Accomoder la modernite - Fastef

Transcription

Accomoder la modernite - Fastef
Accommoder la modernité :
le cas du Sénégal
Jean-Émile Charlier1 & Hamidou Nacuzon Sall2
Accommoder la modernité : le cas du Sénégal .......................................................................... 1
L’espace public envahi par les signes d’affiliation et/ou de pratique religieuse.................... 2
Au Sénégal, l’islam sollicite les sens ................................................................................. 2
L’action des médias............................................................................................................ 3
Comprendre l’évolution en cours ....................................................................................... 5
Le changement de référentiel des années ‘80......................................................................... 7
Le concept de référentiel .................................................................................................... 7
De la modernisation impériale à l’opportunisme anomique (à enrichir) ........................... 8
L’assise du pouvoir .............................................................................................................. 17
Le recyclage de l’autorité des chefferies (à rédiger) ........................................................ 17
La place du religieux dans les référentiels (à rédiger)...................................................... 17
La modernité du nouveau référentiel (à rédiger).............................................................. 19
La transformation des pratiques ........................................................................................... 21
Le rejet progressif du ndigël politique, l’insuccès des marabouts aux élections ............. 21
Le retour et la concurrence des marabouts mondains ...................................................... 29
Les affrontements entre les marabouts et la presse (à rédiger) ........................................ 29
Bibliographie ........................................................................................................................ 30
1
Jean-Émile Charlier, professeur, Département de sciences politiques, sociales et de la communication, Facultés
universitaires catholiques de Mons (FUCaM), Groupe de recherche Sociologie-Action-Sens (GReSAS), +32
(0)65 32 33 93, mailto:[email protected]
2
Hamidou Nacuzon Sall, professeur, Faculté des sciences et technologies de l’éducation et de la formation
(FASTEF), Université Cheikh Anta Diop de Dakar (UCAD), Chaire UNESCO en sciences de l’éducation
(CUSE), +221 33 824 15 64, mailto:nacuzoncad.sn
1
L’espace public envahi par les signes d’affiliation et/ou de pratique religieuse
Au Sénégal, l’islam sollicite les sens
Sans en avoir jamais été totalement exclues, les manifestations et les marques religieuses
tendent à s’imposer avec de moins en moins de retenue dans l’espace public sénégalais.
Depuis les années ’80, les paysages, urbains et ruraux se redessinent autour des mosquées, qui
se construisent partout en grand nombre3 en tentant de se faire une place dans un tissu dense
qui paraît pourtant saturé à l’observateur profane. Pour celles qui n’ont pas les moyens de
rivaliser avec les plus belles aux yeux des passants, il est toujours possible de se différencier à
leurs oreilles. Les muezzin se livrent à une concurrence constante, en mettant au service de
leur art de la récitation psalmodiée les techniques les plus modernes et les plus puissantes
pour indiquer à tous que l’heure de la prière est venue. L’œil et l’oreille sont ainsi exposés à
intervalles réguliers aux sollicitations pressantes de l’islam sans qu’ils puissent en être d’une
quelconque manière préservés. Depuis quelques années, cet appel de l’islam a cessé de ne se
concentrer que sur l’ouïe et la vue, toutes les rues qui entourent le marché Sandaga4 sont
saturées par des effluves du café Touba, relevé au poivre de Sélim ; de plus en plus de
marchands ambulants en proposent dans les lieux de passage, en particulier les sorties
d’écoles, titillant la narine du chaland d’une senteur entêtante associée de près au mouridisme.
Dans ce pays que les statistiques internationales disent pauvre, mais dont les habitants vouent
un culte profane jamais démenti à la beauté, à l’élégance, au raffinement, le rapport à l’islam
est englobant et, à cette fin, il se fait sensuel.
Pour être très perceptibles et structurer le temps et l’espace, ces signes religieux ne sont
pourtant pas les plus spectaculaires ni les plus envahissants. Ainsi, ces dernières années, les
veillées de prières dont les participants entonnent jusqu’à l’aube de vigoureux chants religieux
sont devenues fréquentes, tant dans les villes que dans les campagnes. La rumeur sourde des
chœurs reprenant des Khassida5 d’A Bamba couvre des quartiers entiers, elle déborde des
villages où se font les rassemblements. Cette invasion de l’espace sonore se double bien
souvent d’une occupation concrète de l’espace physique : chaque fois qu’il l’estime utile,
Cheikh Bethio Thioune bloque les quatre voies de circulation de la route qui passe devant sa
demeure, il y fait dresser des chapiteaux, des estrades, des podiums illuminés et sonorisés ;
des milliers, voire des dizaines de milliers de talibés répondent à son appel, on tue des
chameaux, des bœufs, des moutons pour nourrir une foule innombrable qui se presse sur le
bitume. Pendant ces réjouissances, la circulation, se fait plus difficile encore à Dakar, des
embouteillages bloquent des axes majeurs de circulation sans que nul ne songe à faire dégager
la route. Les haut-parleurs inondent le quartier de « thiants » qui ne s’arrêtent qu’au matin.
Ces thiants « sont littéralement des chants de louanges ou actions de grâce à Serigne Touba,
Cheikh Ahmadou Bamba, mais aussi et peut-être surtout, à […] Serigne Saliou Mbacké et à
Cheikh Bethio Thioune lui-même. [Ces soirées de thiants sont régulières à un] tel point que
3
À notre connaissance, aucune donnée globale n’est disponible sur la question. Murat (2002 : 155), évoquant le
contexte très particulier de la Casamance, souligne la multiplication des mosquées en relevant que « certains
choix d’implantation […] peuvent être interprétés comme des provocations ».
4
Un des marchés les plus dynamiques de Dakar, quadrillé par des dizaines de rabatteurs. On y trouvait jadis
beaucoup de boutiques tenues par des Libanais qui s’en sont progressivement fait repousser au profit de
commerçants sénégalais, dont beaucoup affichent leur appartenance au mouridisme.
5
Pluriel de Khassaïd, littéralement poème. Ici, il s’agit de poèmes écrits par Amadou Bamba à la gloire de Dieu.
L’orthographe qasida se rencontre également, en anglais comme en français.
2
les disciples de Cheikh Bethio Thioune se désignent eux-mêmes par le terme de
"Thiantakones" (Havard 2007 :285). Des leaders religieux de moindre importance suivent cet
exemple, s’accaparent l’espace public pour y installer leur chapiteau qui retentit longuement
de chants religieux sans que les voisins n’osent se plaindre ou n’aient la moindre chance
d’être entendus par les forces de l’ordre6. D’autres signes plus discrets de l’affirmation de
l’islam dans l’espace public se multiplient : le nombre des femmes voilées augmente autant
que celui des hommes à la barbe longue, les taxis, les commerces arborent des autocollants à
l’image des leaders religieux, des chapelets, des CD du Coran, les murs se couvrent de
peintures représentant les khalifes présents et passés des principales confréries. Un homme
politique important s’offusque à l’idée que l’on pourrait faire payer l’eau et l’électricité
qu’elles consomment aux mosquées, d’aucuns s’interrogent pour savoir s’il est bien
raisonnable d’imaginer faire payer l’eau aux habitants de Touba. La ville sainte du
mouridisme, devenue deuxième ville du Sénégal par son nombre d’habitants, bénéficiait
jusque là de la gratuité de l’eau.
L’action des médias
Les media (radio, télé et presse écrite) contribuent d’une façon particulièrement significative
au renforcement du sentiment religieux ou, tout au moins à la diffusion d’une culture
associant le religieux à la vie politique du pays. D’une part, chaque manifestation des
confréries ou de personnalités apparentées à la conduite de la religiosité des populations fait
l’objet de reportages circonstanciés, quelle que soit la religion ou l’obédience concernée.
D’autre part, le religieux fait vendre et, pour cette raison, il est mis en avant par les médias :
les magazines aiment à titrer sur les autorités religieuses ou leurs proches, ou encore sur les
rapports entre les confréries et la marche du pays, voire sur les scandales qui peuvent les
secouer7. Pour massives et invasives qu’elles puissent paraître soient, ces expressions ne sont
toutefois que l’écume sous laquelle il s’agit d’identifier la tendance lourde. Celle-ci nous
paraît être la multiplication des stations de radio consacrées aux questions religieuses qui se
sont créées dans les langues nationales et ont aisément trouvé une audience large et fidèle. Il
en résulte que désormais, par la force de la concurrence, toutes les stations en sont venues à
accorder une place plus ou moins importante au religieux, sous la forme d’émissions
multiples sur la foi, le dogme, le droit, l’esprit et la lettre du Coran et sur toutes les questions
que l’individu peut se poser en ces matières. La diversité des pratiques et des interprétations
de l’islam qui cohabitent dans le pays ouvre des chantiers infinis, des hommes sages et
savants formés aux meilleures sources d’Égypte, de Libye, d’Algérie, d’Arabie saoudite, de
Tunisie, du Maroc peuvent expliciter leurs lectures du dogme islamique, avec toutes les
nuances subtiles que permet l’exposé dans la langue maternelle de l’interlocuteur et toute la
force de persuasion que donne l’autorité d’avoir été se former en arabe dans les centres les
plus prestigieux au monde. La culture religieuse est ainsi descendue dans la rue, elle est
donnée à tous ceux qui peuvent écouter la radio, c’est-à-dire globalement à la plus grande
partie de la population adulte, au moins masculine.
6
La question est loin d’être neuve, H. Grandhomme (2008) relève qu’une pétition avait été lancée en 1937 « afin
d’obtenir le droit d’effectuer des chants religieux toute la nuit » (p.217).
7
Parmi bien d’autres exemples, citons les numéros de Réussir « Islam et développement », « Touba ville
émergente. Entre la foi et le business », « Y a-t-il un business tidiane ? », ou encore les numéros de La Sentinelle
dont un est intitulé « Les vérités de Serigne Bara ».
3
Les médias contribuent aussi à façonner et à faire accepter des « ordres du monde » qui ne
paraissent pourtant nullement évidents à première analyse. Il n’est pas question ici de leur en
faire procès. Bourdieu a expliqué, bien mieux que nous ne pourrions le faire, que la violence
symbolique est d’autant plus efficace que ceux qui l’exercent en sont eux-mêmes victimes.
Les journalistes sénégalais sont, comme tous leurs confrères aux quatre coins de la planète
conduits à rendre compte d’événements qui se présentent comme épars et de leur donner du
sens en les reliant arbitrairement8 à d’autres pour les rendre intelligibles. Le matériau de base
sur lequel ils peuvent se fonder reste, là comme ailleurs, le sens commun, c’est-à-dire les
lectures spontanées que l’homme de la rue élabore de ces événements. La responsabilité du
journaliste est de sélectionner, dans le fouillis des lectures que la rue nourrit, celles qui
peuvent aider à prendre du recul, à remettre le fait dans un ensemble significativement plus
ample qui permet de le relativiser et de le mettre en perspective avec des gammes larges
d’événements relativement homologues. L’exercice est toujours périlleux, la rumeur de la rue
peut faire obstacle aux lectures qui la renverraient au caniveau.
Une illustration en est fournie par un incident critique qui s’est produit le 8 août 2008. Cheikh
Béthio Thioune avait prévu de conduire, le 9 août, une procession (le ziarra annuel organisé
en l’honneur de son marabout Serigne Cheikh Saliou Mbacké, décédé le 28 décembre 2007)
jusqu’au centre de Touba, la ville sainte du mouridisme9. Le Khalife général des mourides s’y
est opposé, ce qui a amené Cheikh Béthio à modifier son itinéraire. Cette trame de faits
incontestables a donné lieu à des comptes-rendus journalistiques qui ne sont en apparence
nullement sensationnels, mais qui proposent un exposé des faits dans lequel l’essentiel nous
semble être la hiérarchie des personnes et des fonctions qu’elle présente comme naturelle.
« Joignant [le commissaire de la ville de Touba et le sous-préfet de Ndame] par téléphone,
Serigne Abdou Fatah10 déclare avoir reçu l’ordre de Serigne Bara11 d’interdire à Cheikh
Béthio Thioune d’emprunter la nationale 4, reliant Mbacké à Touba, pour faire son Ziarra et
de s’approcher de a grande mosquée de Touba. Aussitôt informées, les autorités locales ont
saisi le préfet de Mbacké et le gouverneur de Djourbel qui, à leur tour, ont saisi les autorités
de l’État, dont le ministre de l’intérieur et le Premier ministre » (L’Obs, samedi 9 & dimanche
10 août 2008).
« Des détachements de gendarmerie et du Groupe mobile d’intervention (Gmi) étaient
attendus hier dans la capitale du mouridisme. […] La raison : le khalife général des Mourides
a décidé de faire changer l’itinéraire du ziarra annuel qu’organise Béthio Thioune […]
Serigne Abdou Fatah Mbacké […] en a informé, selon la Rfm, le commissaire de police de la
ville de Touba et le sous-préfet de Ndame. Ces derniers […] se sont entendus dire que Serigne
Bara Mbacké a donné mandat à Serigne Abdou Fatah d’interdire à Béthio Thioune
d’emprunter la nationale 4 reliant Mbacké à Touba […]. Les autorités, aussitôt saisies, s’en
sont référées au préfet de Mbacké et au gouverneur de Diourbel qui, à leur tour, en ont
informé les autorités de l’État, dont le ministre de l’intérieur et le Premier ministre. »
(Quotidien, 9 & 10 août 2008).
8
En ceci qu’ils auraient pu être reliés tout aussi logiquement à d’autres que ceux qu’ils ont sélectionnés, et que
cet appariement aurait suggéré d’autres significations.
9
Voir à ce sujet entre autres Guèye 2002.
10
Serigne Abdou Fatah Mbacké est le porte-parole du Khalife général des mourides.
11
Serigne Bara est le khalife général des mourides depuis la mort de Serigne Cheikh Saliou Mbacké, marabout
de Cheikh Béthio Thioune.
4
Ces deux extraits méritent d’être analysés davantage par ce qu’ils tiennent pour acquis pour
tous leurs lecteurs que par ce qu’ils problématisent. Ce qui est tenu pour acquis est que le
khalife général des mourides a l’autorité d’interdire à un citoyen d’organiser une
manifestation publique sur une voie appartenant à l’État et qu’il lui suffit de le faire signifier
par son porte-parole aux fonctionnaires locaux pour que le message parvienne, sous la forme
d’une injonction indiscutable, aux représentants les plus hauts de l’État, le ministre de
l’intérieur et le premier ministre. Le plus surprenant dans ces deux extraits de presse est qu’à
aucun moment, les journalistes ne se sont scandalisés ou au minimum étonnés du procédé : les
articles indiquaient que chaque représentant de l’État était sommé, non de faire rapport à son
supérieur, mais de l’informer d’une décision qui avait été prise en dehors des logiques
administratives ou démocratiques qu’il incarnait mais à laquelle il était attendu qu’il se
soumette sans contestation aucune. Les journalistes de l’Obs et du Quotidien n’ont pas été
plus surpris l’un que l’autre du fait que l’usage de la nationale 4, c’est-à-dire d’une route qui
appartient sans conteste à l’État sénégalais, soit régenté par un citoyen ordinaire, même s’il
est par ailleurs le très respectable khalife général des mourides.
L’analyse du communiqué que les autorités religieuse de Touba ont transmis à la presse
importe moins que celle de l’usage que ses agents en ont fait. L’omnipotence du khalife
général des mourides fait partie des postulats de base indiscutables pour tous les citoyens
sénégalais qui ont choisi de rejoindre sa confrérie. Les journalistes, à la fois parce qu’ils
s’adressent à ce public dont ils savent les convictions et parce qu’ils puisent dans un fonds
qu’ils partagent avec lui de lieux communs jamais confrontés à l’épreuve de l’empirie, ont
malheureusement tendance à reproduire les évidences sur lesquelles s’arriment leurs
convictions inébranlables. Il reste troublant que les journalistes, dont la première
responsabilité est de contrôler les mots qu’ils emploient, aient produit une démonstration aussi
éclatante de leur alignement non critique sur une pensée qui tend pourtant à disqualifier leur
rôle social et à réfuter leur demande d’autonomie, voire de liberté professionnelle.
Comprendre l’évolution en cours
L’affirmation de plus en plus fière de l’islam décrite dans ces lignes n’est ni récente, ni
cantonnée au Sénégal. En 1980, Mamadou Dia constatait déjà que « récemment la sociologie
de par le monde a braqué ses projecteurs sur ce que d’aucuns appellent le réveil islamique »
(Dia, 1980, 131). L’évolution dont il rendait compte n’a fait que s’amplifier avec le temps.
Dans un colloque tenu en 2000, Piga déclarait que « la visibilité de l’islam dans les villes,
grandes et petites, de l’Afrique subsaharienne, en particulier de l’Afrique de l’ouest, est
devenue un fait tangible. L’islam est omniprésent » (Piga, 2003 : 7). Avant cela, Coulon avait
relevé que « du Sénégal à l’Afrique australe, les associations islamiques de toutes sortes se
sont multipliées, de nombreuses écoles musulmanes ont été ouvertes […], les mosquées
marquent de plus en plus l’espace urbain et même rural […], la présence active de
nombreuses ONG islamiques est de plus en plus manifeste » (Coulon 2002 : 20). Le constat
de cette voix particulièrement autorisée en cette matière a été repris depuis par de nombreux
autres analystes et n’est nullement contesté.
Au-delà du constat, la question se pose toutefois d’identifier le processus qui a permis et porté
le changement qui a mis en avant ces signes de religiosité. La réponse la plus spontanée et la
plus évidente s’appuie sur l’échec partiel du transfert de la modernité occidentale qui n’a, de
l’avis unanime des observateurs, pas tenu ses promesses en Afrique subsaharienne. Aux yeux
de ses détracteurs, c’est le « constat d’échec de la civilisation occidentale » (Dia 1980 : 131) ;
elle devait apporter la prospérité matérielle aux pays qui adoptaient ses principes, tel n’a de
toute évidence pas été le cas. Certains de ses aspects ont donc été bien logiquement remis en
5
cause de façon plus ou moins radicale. Mais la contestation, voire même l’évacuation de
certains éléments de cette modernité occidentale n’impliquait pas que le religieux s’y
substitue[lie1]. De multiples scénarios étaient possibles, celui qui s’est effectivement déroulé
n’était pas a priori le plus plausible. Pour tenter de comprendre pourquoi l’accommodement
de la modernité a pris au Sénégal les formes qu’il a adoptées, nous avons mis au point une
méthodologie qui met en perspective trois chronologies dont nous nous sommes efforcés de
trouver les correspondances entre les épisodes essentiels. La première de ces chronologies est
celle, objective, des grands faits qui constituent autant d’étapes de l’histoire officielle du
Sénégal ; le souci de la restituer correctement nous a conduits à nous pencher attentivement
sur les travaux de nos prédécesseurs, mais aussi à partir à la recherche de sources nouvelles,
notamment aux archives nationales du Sénégal. La seconde est davantage interprétative, elle
est dégagée d’une part de la très abondante littérature12 analysant l’histoire politique et sociale
contemporaine du Sénégal et l’évolution de l’islam en Afrique subsaharienne13, d’autre part
des interviews que nous ont accordées les quelques très grands témoins que sont Abdoulaye
Bara Diop, Boubacar Ly, Samir Amin, Khadim Mbacké, Ibrahima Thioub, Mbaye Thiam.
Ces savants éminents ont bien voulu aller au-delà de leurs écrits pour partager avec nous leur
pensée vive et stimulante sur l’évolution actuelle du pays14. La troisième est la chronologie
éminemment subjective que nous ont présentée des citoyens sénégalais ordinaires en nous
livrant leur récit de vie. En les questionnant, nous cherchions à repérer les chaînes de
transmission complexes qui relient des événements très éloignés des individus, comme par
exemple les ajustements structurels, à leurs convictions philosophiques et religieuses. Très
vite, à les écouter, il s’est confirmé que l’affirmation de l’islam au Sénégal n’est pas qu’un
effet de génération : s’il semble indéniable que les jeunes sont aujourd’hui plus pieux que
leurs aînés quand ils avaient le même âgé, il faut aussi admettre que ces aînés sont eux-mêmes
devenus plus pieux et plus enclins à affirmer leurs convictions religieuses dans l’espace public
aujourd’hui que quand ils étaient jeunes. L’histoire de l’économie et des institutions paraît
donc avoir été en retentissement avec les histoires singulières et c’est ce retentissement que
nous tentons de saisir dans ces pages[lie2].
12
Voir les inventaires commentés qu’en livrent M.M. Diop dans sa contribution « Savoirs et sociétés au
Sénégal » et J. Copans dans « Les noms du géer : essai de sociologie de la connaissance du Sénégal par luimême (1950-2001) » (in Diop, 2002).
13
Voir l’inventaire commenté qu’en propose Piga (2003).
14
Si nous sommes conscients de ce que nous leur devons et si nous espérons qu’ils retrouvent dans ces lignes
une part de ce qu’ils nous ont donné, nous n’avons pas voulu intégrer des citations de leurs propos dans ce texte
pour nous appuyer sur leur autorité intellectuelle. Telle n’était pas la règle du jeu, nous les avons écoutés, ils
nous ont fait la confiance d’énoncer des propos bruts, de prendre le risque d’hypothèse hardies qu’il aurait été
inconvenant de rapporter sans nuance.
6
Le changement de référentiel des années ‘80
Il n’est nullement question, dans cette section, d’entreprendre de réécrire une histoire que
d’autres, bien mieux que nous, ne pourrions le faire, ont longuement exposée et interprétée en
la suivant étape par étape. Les travaux de Momar-Coumba Diop et de Mamadou Diouf, en
particulier, sont des références incontestées que nous n’envisageons nullement de mettre en
question. Notre objectif est seulement de prendre appui sur leurs travaux pour tenter de
donner aux événements qu’ils ont relatés le sens qu’une analyse détachée, bénéficiant d’un
confortable recul du temps, peut faire émerger.
Le concept de référentiel
La thèse ici défendue est que les années 1980 ont connu un changement significatif de
référentiel, qui a entraîné des évolutions assez profondes dans la manière considérée comme
légitime de conduire les affaires publiques et d’intervenir sur la scène politique. Par
référentiel15, nous renvoyons, à la suite de Jobert et Muller (1987), à l’idée selon laquelle une
politique publique n’est pas qu’un espace d’affrontement d’acteurs qui cherchent à faire
triompher leurs intérêts, même si cette dimension stratégique n’est jamais absente, mais
qu’elle est aussi et toujours le lieu où une société construit des représentations qui donnent
sens à l’action collective. Toute politique publique inclut une représentation largement
partagée de la nature du problème à traiter (et d’abord du fait qu’il y a un problème), de
l’ampleur de ses conséquences et des solutions envisageables pour le résoudre. Le référentiel
combine donc une dimension cognitive et prescriptive, il cherche à prendre simultanément en
compte la question de la construction intellectuelle et les enjeux de pouvoir (Faure 1995).
Cette dimension du pouvoir était explicitement mise en avant dans les premiers travaux de
Muller qui, en 1985, considérait qu’il existait « une liaison forte et complexe entre la mise en
place d’un nouveau système global de normes et l’émergence de nouveaux rapports de
domination dans la société ». Après avoir été longuement estompée (Chevalier 2008), cette
dimension de pouvoir est aujourd’hui réhabilitée par Muller qui considère que le référentiel
global (cf. ci-dessous) « délimite les valeurs, des normes et des relations causales qui
s’imposent comme un cadre cognitif et normatif pour les acteurs engagés dans la construction
de leurs intérêts » (Muller 2005). Sur ces prémisses, il est possible de définir le référentiel, qui
est « constitué d’un ensemble de prescriptions qui donnent du sens à un programme politique
en définissant des critères de choix et des modes de désignation des objectifs. Il s’agit à la fois
d’un processus cognitif permettant de comprendre le réel en limitant sa complexité et d’un
processus prescriptif permettant d’agir sur le réel » (Muller 2000 : 63).
Ces propositions théoriques ont donné lieu à de nombreux débats qui ont amené à préciser
leur portée et à mettre en évidence la dimension sectorielle des référentiels, qui s’ajustent aux
univers concrets particuliers auxquels ils ont à s’appliquer : le « référentiel global » ne décline
pas de mêmes formes pragmatiques dans tous les secteurs d’activités ou, en d’autres termes,
un « référentiel sectoriel » s’intercale entre la définition générale du bien recherché incluse
dans le référentiel global et les applications concrètes, des « opérateurs de transaction »
définissent le rapport de l’un à l’autre. Dans la majorité des cas, les concepts sur lesquels
repose le référentiel global sont imprécis et d’une grande plasticité, ce qui les aide à s’imposer
15
Voir aussi Enguéléguélé (2003) pour l’application du concept à l’analyse des politiques publiques des pays
d’Afrique subsaharienne.
7
comme des références collectives mais inclut l’exigence d’en préciser le sens quand il est
question de les appliquer sur des terrains.
Chevalier (2008) souligne avec beaucoup de pertinence que les référentiels ont une dimension
identitaire : l’engagement des acteurs dans les processus de concertation met en jeu leur
existence en tant que groupe « sur la base des représentations qu’ils ont d’eux-mêmes et de
leur position sociale » (Surel 2000). Ce qui signifie que la position dans la division
(internationale) du travail d’un groupe est un déterminant majeur du contenu des
représentations qu’il peut élaborer, chaque position ouvrant un imaginaire qui lui est ajusté.
Le référentiel apparaît alors orienté par les « représentations stables que les acteurs ont de leur
position et de leur rôle et dont ils n’ont pas la pleine maîtrise » (Chevalier 2008 : 14), ce qui
rapproche le concept de celui d’idéologie. Le référentiel peut être lu, selon Giraud 2004 dans
une perspective post-marxienne, il désigne alors « une idéologie dominante, imposée dans le
cadre d’une compétition à vocation hégémonique entre groupes sociaux » (Giraud 2004 :
152). C’est dans cette perspective-là que nous utiliserons le concept, en accentuant ses
proximités avec la théorie actionnaliste tourainienne qui insistait sur l’affrontement entre les
groupes sociaux pour la maîtrise des orientations principales de la société16. La préférence est
accordée à cette lecture du référentiel parce qu’elle aide à se détacher des théorisations
mécaniques qui suggèrent que le changement intervient essentiellement parce que le
référentiel précédent a épuisé ses potentialités. Aucun référentiel n’a jamais « objectivement »
épuisé ses potentialités. Dans tous les cas, il faut qu’un discours affirme cet épuisement en
organisant une interprétation des faits pour donner du crédit à la thèse avancée. Ajoutons
qu’aucun référentiel ne fait jamais consensus. Dans la perspective adoptée, le référentiel est
un récit dominant sans cesse menacé. Il tire sa force des justifications qu’il permet au moins
autant que des comportements qu’il inspire.
De la modernisation impériale à l’opportunisme anomique (à enrichir)
Des récits de vie que nous avons récoltés autant que des lectures ou des interviews réalisées, il
apparaît raisonnable de situer le moment de basculement du référentiel vers le milieu des
années 1980, au terme d’un long cheminement qui a vu le pays mettre à l’épreuve tous les
remèdes de la pharmacopée préconisée par la modernité occidentale. La première décennie
qui a suivi les indépendances a conduit l’élite sénégalaise à s’approprier l’État sans le
réformer fondamentalement et surtout à faire l’expérience du désordre, qui a atteint son
paroxysme avec les grèves de 1968 et 1969. La réponse senghorienne à la chienlit, pour
emprunter le terme gaullien de l’époque, a été le renforcement de l’autoritarisme politique et
des actions qui ont abouti à l’effondrement de la gauche communiste et à la domestication des
syndicats, concrétisée par la création, en 1969, de la Confédération nationale des travailleurs
du Sénégal, intégré au système politique. Pour A. Ly, cité par Diop et Diouf (1999 : 140),
s’est mis en place « un système politique nouveau qui n’allait laisser survivre aucune force
politique ou syndicale en dehors de son sillage ». Ce système, décrit par Diop et Diouf, joue
en même temps le jeu de la rationalisation en promouvant une classe dirigeante technocrate, et
le jeu du clientélisme le plus archaïque en instituant des mécanismes de corruption. Les
sécheresses de la fin des années 1960 et du début des années 1970 (1968, 1970, 1972, 1973),
les fluctuations des prix des matières premières sur le marché mondial, les chocs pétroliers ont
rendu impossible le maintien de cette politique. La fin des années 1970 correspond à
16
8
Cf. Touraine 1973.
« l’ébranlement du modèle de promotion sociale basé sur le cursus universitaire, et sur lequel
la classe dirigeante s’est appuyée pour légitimer son accès aux richesses. Ce fait a
accompagné la baolbaolisation de l’économie. » (Diop 2002b : 16). En 1978, Senghor a été
contraint de faire appel au FMI pour refinancer la dette du Sénégal17. Les remèdes qui lui ont
été imposés impliquaient entre autres une réduction drastique du rôle de l’État, dont il avait
fait le principal vecteur du changement économique et la privatisation de larges pans du
secteur public. Pour Diop et Diouf (1999), sa démission lui a évité de devoir prendre des
mesures opposées à la doctrine qu’il avait défendue pendant vingt ans. Avant son départ, il « a
reçu les personnalités politiques, civiles et militaires et rendu des visites d’adieu aux
dignitaires des principales confréries » (Diop, Diouf 1999 : 146). Pour rendre compte de
l’orientation générale des politiques publiques de l’époque, il importe de se souvenir de
diverses mesures adoptées par Senghor à partir de 1970, quand il a été contraint par la
pression de la rue à des ouvertures démocratiques. Il avait entrepris de déconcentrer le
pouvoir exécutif, notamment en restaurant la fonction de premier ministre, poste auquel il a
nommé Abdou Diouf ; il fit libérer de prison des opposants politiques, permit la création de
trois partis politiques : la révision constitutionnelle de 1976 mise en œuvre par les lois 76-01
du 19 mars 1976 et 76-27 du 6 avril 1976 introduit un pluripartisme limité à trois courants de
pensée, à savoir libéral et démocratique, socialiste et démocratique et communiste ou
marxiste-léniniste. De l’avis des commentateurs et des analystes, l’ouverture politique qu’il a
pratiquée n’était toutefois que de façade, elle visait exclusivement à lui permettre de mieux
contrôler la situation et de conforter le monopartisme de fait qu’il était parvenu à instaurer. Le
référentiel restait impérial, même si celui qui l’incarnait était acculé à quelques concessions et
à quelques réformes cosmétiques.
Dès son accession à la présidence, Diouf a tenté de se démarquer de son prédécesseur, il a
« désenghorisé politiquement, intellectuellement et moralement » (Diop 2008 : 56). Pour ce
faire, il a tourné le dos à l’idéologie de la négritude au profit de celle du sursaut national. Il
s’est écarté tout autant des préceptes socialistes senghoriens pour se rallier, volens nolens, à
l’idéologie libérale. Le renouvellement du personnel politique auquel il a procédé, les lois
qu’il a promulguées pour moraliser la vie publique ou pour réprimer les hausses illicites de
loyer ou les opérations usuraires ont marqué l’opinion, les états généraux de l’enseignement
ont ouvert de nouvelles perspectives, rapidement symbolisées par « l’école nouvelle ». « Si
l’assimilation comme projet colonial total avait eu son chantre –Senghor dont la démission
consacrait l’échec de la modernisation impériale– le nouveau projet "technocratique" ne
prétendait s’inscrire que dans une modernité économique. Au discours culturel volontariste
senghorien, il oppose la parole du griot où la propagande politique, l’idéologie populaire et le
discours historique sont inexorablement enchevêtrés » (Diop, Diouf 1999 : 154). L’analyse de
Diop et Diouf est précise, leurs commentaires peuvent être cinglants et cruels. Ainsi, faire de
Senghor le « chantre de l’assimilation comme projet colonial total » est pour le moins rapide
et expéditif. Quand Césaire et Senghor ont lancé la négritude, « il s’agissait alors de refuser
l’assimilation proposée ou imposée par le colonisateur français et d’affirmer l’authenticité
culturelle appartenant en propre aux Noirs » (Fougeyrollas 1967 : 216). Que la négritude, par
sa dimension prioritairement culturelle, ait escamoté quelques enjeux politiques majeurs ne
fait guère de doute, elle mérite toutefois d’être examinée de façon dialectique, dans ses
17
Cf. le Programme de stabilisation (1978-79), suivi du Plan de redressement économique et financier (19801985).
9
doubles dimensions de rejet et d’acceptation active du projet d’assimilation. Diop et Diouf ne
ménagent pas davantage Diouf, bien loin s’en faut. L’opposition qu’ils font entre le « discours
volontariste » et la « parole du griot » est un réquisitoire contre le second, alors que celui-ci
est le cousin de Mansour Bouna Ndiaye, fils du dernier Bourba Djolof, le dernier roi du
Djolof. Dans la société traditionnelle wolof, le griot est situé en bas de l’échelle sociale18. En
aucune manière, il n’a l’initiative, il est entretenu par une famille noble dont il chante les
louanges et conserve la mémoire des exploits. L’opposition entre le volontarisme et la parole
du griot est donc extrême, elle met en scène deux rapports au monde, le premier qui va vers
l’avenir, le façonne à sa volonté, le second qui laisse venir cet avenir et se contente au mieux
de le commenter. La connotation négative du pôle constitué par la parole du griot est alourdie
encore par la description de son contenu, où se mêlent la propagande politique et l’idéologie
populaire. Par les termes qu’ils mobilisent pour décrire ce qu’ils nomment le « grand
retournement », Diop et Diouf s’appuient sur tous les registres d’argumentation pour dire le
mépris que leur inspire la politique qui se met en place après Senghor. C’est l’immensité de la
distance qu’ils mesurent entre les projets de Senghor et de Diouf qui suggère d’analyser le
changement de politique en termes de changement de référentiel.
Le changement ne signifie jamais l’évacuation totale des pratiques anciennes au profit de
pratiques nouvelles. Diop (2002b) brosse un inventaire rapide de ce qui se modifie et de ce
qui se perpétue : Diouf a renoncé à l’obsession de Senghor de régenter toute la vie politique et
sociale, il n’a pas pour autant envisagé d’abandonner la gestion de la Cité. « Désormais, dans
les procédures de contrôle, s’installaient une culture et une technologie plus fines privilégiant
le sous-main, […c’est-à-dire] les procédures de coercition en vue de rendre impossible la
destitution de la classe dirigeante par la voie des urnes » (Diop 2002b : 24). Le système de
domination est donc en mutation, et son évolution est en phase avec celle qui peut être
observée partout dans le monde à la même période. L’autorité n’a plus nulle part les réserves
de légitimité qui l’autoriseraient à écraser les oppositions. Elle doit donc composer avec les
arguments qui lui sont opposés, plutôt que de les disqualifier, il lui faut agir de façon subtile,
dans le respect apparent de règles communément admises. La notion récente de
« gouvernance » (Remy 2006) rend bien compte de cette évolution et suggère l’universalité
du phénomène.
L’arrivée de Diouf à la présidence a aussi décomplexé les responsables politiques
musulmans19. De ce qui nous a été rapporté, Senghor acceptait sans réserve les appartenances
religieuses sociologiques qui enracinaient ses collaborateurs dans leur terroir et leur
garantissaient un électorat fidèle. Il se défiait par contre des hommes que leur foi sincère et
profonde rendait incontrôlables. Pendant la présidence senghorienne, il était de bon ton
d’avoir une attitude détachée par rapport à la religion20 ; la figure du croyant non pratiquant
était la plus valorisée. L’attitude de Diouf a été bien moins rabique. S’il ne se distinguait pas
nécessairement de Senghor sur la discrétion des expressions de ses propres convictions, il
affichait une bien plus grande tolérance que lui sur la forme et les expressions publiques de
18
Pour les sociétés sérères cangin, avoir eu des rapports sexuels avec un griot wolof était « le degré le plus grave
de l’impureté sexuelle » (Dupire 1994 : 56)
19
M. Dia (1980, 11) évoque les « élites africaines qui comptent trop de musulmans "honteux" ».
20
Son itinéraire spirituel peut aider à comprendre son attitude. Racontant sa jeunesse, il a écrit (1993 : 9) « Les
idées, plus encore que le scandale qu’était la vie de la bourgeoisie catholique, m’avaient fait perdre la foi depuis
des années ». Profondément spiritualiste, il s’est ensuite réconcilié avec l’Église, mais ce retour affiché n’a pas
effacé sa méfiance par rapport aux manifestations intempestives ou invasives de religiosité.
10
celles des hommes qui l’entouraient. Sa volonté d’améliorer les relations avec les pays arabes
comme l’appui qu’il a dû obtenir des marabouts pour contrôler les paysanneries l’ont aidé à
aller dans ce sens. Après son arrivée à la présidence, les ministres n’ont plus craint de
s’habiller en boubou, y compris en des circonstances officielles, ou de se rendre à la mosquée
pour la prière. Le changement de référentiel était ainsi amorcé : Senghor avait affirmé la
spécificité de la sénégalité, ses successeurs ont entrepris de donner à la notion un contenu
autre que celui qu’il avait imaginé. Les circonstances ont imposé leur emprise : la décennie
1980 est celle de l’ajustement structurel, qui, grâce à l’habileté des dirigeants, n’a pas
provoqué de manifestations de mécontentement populaire jusqu’en 1988 : « le pluralisme
"traditionaliste" a servi d’alibi au désengagement de l’État » (Diop, Diouf 1999 : 155). Si le
mécontentement populaire a tardé à s’exprimer pendant des années, c’est aussi parce que la
société sénégalaise est parvenue à s’adapter en modifiant ses hiérarchies internes et en
conduisant les familles à revoir leurs priorités et leurs stratégies de reproduction sociale. Diop
2002b (16) évoque la « baolbaolisation » de l’économie, c’est-à-dire son invasion par
l’informel, qui va de pair avec la perte de confiance dans la capacité du titre scolaire officiel à
construire un destin socio-économique honorable à son détenteur. Cette reconstruction
culturelle s’est opérée sur un terrain social ravagé dont les indices sont « l’approfondissement
de la pauvreté, la dégradation des infrastructures sanitaires, la difficulté pour les enfants ayant
l’âge d’aller à l’école de le faire, les arbitrages qui se font à l’intérieur des ménages en
défaveur des dépenses d’éducation et de santé et les logiques de de survie déstabilisatrices
aussi bien pour les communautés que pour les pouvoirs centraux » (Diop 2002b : 16). Chacun
de ces éléments a contribué à faire évoluer le référentiel, d’une part en mettant en évidence
l’échec des politiques inspirées par le référentiel précédent, d’autre part en donnant accès à la
légitimité à des opérateurs, à des modes opératoires et à des dispositifs auxquels elle était
précédemment refusée. C’est très typiquement le cas de l’informel, que le terme qualifie
l’économie ou l’enseignement : de son statut de résidu appelé à s’effacer au fur et à mesure de
la conversion de la société sénégalaise aux préceptes de la modernité occidentale, l’informel
passe à celui d’expression d’une authenticité locale qui fait s’interpénétrer le religieux, le
politique et l’économique, d’une capacité à résoudre tous les problèmes importés dans le pays
par un monde largement hostile. Depuis la fin des années 1970, le Sénégal est habité par ce
processus qui le transforme et lui permet de s’adapter aux contraintes nouvelles qui
s’imposent à lui.
C’est au moment de la préparation et de l’organisation des élections de 1988 que les distances
entre le discours de la classe politique et la réalité sont clairement apparues et sont devenues
insupportables, ce qui a plongé le pays dans une instabilité attisée par les conflits frontaliers
avec la Mauritanie et la Guinée-Bissau et un contentieux politique qui a fait éclater la
Confédération de Sénégambie.
Les effets des programmes d’ajustement structurel ne se sont pas fait sentir aussi rapidement
que ce qui était attendu par les bailleurs de fonds. Un plan d’urgence, le Plan Sakho-Loum a
été lancé, qui a imposé une baisse des salaires nominaux. Ce n’était toutefois toujours pas
suffisant et le Franc CFA a été dévalué en 1994. « À partir de cette date, commence une
séquence marquée par le renforcement de la libéralisation de l’économie nationale » (Diop
2002b : 20). Ses effets négatifs sur le bien-être collectif ont été très sensibles, l’assainissement
des finances publiques et le retour de la croissance n’ont pas permis de mener des politiques
de développement social, ils ont été massivement absorbés par le service de la dette. Cet
affaiblissement du rôle de redistribution de l’État est intervenu au cours d’une période
pendant laquelle les observateurs ont noté « une plus grande résistance aux obligations
codifiées par les systèmes traditionnels de solidarité, un relâchement du maillage des filets
11
sociaux informels qui permettaient d’atténuer les conséquences néfastes des politiques
macroéconomiques » (Diop 2002b : 22).
Ce rapide rappel des faits aide à dégager les traits qui caractérisent le référentiel qui a cours
jusque dans les années 1980. Le référentiel de la « modernisation impériale » pour reprendre
l’expression féroce de Diop et Diouf, repose sur les trois piliers que sont la négritude, la
francophonie et le socialisme africain. La négritude a été le point d’appui de la construction
d’un imaginaire national, relié à l’universel, qui n’accorde qu’une place secondaire à
l’appartenance ethnique des citoyens. Senghor théorise la Nation sénégalaise comme "volonté
de vivre ensemble", par-delà les différences ethniques, religieuses, sociales et régionales, en
s’accordant sur des valeurs universelles – le jom, (sens de l’honneur), le kersa (maîtrise de soi
et pudeur), et le muň (prudence) – destinées à créer la nouvelle éthique sénégalaise, l’identité
collective de l’homo senegalensis » (Tine 2003 :5). Le socialisme de Senghor refuse à la fois
l’athéisme et la lutte des classes, il est mâtiné de références au personnalisme chrétien.
L’adversaire idéologique premier de ce référentiel est le marxisme, qui constitue une
alternative cohérente à la négritude : la différence la plus notable est que celle-ci évacue le
conflit quand le marxisme le place au centre de son système théorique. L’identification des
problèmes et des solutions que suggère ce référentiel postule qu’un État modernisé et fort
peut, sous la houlette d’un chef éclairé, conduire le pays vers le développement. Le terme du
développement est défini de façon ambitieuse et lyrique : en 2000, Dakar sera comme Paris,
l’histoire doit conduire à la construction de l’Eurafrique, etc. Dans la première décennie qui a
suivi l’indépendance, ce référentiel a été en accord avec l’esprit du temps et les circonstances
économiques et politiques. Le régime senghorien s’est alors appuyé sur un exécutif fort, un
parti hégémonique, l’UPS, une centralisation de la décision et le soutien maraboutique. Le
référentiel a ensuite éprouvé ses limites quand le gouvernement a dû demander l’aide du FMI
et donc ouvrir ses comptes à des analystes externes et donner davantage de gages à la
démocratie.
Les témoins de l’époque se rappellent avoir vécu de façon douloureuse et intime
l’effondrement de ce référentiel. Ils se souviennent des années 1980 d’abord comme d’une
période d’appauvrissement intense, pendant laquelle l’avenir a commencé à leur paraître
désespérément bouché. Alors qu’elle structurait les imaginaires des intellectuels, la doctrine
marxiste a été remise en question de façon de plus en plus systématique ; elle avait été une
ressource essentielle pour penser l’indépendance et l’affirmation de l’autonomie des peuples,
il n’était pas évident qu’elle pouvait inspirer des modes efficaces de conduite de la société
indépendante. Ce doute sur les vertus du marxisme n’est pas le fait que de l’Afrique, M.C.
Diop (1992) a montré les mécanismes de diffusion chez les intellectuels africains de la pensée
occidentale, qui, en cette période historique, s’est très largement ralliée aux thèses libérales.
Dans le contexte particulier du Sénégal, cette interrogation sur la pertinence des concepts et
des préceptes marxiste s’est exprimée dans un paysage où les organisations syndicales et
politiques d’inspiration communiste ont été laminées par la répression étatique et les luttes
internes. L’implosion de l’UNAPES (Union Nationale Patriotique des Étudiants Sénégalais)
qui avait suscité les plus grandes espérances grâce au charisme de ses leaders et de la parfaite
adéquation de son discours aux préoccupations de l’heure semble en particulier avoir laissé
les étudiants dans un grand désarroi. À la fin des années 1970, l’UNAPES avait réussi à
fédérer la gauche étudiante comme enseignante autour de son orientation anti-impérialiste
patriotique ; elle développait un discours virulent de dénonciation sur la baisse du niveau de
l’Université, sur son manque chronique de ressources et sur le chômage de ses diplômés. La
période pendant laquelle l’UNAPES parvint à organiser le mouvement étudiant fut toutefois
très courte, dès sa création, son fonctionnement fut particulièrement agité et perturbé. À partir
12
de son premier congrès en mars 1980, des clivages se sont manifestés, des scissions sont
intervenues. En 1982-83, l’UNAPES n’est plus parvenu à surmonter la crise occasionnée par
les luttes de tendances au sein de sa direction. Cette crise a été vécue par ceux qui en ont été
les témoins comme la mort d’une instance idéologique structurante dont les étudiants avaient
cruellement besoin. Dans les mémoires, la période historique qui a vu l’effondrement de
l’UNAPES est aussi celle de l’apparition de la drogue sur le campus de Dakar, de la
paupérisation massive des étudiants, de la multiplication des problèmes sociaux. Tous les
souvenirs associés à l’effacement de l’UNAPES sont sombres, des jeunes rompus à d’infinis
débats philosophico-politiques qui prenaient sens parce qu’ils avaient quelque chose à voir
avec le pilotage d’une puissante association étudiante se sont retrouvés sans raison de débattre
et ont été projetés, bien malgré eux, dans un univers où les luttes d’idées avaient moins
d’urgence que la résolution des problèmes matériels immédiats. Sous l’influence pressante
des circonstances, les enjeux se sont modifiés, il n’était plus question d’ergoter sur les mérites
comparés de courants voisins de pensées de gauche, il devenait impératif de trouver des
moyens de survivre et de remettre du sens dans l’expérience étudiante, l’économique et
l’éthique prenaient une position surplombante dont il n’a plus été possible de les déloger
depuis lors. C’est dans ce contexte qu’ont eu lieu les batailles, dans tous les sens du terme,
autour de la construction de la mosquée du campus de Dakar en 1986. Elles ont vu
l’affrontement des marxistes, radicalement opposés à la construction d’un lieu de culte sur le
territoire de l’université d’un État laïc, et un groupe d’étudiants musulmans qui défendaient et
ont fait matériellement triompher la thèse inverse21. Parmi les aiguillons de ce mouvement, se
trouve l’Association des Étudiants Musulmans de l’Université de Dakar, indépendant des
confréries et partisan d’un islam rigoureux. La mosquée a été construite grâce à un
financement koweitien et avec l’autorisation d’Iba Der Thiam, Ministre de l’Éducation
nationale.
Sans qu’un lien mécanique de cause à effet puisse être affirmé, même si le rapprochement des
phénomènes est tentant à opérer, l’affirmation du religieux à l’Université de Dakar est
concomitante de l’effondrement du marxisme22. Les raisons qui ont conduit les intellectuels
sénégalais à douter du marxisme ont été évoquées ci-dessus. Celles qui ont favorisé et soutenu
la montée d’intérêt pour l’islam sont d’un autre ordre, très largement disjoint. La crise du
pétrole de 1973-4 a montré la puissance des pays arabes musulmans, capables de tenir tête au
reste du monde et de lui dicter ses lois. La révolution iranienne de 1979 a amené « une prise
de conscience du potentiel révolutionnaire de l’islam comme système politique et
idéologique » (Tamba 2005 :2). Selon A.I. Ndiaye, après une longue période d’indifférence
voire d’hostilité au religieux, associée à un positionnement politique très à gauche, le monde
étudiant a été traversé par le « mouvement de mobilisation religieuse qui s’est emparé de la
société à la fin des années 1970 » (Ndiaye 2007 : 127). Cette mobilisation s’est exprimée par
la création de multiples associations religieuses dans tous les secteurs de la société et par un
activisme islamiste dans le domaine culturel. Le monde étudiant n’y a pas mieux résisté que
les autres segments de la société sénégalaise, pourquoi du reste l’aurait-il fait ? La première
association d’étudiants mourides a été créée en 1975-76 (Diop 1992, Tamba 2005, Ndiaye
21
Les affrontements étaient vigoureux, les étudiants musulmans étaient entraînés aux arts martiaux pour être
capables de repousser les assauts des marxistes.
22
Dès 1997, Antoine Tine en faisait le constat quand il écrivait « l'Islam est en train de lui voler la vedette dans
les campus universitaires, connus jadis pour être des terreaux fertiles du marxisme ». La tendance n’a fait que se
confirmer depuis cette date.
13
2007). Il est vraisemblable qu’elle était alors discrète, les anciens ont gardé le souvenir de
l’action des étudiants qu’ils apparentent globalement au Jamatou Ibadou Rahmane. Ce qui
signifie concrètement que les premières manifestations religieuses ostentatoires dans l’espace
de l’université ont vraisemblablement été le fait d’"Ibadous", même si des groupes religieux
étaient par ailleurs implantés de longue date sur le campus. Il en est de même des dahiras :
selon les témoignages récoltés, les premières associations actives ont été créées par les
Ibadous, alors que toutes les sources scientifiques attestent le contraire. En cette matière, peu
importe la vérité objective des faits, ce n’est pas elle, mais la représentation que s’en sont
construites les acteurs qui les fait agir. Pour nous, c’est l’objectivité de cette représentation
subjective qui constitue le matériau à interpréter. La mémoire collective assimile le début du
prosélytisme religieux sur le campus au retour de vagues d’"arabisants"23. Sous Senghor, des
étudiants avaient souhaité poursuivre leurs études, essentiellement voire exclusivement en
sciences islamiques, dans des pays de langue arabe. Des autorisations leur avaient été
accordées avec beaucoup de réticence, chacun de ceux qui partaient devait signer un
document par lequel il s’engageait à ne jamais revendiquer un accès à la fonction publique
sénégalaise au départ de la formation qu’il aurait obtenue24. Formés pendant de longues
années à un islam non confrérique, capables de lire et de commenter le Coran dans le texte et
souvent convaincus de l’aspect hérétique de la religion musulmane telle que pratiquée au
Sénégal, ces hommes ont entrepris un travail de conversion dans tous les milieux. Leur
intention missionnaire a rejoint leurs préoccupations les plus pragmatiques : spécialisés en
religion, ils ne pouvaient espérer d’avenir professionnel que dans des fonctions de guides
spirituels. Il leur fallait donc recruter des disciples, une concurrence objective les a alors
opposés aux marabouts des confréries sénégalaises traditionnelles.
Le nouveau référentiel qui s’établit progressivement dans les marges du projet senghorien de
modernisation impériale est donc soutenu par deux acteurs puissants dont les prescriptions se
rejoignent partiellement au-delà les apparences.
D’un côté, le projet libéral est porté par une intelligentsia sénégalaise qui participe de façon
active aux mouvements internationaux d’idées et qui ne parvient plus à croire aux promesses
du marxisme. Elle ne peut dès lors plus miser que sur la libération la plus complète possible
de l’initiative privée. Le projet libéral est par ailleurs puissamment soutenu dans la pratique
par les bailleurs de fonds qui vont exiger un allègement significatif de l’État et la
responsabilisation des communautés locales et des individus. Dans ce contexte non
négociable, les autorités politiques du Sénégal ont été contraintes de produire des discours
doctrinaux en accord avec ce report des responsabilités et des capacités d’initiatives vers le
local. Qu’elles aient ou non souhaité cet alignement sur le dogme libéral, elles n’ont pu faire
autrement que de se l’approprier et de laisser penser qu’elles l’avaient voulu et en étaient les
artisans conscients et critiques. La classe intellectuelle comportait suffisamment de
représentants en mesure de produire des rhétoriques d’autant plus convaincantes qu’ils avaient
fini par se convaincre eux-mêmes de leur justesse et de leur pertinence.
23
Le terme est d’une construction assez surprenante et, dans le parler sénégalais, a des connotations assez
négatives. Ceux qu’il désigne revendiquent, à juste titre, le qualificatif d’arabophone, parfaitement symétrique à
celui de francophone.
24
Les situations ont évidemment évolué, des facilités significatives sont désormais accordées à ceux qui veulent
suivre des études dans ces pays.
14
De l’autre côté, la volonté d’affirmer l’identité religieuse du pays est soutenue par des
partenaires musulmans multiples et concurrents. Ce qui a pour conséquence qu’aucun d’entre
eux ne peut souhaiter un contrôle étatique de la religion : chacun souhaite que le champ
concurrentiel reste ouvert afin d’avoir des chances d’y faire prévaloir ses conceptions
doctrinales. Le point sur lequel les prescripteurs et bailleurs externes s’accordent est donc
bien celui du nécessaire affaiblissement de l’État avec, pour corollaire, la responsabilisation
de l’individu à qui des choix sont désormais proposés et qui aura à répondre de ses
préférences. Cette survalorisation de l’individu constitue le point de rupture le plus net avec le
référentiel senghorien. Auparavant, l’individu devait obéir et se laisser guider par des grands
ensembles (partis, syndicats, confréries) qui connaissaient mieux que lui ce qui lui serait utile,
qui maîtrisaient les raisons du système et dont la bienveillance supposée rendait les avis
précieux. Désormais, chacun devra assurer ses préférences et opérer ses choix. Le triangle
idéologique de Senghor demeure, mais un autre terme se substitue à ceux qu’il avait mis en
place. La négritude devient l’africanité, la francophonie est évacuée au profit d’un
universalisme opportuniste, le socialisme africain est évacué au profit d’un libéralisme
international. L’adversaire est l’islamisme radical ; il fait intimement partie du système
idéologique qu’il influence de l’intérieur et de l’extérieur, de la même façon que le marxisme
était associé de manière dialectique au projet impérial senghorien du référentiel précédent.
Les mouvements radicaux « contestent l’œuvre et l’ingérence incessante dans les affaires
politiques et internes sénégalaises de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international
[…] ils sollicitent et sensibilisent une opinion publique déjà largement réceptive à l’impératif
de réislamisation de la société et se déchaînent contre une modernité de style occidental […]
conduisent une œuvre radicale de déstabilisation des modèles véhiculés par l’État mais aussi
par les ordres mystiques dépositaires par excellence d’un capital légitime symbolique » (Piga
2003 : 317).
La dimension première de ce référentiel est sans doute l’opportunisme qui le caractérise.
Ayant perdu foi dans l’État, dans la francophonie et dans le socialisme, le pays va multiplier
les alliances. S’il est hors de question de renoncer aux relations privilégiées avec la France[lie3]
et l’Europe, il est essentiel aussi d’établir des coopérations avec les pays arabes, l’ExtrêmeOrient, tous les régimes qui peuvent d’une manière ou d’une autre apporter une aide au
Sénégal. L’illustration la plus flagrante en est donnée avec les langues : le projet impérial
senghorien ne donnait une place qu’au français, le nouveau référentiel s’ouvre à toutes les
langues, ce qui a pour conséquence que l’école du début du troisième millénaire doit
commencer en langue locale, parce que c’est plus efficace et plus respectueux des enfants,
enseigner l’arabe, parce que c’est la langue de la religion, celle dans laquelle chacun sera
questionné quand il passera dans l’au-delà, cultiver le français, la langue de l’administration,
initier à l’anglais, parce que c’est un vecteur international dont la maîtrise est indispensable.
Toutes les options sont désormais ouvertes, il s’agit de ne fâcher personne, les individus se
détermineront eux-mêmes, ils n’auront qu’à s’en prendre à eux-mêmes s’ils font un mauvais
choix.
Ce référentiel a de profondes résonances dans les choix des citoyens, et plus particulièrement
« chez les jeunes pour qui le credo est la débrouille, c’est-à-dire tenter de trouver une place
dans le secteur informel […] accepter, dans certains cas, les dures lois de l’apprentissage,
mais aussi ‘partir’ à tout prix, en d’autres termes faire l’option de la migration internationale.
Pour la plupart des jeunes, la ‘débrouille’ c’est aussi la prise de conscience traumatisante de
l’échec des ambitions de l’État postcolonial. » (Diop 2002b : 19). Mutatis mutandis, le
comportement de ces jeunes n’est pas très différent de celui de l’État : il s’agit de trouver un
moyen de s’en sortir la tête haute, en privilégiant résolument l’évaluation de la quantité de
15
résultats sur celle de la qualité des moyens qui ont été déployés pour les atteindre. Cette
éthique collective est en pleine cohérence avec le retrait de l’État de nombreuses sphères où il
intervenait : la débrouille substitue l’apologie de la réussite personnelle aux contraintes liées à
la mise en place de logiques de solidarité.
16
L’assise du pouvoir
Le recyclage de l’autorité des chefferies (à rédiger)
Montrer bagarre entre chefs religieux, coloniaux et coutumiers, et les alliances
qu’ils ont pu construire. Thèse de troisième cycle de Mbaye Thiam
La place du religieux dans les référentiels (à rédiger)
Ce nouveau référentiel ouvre indubitablement une place à la religion.
(à rédiger). Les pistes : Recours au religieux, religieux qui est aussi une façon de
choisir ses amis (Gauchet). Pas coupure avec occident, mais appartenance
revendiquée à un deuxième monde. Dans ce religieux, l’importance du choisi.
L’islam sénégalais est un islam multiple, donc individualiste On reste résolument
moderne dans sa façon d’appréhender le rapport au monde. Mais modernité cesse
d’être inscrite dans les logiques d’imitation
La laïcité, pour nous, n'est ni l'athéisme ni la propagande anti-religieuse. Je n'en
veux pour preuve que les articles de la constitution qui assurent l'autonomie des
communautés religieuses. Notre Loi fondamentale va plus loin, qui fait, de ces
communautés, des auxiliaires de l'Etat dans son œuvre d'éducation: de culture.
Car
la
religion
est
un
aspect
essentiel
de
la
Culture.
Elle représente l'effort le plus noble pour lier l'homme à l'univers dans un double
effort de socialisation et de totalisation. Un effort pour comprendre, à la fois,
l'Homme et l'Univers dans une vision en profondeur. Pour les organiser
harmonieusement, en intégrant l'Homme dans l'Univers.
La religion, comme l'art, est le propre de l'homme. Cette entreprise démiurgique
de socialisation, de totalisation, c'est celle-là même que tentent, en ce Grand
Siècle, les élites du monde nouveau: de la Civilisation de l'Universel. Mais, la
seule raison discursive ne peut en assurer le succès. Il faut, à l'entreprise, le
concours de la raison intuitive, qui est l'esprit de la Religion.
Je le sais bien - et je ne serai pas le dernier à le déplorer - au cours de leur longue
histoire, les religions révélées - Islam et Christianisme - ont subi des déviations,
qui ont provoqué, en elles, des scléroses. Trop souvent, elles se sont compromises
avec le Pouvoir établi. La laïcité a, précisément, pour objet de les libérer de la
tutelle du Pouvoir, en les rendant à leur vocation, en même temps, d'intériorisation
et de compréhension de l'Univers. C'est dire qu'elles doivent retourner à leurs
sources - aux livres sacrés - et, pour cela, assimiler les découvertes scientifiques
autant que les réalités sociales. Je veux dire, ici, ‘‘se faire nègres avec les Nègres''
.Tiré du discours de Senghor lors de l’inauguration de la mosquée de Touba le 7
juin 1963 http://www.wootico.com/inauguration-de-la-mosquee-de-touba-en1963-allocution-du-president-de-la-repub.html
http://www.wootico.com/inauguration-de-la-mosquee-de-touba-en-1963allocution-du-president-de-la-repub.html
« Ramenant assez souvent son africanité à l’islamité, le salarié musulman du
Sénégal redoute, en adoptant des mœurs issues d’Occident, de se perdre comme
musulman et comme Africain. » (Fougeyrollas 1967 : 120)
17
Se souvenir que Dia, lors de son procès en 1962, fut défendu par un jeune avocat
du nom d’A. Wade.
« La pensée musulmane est le type même de la pensée scientifique : infrarationnelle, tournée vers le dedans, mettant en œuvre l’imagination par des
archétypes permanents. » (Dia 1980, 17).
« Ce qu’il y a de nouveau, c’est qu’à l’évolutionnisme des utopies hébraïques, à la
stabilisation des utopies chrétiennes, l’Islam oppose la foi, le témoignage,
revendiquant l’avènement d’un jour de Justice pour tous les opprimés, tous les
déshérités, surclassant le marxisme par sa transcendance et par son humanisme »
(Dia 1980, 19).
« A des religions familiales, claniques et tribales, fondées sur des liens du sang, il
substitue une religion universelle, qui étend la fraternité à tous les fidèles. […]
Dans un univers où règne une peur morbide, il introduit plus de rationalité dans les
croyances ; il restitue à l’homme sa dignité en l’arrachant à l’humiliation des
tyrannies locales » (Dia 1980, 34).
« le laïcisme militant qui est à la base de la formation des générations d’élites de
l’époqe coloniale » (Dia 1980, 36)
« si le mouridisme n’a pas la vigueur de la théologie omarienne, s’il a privilégié,
par la force des choses, le pôle du travail sur le pôle de la méditation et de
l’approfondissement intérieur, il n’en est pas moins pourvu d’une pensée
doctrinale » (Dia 1980, 43)
« Les excentricités des Baye Fall sont peu de choses en face des résultats positifs
de l’influence morale et spirituelle du grand cheikh sur le niveau moral et spirituel
du milieu de prédication » (Dia 1980, 43)
« La colonisation européenne n’a certes pas éliminé l’Islam en Afrique noire, elle
en a même encouragé la diffusion pour les besoins de sa propre cause » (Dia 1980,
91)
Dia, 1980, p.107, plaide pour la création d’un « Institut africain de théologie
musulmane ».
« Négliger l’éducation spirituelle pour ne se consacrer qu’’à l’éducation profane,
c’est continuer de mentir à l’Afrique dont on exalte volontiers la spiritualité en lui
refusant les moyens de la préserver, de la développer, de l’enrichir » (Dia 1980,
108)
« La laïcité a mûri dans la conscience sénégalaise et on peut la considérer
désormais comme une acquisition définitivement intégrée dans son héritage
politico-culturel. À la vérité, cette ouverture laïque n’est pas le privilège de l’Islam
sénégalais, c’est un trait pertinent de l’Islam noir tout entier qui, sur ce plan est en
avance, à la fois, sur l’Islam oriental et sur l’Islam maghrébin» (Dia 1980, 118).
Sur l’arabe : « langue de civilisation et de culture : analytique, scientifique,
détribalisante, langue de témoignage universel » (Dia 1980, 24).
« Les dara doivent s’humaniser, devenir autre chose que des cellules de
production qui, même mécanisées, ont encore tout de ces entreprises d’exploitation
de l’homme qui échappent, à la fois, aux obligations contractuelles de la sharia et
18
aux contraintes de la législation moderne du travail. […] il faut refuser à
l’esclavage chassé des institutions et structures publiques tout refuge dans les
institutions et structures privées, même quand il emprunte l’habit du volontariat
qui, très souvent, n’est que l’expression superficielle de contraintes matérielles »
(Dia 1980, 138)
La proportion de chrétiens parmi les députés n’a pas cessé de baisser depuis 1960.
Elle était de 20% (16 sur 80) en 1960-63, elle est de 3,5% (4 sur 120) en 20012006 (Tamba 2006 : 92).
La modernité du nouveau référentiel (à rédiger)
« La modernisation serait non pas le simple passage d’un état social non moderne
à un état moderne, mais plutôt une révolution technique, économique, sociale et
intellectuelle permanente, un processus, sans fin, de génération du nouveau dans
les rapports de l’homme à la nature et dans les rapports des hommes entre eux »
(Fougeyrollas 1967 : 8). « La modernisation ne peut plus être considérée comme
un processus linéaire unique dont les étapes successives devraient être
immanquablement franchies, à tour de rôle, par tous les pays » (Fougeyrollas
1967 : 9).
« Il y a une extraordinaire résurgence de l’instinctuel, de l’affectif, de
l’émotionnel, de l’imaginaire dans la société ultra-moderne » (Fougeyrollas 1967 :
19)
« C’est parce que l’Européen a projeté de dominer la nature et de l’exploiter
utilitairement qu’il a abouti à la création de la civilisation industrielle, aujourd’hui
en voie d’extension planétaire. C’est parce que l’Africain a projeté de participer à
la nature et de s’allier à ses forces secrètes qu’il a abouti à la création d’une
civilisation des initiations » (Fougeyrollas 1967 : 221)
Intégrer les travaux du subalternisme.
« reconnaître que le fait que l’Europe se soit arrogé le qualificatif de moderne
constitue une dimension de l’histoire mondiale dont l’impérialisme européen est
une composante fondamentale […] Il s’agit d’adjoindre à l’histoire de la modernité
son cortège d’ambivalences, de contradictions, de recours à la coercition, de
tragédies et d’ironies […] Ce qui, en revanche est effectivement minimisé dans les
histoires qui, de manière implicite ou explicite, célèbre l’avènement de l’État
moderne et de l’idée de citoyenneté, ce sont la répression et la violence auxquelles
l’on a recours aussi bien pour assurer la victoire du moderne que pour conférer un
pouvoir persuasif à ses stratégies discursives » (Chakrabarty 1999, 104)
Pouchepadass 2004 prend un peu ses distances par rapport aux Subaltern Studies.
Montre que ce n’est qu’une déclinaison d’un classique et que cela risque fort le
dérapage dogmatique.
Pouchepadass 2000 : « il faut, écrit Chakrabarty, ‘aller vers le subalterne’, ‘le
laisser mettre en question nos conceptions de l’universel’, faire place à l’affectif,
au religieux, à ‘ce que nous avons fini, en devenan modernes, par voir comme
irrationnel’. Le qualificatif de subalterne, dans cette perspective, n’est plus qu’un
intitulé fédérateur symbolisant toutes les formes de différence culturelle qui
survivent dans la situation coloniale, tous les domaines de la pensée et de
l’expérience de la société dominée qui restent inaccessibles ou réfractaires à
19
l’emprise autoritaire du rationalisme des Lumières, de la modernité occidentale, de
l’État-nation […] »pp.176-177.
20
La transformation des pratiques
Le rejet progressif du ndigël politique, l’insuccès des marabouts aux élections
Depuis l’avènement du Président Wade en 2000, les relations entre le pouvoir politique et le
pouvoir religieux s’affichent sans complexe, se fondant manifestement sur un populisme
d’état, l’opportunisme de chefs religieux de nouvelle génération qui prennent conscience du
parti à tirer de la situation sociale caractérisée par une crise économique profonde et durable,
en même temps qu’une répartition trop inégale de la richesse, l’ambition de réussir vite sa vie
et de sauver les siens avec soi, d’où l’immigration forcenée actuelle soutenue par la demande
de main-d’œuvre au Nord. Les relations entre les différents niveaux et instance du politique et
du religieux existaient précédemment sur un mode qui préservait sobrement la dignité de la
République : il était admis que les leaders religieux indiquent à leurs talibés pour qui ils
devaient voter, il n’était pas imaginable pour autant que le Président de la République leur
exprime publiquement sa reconnaissance. Ce qui n’excluait pas des gestes concrets : une
« clause d’attribution », signée par le gouvernement sénégalais le premier avril 1991 a fait de
Serigne Saliou Mbacké, khalife général des mourides, le seul propriétaire de 45.000 hectares
qui ont été répartis entre 15 daaras de Khelkom ayant pour objectifs l’éducation,
l’enseignement et le travail selon les préceptes de l’islam. Ce qui signifie concrètement que
ces 45.000 hectares sont travaillés par les talibés des daaras, qui offrent leur main-d’œuvre
pour mettre cette terre en valeur en échange de l’enseignement religieux qui leur est
prodigué25. Le transfert de propriété s’est fait dans la plus grande discrétion et sans
contrepartie explicite, jamais Serigne Saliou n’a donné la moindre consigne de vote pour le
Président socialiste de l’époque, A. Diouf. L’événement est longtemps resté connu des seuls
spécialistes, c’est le Walfadjiri du 5 mai 2008 qui a révélé l’histoire des territoires cédés à
Serigne Saliou : les 73.000 hectares de la forêt de Mbégué avaient été classés par le décret
3551 du 7 juin 1952 du Haut Commissaire de la République française, ils ont ensuite été
déclassés en « forêt sylvo-pastorale » par le décret 77.1113 du 9 décembre 1977. Et c’est bien
plus tard encore, en 1991, que 45.000 hectares en ont été cédés au khalife général des
mourides.
Cette cession, pour massive qu’elle puisse apparaître, n’est qu’une expression parmi bien
d’autres26 de l’alliance qui s’est établie entre les autorités politiques et confrériques depuis la
colonisation. Le « contrat social sénégalais », pour reprendre l’heureuse expression de Cruise
O’Brien (1992), adosse les institutions modernes à l’islam confrérique et aux impératifs
moraux auxquels il se confond, la loyauté indéfectible et la solidarité, qui reposent l’une
25
Il n’est pas question pour autant de faire la dénonciation d’une quelconque exploitation. Les travaux de
Copans (1980) et de Coulon (1981) ont bien mis en évidence que les travaux des talibés restaient mesurés. Cela
étant, leurs apports cumulés produisent de toute évidence une richesse qui gonfle, sans doute modestement, le
flux de celles qui convergent vers Touba. Il serait par ailleurs utile de faire une nouvelle observation des
conditions de travail des talibés dans les daaras de Khelkom, rien n’indique en effet que les pratiques ne se sont
pas modifiées depuis quelques décennies
26
Elle n’est même pas unique, en avril 2007, les forêts classées de Pout et de Thiès ont subi un même
déclassement qui visait à en attribuer 9.000 hectares au Khalife des mourides, 1.000 à celui des tidianes. Avant
cela, en 2003, le Président Wade avait annoncé sur les ondes de Sud FM son intention de céder 51.000 des
87.000 hectares du ranch de Dolly à son marabout, Serigne Saliou. Les réactions de colère qui ont suivi cette
annonce l’en ont dissuadé.
21
comme l’autre sur une allégeance librement consentie et choisie27. Concrètement, les
marabouts font bénéficier le gouvernement de la loyauté de leurs talibés, en échange de quoi
ils reçoivent de multiples avantages symboliques et matériels. Pour Cruise O’Brien, les
conditions de ce contrat social ont été mises en place au moment de la conquête coloniale qui
a conforté la puissance des marabouts quand « l’islam a fourni un moyen efficace de défense
culturelle à l’époque où la culture traditionnelle wolof et les croyances "païennes" ne le
pouvaient plus » (O’Brien 2002a :24). Militairement vaincus par les Français, les Sénégalais
ont préservé leur indépendance spirituelle[lie4] –voire, d’une certaine manière politique– en
faisant massivement allégeance aux marabouts et en leur vouant une obéissance totale. C’est
de l’entrelacement des autorités de l’État et des marabouts qu’est né le contrat social
sénégalais : l’administration coloniale française s’est appuyée sur les confréries soufies pour
assurer des tâches aussi essentielles que la collecte de l’impôt ou l’engagement des Sénégalais
dans l’entreprise économique coloniale. La paix a ainsi été longuement garantie par des
marabouts associés de façon subordonnée à la gouvernance coloniale qui ont « offert un lien
efficace entre l’État et la société » (O’Brien 2002b : 83).
Les relations entre les trois pôles que sont les confréries, l’État et la société ne sont toutefois
pas immuables et sont tout au contraire en évolution constante. L’illustration la plus évidente,
et qui a sans doute fait l’objet du plus grand nombre de commentaires concerne l’attitude des
marabouts par rapport aux élections. Dès avant l’indépendance et jusqu’il y a quelques
années, les leaders religieux s’impliquaient de la manière la plus explicite dans le processus
électoral : ils édictaient un ndigël imposant à leurs talibés de voter pour le candidat de leur
choix. Leurs propos étaient relayés par tous les moyens de diffusion, radios, télévision afin
que nul ne les ignore. Il ne s’agissait donc nullement d’arrangements cachés ou honteux, les
soutiens des autorités religieuses étaient portés à la connaissance de tous et bénéficiaient de la
plus grande publicité. Les présidents socialistes Senghor puis Diouf en ont très clairement
bénéficié. À la fin des années ’80, le soutien systématique des autorités religieuses au parti au
pouvoir dans un contexte où le gouvernement ne parvenait pas à conduire des politiques
ouvrant l’espoir réaliste d’un avenir meilleur à ses populations a toutefois entraîné une
contestation forte de la légitimité des ndigël dans les matières autres que religieuses. Le
khalife général des mourides, Abdou Lahat, fut explicitement contesté pour avoir donné un
ndigël électoral en 1988. Son engagement aux côtés de Diouf avait été aussi affirmé qu’il était
possible de l’être : « Celui qui ne votera pas pour Abdou Diouf pendant ces échéances
électorales aura trahi Shaikh Ahmadou Bamba, le fondateur de la tariqa »28. Cette prise de
position partisane est intervenue à un très mauvais moment, où le sentiment de frustration des
Sénégalais avait atteint un paroxysme, nous l’avons déjà évoqué dans ces pages. Elle a
déclenché une cacophonie indescriptible, d’autres leaders mourides ont pris le contrepied du
Khalife général. M.C. Diop, M. Diouf et A. Diaw (2000) relèvent qu’il était devenu alors
évident pour les fidèles que de telles consignes de vote résultaient d’un marchandage dont ils
ne voyaient aucun effet positif dans leur vie quotidienne. Ils ajoutent, et la chose est loin
d’être anodine : « de surcroît, les marabouts ne pouvaient pas contrôler leur effectivité au sein
27
Si tout Sénégalais semble aujourd’hui doté d’un guide spirituel (voir entre autres les déclarations des vedettes
du sport ou de la musique), il reste totalement libre d’en changer sans devoir s’en justifier. La quête de la
connaissance suppose même qu’il y ait changement. Si l’allégeance paraît totale, elle a pour complément la
liberté, pour le talibé, de s’en dégager à tout moment s’il n’en reçoit pas la contrepartie qu’il en attend.
28
Cité par Mbacké, 1995, p.118.
22
des bureaux de vote désormais munis d’isoloirs »29 (Diop, Diouf, Diaw 2000 : 168). La
victoire du parti socialiste en 1988 a été étriquée, ce qui suggère que le ndigël n’a pas été
respecté et que les populations ont répugné à soutenir la politique de Diouf, qui apparaît à
partir du milieu des années ’80, comme l’homme de la paupérisation. Aux élections de 1993,
le nouveau khalife général des mourides, Serigne Saliou, refusa de donner une orientation de
vote à ses talibés. Depuis cette date, plus aucune consigne de vote n’a été donnée par les plus
hautes autorités mourides et, a fortiori tidianes[lie5].
Le refus des autorités religieuses de donner des consignes de vote a été parfaitement approprié
par une partie au moins de la population qui rejette désormais l’idée selon laquelle l’autorité
religieuse pourrait lui dicter ses choix politiques[lie6]. Il n’y a pas pour autant une crise
religieuse ni une crise confrérique : les fidèles acceptent sans contester les ndigël qui
concernent la religion, ils refusent de façon tout aussi nette que la sacralité du ndigël soit
galvaudée dans des affaires profanes. Leur attitude, de ce point de vue, s’inscrit pleinement
dans la modernité occidentale, nous y reviendrons.
La conscience précise ou confuse que peuvent avoir les populations de la distinction entre les
sphères religieuse et civile les conduit également à ne pas accorder massivement leur
confiance aux leaders maraboutiques qui se présentent à leurs suffrages. Absents de la
compétition politique à quelques exceptions près, dont la plus notable est celle de Ahmad
Khalife Niasse, dit l’ayatollah de Kaolack, célèbre pour avoir créé le parti de Dieu
(Hizboulahi) en 197930, les marabouts y sont entrés depuis la fin des années ’80. « Serigne
Dame Mbacké de Darou Mousty a été le pionnier avec son entrée sur la liste du Parti
démocratique sénégalais (PDS) à la veille des élections controversées de 1988 » (Gervasoni &
Gueye 200X : 627). Cette intrusion dans la politique active d’un dignitaire mouride doit être
analysée comme une manœuvre politique remarquable du candidat Wade. Constatant que la
hiérarchie mouride soutenait Diouf, il lui fallait montrer qu’elle n’était pas unanime. Rallier
Serigne Dame Mbacké à sa bannière était une des manières d’attester de la façon la moins
contestable qu’il bénéficiait lui aussi du soutien de marabouts mourides. Il a pu compter en
outre sur Dady Faty Mbacké ou encore sur l’appui sans nuance de Serigne Khadim Mbacké
qui a déclaré le 9 février 1988 à la télévision : « si Dieu veut le bonheur du peuple sénégalais,
Abdou Diouf ne sera pas réélu. Inutile de continuer à prier s’il est réélu puisque Dieu nous
aura abandonnés » (Diop, Diouf 1990 : 322). Tancé par la hiérarchie mouride, Serigne
Khadim Mbacké a dû revenir à la télévision, quelques jours plus tard, pour affirmer son
soutien à Diouf. Peu importe, le mal était fait, l’appareil mouride avait cessé de se présenter
comme monolithique face à l’État, les failles qu’il avait laissé apparaître ne pouvaient être
occasionnées que par des jeux de pouvoir et des rapports de force internes. Puisque les
consignes de vote émanant des leaders mourides se contredisaient, elles ne pouvaient que
s’annuler. Le paradoxe est que l’affaiblissement de l’influence des mourides est à mettre au
compte de Wade, qui se réclame du mouridisme et dont la proximité avec la hiérarchie de
29
Jusqu’aux élections de 1988, les isoloirs étaient facultatifs. Après les élections de 1988, une réforme du Code
électoral fut lancée, tous les partis furent associés au toilettage du Code dont les modifications furent votées à
l’unanimité.
30
Il doit une autre part de sa notoriété au fait qu’il ait brûlé un drapeau français en 1982, lors de la visite
officielle que le Président Mitterrand rendit au Sénégal. En 2004, il a tenté de créer une coalition électorale
regroupant des arabisants et des fils de marabout. En 2007, il se disait « Ministre de la Nouvelle Capitale au
Cabinet du Président de la République », plénipotentiaire chargé de construire une nouvelle capitale pour le
Sénégal.
23
Touba est de notoriété publique. La façon dont il s’est comporté par rapport au khalife général
des mourides permet d’avancer quelques hypothèses sur la nature de ses relations avec la
confrérie. Quand le khalife général prend une décision qui ne convient pas à Wade, celui-ci
n’hésite pas à mobiliser tous les moyens pour faire modifier cette décision et, s’il n’y parvient
pas, pour atténuer ses effets, même s’il faut pour cela affaiblir l’autorité du khalife général,
voire mettre en péril l’unité de la confrérie. Wade fait mine d’obéir à la hiérarchie mouride
quand celle-ci pense comme lui ou sert les intérêts qu’il s’est fixés, parce qu’il sait que les
messages des marabouts sont reçus avec plus de respect et d’intérêt que ceux qui émanent de
la classe politique ou qui sortent de sa bouche. Par contre, quand la hiérarchie mouride prend
des positions qui ne lui conviennent pas, il ne craint pas de l’affronter, non dans un duel où il
serait forcé de prendre de grands risques, mais dans des jeux politiciens où son expérience et
son talent de vieux bretteur31 lui donnent un avantage décisif sur les marabouts. De façon plus
générale, nous ne pouvons que souscrire au diagnostic de Diop, selon qui la fin des années
1990 se caractérise par « l’affaiblissement des alliances stratégiques entre les chefs de
confrérie et le pouvoir central » (Diop 2002b : 16).
L’inscription de Serigne Dame Mbacké32 sur les listes du PDS a contribué à diluer le
mouridisme dans la société politique sénégalaise. Par son initiative, ce marabout rebelle a fait
des émules, « [d’]autres ont suivi et il y a aujourd’hui plusieurs Mbacké-Mbacké à
l’Assemblée nationale » (Gervasoni & Gueye 2005 : 627). Les déconvenues ont toutefois été
plus nombreuses que les succès pour les responsables religieux qui se sont impliqués dans le
jeu électoral. On peut évoquer « Ousseynou Fall, frère du Khalife des Bay Faal, qui
transformait ses meetings en simulacre de fête religieuse ; de Cheikh Abdoulaye Dièye qui
débutait et clôturait ses discours politiques par des prières du Coran ; et de Moustapha Sy,
[…] chef religieux du Dahiratoul Moustarchidina wal Moustarchidaty » (Samson 2002 : 161).
Selon l’analyse de Diop, Diouf et Diaw (2000), le terrain religieux était travaillé aussi par Iba
Der Thiam. Tous les quatre ont obtenu des résultats médiocres33. Finalement, les marabouts
qui ont acquis un mandat par le suffrage universel restent peu nombreux, et ceci renforce
l’hypothèse selon laquelle leur entrée dans la compétition électorale peut être interprétée
comme une dilution, localisée et difficile, du mouridisme dans la société politique. Il est
impossible aujourd’hui de présager si elle annonce à long terme un mélange complet des deux
essences ou si elle constitue un phénomène marginal. Dans cette seconde hypothèse, la société
politique apparaîtrait comme une scène de second choix pour des marabouts qui ne peuvent
espérer participer au premier cercle du pouvoir dans la confrérie et choisissent de tenter de
valoriser dans l’arène électorale les avantages symboliques que leur a donnés leur naissance.
En tout état de cause, parce qu’il s’est construit contre l’État, le mouridisme n’est pas
aisément miscible dans la société politique sénégalaise, sauf si le mélange entraîne qu’elle se
transforme très profondément. Avec Gervasoni et Gueye, nous pensons en effet que la force
du mouridisme est d’avoir su représenter une potentialité de non-intégration à l’État et de
proposer des modes alternatifs d’organisation sociale et politiques […] C’est parce que le
mouridisme […] a fait une place essentielle aux liens de dépendance d’homme à homme qu’il
a réussi à se développer ainsi et à limiter fortement les capacités d’intervention de l’État dans
31
La presse sénégalaise le désigne régulièrement sous le sobriquet de « njomboor », le lièvre, qui est le symbole
de la ruse dans la culture wolof.
32
Il a été élu à l’Assemblée nationale.
33
Ousseynou Fall, 18.676 voix, soit 1,12% ; Cheikh Abdoulaye Dièye, 16.216 voix, soit 0,97% ; Iba Der Thiam,
20.133 voix, soit 1,2% ; Moustapha Sy s’est retiré aussitôt après avoir posé sa candidature.
24
son domaine » (Gervasoni & Gueye 2005 : 627). Une société politique « tient » parce qu’elle
met en relation des individus abstraits, des statuts, des représentations collectives ; elle est
donc a priori peu compatible avec le mouridisme qui « tient » par les engagements que des
individus concrets choisissent de contracter[lie7].
Faut-il pour autant conclure que « les marabouts sont […] les grands perdants de cette
élection puisqu’à l’avenir, ils devront obligatoirement composer avec leurs fidèles qui sont
maintenant devenus des militants politiques à part entière » (Samson 2005 :340) ou qu’il faut
considérer « anachronique l’analyse du politologue français, Christian Coulon lorsqu’il
affirmait en 1982 qu’au Sénégal, on est souvent taalibe d’un marabout avant d’être citoyen
d’État » (Cissé, 2007 :41). Peut-être pas, ces jugements nous semblent un peu trop rapides.
Un fait historique de l’importance de celui de l’alternance sénégalaise, même si elle est
intervenue dans un contexte de dramatisation que les événements de Côte d’Ivoire ont
exacerbé et dont le candidat Wade s’est plu à jouer, appelant l’armée à intervenir si le résultat
des urnes n’était pas respecté34, n’a pas effacé d’un coup d’éponge une histoire institutionnelle
longue. Le fait historique est impuissant à changer abruptement la culture des hommes qui
vont avoir tendance à prolonger les pratiques apprises et les manières de faire qui se sont
révélées efficaces ou au minimum satisfaisantes auparavant. La seule chose qui s’est donnée à
voir dans les élections de 1993 et 2000 est « l’apparente dé-clientélisation de la confrérie
mouride » (Copans 2002 :177). Encore convient-il vérifier que cette clientélisation n’a pas
pris d’autres formes, n’a pas muté pour devenir plus efficace.
L’empressement à interpréter la délégitimation du ndigël politique comme le signe du passage
du Sénégal à un stade de maturité démocratique plus accomplie nous apparaît finalement
s’inscrire dans une conception très classique du développement que de très nombreux auteurs
ont dénoncée avec véhémence35 et pour laquelle l’évolution des pays du sud doit
nécessairement les amener à accomplir les diverses étapes qu’a connues l’occident
explicitement désigné comme le modèle à imiter. Le démontage de ce système théorique est
aisé à accomplir : il postule que les sociétés humaines s’inscrivent dans une histoire pré-écrite
que leurs actions ne peuvent que révéler. La responsabilité des dirigeants des pays moins
avancés consisterait exclusivement à suivre les traces de leurs grands prédécesseurs
occidentaux qui ont conduit leurs peuples à la prospérité, la démocratie, etc. Ethnocentrique,
aveugle aux dysfonctionnements des sociétés avancées36, ce système théorique est devenu
inacceptable, même s’il hante encore l’imaginaire occidental. Si on rejette ces théories
classiques et pernicieuses du développement, la signification du recul du ndigël politique ne
va pas de soi, il est même impossible de l’évaluer positivement a priori. Seule la mise en
perspective du phénomène pourra permettre d’en apprécier les effets.
34
Le candidat Wade a multiplié les déclarations visant à dramatiser la situation : « l’armée et les jeunes doivent
prendre leurs responsabilités » (Sud Quotidien, 31 décembre 1999) ; désavoué par ses pairs, il précise sa pensée
« l’armée, ce serait l’échec de ma vie … mais ça ne veut pas dire qu’on laissera Diouf faire ce qu’il veut » (Sud
Quotidien, 24 janvier 2000) ; enfin « en cas de confiscation du pouvoir, l’armée doit prendre ses
responsabilités » (Sud Quotidien, 18 février 2000). Ces trois citations sont extraites de (Diop 2002b : 19).
35
Voir entre autres, pour des synthèses de ces travaux et des suggestions visant à sortir des logiques postulant
une orientation prédéfinie au développement A.S. Diop (2007) et J.Ph. Peemans (2002).
36
Les problèmes contemporains de la démocratie dans les pays occidentaux, qu’ils prennent la forme d’un
désintérêt massif ou des motivations qui animent les électeurs sont bien connus et n’ont rien de moins
embarrassant que le ndigël politique. L’adaptation des formes de la démocratie est donc devenue un impératif du
jour, dicté par les évolutions particulières spécifiques à l’Occident.
25
Ajoutons qu’il n’y a rien que de très logique dans l’abandon du ndigël politique. Osons le
dire, cette pratiques était d’un autre âge et ne pouvait perdurer dans la forme qu’elle avait
jusqu’en 1988. Le Sénégal est un pays ouvert, tant par les étrangers qui le visitent que par ses
nationaux qui sont établis à l’extérieur ou y ont des relais. Il a institué la téranga, l’accueil de
l’étranger, comme une vertu nationale essentielle37. Cette ouverture a pour corollaire qu’elle
fait participer les Sénégalais aux grands mouvements d’idées qui circulent sans se soucier des
frontières des continents et des pays. À la fin du vingtième siècle, après l’effondrement du
communisme et la stigmatisation des régimes autoritaires, il était devenu impossible à des
Sénégalais de défendre l’idée selon laquelle la régulation du processus électoral par les ndigël
des leaders religieux constituait une forme intéressante de gouvernance contemporaine. La
pratique s’écartait à ce point du modèle abstrait de la démocratie qu’incarnent les élections
que la situation était devenue intenable. La mise en évidence des tensions entre les leaders
religieux, de la même confrérie ou d’obédiences différentes se sont exprimées de deux façons
complémentaires. Elles l’ont fait de façon spectaculaire et tangible à l’occasion des
« incidents critiques » rapportés ci-dessus, au cours desquels des hommes ont mobilisé
l’autorité morale qu’ils tenaient de leur position dans la hiérarchie religieuse pour intervenir
de façon contradictoire dans le débat politique. Mais ces incidents critiques ne sont encore que
des épiphénomènes. Le phénomène massif est l’accès de tous à la culture religieuse diffusée
par les médias populaires qui attestent quotidiennement de la pluralité des lectures qui
peuvent être faites du message coranique. Parce qu’il alimente des discours prescriptifs
contradictoires portés par des hommes qui revendiquent une même science des choses
religieuses et une même sagesse, le champ religieux contraint les individus ordinaires à un
choix. Le religieux devient un marché où des offres sont en concurrence et où l’arbitrage
revient nécessairement, en dernier argument, au fidèle, qui choisit son mode de croire et de
pratiquer en fonction de critères dont il n’a à rendre compte à personne. Cette figure du
croyant qui choisit son mode de pratique est en profonde résonance avec la valorisation du
citoyen responsable qui n’attend pas de l’État une sécurité qu’il est désormais incapable de lui
fournir. Ces deux dimensions dessinent le profil d’un individu qui va revendiquer haut et fort
sn droit à se déterminer librement dans l’isoloir, ce qui ne lui interdit évidemment pas d’aller
chercher les conseils qu’il souhaite recevoir auprès des autorités morales auxquelles il accorde
sa confiance.
Qu’ils le veuillent ou non, des normes d’action s’élaborent au-delà des États qui sont
contraints de s’en accommoder parce qu’ils finissent par y inspirer les comportements des
citoyens et les orientations des politiques (Muller 2000). Il n’est pas étonnant, de ce point de
vue, que les contestations fortes des ndigël se soient exprimées dans les villes, qu’elles aient
été le fait des citoyens les plus exposés à la circulation internationale des idées et des
convictions38. Ces normes d’action que la culture collective envisage comme universelles,
alors qu’elles demeurent très contingentes, n’ont pas de caractère impératif, et c’est bien parce
qu’elles ne sont pas contraignantes qu’elles sont à ce point convaincantes : nul n’interpelle le
37
D. Diène (2008 : 132) rappelle que les trois présidents ont commencé leurs messages à la Nation par une
même formule interpellative « Sénégalaises, Sénégalais, hôtes étrangers qui vivez parmi nous ». Cette formule
en dit long sur l’intérêt qui est porté à l’autre, à ses idées, à ses opinions.
38
Les talibés urbains font partie des groupes qui sont les plus exposés aux courants internationaux d’idées, à la
fois parce qu’ils font partie de cette main-d’œuvre qui tente de rejoindre les bassins d’emploi externes où ils
peuvent trouver du travail et parce qu’ils sont fréquemment en première ligne pour entrer en contact avec les
touristes et les résidents étrangers.
26
citoyen pour exiger de lui qu’il modifie son comportement, mais dès lors qu’il constate qu’il
agit autrement que la majorité des autres, il est amené à s’interroger sur le sens et la
pertinence de sa conduite. Les divergences significatives par rapport à la norme internationale
ne peuvent dès lors perdurer que si ceux qui sont confrontés à la nécessité de « justifier »39
leurs comportements à leurs yeux ou à ceux d’interlocuteurs bienveillants trouvent les
arguments qui leur permettent de les défendre fièrement40. Or, aucun registre d’argumentation
ne peut aujourd’hui être mobilisé pour donner un sens positif au renoncement d’établir son
choix et de l’exprimer dans un processus électoral. Les temps contemporains incluent, au
Sénégal comme ailleurs, une exigence morale très forte de subjectivation, de construction
critique d’un avis, de responsabilisation de chacun par rapport à ses préférences. Nul
n’échappe à l’obligation de se différencier et de se déterminer, même s’il choisit de le faire
dans le sens où va le plus grand nombre. Le refus du ndigël était donc presque inéluctable
dans l’évolution culturelle d’un pays inscrit dans des échanges nombreux avec le reste du
monde. Le ndigël a eu un sens très fort quand il s’agissait de faire une démonstration de force
à un ennemi intérieur contre lequel l’affrontement physique était impossible ou impensable.
Le ndigël a alors représenté l’arme du dominé, qui a exprimé la force d’une solidarité
mécanique que rien ne pouvait remettre en cause. Il a perdu toute sa pertinence quand la force
des collectifs a cessé d’être attachée à une similitude de réaction de tous les individus et
qu’elle dépend désormais de leur capacité singulière à inventer des réponses appropriées à la
situation qu’ils rencontrent[lie8].
Les forces confrériques ne sont pas pour autant absentes des allées du pouvoir, elles ont
simplement appris à agir avec discrétion et retenue, d’une manière en définitive beaucoup
plus conforme à la philosophie d’Ahmadou Bamba, fondateur du mouridisme. À ses yeux, le
mouride est bien sûr d’abord celui qui fait allégeance, et c’est la signification étymologique
du mot « mouride » ; c’est aussi un homme qui accepte de s’inscrire dans un projet de société
s’il le croit juste, mais qui n’a que mépris pour le pouvoir. Pour Bamba, l’essentiel est le
service de Dieu et tout ce qui empêche l’homme de s’y consacrer est nuisible. Les intrigues de
cour, la construction de stratégies de conquête ou d’occupation du pouvoir ne peuvent dès lors
trouver grâce à ses yeux. Sa conception pouvait s’accommoder d’un ndigël politique énoncé
par le khalife général, qui libérait tous les mourides de la contrainte du choix et leur permettait
de se consacrer plus complètement au service de Dieu. La perte de légitimité de ce ndigël,
nous l’avons suggéré ci-dessus, ne tient pas à des raisons religieuses, mais à un esprit du
temps autant qu’à des évolutions importantes de la morphologie sociale du Sénégal qui font
que les mourides sont désormais trop forts pour encore utiliser l’arme des faibles.
Si elle pouvait s’accommoder des ndigël politiques, la philosophie de Bamba ne peut par
contre s’accorder avec les exigences de campagnes électorales pendant lesquelles les
candidats n’œuvrent qu’à leur propre gloire, consument leur énergie à flatter l’électeur. Ces
basses tâches exigent sans doute qu’un peu de temps et d’énergie leur soient consacrées, mais
il est impensable que ce soient ceux d’un saint homme. Les marabouts ont mieux à faire que
de se préoccuper d’intendance démocratique, leur science est trop précieuse pour être
39
Au sens que Boltanski et Thévenot (1991) donnent à ce terme.
Nous partons de l’hypothèse, qui reste fragile, selon laquelle le moment de la justification est celui de la mise
en adéquation de ce que l’acteur croit et fait. Et tout autre temps, il peut bien sûr avoir de bonnes raisons de
croire ce qu’il croit et d’aussi bonnes raisons de faire ce qu’il fait sans que les deux ordres de raisons ne doivent
être ajustées (voir, sur cette question Cuin 2005).
40
27
gaspillée. Plutôt que d’être un atout dans la course au pouvoir civil, la filiation maraboutique
peut être un handicap. Si l’on suit ce raisonnement, les déconvenues de la majorité des
marabouts qui se sont présentés aux suffrages des Sénégalais restent très logiques.
La déroute des marabouts mondains peut être expliquée par les deux facteurs utilisés cidessus, à savoir l’intolérance contemporaine d’une part aux ndigël et d’autre part à
l’intervention des marabouts dans des domaines autres que religieux. Le personnage qui
incarne le mieux cette déroute est Serigne Modu Kara Mbacké, dont toutes les tentatives
d’apporter un soutien au Parti socialiste aux élections de 2000 se sont soldées par des échecs
retentissants, que ce soit parce que ses talibés le huaient dans ses meetings, au moment où il
voulait énoncer son ndigël en faveur de Ousmane Tanor Dieng, dauphin de Diouf, ou que ce
soit parce que des rappels à l’ordre cinglants lui étaient adressés quand il s’adressait à la
presse pour l’informer que des visions nocturnes inspirées par Amadou Bamba lui avaient
révélé que Diouf allait l’emporter au deuxième tour (Diop, Diouf, Diaw 2000 : 167). Des
témoignages recueillis pas Samson (2005), l’humiliation publique que lui ont imposée ses
talibés n’est pas pour rien dans le retrait de la candidature de Moustapha Sy, peu désireux de
subir pareille rebuffade. En prévision des élections de 2007, Serigne Modu Kara Mbacké, audelà du Diwâne, le Mouvement mondial pour l’Unicité de Dieu, a créé le Hisbut Haq, le Parti
de la Vérité pour le Développement (PVD) et a été parmi les premiers à se déclarer candidat à
la présidence. Il n’a finalement pas maintenu sa candidature et a rallié Wade : un pacte
d’alliance a été signé entre son parti et le PDS. Vers la fin de la campagne, le 12 février 2007,
un vif incident l’a opposé aux talibés de Bethio Thoune qui l’ont longuement empêché de
prendre la parole lors d’un meeting. La concurrence entre ces deux leaders mourides s’est
ainsi manifestée alors que tous deux soutenaient le même candidat. L’enjeu était clairement
de pouvoir revendiquer une responsabilité majeure dans la victoire du président, réélu avec
55,86% des voix dès le premier tour. Le Président Wade a accordé un siège de sénateur au
Parti de la Vérité. En choisissant de l’attribuer à son épouse, Sokhna Dieng Mbacké, ancienne
présentatrice de la télévision sénégalaise, Serigne Modu Kara Mbacké a suscité de sérieux
mécontentements dans son parti. Son vice-président l’a quitté à grand fracas, une fronde
interne s’est développée. Finalement, il a été amené à abandonner la présidence du parti à
Ibrahima Sall et de n’en rester que le guide moral. De la même manière, il a abandonné la
présidence du Mouvement mondial pour l’unicité de Dieu à son frère, Cheikh Ibrahima Fatim
Mbacké.
Serigne Modu Kara Mbacké et Cheikh Bethio Thoune se veulent « faiseurs de rois ». De
façon régulière, l’un comme l’autre font des déclarations fracassantes à la presse en se
revendiquant de nombres importants de talibés touts prêts à voter pour eux s’il leur venait
l’envie de se présenter à une élection. Ils en restent toutefois au stade de la menace et des
démonstrations de force. Les meetings de Serigne Modu Kara Mbacké sont particulièrement
impressionnants. Des dizaines de talibés en battle dress noir viennent en ordre militaire
sécuriser l’espace où il apparaîtra, former un cordon de sécurité qui est maintenu jusqu’à la
fin du meeting. Ils sont des dizaines, le crane rasé, la face inexpressive41. Un orchestre à
cordes fait patienter le public toujours plus nombreux. Les notables sont installés aux places
41
Faire partie du cordon de sécurité de Serigne Modu Kara Mbacké est considéré comme un honneur insigne par
ses talibés. La proximité physique avec le marabout, la mission d’assurer sa sécurité, l’uniforme, la mise en
scène, la position centrale dans l’assemblée concourent à donner une grande fierté à ceux qui composent ce
cordon.
28
d’honneur, les femmes brillent des mille feux des bijoux qu’elles arborent. Les discours
initiaux rendent grâce à Dieu, préparent l’assemblée à recevoir les mots du maître. Il arrive
enfin, dans des tenues toujours élégantes et inattendues, grand chapeau et lunettes solaires sur
un habit noir chatoyant ou vêtu en maharadjah. C’est un maître de la rhétorique, il alterne les
propos en français, en wolof, en arabe. Il veut convaincre, il a une présence et une force de
conviction redoutable. Tous les sujets y passent, il ne craint pas ceux qui fâchent, il harangue
son public, exhorte chacun à respecter scrupuleusement les principes divins dans chacun de
ses comportements.
, il Le lobby mouride n’est pas pour autant impuissant. Madické Niang, président du Ramou
(Rassemblement des mourides) a été ministre de l’énergie et des mines. Moustapha Sourang
doit sa longévité exceptionnelle de ministre de l’éducation au soutien constant de Touba,
facilité par ses liens de sang avec Amadou Bamba, fondateur du mouridisme. On peut ajouter
au tableau des échecs des leaders religieux la déroute de
Ajouter : contradiction avec l’orientation majeure du référentiel
Le retour et la concurrence des marabouts mondains42
Les élections présidentielles de 2007 ont apporté tous les éléments empiriques qui conduisent
à affirmer que l’influence des marabouts sur le processus électoral reste lourde. Renonçant à
l’instrument frustre du ndigël (mais pas nécessairement à l’outil subtil que constitue la
menace d’y recourir), ils sont intervenues par d’autres moyens pour influencer le jeu électoral.
Une constante dans les stratégies déployées est qu’elles ont systématiquement été mises en
œuvre par des « seconds couteaux ». Redécouvrant la réserve de puissance que cache la
discrétion (Balandier 1980), les khalifes généraux se sont abstenus de toute suggestion de
vote. L’avant-scène a donc été fréquemment occupée par des personnages hauts en couleurs,
que leur caractère fort a conduits dans le passé à parfois réinterpréter en des termes inédits les
liens d’allégeance avec la hiérarchie confrérique.
S’interroger sur la motivation ‘des foules’ et ‘des talibés’ de Modou Kara et Béthio, surtout de
ce dernier qui promet le paradis, affirme être souvent ‘visité’ par Serigne Touba et Serigne
Saliou qui est selon ses propos la réincarnation ‘annoncée’ de Serigne Touba… par Serigne
Touba lui-même. Ses vues sur les nationalités ouest-africaines, la division sociale en castes,
toute chose qui n’existerait pas selon lui.
A la limite s’interroger sur l’idée qu’il donne de Dieu et de lui-même comme Dieu, face à un
public ‘prompt à entendre ces bonnes paroles qu’il veut bien qu’on lui tienne… Qui sont ces
‘nouveaux talibés de ses nouveaux marabouts véritables prédicateurs et prêcheurs de show
religieux à l’américaine… D’où, possibilité de comparaison/rapprochement avec les messes et
certaines pratiques religieuses aux Etats-Unis…
Les affrontements entre les marabouts et la presse (à rédiger)
Phénomène nouveau, intimidation de la presse, destruction de matériel dans les locaux
professionnels, menaces de mort.
42
Selon l’expression fort opportune de Diop et Diouf
29
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