La Patagonie est-elle un Eldorado touristique pour l`Argentine ?
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La Patagonie est-elle un Eldorado touristique pour l`Argentine ?
Université Libre de Bruxelles Institut de gestion de l’environnement et de l’aménagement du territoire Faculté des sciences Master en sciences et gestion du tourisme La Patagonie est-elle un Eldorado touristique pour l’Argentine ? Mémoire de fin d’études présenté par Mélanie Hoyois En vue de l’obtention du grade académique de Master en Sciences et Gestion du Tourisme Année Académique 2008 – 2009 Promoteur : Monsieur J.M.Decroly Remerciements : Je souhaiterais remercier mon promoteur Mr J.M. Decroly pour ses précieux conseils lors de l’élaboration de ce mémoire, ma famille pour son soutien constant ainsi que mes amis argentins pour les nombreuses heures passées autour d’un maté à discuter de leur pays. Page 1 Table des matières Introduction _______________________________________________________________ 4 Première partie : Première approche du territoire étudié ___________________________ 5 Chapitre 1 : Entre mythes et réalités ________________________________________________ 5 1.1 L’histoire d’un titre, l’histoire d’un nom ___________________________________________________ 5 1.2 L’imaginaire lié au territoire ____________________________________________________________ 6 Chapitre 2 : Définitions géographique, socio-économique, démographique, et géopolitique du territoire ______________________________________________________________________ 7 2.1 Dessine-moi la Patagonie… _____________________________________________________________ 9 2.2 Quel territoire …pour quelle population ? ________________________________________________ 9 2.3 Et maintenant ? La Patagonie, un territoire du « vide » ? ____________________________________ 12 2.4 Le climat patagonien, mythe ou réalité ? _________________________________________________ 13 2.5 Quelles sont les dynamiques économiques en place ? ______________________________________ 15 Deuxième partie : Contextualisation touristique de la Patagonie Argentine ___________ 18 Chapitre 1 : Processus de mise en tourisme _________________________________________ 18 1.1 Première phase d’émergence des espaces touristiques _____________________________________ 18 1.2 « Conocer la Patria es un deber » - « Connaître la Patrie est un devoir » _______________________ 20 Chapitre 2 : Les Parcs Nationaux, piliers du développement touristique patagonique ________ 20 2.1 Genèse ____________________________________________________________________________ 20 2.2 Etat de la situation actuelle des Parcs Nationaux __________________________________________ 24 Troisième partie : Composantes du secteur touristique patagonien __________________ 26 Chapitre 1 : Participation et comportements des principaux marchés émissifs de touristes vers l’Argentine ____________________________________________________________________ 28 1.1 Aspects méthodologiques _____________________________________________________________ 28 1.2 Tendance générale d’arrivées touristiques en Argentine ____________________________________ 28 1.3 Principaux marchés émetteurs de touristes vers l’Argentine _________________________________ 29 1.4 L’Importance des marchés limitrophes __________________________________________________ 30 Chapitre 2 : Transports __________________________________________________________ 32 2.1 Emergence du train et des premiers espaces touristiques balnéaires __________________________ 32 2.2 Transport ferroviaire ________________________________________________________________ 33 2.3 Transport terrestre __________________________________________________________________ 34 2.4 Diagnostic du transport aérien ________________________________________________________ 35 Chapitre 3 : Hôtellerie ___________________________________________________________ 39 3.1 Aspects méthodologiques ____________________________________________________________ 39 3.2 El Calafate et Ushuaia ________________________________________________________________ 39 3.2.1 Capacité hôtelière _________________________________________________________________ 39 3.2.2 Une offre aux prémisses de sa diversification ___________________________________________ 41 3.2.3 Vers une recherche de style propre… Tendance Hôtel Boutique et Design ____________________ 42 3.2.4 « Bed & Breakfast » ou la possibilité de s’insérer dans l’industrie touristique … ________________ 43 3.2.5 Tourisme d’estancias, de l’agri-culture à l’agro-tourisme ?_________________________________ 44 Page 2 Chapitre 4 : Ressources et caractéristiques des principaux centres touristiques récepteurs patagoniens ___________________________________________________________________ 49 4.1 San Carlos de Bariloche _______________________________________________________________ 49 4.2 Puerto Madryn et la Péninsule Valdez ___________________________________________________ 51 4.3 El Calafate _________________________________________________________________________ 54 4.4 Ushuaia ___________________________________________________________________________ 57 4.4.1 Histoire et caractéristiques de la localité _____________________________________________ 57 4.4.2 Les premiers habitants face aux premiers navigateurs européens _________________________ 58 4.4.3 Du bagne au pétrole en passant par l’exploitation lainière _______________________________ 58 4.4.4 Les politiques de promotion industrielle ______________________________________________ 59 4.4.5 La lente chute ___________________________________________________________________ 60 4.4.6 Un précieux réveil grâce au Tourisme ________________________________________________ 62 4.4.7 Offre touristique d’Ushuaia ________________________________________________________ 65 Quatrième partie : Un panel de dimensions pour une tentative de réponse ____________ 68 Chapitre 1 : Dimension Géographique de l’activité touristique : _________________________ 68 1.1 La Patagonie, territoire du « vide » ? ____________________________________________________ 71 1.2 Un territoire enfin désenclavé ? ________________________________________________________ 71 Chapitre 2 : Dimension patrimoniale et environnementale de l’activité touristique : ________ 72 2.2 Inversion du regard porté vers la Patagonie… _____________________________________________ 72 Chapitre 3 : Dimension socio-économique de l’activité ________________________________ 76 Conclusion ________________________________________________________________ 79 Bibliographie ______________________________________________________________ 82 Page 3 Introduction La Patagonie est-elle un eldorado touristique pour l’Argentine ? Dans le cadre de ce master en Sciences et Gestion du Tourisme, le choix de mon sujet de mémoire s’est imposé à moi : je souhaitais cette fois consacrer du temps en tant qu’étudiante à cette région et l’aborder dans une optique d’analyse universitaire. Mon parcours professionnel m’a mené à travailler durant deux années au sein d’une société de tourisme argentine et cette expérience enrichissante n’a fait que susciter mon intérêt pour cette région. Mais comment aborder un territoire d’une telle ampleur ? Les premières lectures ont vite révélé des logiques de développements touristiques relativement jeunes mais particulièrement diversifiées. J’ai pu aussi me rendre compte que la Patagonie est liée à tout un imaginaire de mots, d’idées, d’images sur lesquels j’ai basé la première partie de mon travail. J’ai donc voulu partir du mythe de la Patagonie afin de le confronter à la réalité en me basant principalement sur des données géographiques. Cette première étape me semblait essentielle afin de mieux comprendre l’organisation du territoire et de sa société. La deuxième partie de mon mémoire présentera les fondements du développement touristique de ce grand pays qu’est l’Argentine et d’une de ses régions, la Patagonie. Enfin, m’immisçant encore un peu plus dans l’industrie touristique patagonienne, j’y relèverai les différentes composantes afin d’obtenir un panorama le plus complet possible. Le secteur touristique de cette terre du bout du monde vit, depuis la crise économique argentine de 2001, de profonds changements de son industrie. Une destination s’est révélée, s’est ouverte au monde. En ayant eu l’opportunité d’observer depuis l’Argentine et la Belgique l’évolution touristique de la Patagonie, j’ai remarqué une augmentation exponentielle de son offre hôtelière, une préoccupation constante des autorités à miser sur cette région, un changement de regard de la population envers leur territoire, etc. Autant de faits qui m’ont menée vers la définition de la problématique abordée pour ce travail : La Patagonie est-elle un Eldorado Touristique pour l’Argentine ? J’ai donc souhaité par ce mémoire aller au delà du fait d’être un simple témoin de ces changements en tentant de comprendre les raisons de leur existence. La dernière partie de mon travail tentera, par le biais de diverses dimensions, de donner quelques pistes de réponses concrètes à cette problématique. Page 4 Première partie : Première approche du territoire étudié Au préalable d’une analyse du secteur touristique, la première partie de ce travail a pour objectif de permettre une approche concrète du territoire étudié c'est-à-dire la Patagonie Argentine. Ce bout du territoire situé aux confins du monde est très largement méconnu des européens, cependant, ce qui est paradoxal, c’est que tout un chacun est capable de lui attribuer des caractéristiques… Un imaginaire semble lui être lié… Je tenterai donc au cours de ce premier chapitre de comprendre l’imaginaire lié à la Patagonie que ce soit par les récits des premiers explorateurs, des évangélistes idéalistes, des scientifiques audacieux ou encore des écrivains passionnés. Chacun à leurs manières, volontairement ou non, ont contribués à la construction du mythe de la Patagonie. En outre, la région est aussi devenue médiatique. Depuis les années 90, ces médias semblent avoir repris le flambeau et continuent la parfaite transmission d’un mythe vieux de presque 500 ans. Justement, jusqu’où va le mythe ?, Où commence la réalité ? Les représentations que nous avons de la Patagonie sont elles fondées ? Jusqu’à quel point ? Comment s’en rendre compte réellement ? Le second chapitre de cette première partie, sera donc basé sur la géographie physique du territoire afin de mettre le mythe en perspective avec la réalité physique et ses caractéristiques intrinsèques. Cette confrontation dévoilera certaines vérités sur lesquelles je pourrai alors baser la deuxième partie de mon travail. Chapitre 1 : Entre mythes et réalités 1.1 L’histoire d’un titre, l’histoire d’un nom Avant toutes choses, il est bon de préciser ce qu’est un Eldorado, ce qu’il représente et dans quel contexte il est utilisé à notre époque. En effet, ce terme n’est pas récent. « Eldorado » provient de la langue espagnole et signifie plus précisément « El dorado » c'est-à-dire « le doré ». L’Eldorado était un pays imaginaire que les conquistadors espagnols pensaient découvrir entre l’Amazone et l’Orénoque, sur le territoire actuel du Brésil ou du Venezuela au XVIème siècle. Ils croyaient y trouver une multitude de trésors (or et pierres précieuses), qui leur rendraient la vie facile. C’est de là que provient le nom « Eldorado » que l’on utilise, par analogie, pour désigner un lieu où la vie est facile, où chacun vit au cœur de l’abondance et des richesses. La croyance en son existence se base sur le récit du voyage d'un conquistador, lieutenant de Pizarro. Le récit a exercé une certaine influence pour les conquistadors Page 5 et ce jusqu'au XVIIIe siècle. De nos jours, ce terme est principalement utilisé pour caractériser certaines régions prometteuses ou déjà en plein développement. Ces dernières années, la Croatie ou encore la péninsule Arabique sont jugées comme des « Eldorados touristiques ». Ce concept n’est bien évidemment pas uniquement lié au secteur touristique, on juge aussi les réseaux sociaux du net comme un nouvel Eldorado pour le marketing, la Suisse pour le marché financier, etc... Je tenterai donc au terme de ce travail d’analyser si la Patagonie est un Eldorado touristique pour l’Argentine. Deuxième précision : d’où provient le nom « Patagonie » ? Je souhaite m’arrêter un instant sur ce terme pour en percer ses origines et comprendre par la suite pourquoi à lui seul, il semble faire pétiller les yeux de certains voyageurs. Il est ici encore question de mythe et de légende… Voici son histoire : Le territoire de la Patagonie fut découvert par le grand explorateur Fernando de Magellan. Les récits des premières explorations décrivent la rencontre avec des hommes beaucoup plus grands que la moyenne européenne. Magellan dénomma ces habitants farouches les « Patagoni ». On continue de supposer que ce terme leur fut attribué pour la taille de leurs grands pieds (« Pata » en espagnol), bien que l’origine n’a véritablement jamais pu être confirmée. Le mythe des géants de Patagonie perdurera encore de très nombreuses années sans jamais être réellement détruit. Les expéditions suivantes et les récits de plus en plus précis des navigateurs estimeront que les propos concernant ces habitants avaient certainement été exagérés. 1.2 L’imaginaire lié au territoire A la lecture de nombreux récits de différentes sources, certaines sérieuses, d’autres plus légères concernant la Patagonie, j’ai pu remarquer qu’aucun des auteurs ne reste insensible à cette région. Cependant, il faut avouer que cette terre du bout du monde ferait presque peur tant les mots choisis pour la décrire dans ces textes semblent parfois violents. Parcourons quelques extraits choisis : « Tout le monde sait que le Wagner, qui faisait partie de l’escadre de lord Anson, fut jeté sur une côte déserte, dans les mers du sud. Le présent ouvrage est l’exacte relation des aventures et des calamités d’une portion de son équipage, qui, après cinq années de souffrances à peine croyables, eut le bonheur de revenir dans sa patrie, à travers des mers inconnues et des contrées désertes… » John Byron, « Naufrage en Patagonie », Paris Utz, 1994 Page 6 « Dans cette pépinière d’aventuriers, il recruta les plus courageux et décidés - qui confirmeraient plus tard par leur rébellion la justesse de ces choix - et mit sur pied une expédition en Terre de Feu. Ils furent les premiers hommes blancs à traverser l’Onasin, le pays des Indiens. Ona, qu’ils mirent à feu et à sang, ne laissant derrière eux que des cadavres en guise de trace civilisatrice » « Les grandes dépressions océaniques qui viennent des confins du Pacifique se heurtent violemment aux contreforts andins, creusés de baies et de canaux, qui ont résisté aux assauts de la mer. Quand la tempête se déchaîne, un vent brutal harcèle la montagne qui résonne de mugissements furieux. Mais entre les parois rocheuses, la houle n’est jamais très forte. Il arrive cependant qu’une bourrasque vengeresse se rue sur les eaux, soulevant des vagues terrifiantes. Les arbres, les tentes des indiens et parfois même les glaces sont alors aspirés dans les airs comme des fétus de paille. » Francisco Coloane, « Tierra del Fuego », Editions Phebus Libretto, 1994 « Aussi le lendemain, dans le car qui traversait le désert, je regardais d’un œil comateux les brides de nuages pâles qui tournoyaient dans le ciel, l’océan de broussailles épineuses qui s’étendait au large et s’étageait en terrasses, la poussière blanche qui montait des marais salants et, à l’horizon, la terre et le ciel confondus dans la même absence de couleurs. » Bruce Chatwin, « En Patagonie », Editions Grasset, 1977 Quels charmes peut donc posséder une région pour exercer une telle fascination sur tant d’hommes, toutes époques confondues ? Là où certains voient des paysages arides et inhospitaliers, d’autres voient une certaine musicalité au vent omniprésent, presque un attrait pour l’isolement. Chapitre 2 : Définitions géographique, socio-économique, démographique, et géopolitique du territoire Afin de bien comprendre la structure du développement touristique de cette région du bout du monde, je souhaite m’attarder sur quelques points géographiques élémentaires influents à diverses échelles. Cette géographie permettra une meilleure compréhension des relations entre la société argentine, son territoire et les développements régionaux qui en découlent. Ces infinies étendues de terre situées aux confins du monde ne forment certes pas un territoire facile à appréhender ; les régions qui la composent disposent de logiques de développements bien particulières. Elément essentiel qui prendra tout son sens au cours de ce travail, la Patagonie n’est pas une région administrative en soit. Si le territoire est mondialement connu sous ce nom, à l’échelle nationale, le référencement « Patagonia » ne symbolise qu’une grande région utilisée dans certaines statistiques de l’Indec (Instituto Nacional de Estadistica y Censos de la Républica Argentina1). « Il ne s’agit donc pas d’un découpage administratif ou politique mais d’entités territoriales ne facilitant pas l’analyse 1 Indec : Institut de statistiques et de recensements de la république argentine Site web : http://www.indec.mecon.ar/ Page 7 statistique 2 . » La Patagonie a aussi la particularité de partager son territoire entre deux nations, l’Argentine et son voisin Chilien. Néanmoins, le terme Patagonie est très largement utilisé en Argentine car il entraîne avec lui toute une série de caractéristiques propres au territoire que je souhaite présenter dans les lignes qui suivent. L’Argentine est divisée en 23 provinces quadrillant un territoire grand de 2 766 000 km². Ce qui correspond à presque 90 fois la superficie de la Belgique. La Patagonie comprend à elle seule 5 provinces : le Rio Negro, Neuquen, Chubut, Santa Cruz et la Terre de Feu. D’un point de vue administratif, le territoire fut tardivement structuré. Ces 5 provinces étaient ce qui fut longtemps appelé les « territorios nacionales » car ils ne faisaient pas partie des 14 provinces dites « historiques », à la base de la formation de l’Argentine et d’un état fédéral. Les territoires nationaux ont dû atteindre une population de minimum 60 000 habitants avant de recevoir leur statut officiel de province. Rio Negro, Chubut, Santa Cruz et Neuquen y parvinrent au début des années 1950. La Terre de feu, quand à elle, resta encore de nombreuses années sous la gouverne de la Capitale Fédérale et obtint son statut définitif de province en 19913. D’un point de vue hiérarchique, les provinces disposent d’une importante autonomie, d’un Bernard N., Bouvet Y., Desse JP. ; « Géographie de l’Argentine, approche régionale d’un espace latino-américain ». Presses universitaires de Rennes, 2005 3 Les autorités argentines ont ajouté à la Province de la Terre de Feu les territoires revendiqués de l’Antarctique et des iles de l’Atlantique Sud. 2 Page 8 gouvernement ainsi que d’un budget. Le caractère fédéral de l’Etat argentin permet aussi à ces 23 provinces d’envoyer au gouvernement national un nombre de sénateurs proportionnels à leur population. Buenos Aires règne donc en maître au niveau politique national (la capitale abrite 11 des 33 millions d’argentins) et les provinces composant la Patagonie n’obtiennent qu’un nombre très restreint de représentants. Cette particularité est heureusement compensée par l’autonomie relative octroyée aux gouvernements des provinces. 2.1 Dessine-moi la Patagonie… Protégée des pluies par les Andes, la région se compose de plaines arides balayées par des vents imprévisibles et violents. Coincés entre la cordillère des Andes et l’Océan Atlantique, les plateaux patagoniens s’étirent sur presque un millier de kilomètres du nord au sud. La Patagonie s’adosse littéralement à la Cordillère des Andes qui la parcourt de tout son long et vient terminer sa course en Terre de Feu. Contrairement au Pérou et à la Bolivie, cette cordillère n’occupe pas pour la Patagonie une position centrale et génératrice de ressources. Elle fut et reste encore un point de discorde avec le Chili notamment pour le tracé des frontières officielles. Néanmoins, les Andes apportent à l’Argentine une relative douceur climatique et a fait naître de nombreuses rivières qui ont, tout particulièrement en Patagonie, composés certains foyers de populations importants. 2.2 Quel territoire …pour quelle population ? Je souhaite maintenant m’attarder sur les composantes sociales de la Patagonie et leurs répercutions sur le territoire national ou provincial. Les 4 cartes schématiques de l’argentine proposées en p.10 révèlent certaines caractéristiques majeures de la Patagonie : o À l’échelle nationale, le territoire est situé en « périphérie » o Densité de population de moins de 7 habitants par Km² o Eloignement important de tous les pôles de développement et des grandes villes du pays o Dispose de seulement deux agglomérations de maximum 100 000 habitants o Le territoire est constitué d’un vide de population en son centre Selon le dernier recensement organisé par l’Indec en 2001, les autorités estiment la population de la Patagonie à 1.726.409 habitants pour un territoire grand comme 26 fois la Belgique et une surface de 800 000 km². Page 9 Source : BERNARD N., BOUVET Y., DESSE R.-P., (2005), Géographie de l’Argentine, Approche régionale d’un espace latino-américain, Rennes : Presses Universitaires de Rennes, 295 p. Page 10 Ce territoire du bout du monde s’est formé de migrants à grande majorité européens durant la première vague d’immigration du XIXème siècle puis ensuite de migrations internes d’argentins attirés par les possibilités d’emplois dans les années 70. Il est regrettable que les autorités argentines ne disposent pas d’un recensement des origines étant donné la Source : BRIGEST T., "Los Indios del ultimo confin", ZAGIER & URRUTY PUBLICATIONS, quantité d’informations précieuses que ce type de données pourrait révéler sur les mouvements internes. Néanmoins, une simple liste de noms de famille de patagoniens soulève déjà la particularité de ce territoire pris en charge tardivement mais avec beaucoup de volonté par les différentes vagues migratoires : La Patagonie a avant tout accueilli ses voisins chiliens puis une grande majorité d’Allemands, de Suisses, de Gallois attirés par les similitudes de paysages avec leurs pays d’origine. Il ne reste malheureusement presque plus de témoignages des populations indigènes autrefois présentes sur les terres de Patagonie. Ces peuples relativement restreints et vivants en petits groupes familiaux ont été les premiers à accueillir les navigateurs. Pourtant habitués à vivre dans des conditions de vie extrêmement rudes, les quelques peuples du Sud ont été littéralement disséminés au contact des premiers explorateurs puis plus tard par les premières interventions militaires des armées argentines. La taille du territoire et les ressources présentes influencèrent bien évidemment la répartition des différentes ethnies; les Tehuelches s’installèrent sur le territoire actuel du Rio Negro jusqu’au détroit de Magellan. Ils survivront jusqu’à la fin du XIXème siècle grâce à la chasse et seront d’ailleurs les derniers exterminés4. Les Onas ou Yamanas avaient pris possession du territoire de la Terre de Feu. Peuples de pêcheurs nomades, ils vivaient presque nus recouverts de peaux de guanacos. La nation argentine a très longtemps fermé les yeux sur cette partie de son histoire un peu noire. L’expansionnisme argentin s’est manifesté vers le sud à partir des années 1870 sur un territoire qui, jusqu’à cette époque, avait été totalement laissé dans l’oubli. Le général Roca lança une implacable campagne d’extermination des indigènes de Patagonie. Cette guerre interne, connue sous le nom de « Conquête du désert », doublera l’étendue du territoire déjà contrôlé par le gouvernement et ouvrira la voie de la colonisation de ce bout du monde. 4 Bernard N., Bouvet Y., Desse JP. ; « Géographie de l’Argentine, approche régionale d’un espace latino-américain ». Presses universitaires de Rennes, 2005 Page 11 2.3 Et maintenant ? La Patagonie, un territoire du « vide » ? Les foyers de peuplement Patagonien sont depuis toujours situés sur les limites Est - Ouest du territoire, aux pieds de la Cordillère des Andes ou en bordure d’Océan Atlantique. Ils sont rares et peu signifiants à l’échelle nationale. Les agglomérations principales sont nées de facteurs climatiques favorables et de la présence de ressources naturelles ou économiques intéressantes. Les hydrocarbures de Comodoro Rivadavia ont par exemple sollicité la présence d’une main d’œuvre importante, les terres agricoles ont suscité l’arrivée d’exploitants d’ovins et les industries d’Ushuaia ont attirés les ouvriers techniques. Malgré l’installation des pionniers, des migrants européens ou latinoaméricains ou encore des migrations internes du XXème siècle, la Patagonie reste considérée comme « l’Argentine du vide5 ». Relevés de population des provinces de Patagonie en 2001 Province Population 1991 Population 2001 Densité hab /km² (2001) Neuquen 388.833 471.825 5,01 Rio Negro 506.772 549.204 2,70 Chubut 357.189 408.191 1,81 Santa Cruz 159.839 196.876 0,80 Tierra de Fuego 69.227 100.313 4,71 PATAGONIA 1.481.860 1.726.409 2,19 Source : Elaboration propre sur base des chiffres communiqués par l'Indec (dernier recensement effectué en 2001) Le Rio Negro est la province la plus peuplée alors que la Terre de Feu, malgré une variation plus qu’intéressante entre 1991 et 2001, reste la province la moins peuplée de la région. Sa population reste d’ailleurs très minime face aux 36.027.041 habitants que comprend le pays6. Bien qu’ils occupent une large partie du territoire national - plus d’un quart -, les patagoniens ne représentent que 4,79 % de la population nationale. Plus significative encore pour un territoire tel que la Patagonie : la densité de population. Elle est très faible dans toutes les provinces du sud et atteint même 0,80 habitant par kilomètre carré pour la province de Santa Cruz. Le contraste est bien évidemment important lorsqu’on les compare à la densité moyenne nationale de 12,09 habitants par km carré ou encore celle de la Belgique avec 352 habitants par km carré. 5 Bernard N., Bouvet Y., Desse JP. ; « Géographie de l’Argentine, approche régionale d’un espace latino-américain ». Presses universitaires de Rennes, 2005 6 Selon le dernier recensement effectué par l’Indec-Institut national de recensement et statistiques- en 2001 Page 12 Les 4 villes qui seront analysées dans ce travail sont situées aux 4 antipodes du territoire Patagonien. San Carlos de Bariloche est situé au Nord-Ouest, au pied de la cordillère des Andes. Puerto Madryn sur la côte atlantique nord, El Calafate au sud et sur la Cordillère des Andes et enfin, Ushuaia à l’extrême sud de la Terre de Feu. A l’échelle nationale, on peut observer que ces 4 centres de peuplements patagoniens sont très éloignés entre eux mais aussi très éloignés des autres foyers de peuplements argentins. Certains auteurs n’hésitent pas à opposer ces territoires d’« Argentine du vide » à l’ « Argentine utile » : « L’une parcourt le territoire des frontières du Paraguay à la Terre de Feu faites de milieux difficiles où le relief et le climat (froid, aridité,..) se conjuguent pour rendre la vie rude et les activités agricoles aléatoires, et une Argentine « utile », densément peuplée, où se sont établies massivement depuis le XIXème siècle les populations européennes venues chercher sur ces terres une existence meilleure »7. 2.4 Le climat patagonien, mythe ou réalité ? Dans le cadre d’un déplacement touristique, le climat dispose d’un haut degré d’importance lors de la décision du choix d’une destination. Il influence directement les flux de voyageurs par ses caractéristiques intrinsèques ainsi que par sa saisonnalité. La Patagonie dispose de saisons bien marquées et bien entendu inversées par rapport à l’hémisphère nord. La Cordillère des Andes, de moins en moins élevée au fur et à mesure que l’on se dirige vers le sud du territoire constitue une véritable frontière naturelle qui bloque les pluies au Chili. A l’est, la partie argentine de la Patagonie est de ce fait constituée d’immenses steppes arides et ce pratiquement jusqu’à l’océan Atlantique. Cette partie du territoire correspond aux plateaux patagoniens. De ce côté de la Cordillère, les températures sont plus clémentes. En Terre de Feu, le temps est extrêmement changeant et oblige les voyageurs à ne jamais lui faire confiance. Aux latitudes d’Ushuaia (54°48’ Sud de latitude et 68°18’ Ouest de longitude), la température peut varier entre 18°C en été et - 4°C en hiver. La ville la plus australe au monde est sous l’influence d’une zone dépressionnaire toute l’année provoquant de fortes pluies, et est aussi sous l’influence d’un courant marin froid venant du sud (courant des Malouines). Ushuaia dispose des conditions climatiques nécessaires pour la pratique du ski, la saison y est particulièrement longue. Néanmoins, l’été peut laisser apparaître certaines températures plus clémentes, ce qui provoque un effet direct sur la population locale et un regain des activités extérieures. 7 BERNARD N., BOUVET Y., DESSE R.P., « Géographie de l’Argentine, approche régionale d’un espace latino-américain », Presses universitaires de Rennes, 2005 Page 13 En Patagonie atlantique -la zone de Puerto Madryn-, les hivers sont froids mais l’océan contribue à des températures relativement douces toute l’année. La région est, elle aussi, semi-aride du fait qu’elle ne reçoit pas l’influence des vents d’ouest chargés en eaux. Les précipitations sont donc assez rares et les températures estivales souvent propices à la baignade. Grâce à son climat agréable en été, Puerto Madryn s’est développée en station balnéaire et au printemps, la région est particulièrement visitée pour les nombreuses baleines franches qui viennent profiter, elles aussi, des eaux calmes du golfe pendant quelques mois. La ville de Bariloche dispose de saisons très marquées, son climat est tempéré mais de type montagneux. Les pluies se repartissent sur toute l’année mais s’accentuent généralement entre mai et août, les mois de janvier et février étant les mois les plus secs de l’année. La particularité du climat a marqué les paysages de la région, en effet, il existe une variation importante de pluies entre l’ouest et l’est de Bariloche. On retrouve donc un paysage de steppes à l’entrée de Bariloche où les précipitations n’atteignent pas 300 mm par an et des hectares de forêts vertes dans la zone de Puerto Blest qui reçoit presque 4000 mm par an. Bariloche offre une saison hivernale bien marquée par la pratique du ski. Relevé des températures moyennes des 4 zones étudiées : Ushuaia Jan Fév Mar Avr Mai Jun Jul Aout Sep Oct Nov Dec Moyenne/Total T (°C) 9.2 9 7.8 5.7 3.2 1.7 1.6 2.2 3.9 6.2 7.3 8.5 5.52 P (mm) 58 50 57 46 48 45 47 49 38 36 50 49 573 El Calafate Jan Fév Mar Avr Mai Jun Jul Aout Sep Oct Nov Dec Moyenne/Total T (°C) 13.4 13.1 10.7 7.6 3.9 1.5 1.2 2.6 5.3 8.5 11.2 12.8 7.65 P (mm) 59 43 75 14 19.2 18.1 16.3 16.1 6.3 8.7 3 3.9 282,6 Puerto Jan Fév Mar Avr Mai Jun Jul Aout Sep Oct Nov Dec Moyenne/Total T (°C) 21.7 20.6 17.1 13.1 9.1 6.3 5.9 7.6 10.1 13.8 18 20.3 13.6 P (mm) 13.9 11.3 21.4 28.3 21.6 23.4 20.9 13.5 12.5 20.9 10.1 12.3 306,6 Bariloche Jan Fév Mar Avr Mai Jun Jul Aout Sep Oct Nov Dec Moyenne/Total T (°C) 14.3 14 11.3 7.7 5 2.6 2.1 3 4.7 7.5 10.6 12.9 7.9 P (mm) 22.2 21.7 29.2 53.5 134 140.7 128.7 115.6 57.8 38.8 24.8 32 673 Madryn Source : Elaboration propre sur base des statistiques communiquées par l'institut national de météorologie argentin (2006) Page 14 Le vent est une caractéristique marquante du climat de Patagonie. Ce territoire est exposé aux « 50ème hurlants », ces vents forts venant de l’ouest qui soufflent à ces latitudes. Du nord au sud du territoire, le vent est constant et influence très fortement la sensation thermique. C’est aussi lui qui donne à la Patagonie un caractère rude et des conditions de voyage parfois éprouvantes. C’est aussi ce vent qui caractérise la Patagonie dans l’imaginaire des voyageurs… 2.5 Quelles sont les dynamiques économiques en place ? Source : BERNARD N., BOUVET Y., DESSE R.P., « Géographie de l’Argentine, approche régionale d’un espace latinoaméricain », presses universitaires de Rennes, 2005 Page 15 La carte schématique d’Y.Bouvet présentée ci-dessus illustre parfaitement les différentes dynamiques économiques de la Patagonie argentine. Première observation : malgré un milieu naturel complexe et un isolement marqué, la Patagonie semble tout de même détenir une relative variété d’activités économiques. D’un point de vue historique, la plus ancienne concerne bien évidemment l’élevage intensif d’ovins ; cette activité est étroitement liée à l’extermination des indiens présents sur les terres et aux idées expansionnistes des premiers colons européens. Afin de permettre un contrôle total des territoires du Sud et d’en assurer le développement économique, les autorités argentines ont tout simplement donné et confié la grande majorité du territoire à des riches familles majoritairement britanniques et allemandes. Ces donations concernaient des territoires aux dimensions impressionnantes et se réalisa sans aucune considération pour les peuples nomades présents sur les terres. Les indiens ont donc été depuis la fin du XIXème siècle progressivement chassés de leur territoire et ainsi repoussés vers la Cordillère des Andes jusqu’aux limites de leur survie. Les cheptels ovins introduits en Patagonie ont donc directement concerné les riches propriétaires européens disposés à se lancer dans cette aventure remplie d’espoir et de prospérité économique. A l’heure actuelle, certaines de ces familles traditionnelles possèdent encore leur exploitation même si la grande majorité d’entre elles ont dû évoluer avec leur époque et laisser place à la spéculation foncière et aux nouvelles exploitations des sols. J’aurai l’occasion plus loin dans ce travail de développer ce point concernant les estancias ainsi que leur insertion au sein de l’activité économique et touristique. Tout un imaginaire est aussi lié directement à cette activité économique du travail de la laine. Le tourisme joue bien évidemment sur cet aspect en donnant la possibilité aux voyageurs de séjourner en estancia, de visiter les installations ou encore d’assister à la tonte des animaux. Néanmoins, le secteur a beaucoup de mal à faire face à la mondialisation et son lot de conséquences. La baisse du coût de la laine et l’apparition de nouveaux fournisseurs à freiné l’activité dans son ensemble menant parfois jusqu’à l’arrêt définitif de l’exploitation. Le tourisme reste d’ailleurs bien souvent une activité salvatrice pour certaines de ces estancias. Bien qu’elle ne puisse pas être comparée à d’autres régions ou états pétroliers de premier ordre, la Patagonie dispose d’une richesse relative d’hydrocarbures sur son territoire. Trois bassins se détachent ; le premier concerne le nord de la province du Rio Negro, la seconde la région de Comodoro Rivadavia et la troisième (plus tardivement découverte) le nord de la Terre de Feu avec Rio Grande. Ces exploitations permettent à l’Argentine de se situer au 22 ème rang mondial pour sa production nationale d’hydrocarbures8. Cependant, les bénéfices ne sont que faiblement redistribués et l’activité 8 BERNARD N., BOUVET Y., DESSE RP., Géographie de l’Argentine, d’une approche régionale d’un espace latinoaméricain, Presses Universitaires de Rennes, P.136, 2005 Page 16 souffre même d’une image assez négative auprès de la population argentine. On peut observer que les 4 régions touristiques sur lesquelles je me base pour la réalisation de ce travail ne sont pas situées dans ces 3 zones pétrolières. Les exploitations pétrolifères supposent des installations peu esthétiques d’un point de vue paysager. On peut justement s’étonner du fait qu’Y. Bouvet ne signale pas la région de la Péninsule Valdés comme une zone de développement touristique. Cette région, représentée généralement par la ville de Puerto Madryn, est pourtant l’une des destinations phare de la Patagonie. Elle fera d’ailleurs partie des 4 régions que j’exploiterai plus en détail dans mon analyse. Pour l’auteur, 3 régions s’illustrent pour leur activité touristique : la région andine du Rio Negro avec notamment San Carlos de Bariloche, la région des glaciers d’El Calafate et enfin, le sud de la Terre de Feu avec Ushuaia. Ces spots touristiques sont tous situés sur la Cordillère des Andes ou sur des littoraux, la même logique est d’ailleurs d’application pour les autres activités économiques. A la lecture de cette carte, apparait donc un territoire dont l’économique repose sur des ressources naturelles, qu’elles soient paysagères pour le tourisme, liées aux hydrocarbures ou encore cultivables. Entre ces foyers de développement, se révèle une immensité de plaines économiquement faibles n’attirant donc aucun foyer de peuplement. Ces foyers d’activités semblent aussi très isolés et autonomes, les distances considérables de ces régions influençant donc une fois de plus très fortement l’organisation du territoire. Page 17 Deuxième partie : Contextualisation touristique de la Patagonie Argentine Chapitre 1 : Processus de mise en tourisme Avant d’envisager de manière plus concrète les caractéristiques de l’industrie touristique en Patagonie, il me semble important de préciser dans quel contexte politique cette activité a pris forme sur ce territoire et quelles en ont été les répercutions directes. La mise en tourisme d’une région ne peut s’envisager en dehors du contexte national car celui-ci compose, par ses caractéristiques intrinsèques, les bases même de l’industrie. 1.1 Première phase d’émergence des espaces touristiques De par son éloignement des principales villes argentines émettrices de touristes, la Patagonie a échappé aux premiers développements touristiques. L’activité était à l’époque essentiellement balnéaire et déjà à la fin du XIXème siècle, la bourgeoisie urbaine de Buenos Aires profitait des premières infrastructures touristiques sur la côte atlantique au sud de la capitale. Aidées par des lignes ferroviaires de qualité, ces petites stations balnéaires bourgeoises ont procédé à d’importantes transformations urbanistiques basées sur les modèles européens. La Patagonie est alors bien loin de toute cette agitation... Le premier gouvernement du général Perón de 1946 à 1951 dispose d’une valeur toute particulière dans l’histoire du tourisme argentin et patagonien. Comme le souligne Rodolfo Bertoncello9 dans ses nombreuses analyses, c’est sous le gouvernement de Perón que le tourisme argentin vivra une certaine « masificación ». Ce mot ne s’entend pas ici en terme de flux comme nous avons l’habitude de l’envisager mais en terme d’accessibilité et s’incarne par l’idée « de tourisme pour tous ». A travers l’instauration d’une réelle politique touristique (la première de la nation), Perón a entrepris la « construction » d’une Argentine touristique. Le terme « construction » me paraît ici plus qu’approprié car il ne fut pas question d’améliorer les quelques destinations déjà existantes mais plutôt d’en créer d’autres de toutes pièces, d’ouvrir littéralement le pays au tourisme10. Il est aussi intéressant de se pencher sur le processus de valorisation qu’ont entrepris les autorités en sublimant les grands sites naturels. La Patagonie fut alors directement concernée. Dès le début de son mandat, Juan Domingo Perón s’est intéressé à la classe ouvrière, celle-ci lui vouera en retour une réelle dévotion. Le président construira un programme politique innovant en 9 R. Bertoncello est géographe, professeur à l’université libre de Buenos Aires et chercheur à la CONICET / Consejo Nacional de Investigaciones Cientificas y Tecnicas : Conseil National de recherches scientifiques et techniques. 10 Dans une première étape, il est bien évidemment toujours question de tourisme national Page 18 matière de salaires, de retraites, d’horaires et de conditions de travail, il instaura aussi les congés payés. Peu à peu le droit au tourisme s’instaura tel un progrès auquel toute classe sociale devait pouvoir accéder. Un certain « Turismo sindical 11 » orienté directement vers la classe populaire, en opposition aux autres formes de tourisme plus élitistes, commença à prendre forme dans tout le pays. La majorité de la population découvrit alors le temps libre, les déplacements oisifs, et par-dessus tout, découvrit son pays ! De manière plus concrète, quelles sont les structures touristiques sur lesquelles Perón appuya sa politique ? o Il accorda une attention toute particulière aux voies de communication et s’engagea dans des grands travaux qui ont façonné le pays. Ex : Le complexe Aéroport international d’Ezeiza fut initié à cette époque, il comprenait en plus d’un aéroport de dernière génération, un complexe récréatif, des établissements hôteliers, des installations sportives, le tout facilement accessible du centre ville de Buenos Aires par une autoroute. Ex : Le réseau routier fut renforcé afin de permettre un accès plus facile aux voyageurs vers certaines régions autrefois isolées. L’idée maîtresse fut de s’écarter des uniques voies tracées pour le transport agricole afin de « rendre les beautés de la patrie accessibles à tous 12». o L’augmentation de la capacité hôtelière fut un pilier du développement touristique de cette époque. Le gouvernement prit à sa charge la construction de plusieurs établissements hôteliers répartis dans le pays. Il chercha aussi à motiver les investissements privés estimant de cette manière faire croître le développement et attirer d’autres activités économiques. Ex : En 1947, création du «Prestamo Nacional Hotelero », un système de crédit hôtelier octroyé par l’état aux investisseurs privés. La demande de projet devait être examinée par les autorités ce qui leur permettait de conserver une certaine influence sur le développement des villes ou régions touristiques. Ex : La fondation « Eva Perón » si chère à la femme du Président était propriétaire de quelques établissements hôteliers qui accueillaient chaque été les enfants d’ouvriers. Tourisme syndical : Terme utilisé par Claudia Troncoso dans « Politicas turisticas y Peronismo », Revista Pasos onlines, Vol.2 N°2 p. 281-294 (2004) 12 Claudia Troncoso dans « Politicas turisticas y Peronismo », Revista Pasos onlines, Vol.2 N°2 p. 281-294 (2004) 11 Page 19 o Il fallut faciliter le déplacement des touristes en adoptant des politiques tarifaires préférentielles pour le transport ferroviaire ou en organisant les premiers voyages organisés. Ex : L’AGPNyT organisa, en collaboration avec le ministère de l’éducation, des voyages d’étudiants à des tarifs réduits. Néanmoins, en Patagonie et malgré le dynamisme du secteur sous l’impulsion de Perón, seules les villes de Bariloche et Puerto Madryn (à moindre échelle) furent touchées par ces progrès. Les autres régions étant toujours trop éloignées des centres principaux émetteurs et trop difficilement accessibles. Bariloche et Puerto Madryn restent encore aujourd’hui des destinations très influencées par les flux de touristes nationaux principalement durant la période estivale. L’occasion me sera donnée à plusieurs reprises au cours de ce travail d’observer que plus on se dirige vers le sud, plus les flux de touristes « s’internationalisent ». 1.2 « Conocer la Patria es un deber » - « Connaître la Patrie est un devoir » Perón ne pensait pas uniquement le tourisme comme une manière d’occuper le temps libre ou encore une activité économique, ce qu’il souhaitait avant tout c’était créer une conscience citoyenne et nationale en démontrant notamment les potentialités du pays. Afin d’appliquer cette idée et surtout la transmettre au peuple, le tourisme était le vecteur idéal. Les populations allaient devenir des témoins précieux. Grâce aux déplacements touristiques de plus en plus nombreux, les argentins commencèrent à s’approprier son pays et ses paysages. Cette époque posa les bases d’un nationalisme fort, encore observable à l’époque actuelle. Même si la politique ou la personnalité de Peron n’était pas appréciée par toutes les grandes nations de l’époque, son travail fut néanmoins reconnu et il obtint une certaine gloire internationale pour les progrès sociaux concrétisés. Avec le soutien de l’ « Administration Générale des Parcs Nationaux et Tourisme » dont j’aurai l’occasion plus tard de préciser l’importance majeure, et profitant de son aura internationale, Perón passa à la vitesse supérieure en tentant de révéler au monde les richesses de son pays. Chapitre 2 : Les Parcs Nationaux, piliers du développement touristique patagonique 2.1 Genèse Contrairement à ses voisins latino-américains, l’Argentine n’est pas une terre de civilisations préhispaniques. Ces grandes civilisations sont bien arrivées jusqu’aux territoires actuels argentins mais leur progression peut s’observer jusqu’au territoire appelé maintenant le NOA, le Nord-Ouest-Argentin. Page 20 Le pays ne dispose donc pas ou très peu de ruines majestueuses pour témoigner aux yeux du monde de son histoire ou de la richesse de précédentes cultures. L’Argentine et plus particulièrement la Patagonie n’ont pas échappé à ce sentiment propre aux nations sans grand héritage culturel de valoriser leur territoire à l’extrême avec une volonté nationaliste. Il fallait, en effet, chercher sa fierté ailleurs, dans ce que ce territoire avait de mieux : pour l’Argentine, c’était bien évidemment la diversité de ses paysages naturels. On peut donc trouver là quelques similitudes importantes avec les Etats Unis. L’Argentine va d’ailleurs calquer le développement de ses parcs nationaux sur cette nation en devenir. La création des premiers Parcs Nationaux argentins ne s’inscrit donc pas uniquement dans un objectif de conservation mais aussi comme une nécessité afin d’affirmer la fierté et la souveraineté nationale sur un territoire alors encore méconnu. Au début du XXème siècle, l’Argentine vécu d’importants et récurrents conflits territoriaux avec son voisin chilien et ceci particulièrement sur le territoire patagonien. C’est à cette époque que le scientifique Francisco P. Moreno s’est illustré en tant qu’expert mais aussi en tant que chef de la commission des frontières afin de faire valoir les intérêts de son pays. Lors de ses nombreuses explorations en Patagonie, Moreno initia un relevé géographique des principales caractéristiques de la région ; il participa de cette manière à une plus grande connaissance du territoire. Son influence prend ici un sens tout particulier étant donné qu'en remerciement de son travail, il reçu du gouvernement un territoire grand de 50 000 hectares situé aux bords du lac Nahuel Huapi (à proximité de l’actuelle ville de San Carlos de Bariloche). Moreno avait passé de nombreuses années dans cette région et savait les richesses qu’elle recelait ainsi que ses potentialités. En 1903, et dans un but avant tout « conservationiste », il décida de céder son territoire à l’état afin que ces terres soit protégées et posa ainsi les bases de la première réserve naturelle nationale. Les terres étaient situées dans la zone de Puerto Blest car Moreno estimait qu’elle détenait les beautés naturelles les plus intéressantes de toute la Patagonie. Cette zone est actuellement l’un des sites le plus visités de San Carlos de Bariloche. Lors de la donation du territoire, Moreno s’assura auprès des autorités que cette terre ne serait pas endommagée et qu’elle ne subirait pas d’autres installations que celles qui permettaient l’accès du simple visiteur. En 1922, le premier Parc National Argentin fut créé sous le nom de « Parque Nacional del Sur », celui-ci comprenait dans une première étape essentiellement le territoire légué par Francisco P. Moreno. J’aimerais maintenant m’attarder un peu sur le mode de fonctionnement des Parcs Nationaux en relevant notamment les modèles sur lesquels ils s’inspirent et le lien étroit qui les unit au tourisme. Page 21 L’étude des premières années de la création des parcs sont plus qu’intéressantes car elles posent déjà les idées maîtresses qui inspirent toujours les autorités actuelles à charge des Parcs Nationaux argentins. Je souhaite ici rappeler qu’à l’échelle mondiale, le premier Parc National fut le parc de Yellowstone situé aux Etats-Unis et qu’il fut inauguré en 1872. Les finalités du parc étaient alors de distinguer une zone géographique pour ses caractéristiques paysagères, d’en préserver son patrimoine pour les générations futures et d’en permettre la jouissance à tous sans distinction de classes. Les grandes réalisations nordaméricaines vont donc directement inspirer la nation argentine. Moreno avait démontré l’exceptionnelle beauté des paysages du sud et la richesse de sa faune et flore, le pays ne manquait donc pas de zones à distinguer. La préservation pour les générations futures faisait déjà partie des conditions exigées par Moreno aux autorités lorsqu’il leur légua ses terres. Enfin, il fallait garantir aux populations la jouissance de la région. Le développement touristique était donc sous-jacent à la création des parcs nationaux. Le paysage devint la ressource principale pour motiver les déplacements de touristes. Plusieurs initiatives concrètes furent prises par les autorités des Parcs Nationaux afin de rapidement encadrer le développement touristique comme par exemple : o L’autorisation d’octroyer des concessions pour la construction d’hôtels o L’aménagement des sentiers et routes ainsi que des voies de transports maritimes (projet futur d’excursions lacustres). o L’installation de terrains de campings (sous conditions strictes) afin de permettre aux populations moins aisées de loger à moindre coût. o La mise en place d’un contrôle de la capacité hôtelière et des différentes catégories d’établissements hôteliers présents afin de proposer une offre variée. o L’autorisation d’octroyer des terrains pour la construction de propriété privée (sous conditions strictes) Ces premiers aménagements des PN13 se réalisèrent selon des normes et conditions strictes établies par les autorités des PN mais contrôlées par l’Etat. La condition majeure était de conserver les caractéristiques de beauté naturelle de la région. 13 Les initiales PN signifient Parque National Page 22 En 1934, la première loi nationale concernant la gestion des Parcs Nationaux fut énoncée (loi N°12.103.) : L’article n°7 de la loi N°12.103 précise : « (…) a los fines de este ley, podrá declararse parque o reservas nacionales aquellas porciones del territorio de la Nación que por su extraordinario belleza, o en razón de algún interes científico determinado, sean dignas de ser conservadas para uso y goce de la población de la Argentina » Traduction : « (…) au terme de cette loi, pourront se déclarer Parc ou Réserve Nationale les portions de territoire de la nation qui, pour leur extraordinaire beauté, ou en raison d’un intérêt scientifique déterminé, sont dignes d’être conservées pour l’utilisation et la jouissance de la population Argentine ». Cette année là, fut créée la « Dirección de Parque Nacional » sous la direction du Ministère de l’agriculture. Les deux premiers Parcs Nationaux du Nahuel Huapi et d’Iguazú furent officiellement reconnus par les autorités et Ezequiel Bustillo prit la première présidence de l’organisme. La personnalité et le travail de cet homme doivent ici être soulignés car tout comme Francisco P. Moreno, il fut un véritable précurseur. Grand visionnaire, Bustillo souhaitait convertir les parcs en régions touristiques et s’en donna les moyens. Les dix années durant lesquelles il fut à la tête des PN (1934 -1944) sont racontées dans un ouvrage particulièrement intéressant appelé « El despertar de Bariloche » : Le réveil de Bariloche. On peut y lire les difficultés techniques, financières, humaines liées aux premiers grands travaux mais aussi l’énergie et la détermination incroyable avec laquelle Mr Bustillo planifie le territoire dont il avait la charge. Il estimait aussi que : « C’était définitivement le chemin que l’Argentine devait suivre si elle voulait un jour, et une fois pour toute, être propriétaire de toutes ces extensions géographiques qui avec ses lacs, ses rivières, ses bois, ses montagnes et sa neige réunissaient les conditions nécessaires pour se convertir en un centre touristique le plus attrayant et important au monde »14. Bustillo rêvait d’élever San Carlos de Bariloche au rang des destinations touristiques européennes, c’est donc avec cet objectif qu’il orienta une partie de l’hôtellerie vers un service de luxe afin d’accueillir la haute bourgeoisie argentine et obtenir ainsi une plus grande visibilité. Conscient que cette région, 35 ans auparavant, était un désert à moitié vide, il souhaitait par le tourisme créer des foyers de peuplement en attirant la création d’infrastructures économiques. Bustillo s’inscrivait donc bien là dans une réelle démarche de 14 BUSTILLO Exequiel, « El despertar de Bariloche », Editorial Sudamericana, Buenos Aires, 1968 Page 23 colonisation. Il s’inspira aussi délibérément des travaux de géologues nord-américains qui après de nombreux séjours en Patagonie et de profondes réflexions, avaient osé une démarche prospective en comparant la région du lac Nahuel Huapi avec celle du lac Michigan. Il avait envisagé Bariloche telle une ville industrielle avec notamment la présence d’une centrale hydraulique. Pour des raisons principalement d’ordre politique, Bustillo ne put mettre en pratique ses plans audacieux de développement et dut se cantonner à concentrer son énergie sur le développement des Parcs Nationaux. Il parvint cependant à élever la région de Bariloche en une porte d’entrée vers des Parcs Nationaux et à lui donner une véritable vocation touristique dont elle jouit encore aujourd’hui. 2.2 Etat de la situation actuelle des Parcs Nationaux Le tourisme en Patagonie repose directement sur des sites naturels exceptionnels – le glacier Perito Moreno et le parc National des Glaciers, la Terre de feu et la baie du Canal de Beagle, la Péninsule Valdez et ses baleines franches, la région des lacs andins, etc.. – une nature qui suppose un cadre d’infrastructures efficaces. Ces espaces autrefois totalement ou très difficilement accessibles s’offrent maintenant aux voyageurs dans un dédale de passerelles, d’embarcations, de points panoramiques, de sentiers ou autres installations qui en permettent l’accès. Il existe en Argentine 3 catégories d’aires protégées gérées par l’administration des Parcs Nationaux totalisant une superficie de 3.700.000 hectares soit seulement 1,3% du territoire national, elles sont réparties comme telles : o Les Parcs Nationaux : couvrent 70 % des aires protégées o Les réserves naturelles strictes : 15% des aires protégées o Les réserves naturelles : 15 % des aires protégées Des 26 Parcs Nationaux dont disposent le pays, 10 d’entre eux se situent en Patagonie. La région tient donc une place privilégiée dans la gestion et les prises de décisions globales de ces territoires particuliers. C’est maintenant l’APN – l’association des Parcs Nationaux- qui donne le ton. Son discours teinté de préservation accorde une part très importante au tourisme et au rôle qu’il joue sur les Parcs. La plupart des sites touristiques de Patagonie sont basés sur des éléments naturels « mis en tourisme » en lien étroit avec l’administration des PN. L’APN énonce d’ailleurs clairement le lien qui l’unit au tourisme et son enjeu principal : « El gran desafío al cual nos enfrentamos es buscar para cada Parque Nacional su punto de equilibrio entre el desarrollo turístico - que implica sustentabilidad económica, ambiental y social de las ciudades vinculadas a las áreas protegidas - y la conservación de esas áreas »15 15 Page web : http://www.parquesnacionales.gov.ar/ Page 24 Traduction : « Le grand défi auquel nous devons faire face est de chercher pour chaque Parc National son point d’équilibre entre le développement touristique – qui implique la durabilité économique, environnementale et sociale des villes liées aux aires protégées – et la conservation de ces aires » Que ce soit à l’échelle nationale, entre les autorités de l’AAAVT 16 et l’APN ou entre chaque ville touristique de la Patagonie et son Parc National respectif, le discours est similaire. Il ressort de l’analyse une véritable préoccupation environnementale face à la croissance importante du nombre de touristes. La nature obtient donc par sa valorisation touristique une valeur marchande qui intéresse bien évidemment l’Etat ou d’autres investisseurs. L’Etat argentin a toujours été un acteur essentiel dans la préservation de l’environnement. Les administrations des Parcs Nationaux et de l’association des agences de voyages Argentines ( AAAVYT) ont d’ailleurs signé en 2007 un accord de collaboration valable pour 4 ans dans lequel chacune de ces institutions s’engage à travailler ensemble pour la protection des ressources naturelles sous la juridiction de l’ APN et à tenter que le développement des activités touristiques dans les aires protégées s’effectuent sous des critères durables et de qualité. L’AAAVYT s’engage aussi à planifier un développement touristique et la création de produits écotouristiques respectueux de la biodiversité naturelle des régions concernées. Le tourisme a donc participé concrètement à la « mise en valeur » de la plupart des zones protégées même si bien évidemment, le degré de visibilité n’est pas égal entre toutes ces zones protégées et les parcs nationaux. Reste que cette dualité est particulièrement difficile à gérer. La connotation touristique d’un espace suppose des conditions qui ne sont parfois pas simples à réunir comme les infrastructures, un personnel formé et compétent, une capacité d’hébergement relativement proche des sites, des moyens de transports et d’accès, des équipements de restauration, etc. Le tourisme est une pression de plus pour les espaces dits « protégés » ; néanmoins il est aussi une source de développement économique qui peut mener par la suite à préserver ce milieu. L’orientation que prendront ces espaces protégés face au développement touristique dépendra en grande partie des acteurs en place et de leurs intentions. Soulignons ici aussi le rôle primordial de l’Etat qui posera les bases ou du moins qui accordera la légitimité aux lois. La Patagonie semble tenter de trouver sa voie entre développement et conservation. Consciente de ses richesses naturelles mais aussi de son potentiel touristique, elle se cherche. La Patagonie ne semble pas à l’instar d’autres pays latino-américains se diriger vers ou même d’abuser du terme parfois magique d’Ecotourisme. A grands coups de « plans d’aménagements », la Patagonie propose, pour beaucoup de ces parcs nationaux, des projets de « zonages » aux vocations variées. 16 AAAVT est l’Association Argentine des Agences de Voyages et de Tourisme formé en 1951 Page 25 Troisième partie : Composantes du secteur touristique patagonien La réalisation de la carte schématique présentée ci-dessous m’a aidé à la compréhension visuelle de ce territoire. Elle comporte des éléments que j’ai déjà pu présenter dans la première partie de ce travail mais aussi et surtout, des informations directement liées à l’industrie touristique qui vont être présentées par la suite. J’estime qu’elle trouve sa place au préalable de cette troisième partie car elle permet d’en dresser un panorama rapide de points, peut être les plus signifiants, à cette étape de l’analyse. Légende de la carte schématique du tourisme en Patagonie argentine Page 26 Page 27 Chapitre 1 : Participation et comportements des principaux marchés émissifs de touristes vers l’Argentine 1.1 Aspects méthodologiques Ce chapitre a pour objectif de situer l’Argentine en fonction de ses flux touristiques. Etant donné l’angle d’approche déterminé pour ce travail, je me limiterai à analyser les données relatives aux arrivées touristiques. Il est primordial avant d’analyser les flux touristiques concernant la Patagonie, de dresser un panorama complet des flux touristiques à l’échelle nationale. J’analyserai donc les arrivées touristiques internationales, leurs provenances, leurs impacts économiques, … Ce chapitre se base essentiellement sur les données transmises par SECTUR, elles mêmes basées sur les chiffres transmis par les autorités de l’aéroport International Ezeiza de Buenos Aires et l’Indec (Institut National des statistiques et recensement) ainsi que les autorités officielles des douanes et migrations. Malgré les difficultés internationales de ces dernières années touchant directement le secteur touristique tels que le terrorisme, les désastres naturels, les fluctuations du coût du pétrole, etc.., les principaux foyers émetteurs mondiaux de tourisme ont continué à démontrer leur envie de voyager. Le Tourisme a pour de nombreux pays -notamment émergents- une place prépondérante représentant une possibilité nouvelle ou grandissante de rentrée de devises internationales, l’activité est assimilée à une activité d’exportation et a donc un impact direct sur l’économie. Pour cette raison mais aussi du fait qu’il est générateur d’autres activités économiques, le secteur touristique obtient donc une attention toute particulière de la part des gouvernements. 1.2 Tendance générale d’arrivées touristiques en Argentine Les principales difficultés se situent dans le fait que la Patagonie ne possède pas encore un bureau ou ne serait-ce qu’un relevé de statistiques touristiques générales. Chaque ville édite un relevé des flux touristiques selon ses propres critères ; cette particularité rend donc les comparaisons et l’analyse beaucoup plus complexe. Afin de mieux cerner le territoire patagonien, je souhaite au préalable présenter quelques chiffres concernant les arrivées touristiques à l’échelle nationale. Depuis le début des années 90, l’Argentine présente une constante augmentation du nombre des arrivées de touristes étrangers. Une période plus critique débuta cependant en 1998 et se concrétisa en 2001 suite à la crise économique et politique qu’a subie le pays. L’insécurité régnante et les images de Page 28 révolte populaire transmises de par le monde forceront les voyageurs à laisser de côté la destination Argentine. Néanmoins, le pays gagnera rapidement une nouvelle progression même si deux années seront nécessaires pour retrouver un taux de fréquentation digne de l’an 2000. A partir de 2001, la dévaluation de la monnaie nationale a, peu à peu, modifié les règles du jeu, provoquant une augmentation du tourisme interne et une diminution du tourisme émissif. Privés d’un pouvoir d’achat en USD, octroyé pendant 10 ans grâce à des stratagèmes financiers donnant sur une fausse parité Pesos – Dollar Américain à laquelle la population s’était bien volontairement habituée, les argentins se voient maintenant contraints de diminuer leur voyage vers l’international pour mieux découvrir les richesses de leur propre pays. A l’inverse, les voyageurs internationaux bénéficient, eux, d’un taux de change plus que favorable et peuvent envisager avec moins de difficultés cette destination autrefois très onéreuse. Rien ne semble pour le moment pouvoir arrêter, ou du moins freiner, les arrivées touristiques Arrivées de touristes étrangers en Argentine … 4.500.000 4.000.000 3.500.000 3.000.000 2.500.000 2.000.000 1.500.000 1.000.000 500.000 0 Arrivées de touristes étrangers en Argentine de 1990 à 2006 1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 Années Source : Elaboration propre sur base des données communiquées par Sectur 17 1.3 Principaux marchés émetteurs de touristes vers l’Argentine Le graphique présenté ci-dessous montre l’évolution des principaux marchés émetteurs de touristes à destination de l’Argentine entre 1998 et 2006. L’initiative de regrouper les marchés bolivien, paraguayen et uruguayen fut rapidement décidée étant donné que ce sont trois pays frontaliers et qu’on peut facilement se questionner sur les raisons motivant leurs déplacements car elles ne sont peut-être pas uniquement touristiques, même si elles sont présentées comme telles. La difficulté d’analyse provient du fait qu’il faut envisager ces données avec méfiance en considérant avec attention les critères, les définitions, la méthodologie appliquée par l’institution en charge de relever ces données chiffrées. Il est 17 Sectur : www.sectur.gov.ar Page 29 par exemple facilement imaginable que derrière une partie des arrivées dites « touristiques » des pays limitrophes à l’Argentine se dissimulent aussi un certain nombre d’émigrés qui profite de l’alibi du séjour touristique pour entrer sur le territoire. On peut rapidement observer l’augmentation soutenue et progressive du marché chilien à partir de 2002. La crise économique argentine de 2001 provoqua la chute de la monnaie locale et la population chilienne put en profiter en bénéficiant d’un plus haut pouvoir d’achat rendant la destination plus démocratique. Après une baisse significative aux alentours de 2001, le marché brésilien semble reprendre sa place et confirmer, particulièrement ces dernières années, son importance pour l’Argentine. Finalement, relevons la croissance soutenue du marché émetteur européen qui peut paraître minime à côté du Brésil ou encore du Chili mais qui, pourtant, illustre bien l’émergence de la destination Argentine pour des marchés plus lointains outre Atlantique. Arrivées touristiques Répartition des arrivées touristiques selon le pays de provenance entre 1998 et 2006 4500000 4000000 3500000 3000000 2500000 2000000 1500000 1000000 500000 0 reste du monde reste des amériques USA-Canada Europe Brésil Chili Bol-Paraguay-Uruguay 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 Années Source : Elaboration propre sur base des données de l'indec et sectur Voyant l’importance des marchés émetteurs limitrophes à l’Argentine, je souhaite m’attarder plus longuement sur ce point en prenant, à titre d’exemple, l’année 2005 pour laquelle je dispose des détails chiffrés précis. 1.4 L’Importance des marchés limitrophes La présentation des données des arrivées touristiques pour l’année 2005 -selon leurs provenancessous forme de graphique de proportion permettra certainement une meilleure compréhension du phénomène. Page 30 Arrivées de touristes étrangers en Argentine en fonction de leur pays d’origine – Année 2005 Source : www.turismo.gov.ar/estadistica On peut y observer l’importante proportion de visiteurs en provenance des pays limitrophes de l’Argentine : en effet, si l’on additionne les visiteurs de l’Uruguay, du Paraguay, du Chili, du Brésil et de la Bolivie cela représente 59,6 % du total des entrées touristiques. Il y a certainement une logique de proximité qui s’applique dans les déplacements touristiques, la situation géographique de l’Argentine à l’échelle mondiale permet difficilement l’accès -au prix de nombreuses heures de vols au coût élevédes principaux marchés émetteurs mondiaux que sont le bassin Nord Américain, l’Europe, le Japon et l’Asie du Sud. Au regard des statistiques d’autres pays, l’Argentine ne semble pas être seule à bénéficier d’une très large part de ses arrivées touristiques provenant de foyers de proximité. De manière générale, ces chiffres, ou du moins cette tendance, sont généralement peu révélés, confortant d’autant plus cette idée préconçue d’une dualité Nord – Sud aussi présente dans les rapports touristiques. L’Amérique Latine est, sur ce point, un cadre intéressant car elle reflète assez bien cette idée des nombreux flux internes au continent ou même limitrophes. Certaines nations sud-américaines ont pris ces dernières années une importance considérable d’un point de vue économique à l’échelle mondiale allant jusqu’à s’instaurer en tant que marché extrêmement prometteur et se rajouter à la liste des pays dit émergents. Citons le cas du Brésil (important foyer émetteur touristique pour l’Argentine) qui tout comme la Russie, l’Inde et la Chine fait partie du groupe BRIC représentant des nations aux fortes croissances révélées au XXIème siècle qui sont appelées à conforter toujours plus, leur place économique à l’échelle mondiale. La crise économique de cette fin d’année 2008 remettra peut être en cause cette perspective de croissance. Cependant, on peut imaginer que cette même crise économique, affectant le pouvoir d’achat des habitants des pays développés et limitant peut être leur budget voyages, poussera les voyageurs dans des logiques de proximité ; les pays limitrophes à l’Argentine prendront alors d’autant plus d’importance en terme de flux touristiques. Page 31 Chapitre 2 : Transports L’accessibilité est un point majeur de la mise en tourisme d’un territoire, lien entre l’espace émetteur et récepteur, c’est le transport qui déterminera en grande partie le coût d’un voyage, les flux de voyageurs ou encore les investissements. Son influence se répercute donc à de nombreuses échelles et ceci tout au long du processus de mise en tourisme. L’acheminement des voyageurs ou encore plus simplement la possibilité ou non pour le touriste d’accéder à un site ou à une région détermine les bases du développement touristique. Face à un territoire tel que la Patagonie, il est essentiel de consacrer une analyse concrète et la plus actuelle possible des différents types de transports présents ainsi que de leurs répercutions respectives sur le développement touristique. J’analyserai donc séparément les différents moyens de transport afin d’en saisir toutes les spécificités. Ces éléments seront à maintes reprises cités et inclus dans l’analyse des différentes régions touristiques étudiées. Quelle est donc la situation de la Patagonie Argentine ? Pour répondre à cette question, il est opportun de retourner aux prémisses du tourisme national. 2.1 Emergence du train et des premiers espaces touristiques balnéaires SOURCE : BERNARD N., BOUVET Y., DESSE R.P., « GEOGRAPHIE DE L’ARGENTINE, APPROCHE REGIONALE D’UN ESPACE LATINO-AMERICAIN », PRESSES UNIVERSITAIRES DE RENNES, 2005 Page 32 Aidé par le développement du chemin de fer, la classe bourgeoise de Buenos Aires profite dès la fin du XIXème siècle d’infrastructures touristiques situées sur la côte atlantique au sud de la capitale. La station balnéaire de Mar del Plata sera la reine des plages et accueillera durant les mois d’été cette bourgeoisie naissante qui souhaite calquer ses pratiques touristiques sur les modèles européens. L’oligarchie portène18 génère rapidement un intérêt relayé par de nombreux investisseurs hôteliers de luxe ou architectes. Pendant cette première étape de développement, les deux compagnies de chemin de fer existantes s’appliqueront à développer des services de qualité (cabines dortoirs, wagons de première classe, salles de restaurants) ainsi que des établissements hôteliers toujours dirigés vers une clientèle de luxe. Les transports ferroviaires vont bien évidement développer leurs lignes à partir du plus important foyer émetteur de voyageurs c'est-à-dire Buenos Aires et vers des régions répondant aux exigences climatiques des premiers touristes. Malheureusement, « le littoral central et méridional de la Patagonie où les distances sont trop grandes par rapport aux pôles émetteurs septentrionaux, la rigueur du climat et la monotonie des paysages freinent l’émergence de véritables stations balnéaires »19. Cette situation reste encore influente à notre époque et sera relevée tout au long de ce travail. 2.2 Transport ferroviaire La Patagonie n’a donc pas été incluse dans les premiers développements touristiques argentins. . Néanmoins, il faut signaler qu’une ligne de train a été organisée à partir de 1934 depuis la Capitale vers la petite ville de San Carlos de Bariloche située au nord-ouest de la Patagonie. Cette ligne de chemin de fer donnera l’impulsion nécessaire à Bariloche pour s’instaurer comme la première station touristique Patagonique. La première nationalisation des services ferroviaires en 1948 aura malheureusement un impact négatif sur le développement du transport. Retiré des mains des principaux groupes étrangers (à grande majorité Britannique), la compagnie entra dans une étape de récession de son réseau ainsi que de la qualité de son service20. Seul un nouveau service de luxe de Buenos Aires à Bariloche, inauguré en 1967, semblait pouvoir survivre… Ce ne fut malheureusement pas non plus le cas. Le train a donc souffert d’une baisse importante de son service, ce qui favorisa le développement de l’automobile et de son industrie. Les distances importantes séparant Buenos Aires de la Patagonie et la faiblesse du réseau routier dans les régions australes n’incitèrent donc pas le développement touristique de la région étudiée. Le transport ferroviaire est donc au-delà des années 70 devenu pratiquement inexistant en 18 Les habitants de Buenos Aires sont appelés les Portenos en référence au port de leur ville. Nicolas Bernard, Yvanne Bouvet et René-Paul Desse, « Le tourisme sur le littoral atlantique de l’Argentine : évolution des pratiques et organisation spatiale ». Géocarrefour, vol.79/2, 2004.p.6. 20 10.000 kilomètres de voies seront annulés suite à la nationalisation du chemin de fer. Noemi Wallingre, « Historia del Turismo argentino », Coleccion : Temas de Turismo, Ed Turisticas, 2007, p.103 19 Page 33 Patagonie et très peu développé dans le reste du pays. Ce service, déjà défaillant, sera définitivement anéanti fin des années 80-début 90 lorsque la gestion du réseau ferroviaire fut reléguée aux provinces. Cette décision du gouvernement motiva la fermeture ou la suspension de nombreuses lignes isolant donc plus encore certaines régions touristiques d’un transport réellement porteur. Les argentins vouent au transport ferroviaire une certaine nostalgie d’un temps définitivement révolu ou la situation politique et économique de leur nation semblait promise à un bel avenir. Ce sentiment peut s’illustrer dans l’actualité par la polémique liée au « Trenbala » même si ce projet ne concerne pas directement la Patagonie. « TRENBALA » Depuis quelques mois, un nouveau projet de train à grande vitesse nommé « Trenbala » prévu pour 2009 est sujet à de nombreuses protestations sociales. L’œuvre représente un investissement de 5000 millions de US$ et ouvrira un nouvel axe rapide entre Mar del Plata - Buenos Aires – Rosario et Cordoba (situé au centre du pays). Les populations s’insurgent contre le caractère limité et élitiste de ce projet utilisant un axe déjà fortement développé, une infrastructure peu génératrice d’emplois et des tarifs difficilement accessibles pour la majorité de la population. Rassemblés sous l’association « Projecto Sur-Tren para todos »21, ils proposent un projet concret afin de « récupérer » le transport ferroviaire à l’échelle nationale au moyen d’un réseau de voies de 7000 km (dans sa première étape) qui parcourrait les régions du Centre, de Cuyo, du Nord Ouest argentin et de la Patagonie. Ce transport n’est donc pas présent sur le territoire patagonien alors que pourtant la géographie des lieux (à grande majorité des plaines) pourrait parfaitement satisfaire le développement de lignes de chemins de fer. 2.3 Transport terrestre A partir des années 20, l’Argentine verra son réseau routier se modifier peu à peu par l’arrivée de l’automobile. L’insertion de ce nouveau moyen de transport modifiera la manière de voyager, ce qui incitera les autorités nationales à planifier un réseau de routes de plus en plus important 22.Ce réseau routier se développera majoritairement sur le tracé des principales voies ferroviaires présentes, privant donc certains territoires de la révolution automobile au profit d’autres espaces qui subiront, par conséquent, un développement croissant de l’arrivée de voyageurs. La Patagonie se voit une fois de plus écartée des lignes de développement excepté la petite ville de San Carlos de Bariloche. Un grand 21 22 Site Web : www.trenparatodo.com.ar Noemi Wallingre, « Historia del Turismo Argentino », Coleccion : Temas de Turismo, Ed Turisticas, 2007, p.77 Page 34 déséquilibre se marquait donc dans l’accessibilité de la région étudiée. Les patagoniens devront patienter jusqu’à la seconde moitié du XXème siècle pour susciter l’intérêt du gouvernement qui, attiré par le développement des hydrocarbures présents dans la région, projettera l’aménagement d’axes routiers. La Patagonie sera dorénavant parcourue par deux routes nord-sud ; l’une longe la côte est du territoire (Route nationale 3) et l’autre parcourt la cordillère des Andes de tout son long (Route nationale 40). Pour partager le territoire d’ouest vers l’est, il existe quelques routes transversales principalement situées le long de vallées fluviales. Le système routier se révèle donc très épuré et laisse apparaître d’importants territoires inaccessibles et enclavés. L’Argentine compte néanmoins un réseau de bus de longue distance important offrant un confort correspondant ou supérieur aux normes européennes. Le pays est quadrillé par de nombreuses compagnies disposant de service allant du simple siège inclinable au lit couchette. Les régions situées au nord de la Patagonie ont la chance de bénéficier de ce type de service même si les heures de voyage sont bien évidemment conséquentes : le trajet de Buenos Aires à San Carlos de Bariloche a une durée approximative de 23h pour un coût compris entre 160 et 240 pesos (selon le taux de change actuel, tarif allant de 33 à 50 €23), 18h de trajet sépare la capitale de Puerto Madryn (Péninsule Valdés) pour un montant s’élevant entre 170 et 220 pesos ( équivalent à 35 à 46 €). Malheureusement, les autres destinations plus australes ne sont pas accessibles en bus étant donné les distances importantes les séparant des terminaux. Néanmoins, il reste possible d’envisager un voyage au sud du pays en bus avec de très nombreuses connexions irrégulières allongeant de manière considérable la durée du trajet. Ma réflexion est donc la suivante : la Patagonie touristique dépend-t-elle essentiellement du transport aérien ? Quelle est la situation de ce secteur qui semble donc prendre au fil de cette analyse toute son importance ? 2.4 Diagnostic du transport aérien Une grande fragilité ressort de l’analyse de la situation aérienne commerciale de l’Argentine et plus encore pour la Patagonie. Une fois de plus, il est intéressant de visualiser dans quel contexte est apparue l’aviation argentine, aux mains de quels acteurs a-t-elle été placée et quels ont été les développements engendrés au fil du temps ? Les premières tentatives de lignes aériennes argentines concernaient principalement la Patagonie. L’isolement de ce territoire du bout du monde avait déjà été remarqué et les premières destinations de 23 Tarifs de l’été austral 2007 – 2008 www.viabariloche.com.ar Page 35 vols intérieurs ont été Comodoro Rivadavia, Rio Grande et Rio Gallegos24. A partir de 1947, une fusion des petites compagnies présentes sur le marché s’effectua et prit le nom de L.A.D.E comme première Ligne aérienne de l’Etat Argentin (Lineas Aereas del Estado). Cependant, cette compagnie n’exerçait pas réellement dans un cadre commercial. En effet, sa principale fonction était « d’offrir un service aérien sans but lucratif, appliquer des tarifs démocratiques dans le but de réussir une meilleure intégration nationale des régions isolées ou jugées en développement, tout particulièrement en Patagonie »25. En 1950, l’Argentine disposait de sa ligne aérienne de bandera c'est-à-dire nationale, elle prit le nom d’Aerolinas Argentinas et fut directement intégrée à l’Association Internationale de transport Aérien (I.A.TA.). L’arrivée sur le marché de la compagnie nationale permit le développement de nouvelles routes : en 1951, Aerolineas Argentinas connectait 46 villes de l’intérieur du pays avec la capitale et exploitait 15 destinations internationales26 Aerolinas Argentinas fut, tout comme de nombreux autres projets, le résultat de la politique Perroniste mise en place à cette époque. S’insérant dans cette idée-maître déjà mentionnée plus haut de « Conocer la patria es un deber », le président Perron a rapidement instauré l’idée d’une ligne aérienne qui appartiendrait aux Argentins lui greffant ainsi un caractère national qui perdure encore actuellement. Même durant les périodes les plus critiques, la compagnie va s’ériger au sein de la population tel un symbole national qu’il faut défendre, un symbole qu’il faut aussi protéger des actions financières extérieures. Certains auteurs tels que Maximiliano Korstanje ont d’ailleurs étudié attentivement le processus de nationalisme lié à cette compagnie aérienne et ses répercussions concrètes sur la société27. Dès les années 90 et à l’instar d’autres secteurs de compagnie nationale tels que les télécommunications, l’énergie ou encore le système de protection sociale, les transports aériens vont subir un processus de privatisation engendré par les politiques du président Menem au pouvoir. Dans une approche totalement néolibérale, le rôle de l’Etat se verra réduit à sa plus simple expression afin de donner libre cours aux forces économiques du marché. Cette libéralisation commerciale entraîna la privatisation de la quasi totalité des entreprises publiques notamment Aerolineas Argentina. Le 21 novembre 1990, la compagnie nationale devint propriété du groupe espagnol Iberia composé d’une série de plus petites sociétés commerciales et financières. La particularité de cette vente provient La première compagnie aérienne fût Aeroposta Argentina S.A. créé en 1927. Noemi wallingre p 80 Noemi Wallingre, « Historia del Turismo Argentino », Coleccion : Temas de Turismo, Ed Turisticas, 2007, p.80 26 Destinations internationales exploitées en 1951 : New York, Madrid, Lisboa, Roma, Londres, Paris, Amsterdam, Belem, Natal, San Pablo, Santiago de Chile et deux destinations des Caraibes ; La Havane et Puerto Espagna ainsi que une destination africaine ; Dakar. Noemi Wallingre p.106 27 Maximiliano Korstanje, « Reflexion sobre el caso aerolineas Argentinas : funciones simbolicas e identitarias en el processo del ser nacional ». Revista Pasos, Vol.6 N°1 Pag.97-107, 2008 24 25 Page 36 aussi du fait que même si 85% du capital d’actions appartiennent au groupe espagnol, 10% restent aux travailleurs et 5% à l’Etat argentin. Le processus de privatisation de l’entreprise engendra une restructuration rapide et conflictuelle au niveau de la composition de la flotte, des routes exploitées, de la formation du personnel et sur bien d’autres points. Les problèmes précédents la vente ne furent pas réellement pris en compte et l’image entachée de la société par les trop nombreuses restructurations entraina Aerolineas dans une grave période de crise. L’année 2000 fut marquée par la demande de salvaje financiero28 (Sauvetage financier) proposé par le groupe propriétaire et l’Etat menant à une nouvelle et énième restructuration. Les conséquences se firent rapidement sentir : diminution de l’offre des destinations, de la qualité du service, problèmes liés à la gestion des horaires, protestations et grèves du personnel, etc. Les quelques nouvelles compagnies aériennes exploitant les lignes intérieures du pays ou internationales ne parvinrent pas à se maintenir sur le marché face à la situation de quasi monopole détenue par Aerolineas Argentinas et par la crise économique initiée en 2001. Affrontant la menace d’une envisageable faillite de la compagnie, le groupe Marsans devient alors propriétaire d’Aerolineas. Les autorités pointent du doigt la mauvaise gestion espagnole, des actes de corruptions sont dévoilés, le mystère de la vente de la compagnie nationale plane toujours sur le sol argentin. La situation du transport aéro-commercial argentin fut donc reconnue comme inquiétante. En 2005, mené par la volonté de briser le monopole géré par Aerolineas (contrôlant presque 90 % des vols sur le marché national), l’Etat a accepté l’insertion de la compagnie Lan Argentina-membre du groupe chilien Lan. Cette démarche permettant à une compagnie d’origine étrangère d’exploiter des vols nationaux argentins reçu un accueil très mitigé mais a néanmoins permis une relative diversification de l’offre sur certaines destinations. Cependant, une très petite place est laissée à la concurrence et Aerolineas semble continuer à régner en maître sur le marché aérien argentin. La déshadésion du personnel due aux irrégulières conditions de travail et à la législation salariale en vigueur amène des grèves récurrentes sur le territoire argentin bloquant donc trop souvent la Patagonie d’un transport plus que nécessaire à son développement. A partir de 2004, plusieurs compagnies internationales qui avaient cessé d’exploiter la route vers l’Argentine ont réinicié leurs activités, ce qui fut bien évidemment considéré comme un retour de la confiance envers la nation. Replaçons un instant ces informations dans un contexte de vie quotidienne pour les argentins et de déplacement touristique pour les voyageurs étrangers. Intéressons-nous avant toutes choses aux tarifs pratiqués par « Aerolineas Argentinas ». La compagnie, en situation de quasi monopole, peut se permettre d’appliquer sa politique tarifaire sans être un tant soit peu menacée par d’autres compagnies. 28 Noemi Wallingre, « Historia del Turismo Argentino », Coleccion : Temas de Turismo, Ed Turisticas, 2007, p.161 Page 37 Face au géant Aerolineas, Lan Chili ou les quelques autres petites compagnies ne disposent pas d’assez de pouvoir commercial pour influencer le marché. Voici à titre d’exemple, quelques tarifs pratiqués par AR pour la prochaine saison haute 2008/200929 : o Buenos Aires - El Calafate : 238 EUR / pax TTC - durée de vol : 3h10’ o Buenos Aires - Ushuaia : 145 EUR / Pax TTC - durée de vol : 3h40’ o Buenos Aires - Puerto Madryn : 195 EUR / Pax TTC - durée de vol : 2h o Buenos Aires - San Carlos de Bariloche : 182 EUR / Pax TTC - durée de vol : 2h20’ o Ushuaia - El Calafate : 178 EUR / Pax TTC - durée de vol : 1h10’ o El Calafate - Bariloche : 310 EUR / Pax TTC - durée de vol : 1h45’ Etant donné le coût relativement élevé des vols intérieurs, les touristes doivent souvent effectuer un choix dans les différentes destinations, la population locale quant à elle ne peut envisager facilement un déplacement en avion. Ces derniers mois, la situation de la compagnie « Aerolinas Argentinas » se voit à nouveau modifiée. Suite à de nombreux mois de chaos tant au niveau de l’exploitation commerciale que la situation sociale des 9000 employés, l’Etat argentin s’est donc montré finalement preneur de la compagnie et celle-ci s’est donc vue nationalisée au terme d’une semaine mouvementée. Lourde sera la tâche de l’état argentin de retrouver une clientèle qui n’est depuis longtemps plus convaincue du service offert, de retravailler ce sentiment d’appartenance bafoué et d’offrir une flotte de qualité et des horaires respectés. C’est donc une compagnie en crise dont l’état argentin est maintenant propriétaire. Une compagnie qui devra aussi lutter contre un secteur en crise, le cas d’Aerolinas Argentina n’est pas isolé. Le système aérien commercial tente de faire face depuis quelques longues années aux augmentations récurrentes de carburant, à l’insécurité internationale, etc… Peu de professionnels ou d’économistes osent se prononcer sur le futur de la compagnie nationale argentine et ce n’est certainement pas la situation actuelle de ce début de mois d’octobre 2008 qui viendra apporter plus de sécurité financière…. Tarifs valable pour des non résidents argentin et sujet à modifications et disponibilité. Agence réceptive TIJE Premium située à Buenos Aires Site web : www.tije.com.ar 29 Page 38 Chapitre 3 : Hôtellerie 3.1 Aspects méthodologiques Elément plus que révélateur du développement touristique en place, l’hôtellerie mérite à elle seule toute l’attention. Le type d’hébergement existant, la capacité hôtelière, les acteurs participants, les localisations sont autant d’éléments à relever afin d’obtenir un panorama précis de ce secteur essentiel du tourisme. Je tenterai donc au cours de ce chapitre de déceler les caractéristiques communes aux quatre régions étudiées et leurs impacts sur le développement touristique à l’échelle de la Patagonie. Je commencerai l’analyse par les villes d’El Calafate et Ushuaia qui semblent partager de nombreux points communs ; Bariloche et Puerto Madryn sont quant à elles soumises à d’autres logiques de développement étant donné qu’elles sont aussi des destinations de tourisme national. Malheureusement, il n’existe pas de relevé de statistiques à l’échelle de la Patagonie et les quatre régions étudiées doivent donc s’envisager séparément. 3.2 El Calafate et Ushuaia Les précédents chapitres ont relevé le développement tardif de ces 2 spots du tourisme argentin. A la différence des années 90 pendant lesquelles le développement hôtelier s’est principalement concentré dans les grandes villes (telles que Buenos Aires, Cordoba, Mendoza), les années 2000 ont plutôt initié un développement hôtelier spatialement mieux distribué, touchant donc directement de plus petites localités. Le taux de change, modifié suite à la crise économique de 2001, a favorisé d’une part les flux de touristes étrangers et d’autre part les Argentins à voyager dans leur propre pays, certaines petites régions autrefois méconnues sont donc devenues de véritables centres touristiques. Tel fut le cas des deux villes que je souhaite développer dans les lignes suivantes. Afin de faire face à la demande croissante de voyageurs, les petites villes d’El Calafate et Ushuaia ont été relativement réactives et ont tenté d’adapter rapidement leur capacité hôtelière. Quels sont donc les résultats de cette adaptation et quelles sont les caractéristiques principales de cette offre hôtelière ? 3.2.1 Capacité hôtelière Lors du dernier recensement effectué par leur office du tourisme respectif en 2006/2007, El Calafate disposait d’une capacité hôtelière de 6800 lits, Ushuaia quant à elle en proposait 4430. Ces capacités peuvent être jugées faibles si l’on sait que ces deux villes constituent les deux principales destinations des touristes étrangers lors de leur visite en Patagonie. A la lecture de l’évolution de l’offre hôtelière, il est facilement aisé de constater que les principaux établissements hôteliers sont apparus à partir des Page 39 années 2001 – 2002 suite à la crise économique. Ces deux régions autrefois plus difficilement accessibles (principalement par manque de transport) se sont littéralement « ouvertes » et ont su rapidement profiter d’un afflux d’investissements publics et privés dans le secteur touristique mais aussi au niveau de l’aménagement de leurs villes. El Calafate et Ushuaia semblent avoir vite compris que le dynamisme de l’activité touristique pouvait leur être rapidement bénéfique. Cela peut facilement s’observer par l’évolution de la capacité hôtelière dans la ville d’El Calafate illustrée par le tableau et graphique ci-dessous : Capacité hôtelière d’El Calafate selon la catégorie d’établissements de 99 à 2007 SOURCE : ANALISIS ESTADISTICA TEMPORADA 06-07 SECRETARIA DE TURISMO DE LA MUNICIPALIDAD DE EL CALAFATE Evolution de la capacité hôtelière totale de la ville d’El Calafate de 99 à 2007 SOURCE : ANALISIS ESTADISTICA TEMPORADA 06-07 SECRETARIA DE TURISMO DE LA MUNICIPALIDAD DE EL CALAFATE Même si la capacité hôtelière de Calafate et d’Ushuaia peut surprendre étant donné la place prépondérante que jouent ces deux villes dans le tourisme patagonien, il est bon de souligner la rapide prolifération des établissements touristiques. Cette nouvelle activité a rapidement redessiné les deux centres urbains en modelant peu à peu les axes principaux. La localité de Calafate ne dispose pas d’un Page 40 plan de développement urbain ce qui a par exemple été déterminant et a engendré une croissance assez désordonnée de la ville30. Ce désordre est cependant difficilement analysable étant donné le peu d’informations objectives traitant de ce sujet. Néanmoins, la comparaison d’un simple plan de la ville avec localisation des hôtels à des périodes différentes permet déjà de déceler certaines informations. Le tourisme est en soit une activité très demandeuse d’espace. Le succès des deux destinations touristiques a engendré une spirale des coûts fonciers limitant de plus en plus la population locale à l’accès à la terre. Il est important de souligner que Ushuaia tout comme El Calafate sont des villes de relative petite taille. Lors du dernier recensement officiel mené par l’Indec en 2001, Ushuaia comptait 45 785 habitants, El Calafate quand à elle disposait d’une population de 6 143 habitants. Les autorités locales estiment maintenant ce chiffre entre 17 000 et 23 000 même s’il n’a pas été confirmé officiellement, les relevés de population se calculant tous les 10 ans. Les structures et aménagements de la ville sont bien évidemment proportionnels à la population présente. On peut donc imaginer facilement l’impact de l’installation des nouveaux établissements construits entre les saisons estivales 2006 et 2007. Les deux villes ont vu leurs centres respectifs s’allonger (ces villes disposent d’un plan urbain dit en damier tout comme aux Etats Unis) et s’éloigner du centre « historique ». Les hôtels ont aussi « colonisé » d’autres zones relativement proches du centre et les commerces commencent à suivre. Néanmoins, on peut remarquer que les autorités locales n’ont pas réussi à faire face à cette croissance ou du moins pas réussi à accompagner ce récent développement. Une preuve intéressante est le manque significatif de voiries goudronnées dans ces nouvelles zones ou encore de l’aménagement de trottoirs31. Quant aux services de bases tels que l’électricité, la provision d’eau, la téléphonie, ou la télévision câblée, ils ont été développés mais malheureusement pas de manière proportionnelle aux nouveaux besoins32. 3.2.2 Une offre aux prémisses de sa diversification L’offre de logements présente dans ces deux petites villes se distribue entre les hôtels d’une à cinq étoiles, les Hosterias d’une à trois étoiles, les appart-hôtels, les bungalows, les Bed & Breakfast ou encore les auberges. Ces dernières années, les deux localités ont vu augmenter de manière conséquente leur offre d’hôtels de trois et quatre étoiles. Il en résulte donc une offre relativement peu diversifiée car les quelques établissements de catégorie inférieure déjà présents avant 2001, n’ont finalement bénéficié d’aucune amélioration ou ont même parfois été abandonné. Ce manque n’a pas ARTESI L. « Desarollo turistico en El Calafate » Estudios y perspectivas. Oficina de la Cepal en Buenos Aires Marzo 2003, p.36 31 ARTESI L., 2003: «Desarrollo turistico en El Calafate», Oficina de la Cepal en Buenos Aires, estudios y perspectivas, N° 15, p.3-61 32 Idem que 30 30 Page 41 non plus été compensé par de nouveaux investissements vers cette catégorie d’établissement. El Calafate dispose d’un seul hôtel cinq étoiles situé au cœur du centre ville. « Posada Los Alamos » offre une capacité de 300 lits. Jusqu’à présent aucun autre établissement de catégorie similaire n’est venu lui faire de l’ombre, on sait les critères d’exigences extrêmes retenus pour la catégorisation des hôtels de luxe. Ushuaia, quant à elle, dispose depuis 2005 de deux établissements 5 étoiles. Le mythique « Las Hayas » dominant la baie du canal de Beagle a vu apparaître un concurrent plus moderne situé lui sur les rivages du Beagle : « Los Cauquenes ». Ces deux hôtels proposent un total de 147 chambres de luxe tout comme « Posada Los Alamos » le propose à El Calafate. Néanmoins, de nombreuses alternatives de logements de grande qualité sont venues s’implanter non loin de l’unique hôtel de luxe. El Calafate dispose d’une quantité non négligeable d’établissements nouveaux de 4 étoiles supérieurs construits selon les dernières tendances internationales de l’hôtellerie et avec les dernières technologies. 3.2.3 Vers une recherche de style propre… Tendance Hôtel Boutique et Design L’offre hôtelière étant récente, les investisseurs ont eu la riche possibilité de s’adapter aux tendances et optimaliser ainsi leur offre au public actuel. La tendance Design-épurée très appréciée et valorisée dans l’hôtellerie internationale depuis quelques années semble être parvenue jusqu’aux confins de la Patagonie. Ushuaia, tout comme El Calafate, disposent de quelques établissements de ce style représenté par exemple par la chaîne hôtelière Design Suite33. Le concept général, en marge des règles de l’hôtellerie traditionnelle, est d’offrir un espace ouvert, de style moderne en parfaite adéquation avec le milieu dans lequel il est implanté. Pour ce faire, les architectes ont inséré dans leurs structures des matériaux de la région, des éléments souvent bruts afin d’accentuer le caractère particulier de l’endroit. L’art est aussi omniprésent, notamment par quelques œuvres d’artistes inspirés par l’environnement de l’hôtel. Les deux villes ont aussi été touchées par le phénomène des Hôtels-boutiques, auparavant surtout présents dans les plus grandes villes telles que Buenos Aires. Ce type d’hébergement à l’opposé même des hôtels dit « de chaîne » propose des établissements de plus petite capacité caractérisés par un service très SOURCE : SITE WEB DE L’HOTEL ESPLENDOR DE CALAFATE WWW.ESPLENDORHOTELES.COM www.designsuites.com dispose d’un hôtel à Buenos Aires, El Calafate, Bariloche et prochainement à Salta (nord-ouest et Ushuaia) 33 Page 42 personnalisé et une décoration moderne à tendance design. Ce type d’établissement initialement présent dans les milieux plus urbains a trouvé une place intéressante en Patagonie grâce à l’absence de chaînes internationales et de par ce fait une certaine standardisation du style hôtelier. Les hôtelsboutiques semblent avoir comblé une place vacante par une hôtellerie très jeune et en recherche de style. Néanmoins, on peut déjà se poser certaines questions concernant ce type d’établissements très « branchés »… ne seraient-ils pas voués au changement ? Ne se lasse-t-on pas d’une tendance ? Le futur développement hôtelier d’El Calafate et Ushuaia fournira certainement des pistes de réponses intéressantes au cours des prochaines années. Néanmoins, la particularité d’avoir une industrielle hôtelière jeune permet à cette partie de la Patagonie d’offrir un service correspondant parfaitement aux normes de standard en vigueur de l’hôtellerie actuelle. El Calafate ou Ushuaia ont en effet très peu de vieux établissements, l’hôtellerie sent encore la peinture, les écrans plats sont pratiquement dans toutes les chambres et les tendances déco sont de dernier cri. C’est un avantage important pour cette industrie naissante qui peut revendiquer son hôtellerie jeune et novatrice. 3.2.4 « Bed & Breakfast » ou la possibilité de s’insérer dans l’industrie touristique … A l’analyse du type d’établissements présents dans les deux villes d’Ushuaia et d’El Calafate, il est opportun de relever le nombre relativement important de Bed & Breakfast ou autres maisons d’hôtes. Ces établissements jouissent d’une forte occupation étant donné les tarifs intéressants qu’ils pratiquent en comparaison de l’hôtellerie traditionnelle. Face à la croissance importante du nombre de voyageurs internationaux, les habitants d’El Calafate et Ushuaia ont certainement trouvé, en l’installation d’un B&B, une manière rapide et efficace de s’insérer dans l’activité touristique. Ce type d’hébergement n’influence cependant que très peu la capacité hôtelière totale des deux villes étant donné le peu de chambres qu’un B&B peut offrir. La lecture des documents officiels reprenant les exigences demandées en vue de l’ouverture d’une maison d’hôtes apporte une piste d’explication à la présence de ce type d’hébergement en Patagonie. Les conditions sont relativement élémentaires (concernent principalement la capacité, la propreté, l’espace minimum dédié au voyageur dans la maison, etc) et les démarches relativement aisées. L’office du tourisme de Calafate avoue être assez satisfait de la facilité des démarches afin de permettre à tout un chacun de participer à l’apport de l’arrivée du tourisme dans leur ville34. Il faut toutefois espérer que des organismes et des règles de contrôle parviendront à structurer un minimum cette offre en vue d’une plus grande reconnaissance auprès des voyageurs. 34 Selon Maria Jose Barria Felgueroso / Directrice du secteur statistiques de la Secretaria de Turismo de El Calafate Page 43 3.2.5 Tourisme d’estancias, de l’agri-culture à l’agro-tourisme ? Les estancias représentent une alternative de logement intéressante à analyser car elles font définitivement partie de l’imaginaire lié aux terres extrêmes de la Patagonie. Une estancia est le nom donné en Argentine aux exploitations agricoles. A travers l’estancia, c’est toute l’âme de l’Argentine qui transparait. Les 30 millions d’Argentins, des confins de la Patagonie aux extrêmes andins du Nord partagent cette identité provenant du « Campo » (de la campagne argentine). Même si le monde a les yeux rivés sur Buenos Aires et croit souvent à tort que son activité prévaut pour l’ensemble du pays, c’est aussi derrière le terme de l’estancia que s’expriment les grandes caractéristiques du pays. Fier représentant de cette campagne argentine, le Gaucho s’occupe des travaux des champs, des animaux, de la tonde … son travail s’adapte aux caractéristiques de sa région. Les gauchos de Patagonie semblent apprendre peu à peu à laisser leur mode de vie austère pour transmettre leur savoir et savoir-faire aux touristes. Grâce à cette activité, la Patagonie très longtemps oubliée connait un regain de dynamisme et attire aussi certains entrepreneurs. Ces propriétés foncières de dimensions souvent très impressionnantes aux yeux d’occidentaux sont, de manière générale, très souvent éloignées des principaux axes et des centres urbains. Les caractéristiques du territoire engendrent naturellement un mode extensif de l’élevage. A titre d’exemple ; dans la province de Santa Cruz, une propriété de 1000 hectares est considérée comme une petite exploitation. Depuis quelques années, une part importante des propriétaires voit dans l’activité touristique une manière intéressante de conserver leur propriété tout en faisant face aux difficultés liées au monde agricole d’aujourd’hui. La Patagonie abrite deux tiers du cheptel ovin national et génère la moitié de la production de laine du pays35. Néanmoins, ce secteur économique a subi, ces dernières années, une crise relativement importante due principalement à la baisse des cours de la laine, à l’émergence d’autres pays concurrents, aux conditions environnementales changeantes qui affectent directement les sols et donc la production. Cette crise a coïncidé avec l’apparition d’une nouvelle alternative économique liée directement au tourisme. Certains exploitants se sont vus, à regret, obligés de quitter leur propriété où d’abandonner leur activité pour octroyer une fonction parfois uniquement touristique à leurs installations. Les 4 régions étudiées (Bariloche – Puerto Madryn – El Calafate – Ushuaia) disposent d’estancias dites touristiques. Néanmoins, une grande variété de types d’exploitations est à souligner. Certaines estancias ont définitivement arrêté leur activités agricoles et ont transformé leur établissement en hôtel ou Lodge, l’intérêt pour les voyageurs est directement lié à l’aspect « exclusif » de l’endroit. Les BERNARD N., BOUVET Y., DESSE RP., Géographie de l’Argentine, d’une approche régionale d’un espace latinoaméricain, Presses Universitaires de Rennes, p.133, 2005 35 Page 44 distances, les grands espaces, le « vide » propre à la Patagonie sont ici mis en valeur à l’extrême. D’autres estancias touristiques ont tout simplement récupéré les installations pour en faire un petit hôtel et comblent le manque d’activités agricoles par un listing d’excursions. L’accent est alors mis sur le travail des pionniers et l’histoire de l’exploitation. Enfin, certaines estancias (souvent les plus éloignées) parviennent à conserver cette double activité agricole et touristique et accueillent les voyageurs afin de leur faire prendre part aux travaux quotidiens. A l’analyse des différentes estancias présentes sur le sol patagonien, ce dernier type d’exploitation est cependant moins courant. Fait intéressant : jusqu’il y a peu, les estancias n’étaient pas prises en compte par les autorités touristiques. Depuis deux ans, le secrétariat au tourisme d’Ushuaia a par exemple pris l’initiative de répertorier certaines estancias de la province sur son site internet. Les organisations touristiques ont entrepris la création de packages « Estancias del fin del mundo » afin de proposer cette nouvelle alternative aux voyageurs et insérer les exploitants dans le secteur touristique. Cette mutation d’activité induit bien évidemment un lot de questionnements quant à son futur. N’est-ce pas trop vite que ces exploitants se tournent vers le tourisme ? Sont-ils suffisamment armés pour faire face aux constantes mutations de ce secteur ? Est-ce peu à peu la fin d’une des activités agricoles mythiques qui a construit la Patagonie et son imaginaire ? Ces questions mériteraient bien évidemment une plus longue analyse de terrain et prospective. Ushuaia – Destination croisière sans répercussion sur l’activité hôtelière : Ces dernières années, le petit port d’Ushuaia, s’est converti porte d’entrée principale des voyages vers l’Antarctique mais il est aussi devenu un port important de croisières à l’échelle Latino-Américaine. Il me semble déjà important à cette étape de rappeler que le touriste de croisière ne loge jamais sur terre et que son passage sur terre ne concerne donc que très peu l’industrie hôtelière de la région visitée. Les nuitées passées à bord ne sont jamais répertoriées, hors ces voyageurs entrent en compte lors des relevés de visiteurs. 3.3 Puerto Madryn et la Péninsule Valdes Je souhaite maintenant m’intéresser plus particulièrement au secteur hôtelier des deux villes situées aux extrêmes Est et Ouest du territoire de la Patagonie du Nord. Comme j’ai pu déjà le souligner plus haut, ces deux villes ont bénéficié d’un développement touristique plus précoce car elles ont été très tôt des destinations de tourisme national. Voyons les avantages et inconvénients de cette mise en tourisme et ses répercutions sur l’offre hôtelière actuelle. Je commencerai par Puerto Madryn et la Péninsule Valdez et poursuivrai par San Carlos de Bariloche. J’ai souhaité aussi regrouper ces deux villes Page 45 touristiques car les informations ou analyses que j’ai pu trouver à leurs sujets sont moins conséquentes que pour les villes d’Ushuaia et El Calafate. Cette particularité s’est confirmée tout au long de mes recherches. Cependant, même si cela m’a parfois posé quelques soucis d’équité, j’estime que ce manque d’informations ou de sources est finalement assez révélateur d’un intérêt marqué pour les régions de l’extrême sud de la Patagonie. Considérer l’offre hôtelière de la Péninsule Valdés revient en fait à considérer celle de la ville de Puerto Madryn car elle est la plus proche des sites visités et le point de départ de la majorité des excursions. Il existe bien quelques alternatives sur la Péninsule même, telles que des anciennes estancias reconverties en hôtels, mais la capacité qu’elles offrent reste minimale. Puerto Madryn tire sa particularité du fait qu’elle est aussi une destination balnéaire relativement prisée des argentins (particulièrement des patagoniens), mais aussi une destination prisée des nationaux et des internationaux pour la richesse de sa faune et sa flore. Cette particularité a développé une offre hôtelière variée mais assez ancienne aux normes et tendance des années 70’-80’. Après les années correspondant à une croissance économique importante dans les années 70, suivra une époque plus calme sans nouvel investissement hôtelier, sans réaménagement de l’offre et avec même la disparition de certains établissements. Cette période affecta bien évidemment beaucoup l’offre hôtelière de la ville. Il faudra finalement attendre le début des années 90 pour que l’activité hôtelière soit réactivée de par l’importance toujours croissante apportée au tourisme. Des 65 établissements touristiques hôteliers et para-hôteliers36 présents actuellement en ville, seulement 23 correspondent à des hôtels d’1* à 4*. Le reste se partage entre des « Cabanas », des appart-hôtel, des « Hosterias », des auberges, des locations temporaires, du time sharing. Puerto Madryn peut offrir une capacité totale de 6066 lits, offre qui a constamment évolué ces dernières années comme le démontre le graphique ci-dessous. Evolution de la capacité hôtelière de la ville de Puerto Madryn de 1993 à 2007 -Hôtellerie et Parahôtellerie- SOURCE : « INFORME ESTADISTICO DEL ANO 2007 » AREA DE SERVICIOS TURISTICOS HTTP://WWW.MADRYN.GOV.AR 36 Par para-hôtelier, les argentins entendent tous types d’hébergement sauf les établissements hôteliers. Page 46 Néanmoins, cette capacité hôtelière reste minime tout particulièrement lorsqu’on sait que la Péninsule Valdez est une des destinations phares de la Patagonie dont les images sont très largement utilisées dans la promotion touristique nationale. Puerto Madryn se retrouve donc avec une offre hôtelière ancienne, qui commence seulement ces dernières années à se rénover mais qui accuse un sérieux retard. La destination « Péninsule Valdes » a bénéficié d’une visibilité de plus en plus importante à l’étranger. Cette région touristique cumule des publics cibles aux exigences différentes qui se reflètent dans le type d’hôtellerie. Comme le démontre le graphique ci-dessous, l’industrie touristique semble particulièrement porter son attention sur l’hôtellerie dirigée aux touristes étrangers (hôtels, appart hôtels, auberges) plutôt que la parahôtellerie plus dirigée à un public d’argentins (locations, cabanas, hosterias, etc). Cette diversité d’offre d’hébergements est une particularité de cette région touristique, les chiffres ainsi que le type d’hébergements semblent déjà démontrer certaines tendances qui pourront ou non se confirmer dans un futur proche. Comparaison de l’offre hôtelière et para-hôtelière de la ville de Puerto Madryn entre 2006 et 2007 SOURCE : HTTP://WWW.MADRYN.GOV.AR/TURISMO/SISTEMAS/NUMEROS/ESTADTUR.HTML 3.4 San Carlos de Bariloche, région des lacs andins Le développement touristique de San Carlos de Bariloche semble intimement lié à la création du Parc National Nahuel Huapi en 1934. Les visions futuristes d’Ezequiel Bustillo ont façonné le territoire et développé un lieu à vocation touristique. La capacité hôtelière de San Carlos de Bariloche est variable mais importante : les statistiques oscillent entre 19.000 et 22.000 lits selon les sources considérées et les critères de sélection des établissements 37 . L’ancienne vocation touristique de San Carlos de Bariloche lui a permis de bénéficier d’une capacité hôtelière supérieure aux autres régions de la Patagonie. Comme démontré déjà plus tôt au cours de ce travail, Bariloche a toujours attiré l’attention et sa vocation touristique bien qu’ancienne s’est confirmée ces dernières années. Après une période très 37 Source : Subsecretaria de Desarollo Economico Argentine / Subsecretaria de turismo de Rio Negro, Bariloche. Données de l’année 2007. Page 47 calme pendant presque 20 années, Bariloche vit depuis 2003-2004 un véritable regain d’investissements et de constructions touristiques. Il faut dire que l’offre hôtelière de Bariloche, tout comme celle de Puerto Madryn, était dépassée et non adaptée aux normes en vigueur de l’hôtellerie internationale actuelle. En 4 ans, la ville a multiplié par deux le nombre d’établissements cinq étoiles, ce qui en plus d’être révélateur des investissements récents dans cette ville, permet aussi de constater l’orientation choisie des promoteurs envers un public de luxe et exigeant. Plutôt que de rénover une offre hôtelière déjà présente en lui ajoutant par la même occasion quelques étoiles, les promoteurs immobiliers ont plutôt misé sur les nouveaux espaces. La structure de la ville, qui a la particularité d’être particulièrement longue dû au fait qu’elle suit une des rives du lac Nahuel Huapi, s’est encore prolongée ces dernières années. Les coûts fonciers ont augmenté de manière très importante, rendant l’achat de terrain très difficile aux habitants de Bariloche. SOURCE : WWW.IMOCOM-GRUPO.COM Dernier investissement important en date : le projet de la construction d’un hôtel de la chaine Hilton est prévu à San Carlos de Bariloche pour 2011. Cet établissement proposera 350 chambres, 240 cabanas/appartements, 2 piscines et un centre de congrès pouvant accueillir 2000 personnes. La particularité de l’Hilton semble être son coté « Ecofriendly » annoncé dès le début du projet afin de contrer les éventuelles contestations sur un hôtel d’une telle envergure. Information importante : l’hôtel sera implanté à 25 km du centre ville et en pleine nature. Les architectes ont donc imaginé une structure totalement adaptée à l’environnement et relativement discrète afin de réduire l’impact visuel. Le projet sera entièrement aux mains du groupe Portugais IMOCOM. Néanmoins, la population de Bariloche a déjà montré des signes de protestations contre ce projet au nom de la préservation de leur environnement et de l’harmonie visuelle de leur région. Le projet a cependant été accepté par les autorités locales et il reste fort probable que peu de freins lui soient imposés. Le manque de sources ou d’analyses ne permet pas à ce stade d’avancer plus de conclusions sur cette région de la Patagonie. Une étude de terrain complète serait alors nécessaire. Page 48 Chapitre 4 : Ressources et caractéristiques des principaux centres touristiques récepteurs patagoniens Je souhaite dans ce chapitre donner un aperçu concret des ressources paysagères mises en tourisme des 4 régions étudiées. Même si quelque peu descriptive, cette étape me semble essentielle afin de permettre de répondre à la problématique énoncée en début de cet écrit et analysée dans une troisième partie. 4.1 San Carlos de Bariloche Le nord-ouest de la Patagonie et Bariloche ne ressemble en rien aux autres régions. Elle apparait parfois comme une magnifique exception dans un paysage à grande majorité désertique aux tons ocres et secs. Bariloche est une destination touristique fréquentée hiver comme été, connue aussi bien pour ses lacs, ses paysages, ses pistes de ski et son chocolat. Il faut avouer que d’un point de vue paysager, Bariloche fait un peu penser aux Alpes, l’urbanisation et l’architecture de certains anciens bâtiments a d’ailleurs un style suisse ou autrichien. Très prisés d’un public latino essentiellement brésilien pour les sports d’hiver, Bariloche a changé son ancienne appellation de « Petite Suisse » pour l’appellation de « Braziloche ». Bariloche, c'est la ville principale du Parc National Nahuel Huapi, l'un des plus formidables ensembles de lacs, de forêts et de montagnes de la Patagonie. Si la région est particulièrement prisée en hiver, elle l’est aussi en été et même pendant le reste de l’année. Le climat aux saisons marquées offre des paysages variés intéressants à toute saison. C’est bien évidemment une nature hors du commun que les touristes viennent chercher : Bariloche offre des paysages de cartes postales. La région dispose depuis de nombreuses années d’une vocation touristique appuyée, tout comme Puerto Madryn, Bariloche est une destination prisée des argentins. Ces dernières années, Bariloche tente aussi d’attirer les touristes étrangers, néanmoins ses paysages peut-être plus Page 49 « européens » et moins dépaysants ne jouent malheureusement pas en sa faveur et elle reste nettement moins fréquentée que ses concurrentes d’Ushuaia et El Calafate. Voici les principales excursions qui forment l’offre touristique de San Carlos de Bariloche : o Circuito Chico o grande y Cerro Campanario – Excursion phare de la région permettant en une demi journée de longer les rives du lac Nahuel Huapi jusqu’au point de vue donnant sur l’hôtel mythique de Llao LLao. Le Cerro Campanario est accessible au moyen d’un téléphérique et offre une vue imprenable sur la région et les lacs. La revue « National Geographic » l’a d’ailleurs classé parmi les 10 plus belles vues panoramiques au monde. o Camino de los 7 lago – Route des 7 lacs : Ce parcours de 107 km relie la ville de San Carlos de Bariloche aux villes de Villa la Angostura y San Martin de los Andes par une des plus belles routes du pays longeant tour à tour 7 lacs andins. Les paysages présentent les forêts et les cimes enneigées des Andes. o Isla Victoria y Bosque de los Arrayanes : l’Ile Victoria est l’ile la plus grande située sur le lac Nahuel Huapi, elle dispose d’une faune particulière et détient d’ailleurs un petit bois d’Arrayanes. Ces arbres de couleur cannelle extrêmement rares ont la particularité de rester froid à toutes saisons. o Ski au « Cerro Catedral » : situé à 20 km du centre ville, « Cerro Catedral »38 est considéré comme le plus grand domaine skiable d’Amérique Latine. Installé à 1030 m d’altitude, il permet grâce à 39 moyens d’élévation de rejoindre les cimes à 2390m. « Cerro Catedral » dispose de 120 km de pistes et un domaine skiable de presque 600 hectares. En sa base, la station dispose d’une capacité hôtelière de 3000 lits dont 3 hôtels 5*. o Pesca con mosca : la région est l’une des régions les plus appréciées pour la pratique de la pêche à la mouche. Ce sport se pratique souvent depuis des Lodges isolés et luxueux pour des touristes principalement Nord-américain. 38 Site web : http://www.catedralaltapatagonia.com/ Page 50 Bariloche, la Mecque du tourisme estudiantin argentin : Déjà dans les années 50, Bariloche s’est illustrée comme la destination « tendance » des voyages de fin de secondaire de nombreux étudiants argentins. Dans les années 70, la réputation de Bariloche fut à nouveau soulignée comme la « Mecque du tourisme estudiantin » grâce à un programme de télévision pour jeunes dans lequel ils pouvaient remporter pour leur classe un voyage vers cette destination. D’un point de vue local, la ville a tenté d’encadrer ces groupes particuliers en adaptant une offre de services (excursions et activités thématiques, hôtels, guides et animations, etc). Le tourisme estudiantin est un segment important de la demande touristique de Bariloche, il est source d’emplois et génère une part importante des ressources du Tourisme. Les étudiants étant jugé particulièrement bruyants et prenant, à certaines périodes, totalement possession du centre ville, la cohabitation avec la population locale est généralement assez mal vécue. Pour la saison 2007, un total de 118.484 étudiants ont visité la région dont presque la moitié d’entre eux provenait de la capitale, Buenos Aires39. 4.2 Puerto Madryn et la Péninsule Valdez Aborder la région de la Péninsule Valdez, c’est aborder aussi la ville de Puerto Madryn car elle représente le centre de services le plus proche de la Péninsule. La région s’illustre par une faune et une flore particulièrement riche qui fut reconnue à partir de 1983 comme réserve naturelle ainsi que « Patrimoine mondial de l’Humanité » en 1999 par l’Unesco. Les deux « attractions naturelles » de ce site sont les baleines franches qui viennent, chaque année, mettre bas dans les eaux calmes du « golfo nuevo » et la colonie de manchots de Magellan fidèle qui, pratiquement à la même période, vient à 39 Municipalité de San Carlos de Bariloche, « Turismo estudiantil, informe estadistico 2007 », Area Tecnica y Estadistica de la Secretaria de Turismo. Page 51 Punta Tombo pour préparer la nidification. Localité fondée en 1865 par des communautés galloises, Puerto Madryn a su profiter des premières installations ferroviaires pour pousser son développement et s’installer comme une base d’échange importante. Il faudra cependant attendre les années 70 pour qu’on y commence l’exploitation des ressources naturelles pour l’industrie dont notamment l’aluminium. Cette époque sera marquée par le début d’une croissance exponentielle de la population. Aujourd’hui, la population de la ville de Madryn atteint près de 80 000 habitants40 et ses principaux secteurs économiques sont l’industrie d’aluminium, la pêche, l’activité portuaire, et le Tourisme ! Une découverte basique de la Péninsule Valdes demande aux moins trois nuitées sur place car les distances à parcourir sont importantes. Pour une journée de découverte de la Péninsule Valdes, incluant l’approche des baleines franches depuis le petit port de Puerto Piramides et la découverte de la côte jusqu’au nord de la Péninsule, il faut compter au minimum 400 km de route. Pour découvrir les colonies de manchots de Magellan à Punta Tombo, les voyageurs devront parcourir plus de 370 Km sur la journée. Ces distances, pourtant importantes, semblent être compensées par le spectacle de la nature auquel les voyageurs font face en découvrant cette région. SOURCE : WWW.CUYUNCO.COM.AR 40 Selon estimation transmise dans « Informe Estadisticos Ano 2007 » Area de servicios turisticos. http://www.madryn.gov.ar Page 52 Voici les principales excursions qui forment l’offre touristique de la Péninsule Valdés : o Full Day Péninsule Valdés – Depuis Puerto Madrid et à travers des paysages de steppes, les voyageurs sont conduits jusqu’à Puerto Piramides, petit port face au Golfo Nuevo dans lequel les baleines franches reviennent chaque année pour mettre bas. Des embarcations sont prévues sur place et l’approche qui dure approximativement 40 min se déroule dans des conditions très contrôlées par différentes autorités. L’après midi est consacrée à la découverte de la côte Est de la péninsule où les voyageurs peuvent observer loups et éléphants de mer, de nombreux oiseaux et même des orques à certaines périodes de l’année. o Full Day Punta Tombo : Punta Tombo se situe à 180 km au Nord de Puerto Madryn face à l’Océan. Ce lieu-dit accueille chaque année de septembre à février la visite des manchots de Magellan qui viennent y installer leurs nids et mettre bas. Le lieu a été conçu afin de perturber le moins possible la vie des petits animaux au moyen de passerelles surplombant leurs chemins fréquemment empruntés de l’océan aux nids. Néanmoins, le voyageur se promène littéralement dans la réserve entouré des manchots. De nombreux gardes veillent à ce que les conditions d’observation, stipulées aux touristes avant leur arrivée sur le lieu, soient au mieux respectées. Puerto Madryn tire sa particularité dans le fait qu’elle est essentiellement fréquentée par les touristes argentins. Même si elle est très loin d’atteindre la qualité et la quantité des infrastructures de la station de Mar del Plata située au nord de Buenos Aires, elle est aussi une cité balnéaire. Souvent moins onéreuse et plus familiale, Puerto Madryn vit chaque année une belle saison estivale grâce à ses plages et la douceur de ses eaux. Avec ces mois d’été et cette fréquentation à la recherche de plages, Puerto Madryn parvient à prolonger une belle saison touristique. Si la saison des baleines franches commence au mois de septembre, elle est donc directement relayée en décembre-janvier par le tourisme balnéaire et ce jusqu’au mois de mars. Néanmoins, comme le démontre le tableau ci-dessous, dans les deux cas, le pourcentage de touristes nationaux est toujours beaucoup plus important que la fréquentation internationale. Page 53 Proportion des Touristes nationaux ou internationaux pendant la saison d’observation des cétacés ou l’été pendant leurs saisons respectives en 2007. Chiffres de 2007 Observation des baleines Période estivale % de touristes internationaux 31 % 21 % % de touristes nationaux 69 % 79 % Source : Elaboration propre sur base des chiffres présents dans « Informe Estadistico 2007- Aerea de Servicios Turisticos – Secretaria de Turismo – Municipalidad de Puerto Madryn ». 4.3 El Calafate La ville d’El Calafate est située le long du lac Argentino (le plus grand lac du pays), en bordure de steppe et face à la cordillère des Andes. Cette petite entité est devenue ces 15 dernières années, un centre important du panorama touristique de l’Argentine. Tout comme les autres villes touristiques de Patagonie, El Calafate ne dispose pas de ressources architecturales ou culturelles remarquables mais plutôt une nature hors du commun. El Calafate a toujours servi de refuge pour les visiteurs du parc national des glaciers où se trouve le plus célèbre d'entre eux : le « Perito Moreno », large de 5 km et haut de 60 m, cet imposant glacier est l'une des attractions phares de l'Argentine. Calafate n’a bien évidemment pas tout de suite été une région touristique ; les premières populations s’y installèrent afin de créer un point de ralliement, d’approvisionnement pour les colons gallois, yougoslaves ou encore espagnols débarqués dans la région grâce au terres d’élevage que le gouvernement leur avait octroyées afin de peupler la région. El Calafate est une ville très jeune ; les deux premières familles à s’installer dans cet endroit, en ouvrant une petite auberge et une épicerie, y arrivèrent seulement en 1913. En 1946, le village comptait 368 habitants, en 1969, 700 ! Page 54 En l’an 2000, la petite communauté comptait 4000 habitants. Sept ans plus tard, ils étaient 22 000 41 (travailleurs saisonniers compris). El Calafate, dernière ville avant le parc des glaciers, a toujours accueilli des touristes, mais a conservé jusqu'à la fin des années 90 son caractère de petite bourgade tranquille et isolée. El Calafate vivra donc un développement touristique tardif. Même si le parc National des Glaciers est créé et reconnu par les autorités en 1937, il faudra attendre les années 70 pour que la région aménage son territoire à des fins réellement touristiques. L’accès au glacier Perito Moreno sera par exemple aménagé début des années 70, puis l’arrivée des premiers voyageurs incita les investissements privés et publics pour l’amélioration de l’offre hôtelière. L’insertion du Parc National des Glaciers à la liste du patrimoine mondial de l’Unesco en 1981 apportera à la région une reconnaissance internationale. Comme j’ai déjà eu l’occasion de le signaler auparavant, c’est essentiellement grâce à la crise de 2001 qu’El Calafate put profiter d’une augmentation importante de voyageurs internationaux bénéficiant d’un taux de change intéressant. El Calafate vit un boom touristique important qui semble avoir façonné la structure même de la ville. Les hôtels ont été construits à une vitesse record et des autorisations pour des projets immobiliers n’ont cessé d’être accordées par la ville. El Calafate dispose aussi depuis 2001 d’un aéroport, d’ores et déjà jugé trop petit pour accueillir la quantité de vols qui correspond à la demande. La ville dispose d’une capacité hôtelière de 6 800 lits mais se trouve presque déjà dans une situation de « surcapacité » hôtelière car les liaisons aériennes ne parviennent pas à suivre la demande. Les échos qui surgissent de ce boom immobilier touristique laissent transparaître beaucoup d’amertume de la part des populations. Celles-ci acceptent difficilement les changements de la petite bourgade et semblent passer après les considérations touristiques. En effet, l’urbanisme même de la ville d’El Calafate s’est modifié ; de nouvelles zones se sont ouvertes pour les hôtels, avec l’installation de tous les services de bases nécessaires à leur fonctionnement. 41 ARTESI L., 2003: «Desarrollo turistico en El Calafate», Oficina de la Cepal en Buenos Aires, estudios y perspectivas, N° 15 Page 55 SOURCE : ELABORATION PROPRE SUR BASE DU PLAN DE CALAFATE ET DES DATES D’OUVERTURES DES PRINCIPAUX HOTELS Cependant les habitants ont beaucoup de mal à s’insérer dans ces zones résidentielles car les coûts fonciers sont très élèves. D’ autre part, lorsque de nouvelles zones d’habitats sont ouvertes pour la population locale, ces habitants se plaisent à souligner que l’installation des services de base se fait bizarrement beaucoup plus lentement 42 . Calafate vit donc une croissance un peu désorganisée et semble apporter d’ores et déjà son lot de remises en cause de la part de la population locale. Le tourisme semble donc révéler aussi certaines inégalités que El Calafate devra apprendre à gérer afin que ses habitants, la ville, et les touristes soient gagnants. Néanmoins, des grands investissements ont été réalisés, urbanistiquement parlant, afin de faciliter l’accès à Calafate (aménagement des routes, aéroport, voiries, etc) et la ville en elle-même se revendique d’ailleurs souvent « la ciudad mas bonita del Sur » : la ville la plus mignonne du sud. Voici les principales excursions qui forment l’offre touristique d’El Calafate : o Glacier Perito Moreno – Passerelles et navigation : La journée entière est dédiée à l’approche du Glacier Perito Moreno situé à 80 Km de la ville d’El Calafate. Ce glacier est le plus visité car il est l’un des plus impressionnants mais aussi parce qu’il bénéficie d’un système d’infrastructures particulièrement bien réalisées qui en permet l’observation suivant différents 42 Propos recueilli auprès de Pascale Taillieu, belge expatriée en Argentine et directrice de l’hôtel Edenia d’El Calafate. Page 56 points de vue. Le Perito Moreno aborde un front large de 5 km et une hauteur de plus de 60 mètres. Cette excursion est souvent complétée par une navigation d’une demi-heure sur l’un des bras du canal face au glacier. Depuis cette perspective, les voyageurs peuvent prendre conscience des dimensions de ce mur de glace. Les catamarans peuvent accueillir quelques 200 personnes à bord et disposent de plusieurs ponts ainsi que d’une salle vitrée pour observer les glaces millénaires o Mini-trekking Perito Moreno : Le mini trekking représente une alternative originale pour vivre le glacier Perito Moreno. Les voyageurs abordent le glacier en bateau pour se rendre sur son flanc ouest afin d’y effectuer une promenade munis de crampons. o Estancia Cristina (ex Upsala Explorer)43 : Cette excursion propose de parcourir le parc National des glaciers en bateau jusqu’aux terres de l’Estancia Cristina, l’une des premières installées dans cette région mais abandonnée depuis plus de 20 ans. De là, les voyageurs peuvent parcourir la steppe à pied, en 4x4 ou à cheval accompagnés de guides professionnels. Un repas patagonique leur est servi dans les installations après une petite visite des lieux et le retour vers El Calafate. o Balcones de Calafate : Excursion en 4X4 sur les montagnes d’El Calafate face à la cordillère des Andes afin de bénéficier d’une vue panoramique sur la ville et la steppe. 4.4 Ushuaia 4.4.1 Histoire et caractéristiques de la localité Les différentes occupations territoriales ont définitivement modulé ce bout du monde. La jeune histoire de cette ville australe mérite une attention particulière car elle a placé les bases de développement sur 43 http://www.estanciacristina.com Page 57 lesquelles Ushuaia construit encore son identité. Identité sur laquelle repose bien évidemment l’activité touristique. 4.4.2 Les premiers habitants face aux premiers navigateurs européens Les conditions climatiques de la Terre de Feu bien qu’extrêmes permettaient cependant à diverses ethnies de mener un style de vie relativement paisible avant l’arrivée des premiers explorateurs européens. Trois groupes d’indigènes se partageaient la terre de feu : Les Yamanas, les Onas et les Haush. Bien que nomades, ces peuples se partageaient respectivement les territoires de la Cordillère des Andes au sud, les steppes du nord et, enfin une minorité disposait du territoire situé à l’extrême est de l’île. Celle-ci ne résistera malheureusement pas aux conséquences liées à l’arrivée des premiers européens telles que les vagues d’exterminations ou encore les épidémies et tombera dans l’oubli. L’existence de ces premiers habitants de l’île fut pendant de nombreuses années totalement ignorée et volontairement écartée par les autorités publiques afin de faire place aux considérations nouvelles et tourner définitivement cette baie vers l’avenir. 4.4.3 Du bagne au pétrole en passant par l’exploitation lainière La fondation de la ville d’Ushuaia proclamée en 1884 incita les autorités à peupler ces terres australes afin de conserver une relative souveraineté nationale. En 1902, il fut décidé d’y implanter un bagne, ce qui orienta la ville vers un développement économique et social très particulier. A l’époque, la politique de colonisation à travers la création d’un établissement pénal avait déjà été utilisée par d’autres pays, notamment les anglais en Australie ou encore les français en Nouvelle Calédonie. Le pays s’inspira donc de cette forme de peuplement forcé. Cette prison du bout du monde parvint à contenir jusqu’à 600 prisonniers, du petit délinquant au grand récidiviste condamné à la peine maximale. L’établissement s’illustra par les conditions extrêmes dans lesquelles les prisonniers étaient plongés (froid constant, bâtiment peu isolé, contacts limités,..) mais aussi par le fait qu’aucun mur externe n’entourait les bâtiments. L’environnement hostile et l’océan semblaient remplir cette fonction et freinaient les prisonniers à envisager une éventuelle échappée. Les autorités carcérales et locales ont rapidement compris le capital de main d’œuvre que représentaient ces hommes provenant des 4 coins du pays ; ils furent donc affectés au développement concret de cette ville naissante. Plus de 30 zones de travail furent établies dans la ville et les environs afin d’y faire travailler les prisonniers à l’aménagement des voiries, des lignes de téléphones et systèmes électriques ainsi qu’à la Page 58 construction des bâtiments administratifs. Cependant, la principale activité des prisonniers restait la taille des arbres situés dans l’actuelle zone du Parque National de la Terre de Feu. Les hommes ont également participé à l’aménagement d’un train étroit leur permettant de transporter le bois plus facilement jusqu’au port. 40 ans après son arrêt d’activité, le circuit qu’empruntait à l’époque ce train, fut utilisé par les autorités touristiques locales afin d’y développer « Le train du bout du monde »44 qui relate l’histoire carcérale d’Ushuaia tout en traversant les forêts. Au cours de ces années, Ushuaia devint un important centre administratif ainsi que le siège d’une base militaire de par sa situation stratégique privilégiée. Au nord de l’île et appuyé par le gouvernement argentin, la ville de Rio Grande se spécialisa dans la commercialisation de laine grâce à quelques exploitations d’élevage présentes dans la région. Elle s’érigea ainsi comme concurrente directe de la ville chilienne de Punta Arenas ce qui convenait parfaitement aux autorités argentines dans cette compétition constante face à son voisin chilien. Les années 40 marqueront le début de l’exploitation du pétrole et du gaz dans la région. Encouragé par le gouvernement argentin, l’exploitation de ces nouvelles ressources engendra la création d’activités qui à leur tour mèneront à une nouvelle vague de migration nationale et internationale. Malgré le fait que les puits pétroliers se situaient essentiellement au nord de l’île (au nord de la ville de Rio Grande), Ushuaia bénéficia, elle aussi, de ce boom pétrolier par l’arrivée de nouvelles populations et la création de nouvelles activités économiques. Néanmoins, la population de la terre de Feu restait minime, en 1947, 5000 habitants y résidaient dont 2000 de nationalité argentine45. 4.4.4 Les politiques de promotion industrielle A partir des années 80, l’Etat argentin adopta une politique protectionniste en établissant des régimes fiscaux avantageux pour la région tout en stimulant l’investissement privé et public. Le principal objectif des ces mesures était d’y développer un nouvel eldorado industriel capable d’attirer des populations en vue d’une installation définitive. Depuis la création des deux Etats voisins, les différents gouvernements argentins ont tenté de peupler la Patagonie afin notamment de limiter les prétentions territoriales du Chili et pour le cas de la Terre de Feu, de contrer l’importance acquise de la ville chilienne de Punta Arenas. L’objectif était donc double pour l’Etat : économique mais aussi géopolitique. Site internet : http://www.trendelfindelmundo.com.ar/ « La terre de feu face à l’avenir. De la crise du territoire à la construction d’un nouveau mythe de développement ». M. E.SILI. P 21 44 45 Page 59 Les mesures mises en place par l’Etat ont provoqué un boom industriel rapide qui balaya en second plan le développement pétrolier, l’exploitation d’élevage et forestière ainsi que les services, la Terre de Feu se voyant octroyer la dénomination de zone franche. Cet élan économique visible attira de nombreux argentins et migrants étrangers en quête d’un meilleur pouvoir d’achat grâce aux salaires trois fois supérieurs à la moyenne nationale46. De 13 400 habitants en 1970, la population atteignit 27 000 en 1980, 70 000 en 1991 et 121 000 en 2001 47. En 1998, les 97 industries d’Ushuaia (principalement d’audiovisuels, produits textiles, électroménagers, …) produisaient 63% du PNB de la province48. Cependant, la terre de Feu s’illustra une fois de plus comme un lieu de passage où des populations jeunes et peu effrayées par les conditions climatiques s’installent un temps avant de retourner dans leur lieu d’origine. 4.4.5 La lente chute Il semble qu’un cycle économique s’est achevé pour la petite ville d’Ushuaia. Tous ces différents développements ont cependant laissé des traces importantes sur l’environnement de cette ville mais aussi et avant tout sur le paysage urbain. En 1989 déjà, la « Commission permanente de planification urbaine » de la ville d’Ushuaia concluait son rapport de la manière suivante : « Dispersion urbaine et croissance spatiale exagérées, désagrégation physique, désarticulation de l’espace public, manque d’équipements et de services, déficit croissant de logements, marginalité sociale, destruction du patrimoine, dégradation du paysage, contamination des cours d’eau ne sont que les marques visibles de la détérioration continue de la ville »49 Quelle est la situation 20 ans plus tard ? Que ce soit par avion ou par bateau, l’arrivée à Ushuaia donne l’impression d’une ville chaotique, peu structurée mais cependant placée au cœur d’un site naturel grandiose combinant mer, montagne, glaciers et forêts. Jusque dans les années 70, la ville a subi un développement urbanistique classique dit « en damier » ; les années suivantes ont vu les zones environnantes se peupler de manière anarchique au rythme de l’arrivée de migrants sans jamais être limitées par un quelconque plan d’aménagement urbain. La pression démographique a continué à modeler les traits de cette ville de « La terre de feu face à l’avenir. De la crise du territoire à la construction d’un nouveau mythe de développement ». M. E.SILI. P 47 « La terre de feu face à l’avenir. De la crise du territoire à la construction d’un nouveau mythe de développement ». M. E.SILI. P 23 48 « La terre de feu face à l’avenir. De la crise du territoire à la construction d’un nouveau mythe de développement ». M. E.SILI. P., 2005 49 L’Effet Ushuaia, par Philippe Grenier, « Patagonie, une tempête d’imaginaires », p 88 46 Page 60 70 000 habitants (recensement de 2001), des bidonvilles s’y sont maintenant installés ; on appelle ce quartier le « barrio escondido », le quartier caché ! Comble de l’ironie, il ne semble pas y avoir assez de place pour tout le monde à Ushuaia et ces nouveaux habitants survivent dans ce quartier à la lisière de la forêt. Le mythe semble avoir disparu… « Ushuaia est l’objet d’une réputation mythique qui ne résiste pas à la dure réalité »50 Si l’objectif de mon travail n’est pas de tenter de deviner l’avenir de cette grande région, je voudrais tout de même mentionner la réflexion de Mr Marcelo E.Sili51 dans l’article « La terre de feu face à l’avenir. De la crise du territoire à la construction d’un nouveau mythe de développement » pour l’intérêt de sa démarche prospective concernant la région. Suite à une analyse géographique détaillée, il reprend les différents modèles économiques qui ont influencé le développement de cette province au moyen de cartes schématiques puis se livre à une démarche prospective sur la Terre de Feu. La première image illustre le cycle d’expansion achevé : «A l’aube de ce siècle, la province de Terre de feu est en crise économique (endettement), productrice (perte de compétitivité et de capacité de production) et socio-territoriale (fragmentation sociale et territoriale)». C’est donc face à cette situation que Marcelo SILI émet trois hypothèses de scénarios de développement de la région. er 1 scénario : Mal habitué à une situation de dépendance à l’Etat et faute d’intervention conséquence de celui-ci face à la crise de 2001 qui se prolongerait, la terre de feu continuerait à vivre sous un modèle de développement jugé comme périmé. Sans politique réactive, la situation mènerait à un mauvais usage des ressources, une détérioration de la qualité de vie et une augmentation de la marginalité de la province pouvant mener jusqu’à l’exode de populations. L’Effet Ushuaia, par Philippe Grenier, « Patagonie, une tempête d’imaginaires », p 87 Mr Marcelo E.Sili est chercheur CONICET(Arg), coordinateur PRORURAL(Arg.), Associé à Dynamique Rurale(Université de Toulouse Le Mirail-France) et professeur au département de Géographie, UNiversidad Nacional del Sur de Bahia Blanca (Arg.). 50 51 Page 61 ème 2 scénario : Situation similaire que dans le 1er scénario mais avec une crise encore plus aggravée renforçant l’isolement de l’ile avec le territoire argentin (réduction des transports et des communications, rétraction des marchés). Cette situation pourrait mener à un potentiel rapprochement avec le Chili via Punta Arenas. Néanmoins, la qualité de vie serait en baisse et le territoire détérioré peu à peu par un manque réel de considération. ème 3 scénario : Le scénario souhaité par l’auteur : Le développement se construirait sur la valorisation des ressources territoriales, le tourisme et l’exploitation de la forêt. Un nouveau modèle de développement durable prendrait forme où s’articulerait la croissance économique, l’équité sociale et la protection de l’environnement. Ces mesures passeraient par l’élaboration de plans et de projets stratégiques en vue de la construction d’une nouvelle image de la Terre de Feu. 4.4.6 Un précieux réveil grâce au Tourisme Durant cette période de lente crise, Ushuaia a tout de même profité de l’importante progression du nombre d’arrivées touristiques internationales, générale à toute l’Argentine. Suite à la dévaluation du peso en 2001-2002, les touristes étrangers ont bénéficié d’un taux de change intéressant leur permettant d’accéder à des services touristiques autrefois beaucoup moins abordables. La destination prit de la valeur et fit parler d’elle dans les médias s’illustrant avant tout comme « la terre du bout du monde ». « El Fin del mundo » se décline à toutes les sauces, à l’Office du Tourisme situé sur l’avenue principale, on vient se faire tamponner son passeport et se faire remettre un diplôme pour avoir eu la chance de toucher le bout du monde. L’intérêt croissant voué à l’écologie et à l’environnement attire aussi de nombreux voyageurs vers ces terres dont les médias prônaient avant Page 62 toutes choses la beauté d’une nature préservée, un havre de paix non contaminé par la société, une nature propre. L’effet se fit donc ressentir très rapidement. Après une période creuse suivant la crise de l’été 2001-2002 où l’insécurité générale refroidit les touristes, les arrivées touristiques internationales se virent augmenter de manière significative et constante. Cette arrivée de devises étrangères profita à l’économie locale via l’activité commerciale et l’augmentation des services de manière générale. Une nouvelle considération fut octroyée au secteur touristique de la part des autorités locales qui voient en lui un nouveau potentiel de devises étrangères et une source de création d’emplois. Beaucoup d’habitants voient en cette activité une manière aussi de lutter contre leur isolement géographique. A l’échelle nationale, la ville d’Ushuaia est actuellement un centre touristique qui présente l’une des plus importantes croissances. Selon les statistiques annuelles transmises par le Secrétariat de la Municipalité d’Ushuaia, le nombre de voyageurs qui ont visité la ville fut de 40 456 en 1992 alors qu’en 2006, ils étaient 226 281. L’activité touristique de la région reste très fortement liée aux rythmes de saisons ; la haute saison commençant en octobre pour se terminer en mars, les conditions climatiques conditionnant de manière importante les activités extérieures. Ces dernières années, les chiffres révèlent que approximativement 50 % des voyageurs se sont concentrés sur les mois de janvier et février, 44% de ceux ci sont d’ailleurs arrivés dans la région par croisière52. Malgré les améliorations du centre de ski d’Ushuaia (Cerro Castor) et l’augmentation de sa fréquentation, la basse saison se situe toujours en hiver. Confrontons maintenant la réalité au troisième modèle de développement espéré par Marcelo E.Sili. A l’analyse des différents documents de travail des autorités publiques de la ville d’Ushuaia ou des différentes concertations élaborées avec notamment le secteur touristique, j’ai pu observer que la préoccupation d’orienter le développement touristique en une activité durable et bénéfique pour tous et le milieu est bien réelle. Révélons par exemple l’une des dernières études réalisées sur la région aboutissant à l’élaboration du « Plan Estrategico de desarollo turistico sustentable de Ushuaia » : Le Plan Stratégique de développement touristique durable d’Ushuaia. Ce travail commencé en fin juin 2006 et présenté publiquement en mars 2007 est le fruit d’une collaboration étroite entre la population locale, les autorités publiques, le secteur touristique, le secteur de l’environnement concerné, tous secondés et encadrés 52 Chiffre transmis par le secrétariat de tourisme de la ville d’Ushuaia Page 63 par de nombreux experts ainsi que par la société espagnole Planta S.A consultante en Tourisme et développement durable et Bio énergie53. Le nouveau modèle de développement touristique pour la ville d’Ushuaia est présenté telle une réelle réorientation de la destination vers la qualité, la compétitivité et la durabilité s’exprimant via : o « Sustentabilidad Ambiental » => Une gestion durable de l’environnement o « Sustentabilidad y Equidad social » => durabilité et équité sociale o « Concertacion » => Concertation o « Sustentabilidad y rentabilidad socioeconomica » => durabilité et rentabilité socio-économique o « Competitividad nacional e internacional del destino » =>Compétitivité nationale et internationale de la destination Ce modèle de développement sera considéré comme le cadre de référence à partir duquel seront élaborées toutes les stratégies de développement touristique pour la destination d’Ushuaia de 2007-2017. Lorsque ces équipes ont dû dans le cadre de cette analyse d’Ushuaia déterminer dix lignes stratégiques desquelles allaient découler les actions concrètes et les prises de décisions, voici ce qu’elles ont été : Lignes stratégiques du plan 1. L’amélioration des infrastructures et services de base de la destination pour le tourisme 2. L’amélioration de la planification urbaine et territoriale de la destination 3. L’amélioration de l’offre actuelle et potentielle de la destination 4. Qualité de ressources humaines locales disponibles pour le tourisme 5. Participation du « social » dans le secteur du tourisme 6. Préservation des ressources touristiques de la destination 7. Renforcement du rôle touristique du service public local 8. Compétitivité du secteur touristique privé local 9. Gestion intégrale et compétitivité de la destination 10. Marketing de la destination touristique 53 http://www.plantasa.com/ Page 64 On peut donc observer une réelle intention de préserver le milieu et de tenter que l’activité touristique soit pour Ushuaia et ses habitants une activité génératrice mais aussi qu’elle soit l’illustration de nouvelles orientations de la région vers un développement plus durable. 4.4.7 Offre touristique d’Ushuaia Il faut aussi s’intéresser aux ressources touristiques concrètes de la région d’Ushuaia. La manière certainement la plus directe d’observer l’activité touristique d’une région est d’en consulter le catalogue d’excursions les plus sollicitées ou vendues. Voici les principaux « tours » qui forment l’offre touristique de la ville d’Ushuaia : o Visite du Parc National de la Terre de Feu à 15 km du centre ville : Excursion terrestre par la route N°3 jusqu’à la Baie Lapataia avec différents arrêts aux miradors de l’île Redonda, Ensenada et du lac Roca. Même si la majorité de l’excursion (d’une durée totale de 4 heures) se réalise en voiture ou autocar, les voyageurs ont à plusieurs reprises, la possibilité de parcourir quelques courts sentiers de promenade. o « Tren del fin del mundo » est une excursion dont le départ est donné depuis le Parc National de la Terre de Feu. Les voyageurs rejoignent une petite gare touristique d’où part un train touristique qui réalisera dans le parc le même trajet autrefois emprunté par les prisonniers du bagne lorsqu’ils allaient couper du bois54. Cette excursion se combine parfois avec l’excursion traditionnelle du Parc National. o Excursions lacustres sur la Canal de Beagle : Au moyen de catamaran d’une capacité moyenne de 200 à 300 voyageurs, d’importants catamarans parcourent le canal de Beagle de la ville d’Ushuaia jusqu’au phare du bout du monde (excursion d’une demi journée). Une excursion d’un jour sur le canal est aussi proposée aux voyageurs, ils ont alors l’occasion de découvrir l’ancienne estancia Haberton située sur les rives du Beagle. o Visite au glacier Martial : cette excursion de 2-3 heures emmène les voyageurs vers un point panoramique à partir duquel ils peuvent apprécier la vue de la ville et de la baie d’Ushuaia. On accède au point panoramique au moyen d’un télésiège qui parcourt le trajet autrefois emprunté par le glacier Martial. o Excursion « Lagos Fagnano y Escondido » : Ce tour original s’enfonce dans l’intérieur des terres pour découvrir deux lacs cachés dans les montagnes. Cette excursion bien que moins 54 Site internet : www.trendelfindelmundo.com.ar Page 65 souvent proposée par les agences reste particulière car elle offre une perspective différente de la région. o City tour d’Ushuaia : Visite traditionnelle de la ville la plus australe au monde avec l’ancien bagne et le musée municipal. La particularité d’Ushuaia est qu’elle reçoit ses voyageurs par voies aériennes, terrestres et maritimes. Je souhaite ici souligner l’importante croissance de croisières et les conséquences que ce type de tourisme peut avoir sur la Terre de Feu. Malgré le fait que l’histoire de cette ville est depuis toujours intimement liée à l’océan et à son port, c’est seulement ces dernières années que l’activité touristique tournée vers l’océan a résolument marqué la ville. Le port d’Ushuaia est devenu d’autant plus important qu’il reçoit maintenant les bateaux de croisière internationaux, les bateaux en partance vers l’Antarctique situé à 1000 km et aussi les catamarans touristiques pour les excursions sur le canal de Beagle. Indicateurs du tourisme de croisière - Saison 2007/2008 (octobre/mars)55 8.679 Passagers arrivés en croisière au port d’Ush. Pour l’année 1992 86.378 Passagers arrivés en croisière au port d’Ush. Pour l’année 1996 112.144 Passagers arrivées en croisière au port d’Ush. Durant la saison 2007/2008 47,2 % Pourcentage de touristes arrivés par voie maritime à Ushuaia durant la saison 2007/2008 % d’augmentation de la quantité de croisiéristes arrivés à Ush par rapport à l’an passé Chiffre représentant la quantité de croisiéristes arrivés à Ush. Par rapport à l’an passé. Nombre de bateaux arrivés au port d’Ushuaia 32,3 % 27.000 366 Entre 4 et 12 Heures Temps passé par les croisiéristes dans la ville d’Ushuaia Les quelques chiffres présentés ci-dessous provenant de relevés de la Secretariat de Turismo de la Municipalité d’Ushuaia démontrent clairement l’importante croissante de l’accès maritime à la ville d’Ushuaia. Le tableau ci-dessous provenant des autorités du port de la ville d’Ushuaia illustre aussi l’augmentation du nombre de passagers par voies maritimes même si les autorités portuaires ne précisent malheureusement pas ce qu’ils entendent par « pasajeros/passagers » 55 Données transmises par le secrétariat au tourisme de la ville d’Ushuaia Page 66 Direction provinciale de Ports – Evolution annuelle de passagers dans la ville Ushuaia Saisons Entrées de Passagers bateaux 1995 - 1996 139 14.122 1996 - 1997 111 12.244 1997 - 1998 138 29.095 1998 - 1999 144 30.704 1999 - 2000 183 42.943 2000 - 2001 180 50.374 2001 - 2002 159 52.764 2002 - 2003 179 56.969 2003 - 2004 222 58.051 2004 - 2005 259 63.858 2005 - 2006 300 81.127 2006 - 2007 349 87.375 Source : Statistiques disponibles sur le site du port de la municipalité d’Ushuaia : http://www.puertoushuaia.gov.ar/ Ushuaia partage le départ des bateaux vers l’Antarctique avec sa rivale chilienne, la ville de Punta Arenas. Selon les statistiques proposées par les deux villes, Ushuaia semble néanmoins gagner à ce jeu certainement dû au fait de sa relative « proximité » des portes de l’Antarctique. Le mode de fonctionnement de croisière vers l’Antarctique ou de croisière internationale dont Ushuaia est une étape parmi d’autres est considérablement différent et les répercutions sont majeures pour la ville et la région. Les passagers des croisières internationales ne logent pas à Ushuaia mais uniquement à bord de leurs paquebots, seulement quelques heures à terre sont octroyées aux voyageurs afin qu’ils parcourent en autocar le Parc National de la Terre de Feu ainsi que les rues du centre ville pour une rapide session de Shopping. Les répercutions économiques de cette quantité de voyageurs même si elles sont importantes pour les commerces et les opérateurs réceptifs engagés pour ce type de services.(il ne faut même pas envisager la restauration car les repas sont organisés à l’avance par le Tour-opérateur), est donc minime pour le reste des services de la ville et notamment l’hôtellerie. Par contre, les voyageurs qui rejoignent Ushuaia pour une croisière vers l’Antarctique ont généralement une nuitée, au moins au retour ou à l’arrivée de la croisière, dans un établissement d’Ushuaia afin de se poser un peu avant le retour vers Buenos Aires. Néanmoins, la demande va croissant pour ces deux types de croisières et cela semble provenir d’un public attiré par les espaces vierges où ils pourront obtenir une véritable sensation d’exclusivité. Cette évolution pose bien évidemment de nombreuses questions relatives à la préservation d’un milieu naturel bien fragile. Page 67 Quatrième partie : Un panel de dimensions pour une tentative de réponse Les deux premières parties de ce travail ont permis de découvrir un territoire situé aux confins du monde aux caractéristiques géographiques particulières. Ces mêmes caractéristiques ont depuis toujours fasciné ou rebuté les plus grands et ont participé à la création du mythe de la Patagonie. Mythe qui fut relayé par la suite par les médias ou encore l’activité touristique et qui, ces dernières années, a évolué de manière importante et visible. J’ai pu montrer que les caractéristiques intrinsèques du territoire ont depuis toujours influencé les différentes activités économiques des patagoniens et il en fut bien évidemment de même pour le secteur touristique. La Patagonie s’est engagée dans un processus rapide de valorisation touristique de ses principales ressources naturelles menant de front la construction d’une véritable industrie touristique. Ce développement a définitivement modifié la carte touristique traditionnelle de la nation Argentine. Cette notion a été formulée par R. Bertoncello dans « Turismo, territorio y sociedad », El mapa turistico de la Argentina (2006). Chaque « enclave touristique » a donc un développement différent basé sur ses ressources, ses acteurs en place, ses moyens, etc. Il en résulte donc un territoire hétérogène aux dimensions titanesques. Il me semblait donc intéressant à cette étape du travail d’aborder la Patagonie argentine sous un angle différent…je souhaite donc pour cette troisième partie aborder mon analyse à une échelle plus globale et sous 3 dimensions. L’activité touristique en Patagonie sera donc analysée sous une dimension géographique, patrimoniale et environnementale et socio-économique. Mon objectif est ici de montrer comment les éléments constitutifs de ce développement interagissent ensemble sous plusieurs dimensions. J’estime que ces thèmes me permettront d’avancer des pistes de réponses concrètes à la problématique annoncée : La Patagonie est-elle un Eldorado touristique pour l’Argentine ? Chapitre 1 : Dimension Géographique de l’activité touristique : La situation géographique de la Patagonie est bien évidemment un élément primordial à l’analyse de son activité touristique. Je souhaite apporter quelques informations précieuses sur ce point à deux échelles différentes : la première concerne la distance qui sépare le territoire étudié des autres régions du globe ou des principaux marchés émetteurs de touristes, la deuxième concerne l’organisation spatiale des différents spots touristiques du territoire et les conséquences de ses caractéristiques géographiques. Au regard de ces approches, il sera alors possible de mieux comprendre le fonctionnement géographique de la Patagonie touristique. Page 68 Un territoire de périphérie : SOURCE : BERNARD N., BOUVET Y., DESSE R.-P., (2005), GEOGRAPHIE DE L’ARGENTINE, APPROCHE REGIONALE D’UN ESPACE LATINO-AMERICAIN, RENNES : PRESSES UNIVERSITAIRES DE RENNES, 295 P Eloignement des principaux foyers émetteurs mondiaux de touristes : J’ai eu l’occasion au cours de ce travail d’observer que les grands marchés émetteurs de touristes en Patagonie sont principalement des pays limitrophes (en majorité provenant du Chili et le Brésil), ou des marchés de l’hémisphère nord (principalement Nord-Américains et Européens). Bien qu’ils proviennent d’Amérique du Sud et que leur pays jouxtent l’Argentine, les Brésiliens et Chiliens n’ont pas un accès facile au pays et encore moins à la Patagonie. Si les Brésiliens ne peuvent pratiquement qu’envisager l’avion, les Patagoniens chiliens peuvent en plus de l’avion, éventuellement envisager un passage de Page 69 frontière au niveau de San Carlos de Bariloche ou El Calafate. Néanmoins, celui-ci ne peut s’organiser en hiver étant donné les fréquentes chutes de neiges et l’état déplorable des accès routiers. De plus, la Cordillère des Andes s’impose telle une seconde frontière tant elle rend le voyage éprouvant. Une frontière bien capricieuse… Depuis quelques années, El Calafate parvint bien difficilement à profiter du succès du Parc National chilien Torres del Paine. Ce parc de renommée internationale auprès des Trekkers ou autres voyageurs possède des paysages majestueux dans une nature balayée par le vent. La petite ville Argentine n’est qu’à 5 heures de route du Parc National chilien ce qui permet aux agences locales de proposer cette excursion à leurs visiteurs au départ de Calafate. Malheureusement, ce poste frontière est depuis toujours conflictuel entre les deux nations Argentine et Chilienne. Cette animosité n’aide évidemment pas les autorités touristiques qui sont plus que jamais demandeuses que cet accès soit simplifié. Deux petits kilomètres de zone franche séparent le poste frontière argentin du chilien. Les autorités douanières durcissent ou non les démarches au grès de leur humeur en interdisant parfois l’accès aux opérateurs touristiques accompagnés de leurs voyageurs et ceci sans raison justifiée. Les agences ont donc de plus en plus de difficultés à proposer cette excursion étant donné qu’elles doivent y engager leur responsabilité56. La distance séparant la Patagonie des principaux foyers émetteurs influence directement le coût global du voyage vers cette destination. La taille de l’Argentine est, de fait, un autre élément important qui influence directement les déplacements touristiques. Si l’on reporte dans l’hémisphère nord la taille et les latitudes du pays, cela correspond à un territoire allant du sud de l’Algérie aux latitudes de Glasgow en Ecosse57. Tout déplacement de centre touristique vers un autre point ne peut s’envisager qu’en avion. La Patagonie n’est donc pas seulement le bout d’un pays aux dimensions titanesques, elle est aussi le bout du continent américain et même le bout du monde. J’ai choisi délibérément de prendre appui sur les 4 plus importants spots du tourisme de la Patagonie car le reste de l’espace ne représente que des vides de peuplements et d’activités (élément que j’ai pu démontrer lors de la rédaction de la première partie de ce travail). La Patagonie souffre avant tout de son éloignement de sa capitale qui concentre non seulement 1/3 de la population nationale (12 millions d’habitants) mais aussi les pouvoirs économiques, politiques et financiers du pays. La Patagonie est un Propos recueillis auprès de H.Berberian, directeur du secteur Incoming de l’agence Tije Premium -Buenos Aires. BERNARD N., BOUVET Y., DESSE RP., Géographie de l’Argentine, d’une approche régionale d’un espace latinoaméricain, Presses Universitaires de Rennes, 2005 56 57 Page 70 territoire de périphérie, totalement dépendant du réseau aérien. Enfin, j’ai pu observer que les grands sites sont situés dans la périphérie du territoire national et très éloignés les uns des autres obligeant donc les voyageurs à se déplacer en avion. 1.1 La Patagonie, territoire du « vide » ? Il est vrai qu’à l’échelle Latino-américaine, la Patagonie fait partie des quelques territoires que certains géographes s’aventurent à appeler les « vides du continent »58. Mais j’ai pu démontrer que le mythe de la Patagonie est aussi basé sur cette caractéristique prédominante. Il est important de rappeler comme le souligne certains auteurs ayant travaillé la thématique : « cette notion de vide doit être nuancée : ils sont toujours relatifs, et même si les densités sont très basses, ces régions ont depuis longtemps des occupants, qui étaient déjà là quand les sociétés majoritaires dans ces pays ne pouvaient pas les occuper et les mettre en valeur »59. L’Argentine a sur ce point bien souvent laissé de côté la Patagonie, il fallut attendre la « Conquista del desierto » (la conquête du désert) en 1880 pour que sous les ordres du général Roca, ces territoires du sud soient une fois pour toutes pris d’assaut. Cette conquête se réalisa dans une violence importante et au détriment de populations déjà présentes sur place. Je souhaite simplement par ces quelques lignes insister sur le fait que ce territoire trop souvent considéré comme « vide » fut donc souvent nié ou laissé de coté. 1.2 Un territoire enfin désenclavé ? Alors, ce territoire s’est-il enfin et réellement désenclavé ? Le développement touristique semble être un bon indicateur pour pousser cette analyse. Même si le territoire a été analysé dans son entièreté, mon travail s’est essentiellement concentré sur 4 foyers principaux de développement touristique. Ils représentent des espaces où les acteurs présents disposaient de ressources essentiellement naturelles intéressantes qu’ils sont parvenus à mettre en tourisme prenant en compte leur capital humain et économique. Peut-on pour autant dire que ce territoire s’est, grâce au tourisme, un peu désenclavé ? Le développement touristique de la Patagonie apparait sous forme de « spots » aux 4 coins du territoire, le tourisme a finalement respecté les enclaves déjà présentes du territoire. Même si le trafic aérien s’est intensifié dans cette région de l’Argentine, la Patagonie souffre encore de son isolement plus particulièrement d’éloignement des principaux foyers émetteurs touristiques. Néanmoins, le tourisme a apporté et apporte beaucoup à la Patagonie. Cette région qui fut longtemps ignorée, bafouée, soulève CAPES-Agrégation, ALBRECHT D., BABY-COLLIN V., DESMULIER D., MACIAS M.C., ALBRECHT C.M., SIERRA A., THERY H., VELUT S., « L’Amérique Latine », CNED-SEDES, 2005-2006, p. 302 59 CAPES-Agrégation, ALBRECHT D., BABY-COLLIN V., DESMULIER D., MACIAS M.C., ALBRECHT C.M., SIERRA A., THERY H., VELUT S., « L’Amérique Latine », CNED-SEDES, 2005-2006, p. 303 58 Page 71 maintenant de grandes considérations des plus grands et cela particulièrement grâce à la richesse de ses beautés et ressources naturelles… Une belle revanche ! Chapitre 2 : Dimension patrimoniale et environnementale de l’activité touristique : La Patagonie, c’est avant tout une nature hors norme, exceptionnelle par ses caractéristiques intrinsèques. Une nature qui a servi, comme j’ai pu le montrer dans les chapitres précédents, à préciser les limites du territoire national, fixer des frontières et bâtir une nouvelle nation, révéler au monde des richesses inconnues et s’imposer à l’échelle internationale… Pour toutes ces raisons, la nature fut un outil pour se construire une identité nationale. Elle fut aussi un outil pour aider le pays à se construire une identité touristique. Par manque de richesses patrimoniales culturelles majeures, la Patagonie et l’Argentine ont misé sur leurs richesses naturelles. Aidé par la création des Parcs Nationaux, la Patagonie offre dorénavant le spectacle d’une nature dite préservée et aménagée pour les visiteurs. Mais comment en est-on arrivé là ? Cette nature spectacle est semble-t-il le fruit d’un changement d’interprétation. 2.2 Inversion du regard porté vers la Patagonie… Il est ici intéressant de s’attarder sur les propos de Philippe Grenier, géographe de formation, chercheur au CNRS et spécialiste du cône sud-américain. Son analyse apporte la clarté sur un point particulièrement important lorsqu’est envisagé le patrimoine d’une région et plus encore dans un objectif d’analyse touristique, je veux parler du regard porté à cette région. Ce regard va être véhiculé au fil du temps par diverses sources d’écrits ou de témoignages oraux. La Patagonie a depuis toujours fait beaucoup parler d’elle. Elle a choqué, perturbé, surpris, intrigué… des navigateurs, scientifiques, écrivains qui ont chacun à leur manière été des vecteurs et ont construit l’imaginaire de la région. Philippe Grenier développe l’idée qu’on peut isoler trois visions successives de la nature de la Patagonie. La première concerne une nature qu’il faut à tout prix surmonter, une nature dite obstacle. C’est la nature décrite par les explorateurs, les marins et les aventuriers. J’ai déjà pu démontrer dans la première partie de ce travail que leurs mots ne sont pas tendres à son égard. Le paysage reste d’ailleurs marqué à jamais des ressentis de ces premiers visiteurs ; les îles, baies ou lieux dits du sud prennent les noms d’ « Isla Furia », « Isla de la desolacion », « bahia desolada », « ultima esperanza », « bahia salvacion », etc. Soulignons aussi que cette période de l’histoire semble essentiellement s’intéresser aux côtes de la Patagonie, délaissant l’intérieur des terres de considérations ou d’explorations. Ceci s’explique bien évidemment par l’objectif poursuivi par les grands explorateurs qui ne détenaient pas d’intentions concrètes envers ces terres en soi mais plutôt l’objectif de les contourner Page 72 afin d’ouvrir un passage vers l’océan Pacifique. C’était d’ailleurs le cas de Magellan lors qu’il s’engagea vers le sud. Nature Obstacle Nature Ressource Nature Spectacle Le XIXème siècle modifiera peu à peu ce regard noir sur ces terres du bout du monde et cela s’exprimera principalement par la volonté de deux nouvelles nations de se partager un territoire pourtant toujours méconnu. Le Chili et l’Argentine veulent donc exprimer leur souveraineté territoriale et cela va les placer dans une situation de rivalité encore bien présente à notre époque. La nature de la Patagonie devient alors une nature-ressource. Une potentialité sous entendue qui n’est pas encore révélée. La vague de scientifiques qui découvrit le territoire à cette époque a participé plus qu’activement à révéler à l’Argentine les ressources de cette terre isolée. Soulignons à nouveau l’importance majeure du travail réalisé par Francisco P. Moreno, jeune scientifique argentin de 27 ans qui a su trouver les mots au retour de ses explorations pour adoucir l’image de la Patagonie et en montrer les ressources principalement esthétiques et scientifiques. La troisième vision de la Patagonie, Philippe Grenier en parlera notamment en se basant sur l’aménagement du site du glacier Perito Moreno située dans la région d’El Calafate qu’il redécouvre vingt années après sa première visite. Il s’étonne de la « mise en tourisme » des alentours du glacier tels un « spectacle qu’on donne à voir » Il observe aussi que ce n’est plus uniquement le glacier qui est mis en valeur mais la nature l’environnant, cette nature qui autrefois rebutait est alors valorisée. Une nature qui par le tourisme a su se transformer en « avantage comparatif »60. La Patagonie ou plutôt ses sites naturels se sont donc organisés, structurés en spectacle auquel tout un chacun peut accéder relativement facilement au prix de quelques heures d’avion ou de route goudronnée. A notre époque, c’est donc cette nature spectacle envers qui les autorités veulent tenter de se montrer protectrices tout en l’exploitant touristiquement. 60 SCHNEIER – MADANES G., (2003), Patagonie, tempète d’imaginaires, Autrement-Monde N°94, Page 73 L’excursion « Balcones de Calafate » propose depuis quelques années une excursion alternative afin d’offrir une vue panoramique sur sa région. A bord de 4X4, les voyageurs entament l’ascension des dits « balcons de Calafate », qui sont en fait des collines qui permettent de prendre une certaine hauteur. Cette excursion incarne parfaitement cette idée nouvelle de proposer une nature spectacle et de changer de perspectives. Comme pour beaucoup d’autres pays latino-américains, « les Parcs Nationaux sont à la fois des espaces de protection de la faune et de la flore locale et des instruments de promotion touristique. Cette fonction est d’autant plus justifiée que les états cherchent à montrer une préoccupation pour le développement durable et à promouvoir l’écotourisme»61. Depuis une quinzaine d’années, la question du développement durable est venue enrichir les perspectives de la préservation de l’environnement. Cette nouvelle conception de considérer les ressources naturelles à long terme afin que les générations prochaines puissent, elles aussi, en profiter fait maintenant partie des discours du secteur touristique qu’il soit de caractère public ou encore privé. L’analyse des documents institutionnels des 4 régions touristiques étudiées pour ce travail souligne bien cette préoccupation. Les origines de la préservation de l’environnement en Argentine ont montré que ce grand pays a très rapidement voulu évoluer dans une notion de « préservation » et non de « conservation ». Ces deux visions de l’environnement telles que les présente Franck-Dominique Vivien dans son document de travail intitulé « le Patrimoine Naturel : jeux et enjeux entre nature et société »62, posent les bases d’un rapport à l’environnement. « Les partisans de la préservation s’indignent de cette façon de concevoir l’environnement comme un simple réservoir de ressources. Ceux-ci mettent en avant une autre vision de la nature : le Wilderness, la nature sauvage, dans laquelle le pionnier qu’est le citoyen nord-américain peut venir se ressourcer et se régénérer ». Cependant, les ressources naturelles mises en tourisme en Patagonie doivent faire face à une série de pressions dont leurs survies ou du moins leurs conservations peuvent être directement dépendantes. L’idée n’est pas ici de procéder à un relevé précis et détaillé des pressions subies par le milieu naturel de la Patagonie dans son ensemble mais plutôt de s’attacher à soulever pour quelles raisons ce patrimoine naturel « mis en tourisme » pourrait se voir altérer dans les années futures : CAPES-Agrégation, ALBRECHT D., BABY-COLLIN V., DESMULIER D., MACIAS M.C., ALBRECHT C.M., SIERRA A., THERY H., VELUT S., « L’Amérique Latine », CNED-SEDES, 2005-2006, p. 300 62 VIVIEN, F.D. ; « Le Patrimoine naturel : jeux et enjeux entre nature et société », Document de travail, séminaire « Patrimoine », scéance du lundi 5 mars 2001, UFR de Sciences économiques et de gestion, Université de Reims Champagne Ardenne. 61 Page 74 o Préservation des ressources naturelles face aux changements climatiques : Comment ne pas illustrer ce problème majeur de notre société par le futur du Parc National des glaciers situé non loin de la ville d’El Calafate. Il représente une parfaite illustration de l’impact des changements climatiques sur le patrimoine naturel d’une région. Greenpeace ou encore Al Gore n’ont pas hésité à utiliser ces images lourdes de sens montrant la réduction importante de la masse de glace de cette région au cours de ces dix dernières années. Le tourisme en Patagonie argentine est basé sur l’utilisation de ressources naturelles fragiles. Si Calafate peut trembler pour ses nombreux glaciers, Ushuaia doit s’inquiéter de l’augmentation du nombre de bateaux de croisières qui s’amarrent à quelques minutes du Parc National de la Terre de feu, la Péninsule Valdez devra continuer à fournir les conditions optimales afin de s’assurer de la venue des Baleines franches et Bariloche quant à elle ne peut se reposer trop facilement sur le succès visible de la vente de ses terrains bordant le lac qui vient peu à peu modifier son paysage enchanteur. Face aux bouleversements climatiques annoncés et confirmés par certains scientifiques depuis maintenant plusieurs années, l’Argentine et plus particulièrement la Patagonie devra se montrer réactive. o Préservation des ressources naturelles face à l’augmentation des coûts fonciers : Une autre pression sur laquelle devra compter le patrimoine naturel est certainement l’augmentation des coûts fonciers des ces régions prisées. Selon de nombreuses sources d’informations officieuses, difficilement officielles, les autorités argentines et plus particulièrement patagoniennes ont volontairement caché de précieuses informations concernant la vente de leurs terres à des étrangers. Il suffit d’entamer la conversation autour d’un maté avec quelques argentins patagoniens pour que les langues se délient et qu’ils vous racontent de quelle manière les terres de la Patagonie ont, par exemple, été vendues durant les années 90 sous le gouvernement du président Menem. Ted Turner, président de la chaîne américaine CNN ou encore le chanteur français Florent Pagny n’ont pas hésité à s’isoler dans leurs propriétés de plusieurs centaines de kilomètres carrés. Si certains ont, à cette époque, pu profiter des prix intéressants pour des parcelles de terrains, il est maintenant très compliqué d’acheter un lopin de terre dû à la hausse des tarifs pratiqués. Néanmoins, les acheteurs sont présents et l’augmentation de la demande, ne fait qu’augmenter les coûts. Il suffit de demander à un moteur de recherche internet « Real Estate + Patagonia » pour se rendre compte de la richesse d’offres présentes sur le marché. Serait-il encore imaginable dans notre vieille Europe d’acheter un terrain de plusieurs centaines d’hectares ? Un accès privé sur un lac ? Une partie de bois millénaire ? Les caractéristiques de ces terres du bout du monde, qu’elles concernent leurs tailles ou leurs ressources, Page 75 sont devenues inabordables ou introuvables sur nos terres européennes. Cet attrait pour les terres de Patagonie est donc logique, la tentation est présente, l’Eldorado est sous jacent. La Patagonie doit donc faire face à d’importants défis, la liste est malheureusement longue. Totalement consciente de la richesse de sa nature, de l’attrait qu’elle peut avoir et du potentiel qu’elle peut générer, elle devra faire des choix judicieux, envisager le futur de ce patrimoine naturel dans une perspective pluridisciplinaire et intersectorielle afin de tenter une gestion bénéfique de cette nature afin qu’elle représente un avenir pour les générations futures. Chapitre 3 : Dimension socio-économique de l’activité Le tourisme est l’un des secteurs le plus dynamique de l’économie Argentine. C’est aussi l’un des principaux secteurs qui a pu, d’une certaine manière, bénéficier de la crise économique de 2001 en attirant à lui les voyageurs du monde entier ainsi que ses voisins. Situation qui mènera même à inverser pour la première fois la balance touristique à partir de 2005, lorsque le nombre de touristes entrant au pays dépassa le nombre d’argentins voyageant à l’extérieur. A l’analyse de la situation actuelle, il transparait que le tourisme en Patagonie se porte plutôt bien. Cela est très certainement dû au développement des infrastructures et des services qui y sont liés, à l’énergie investie dans la promotion de la destination, aux investissements financiers privés et publics, motivés par l’apport de devises et d’emplois créés par le tourisme. Tous ces grands projets édifiés à partir des années 90 et intensifiés après 2001, ont vu le jour grâce au libéralisme économique prôné à cette époque. Le rôle de l’Etat a été redéfini et l’économie argentine a cherché à attirer les grands investisseurs étrangers. Cela signifiera donc l’arrivée sur le marché touristique de nouveaux acteurs économiques qui, au lieu de s’attarder aux lieux touristiques déjà établis, ont préféré tenter de s’installer au sud et construire parfois en partant de zéro. Le développement touristique de l’Argentine et tout particulièrement de la Patagonie a été relativement fulgurant. Seuls déjà, les différents graphiques présentant l’augmentation des arrivées touristiques, des flux aériens, des investissements, des immobiliers hôteliers semblent le démontrer. L’état argentin a lui aussi rapidement compris les perspectives prometteuses d’un tel secteur. Une nouvelle preuve de cet intérêt pourrait être le budget national accordé au Secrétariat au Tourisme qui était en 2007 de Page 76 218 millions de Pesos alors qu’il n’était que de 171 millions de Pesos en 2006 ou encore de 51 millions en 200563. Néanmoins, certains freins à ce développement semblent déjà se dessiner clairement. Depuis 2001, la région est prête à miser sur le tourisme dans le cadre d’une volonté politique de développement et de diversification de son économie. Certaines régions semblent avoir énormément misé sur le secteur touristique voyant en lui une alternative rapide et génératrice. Cependant, il faut avouer que la construction de cette industrie touristique et des nombreux projets qui lui sont liés ne sont pas sans risque dans ce pays à forte instabilité économique et politique et dans un contexte international relativement défavorable. Conscient de l’impact que pourra avoir la crise financière mondiale de cette fin d’année 2008 et ses répercussions, les autorités argentines de la CAT – la chambre du tourisme argentin- annoncent déjà une potentielle perte de 15% de l’occupation hôtelière pour 2009. Un simple relevé de la presse argentine touristique ou non relève une réelle préoccupation face à la période incertaine qui s’annonce d’ores et déjà pour les mois à venir. Cette crise économique mondiale modifiera certainement les comportements des voyageurs. On peut imaginer que des logiques différentes de déplacements apparaitront ou que d’autres encore s’intensifieront. Les récentes statistiques mondiales des flux touristiques internationaux démontrent aussi l’importance des déplacements dans un même continent, des marchés limitrophes ou encore des pays émergents très prometteurs. Ce travail a montré l’orientation qu’avaient pris ces dernières années les villes de El Calafate et Ushuaia d’orienter leurs énergies vers le tourisme international. Cette crise mondiale les poussera peut-être, dans les prochains mois, à s’orienter vers une autre forme de tourisme, moins luxueuse et aux profils plus latino-américains ou argentins. Enfin, dernier point sur lequel j’aimerais attirer l’attention : le capital humain. Les différents chapitres de ce travail ont montré et démontré que la Patagonie est souvent considérée et présentée comme une terre du « vide ». La population semble être souvent ignorée dans l’analyse des ressources de cette terre certes peu peuplée, mais peuplée quand même ! La population de la Patagonie est une population jeune provenant majoritairement des autres provinces du pays attirés, selon les époques, par les différentes possibilités d’emplois et de vie meilleure prônée sur cette terre. Le taux d’alphabétisation de la nation Argentine est presque similaire au taux des nations européennes, l’accès à l’université de l’état est gratuit et le système jugé de qualité. Il y a donc 63 Source : www.sectur.com.ar, même si l’inflation doit influencer ces différents chiffres, ils témoignent néanmoins de l’augmentation du budget alloué au tourisme. Page 77 là un potentiel humain qui ne peut être sous-estimé. L’Argentine dispose de 4 universités avec une faculté de tourisme, 34 universités où il est possible de suivre une formation dans le tourisme et plus de 130 formations de graduat en Tourisme, hôtellerie, guidage et gastronomie hôtelière 64 . Toutes ces formations reçoivent un certain succès depuis quelques années, les argentins, dont les patagoniens, semblent avoir rapidement compris le potentiel de ce secteur dont ils souhaitent, eux aussi, être gagnants. Le tourisme détient une dimension humaine non négligeable s’illustrant par la capacité et la volonté de développer ou non cette activité mondiale. Informations transmises par le dossier « Turismo y Educacion – Educacion y Turismo » élaboré par la CAT – la Chambre du Tourisme Argentine en 2005 – 2006. 64 Page 78 Conclusion La première partie de mon étude a débuté par la découverte d’un imaginaire directement lié à la Patagonie, ce territoire isolé aux confins du continent sud-américain. Le mythe de la Patagonie a véhiculé avec lui une série d’idées que j’ai voulu confronter à la réalité géographique, démographique et socio-économique du territoire afin d’en soutirer des informations précieuses exploitées dans la suite de mon analyse. Aborder la genèse du développement touristique de l’Argentine m’a permis de situer ce secteur dans un cadre national et de comprendre quelle fut la place réservée à la Patagonie. Cette seconde partie a aussi mis en lumière la place majeure que tiennent les ressources paysagères et leurs gestions via les Parcs Nationaux, véritables piliers du développement touristique de cette région. L’analyse des composantes du secteur touristique tels que les flux, les transports, l’hôtellerie, ou encore les ressources des principaux centres touristiques récepteurs patagoniens ont révélé des informations cruciales et marqué des différences majeures entre les sites étudiés. Les régions d’Ushuaia et El Calafate semblent partager beaucoup de points communs dus à leur « mise en tourisme » tardive suite à la crise économique de 2001. En soulevant l’intérêt des autorités publiques, des investisseurs privés et surtout des voyageurs du monde entier, ces deux villes se sont développées comme les deux destinations phares de Patagonie, capables d’offrir une hôtellerie nouvelle adaptée aux tendances actuelles et une nature-spectacle hors du commun. L’extrême sud du sud a donc vécu un véritable boom touristique sur lequel beaucoup ont misé. Un véritable Eldorado prometteur mais qui a déjà démontré quelques failles notamment au niveau de la gestion de la nature ou encore d’un point de vue urbanistique. Les régions du nord de la Patagonie représentées dans cette étude par les villes de Bariloche et de Puerto Madryn (Péninsule Valdes) ont, quant à elles, été précocement « mises en tourisme » par notamment les autorités publiques car elles sont depuis toujours, et restent encore actuellement, des destinations fréquentées par les Argentins. Cette particularité les différentie des deux régions précédemment citées en influençant donc directement leurs développements touristiques et le type d’infrastructures nettement plus anciennes. Néanmoins, elles ont droit, elles aussi, à un regain d’intérêt ces dernières années et ont rénové leurs infrastructures et images à grands coups d’investissements. Bien que depuis plusieurs années, la Patagonie se soit ouverte aux touristes internationaux, elle reste néanmoins très fréquentée par les touristes d’Argentine et pays limitrophes pour lesquels elle est devenue une nouvelle destination touristique dans le panorama latino-américain. Cependant, le type Page 79 d’infrastructures démontre plutôt une orientation décidée vers le public international de luxe (la catégorisation des établissements hôteliers est à ce titre une preuve réelle de cette orientation). Longtemps, la Patagonie fut une terre méconnue, oubliée. Pourtant, cette région a toujours fasciné et continue à susciter bien des rêves ! Ces dernières années, grâce à son ouverture touristique, la Patagonie s’est enfin fait connaître, permettant à ce territoire du bout du monde de prendre sa revanche sur son passé. Mais représente-t-elle pour autant un Eldorado touristique pour l’Argentine ? Les résultats de mon analyse me poussent à présenter une réponse mitigée. Il est indéniable que les ressources paysagères sur lesquelles se pose le tourisme représentent une véritable richesse pour l’Argentine. La situation géographique de la région l’a dotée de glaciers millénaires, de lacs aux eaux turquoise, de forêts exceptionnelles, et d’une faune peu farouche. Les spots touristiques sont encore peu nombreux pour un territoire d’une telle envergure, il existe donc encore de belles possibilités touristiquement exploitables. L’Argentine a misé sur le développement touristique suite à la crise de 2001 et la Patagonie s’est illustrée comme « la » destination à construire. Les investissements publics et privés, nationaux ou internationaux ont dynamisé, en quelques années, un secteur nouveau, générateur d’emplois et d’activités. J’ai pu observer que la Patagonie se présente tel un territoire aux dimensions impressionnantes composé d’enclaves touristiques, distantes de quelques centaines de kilomètres, et joignables entre elles, bien souvent uniquement par avion. Cette dépendance représente un frein important à son développement touristique car le secteur aérien national offre une situation très irrégulière et particulièrement fragile ces derniers temps. Certaines villes proches des sites le plus visités démontrent d’ores et déjà des problèmes de gestion urbanistique ou bien encore d’accès aux services de base. Le tourisme vient perturber des milieux fragiles et des populations qui le redoutent parfois. Pour la dernière partie de mon étude, j’ai estimé nécessaire de revenir à une échelle d’analyse plus large qui concerne la Patagonie dans sa globalité, sans m’arrêter à ses différents foyers touristiques. J’ai donc entrepris une relecture de l’activité touristique sous une dimension géographique, patrimoniale, environnementale et socio-économique afin de donner des pistes de réponses concrètes à la problématique énoncée. Page 80 La situation géographique de la Patagonie représente à la fois une force et une faiblesse. L’originalité et la richesse de ses ressources paysagères sont en effet principalement dues aux latitudes extrêmes de sa situation ; en outre, la région n’hésite maintenant plus à utiliser et à promouvoir son côté « bout du monde ». Néanmoins, le tourisme subit au quotidien les conséquences de cette situation géographique, notamment par les nombreuses heures de vol nécessaires entre les sites, etc Son éloignement des principaux foyers émetteurs de touristes mondiaux l’empêchera certainement encore longtemps de s’imposer dans un classement des destinations les plus visitées. Néanmoins, la Patagonie peut aussi miser sur ses voisins en tant que pays émergents et espérer dans les prochaines années un renforcement de leurs économies. Grâce au tourisme, la Patagonie est parvenue à valoriser une nature qui autrefois rebutait les plus courageux des explorateurs. Le développement touristique s’est totalement basé sur celle-ci et a transformé ses principaux sites en nature-spectacle. Dans un futur de plus en plus proche, d’importants défis climatiques s’imposeront à ce territoire aux ressources naturelles hors du commun. Il faut espérer que l’Argentine et plus particulièrement la Patagonie sauront utiliser leurs expériences de la gestion de la nature pour s’imposer telle une référence aux défis climatiques mondiaux. Juste retour des choses, car c’est la nature qui fait la richesse du pays et qui a, depuis toujours, attiré les hommes sur ses terres. Economiquement et politiquement, le pays présente, ces derniers temps, une situation relativement stable mais n’est cependant pas à l’abri. L’Argentine a l’habitude de jongler avec les crises car l’instabilité est récurrente et celle-ci peut, bien évidemment, rapidement changer les tendances touristiques. La crise mondiale actuelle engendrée en octobre 2008 entraînera certainement son lot de conséquences dans le secteur touristique (notamment une importance accrue du tourisme de proximité). La Patagonie devra donc être prête ou du moins extrêmement réactive afin de ne pas en être lésée. Certes, glaciers, immensités, steppes, associés à un léger dépaysement et un petit goût du bout du monde semblent être un parfait mélange qui risque encore, de nombreuses années, d’attirer des voyageurs du monde entier. La Patagonie devra néanmoins surmonter d’importantes difficultés structurelles et conjoncturelles si elle souhaite continuer à faire parler d’elle depuis le sud du sud… Page 81 Bibliographie Ouvrages BERNARD N., BOUVET Y ., DESSE R-P.,(2005), Géographie de l’Argentine, Approche régionale d’un espace latino-américain, Rennes: Presses Universitaires de Rennes, 295 p. BRIDGES T., (2001), Los indios del ultimo confin, Ushuaia, Zagier et Urruty, 192 p. BUSTILLO E., (1999), El despertar de Bariloche, Buenos Aires: Sudamericana, 5ème éd., 526 p. CHATWIN B., (1977), En Patagonie, Paris: Grasset, 287 p. COLOANE F., (1994), Tierra del Fuego, Paris: Phébus, 181 p. DECROLY J-M, DUQUESNE A-M, DELBOERE R., DICKMANN A., (2006), Tourisme et société : mutations, enjeux et défis, Bruxelles : Editions de l’Université de Bruxelles, 244 p. MACE G., PETRY F., (2004), Guide d’élaboration d’un projet de recherche en sciences sociales, De Boeck, 3ème éd., 129 p. 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