Le Cadre formateur et l`apprentissage à la recherche documentaire
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Le Cadre formateur et l`apprentissage à la recherche documentaire
Recherche Documentaire & Formation Le Cadre formateur et l’apprentissage à la recherche documentaire sur Internet Mots clés: Questionnement Internet Dialectique des médias et des milieux Didactique Apprentissage Internet est un outil incontournable pour la recherche documentaire. Le savoir n’est plus essentiellement détenu par le cadre formateur. Accompagner l’étudiant dans ses recherches documentaires devient une composante essentielle des formations aujourd’hui en favorisant le questionnement pour permettre une construction des savoirs par une confrontation entre données et pratiques. Les théories des apprentissages et la dialectique des médias et des milieux (Chevallard) dans les processus d’étude et de recherche nous éclairent et nous encouragent à éviter l’utilisation acritique du copier/coller. Les étudiants ne se questionnent pas suffisamment ? Suite à une enquête réalisée auprès d’étu- veau d’apprentissage attendu. Certains affirment ne « jamais ou occasionnellement » confronter les ressources, mais ce même groupe d’étudiants affirme se questionner systématiquement sur la validité des réponses obtenues. diants infirmiers de 3e année le 07/03/08, « les sites majoritairement utilisés ne sont l’analyse montre que l’utilisation d’Internet est incontournable par les étudiants dans certifiés par des comités d’experts … » leurs travaux de recherche documentaire. Le niveau de maîtrise de l’outil est acquis par la Dans cette enquête, les sites majoritairement plupart des étudiants. En revanche, peu d’étuutilisés (Wikipédia pour 40,38 % Infirmier.com diants confrontent les données recueillies et par 38,46 % et Doctissimo 21,15 %) ne sont pas la même occasion s’interrogent sur la validité certifiés par des comités d’experts ou par HON des réponses obtenues. La confrontation des Code par exemple. données peut être abordée de plusieurs façons. La Fondation "Health On the Net" (La Santé sur Elle peut se faire individuellement entre les Internet) est une fondation à but non lucratif dont le siège est à Ge- Utilisez-vous plusieurs sites pour comparer les réponses obtenues suites à vos nève en Suisse. L'objectif de la fonrecherches: dation est de promouvoir le développement et les applications des systématiquement (21,2%) nouvelles technologies de l’information, notamment dans les domaines de la médecine et de la santé, suite à des inquiétudes qui portent sur la qualité inconstante des inforoccasionnellement (28,8%) mations médicales actuellement très souvent (11,5%) disponibles sur le Web(1). C’est en novembre 2007 que la fondation HON a été choisie par la HAS (Haute Autorité de Santé) pour régulièrement (26,9%) mettre en place la certification des sites de santé français selon la LOI nº 2004-810 du 13 août 2004 relative à l’assurance maladie ; Art. L. 161-38. « La données contradictoires obtenues sur des sites Haute Autorité de santé est chargée d’établir différents. Mais aussi, cette confrontation peut une procédure de certification des sites inforse réaliser en groupe matiques dédiés à la santé et des logiciels d’aid’étudiants avec ou Dominique Carnel de à la prescription médicale ayant respecté un sans les formateurs Cadre de Santé ensemble de règles de bonne pratique. À compen fonction du nijamais (11,5%) Centre Hospitalier des Alpes du Sud, Site de Sisteron, France Avril 2008 pas ter du 1er janvier 2006, cette certification est mise en œuvre et délivrée par un organisme accrédité attestant du respect des règles de bonne pratique édictées par la Haute Autorité de santé. » La multitude de données disponibles sur le web ne facilite pas la tâche des étudiants dans leurs travaux de recherche. De plus, des études récentes montrent que la majorité des usagers font une confiance quasi-totale aux résultats obtenus suite à une requête faite avec un moteur de recherche. Par exemple cette étude(2), réalisée le 23 janvier 2005 sur des jeunes de 20-30 ans plutôt d'un bon niveau d'éducation et passant beaucoup de temps sur le Net, montre que : • 92 % des gens interrogés font confiance aux moteurs (52 % leur font même "très confiance") : • 68 % des gens interrogés pensent que les moteurs de recherche sont des "sources d'information légitimes et non biaisées ; • 1 personne sur 6 est consciente de l'existence de liens commandités et d'informations commerciales dans les résultats des moteurs de recherche ; • 44 % des gens interrogés n'utilisent qu'un seul moteur et seulement 7 % en utilisent plus de trois ; • 57 % des gens interrogés ignorent que les moteurs conservent des données relatives à leur navigation (tracking) et que ces données peuvent être réutilisées dans un cadre commercial. Un autre article(3), de Rachel C. Vreeman, diffusé dans une revue médicale anglaise, dénonce que « même les médecins croient parfois des mythes médicaux contredits par l’évidence scientifique ». Rachel C. Vreeman relève des exemples de réponses obtenues à l’aide de moteurs de recherche suite à des requêtes concernant des mythes médicaux. La méthode de re- « Comment développer chez l’étudiant la sité de se questionner… » cherche a conduit à un très grand nombre de références qui n’ont pas vraiment affirmé ou infirmé ces mythes médicaux. Elle conclut par la mise en évidence d’une évaluation constante indispensable de la validité de notre connaissance. Comment développer chez l’étudiant la nécessité de se questionner sur la validité des informations trouvées sur le web ? À l’heure actuelle, les cadres n’ont pas de formation spécifique dans le domaine de la recherche documentaire numérique. L’enquête exploratoire menée dans le cadre de notre mémoire de cadre de santé et de master en 2008 (enregistrant 1234 participants auprès d’un public de cadres de santé) montre que 60,1 % des cadres de santé déclarent avoir reçu une formation en informatique. Pour 80 % d’entre eux, cette formation est essentiellement pour l’usage de la bureautique, alors que seulement 8 % déclarent avoir bénéficié d’une formation à l’utilisation d’Internet. Nous nous posons dès lors la question vers quoi doit-il s’orienter pour avoir un rôle pédagogique dans les processus d’apprentissage impliqués par l’utilisation des documents numériques ? Pour répondre à cette question, basons notre réflexion sur l’influence d’Internet dans la façon de traiter les informations. L’influence de l’hypertexte sur la compréhension d’un document La construction d’un document numérique est différente d’un document linéaire classique car, généralement, il comprend des liens hypertextes. On peut définir le document hypertexte comme un système interactif qui permet de construire et de gérer des liens entre des objets repérables dans un ensemble de documents. L’ensemble de ces liens constitue une structure non linéaire permettant une multitude de lectures différentes. Ces liens hypertextes altèrent la compréhension d’un document numérique par rapport à un document texte : « à contenu égal, les documents de types hypertextes, non linéaires, entraînent généralement de néces- plus faibles performances que les documents linéaires, les textes » (André Tricot, 2007, p. 115). Tricot démontre qu’il existe une logique dans l’écriture d’un texte et que cette logique n’est pas forcement retrouvée dans l’hypertexte. Un lecteur de document hypertexte peut passer d’un lien à un autre sans pour autant lire l’ensemble du document. Le lecteur construit lui -même le cheminement de sa lecture et de ce fait il peut omettre certains liens qui pour l’auteur étaient essentiels à la compréhension de son idée. De plus avec les logiciels de traitement de texte, une facilité pour les étudiants repose sur la fonction copier/coller qui permet d’inclure des phrases ou parties de document par de simples clics sans pour autant en comprendre le sens ! 3 types de connaissance sont nécessaires à la recherche d’informations La recherche documentaire ne se limite pas à la compréhension d’un hypertexte ou à une simple requête par l’intermédiaire d’un moteur de recherche. Pour qu’elle soit pertinente, Tricot ajoute que la recherche d’informations nécessite 3 types de connaissances : • des connaissances sur le contenu (rechercher des informations nécessite un minimum de connaissances dans le domaine concerné) ; • des connaissances générales dans le domaine de l’information (évite les recherches tous azimuts et une perte de temps) ; • des connaissances spécifiques quant au mode opératoire propre à chaque document électronique « l’usage des moteurs de recherche et autres outils logiciels requiert une compétence procédurale bien spécifique » (Tricot, 2007, p 133). « Le résultat d’une recherche sur Internet avec un moteur de recherche ne conduit pas forcément aux résultats attendus… » Ravestein J. et Ladage C. (2006, p. 490) renforcent cette idée : « Utiliser Internet de façon plus sûre en obtenant des résultats de qualité implique une connaissance à minima du fonctionnement des outils de recherche et du rôle inévitable qu’ils prennent dans l’organisation et le classement des contenus présents sur Internet.» Le cadre formateur doit s’assurer que les étudiants possèdent les connaissances techniques ou les orienter vers des références bibliographiques si nécessaire. Un moteur de recherche ne conduit pas forcément aux résultats attendus Une recherche sur Internet avec un moteur de recherche ne conduit pas forcément aux résultats attendus. Encore faut-il supposer que, pour cette recherche, l’utilisateur possède des connaissances suffisantes sur la requête afin de cibler les mots clés appropriés. Les résultats d’une étude(4) dirigée par Jean Véronis sur les moteurs de recherche, en février 2006, montrent que la satisfaction des utilisateurs est très médiocre. Le meilleur moteur constaté dans cette recherche est Google, mais la pertinence des réponses de celui-ci a été chiffrée à 2,3 sur une échelle allant de 0 à 5 : 0 pour Comment estimez vous votre niveau pour effectuer des recherches sur Internet: j'ai des difficultés (7,7%) mauvais (1,9%) je suis débutant(e) (13,5%) je maîtrise (38,5%) je me debrouille plutôt bien mais sans plus (38,5%) hors thème ou inutile et 5 correspond de façon parfaite à la réponse. La pertinence est dans ce cas telle qu’elle peut être perçue par un panel d’utilisateurs. Il est à remarquer que plus de 94 % des étudiants interrogés dans le cadre de notre étude menée en 2008 déclarent utiliser Google pour leurs travaux de recherche. On peut facilement en déduire qu’ils s’égarent probablement dans diverses sources d’information, qu’ils visitent une grande quantité de sites et qu’ils récoltent une quantité importante d’informations sans pour autant les transformer en connaissances personnelles. Peut-on pour autant dire, comme le fait J. de Rosnay, que « c’est une illusion de croire qu’en brassant de l’information sur Internet, on acquiert des savoirs » (2005). Dans notre étude, les étudiants interrogés déclarent avoir majoritairement un bon niveau et même pour certains maîtriser l’utilisation d’Internet. Moins de 10 % affirment avoir des difficultés avec l’utilisation d’Internet. Sans formation spécifique à l’usage de cet outil, je pense qu’il n’est pas aisé pour le cadre de santé d’éduquer les étudiants à l’utilisation raisonnée de celui-ci. Quelle pédagogie mettre en place ? Pour susciter chez l’étudiant un questionnement permettant une analyse et une meilleure compréhension du document qu’il utilise, le rôle d’accompagnement du formateur doit se focaliser sur une pédagogie permettant à l’étudiant de construire sa propre représentation du sujet qu’il aborde. d’exploitation par l’étudiant. La solution n’est à notre sens pas d’interdire ce site aux étudiants, mais plutôt d’inciter à utiliser cette encyclopédie en ligne comme base de questionnement. Chevallard insiste sur le fait que « l’existence d’une dialectique vigoureuse (et rigoureuse) entre médias et milieux est une condition cruciale pour qu’un processus d’étude et de recherche ne se réduise pas au recopiage acritique d’éléments de réponses épars dans les institutions de la société ». En conséquence, il met en évidence que l’un des grands problèmes éducatifs de notre temps est « celui de la généralisation de la capacité de l’élève, du professeur, du formateur, du chercheur, etc. à situer sa pensée et son action dans une dialectique des médias et milieux adéquate à l’évaluation de ses assertions et de ses décisions » (Chevallard, 2007). On déduit de cette démarche dialectique qu’il est impératif de confronter diverses ressources disponibles dans la société. Elles peuvent être contradictoires et doivent permettre de parvenir à une synthèse personnelle sur le sujet traité. Yves Chevallard avec la dialectique des médias L’évaluation de cette démarche est basée sur un et des milieux (ou dialectique de la conjecture et jugement logiquement structuré. de la preuve) (Chevallard, 2007) propose de Or, 40,3 % des étudiants interrogés déclarent ne considérer Internet tantôt comme un média, tan« jamais ou occasionnellement » comparer les tôt comme un milieu. Pour Chevallard, le mot réponses obtenues. Ce taux important est certaimédia désigne « tout système de mise en reprénement le point de départ d’une pédagogie qui sentation d’une partie du ne nécessite à priori pas de monde naturel ou social à formation spécifique pour l’adresse d’un certain pule cadre. On peut facileblic » et milieu désigne « On déduit de cette démarche ment demander aux étu« tout système qu’on peut dialectique qu’il est impératif de diants de fournir la liste regarder comme dénudé confronter diverses ressources, des sites utilisés lors d’une d’intention dans la réponrecherche spécifique pour disponible dans la société… » se qu’il peut apporter, de les inciter à avoir plusieurs manière explicite ou implisources de données. En cite, à telle question déterrevanche, un accompagneminée ». Il présente « le milieu comme un fragment s’avère nécessaire pour que le questionnement de nature et par contraste les médias sont ment aboutisse à la construction de sa propre en général mus par l’intention d’informer ». représentation du sujet étudié. Faut-il parler de didactique dans l’apprentissage La structuration d’Internet et plus particulièrede l’utilisation d’Internet pour les recherches ment des moteurs de recherche ne facilite pas la documentaires? tâche du cadre formateur sachant que, lors d’uChevallard(5) définit la didactique comme : « la science des conditions et des contraintes de la ne requête, l’étudiant obtient dans ses premières diffusion sociale des praxéologies (tout ensemréponses des liens vers l’encyclopédie en ligne ble organisé, plus ou moins intégré, de connaisWikipédia, par exemple. Étant donné la présensances, de savoirs et autres savoir-faire) ». ce forte de cette encyclopédie en ligne, il y a certainement lieu de s’interroger sur ses modes La didactique peut se définir à la fois comme science des sujets qui enseignent et qui apprennent et comme science des conditions qui rendent possibles cet enseignement et cet apprentissage. On peut effectivement parler de didactique si l’on considère qu’il faut mettre en place un processus qui permet de ne pas amasser des informations (même pertinentes), mais de construire à partir de ces informations et du questionnement une connaissance qui s’inscrive dans les objectifs pédagogiques. . tions psychiques se développent. L’apprenant construit sa propre représentation et de ce fait acquiert une connaissance bien supérieure à celle qu’il aurait apprise sans construction. L’accompagnement pédagogique des étudiants dans leur travail de recherche documentaire Il est certain qu’avec Internet le formateur n’est pas considéré comme le seul à détenir le savoir, mais il possède un atout de taille, son expérience, pour accompagner l’étudiant à construire des objectifs de recherche et lui permettre de construire son savoir. Avec la facilité d’utilisation d’un moteur de recherche et les multitudes de données offertes, un étudiant peut enrichir le cours à l’aide de requêtes recueillies sur le web. La posture du formateur peut alors être modifiée. Il utilise les données proposées par l’étudiant et les confronte à sa pratique dans le but de vérifier la validité de celles-ci et de provoquer un questionnement individuel. Dans cette situation, formateurs et apprenants améliorent leurs propres savoirs et leur capacité à en construire de nouveaux. L’accompagnement pédagogique des étudiants dans leur travail de recherche documentaire peut se résumer à un nombre de points plus ou moins difficiles à mettre en place dans les IFSI au regard d’un programme chargé où la place n’est pas laissée à cet accompagnement. Pour guider l’étudiant dans le choix des mots clés à utiliser pour sa recherche et l’aider à acquérir des connaissances par construction et à établir ses propres représentations, il est impératif dans la formation IDE de dégager du temps à cet enseignement. L’organisation de groupes d’échanges, formateurs et étudiants, permet une interaction entre l’apprenant et le formateur sur un sujet de recherche afin que l’étudiant construise sa propre représentation du sujet avec la collaboration du formateur. Par l’utilisation du langage, propre à l’être humain, Vygotski, en 1934, développe le concept de zone de développement prochain issu de la pratique. Il précise que « l’élément central pour toute la psychologie de l’apprentissage est la possibilité de s’élever dans la collaboration avec quelqu’un à un niveau intellectuel supérieur, la possibilité de passer, à l’aide de l’imitation, de ce que l’enfant sait faire à ce qu’il ne sait pas faire» (Vygotski, 1997, p 355). La zone de développement prochain est définie comme un espace entre un niveau inférieur où l’on résout les problèmes seul et un niveau supérieur où on les résout avec l’aide d’autres personnes. Elle existe à tous les âges de la vie. Pour Vygotski, si l’apprentissage permet la construction des capacités, alors, par transformation et organisation de la pensée, les fonc- « le formateur n’est pas le seul à détenir le savoir… » Notes: (1) http://www.hon.ch/Global/about_HON_f.html (2) http://www.pewinternet.org/pdfs/ PIP_Searchengine_users.pdf (3) http://www.bmj.com/cgi/content/ short/335/7633/1288 (4) http://sites.univ-provence.fr/veronis/pdf/2006etude-comparative.pdf (5) http://yves.chevallard.free.fr/spip/spip/IMG/pdf/ didactique-per-1.pdf Bibliographie: RAVESTEIN Jean LADAGE Caroline, Lire, Ecrire, Communiquer et Apprendre avec Internet, Marseille, SOLAL, 2006, 572p, ISBN 2-914513-97-6 TRICOT André, Apprentissages et documents numériques, Paris, Belin, 2007, 277p, ISBN 978-2-7011-4409-2 VYGOTSKI L., Pensée et langage, Paris, Editions La Dispute,3ème édition, 1997, 536p, ISBN 2_84303-004-8