute-t-il. p
véronique soulé
Touche pas à l’agrég
L’agrégation, qui fête cette année ses 250 ans, est au cœur d’une polémique. Le 13 novembre 2015, le secrétaire d’Etat chargé de l’enseignement supérieur et de la recherche, Thierry Mandon, a annoncé son
intention de réserver jusqu’à 15 % des places aux titulaires de doctorat à l’issue d’un concours qui leur serait réservé. Le gouvernement
souhaitait s’engager ainsi à améliorer l’insertion des docteurs, malaimés en France, où les entreprises, mais aussi la fonction publique,
préfèrent les diplômés des grandes écoles. Le secrétaire d’Etat s’est
cependant heurté à un tir de barrage de la part des syndicats enseignants et de la société des agrégés. Certains craignent que ces 15 % ne
réduisent d’autant le nombre des postes proposés par la voie classique. D’autres déplorent le fait que ces futurs agrégés venus de l’université n’auront jamais appris à enseigner.
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Six épreuves écrites, six épreuves d’admission, dont un entretien face
à un jury de sept personnes : le recrutement de l’Ecole nationale
de la magistrature a de quoi donner des sueurs froides
D
ifficile de faire des
impasses. Droit civil, droit pénal,
compositions, cas
pratiques : toutes les branches du droit sont abordées.
« Aucun cours de droit n’est
dispensé dans l’école, donc il
faut que ces matières soient
maîtrisées en amont du premier concours, celui qui est réservé aux étudiants titulaires
au moins d’un master 1 en
droit », explique Xavier Ronsin, directeur de l’Ecole nationale de la magistrature (ENM).
La composition de culture
générale est l’épreuve la plus
redoutée pour l’admissibilité.
« Les étudiants en droit n’y
sont pas habitués », constate
Pascale Martin-Bidou, directrice des études en charge de
la préparation à l’ENM au
sein de l’Institut d’études ju-
« Nous cherchons
de belles
personnalités,
des gens qui peuvent
faire preuve
d’empathie, d’écoute »
Xavier Ronsin
directeur de l’Ecole nationale
de la magistrature
diciaires (IEJ) de l’université
Paris-II
(Panthéon-Assas).
Cette dissertation permet de
jauger la capacité des candidats à interroger le thème
proposé. « Ce n’est pas tant la
réponse qu’une façon de penser qui va être évaluée. Il faut
éviter les poncifs, bien problématiser et faire preuve d’une
réflexion originale », précise
Xavier Ronsin.
Pour rassurer ses 300 étudiants, l’IEJ de Paris-II y consacre six heures hebdomadaires. « Nous avons aussi
ajouté cette année un cours
de géopolitique, car le rapport du jury faisait état du
manque de connaissances
des candidats dans ce domaine », ajoute Pascale
Martin-Bidou.
L’IEJ a également innové
dans la préparation à l’épreuve
orale. Depuis deux ans, une
comédienne dispense des
cours de communication aux
étudiants. « C’est une façon de
leur donner confiance en eux
pour qu’ils soient le plus naturels possible », assure Pascale
Martin-Bidou. Le jury, composé de sept personnes dont
un psychologue, évalue le savoir-être des candidats au
cours d’entretiens individuels
et collectifs.
« Nous cherchons de belles
personnalités, des honnêtes
hommes et femmes du
XXIe siècle qui peuvent faire
preuve d’empathie, d’écoute,
des qualités essentielles pour
être en contact avec les victimes et les prévenus », souligne Xavier Ronsin. Depuis
2009, les candidats doivent
également se soumettre à un
test d’aptitude et de personnalité sous forme de QCM
ainsi qu’à un rendez-vous
avec un psychologue. Ce dernier émet un avis qui aide le
jury à apprécier la personnalité des candidats.
Pour préparer le concours
d’entrée à l’ENM, les étudiants ont l’embarras du
choix. Aux 47 IEJ de France,
s’ajoutent trois prépas « égalité des chances » proposées
par l’ENM et deux formations dispensées par les instituts d’études politiques
(IEP) d’Aix-en-Provence et de
Paris. De nombreuses prépas
privées existent également.
« Des formations chères et de
niveau très variable », estime
le directeur de l’ENM. Certains candidats cumulent IEJ
et prépa privée, avec le risque
de « s’essouffler avant l’arrivée, prévient Pascale MartinBidou. Cela permet de multiplier les entraînements, mais
ne laisse pas toujours le
temps de réviser les connaissances. »
Point positif pour les candidats : depuis 2012, chaque année, davantage de places
sont ouvertes. Le nombre
d’admis au premier concours est passé de 153
en 2011, à 181 en 2012 et 245
en 2015, dans le plan de lutte
contre le terrorisme. Avec
366 admis tous concours
confondus (y compris celui
réservé à la fonction publique et celui destiné aux personnes ayant plus de
huit années
d’expérience
professionnelle dans le
privé), la promotion 2016 est
la plus importante depuis la
création de l’école, en 1958.
Mais le concours reste sélectif : 11,67 % des candidats ont
été admis au premier concours en 2014. p
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Source : rapport d’activité 2013 URSSAF Rhône-Alpes • © photo : CEG Studio •
Le marathon du concours
de la magistrature
8|
UNIVERSITÉS
& GRANDES ÉCOLES
| Concours
0123
Jeudi 28 janvier 2016
TINO
Des prépas privées, pour quelle utilité ?
La multiplication des concours s’accompagne d’une prolifération d’offres de préparation. Le plus souvent privées… et onéreuses
D
ans le sillage des concours
donnant accès à une
multitude de formations, les prépas privées se répandent à
toute vitesse. Si certaines d’entre elles sont bâties sur le
modèle des classes préparatoires aux
grandes écoles à temps plein, d’autres se
contentent de proposer un « soutien »
ponctuel ou quelques heures de cours
par semaine.
« Ces organismes sont de plus en plus
actifs, confirme Isabelle Auber, conseillère chez Fabert, un centre d’orientation qui propose aussi un moteur de
recherche des établissements privés –
lequel recense des centaines de « préparations » aux examens et concours,
et ce dans tous les domaines. Partout
où la sélection est draconienne, les “prépas” s’imposent. C’est un marché en
pleine croissance, dont l’émergence répond à l’inquiétude des parents, mais
aussi à la diversité accrue des modes de
sélection. »
Ces prépas sont toutes payantes, et
parfois très chères. Pour une formule à
temps plein, il faut compter en général
autour de 5 000 euros par an. Mais
certains cours intensifs peuvent facilement dépasser les 10 000 euros, voire
12 000 euros annuels. Certains candidats n’hésitent pas à cumuler prépa
privée et cours du soir – par exemple
pour viser les écoles de commerce les
plus cotées. L’addition totale peut alors
atteindre plusieurs dizaines de milliers
d’euros par an…
« En France, le principe du concours est
bien accepté, parce qu’il est paré des
vertus de la méritocratie, analyse le sociologue François Dubet. Mais il débouche sur un essor des prépas privées qui,
elles, n’ont rien de méritocratique. Même
si elles coûtent cher, on se dit que le jeu en
vaut la chandelle… Ce phénomène participe de la privatisation rampante de
Pour une formule
à temps plein,
comptez environ
5 000 euros annuels.
Mais certains cours
intensifs dépassent
les 12 000 euros
l’enseignement supérieur. Il existe aujourd’hui un nombre croissant de formations privées, qui génèrent à leur tour
des prépas privées. Mais comment critiquer leur existence si, de son côté, le
secteur public ne propose pas une formation de qualité ? Au bout du compte,
cela pose la question du financement de
l’éducation. »
La vogue de ces « prépas » est tout particulièrement marquée pour l’accès à
deux domaines : la fonction publique
(métiers de bibliothécaire, de travailleur
social, etc.) et le secteur de la santé. En ce
qui concerne les études de médecine, il
devient même très difficile d’en entreprendre sans passer par une prépa. Des
prép art
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8,('45--#3#2, $%#2-#5!2#3#2, -*0:.5#*. 0.5): 4:!(4#3#2, 1*)#., (*0.6- $* +#&,1.(,/
établissements spécialisés, comme Médisup, ont pris position sur ce créneau,
avec une large gamme de programmes.
Certaines écoles d’infirmiers ont même
monté leur propre cycle préparatoire. Le
groupe Ecole supérieure de commerce
(ESC) Troyes, par exemple, propose une
série de prépas santé et social, pour les
concours d’entrée dans les écoles de psychomotriciens, d’orthoptistes, d’audioprothésistes, de podologues ou de travailleurs sociaux. « Le plus souvent, ces
écoles n’offrent que quelques dizaines de
places pour des milliers de candidats. La
sélection y est donc draconienne, explique Christine Vitalis, la directrice des
prépas santé-social du groupe. Mais
elles délivrent un diplôme d’Etat et
garantissent un emploi quasi assuré à la
sortie. Aussi attirent-elles un grand
nombre de jeunes. » Sans compter que,
si cette formation est payante (autour
de 3 700 euros pour le paramédical à
l’ESC Troyes), les écoles d’infirmiers et
de travailleurs sociaux, elles, sont
publiques et gratuites.
N’importe qui peut aujourd’hui ouvrir
sa prépa, à peu près sans contrôle. A côté
de structures ayant pignon sur rue,
d’autres se lancent parfois sans aucun
élève, ou n’offrent aucune garantie… A
l’ESC Troyes, les prépas santé et social,
toutes à plein temps, affichent des taux
de réussite bien supérieurs à la
moyenne nationale. « Nous bénéficions
d’une solide notoriété dans le secteur,
grâce à notre ancienneté », assure
Christine Vitalis. « Dans l’ensemble, les
abus sont rares, estime de son côté
Isabelle Auber. De toute façon, si le taux
d’admission n’est pas à la hauteur, cela
se sait très vite. »
Quelques institutions publiques tentent cependant de prendre contre-pied
de la tendance. Ainsi l’Ecole nationale
de la magistrature (ENM) a-t-elle lancé
des prépas « Egalité des chances », entièrement gratuites, à Paris, à Bordeaux
et à Douai. « C’est une façon de rester fidèles à nos valeurs d’école républicaine,
souligne Xavier Ronsin, le directeur de
l’ENM. Pour un concours qui sélectionne
de futurs juges et procureurs, il est normal que les lauréats présentent la même
diversité que la population – sur le plan
social comme sur celui des territoires. »
Ces cursus accueillent au total 45 élèves
– 6 places sont en outre réservées à des
candidats de Nouvelle-Calédonie et de
Guyane. Le taux de réussite (plus de
20 %) au « premier concours », réservé
aux étudiants, est largement supérieur
à celui des prépas privées et des instituts d’études juridiques (IEJ) créés par
les universités. La même démarche a
aussi été tentée par l’Ecole nationale de
l’administration (ENA) – avec un succès
tout mitigé : seuls quelques candidats
ont intégré l’école, mais plusieurs dizaines d’entre eux ont réussi un autre
concours de la fonction publique.
Ce type de dispositifs ne suffira pourtant pas à inverser la tendance. « Un
nombre croissant d’étudiants, soucieux
de mettre toutes les chances de leur côté,
se croient obligés de s’inscrire en même
temps dans un IEJ et dans une prépa
privée, déplore Xavier Ronsin. On aboutit ainsi à une forme de sélection par
l’argent. Sans compter que, si la plupart
de ces “prépas” font du bon travail,
d’autres, même cotées, sont à la limite de
l’escroquerie. » p
jean-claude lewandowski
« J’ai eu le regard critique qui me manquait »
MARIANNE MAUCLAIR, étudiante
de 19 ans, explique son choix
d’une prépa publique d’arts
appliqués à Saint-Brieuc.
« Après avoir obtenu mon
bac en arts appliqués, j’ai effectué
une année d’études à l’université
Rennes-II en arts plastiques
pour rentrer aux Beaux-Arts
de Bretagne. A la fin de l’année
scolaire, j’ai passé les concours
sans succès. Mais, lors de l’oral,
le jury m’a conseillé
de faire une année de prépa.
Cette même année, des
amis ont réussi à intégrer
des écoles après une année
de prépa. Tout cela m’a décidée
à postuler.
J’ai envoyé mon dossier à
la prépa de l’école des Beaux-Arts
Emile-Daubé, à Saint-Brieuc.
J’ai été sélectionnée pour l’oral.
Il s’agit avant tout d’une discussion
sur nos travaux personnels
et sur nos centres d’intérêt.
J’ai notamment pu parler du fait
que j’avais fait du bénévolat
dans des festivals. L’essentiel
est de faire sentir que l’on est
curieux et ouvert.
Il faut aussi montrer qu’on
a un projet professionnel en tête,
et qu’on a une idée des écoles
que l’on souhaite intégrer
à la fin de l’année. C’est mieux
d’y avoir réfléchi, même s’il
reste possible de changer d’avis
en cours de formation.
Grâce aux cours pratiques très
variés que nous suivons par
demi-classe (sculpture, modelage,
gravure, techniques photographiques…), j’ai fait des progrès
impressionnants. Quand je
regarde mes travaux de septembre et ceux d’aujourd’hui,
je me rends compte que cela
n’a rien à voir.
Bilan trimestriel
La prépa, c’est aussi un suivi
personnalisé. Chaque semaine,
avec quatre autres élèves et
un professeur, nous discutons
du projet individuel que nous
menons tout au long de l’année.
C’est l’occasion de prendre
de la distance avec son travail
et de réfléchir à de nouvelles
approches. Comment aller
plus loin ? Comment y intégrer
une autre technique ? C’est
justement ce regard critique,
ce recul qui me manquait l’année
précédente, quand je préparais
les concours seule.
Chaque trimestre, nous
faisons également un bilan
devant des professeurs et un
artiste invité pour l’occasion.
C’est un très bon entraînement
à l’épreuve orale. On a beau avoir
un superbe projet, si on ne sait
pas le présenter, le défendre,
l’expliquer, on perd des points.
Des artistes viennent également
dans le cadre d’ateliers. Pendant
trois jours, ils nous font travailler
sur un thème particulier.
C’est intensif mais très riche. Cela
peut ressembler aux mises
en situation parfois demandées
lors des concours.
En ce qui concerne le choix
d’une école, nos professeurs
nous aident à nous orienter.
Les rencontres avec des artistes
qui enseignent dans d’autres
écoles des Beaux-Arts sont
également des occasions de leur
poser des questions sur ces établissements, leurs spécialités,
leurs méthodes pédagogiques.
J’ai aussi visité quelques écoles
pour être sûre que l’ambiance
me plaît.
La plupart des Beaux-Arts
ont leur propre concours,
il ne faut pas trop se disperser.
Après avoir étudié l’offre
de différentes écoles, j’ai choisi
de passer cinq concours cette
année. Principalement pour
entrer dans des écoles publiques,
qui offrent beaucoup de possibilités. Elles sont de bon niveau
et restent abordables du point
de vue financier. » p
propos recueillis par
angèle guicharnaud
Concours |
0123
Jeudi 28 janvier 2016
UNIVERSITÉS
& GRANDES ÉCOLES
|9
admissions parallèles : témoignages
2 100 euros de frais
pour passer
sept concours
Se présenter aux épreuves revient parfois à faire
le tour de France. Et la facture est lourde
P
asser les concours coûte
cher. Roxane Baduel y a
consacré un budget total
d’« environ 2 100 euros »,
en 2014. Elle a passé les écrits dans
trois écoles de commerce du
concours Ecricome et dans treize des
vingt-trois écoles de la banque commune d’épreuves (BCE). Les oraux,
passés dans sept écoles de commerce d’autant de villes (Strasbourg,
Paris, Montpellier, Rennes, Pau, Bordeaux et Dijon), lui ont fait faire « un
véritable tour de France en train ». Sachant que certaines écoles offraient
un repas et qu’elle a choisi des hébergements chez des étudiants des
campus « en déplacement, en stage
ou à l’étranger », qui lui ont loué leur
chambre « 10 à 20 euros la nuit ».
Logistique des jours J
Rares sont les concours gratuits,
hormis ceux de la fonction publique.
Pour valider une candidature en écoles de commerce, d’ingénieurs, d’art
ou de journalisme, il faut souvent
s’acquitter de frais de dossier, qui
couvrent – d’après les responsables
des admissions – organisation des
épreuves et correction des copies.
Les tarifs varient beaucoup. Comptez 60 euros pour les trente écoles
d’ingénieurs du concours Geipi-Polytech, 40 euros pour les Beaux-Arts de
Nantes, 150 euros pour Sciences Po
Paris et 315 euros (hors épreuves orales) pour les douze écoles de commerce du concours Passerelle. Pour
la BCE (vingt-trois écoles), la facture
dépend des établissements choisis.
En cas de désistement, inutile d’espérer un remboursement. En revanche, les boursiers bénéficient de réductions, voire d’une exonération
des frais d’inscription.
Reste à prévoir la logistique des
jours J. Certains instituts d’études politiques ont mutualisé leurs épreuves, ce qui permet de limiter les déplacements. Les instituts régionaux
d’administration (IRA) organisent
leurs écrits dans une vingtaine de
centres. Une fois admissibles, les
candidats devront toutefois se rendre dans l’un des cinq IRA choisis
pour passer les oraux. Dans les écoles de commerce, cette étape peut se
transformer en véritable marathon.
Roxane Baduel, aujourd’hui à l’EM
Strasbourg, ne le regrette pas. « Ce
tour de France m’a permis de conforter mon choix en découvrant les campus et en rencontrant des étudiants.
Nos profs de prépa nous conseillaient
même de rester deux jours sur place
pour avoir le temps de faire le point. »
A condition d’anticiper, pour réduire
la facture des hébergements. A
condition aussi d’avoir des parents
qui peuvent aider à la payer. p
aurélie djavadi
acoustique
« Mes profs m’ont « Pour HEC,
parlé de cette voie j’ai révisé à fond
d’accès aux ENS » six semaines »
« Les épreuves
de l’X sont un peu
déroutantes »
Erkan Narmanli, 21 ans, a été admis
sur dossier à l’Ecole normale supérieure
d’Ulm en mathématiques en 2014
David Ouakil, 25 ans, est entré
à HEC par le concours
d’admission parallèle en 2015
Loïc Richier, 26 ans, entré
à Polytechnique après une licence
de maths, en est sorti major en 2013
Poussé par
ses profs
de terminale
à s’inscrire
en classe
préparatoire,
Erkan Narmanli
ne s’y est
pas plu. Après
DR
un an, ce passionné de maths
a préféré se réorienter vers la fac.
Mais ce choix ne lui a pas fermé
la porte des grandes écoles. « A l’université Pierre-et-Marie Curie, des enseignants formés à Normale-Sup m’ont
parlé des admissions sur dossier à Ulm
et à Lyon. » Lors de son entretien
à Paris, il a parlé de son envie de faire
de la recherche et des sujets qui
l’intéressaient. « Parmi les candidats,
certains étaient déjà passés par
deux ans de prépa. » A-t-il été difficile
de trouver sa place dans la promotion ? « On m’avait dit que les premiers
admis sur dossier n’avaient pas
toujours été bien vus, et que ce n’était
pas la voie royale. Mais ce n’est pas
du tout ce que je vis, je suis très bien
intégré dans l’école », assure Erkan.
Pour preuve, il a été élu dès son
arrivée au bureau des élèves. Et apprécie l’enseignement en phase avec
les dernières avancées scientifiques.
« A côté des cours en amphi, plus académiques, on participe à des travaux
de recherche en groupe. Je m’amuse
beaucoup », conclut-il. p a. dj.
Créer son
entreprise ?
La perspective
avait toujours
fait rêver David
Ouakil. Mais
c’est durant ses
études à l’Ecole
nationale
supérieure des
DR
arts et métiers,
à Paris qu’il s’est mis à y penser
sérieusement. « En m’investissant
dans des associations du campus, j’ai
réalisé que j’aimais mener des projets
de A à Z, avec une certaine indépendance », raconte-t-il. Sur le modèle
des conférences TED, il a organisé
avec dix autres étudiants une grande
rencontre avec des économistes
et des personnalités du numérique.
En dernière année, il a opté pour
une spécialité en entrepreneuriat.
Utile, mais « pas suffisant pour créer
sa boîte dès la sortie de l’école ».
Il a alors décidé de tenter sa chance
au concours d’admission directe
d’HEC. « J’ai révisé à fond pendant
quatre à six semaines. En revanche,
le format des épreuves ne m’a pas trop
surpris car cela ressemblait aux oraux
des écoles d’ingénieurs que j’avais
passés en fin de prépa. » Comme tous
les lauréats de cette voie d’admission
parallèle, il a dû repasser des matières
telles que statistiques ou comptabilité, à côté de son master. Un défi
relevé sans stress. p a. dj.
A l’heure du bac,
Loïc Richier
n’avait pas
de projet précis.
Peu tenté par
une prépa, il opte
pour une licence
de maths à Nancy
et commence
DR
à s’intéresser
à la recherche. Et
si Polytechnique lui offrait un tremplin
vers ces carrières ? Ses profs lui soufflent
l’idée et l’aident à préparer le concours
réservé aux universitaires, en parallèle
des cours et des partiels. « Les épreuves
sont un peu déroutantes car on n’est
pas habitué à passer des oraux à la fac »,
dit-il. Sceptique sur ses chances
de réussite, ce passionné de probabilités
postule dans d’autres programmes
universitaires. Mais c’est bel et bien
à l’X qu’il fait sa rentrée en 2010. « Il m’a
fallu reprendre des matières comme
la physique, ce qui ne m’enchantait
pas au départ, mais j’en ai vite vu
les bénéfices », assure-t-il. Malgré une
différence de rythme entre la licence
et la grande école, Loïc s’est accroché. Au
point de sortir major de sa promotion
en 2013 ! « De la qualité des cours aux
infrastructures, j’ai bénéficié d’un environnement exceptionnel, et de beaucoup
de conseils pour mes stages. » Aujourd’hui en deuxième année de thèse
à l’ENS Lyon, il partage volontiers son
expérience avec les étudiants en licence
à Nancy. Pour les encourager. p a. dj.
Concours commun à
30 Écoles d’Ingénieurs
publiques post bac
aéronautique
agroalimentaire
automobile
biologie
électronique
énergie
environnement
finance
génie civil
informatique
Terminales S
logistique
2 800 places
matériaux
Terminales
STI2D-STL
300 places
mécanique
optique
santé
télécoms
topographie…
Diplômes
habilités par la
Commission des
Titres d’Ingénieur
AgroSup et ESIREM à Dijon | EEIGM, ENSGSI et ESSTIN à Nancy
ENIT Tarbes | ENSIM et ESGT au Mans | ESIROI La Réunion
Esisar Valence | ISAT Nevers | ISEL Le Havre | ISTIA Angers
ISTY Mantes-Vélizy | SupGalilée Paris | Télécom Lille
Télécom Saint-Étienne | Les 13 écoles du réseau Polytech :
Annecy-Chambéry, Clermont-Ferrand, Grenoble, Lille, Lyon, Marseille,
Montpellier, Nantes, Nice Sophia, Orléans, Paris-Sud, Paris-UPMC, Tours.
www.geipi-polytech.org
10 |
UNIVERSITÉS
& GRANDES ÉCOLES
| Concours
0123
Jeudi 28 janvier 2016
Petit guide pour parents
de candidats malheureux
Que faire et que dire pour accompagner un adolescent
qui n’a pas réussi ses concours ? Des spécialistes répondent
CONCOURS
COMMUNS
2016
L
e couperet est tombé, le
concours est raté. Si,
pour le candidat, la pilule est dure à avaler, les
parents se retrouvent eux aussi
dans une situation délicate.
Comment accompagner son enfant tout en restant à sa juste
place ? C’est-à-dire ni trop près,
au risque de l’étouffer, ni trop
loin, au risque de lui donner le
sentiment que sa déception leur
importe peu. Une posture acrobatique, comparable « au moment de l’apprentissage de la
marche : les parents doivent
adopter une attitude présents-absents », analyse le Dr Jean-Philippe Gueguen, chef du service
de psychiatrie des adolescents de
l’hôpital Simone-Veil d’Eaubonne-Montmorency (Val-d’Oise).
Pour le professeur Philippe
Gutton, psychiatre et psychanalyste, fondateur de la revue Adolescence, le temps constitue un
allié de choix dans le processus.
« Rien ne sert de chercher à analyser l’échec à chaud, le jeune ne
sera pas réceptif. Mieux vaut
prendre du champ en partant
quelques jours en vacances, par
exemple. » Car, comme le souligne le professeur Daniel Marcelli,
psychiatre et coauteur de L’Etat
adolescent. Miroir de la société
(Armand Colin, 2013), « le processus de renoncement demande au
moins un à trois mois ».
Ce temps de « deuil » offre l’occasion aux parents d’accueillir
la tristesse de leur enfant. Il
convient alors de faire attention à
sa posture – une écoute affectueuse – comme aux mots choisis. « Il ne faut ni dramatiser la situation ni la minimiser, préconise
Séverine Goudin, coach d’orientation et thérapeute. Le mot
« Le mot “échec”
me semble
à proscrire
tant il est lourd
et définitif »
Séverine Goudin
coach d’orientation et thérapeute
“échec” me semble à proscrire tant
il est lourd et définitif. On ne parle
pas d’un naufrage, mais d’une
“non-réussite” à un instant T. »
Puis vient le temps de la réassurance. Forcément ébranlé dans
ses capacités, l’élève a besoin
d’être rasséréné, d’autant que
« certains échecs débordent le
problème du moment », souligne
Philippe Gutton, pour aboutir à
une remise en cause générale.
Car « le jeune peut être tenté de relire tout son parcours à l’aune de
ce trébuchement. » Aux parents
de mettre en exergue ses qualités pour aider à la restauration
de l’estime de soi. « Ils peuvent
aussi insister sur le fait – même
s’il est difficile pour l’adolescent
de l’entendre à ce moment-là –
que cette expérience de vie est
plus formatrice qu’un succès »,
suggère Séverine Goudin.
Une fois les plaies pansées, on
peut alors analyser les causes du
« loupé ». Est-il dû à un manque
de travail ? A une mauvaise
gestion du stress ? Les parents
aussi peuvent s’interroger : « Ce
concours, est-ce vraiment le jeune
qui désirait le passer ou bien plutôt eux ? » interroge malicieusement Daniel Marcelli. Il souligne
que « de nombreux adolescents ne
se sentent investis positivement
que s’ils empruntent la voie choisie pour eux par leurs géniteurs ».
Une fois la question de la motivation clarifiée, il convient d’élaborer un plan d’action. Repasser le
(ou les) concours, ou bifurquer.
Quelle que soit l’option choisie,
« au jeune d’être moteur, tout en
étant soutenu par ses parents. »
Ni de trop loin, ni de trop près… p
joséphine lebard
Quand les étudiants craquent
Le Relais étudiants lycéens de Paris propose un accueil psychologique
et pédagogique spécifique pour les élèves surmenés
P
ENTREZ EN 1re ANNÉE
SAM. 28 MAI 2016
Inscriptions du 4 fév. au 21 avr. 2016
ENTREZ EN 2e ANNÉE
SAM. 19 MARS 2016
Inscriptions du 7 jan. au 25 fév. 2016
© www.pollenstudio.fr
Renseignements et inscriptions
www.sciencespo-concourscommuns.fr
our Etienne, le déclic a
eu lieu pendant un
devoir. Elève en prépa
lettres et sciences sociales au lycée Henri-IV à Paris, il a
depuis quelque temps « des douleurs au ventre et au dos, des difficultés à dormir et à [se] concentrer, des notes catastrophiques,
plus seulement en maths, mais
dans toutes les matières ». Ce
jour-là, il rend « carrément copie
blanche ».
Un enseignant lui parle alors
du Relais étudiants lycéens de
Paris qui propose, depuis plus de
dix ans, un accueil psychologique et pédagogique spécifique
aux étudiants de classes prépa
surmenés. Pour Etienne, qui
choisira finalement de « cuber »
sa prépa puis d’entrer à Sciences
Po Paris, l’accompagnement, limité habituellement à six séances, va s’étaler sur quatre ans.
Comme lui, environ 250 élèves
et étudiants poussent chaque année les portes du Relais étudiants lycéens de Paris, dans le
13e arrondissement, qui dépend
de la Fondation santé des étudiants de France. Parmi eux,
30 % à 40 % viennent de prépas.
Un chiffre à relativiser, compte
tenu des quelque 15 000 élèves
en prépa à Paris. Le relais entretient des relations avec les établissements les plus prestigieux
de la capitale : Henri-IV, Louis-leGrand, Saint-Louis, Janson-deSailly, etc. Des établissements
soucieux de leur image, mais
également du bien-être de leurs
élèves, soumis à de fortes exigences de rendement scolaire.
« Dans 90 % des cas, ces jeunes
arrivent devant notre équipe pluridisciplinaire [médecin, psychologue et enseignant] en disant
“plus rien ne va”, sans pouvoir détailler davantage leur inconfort »,
commente le Dr Dominique
Monchablon, psychiatre et chef
de service du Relais. Troubles du
sommeil, fatigue matinale, mala-
dies à répétition, douleurs physiques, tristesse, isolement et,
pour finir, absentéisme. Ces troubles anxieux et dépressifs, « s’ils
ne veulent pas dire obligatoirement “dépression” », sont toujours pénalisants pour les performances scolaires. Ils entament
les capacités de concentration, de
mémorisation et de sens logique,
dans une « spirale négative » du
« je suis déprimé, donc lent ; j’ai
de mauvais résultats, donc je
prends sur mon temps de sommeil pour travailler ; je suis alors
encore plus fatigué et lent, etc. »
Hiérarchiser les priorités
Rythme de travail soutenu, premières mauvaises notes pour
des élèves habitués à être premiers de la classe, adaptation à
la vie parisienne pour les provinciaux, pression de la famille :
les raisons de décrocher sont
multiples. Maladie, décès familiaux, difficultés amoureuses ou
sexuelles, « le rythme de la prépa
ne permet parfois pas d’absorber
les péripéties de vie de tout un
chacun », commente Christophe
Ferveur, psychologue. Lors des
entretiens, qui durent environ
une heure, l’équipe s’attache
donc à « montrer l’articulation »
entre les difficultés scolaires rencontrées à un moment précis,
ces « péripéties de vie », et les
troubles psychologiques.
Pour Etienne, la prise de conscience a été immédiate. « Dès la
première réunion avec l’équipe,
j’ai compris que mes difficultés
scolaires et physiques étaient en
grande partie liées. Mais aussi
que j’avais petit à petit supprimé
de ma vie tous mes loisirs », analyse-t-il aujourd’hui, à 25 ans.
L’équipe est là pour aider l’élève
à hiérarchiser les priorités, à
comprendre si certaines activités abandonnées étaient nécessaires à son équilibre. Sans jamais remettre en cause la prépa
en tant que telle, ni le projet de
l’élève. « Nous travaillons surtout
sur les représentations que l’individu a de la prépa, des concours,
de la pression que lui met ou non
sa famille », commente Catherine Brébant, psychologue. Pour
l’amener à relativiser.
Pour deux tiers des élèves, ces
entretiens psychologiques, couplés à des ateliers pédagogiques
avec un enseignant, suffisent à
retrouver le chemin de la sérénité, voire des performances scolaires. Pour le tiers restant, ceux
pour qui la prépa aurait révélé
des fragilités psychologiques latentes, une stratégie thérapeutique extérieure peut être envisagée : relaxation, psychothérapie
et, en dernier recours, traitement
médicamenteux. p
séverin graveleau
Signaux d’alerte
Fatigue Elle se manifeste
sous la forme d’un sentiment
d’épuisement quotidien,
matinal, avec des réveils
précoces.
Douleurs physiques
Troubles musculaires ou encore
douleurs d’estomac persistantes
peuvent avoir un impact
important sur les résultats.
Découragement Inquiétezvous si ce sentiment est
profond, quotidien et durable.
Absentéisme « Un élève
de prépa qui choisit de rater un
cours est un étudiant qui ne va
pas bien », rappelle Dominique
Monchablon, psychiatre.
Perte du plaisir Elle
peut concerner la vie scolaire,
amicale, amoureuse ou
familiale.
Concours |
0123
Jeudi 28 janvier 2016
UNIVERSITÉS
& GRANDES ÉCOLES
| 11
Un système qui produit des perdants
S’il est censé garantir justice et équité, le concours assure avant tout la reproduction sociale des élites,
soulignent certains sociologues. L’excellence qu’il symbolise est définie de façon trop étroite
L
e concours est le joyau de la méritocratie
scolaire à la française : anonyme, avec
des épreuves identiques pour tous, il garantit justice et équité pour distinguer
ceux qui formeront l’élite de la nation. Pourtant,
cette méritocratie dont notre pays est si fier est
loin d’être parfaite. Elle peine à s’ouvrir et échoue
à représenter la diversité de la société.
Il est toujours délicat de critiquer les concours en France. Leurs contempteurs sont
d’emblée accusés de vouloir détruire « un système qui marche » dans un enseignement supérieur mal en point. Ils sont aussi soupçonnés de relents de gauchisme en préférant, au
nom d’un égalitarisme de masse, un nivellement par le bas à l’excellence de quelques-uns.
Richard Descoings, ex-directeur de Sciences
Po décédé en 2012, qui n’était pourtant pas un
révolutionnaire, en avait fait l’expérience.
Dans les années 2000, il avait dénoncé les limites d’un mode de sélection qui reproduit les
inégalités et avait décidé d’en bousculer les règles. Il avait notamment ouvert une voie d’accès spécifique pour les lycéens de zone d’éducation prioritaire (ZEP). Il s’était heurté à un tir
de barrage des grandes écoles, arc-boutées sur
leur foi dans le concours républicain.
Soucieuses d’ouvrir socialement leurs rangs,
toutes ont, depuis, mis en place des dispositifs
d’« égalité des chances ». Le plus connu, baptisé « Une grande école : pourquoi pas moi ? » –
accompagnement de lycéens, sorties culturelles, visites d’entreprise, etc. – vise à combattre
l’autocensure et à encourager l’ambition de
« Supprimer les concours ?
Ce serait absurde ! »
| Pour Bernard Ramanantsoa, ex-directeur général
de HEC, les compétences acquises en prépa servent toute la vie
tribune
B
ernard Ramanantsoa a
dirigé HEC Paris de 1995 à
2015. Il défend l’utilité
des concours. Il a récemment publié Apprendre et oser (Albin Michel, 2015) et tient un blog consacré à l’enseignement supérieur,
« Libre cours ». Il nous adresse ce
point de vue :
« En ce début d’année, le degré
de fébrilité des futurs candidats
aux concours et de leurs professeurs de prépas vient de franchir
un seuil : ils entament la dernière
ligne droite. Moment choisi pour
répondre à quelques questions
récurrentes sur ces fameux concours, perçus comme le sésame
de toute vie professionnelle, mais
où certains ne voient qu’un désuet rite de passage.
Allons-y tout de go : les concours
présentent bien plus d’avantages
que d’inconvénients s’ils sont
conçus intelligemment. D’abord,
soyons lucides : il ne serait pas
possible de recevoir à HEC ou dans
une autre grande école tous ceux
qui s’inscrivent. Et l’évaluation de
la motivation est le plus souvent
un artifice : imaginez-vous une
candidate ou un candidat, sortant
de deux ou trois ans de prépa, sans
motivation ? C’est pousser le culte
du paradoxe un peu loin.
Plus important, les meilleurs
concours testent des qualités qui
se travaillent préalablement et seront ensuite fort utiles dans la car-
rière professionnelle. Etre capable
de traiter en quelques heures, sur
des bases solides et tout en nuances, du « crépuscule de la vérité », de
« La lettre tue », ou de « Quand je
danse, je danse », sous la forme de
dissertations de culture générale
ou de philosophie (pour les prépas
en lettres) ; savoir avancer rigoureusement, en mathématiques,
sur les notions d’« équilibre et [de]
pilotage d’un système linéaire » ne
s’improvise pas : il faut s’y préparer et donc travailler. Cette démarche va être utile toute la vie.
« Savoir penser »
Certains contempteurs des concours s’interrogent sur le lien entre la capacité à disserter sur de
tels sujets et la performance des
futurs cadres d’entreprise : c’est
qu’ils confondent utilisation et
utilité. Savoir penser, savoir articuler des nuances, ne jamais
oublier quelles sont les hypothèses qui sous-tendent une démarche est utile et évite pour toujours les jugements à l’emportepièce, les pires bévues ou les approximations.
Reconnaissons
que ce n’est déjà pas si mal. Le bon
sens ne suffit pas à traiter des problèmes de plus en plus complexes
du monde contemporain.
Alors, supprimer les concours,
comme on le préconise parfois, serait absurde, dépourvu de sens. Et
qu’on ne nous oppose pas les com-
paraisons internationales : les concours en Chine, en Inde et au Japon
existent et sont d’une difficulté
d’un tout autre niveau que les nôtres, qui apparaissent comme des
hors-d’œuvre quand on en parle
aux collègues de ces pays.
Et, là où il n’existe pas de
concours aussi difficiles, c’est le
travail assidu, pendant plusieurs
années, souvent très spécialisé sur
une seule matière, qui fait office
de sélection. Pourquoi pas. On
peut préférer le marathon au demi-fond. Il en faut pour tous les
goûts. D’où l’ouverture d’autres
voies que les concours classes prépas dans toutes les grandes écoles… mais il y a quand même un
concours !
Rassurez-vous donc, chers candidats, ce sont souvent ceux qui
ont mal préparé ces concours qui
les fustigent. « Ils sont trop verts »,
disait ainsi le renard de La Fontaine. Dans votre situation, un
seul conseil : travaillez, mais travaillez sereinement. Vous êtes en
train de préparer votre avenir et,
après quelques années de vie professionnelle, l’obstacle du concours vous apparaîtra comme un
épiphénomène. Vous avez la
chance d’apprendre, de renforcer
le socle de votre culture générale,
la vraie, pas celle des jeux télévisés. Savourez : c’est parfois dur, on
le sait, mais ce sont des années
que vous ne regretterez pas. » p
jeunes de milieu populaire. Mais le but n’est
pas de les faire accéder à ces grandes écoles où
peu, au final, se retrouveront.
« Rares sont les pays qui ont autant confiance dans le concours, souligne le sociologue François Dubet, directeur d’études à
l’Ecole des hautes études en sciences sociales
(EHESS). C’est une obsession française issue de
la Révolution : remplacer les élites de naissance par les élites de l’intelligence. » Une confiance excessive, selon lui, dans un système
qui avantage certains enfants, issus de milieux favorisés, les plus aptes à réussir dans
une école « championne du monde du déterminisme social ».
Pour François Dubet, ce n’est pas tant le
concours qui pose problème que le fait que
tout notre système scolaire soit organisé en
fonction de lui : « Dès la maternelle, les familles des classes moyennes supérieures, les
mieux informées, pensent à préparer leurs enfants. Puis, au cours de la scolarité, la recherche systématique des meilleurs élèves fait que
les autres sont maltraités. »
Supprimer le concours ne serait toutefois
pas la solution, estime encore le sociologue.
Ce qui est en cause est « son monopole, qui assure l’incroyable reproduction sociale des élites, même si, de temps en temps, un élève défavorisé y accède et devient la preuve que c’est
possible. » Il faudrait plutôt « diversifier les
voies d’accès aux élites ».
Le concours même est-il aussi juste que ses
partisans veulent le croire ? « Pour ceux qui le
passent, on est bien dans une situation de parfaite égalité, répond la sociologue Agnès van
Zanten, directrice de recherche au CNRS et professeure à Sciences Po. Les règles en sont extrêmement codifiées et l’égalité formelle très forte. »
Mais, ajoute-t-elle, « on ne tient pas compte des
parcours individuels, des aides familiales ou sco-
laires dont certains ont bénéficié et pas d’autres.
On pourrait très bien imaginer calculer le mérite
autrement : par la quantité d’efforts fournis par
chacun pour parvenir à ce niveau. »
Il y a aussi la question des épreuves, comme
la culture générale ou les langues, et de leurs
biais sociaux : elles favorisent les étudiants issus de milieux éduqués. « Pour bien parler l’anglais, il faut avoir effectué des séjours dans un
pays anglo-saxon, souligne la sociologue, ce
que toutes les familles ne peuvent offrir. »
« C’est une obsession
française issue de
la Révolution : remplacer
les élites de naissance par
les élites de l’intelligence »
François Dubet
sociologue
Agnès van Zanten regrette qu’il y ait peu de
recherches en France sur les concours. Aux
Etats-Unis où ces études sont nombreuses, la
sélection a passablement évolué. « Les universités d’élite américaines prennent en compte
une pluralité de critères : notes, rang dans la
classe, résultats aux tests, dossier, lettre de motivation… Et elles ont dégagé une élite issue de
groupes ethniques défavorisés. »
Pour les deux sociologues, l’excellence symbolisée par le concours est définie de façon
trop étroite et trop scolaire. Erigeant la compétition en vertu tout au long de la scolarité,
elle produit beaucoup de « perdants », condamnés à rester loin derrière, faute d’avoir un
jour réussi un concours. p
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0123
Jeudi 28 janvier 2016
L’Ivy League, univers impitoyable
Aux Etats-Unis, la sélection à l’entrée des meilleures universités, drastique, joue sur les notes mais aussi sur l’argent
P
our les étudiants américains, l’entrée à l’université est un parcours du
combattant qui commence bien avant la dernière année d’études secondaires. Dès
l’équivalent de la classe de troisième, les lycéens qui visent des
universités de haut rang s’attachent à ajouter à leur parcours ces
éléments qui peuvent faire la différence aux yeux des comités d’admission : sport, démonstrations
d’excellence, de leadership, de curiosité d’esprit (apprentissage du
mandarin, par exemple). L’engagement social (community service)
ou une expérience de bénévolat,
comme un stage dans une clinique pour les pauvres ou dans une
ONG en Afrique, sont hautement
recommandés.
Les huit meilleures universités
sont regroupées dans le groupe dit
« Ivy League » (d’après ivy, le lierre
qui recouvrait les bâtiments des
augustes institutions de la Nouvelle-Angleterre). La sélection y est
impitoyable. En 2015, le taux d’acceptation est tombé pour la première fois à 5 % dans une
université, celle de Stanford, qui
a admis 2 144 étudiants pour
42 487 candidats. Viennent ensuite
Harvard (5,3 %), soit 1 990 admis
pour 37 305 dossiers, Yale (6,5 %) et
Columbia (6,1 %). Chaque candidature est payante (85 dollars, soit
78 euros), et les établissements les
plus prestigieux touchent des millions de dollars grâce aux rejets.
La sélection s’effectue d’abord
sur les notes. En classe de 1re (Junior), les lycéens passent l’un ou
l’autre des tests nationaux – Standard Admission Test (SAT) ou American College Testing (ACT). Le plus
commun est le SAT, un QCM de
trois épreuves (maths, écriture et
lecture critique) que les élèves
remplissent avec des crayons
de papier, obligatoirement nu-
méro 2 (HB). Non seulement il faut
aller vite en 3 h 45, mais les réponses fausses sont pénalisées. Pour
espérer entrer à Stanford ou à Harvard, il est bon de se prévaloir d’un
quasi-sans-faute (800 points par
sujet) ou au moins d’un score supérieur à 2 150. Moins de 0,05 %
des candidats réussissent le score
parfait de 2 400 points (360 sur
1,6 million d’inscrits en 2012).
Le SAT a donné lieu à toute
une industrie de préparation à
l’examen, qui n’est accessible
qu’aux plus riches. Les comités
d’admission examinent aussi le
« Grade Points Average » (GPA), la
moyenne des notes sur les quatre
ans de lycée. A leur dossier, rempli
en ligne, les candidats doivent
ajouter des recommandations
personnalisées d’un professeur,
entraîneur sportif ou éducateur. Et
un « essai », soit un texte
(650 mots maximum) de motivation, de personnalité, sur un sujet
déterminé chaque année par l’établissement. Un exemple pour
2016 : « Décrivez une action ou un
événement, formel ou informel,
qui a marqué votre passage de
l’enfance à l’âge adulte dans le
contexte de votre culture, famille
ou communauté. »
Souci de diversité
Plus de 600 universités ont une
banque d’épreuves communes (la
« common app ») mais chacune se
réserve le droit de demander un
texte supplémentaire. Au total, les
élèves soumettent parfois trois ou
quatre « essais » différents. Là
aussi, des répétiteurs privés offrent leurs services (de 60 à
130 dollars l’heure). Les séances
commencent par un brainstorming, censé permettre aux candidats de trouver dans leur vie, souvent sans histoires, l’épisode qui
a montré un trait exceptionnel
de leur personnalité. Il est bon
d’expliquer qu’on a surmonté une
épreuve ou un échec, voire
d’émouvoir les examinateurs avec
une enfance difficile.
Les universités appliquent ensuite des correctifs divers. L’origine ethnique, d’abord. Certains
Etats, comme la Californie, ont
abandonné la discrimination
positive (affirmative action) dans
la sélection de leurs étudiants.
D’autres continuent à l’imposer.
Chaque établissement affiche en
tout cas un souci de diversité. Etre
une « latina » est certainement un
plus. Les garçons « anglo » et les
étudiants d’origine asiatique, une
minorité qui crève le plafond de
la réussite scolaire, se plaignent
d’être désavantagés, à résultats
académiques équivalents. Les
sportifs de haut niveau bénéficient de conditions exceptionnelles, indépendamment de leurs
notes. Dernier critère d’admission,
le plus flou : « l’héritage » (legacy).
Sauf à être des cancres avérés, les
fils et filles d’anciens élèves ont
peu de chances d’êtres recalés par
l’université de papa (ou de maman), surtout si les parents sont
généreux avec leur alma mater.
Les études coûtent cher :
60 000 dollars par an, avec hébergement et repas, à Harvard ;
59 000 dollars à Yale ; 32 600 à Berkeley pour les domiciliés en Californie (56 000 pour les étudiants
d’autres Etats). Les universités soulignent le nombre de bourses distribuées (60 % des étudiants de
Harvard ont une bourse grâce à un
programme d’aide de 160 mil-
lions ; 50 % à Yale) pour les plus désargentés et les minorités notamment noires et « latinas ». Mais la
majorité des étudiants ne reçoivent qu’une aide de quelques milliers de dollars sur quatre ans, loin
de compenser le coût de la scolarité. Les dossiers d’inscription sont
en général clos fin janvier. Attendues avec angoisse, les lettres d’admission arrivent début mai. Au début de l’été, le grand mercato des
admissions est terminé. p
corine lesnes
(san francisco, correspondante)
Universités d’élite
La plus réputée est Harvard,
la plus ancienne université du
pays, fondée en 1636 et située
à Cambridge (Massachusetts).
Elle est suivie de Yale, à New
Haven (Connecticut), Princeton
(New Jersey), Brown à Providence (Rhode Island), Columbia
à New York, Dartmouth
à Hanover (New Hampshire),
University of Pennsylvania
à Philadelphie (Pennsylvanie)
et Cornell, à Ithaca (New York).
Toutes sont privées, installées
dans des locaux magnifiques.
Ce club d’élite comprend aussi
l’université Stanford
(Californie), le Massachusetts
Institute of Technology (MIT)
et l’université de Chicago.
L’université de Californie
à Berkeley est le seul établissement public du même rang.
Le cas de l’Allemagne
Pas de concours outre-Rhin. Mais des places
limitées, et des notes au bac déterminantes
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n Allemagne, les études
supérieures à l’université
ou dans une école supérieure (Hochschule) sont
théoriquement ouvertes à tous les
détenteurs d’une autorisation
d’accès aux études supérieures, à
savoir en général le baccalauréat. Il
n’y a pas en Allemagne de « grandes écoles » à la française,
recrutant principalement leurs
étudiants à l’issue de concours.
Mais les processus de sélection
existent : ils sont fonction des matières et des établissements.
Le baccalauréat est en soi une sélection puisque seule la moitié des
élèves d’une classe d’âge le passent, les autres se dirigeant vers
des formations en alternance, plus
répandues qu’en France. Les « alternants » peuvent cependant obtenir par la suite une autorisation
d’accès aux études supérieures, en
général limitée à leur domaine de
compétence, s’ils justifient d’une
formation et d’une expérience
professionnelle suffisante. Cette
spécificité allemande tend à se réduire : on observe une augmentation du nombre de bacheliers ces
dernières années, au détriment
des apprentis.
Engagement social apprécié
Pour un bachelier, deux options
sont possibles. Soit il a choisi un
cursus sans procédure d’admission, auquel cas il lui suffit de s’inscrire dans l’établissement de son
choix. Soit il a choisi une matière
ou une école dont l’admission est
encadrée. C’est le cas en médecine
et en pharmacie, et dans tous les
cursus où il y a plus de candidats
que de places disponibles. Le bachelier candidat doit alors se soumettre à une procédure d’admission que l’établissement est libre
de fixer : la note au baccalauréat
est bien sûr déterminante, mais
une expérience professionnelle –
stage ou engagement social – peut
aussi être exigée ou appréciée, surtout en cas de note insuffisance.
Certaines écoles font passer des
tests ou des entretiens afin d’établir un classement et une liste d’attente pour l’attribution des places.
En médecine et en pharmacie, le
nombre de places est déterminé
au niveau fédéral, par une commission siégeant à Dortmund
(Rhénanie-du-Nord - Westphalie),
qui veille aussi à la répartition des
étudiants en fonction des besoins
géographiques. C’est inhabituel en
Allemagne, où les décisions se
prennent en général au niveau local. Dans certaines matières très
demandées, comme le droit, la
psychologie, l’économie et la gestion d’entreprise, la plupart des
grandes universités organisent
des procédures d’admission. Un
candidat aux études de psychologie devra ainsi justifier de la note
maximale au bac pour être admis.
Si ses notes sont insuffisantes, il
peut faire le choix d’attendre. Ce
crédit-temps lui permet d’augmenter ses chances d’être pris
dans la formation de son choix.
Enfin, certaines universités sont
plus demandées que d’autres. « A
Berlin, à Munich ou à Heidelberg,
les candidats sont très nombreux,
il est plus difficile d’entrer dans
ses universités, mais les critères
exacts d’admission ne sont pas
fixés à l’avance », explique Stefanie
Busch, responsable du département admission à la Conférence
des recteurs du supérieur (HRK),
qui représente la plupart des universités et des écoles supérieures
publiques allemandes.
Au total, un étudiant français désireux de s’inscrire en Allemagne
devra consulter les sites (en général en allemand mais aussi en anglais) de chaque établissement. p
cécile boutelet
(berlin, correspondance)

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