Histoire(s) - Fédération Française du prêt à porter féminin

Transcription

Histoire(s) - Fédération Française du prêt à porter féminin
Histoire(s)
du prêt-àporter
avec la Fédération Française
du Prêt À Porter Féminin
1929-2009
Sommaire
1929/2009, la Fédération a 80 ans. Nous saluons cet anniversaire
lors de notre assemblée générale du 11 juin et avec l'édition de ce
livret qui raconte sous la plume de Catherine Örmen les aventures
du prêt-à-porter, cette mode en-vie, cette mode du désir, cette mode
accessible. 2009, une année charnière, comme chacun sait, et qui n’est
pas sans rappeler 1929. Les crises financières, sociales et économiques
se sont radicalisées pour fomenter une nouvelle société, engendrer
des changements de raisonnement, de comportement et d'action. La
mode devient mondiale, chaque pays l'exprime en création, en
fabrication ou par sa consommation croissante. Elle prend la parole
sur l'éthique, se fait transversale et résonne avec les expressions
artistiques. Le style, voilà l’enjeu, l’axe majeur de ces prochaines
décennies. Le style qui traduit la french touch, cette élégance toujours
un peu décalée, une dose de frivolité… un melting mode que Paris
réunit à chaque salon et fashion week. Notre choix est celui de la
création, germe du désir. Ces bouleversements devraient ouvrir la
voie à une société à la fois exigeante, en recherche de sens et de beau.
La Fédération fédère les entrepreneurs et faiseurs de mode, mutualise
les savoir faire, crée des réseaux des façonniers aux étudiants. Fédérer,
partager, échanger… ses mots sont plus que jamais dans l'air du temps
et de demain. À la Fédération d'être toujours plus inventive, innovante,
forte… ensemble.
Jean-Pierre MOCHO
Président de la Fédération Française du Prêt À Porter Féminin et Président de l’UFIH
p. 4
La naissance
du prêt-à-porter
p. 14
Le prêt-à-porter
se fédère
p. 20
La Fédération lance
le prêt-à-porter
p. 30
L’explosion du
prêt-à-porter
p. 40
La Fédération, la création
et la mondialisation
p. 48
Les nouveaux défis
et les nouvelles créativités
p. 60
Témoignages
“Envie de mode et mode en vie...”
Textes par Catherine örmen
22
La Naissance
du prêt-à-porter
Le textile est à l’origine de la révolution
industrielle. en France, la confection s’organise
dès le début du XIXème siècle, pour répondre aux
besoins toujours croissants d’une population qui
s’urbanise.
Né de la révolution industrielle, ce secteur de
production qui va progressivement se mécaniser
et qui emploie essentiellement des femmes, est
déjà du « prêt-à-porter », mais il n’en porte pas
encore le nom.
4
paris, capitale de la mode : depuis toujours, il en est ainsi ! Déjà
sous l’Ancien Régime, le textile et l’habillement constituent un secteur
économique de tout premier plan : ils occupent la moitié des travailleurs de
l’industrie. Au milieu du XIXème siècle, la mode, tous métiers confondus,
emploie 3,5 millions de personnes et jusqu’à la fin du XIXème siècle, ce secteur
reste le premier poste d’activité en France, le fer de lance de l’économie
française en matière d’exportation.
Le textile et l’habillement
constituent un secteur
économique de tout
premier plan.
La Mode est fille de la démocratie
et de la révolution industrielle. A
partir de 1793, « chacun est libre de
porter l’habillement de son sexe qui
lui convient». La Révolution Française,
en abolissant les privilèges, supprime
les lois somptuaires et permet à chaque
individu de s’habiller comme il lui
plaît, en fonction non plus de son statut social, mais de ses moyens financiers.
Dans l’ordre du paraître, l’argent va jouer un rôle primordial et le luxe, en
théorie, pourra être à la portée de tous.
Pendant tout le XIXème siècle, la Révolution industrielle fait converger
vers les villes toute une population nouvelle, créant d’importants
besoins vestimentaires auxquels vont s’efforcer de répondre les secteurs
du textile et de l’habillement. Si les classes aisées continueront, pendant
longtemps, de faire réaliser leurs vêtements par des artisans qui travaillent
sur mesure, la nécessité de paraître, notamment sous le Second Empire,
va inciter les couturiers et tailleurs à innover : Mme Roger d’abord,
puis l’Anglais Charles Frederick Worth à une plus grande échelle,
sauront répondre aux besoins de luxe d’une clientèle aisée et internationale,
5
Paris étant toujours considéré comme la capitale mondiale de la mode.
De là, naîtra la Haute Couture.
Mais, pour répondre aux besoins du plus
grand nombre, c’est la confection qui
se met en place pour produire des
vêtements bourgeois conformes aux
modes de leur temps. En standardisant
peu à peu les méthodes de travail et
les productions (en s’inspirant de ce
que pratiquaient déjà les couvents et
les prisons), les fabricants, ceux qu’à
l’époque, on nommait les premiers « industriels » de l’habillement, tiendront
le pari. La structure des entreprises est familiale et les méthodes de travail qui
reposent sur la division des tâches et sur le travail à domicile, demeurent
encore artisanales. L’essor du machinisme, et bien sûr celui de la machine à
coudre, ne modifieront pas du jour au lendemain les modes de production,
mais peu à peu, l’outil industriel se féminisera. La machine bientôt ne sera
plus l’apanage de l’homme. En 1847, à Paris, 233 confectionneurs emploient
plus de 7 000 ouvrières. à l’instar de la Belle Jardinière, des magasins de
nouveautés apparaissent, qui destinent d’abord leurs produits aux hommes.
Mais, dès 1850, ces magasins proposent des gammes de vêtements pour les
femmes et les enfants : lingerie, mantelets qui ne nécessitent pas de retouches,
tabliers et robes toutes faites.
Paris est toujours
considéré comme
la capitale mondiale
de la mode.
Image réalisée
pour les 80 ans
de la Fédération
Française du
Prêt À Porter
Féminin
L’essor des grands magasins sous le Second empire traduira
l’importance prise désormais par la confection. Le grand magasin,
proche des gares, servi et desservi par le train, expédie en province les
nouveautés parisiennes. La vente par correspondance s’effectue grâce aux
Margareth
et Moi
7
La naissance du prêt-à-porter
nombreux catalogues édités par ces vastes entreprises qui diffusent non
seulement des produits, mais également des images au fin fond des provinces,
dans les colonies, et à l’étranger. L’essor des chemins de fer (700 km par an
construits sous le Second Empire) permet enfin de dissocier les lieux de
production des lieux de vente. Le grand magasin qui vend bon marché pour
vendre beaucoup, et qui vend beaucoup pour vendre bon marché, selon
l’axiome défini par Zola dans son roman, « Le Bonheur des Dames », devient
une fascinante vitrine de la modernité et un lieu d’acculturation pour les
nouveaux citadins. La mode, en effet, permet de s’intégrer socialement. Les
processus d’imitation s’accélèrent et pour se différencier, pour se distinguer,
l’élite composée de mondaines et de demi-mondaines qui s’habillent en
Haute Couture, ne cesse d’inventer de nouvelles modes qui seront, elles aussi,
quasiment immédiatement imitées. De là, proviennent les incessantes variations
des modes et de silhouettes qui se font jour à cette époque…
à l’aube du XXème siècle, les métiers qui font le renom de la mode sont d’une
grande variété. Le luxe et la Haute Couture ont les leurs, auxquels s’ajoutent
ceux de la confection. La confection produit des vêtements « riches », « mi-riches
» ou « bon marché » d’une qualité égale ou supérieure à ceux des tailleurs et
couturières mais les articles de la confection sont moins chers. La conception,
la coupe et le repassage demeurent au sein de l’entreprise, la couture, opération
répétitive qui nécessite moins de qualification peut, quant à elle, être réalisée
soit au sein d’ateliers intégrés, soit sous-traitée à des entrepreneurs qui
répartissent le travail auprès d’ouvrières à domicile.
Les intérêts de deux secteurs aussi différents que la Haute Couture
et la confection ne peuvent que diverger. C’est ce qui explique qu’en
1910, la Chambre Syndicale de la Couture, des Confectionneurs et des
Tailleurs pour dames, se divise. Elle avait été fondée en 1868 par un
8
L’essor des grands magasins
sous le Second Empire traduira
l’importance prise désormais
par la confection. Le grand
magasin, proche des gares,
servi et desservi par le train,
expédie en province les
nouveautés parisiennes.
9
La naissance du prêt-à-porter
confectionneur pour dames, M. Dreyfus de la maison Dreyfus et Kaufman,
et englobait les fabricants de confections pour dames et les couturiers. « Ces
deux corporations ont travaillé de concert pour le bien général, étudiant avec fruit les questions
concernant les patrons aussi bien que celles concernant les ouvriers (…). Mais l’évolution
naturelle des affaires, l’accroissement de la consommation et d’autres causes diverses ont
motivé dans nos Chambres aussi bien qu’autre part, une plus grande division du travail ;
c’est la cause principale de la scission de la Confection et de la Couture. Ces deux
groupements, tout en étant séparés, suivent des voies parallèles, tous deux n’ayant qu’un
but, la protection des intérêts de l’industrie nationale. », déclarait le Président Storch,
lors de la première assemblée générale de la Chambre Syndicale de la
Confection Française pour dames et fillettes, le 12 mars 1912.
à l’issue de la Première Guerre mondiale, la confection poursuit une lente
modernisation sans toutefois que l’organisation du travail s’en trouve modifiée.
C’est dans le Sentier, à Paris, que sont déjà regroupés depuis longtemps les
marchands de tissus et c’est logiquement à proximité que les confectionneurs
continuent de s’installer. Les établissements Albert Weill Jeune, qui comptent
parmi les plus célèbres, sont, par exemple, implantés 19 rue de Cléry. Ces derniers
disposent d’un atelier de modélisme et d’un atelier de coupe qui fournit une
« bûche » ou un « paquet » à des entrepreneurs extérieurs chargés de réaliser
l’assemblage et les finitions…
Mais, comme au XIXème siècle, la confection produit encore un nombre très
important de modèles différents, avec une grande variété dans les détails et
les finitions. C’est, certes, une production standardisée, en série, mais les
séries sont très limitées en nombre de pièces. Le seul réel progrès est d’ordre
social : le travail à domicile est mieux réglementé, mieux protégé, et l’on
s’aperçoit que la productivité est plus élevée au sein d’ateliers. Mais la main
d’œuvre est devenue rare, elle est mal formée et les confectionneurs se voient
en permanence dans l’obligation de faire appel à des ouvriers étrangers,
Alsaciens au début du siècle, puis immigrants de l’Europe de l’Est entre les
deux guerres1.
La simplification de la mode des années 1920, celle de la gracile garçonne qui
a supprimé son corset, raccourci sa jupe en même temps que ses cheveux, facilite
le travail de la confection. Cette simplicité, accentuée encore par le graphisme
très géométrique des illustrations diffusées dans les magazines, représente
un évident facteur de démocratisation de la mode. Mais la confection est
encore mal aimée : contrairement aux Américaines, aux Allemandes ou aux
Britanniques, les consommatrices françaises ont la réputation d’être exigeantes,
individualistes et très coquettes. Elles
ne se satisfont pas de modèles
standardisés, réalisés dans des tissus
qu’elles estiment de piètre qualité.
Elles n’ont d’yeux que pour le luxe,
du sur-mesure et pour la toute puissante
Haute Couture. C’est ce qui expliquera,
en partie, que la confection française,
pourtant très appréciée à l’étranger,
soit demeurée pendant si longtemps
méconnue en France.
les consommatrices
ançaises ont la réputation
d’être exigeantes,
individualistes et très
coquettes
Les confectionneurs, dont les intérêts sont défendus par des
syndicats régionaux, décident, à la veille de la crise de 1929, de
créer une Fédération pour défendre les intérêts de leur profession.
Voir sur ce point, l’ouvrage
de Nancy L. Green, « Du Sentier à
la 7ème Avenue, la confection et les
immigrés, Paris-New York, 1880-1980 »,
éditions du Seuil, 1998, traduit de
l’anglais par Pap Ndiaye.
1.
10
11
La naissance du prêt-à-porter
Chronologie
Fondation de La Belle Jardinière qui
vend à prix fixes des costumes d’homme
confectionnés.
1851 Participation des confectionneurs
français à l’Exposition Universelle de Londres.
1855 Les grands magasins, vitrine de la
modernité, vendent des confections pour
dames.
Triomphe de la crinoline.
début de la diffusion de la machine à
coudre.
1857 Ouverture de la Maison Worth qui
donne naissance à la Haute Couture.
1868 Création de la Chambre
Syndicale de la Confection et de la
Couture pour dames et fillettes.
1882 Organisation d’une exposition
collective à Amsterdam.
1889 Importante participation des
confectionneurs français à l’Exposition
Universelle de Paris.
1892 Fondation de la manufacture Albert
Weill.
1824
La Haute Couture cesse de confier
aux confectionneurs français la reproduction
de ses toiles et patrons. Elle soupçonne en
effet la confection d’effectuer des contrefaçons.
1907 Paul Poiret crée des robes sans corset.
1910 Dissolution de la Chambre Syndicale
de la Couture, des Confectionneurs et des
Tailleurs pour dames.
1912 Création du Syndicat de paris.
1896
Image réalisée
pour les 80 ans
de la Fédération
Française du
Prêt À Porter
Féminin
Gaspard
Yurkievich
12
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Le prêt-à-porter
se fédère
Après avoir vu triompher la garçonne, la mode
revient, au cours des années 1930, à une
conception plus traditionnelle de la féminité.
paris dicte sa loi au monde entier et la mode,
jusqu’alors réservée à une élite, est désormais
accessible à tous. La confection découvre la
nécessité de produire en plus grandes séries.
Quelques mois avant le krach boursier de Wall
Street, les syndicats de confectionneurs et ceux
de la Couture en gros de paris et de province,
fleuron de la profession, se regroupent, pour
constituer le 29 juin 1929, la Fédération du
vêtement qui représente les industries de
transformation du tissu.
La Fédération se donne pour vocation
d’organiser ce secteur d’activité, de favoriser
l’exportation et de défendre les intérêts de la
profession auprès des pouvoirs publics.
14
L’union faisant la force, la Fédération du Vêtement répartit d’emblée
le travail entre quatre commissions : une Commission « Finances »
chargée des questions fiscales et du crédit, une Commission du « Commerce
et des transports » à laquelle incombent les problèmes liés à l’exportation,
aux transports, à la publicité, aux ventes, une Commission du « Travail et
de l’Enseignement Technique » et enfin, une Commission du « Règlement de
la propagande et des fêtes ». L’objectif commun est d’intervenir auprès des
Pouvoirs publics dans les domaines économique et social, de promouvoir les
exportations, et au sein de la Profession, d’unifier les us et pratiques, d’améliorer
l’enseignement technique et d’offrir à ses adhérents des services de renseignements
et de placements.
Quelques mois plus tard, sous les effets de la crise, alors que la production partout
est ralentie2, des stratégies nouvelles s’élaborent. La silhouette féminine
change d’aspect, la garçonne disparaît
définitivement et la mode se tourne
vers une sophistication exacerbée. Les
jupes rallongent, les lignes du corps
s’affirment et s’affinent et la mode est
de nouveau très codifiée. La Haute
Couture cherche à relancer la demande
car ses possibilités d’exportations vont
se limiter aux toiles et patrons. Elle
invente, en outre, la notion de seconde
ligne, mais, méfiante, comme elle l’est
depuis 18963, elle continue de tenir
les confectionneurs français à distance.
La Fédération du vêtement, quant à elle,
cherche à accroître la productivité des
La silhouette féminine
change d’aspect,
la garçonne disparaît
définitivement
et la mode se tourne
vers une sophistication
exacerbée.
en 1933, la valeur du commerce
mondial n’équivaut plus qu’à 35% du
montant de 1929 et le volume est réduit à
73% .
2.
en 1896, la Haute Couture cesse
de confier aux confectionneurs français
la reproduction de ses toiles et patrons.
Elle soupçonne, en effet, la confection
d’effectuer des contrefaçons.
3.
15
Le prêt-à-porter se fédère
entreprises, mais la main d’oeuvre spécialisée fait défaut et l’on recourt de plus
en plus à la main d’oeuvre étrangère, qui peu à peu s’intègre par vagues
successives. La Fédération se préoccupe de la sauvegarde du commerce
extérieur qui, en cette période de crise mondiale, se trouve très entravé par
l’élévation générale de barrières douanières4.
La notion de production en plus grandes séries va contribuer à faire
évoluer les mentalités des confectionneurs en mettant l’accent sur le retard
accumulé dans les infrastructures. Des magasins populaires, en effet, voient
le jour, affichant des prix uniques pour une marchandise standardisée.
Toutmain impose ainsi ses robes et ses manteaux à prix uniques, distribués
aussi bien par correspondance que sous son enseigne des Champs-Elysées.
C’est un succès populaire, mais pour le pérenniser, il devient urgent de
moderniser les structures de production qui demeurent à un stade très artisanal :
le secteur est peu mécanisé, il fait appel à la sous-traitance et travaille à
domicile. La confection est une industrie de main d’oeuvre. C’est ce qui la
rend sensible aux aléas conjoncturels, mais ce qui lui donne aussi sa flexibilité.
en mai 1936, pressées par des impératifs de productivité, les
ouvrières exigent le respect des horaires officiels, la suppression
du travail aux pièces, quinze jours de congés payés et une
revalorisation de leurs salaires. Des grèves s’ensuivent qui aboutissent à
la signature des Accords de Matignon, le 12 juin 1936. La Chambre Syndicale
de Paris insiste sur la courtoisie de la délégation ouvrière pendant les deux
semaines de négociation et sur la bonne volonté des deux délégations. « Le passé
est mort. » conclut M. Halff, Président de la Chambre Syndicale de Paris…
Mais la confection est encore mal aimée du public parce qu’elle est méconnue.
La Seconde Guerre mondiale constitue un épisode particulièrement douloureux.
Partout, on fait face comme on peut aux restrictions qui s’imposent. La mode
est faite de bric et de broc, mais elle se libère d’un certain nombre de
Des magasins populaires
voient le jour, affichant
des prix uniques
pour une marchandise
standardisée.
conventions héritées du XIXème siècle (le fait de sortir sans bas, sans chapeau
ou sans gants, n’est plus considéré comme une hérésie). Le Système D s’impose.
Pour permettre le meilleur fonctionnement possible des maisons de couture,
les statuts professionnels sont réaménagés par le gouvernement de Vichy et
la Haute Couture bénéficie d’un traitement de faveur. La confection, constituée
d’une myriade de petites entreprises, est quant à elle, sous le coup de mesures
discriminatoires prises par le régime de Vichy qui interdisent aux juifs de
posséder une entreprise. Beaucoup cessent leurs activités, ou sont obligés de
vendre en catastrophe des entreprises florissantes (ce fut le cas pour Albert Weill
Jeune & Fils). Les petits ateliers familiaux et les tailleurs de quartier, souvent
des immigrés juifs, sont éradiqués de la scène de la production. Plus généralement
encore, c’est l’ensemble du travail à domicile qui est entravé, désorganisé,
voire décimé, et qui, au mieux, tente de se réimplanter en zone non occupée,
4.
Les droits de douane pour
les vêtements importés par les Etats-Unis
s’élèvent à 90%.
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Chronologie
Le prêt-à-porter se fédère
Création de la Fédération du
Vêtement pour représenter les industries
de transformation du tissu.
1930 Extension mondiale de la crise
économique.
Les droits de douane pour les vêtements
importés par les états-Unis s’élèvent à 90%.
Robes, manteaux et tailleurs de Toutmain
à prix unique.
1er catalogue de confection de La Redoute.
1931 Ouverture du Prisunic Caumartin. Il
y en aura 60 en 1939.
1932 Ouverture de Monoprix.
1933 La valeur du commerce mondial
n’équivaut plus qu’à 35% du montant de
1929, le volume à 73%.
1934 La Fédération s’élève contre la taxe
de 5 à 10% sur l’emploi de la main d’œuvre
étrangère.
1935 Création du nylon.
1936 Les Accords de Matignon proclament
les conventions collectives obligatoires, les
congés payés et la semaine de 40 heures.
1937 La confection féminine habille
près de 25% des Françaises et emploie
80 000 personnes.
1941 La mode subit la pénurie de textile.
Instauration d’une carte de vêtements.
Dérogations pour l’approvisionnement textile de
la « couture-création ».
1942 Lois de Vichy portant sur l’aryanisation.
De nombreuses entreprises de confection
disparaissent ou s’implantent en Zone Libre.
1929
d’où l’émergence, sur la côte méditerranéenne, de nouveaux centres de
confection. Il s’ensuit une réduction considérable du volume des pièces
confectionnées, autant pour les vêtements féminins que masculins : la confection
qui produisait 20 millions de pièces en 1938, n’en livre plus que 5 800 000
en 1943. Cependant, sous l’effet des mesures corporatistes de Vichy, le nombre
d’adhérents à la Fédération augmente. La profession se tourne vers un marché
porteur, la Suisse, qu’elle tente de ravir aux Allemands. Fédération unique d’une
France coupée en deux, cette institution poursuit vaillamment ses activités :
organiser la répartition du textile, inciter ses adhérents à se regrouper, moraliser
la profession tout en tentant obstinément d’orienter la production vers la
qualité… La qualité, en effet, semble être le seul moyen de sortir la profession
du marasme au lendemain de la guerre.
La qualité semble
être le seul moyen
de sortir la profession
du marasme au lendemain
de la guerre.
18
La Fédération incite ses adhérents à acheter
en commun des matières premières.
1943 Réglementation des appellations
« couture» et « couturière », « Haute Couture »
et « couturier ».
Le statut des maisons de couture en gros est
redéfini. Les conditions d’accès sont
extrêmement sélectives, les entreprises sont
soumises à une appréciation annuelle (concours
supervisé par l’Etat) et leur nombre est limité
à 50.
La Fédération opère le classement de la main
d’œuvre en différentes catégories et définit un
programme-type d’apprentissage.
La confection emploie 25 000 personnes..
1945 Dissolution de la Chambre Syndicale
de Paris.
Dans le marasme de l’immédiat après-guerre,
face au rationnement textile qui se prolonge,
au manque de liquidités, à l’obsolescence
des infrastructures et à la démoralisation
générale, Albert Lempereur estime toujours
que « seuls les produits de haute qualité pourront
s’exporter »... La France a désormais un
concurrent de taille, les Etats-Unis qui se
sont émancipés de la tutelle française pendant
le conflit et ont développé sous l’appellation
« ready-to-wear», une mode simple, pratique,
confortable et qui peut être adoptée par toutes
les femmes.
19
La Fédération
lance le
prêt-à-porter
dans l’immédiat après-guerre, sous la conduite
d'Albert Lempereur, qui, 17 ans durant, assurera
la présidence de la Fédération, la confection
commence sa métamorphose. dès 1946,
l’appellation désuète de «confection pour dames»
disparaît au profit « d’industrie du vêtement
féminin ».
Inspirée par le succès du « ready-to-wear
américain », la confection change non seulement
de nom, mais aussi d’image et de méthodes :
la Fédération orchestre de vastes opérations
de communication, relayées par la presse et la
publicité. Collant à son époque, le prêt-à-porter
français va conquérir un nombre toujours plus
grand de consommatrices de toutes nationalités.
Moderniser la profession : au lendemain de la Seconde Guerre
mondiale, cet objectif apparaît aussi nécessaire qu'inatteignable.
La profession est exsangue. Elle subit de plein fouet la pénurie de matières
premières, le manque de liquidités, la crise sociale, l’emprise de l’état sur
l’économie, qui ne laisse aux entreprises qu’une marge de manoeuvre très restreinte.
Lentement, la situation va pourtant s’améliorer... et la Fédération relèvera le
défi, sans jamais cesser de se débattre avec une fiscalité trop complexe, des
charges sociales estimées trop lourdes, une politique de prix bloqués, et un manque
de crédit aussi bien pour l’investissement que pour la consommation.
Sous l’impulsion de la Fédération et de son infatigable président
Albert Lempereur, les années 1950 seront déterminantes. Modernisation
de la profession et vaste entreprise de promotion auprès des consommatrices
iront de pair: il s’agit de séduire les femmes autant que de les éduquer à de
nouvelles pratiques d'achat ; il convient aussi de capter l’étranger pour
accroître les exportations. En somme, selon le mot d'Albert Lempereur, de «faire
savoir le savoir-faire ».
Dès l'immédiat après-guerre, dans le cadre du Plan Marshall (European
Recovery Program), Albert Lempereur organise plusieurs missions d’études
aux Etats-Unis où triomphe alors le « ready-to-wear ». Séparés d’un Paris
isolé par la guerre, les Américains ont, en effet, développé des modes de
production inédits adaptés à de nouvelles pratiques vestimentaires très
éloignées des traditions françaises. Un style spécifique, adapté à la production
en série5, s’est rapidement développé Outre-Atlantique. Le succès de ce prêtà-porter est incontestable et la mission comprend que le « ready-to-wear »
est à la fois le fruit de l’industrialisation et le résultat d’une remarquable
politique d’information, via la presse, et de communication, via la publicité.
Dès 1953, la Fédération lance ses premières études de marché. Lors de son
Bill Blass, Anne Klein, mais
surtout Claire McCardell sont
5.
tissus “hors de la mode” comme le jean plus
adapté aux besoins de la population.
les pionniers du prêt-à-porter américain.
Claire McCardell notamment, utilisait des
20
21
Marco de rivera
& diane pernet
La Fédération lance le prêt-à-porter
second voyage, en 1955, Albert
Lempereur emmènera donc, outre les
confectionneurs, plusieurs journalistes
et publicitaires, qui vont ainsi se rendre
compte que, toute créative et de qualité
qu'elle soit, la production française ne
pourra se développer sans le relais de
la presse et de la publicité. à l'initiative
de Jean-Claude Weill, autre pionnier
de la modernisation, l'expression prêtà-porter, traduction littérale de
l'américain "ready-to-wear" est alors adoptée... Un changement de vocabulaire
qui se révèle décisif !
Si l'entreprise
s'est métamorphosée,
la psychologie
des chefs d’entreprise
change, elle aussi.
Le passage aux grandes séries représente un important changement
d’échelle dans l’industrie de l’habillement féminin et impose
désormais la nécessité de construire des usines. Et comme il est
impossible de les bâtir à Paris, on commence à décentraliser les unités de
production, initiative encouragée, dès 1956, par le Gouvernement.
Avec le CIM (Comité de Coordination des Industries de la Mode), créé en
1955, la Fédération se dote d’un outil qui lui permet de communiquer des
informations sur les tendances et les aspirations du marché à tous les niveaux
22
© Kris Seraphin-Lange
Si l'entreprise s'est métamorphosée, la psychologie des chefs d’entreprise
change, elle aussi, au cours de cette période fondatrice de l’histoire du prêtà-porter: on prend confiance en soi. Weill est le premier à apposer sur ses vêtements
une griffe à son nom, et à lancer un slogan "Weill vous va" et un logo - une
calèche - imaginés par la toute jeune agence Publicis.
Image réalisée
pour les 80 ans
de la Fédération Marc
Française du
Prêt À Porter Audibet
Féminin
de la filière de production. « Les Françaises consacrent une part infime de leur budget
au renouvellement de leur garde-robe » disait Albert Lempereur, en 19566. « Le
Textile est en crise. Si nous n’en subissons pas les répercussions, c’est que nous avons pris
un marché qui appartenait autrefois à la couture ou à la fabrication familiale. Mais le
problème se trouvait néanmoins posé, d’où l’idée d’un Comité de Liaison dont l’objet serait
de faire une étude permanente du marché et, compte tenu de cette étude, susciter des
besoins grâce auxquels le textile pourra reprendre la place qu’il n’aurait jamais dû
perdre. Susciter les besoins, cela consiste à renouveler plus fréquemment la mode pratique,
à lancer certains coloris ou certains tissus-vedettes, ceci en liaison avec la presse de mode,
sans laquelle rien d’efficace ne pourrait être tenté. L’appui de la Presse nous pouvons le
considérer comme acquis à 95%. »
Marion
Vidal
Image réalisée
pour les 80 ans
de la Fédération
Française du
Prêt À Porter
Féminin
Marc
Audibet
24
Image réalisée
pour les 80 ans
de la Fédération
Française du
Prêt À Porter
Féminin
6.
Archives Fédération
24/01/1956 /Archives Syndicat de Paris,
27/01/1956.
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La Fédération lance le prêt-à-porter
Financièrement soutenue par l’Etat, la communication de la Fédération se
développe sur plusieurs fronts. La collaboration avec les médias, fers de lance
de cette conquête du marché intérieur, croît et embellit. Les conférences de
presse se multiplient devant des journalistes enthousiasmés de ce renouveau.
ELLE, Le Jardin des Modes, Marie-Claire et Marie-France épousent avec joie
la cause du prêt-à-porter et font fleurir ses créations sur leurs pages.
Parallèlement, la Fédération s'adresse à la profession, recrutant de nouveaux
adhérents et suscitant de nouvelles structures pour répondre aux exigences
d'une société de consommation en plein essor.
En juin 1956, le premier Salon national du prêt-à-porter ouvre ses portes
au Théâtre des Ambassadeurs. Avec le concours du CNCE (Centre National
du Commerce Extérieur) la Fédération organise également la Semaine de
l’Exportation.
en 1958, le Salon s'installe au parc des expositions de la porte de
Versailles. Le prêt-à-porter gagne du terrain. Grands couturiers et grands
confectionneurs développent de nouvelles lignes et se regroupent par affinités.
Producteurs de fibres, filateurs, tisseurs, commerçants et fabricants ressentent
le besoin d'une coordination.
dans ses habits neufs de prêt-à-porter, la confection révèle l’image
même de la modernité. On a abandonné les petites séries, trop diversifiées,
au profit de séries plus grandes, composées d’un plus petit nombre de modèles.
On pense à toutes les heures de la journée, à toutes les circonstances de la vie
d’une femme, et surtout, on introduit dans cette production en série une
notion capitale et jusque là réservée à la couture, celle du style.
On pense à toutes les heures de la journée,
toutes les circonstances de la vie d’une femme,
et surtout, on y adjoint lentement mais
sûrement, une notion capitale pour séduire
les consommatrices, celle du style.
très vite, le Salon s'affirme comme l'entité fédératrice des différents
groupes et composantes de la profession. Au moment où s'ouvre le Marché
Commun, Albert Lempereur, toujours précurseur, sent la nécessité de passer
à la dimention internationale et de faire de ce Salon grandissant une entreprise
commerciale. Lorsqu'il quitte la présidence, en 1963, Albert Lempereur laisse
à la Fédération une entreprise en pleine expansion, dotée de 135 adhérents
et d'un Salon international du prêt-à-porter, désormais installé sur 3700 m2
de stands à la Porte de Versailles !
26
27
La Fédération lance le prêt-à-porter
Chronologie
Création du magazine elle, qui
va promouvoir le prêt-à-porter.
1946 La confection pour dame se
métamorphose en « industrie du vêtement
féminin ».
La production textile est paralysée.
Lucien Lelong, président de la Chambre
Syndicale de la Couture, imagine le Petit
Théâtre de la Mode pour promouvoir la
Haute Couture de par le monde.
La marque Réard invente un tout petit
bikini…
1947 Christian dior restaure le
prestige de la couture avec le New Look.
La Haute Couture va continuer à dicter
sa loi pendant les années 1950.
100 confectionneurs participent à la Foire de Lyon.
1948 Dans le cadre du Plan Marshall,
première mission d’étude aux Etats-Unis sous
la conduite du Président Albert Lempereur.
La Fédération organise un grand défilé au
Palais de Chaillot.
Weill griffe ses modèles de son nom.
La Fédération organise des campagnes
de publicité collective.
1949 Mission d’étude de Didier Colette,
Délégué Général, en Suède.
1950 Lempereur, Weill, Timwear, Tricosa,
Blizzand, Rodier, font de la publicité.
1951 L’industrie du vêtement féminin
emploie 65 000 ouvriers.
La Fédération participe à la constitution d’un
Comité interprofessionnel pour l’expansion
1945
28
des produits textiles qui regroupera l’Union
Textile, l’Union de l’Habillement, la Couture,
le Négoce de tissus et la Fédération des
dentelles et de la broderie.
1952 La Fédération organise « l’Exposition
du Prestige français » à la Foire de Lyon et la
« Nuit du Vêtement » au Palais de Chaillot.
« Face à une crise qui est autant d’ordre moral et
psychologique qu’économique, il convient de faire
savoir notre savoir-faire par une propagande collective »,
dit Albert Lempereur.
Brigitte Bardot pose habillée en prêt-à-porter
dans le magazine Elle.
Ghislaine de Polignac entre au service des
Galeries Lafayette. C’est l’une des premières
« stylistes ».
1953 1 ère étude de marché de la
Fédération.
Claude Brouet, au sein du magazine “Elle”,
publie un numéro par saison consacré au
prêt-à-porter.
1954 Gabrielle Chanel ré-ouvre sa maison
de couture avec des petits tailleurs qui seront
universellement imités.
La Fédération du vêtement féminin et la
Fédération du vêtement masculin entament
dans le cadre de discussions sur les Conventions
Collectives Nationales, des pourparlers avec
les syndicats ouvriers.
Albert Lempereur réclame plus de crédit
pour la consommation : « L’achat d’un vêtement
féminin représente une dépense d’un montant analogue
à l’achat d’un appareil de radio, mais il n’y a pas
de crédit possible pour le vêtement féminin . Qu’on
nous aide à vendre plus et alors, nous pourrons
fabriquer mieux et plus ! » (Archives Fédération,
10/11/1954)
1955 2ème mission d’étude aux Etats-Unis
sous la conduite d’Albert Lempereur avec
des confectionneurs, des journalistes et des
publicitaires.
40% des Françaises s’habillent en prêt-àporter contre 95% aux Etats-Unis.
Organisation de la 1ère « semaine d’exportation
du vêtement féminin », dans les salons de
l’hôtel George V.
La Fédération crée le CIM (Comité de
coordination des Industries de la Mode) qui
agit comme un bureau de style au sein de la
filière de production.
Jardin des Modes, grâce à Maïmé Arnodin
consacre une rubrique régulière au prêt-àporter.
Le terme de prêt-à-porter fait encore débat
mais il se répand.
1956 L’Amicale des confectionneurs
organise le 1er Salon du prêt-à-porter féminin
au Théâtre des Ambassadeurs, puis à Réaumur,
avec la participation de 20 fabricants.
Le magazine Vogue consacre un numéro
spécial au prêt-à-porter.
Les magasins Prisunic, guidés par Denise
Fayolle, mettent en vitrine les modèles
reproduits dans le magazine Elle.
Albert Lempereur fait un voyage en Australie.
Il poursuit son voyage en Inde et en Chine
afin d’ouvrir de nouveaux débouchés
commerciaux.
1957 1er Novembre : inauguration du
Salon officiel du prêt-à-porter au Grand
palais.
La Fédération organise une « Semaine du
vêtement féminin » avec la collaboration du
CNCE (Centre National du Commerce
Extérieur) et du Conseil Municipal de Paris;
il ne s’agit plus de se déplacer à l’étranger,
mais d’être subventionné pour faire venir les
acheteurs étrangers à Paris.
L’association des maisons de couture en gros
participe à la Foire de New York sous le label
« Les Trois Hirondelles ».
Naissance de Relations Textiles, premier
cabinet de conseil en style.
1958 Le Salon National du prêt-àporter s’installe au palais des
expositions de la porte de Versailles.
Dans les stands, faisant fi de tous les tabous,
des mannequins de présentation noirs sont
revêtus de modèles de ville et de plage.
Le Printemps se dote d’un bureau de style
dirigé par Jacqueline Bénard.
1959 « Manifeste du 20 janvier 1959 » :
la Fédération met en garde les Pouvoirs
publics contre l’aggravation continue des
charges salariales et fiscales.
Obtention d’un accord sur le statut des
modélistes-cadres.
Le Vichy rose de la robe de mariée de Brigitte
Bardot fait fureur.
1960 Daniel Hechter ouvre sa première
boutique.
1961 Création au sein de la Fédération
d’un groupement de propagande de la Mode
Enfantine, et d’une Commission Nationale
de Propagande.
1962 La Fédération diffuse une plaquette
sur la normalisation des tailles.
29
L’explosion du
prêt-à-porter
Au début des années 1960, la jeunesse née du babyboom déferle sur le marché. C'est une révolution
qui va totalement et définitivement bouleverser
les données de la mode. pour dessiner leurs
collections, les fabricants font désormais appel
à des stylistes. Souvent formés sur le tas,
les tout jeunes stylistes vont inventer la mode
dont tous rêvent ensemble. pour la première fois
de son histoire, la production en série se dote de
son propre style, indépendant et libéré du diktat
de la Haute Couture.
Le renouvellement des tendances de mode
s’accélère, les boutiques se multiplient et le marché
intérieur connaît un essor fulgurant : à la fin des
années 1960, plus de 80% des Françaises s’habilleront
en prêt-à-porter, tandis qu’en moins d’une décennie,
les exportations auront été multipliées par cinq.
C'est une période euphorique pour les entreprises
qui voient leur chiffre d’affaires progresser
d’année en année. Structurellement, une mutation
profonde s’opère dans le système de production :
avant les délocalisations, la décentralisation est à
l’ordre du jour.
30
L’arrivée sur le marché d’un million trois cent mille jeunes filles
modifie considérablement le paysage de la mode. de nouvelles
habitudes de consommation voient le jour, et ce au profit du prêtà-porter. La demande sur le marché intérieur est forte, et jamais encore
elle ne s'est exprimée de cette manière. Une nouvelle image de la femme
s’impose : celle de la jeunesse.
Sous l'égide de la Fédération, les fabricants réagissent et s'adaptent en
engageant de jeunes dessinateurs qui vont donner au prêt-à-porter un style
aux multiples variantes, riche de l'apport de leur fougue, de leur fantaisie,
de leur personnalité. Gérard Pipart,
chez Germaine et Jeanne, puis chez
Chloé, Michèle Rosier chez V de V,
Emmanuelle Khahn chez Cacharel,
Anne-Marie Beretta pour Ramosport,
Elie et Jacqueline Jacobson pour
Dorothée Bis, Christiane Bailly,
Jacques Delahaye, Jean Bouquin,
Chantal Thomass... sont à
l'avant-garde d'une longue liste qui
révolutionne les façons de se vêtir.
une image de la femme
entièrement différente
va s’imposer - c’est celle
de la jeunesse -
Le réseau de distribution suit évidemment cette mutation : comme Dorothée
Bis, les fabricants ouvrent leurs boutiques, et comme Gudule, Eva, La
Gaminerie, Victoire, les premières boutiques multimarques voient le jour à
Paris.
à la fin des années 1960, plus de 80% de la population féminine
française est conquise par le prêt-à-porter !
31
Avec l'éclosion des stylistes, l’hégémonie de la Haute Couture
prend fin. Ce n’est plus elle qui, saison après saison, dicte les tendances,
choisit les matières, les formes, les couleurs et la longueur des ourlets. En
1966, avec l'ouverture de la boutique Saint Laurent Rive Gauche, Yves Saint
Laurent affermit le prêt-à-porter des couturiers. Stylistes et boutiques passent
à l'avant-garde, les lignes de diffusion des couturiers devanceront désormais
la Haute Couture.
de son côté, la Fédération anticipe.
Les années 1960 sont marquées par une mode versatile qui impose des
changements brusques, on passe du long au court, et du court au long. La mode
explose de tous les désirs d'une joyeuse jeunesse souvent capricieuse. Créativité
de la rue et du prêt-à-porter se répondent l'une à l'autre.
Les envies des consommatrices changent de plus en plus vite et la chaîne
professionnelle est parfois désemparée. Face au besoin d'anticipation, le Salon
se fait éclaireur et conseiller.
Multipliant les études de marché et campagnes d’information, la Fédération
suit au plus près les aspirations des consommatrices. Attentive à la circulation
verticale de l’information, elle participe à la création du Bulletin commun des
Industries de l’Habillement.
à l'intérieur, elle adapte ses structures : dès 1964, une politique de gestion
plus collégiale se dessine. Différentes commissions se forment, sériant les
questions d'intérêt majeur sur lesquelles la Fédération se donne pour mission
d’intervenir : Commission des Statuts, Commission économique, Sociale,
de Propagande, du Salon, de la Couture en gros, Commission Technique et
Section Enfants. Les efforts de la Fédération se concentrent sur l’accompagnement
des entreprises dans leurs mutations structurelles, sur le développement des
Heimstone
Image réalisée
pour les 80 ans
de la Fédération
Française du
Prêt À Porter
Féminin
32
33
L’explosion du prêt-à-porter
exportations et cela passe par une meilleure compréhension de ce qu’est la
mode et par une communication devenue indispensable.
De spectaculaires opérations de
promotion du prêt-à-porter sont
organisées lors des salons qui prennent
une envergure sans précédent et attirent
en 1973 plus de 1000 journalistes sur
les 70 000 m2 de la Porte de Versailles.
Londres, New York, Milan se retrouvent
au Salon, où se concentre la
quintessence de cet essor sans précédent.
Après l’Europe, ce sont d’autres marchés
plus éloignés que la Fédération entend conquérir comme les états-Unis, le
Canada ou l’Extrême-Orient, car la préoccupation majeure des années 1970
est la montée en puissance des importations en provenance des pays à bas salaires.
Une seconde génération de stylistes, les « Créateurs de mode », parmi lesquels
figurent Thierry Mugler, Claude Montana, Jean Paul Gaultier, Sonia Rykiel,
Anne-Marie Beretta, Agnès b., Azzedine Alaïa, Elisabeth de Senneville, etc.
choisissent de travailler pour leur propre compte en créant un univers qui leur
ressemble. Tous contribuent à l’atomisation des tendances.
Certains ont alors
pris conscience qu’il fallait
se donner les moyens de
produire dans des «usines».
Cette formidable impulsion, doublée par celle des bureaux de styles inventés
par Maïmé Arnodin, bouscule les modes de fabrication. « Ce fut une évolution
très importante », témoigne Jacques Gromb7 (Claude Havrey), « car jusque-là, à
la différence du prêt-à-porter masculin et du sportswear, le prêt-à-porter féminin était
fabriqué dans des ateliers, souvent en banlieue et à domicile. Certains opérateurs ont alors
pris conscience qu’il fallait se donner les moyens de produire dans des « usines » qui
devaient nécessairement être en province pour des raisons évidentes. On vit donc les
premières usines, dont les pionniers sont Weill, Gérard Pasquier, Weinberg, Claude
Havrey, André Bercher, parmi d’autres. Ce cercle faisait partie des instances fédérales,
au point qu’une question de vocabulaire s’est posée : nous étions qualifiés par la profession
« d’industriels ». Si certains ego étaient flattés, je faisais partie, quant à moi, de ceux qui
voyaient dans ce vocable un signe de relégation : il y avait ceux qui avaient des usines,
et ceux qui avaient du talent ! Le fin du fin, était bien sûr, d’avoir du talent, et en plus
des usines. Cette anecdote illustre bien, selon moi, que ce passage vers l’industrialisation
était autant un phénomène psychologique que factuel ».
Durant les années 1960, l’usine intégrée impose son modèle. La décentralisation,
encouragée par le Gouvernement, voit nombre d’usines fleurir en province,
dotées des derniers perfectionnements technologiques (machines ultramodernes et bientôt, conception et dessin assistés par ordinateur).
Ces usines emploient une main d’œuvre plus qualifiée mais moins nombreuse.
L’effort de formation encouragé par la Fédération se porte d'abord sur les chefs
d’entreprise, sur les cadres et les techniciens supérieurs, tandis qu'en 1968, la
prolongation de la scolarité jusqu’à l'âge de16 ans apporte de nouveaux
problèmes de formation. Le statut et la formation des ouvriers et des employés
sont en outre demeurés longtemps en suspens, entraînant dès la fin des années
1960 un déficit de main d’œuvre qualifiée alors même que la demande
intérieure était au plus haut. Faute de pouvoir recruter, de nombreux
confectionneurs français se sont trouvés ponctuellement dans l’obligation de
faire fabriquer une partie de leur production à l’étranger. Le rythme saisonnier
du prêt-à-porter, deux collections par an, permettant d’envisager de nouvelles
stratégies, les entreprises les plus importantes ont donc commencé à délocaliser
leurs productions dès le début des années 1970. Si le bureau de création
demeure à Paris, la fabrication est effectuée à l’étranger, dans des pays à bas
coûts de main d’œuvre, pendant les six à huit mois qui séparent la présentation
des modèles et leur arrivée en boutique.
Jacques Gromb a été Président
de la Fédération de 1974 à 1976.
7.
34
35
Chronologie
L’explosion du prêt-à-porter
à la tête d’un secteur d’activité extrêmement diversifié, individualiste et
composé majoritairement de petites et moyennes entreprises, la Fédération
tout au long des années 1960 et 1970 continue de prôner l’union et d'affirmer
la présence du prêt-à-porter français aussi bien dans son pays qu’à l’étranger.
Elle se dote d’un formidable outil commercial en centralisant les fichiers de
détaillants, puis ceux de tous les acheteurs français et étrangers et grâce à
cela, opère des relances bi-annuelles. à l’étranger, elle s’assure progressivement
l’appui de bureaux permanents de représentation, notamment aux étatsUnis. L'élargissement progressif du Marché Commun, puis l’apparition sur
le marché mondial des productions à bas prix des pays émergents, bouleversent
la donne du commerce international. Face à cette situation nouvelle, dès la
fin des années 1970, la Fédération ne cesse d’appeler l’attention de ses
adhérents sur la nécessité d’adapter
les entreprises tout en redéployant
le commerce extérieur pour tenter
de le maintenir à un niveau élevé.
La Fédération tout
au long des années 1960
et 1970 continue
de prôner l’union.
36
1963 Le Salon du prêt-à-porter devient
Salon International du prêt-à-porter
135 adhérents sont présents sur 3700 m2 de
stands, 20 maisons britanniques sont dispersées
sur 900 m2 à travers le Salon.
L’idée de la mini-jupe germe chez Jacques
Delahaye.
1964 Modification des statuts de la
Fédération pour assurer une direction plus
collégiale. L’heure est à la décentralisation.
Forte influence des modes anglaises et
notamment des mini-jupes de Mary Quant.
Les ventes de collants décollent.
1965 Mise sur fichier perforé de la liste
des détaillants (30 000 détaillants recensés
sur plaques-adresses).
Création du Bulletin commun des Industries
de l’Habillement.
Françoise Vincent-Ricard inaugure Promostyl.
Immense succès des chemisiers en crêpon
de Cacharel.
Mini-jupes et pantalons d’André Courrèges.
L’émission de télévision DimDamDom de
Daisy de Galard fait la part belle à la mode.
1966 Tendance Masculin-Féminin inspirée
par Françoise Sagan, il se vend en France
plus de pantalons que de jupes.
Ouverture de la boutique Saint Laurent Rive
Gauche.
1967 Création d’un salon de luxe à
l’Hôtel Hilton sous contrôle de la
Fédération.
La Fédération participe à la réforme des
programmes de l’école Supérieure des
Industries du Vêtement, marquant une
orientation plus nette vers la formation des
cadres supérieurs techniques.
Les chemisiers en Liberty de Cacharel,
photographiés par Sarah Moon, ont un
immense succès.
Daniel Hechter fait une collection «maxi» pour
l’hiver 1967/1968.
1968 La Fédération s’installe dans de
nouveaux locaux, 69 rue de Richelieu.
Organisation du « Procès de la Mode » dans
le cadre du Salon des Arts Ménagers devant
800 spectatrices. Importantes retombées dans
la presse.
Prolongement de la scolarité jusqu’à 16 ans.
Dorothé Bis innove et introduit l’audiovisuel
dans sa boutique.
Maïmé Arnodin et Denise Fayolle créent
l’Agence Mafia.
1969 Des antennes de représentation
permanente du Salon sont installées en Suède,
au Danemark, en Allemagne, Grande-Bretagne,
Italie et Espagne ainsi qu’à New York.
Opération « Tiercé du prêt-à-porter ».
Formation d’une presse professionnelle avec
GAP (Groupe Avant-Première) qui regroupe
Elle, Le Jardin des Modes et Mademoiselle
Age Tendre.
Des maxi-manteaux aperçus dans la rue
créent une vague de panique chez les fabricants
de prêt-à-porter. La Fédération fait une
campagne de presse au début de l’année
1970 en faveur de la mode courte.
1970 Début des délocalisations
Interventions de la Fédération à Bruxelles
pour empêcher la libération des importations.
Mise en place avec le CAPCOMA (Centre
de productivité de la Confection Masculine),
37
L’explosion du prêt-à-porter
en échange d’une aide sur la propagande,
de séminaires de perfectionnement à la gestion
pour les chefs d’entreprises et les cadres
administratifs.
Les trois salons sont réunis porte de Versailles
(800 exposants, 15 594 visiteurs en avril, 23
500 en octobre).
Dominique Peclers ouvre son bureau de style,
Peclers Paris.
1971 Accord sur la classification des emplois
(techniciens et agents de maîtrise, ingénieurs
et cadres). La mensualisation, signée le
29/01/1971, « rénove pratiquement entièrement
les statuts des ouvriers de l’habillement ».
La collection « Libération » d’Yves Saint
Laurent est décriée, mais elle ouvre la voie aux
modes « rétro ».
1972 La Fédération crée le French
Apparel Center à New York.
Mise en place d’un organisme permanent
d’étude de marché.
Ouverture d’un bureau à Stockholm,
opérations de promotion au Japon.
1973 une seconde génération de
stylistes, les « Créateurs de mode »,
parmi lesquels figurent thierry Mugler,
Claude Montana, Jean paul Gaultier,
Sonia rykiel, Anne-Marie Beretta,
Agnès b., Azzedine Alaïa, elisabeth de
Senneville, etc. choisissent de travailler
pour leur propre compte en créant un
univers qui leur ressemble.
Tous contribuent à l’atomisation des tendances
de la mode.
Création de la Chambre Syndicale des
Couturiers et Créateurs de mode.
Le Salon du prêt-à-porter s’étend sur
70 000 m2 et accueille plus de 1000 journalistes.
Défilés en France (Lyon, Caen, Epinal, Le
Touquet, Chambéry, Nancy, et au Salon des
Arts Ménagers), présentations à Stockholm,
en Suède et Norvège, à Amsterdam et à
Munich ainsi qu’au Fashion Institute of
Technology et dans un avion «French Fashion
Flight », participation à la French European
Fair de New York.
1974 Présentations en Extrême-Orient et
création d’un bureau permanent à Tokyo,
en collaboration avec la bonneterie.
Développement du sportswear, transformation
du survêtement en jogging
1976 Apparition des punks en Angleterre.
1977 Création d’une antenne de la
Fédération à Londres.
Burfitt
38
Image réalisée
pour les 80 ans
de la Fédération
Française du
Prêt À Porter
Féminin
La Fédération,
la création et la
mondialisation
depuis le début des années 1980, la mode est à la
mode… elle en devient même un phénomène
culturel. Le «total look» triomphe avec exubérance
et euphorie. puis, au cours de la décennie suivante,
la mode s’assagit, elle prend un tour plus
intellectuel. elle se fait minimaliste, discrète et
sophistiquée… La profession s’engage dès 1980
dans un vaste mouvement de restructuration
sous la pression de la concurrence mondiale
et de l’éclatement des phénomènes de mode.
La Fédération, avec le concours des Syndicats
régionaux, contribue à bâtir une stratégie
professionnelle tout en continuant de mener de
spectaculaires opérations de communication.
dans un secteur où règne la profusion, l’information
et la formation constituent des enjeux majeurs.
Le Salon des années 1990 se fera donc décrypteur
de tendances tandis que la Fédération prospectera
toujours plus loin pour trouver de nouveaux marchés…
40
C’est au cours des années 1980 que s’opère le brouillage des codes
dans la mode. La mode affirme et revendique le rôle de phénomène culturel
qu’elle a toujours occupé dans l’histoire de France et symboliquement elle investit
les musées ainsi que la Cour Carrée du Louvre… La Fédération n’est pas en
reste, qui sous l’impulsion de son Président, Daniel Hechter8, organise à deux
reprises deux manifestations monstres, l’une en 1985 qui part de l’Etoile et
se développe avenue Foch, et l’autre, deux ans plus tard, comme une première
mondiale où, sur le Trocadéro, défilent mille mannequins devant des tribunes
de 12 000 spectateurs et 250 000 téléspectateurs ! Haute Couture, prêt-àporter de luxe, prêt-à-porter des créateurs de mode et prêt-à-porter de grande
diffusion offrent au consommateur une image prolixe et kaléidoscopique de
la mode. Toutes les tendances coexistent pacifiquement. Demain se mélange
avec avant-hier et ici se mêle à là-bas. Le postmodernisme règne et la
consommatrice se trouve confrontée à une infinité de choix. à chacun et à
chacune de définir son look !
Assimilés souvent à un seul et même pôle d’activité, le Textile et l’Habillement
sont considérés comme la première industrie française de biens de consommation
par leur chiffre d’affaires et leur volume d’exportation. Mais, si ces deux
industries ont des points communs, leurs différences n’en sont pas moins
fondamentales : d’un côté, l’industrie textile présente des structures capitalistiques;
elle est ouverte sur des marchés à vocation technique et industrielle, mais
elle n’a que peu de contacts avec le consommateur. De l’autre, l’industrie de
l’habillement est essentiellement une activité créative et de main d’œuvre.
En 1985, la Fédération regroupe 20 syndicats régionaux et compte 980
entreprises qui emploient 70 000 salariés, dont 85% de femmes. Contrairement
au Textile, l’Habillement, en contact direct avec les circuits de distribution,
est proche du consommateur.
8.
daniel Hechter a été Président
de la Fédération de 1984 à 1987.
41
La Fédération, la création et la mondialisation
Handicapé par la petitesse de ses entreprises, le prêt-à-porter français contrairement, par exemple, à son homologue allemand qui a une structure
capitalistique plus élevée - est assez lent à envisager la mondialisation de
l’économie. Mais cette mutation
amorcée au cours des années 1970,
s’opère plus largement lors de la
décennie suivante. « Circuit long » et
« circuit court » vont coexister : d’un
côté, on procède à des délocalisations
massives, et de l’autre, on fait appel à
une production de proximité, à l’instar
du modèle développé par le quartier
du Sentier.
D’un côté, on procède à
des délocalisations massives,
et de l’autre, on fait appel
à une production
de proximité.
Ce quartier parisien dont la réputation n’est plus à faire depuis le XVIIIème
siècle, époque où la Compagnie des Indes s’y était installée, a le mérite de
concentrer en un même endroit toutes les composantes de la mode : textiles,
fournitures, savoir-faire, main d’oeuvre spécialisée, etc. Le Sentier, comme ses
équivalents de Marseille, Lyon, New York ou Milan, est donc susceptible de
répondre dans des délais très courts à la demande. En sortant du rôle
traditionnel qui lui était imparti – le réassort – et en misant sur la créativité,
il va offrir au cours des années 1980 des modèles de réussite tout à fait
exemplaires à l’instar de Naf Naf, Kookaï, ou Morgan.
La mutation rapide qui s’opère dans les années 1980 fait apparaître un besoin
urgent de formation car de nouvelles professions se créent, liées à la logistique
(sourcing, dispatching, etc.). La Fédération, qui dès 1970, en échange d’une
aide sur la communication, avait mis en place avec le CAPCOMA (Centre
de Productivité de la Confection Masculine) des séminaires de perfectionnement
Image réalisée
pour les 80 ans
de la Fédération
Française du
Prêt À Porter
Féminin
Seiko taki
42
La Fédération, la création et la mondialisation
à la gestion pour les chefs d’entreprises et les cadres administratifs, entend aller
plus loin encore. Une nouvelle étape va donc être franchie en 1985 avec
l’ouverture de l’Institut Français de la Mode, qui devait, à l’origine, être un
second cycle avec un triple cursus (formation commerciale, formation à la
communication pour des journalistes et des attachés de presse et formation
des créateurs). Poursuivant dans cette voie, la Fédération ouvrira en 1993
Mod’Spé Paris, avec une vocation essentiellement tournée vers l’enseignement
du marketing.
Le secteur de la distribution subit de profondes évolutions au cours
de ces deux décennies avec le développement rapide des chaînes
spécialisées, d’abord nationales puis internationales. à ce phénomène
de concentration de la distribution qui se manifeste partout en Europe s’ajoute
la montée en puissance des importations en provenance des pays émergents
qui ne cesse d’inquiéter. La progression est, en effet, rapide et massive. Aussi
la Fédération multiplie-t-elle les interventions à tous les niveaux pour tenter
de limiter cette libéralisation des échanges.
Les entreprises européennes ont alors des stratégies très différentes comme
en témoigne Jacques Gromb, et les Pouvoirs publics une position encore mal
définie : « J'ai été président de l'Association Européenne des Industries de l'Habillement
à cette époque, et mon rôle était de défendre vis-à-vis de la Commission Européenne les
intérêts d'industriels européens qui produisaient déjà majoritairement en Orient et ailleurs,
à l'exception des pays du Sud - Espagne, Portugal, Italie et France - qui cherchaient à
maintenir chez eux la production. Aujourd’hui, il est clair que le « sourcing » est un des
éléments de la politique de chaque entreprise, sans aucune coloration positive ou négative.
Mais cette évolution fut un long combat et les Pouvoirs publics ont longtemps eu une
attitude ambiguë ». Cependant, le meilleur moyen de défense n’est-il pas l’attaque
? C’est pourquoi, sans cesse, la Fédération prospecte à l’étranger en allant toujours
44
plus loin, à la conquête notamment des marchés asiatiques où elle développe
une politique d’implantation dans les salons, à Pékin, à Taïpei, à Hong Kong
ou à Shanghaï… Construire une politique d’image en la propageant sur les
marchés internationaux constitue donc la meilleure riposte à la mondialisation
et à une concurrence désormais planétaire. La véhiculer par les moyens de
communication les plus modernes et les plus puissants est, selon la Fédération,
la seule stratégie gagnante pour les entreprises.
La Fédération multiplie les
interventions à tous les niveaux
pour tenter de limiter cette
libéralisation des échanges.
45
La Fédération, la création et la mondialisation
Image réalisée
pour les 80 ans
de la Fédération
Française du
Prêt À Porter
Féminin
Chronologie
Octobre, le Président de la
République, Valéry Giscard d’Estaing, déclare
l’Industrie Textile-Habillement comme un
« secteur stratégique et d’avenir ».
Sortie du 1er numéro de Peplos, la revue de
la Fédération Française du Prêt à Porter.
1981 Sous l’impulsion du ministre de la
culture, Jack Lang, la mode se mue en
phénomène culturel.
La Fédération emménage 5 rue Caumartin.
1982 La mode défile dans la Cour Carrée
du Louvre.
1984 La Fédération prend en charge le
déplacement de 263 sociétés vers les différents
marchés du monde.
Succès du «Grand méchant Look de Naf Naf».
Agnès b. impose la notion de « basique ».
développement du streetwear.
Skate, surf, glisse, modes influencées par la
musique, fomentées par les adolescents.
Création du DEFI.
1985 La Fédération regroupe 20 syndicats
régionaux auxquels adhèrent 980 entreprises
qui emploient 70 000 salariés, dont 85% de
femmes.
Organisation de défilés « Nouveaux talents ».
La Fédération organise le 1er Festival
International de la Mode avec un défilé géant
1980
46
qui part de la Place de l’étoile et se déroule
sur toute l’Avenue Foch.
Ouverture de l’Institut Français de la Mode.
Triomphe du « Total Look ».
1986 Création des Oscars de la mode.
Inauguration de la Journée de la
Mode.
La Fédération organise un gigantesque
défilé sur le trocadéro.
1990 Le phénomène grunge prend de
l’ampleur et touche la France.
émergence des jeunes créateurs belges.
1991 La Fédération organise des missions
à Hong Kong, Taipeh et Kobe.
1992 Mise en place de L’Observatoire de
la Mode qui rend compte tous les 15 jours des
meilleures ventes.
1993 Le Salon International du Prêt à
Porter s’intitule désormais Prêt à Porter
Paris®.
Création du Carrousel de la Mode avec la
Fédération Française de la Couture.
La Fédération participe au 1er Salon
International de l’Habillement à Pékin.
Ouverture de Mod’Spé.
1994 La Fédération s’associe à la Chambre
Syndicale de Paris dans la lutte contre le
travail clandestin.
1987
PROFEM publie Mode France, une revue
de 70 pages regroupant plus de 200
marques pour promouvoir à l’étranger la
créativité française.
La Fédération est présente à la « Sanghaï
International Fashion Fair ».
Prêt à Porter Paris® se déplace en Asie avec
le « Hong Kong Paris Pret ».
Un chic, minimaliste et classique s’impose
mondialement.
1995 La Fédération représente 3 000
entreprises qui emploient 47 000 salariés.
Le Salon Prêt à Porter Paris® regroupe 1200
marques et attire 50 000 visiteurs français et
étrangers ainsi que 1000 journalistes du
monde entier.
Participation à « Hong Kong Paris Pret » et
« Chic’95 » à Pékin.
1996 Opération «Belles, Belles, Belles», tour
de France lancé dans les Salons de l’Hôtel
de Ville de Paris.
Modification du régime des soldes par la loi
du 5 juillet 1996.
1997 Ouverture d’un espace dédié aux
jeunes talents sur le Salon Prêt à Porter
Paris®.
1998 Crise des marchés asiatiques.
47
Les nouveaux
défiset lesnouvelles
créativités
depuis 80 ans, à l’écoute d’une profession qui n’a
cessé de se métamorphoser, la Fédération incite
ses marques adhérentes à développer toujours
plus de qualité et de créativité pour répondre aux
attentes des consommateurs.
La mode change sans cesse. C’est son essence
même. Au-delà des défis de la création,
de l’innovation, de l’image et du rêve, elle ajoute
la question de la mondialisation, de l’éthique,
de la concurrence des autres univers de consommation.
Sans cesse, elle doit susciter le désir, surprendre le
consommateur et lui donner envie. C’est pourquoi
sans déroger à ses missions traditionnelles
– la défense des intérêts professionnels,
la représentation des marques et leur promotion
à l’étranger – mais en modernisant toutes ses
approches, la Fédération d’un prêt-à-porter
féminin qui est désormais leader d’opinion
entend, plus que jamais, faire entrer l’imagination
au service de la profession.
48
Élu en 2000 à la présidence de la Fédération, Jean-pierre Mocho,
homme de mode, entreprend un profond changement face aux
enjeux créatifs et économiques, aux évolutions de la société de
consommation. Les mouvements de mode s’accélèrent. Ce rythme impose
des actions nouvelles, des missions à inventer, des combats à défendre. Les priorités
de la Fédération se radicalisent autour de l’international et aussi de la
formation, de la création et de la sauvegarde d’un savoir faire français. Opter
pour la performance, c’est retrouver l’excellence tant dans la gestion de
l’entreprise que dans l’anticipation de la demande du consommateur. La
création est un des axes majeurs, elle
doit être émettrice de sens et pour cela,
être au cœur des préoccupations. Sans
oublier la notion de « prix juste », ou
comment expliquer au consommateur
que le prix proposé est calculé de
manière juste et équitable, après des
années de perte de repères face à des
réductions. Autrement dit, «il est essentiel
de mener une campagne sur la vérité du
prix » affirme Jean-Pierre Mocho.
La création est un des axes
majeurs, elle doit être
émettrice de sens
et pour cela, être au cœur
des préoccupations.
La mondialisation a conduit à une homogénéisation des productions.
D’où qu’elles proviennent actuellement, elles sont susceptibles d’atteindre,
notamment dans le montage et les finitions, un bon niveau. Partant du
principe qu’aujourd’hui la qualité d’un vêtement peut donc être irréprochable
où qu’il soit fabriqué, c’est sur le patronage, sur le modélisme et la logistique,
qu’il convient de concentrer les efforts. Et comme une Japonaise ne ressemble
pas à une Néerlandaise, il faut à l’évidence adapter les collections aux
morphologies des clientes. Mais le principe est également valable sur le
49
Les nouveaux défis et les nouvelles créativités
marché français. L’enquête nationale de mensuration, révélée sur le salon
Prêt à Porter Paris® en 2006, apporte des éléments tangibles qui permettent
de s’approcher de la perfection d’un vêtement fait sur-mesure, de mieux
cibler les collections, de les adapter, par exemple aux spécificités régionales,
et/ou aux segments d’âges. Ce sont des éléments techniques, certes, mais ils
sont essentiels !
la Fédération a développé
depuis 2003 le service «jeune
création et entreprise » qui
s’est donné pour mission
d’accompagner ces jeunes
entrepreneurs de mode
La formation et l’information
sont, depuis 1929, au cœur des
préoccupations de la Fédération
qui est désormais reconnue
comme un expert sectoriel. Si la
création de Mod’Spé Paris répond,
depuis 1993, au besoin de formation
en marketing, une autre page, plus
culturelle, car pas de mode sans culture,
s’est ouverte avec la création en
2007/2008 d’une chaire d’histoire de
la Mode et du Costume au sein de la
prestigieuse école du Louvre. Mais la formation ne suffit pas à façonner les
jeunes talents. Pour les aider, la Fédération a développé depuis 2003 le service
« jeune création et entreprise » qui s’est donné pour mission d’accompagner
ces jeunes entrepreneurs de mode dans l’élaboration de leur business plan,
dans leurs démarches administratives ainsi que dans la présentation de leurs
collections en France et à l’étranger. L’inauguration de la Rue des Gardes à
Paris, un espace dédié aux jeunes talents pour faire émerger de nouvelles
entreprises de mode, a été suivie par d’autres dans les grandes métropoles
régionales : Lyon, Marseille, Lille, Roubaix et Nantes. Les nombreux prix qui
leur ont été décernés et la médiatisation qui a été faite autour de ces jeunes
Image réalisée
pour les 80 ans
de la Fédération
Française du
Prêt À Porter
Féminin
50
Servane
Gaxotte
51
Les nouveaux défis et les nouvelles créativités
créateurs9, témoignent de ces aides. Et si une convention avec la Ville de
Paris, le Syndicat de Paris de la Mode Féminine et la FFPAPF a été signée
en faveur de la jeune création en 2004, suite à l’application de la décision
votée au Conseil de Paris, précisément parce que “la créativité des jeunes et leur
faculté d’innovation est fondamentale pour le prêt-à-porter d’aujourd’hui et qu’elle est
déterminante pour celui de demain.” Jean-Pierre Mocho, Président de la Fédération
Française du Prêt à Porter Féminin.
Sous l’impulsion et la volonté de Jean-pierre Mocho, homme de
tous les combats, la Fédération anticipe, construit de nouveaux supports
de promotion et de soutien pour les marques en créant le prix Elan de Mode
qui récompense chaque année plusieurs entreprises françaises s’inscrivant
dans une thématique portée par la Fédération Française du Prêt à Porter
Féminin. Deux ans avant le discours de l’Union pour la Méditerranée
prononcé par le Président de la République, Nicolas Sarkozy, la Fédération
s’est ainsi ouverte sur l’Euroméditerranée en soutenant dès 2005 la création
de la Cité Euroméditerranéenne de la Mode. Des collaborations propices à
créer une dynamique avec les Fédérations du Maroc, de la Tunisie, du Liban,
de la Turquie, de l’Italie, de l’Espagne et du Portugal. Outre le développement
d’échanges commerciaux et celui d’une production de proximité entre
créateurs et industriels des deux rives, ce rapprochement aura permis de
faciliter, par exemple, les échanges dans le domaine des formations qualifiantes
avec Mod’Spé Paris par exemple. Et c’est toujours dans la perspective internationale
que Jean-Pierre Mocho a participé en 2006 à un voyage présidentiel en
Thaïlande. Pour la première fois, la mode était invitée comme les autres grands
secteurs économiques. D’autres actions fortes sont construites : THE TRAIN,
salon des marques créatives européennes et américaines à New York dans un
lieu d’avant-garde The Terminal Store, LIVINGROOM à Tokyo, des missions
pédagogiques ou économiques dans le monde entier, de la Chine à Moscou,
9.
patrick demarchelier
a photographié les créations des cinq
lauréats dans le cadre de la convention jeune
création FFPAPF / Ville
52
La créativité des jeunes
et leur faculté d’innovation
est fondamentale pour
le prêt-à-porter d’aujourd’hui
et elle est déterminante pour
celui de demain.
en passant par la Corée ou le Brésil. Des accords cadre – MoU – sont signés
avec le Pérou, le Pakistan, la Bulgarie, la Thaïlande, l’Egypte pour faciliter les
échanges. Parallèlement à ces actions d’envergure, le savoir-faire français se
fonde toujours sur une idée de fabriquant et se dote d’une plateforme virtuelle
des façonniers. La Fédération crée un nouveau service pour mettre en lien au
nom de l’UFIH les donneurs d’ordre et les faiseurs français.
de nouvelles tendances dans la consommation ont été décryptées
par la Fédération avec une mise en avant de marques et de conférences sur
le salon Prêt à Porter Paris®. Il s’agit, d’une part, du “Slowear”, autrement
dit d’achats de qualité, réfléchis dans une optique citoyenne et d’autre part,
de la « Fast Fashion », des achats « coup de coeur », pas forcément raisonnables
de Paris et a intégré ces photographies au
sein de l’exposition monographique qui lui
était consacrée en 2008 au Petit Palais.
53
Les nouveaux défis et les nouvelles créativités
ni raisonnés, considérées comme des accessoires de mode. « Slowear » et
« Fast Fashion » sont désormais les rythmes auxquels la mode est soumise, l’un
est fondé sur la durée, l’autre sur la nouveauté. Mais ce sont deux rythmes
parfaitement complémentaires, et il importe que le prêt-à-porter suive le
tempo ! « D’une économie fondée sur la production industrielle, la mode est
passée à une « économie de consommation » estime Jean-Pierre Mocho.
Jadis dominé par le règne du luxe, le prêt-à-porter s’en est aujourd’hui
émancipé. Il est désormais leader d’opinion. Et la FFPAPF de s’interroger sur
l’érosion actuelle du grand luxe et donc sur son inéluctable démocratisation…
L’humain, l’humanitaire,
la solidarité, le partage,
les actions caritatives,
participent aujourd’hui,
à l’évidence, des
préoccupations des femmes.
à cette mode à plusieurs vitesses
s’ajoute désormais le souci de la
provenance, le besoin d’avoir, comme
dans l’alimentaire, une « traçabilité »
des articles de mode. C’est un courant
«éthique» qui monte en puissance, qui
préfère les matériaux bio ou recyclés
et, surtout, qui accorde une importance
grandissante au commerce équitable.
Il faut penser en termes d’écoconception. S’entourant d’experts, la
Fédération veut diffuser cette nouvelle
façon de créer, de produire. à travers les ATELIERS CAUMARTIN,
rencontres de travail pour les marques, et aussi par le lancement de SO
ETHIC10 sur Prêt à Porter Paris®. La Fédération est une des pionnières du
« combat » éthique. L’humain, l’humanitaire, la solidarité, le partage, les
actions caritatives sont aussi des préoccupations des femmes. Or, la Fédération
est précisément celle du prêt-à-porter féminin, qui pense aux femmes d’abord.
Elle « part » des femmes et a la même « philosophie ». C’est pourquoi, la
Image réalisée
pour les 80 ans
de la Fédération
Française du
Prêt À Porter
Féminin
La Fédération a mis en place une
équipe permanente pour répondre à cette
demande et a inauguré un espace appelé
« So Ethic » à PRêT à PORTER PARIS®
en 2006.
10.
popy
Moreni
54
© François Lesage
Fédération a un croissant souci d’engagement et soutient la Maison de
Solenn11, créée à l’initiative de Madame Bernadette Chirac au travers de la
création d’un espace mode. Celui-ci accompagne les adolescents hospitalisés
pour des pathologies liées aux troubles du comportement alimentaire.
Le prix d’un vêtement a toujours été un élément clé de la compétitivité. Il le
demeure, bien sûr, a fortiori en période de crise. Mais d’autres éléments
s’ajoutent qui finiront par être déterminants dans la décision d’achat : le
respect de l’environnement, de l’éthique, et le fait, a priori paradoxal pour un
produit de mode, qu’il puisse contribuer à une consommation responsable et
au développement durable. La consommatrice est surinformée. Elle est
cultivée. Elle est intelligente. Elle est exigeante. Communication et services
importent donc au plus haut point. Le vêtement qui la séduira, en plus d’être
parfait, devra avoir un sens, une histoire, une valeur ajoutée. Car la
consommatrice réclame aussi du rêve. Au prêt-à-porter d’avoir de l’imagination.
Catherine örmen
11.
Image réalisée
pour les 80 ans
de la Fédération
Française du
Prêt À Porter
Féminin
François
Lesage
Le prix « elan de Mode »,
initié par Jean-Pierre Mocho et qui récompense
les chefs d’entreprise qui soutiennent les
thématiques développées par la Fédération,
a été remis en 2006 aux entreprises qui ont
procuré des vestiaires complets à cette
institution médicale.
57
Les nouveaux défis et les nouvelles créativités
Chronologie
2000 Apparition
des marques dites
«créatives»: Maje, Sandro, American Retro…
2000 Election de Jean-Pierre Mocho à la
présidence de la Fédération
2001 Inauguration de la Rue des Gardes.
2003 Création du prix Elan de Mode
La Fédération participe au Sidaction. Signature
d’une Convention Jeune Création avec la
Mairie de Paris et le Syndicat de Paris de la
Mode Féminine.
Election de Jean-Pierre Mocho à la présidence
de Paris Capitale de la Création jusqu’en
2008.
2004 Exposition “Air de Paris” pour Paris
Capitale de la Création avec des artistes
reconnus :
Michel Gaubert, Matali Crasset, Christophe
Luxureau, Florence Deygas et Olivier
Huntzel…
Installation au sein de la Maison de Solenn,
d’une vétothèque pour adolescents.
Lancement de «The Train » à New York.
2005 Coprésidence de la Cité
Euroméditerranéenne de la Mode.
Mise en place de la Plateforme des Façonniers.
Lancement de « Livingroom » à Tokyo.
58
100ème édition du Salon PRET à PORTER
PARIS® dans le cadre de Paris Capitale de
la Création. Conventions de partenariat
passées avec le Maroc, le Pakistan et les EtatsUnis. La Fédération s’élargit à
l’Euroméditerranée.
2005 et 2008 Election et Réélection de
Jean-Pierre Mocho à la Présidence de l’Ufih.
2006 Publication des résultats de la
campagne nationale de mensurations avec
l’IFTH. Création de So Ethic : univers dédié
à la mode éthique à PRET à PORTER
PARIS®.
2007 Transversalité de la mode en
résonnance avec les autres univers créatifs.
PRET A PORTER PARIS® crée le Parcours
mode-arts-culture.
Création de la Chaire d’Histoire de la Mode
et du Costume au sein de l’Ecole du Louvre.
2008 Partenariat avec Alta Roma à
l’occasion du 50ème anniversaire du jumelage
exclusif entre Paris et Rome.
2009 Fast Fashion and Slowear : deux
mouvements de mode complémentaires
décryptés par PRET à PORTER PARIS®.
Image réalisée
pour les 80 ans
de la Fédération
Française du
Prêt À Porter
Féminin
Antik
Batik
Témoignages - “Envie de mode et mode en vie...”
Témoignages
“Envie de mode
et mode en vie...”
Maryline BELLIEuD-VIgouroux ,
Présidente de l'Institut Mode Méditerranée :
Quels sont, selon vous, les hauts faits et les figures marquantes
du prêt-à-porter ?
Les années 1980 où les nouveaux créateurs ont apporté aux côtés
de la Couture un souffle nouveau dans lequel ils ont associé toutes
les formes d'Arts : "Cinéma, Musique, Peinture…" Cette association
a donné naissance à un courant de mode qui s'est imposé, faisant de la
France et de Paris tout particulièrement, la capitale internationale de
la Mode. Le créateur le plus marquant est à mes yeux Azzedine Alaïa,
il apporte sans cesse une modernité dans la mode, je suis sensible à ces
origines méditerranéennes. Son approche du vêtement donne au corps
des femmes une élégance intemporelle, que seuls les grands plasticiens
arrivent à maîtriser. Par ailleurs sa culture de l'histoire de la mode est
impressionnante. J'ajoute Yves Saint Laurent et Christian Lacroix dont
leur Haute Couture nous est enviée dans le monde entier.
Que pensez-vous du foisonnement de marques créatives que l’on
observe aujourd’hui dans le prêt-à-porter ?
Elles m'enchantent par le dynamisme des stylistes et des chefs
d'entreprises qui sont au coeur de ces marques dont chacune, malgré
la grande diversité, arrivent à ses propres codes, à un environnement
artistique personnel.
60
Qu’imaginez-vous, quelle est votre vision du prêt-à-porter de demain ?
Le prêt-à-porter après avoir été boudé revient en force, c'est une
grande satisfaction car cette reconnaissance vient avant tout du grand
public qui le consomme, ce prêt-à-porter, donnant envie à nouveau à
la presse française et internationale de le mettre à l'honneur dans les
pages de ses magazines. Dernièrement il y avait sur la couverture d'un
grand titre féminin Charlotte Gainsbourg, habillée en Balenciaga avec
un tee-shirt American Vintage, une grande griffe marseillaise.
Jean BouQuIN,
Artiste, couturier révolutionnaire !
De 1952 à 1971, durant 20 ans, Jean Bouquin a, selon ses propres mots, “habillé de jolies
femmes avec de jolis tissus”. Proche du dandysme, ses créations sont profondément marquées
par son style, à la fois poétique et provocant, et son audace subversive.
Il est l'un des premiers à avoir adapté à la mode féminine les techniques de coupe masculine.
Quels sont, selon vous, les hauts faits et les figures marquantes du
prêt-à-porter ?
Poiret, Dior, Chanel, les couturiers qui ont précédé le prêt-à-porter
et libéré la femme ont ouvert la voie dans laquelle la confection a su
s'engouffrer après la guerre, en comprenant que l'on ne pouvait plus
habiller les femmes et les hommes comme avant, parce qu'ils n'étaient
plus les mêmes. Ce sont les grands événements historiques et sociaux
qui font évoluer les comportements vestimentaires et l'explosion
de liberté qui a marqué les années 1950 à 1970, le besoin de diversité,
de fantaisie, de couleur a aussi été une réponse de la rue aux
totalitarismes, aux autoritarismes.
Les fabricants de tissus, à qui l'on ne rend pas assez souvent hommage,
ont grandement participé au phénomène, ils ont innové, cherché,
détourné… rendu possible la diversité… Je pense à Boussac qui a,
notamment, teint et recyclé les énormes stocks de coton fin destiné aux
parachutes pour les utiliser à la fabrication de chemises ou de robe d'été !
Ma spécialité était le vêtement masculin et, il y avait tout à faire pour
les hommes. Passionné de tissus, j'ai racheté, entre autres, les stocks des
61
Témoignages - “Envie de mode et mode en vie...”
soyeux lyonnais, redécouvert des matières oubliées et nobles, comme
le seersucker, le madras, le batik, les indiennes et le patchwork…
Je voulais donner aux hommes les moyens de s'individualiser,
de sortir du troupeau, au lieu de porter tous le même costume,
le même uniforme, qu'ils se déguisent chacun à leur guise ! J'ai créé
mes propres boutiques en marge du système, autour du théâtre
et des Idoles de Marc 'O qui sont devenus l'emblème de cette époque
de gaieté et d'irrévérence… Les femmes se sont jetées sur cette mode
homme et ses matières douces et cela a en retour simplifié la mode
féminine, mais aussi favorisé l'apparition d'une mode indifférenciée,
androgyne, ridiculement baptisée "unisexe", comme si cela existait
autrement que dans une anormalité anatomique !
Aujourd'hui, paradoxalement, le prêt-à-porter assure la survie de la
Haute Couture : alors que les grands couturiers sont devenus de bons
confectionneurs puis ont disparu, leurs noms devenant des marques,
dont les collections sont dessinées par des stylistes successifs, quelques
grands noms, (tel Jean Paul Gaultier), sortis des rangs du prêt-à-porter
se sont lancés dans la Haute Couture, ultime référence de la pièce unique!
Que pensez-vous du foisonnement de marques créatives
que l’on observe aujourd’hui dans le prêt-à-porter ?
Il y a certes, pléthore de marques mais pas de création ! La mode
s'est unifiée. Obsédés par la "tendance", fabricants et bureaux de style
passent leur temps à se copier l'un l'autre, le monde entier
est uniformisé par les mêmes boutiques qui se répètent de quartier
en quartier… et si la rue est envahie de marques, on ne reconnaît
pourtant plus la marque d'un couturier au sens de son empreinte,
on ne peut plus identifier un vêtement !
Qu’imaginez-vous, quelle est votre vision du prêt-à-porter de demain ?
Pour le moment, la mode regarde dans le rétroviseur…
à quand le retour généralisé du corset ? Actuellement, les vêtements
signés sont chers mais gratuits, c'est-à-dire : vide de sens, inadaptés
aux réels besoins de nos sociétés.
Je sens que la crise peut être salutaire, provoquer un sursaut,
62
faire souffler un nouveau vent de liberté, nous ramener à une mode
plus réaliste, plus contemporaine, à la fois pratique et ludique,
écologique, confortable, à une plus grande égalisation des prix.
N'oublions pas que le vêtement est une seconde peau et répond à des
besoins. Les besoins de la société modifiée qui va sortir de la crise
sauront sans doute se faire sentir ! J'espère en outre que cette nouvelle
société saura revenir à l'expression des personnalités comme à
l'affirmation d'une différence de genre entre les hommes et les femmes,
qui seule crée l'espace nécessaire au jeu de l'attraction, de la séduction
et de la pulsion de plaire afin de mieux séduire.
Jean BouSQuET,
Président-Fondateur de Cacharel
Quels sont, selon vous, les hauts faits et les figures marquantes du
prêt-à-porter ?
Cacharel est né en 1958, au début de la grande aventure du prêt-àporter et le regard que je porte sur cette histoire s'inscrit dans la durée.
C'était une époque fantastique, tout a bougé en même temps,
la musique avec les Beatles, le cinéma avec la Nouvelle Vague
en France, Jean-Paul Belmondo et Brigitte Bardot, la peinture
avec le Pop Art, l'architecture, le design, le sport…
et la Haute Couture a suivi, rajeunie par Yves Saint-Laurent…
Le prêt-à-porter français a vite pris une dimension mondiale,
les acheteurs du monde entier venaient à Paris acheter des collections
dessinées par des stylistes comme Emmanuelle Khanh, formées sur
le tas, propulsées par l'énergie de leur jeunesse, qui inventaient la mode
qu'elles voulaient porter et qui n'existait nulle part, soutenues
par des journalistes comme Hélène Lazareff ou Daisy de Galard.
Cette formidable impulsion, doublée par celle des bureaux de styles,
inventés par Maïmé Arnodin, a bousculé les grandes industries du
Nord, des Vosges et a su durablement s'installer et prospérer : notre
prêt-à-porter résiste encore aujourd'hui à la concurrence étrangère qui
s'est précisément développée à partir du boom français.
63
Témoignages - “Envie de mode et mode en vie...”
Que pensez-vous du foisonnement de marques créatives que l’on
observe aujourd’hui dans le prêt-à-porter ?
La fin des années 1990 a vu le regroupement des maisons de Haute
Couture qui ont conquis d'importantes parts du marché mondial et
investi dans la distribution et la communication. Les deuxièmes lignes
créées par ces maisons concurrencent directement le prêt-à-porter,
concurrence "par le haut" à laquelle s'ajoute une concurrence "par
le bas" venue de la grande distribution, des grands groupes étrangers,
eux aussi implantés mondialement. Malgré une créativité toujours
vivante, ces deux grandes poussées bousculent le prêt-à-porter qui
n'occupe plus une place aussi nette, qui semble hésiter et a du
mal à s'orienter, aimanté soit vers le haut, soit vers le bas. Pour le
prêt-à-porter au sens traditionnel, ce foisonnement représente un défi.
Qu’imaginez-vous, quelle est votre vision du prêt-à-porter de demain ?
Le défi auquel doit faire face le prêt-à-porter français est accentué par
la crise… mais celle-ci devient à son tour sa plus belle opportunité de
renouvellement, car elle va inévitablement obliger tous ses acteurs à se
remettre en question.
En effet, comme tout évènement historique ou économique
d'importance, la crise va modifier nos modes de vie et donc nos modes
d'habillement. L'attente du public - la demande du consommateur vont évoluer… Et les très grands changements que va entraîner la
crise vont libérer les forces créatives qui apporteront la juste réponse
aux nouvelles exigences sociales, aux nouvelles attitudes
comportementales. Je ne suis pas pessimiste, car, avec ses particularités,
ce moment me rappelle irrésistiblement le début des années 1960 :
aujourd'hui, comme à ce moment-là, il s'agit de tout réinventer.
64
Claude BrouET,
Claude Brouet a traversé un demi-siècle de mode :
En 1953 elle entre au magazine "Elle" où elle inaugure une rubrique consacrée au prêt-à-porter. Alors dirigé
par Hélène Lazareff, "Elle", leader des magazines de mode apporte pleinement son soutien à cette mode qui
"descend dans la rue". De 1971 à 1988, elle a été la rédactrice en chef Mode & Beauté du magazine
“Marie-Claire”. Enfin, de 1988 à 1997, Claude Brouet a été directrice de collection chez Hermès.
Quels sont, selon vous, les hauts faits et les figures marquantes du
prêt-à-porter ?
J'ai débuté dans le journalisme de mode au moment même où, au
début des années 1950, le prêt-à-porter commençait à se développer,
en même temps que plusieurs fabricants affirmaient une volonté de
visibilité et de communication. Jusque-là les journaux ne parlaient que
des grands couturiers et des boutiques de luxe. Et la confection n'était
rien d'autre que le reflet de la mode créée par la haute couture six
mois plutôt. Lorsque les confectionneurs ont décidé d'assumer leur
différence et d'engager des stylistes, - dont le premier fut Gérard
Pipart, qui fit merveille chez Chloé - les choses ont commencé à
changer; pour les journalistes, ce tournant décisif de la mode était
enthousiasmant et, à ELLE, où je venais de rentrer, j'ai demandé à
m'occuper de la rubrique prêt-à-porter. Ensuite, ce fut une véritable
éclosion de talents, Emmanuelle Khahn chez Cacharel, créant une
mode résolument tournée vers la jeunesse, Michèle Rosier chez V.de
V., Christiane Bailly, Jacques Delahaye pour citer les plus importants
s'engouffrèrent dans le sillage de Gérard Pipart et inventèrent une
mode à la fois, moderne et gaie, oublieuse des conventions BCBG et
enfin adaptée à la vie active… un vent frais et joyeux rafraîchissait la
profession. Emmanuelle Khahn pour Cacharel a ainsi complètement
féminisé et adapté à l'esprit français le sportswear américain. Je me
souviens d'une silhouette marquante imaginée par Emmanuelle et
parue en couverture de ELLE : un bermuda blanc et un polo rouge vif
au col "hirondelle" blanc, qui fit un tabac ! Si on la regarde
aujourd'hui, on s'aperçoit qu'elle n'a pas pris une ride…
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Témoignages - “Envie de mode et mode en vie...”
Que pensez-vous du foisonnement de marques créatives que l’on
observe aujourd’hui dans le prêt-à-porter ?
Je me demande qui est si créatif que ça aujourd'hui ?... Il ne s'agit plus
que de marketing et de caisse enregistreuse !
Comment parler de créativité alors même que l'on ne prend plus
aucun risque: plutôt que d'aider de jeunes stylistes à ouvrir une maison
à leur nom, on les engage au service de vieux noms que l'on déterre
pour en faire des "marques", puis on les jette après les avoir pressés
comme des citrons !
Et lorsqu'un indépendant sort du lot et réussit à monter une petite
maison et à se faire un nom, il est vite racheté pour devenir une
"marque", dont il se retrouve le plus souvent très rapidement éjecté,
perdant même parfois le droit d'utiliser ailleurs son propre nom ! On
ne mise plus sur des talents, on ne pense qu'au chiffre, au commercial,
un vrai cauchemar !
Heureusement, quelques-unes, comme Vanessa Bruno ou Isabel
Marant, tiennent bon et tentent de se frayer leur chemin en restant
indépendantes.
Qu’imaginez-vous, quelle est votre vision du prêt-à-porter de demain ?
L'un des pires aspects de la mondialisation est à mon sens, l'uniformité
culturelle. Faire abstraction de l'originalité de sa culture, du climat, du
teint, des cheveux, de tout ce qui différencie les êtres humains et fait la
richesse de l'humanité pour devenir des femmes-sandwiches, porteuses
de logos et toutes habillées pareilles, me donne envie de pleurer…
Que peut-on imaginer au milieu d'un tel manque d'imagination ?
La mode en elle-même est actuellement encombrée de vieilleries, de
chichis, elle tourne le dos à l'avenir. Les vêtements évolueront
forcément, en fonction de la technique, des nouvelles matières et des
nouvelles façons de les assembler, et il y aura toujours des gens
talentueux pour marcher avec leur temps !
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Françoise CHASSAgNAC,
La Dame des Victoires
Elle a fait la renommée de Victoire et Victoire l’a rendue célèbre. Qui ne connaît pas Françoise
Chassagnac, cette infatigable découvreuse de talents qui la première a cru aux grands
créateurs de prêt-à-porter et leur a offert une boutique comme rampe de lancement.
Aujourd’hui, Françoise Chassagnac est consultante dans l’univers de la mode.
Quels sont, selon vous, les hauts faits et les figures marquantes du
prêt-à-porter ?
Entrer dans une boutique, essayer un vêtement et ressortir avec :
l’arrivée du prêt-à-porter a été pour moi comme un rêve qui se
réalisait ! Cela comblait mon impatience de mode… Fini les visites
chez la petite couturière et l’attente d’un vêtement dont on n’avait
parfois plus envie lorsqu’il arrivait.
En 1966, l’ouverture de la boutique Saint-Laurent Rive Gauche fut
tout simplement grisante… Imaginez ! La première maison de couture
à s’ouvrir « à la rue », à apporter la qualité et le prestige du sur-mesure
au prêt-à-porter. Encore un rêve qui se concrétisait. à l’autre extrême
et pour un plus grand nombre, l’introduction du style dans le vêtement
de grande surface avec Maimé Arnodin pour Prisunic représentait la
même révolution.
Car les tout débuts du prêt-à-porter, dans les années 1950, ne s’étaient
pas tout de suite accompagnés d’une révolution dans la façon de
s’habiller ; cela restait très conventionnel, en automne, on adoptait du
vert ou du marron et à Pâques on s’offrait régulièrement un nouveau
petit tailleur marine, signe que l’on attaquait une nouvelle saison. La
vraie révolution du prêt-à-porter est venue avec les stylistes, les
créateurs, qui ont bousculé toutes les conventions et fait comprendre
aux femmes qu’elles pouvaient elles-mêmes se créer
leur propre style en accord avec leur personnalité. Je pense à
Christiane Bailly, à Michèle Rosier chez V qui, les premières, ont
détourné les vêtements « techniques », jusque-là réservés aux sports, au
travail, ou à certains climats pour les faire passer à la ville… Ainsi des
premières parkas, blousons, combinaisons-pantalons… Au même
67
Témoignages - “Envie de mode et mode en vie...”
moment, Anne-Marie Beretta pour Ramosport, choisissait, elle,
d’apporter à l’imperméable, sempiternellement identique à lui-même,
tous les raffinements d’un vrai vêtement.
L’apparition des « petites boutiques », Eva et Gudule, pour ne citer que
les plus connues, a renforcé ce mouvement libérateur : les femmes
y ont découvert le plaisir d’assortir à leur guise différentes pièces pour
se fabriquer leur propre tenue.
Dorothée Bis et la merveilleuse Lil, grande styliste de maille,
ont totalement renouvelé le rapport des femmes aux vêtements
de laine, en associant confort, modernité et fantaisie.
Cacharel s’est lui adressé aux jeunes filles, aux adolescentes et a ouvert
la porte à un romantisme moderne, à la fois pratique et poétique.
Au milieu des années 1970, Tan Giudicelli est, dans sa boutique
de la rue de Tournon, le premier à sortir les robes du soir et de cocktail
du Pré Carré de la Haute Couture et à amener au prêt-à-porter des
petites mains aux doigts de fée et des artisans, tel le brodeur Lesage.
Que pensez-vous du foisonnement de marques créatives que l’on
observe aujourd’hui dans le prêt-à-porter ?
C’est un rêve ! Ce foisonnement correspond aussi à la passion que
déclenche ce métier chez de tous jeunes gens et à la multiplication
des écoles de style, dont je suis très proche. Plus que de succès
financier, ces jeunes ont soif de créativité, de réussite professionnelle,
fondée sur le talent et le travail. C’est un mouvement de retour vers
les petits ateliers. Je pense à des femmes comme Isabel Marant
ou Vanessa Bruno qui travaillent énormément, créent leurs modèles
et mènent leur affaire en même temps. Elles flairent la mode,
et le sens du moment tout en ayant leur propre style.
Les petites marques émergentes, telles Maje, Sandro ou encore
le Comptoir des Cotonniers, ont une démarche différente qui suit la
mode au jour le jour et réagit aussitôt. Là, ce sont plutôt des équipes et
c’est moins la personnalité d’un créateur que celle d’un fabricant qui
est importante. Mais l’un comme l’autre de ces phénomènes actuels
sont un signe de bonne santé et de vitalité du prêt-à-porter français.
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Corinne CoBSoN,
Elle a fait ses premiers pas de mode au sein de l’entreprise familiale, Dorothée Bis. Depuis
1987, elle a sa propre marque de prêt-à-porter féminin : « Corinne Cobson » frappée au coin
de sa personnalité : non conformiste, instinctive avec un zest d'humour et un soupçon
d'élégance. Depuis, elle multiplie les collaborations sous licence ou en partenariat avec de
grands groupes : Cacharel, Monoprix, Alain Mikli, Variance, L’Oréal…
Quels sont, selon vous, les hauts faits et les figures marquantes du
prêt-à-porter ?
Quand j'ai débuté, dans les années 1980, on se trouvait encore dans le
prolongement de la créativité festive des années 1970, on faisait la
mode par bonheur, tout le monde était libre, les créateurs, les stylistes,
la presse…
on ignorait encore les contraintes du marketing. Polly Magoo, le film
de William Klein, inspiré de l'aventure de mes parents, reflète bien
cette période. Mon goût pour la mode avait été marqué très tôt par
mes parents, créateurs de Dorothée Bis bien sûr, mais aussi par Kenzo
et Chantal Thomass pour Ter & Bantine. Ensemble ils avaient réalisé,
dans les gravats de la Gare d'Orsay, le premier défilé de l'histoire du
prêt-à-porter, qui a inauguré le rituel !
Les créateurs qui m'ont marqués sont ceux qui ne se sont pas
contentés de commenter l'histoire du costume mais ont réfléchi
autrement, qui ont détourné leur environnement, utilisé les nouvelles
technologies, bref qui ont innové en étant à la fois contemporains et à
l'avant-garde. Je pense à Jean Paul Gaultier, à ses bijoux en boîtes de
conserves, ses robes en sacs poubelles, à Castelbajac et ses robes en
bande velpeau, à Comme des Garçons et ses robes-haillons, à France
Andrévie et son défilé post-nucléaire, aux japonais qui ont innové dans
les matières. Cette liberté extrêmement créative est ce qui m'a le plus
imprégnée ; elle est, pour moi, l'élément fondamental de l'histoire du
prêt-à-porter.
Que pensez-vous du foisonnement de marques créatives que l’on
observe aujourd’hui dans le prêt-à-porter ?
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Témoignages - “Envie de mode et mode en vie...”
Comparé à la période que je viens d'évoquer, le foisonnement actuel
me paraît surtout dominé par le mass market, le prêt-à-porter
industriel a en grande partie écrasé l'initiative créatrice.
Le foisonnement n'évite pas l'uniformité !
Reste le prêt-à-porter des créateurs, Gaultier, Alaïa, Issey Miyake…
pour ne citer que mes favoris, qui gardent une indépendance,
une cohérence entre leur défilé et les modèles vendus,
bref une personnalité singulière et indépendante.
Qu’imaginez-vous, quelle est votre vision du prêt-à-porter de demain ?
J'aime mieux vous parler de ce que j'aimerais imaginer… :
que les marques de prêt-à-porter fassent appel à de vrais stylistes
créateurs plutôt qu'à des directeurs artistiques ou des chefs de produits,
qu'une part plus grande soit laissée à la recherche, que le public puisse
retrouver une diversité de choix qui corresponde à nos différences…
Le contraire des fashion victims, trop souvent victimes de
l'industrialisation… Le cahier de tendances, le marketing étouffent les
possibilités de liberté en rétrécissant le champ des propositions, dès
l'amont de la chaîne de création : la variété des tissus s'est,
par exemple, considérablement réduite et les indépendants n'ont pas
les moyens de faire fabriquer en petite quantité ceux dont ils rêvent.
Il faudrait aussi réfléchir aux moyens de protéger ce qui reste de la
fabrication française, voire même de la relancer… Si l'on veut qu'à
l'avenir notre prêt-à-porter reste brillant, il faut lui redonner et lui
garantir les conditions de qualité et de créativité qui ont fait sa force.
Jacques DrANSArD,
Ancien expert de la Cour d’Appel de Paris.
Après avoir débuté dans le Groupe Boussac, Jacques Dransard a pris la direction
d’une Maison de Couture en gros tout en assurant parallèlement des responsabilités syndicales
et professionnelles : Présidence du Syndicat de Paris, Présidence de l’UFAC (il est à l’origine
de la fondation du Musée de la Mode au Louvre), administrateur et trésorier
de la Fédération. Devenu ensuite expert et conseil pour la Cour d’Appel de Paris, il suit
aujourd’hui l’évolution de l’art contemporain, notamment en Chine où il se rend régulièrement.
70
Quels sont, selon vous, les hauts faits et les figures marquantes du
prêt-à-porter ?
Ce n’est pas un fait, mais de multiples faits qu’il conviendrait
d’évoquer, ni une personne en particulier, mais un ensemble de
personnalités. Néanmoins, ce qui, à mes yeux, fut un haut fait du prêtà-porter, c’est la prise de conscience qui s’est manifestée peu après
l’ouverture du Marché Commun, que même ce marché-là, à brève
échéance allait être trop petit. Qu’il fallait en somme envisager les
choses plus largement, dépasser les frontières de l’Europe en s’ouvrant
sur le monde.
Nous allons alors assister :
- au développement des salons professionnels haut de gamme :
Prêt-à-porter de luxe à l’hôtel Hilton, Boutiques au Grand Hôtel,
avant un regroupement général à la Porte de Versailles, - à la
présentation à Paris de collections en groupe pour les acheteurs
étrangers et la presse, telles que celles du Groupement de Paris à
l’hôtel George V,
- à l’ouverture d’antennes financées uniquement par la profession à
New York, Hong Kong et Tokyo,
- à la création de salons dans ces mêmes villes, cette grande
exportation, essentielle pour la Profession, a donc débuté dès le milieu
des années 1960, mais qui s’en souvient aujourd’hui ?
Que pensez-vous du foisonnement de marques créatives que l’on
observe aujourd’hui dans le prêt-à-porter ?
Tant mieux si beaucoup de jeunes talents se lancent dans le métier !
Mais combien réussiront à percer, à durer ? Je pense que la créativité
est essentielle. Cependant, elle ne peut s’épanouir que grâce au
professionnalisme, et notamment à une connaissance très poussée des
matières et des marchés possibles. Je ne déplore qu’une chose : c’est que
tous ces jeunes talents soient divisés par des querelles d’un autre âge
entre couture et prêt-à-porter, querelles qui, de l’extérieur paraissent
incompréhensibles et constituent une perte d’énergie, car tous ces
jeunes créateurs font le même métier et s’adressent à la même clientèle.
71
Témoignages - “Envie de mode et mode en vie...”
et qu’imaginez-vous pour demain ?
Les hommes, les femmes, les enfants auront toujours besoin de
s’habiller, quel que soit le pays d’origine et la population mondiale ne
cesse de s’accroître. De nouveaux marchés vont encore s’ouvrir ou se
développer à l’avenir. Avec la mondialisation de l’esthétique et des
canons de beauté, le prêt-à-porter français, qui est porteur d’une
image prestigieuse, à toutes ses chances. à côté des productions de
masse, il y aura, à mon sens, toujours de la place pour des productions
de qualité et d’un niveau de créativité élevé. Je suis donc optimiste.
Je regrette seulement qu’en France, contrairement à ce qui continue
de se pratiquer dans les pays anglo-saxons par exemple, on ait perdu
l’habitude de « s’habiller ». Les convenances ont évolué, certes, mais
j’aimerais que la jeune génération retrouve ces plaisirs-là.
Annette goLDSTEIN,
Présidente du Fashion Group de 1997 à 2007
Quels sont, selon vous, les hauts faits et les figures marquantes du
prêt-à-porter ?
Il faudrait citer bien des noms, mais je vais en privilégier quelques uns :
Pierre Cardin, tout d’abord, parce qu’il n’a pas hésité, le premier, à
aller en Chine. C’était un grand couturier mais il a su pousser
l’industrialisation très loin, ce qui ne fut pas sans engendrer une
certaine moquerie de la part de la Profession. Cacharel ensuite, parce
que cette marque a su donner ses lettres de noblesse au flou - aux
chemisiers, aux robes - un secteur alors un peu sous-estimé par
l’aristocratie de la profession qui faisait du tailleur et des pièces à
manches. Sonia Rykiel, ensuite, parce que dans le même ordre d’idées,
elle a contribué à mettre le tricot, et la maille en général, sur le devant
de la scène de la mode. Tout ceci était auparavant considéré comme
mineur, et c’est aujourd’hui devenu indispensable. J’ajouterai que ces
trois maisons industrielles sont restées indépendantes, ce qui n’est pas
négligeable et prouve bien qu’elles ont quelque chose de particulier.
Mais je voudrais encore citer Marithé et François Girbaud, parce
72
qu’ils ont su s’adapter très vite à la mondialisation, parce qu’ils sont
demeurés créatifs et ont donné au jean un autre statut. Enfin,
j’évoquerai Ted Lapidus, parce qu’au moment où ses tailleurs étaient
très à la mode, il a établi des ponts avec l’industrie. On l’a un peu
oublié, mais il a beaucoup diffusé des collections assez haut de gamme
et il en a entraîné beaucoup dans son sillage.
Que pensez-vous du foisonnement de marques créatives que l’on
observe aujourd’hui dans le prêt-à-porter ?
Tout ce foisonnement tient sans doute au vide relatif que laissent
actuellement les grandes marques. Elles se sont un peu épuisées et
certaines connaissent des difficultés financières. Mais dans ce métier, il
faut faire attention car beaucoup ont pensé qu’on pouvait y faire
fortune rapidement, mais ce n’est plus vrai !
Autrefois, il y avait des industriels qui embauchaient des stylistes.
Aujourd’hui, j’ai confiance dans des petites maisons émergentes qui
fonctionnent différemment. Ce sont des marques qui paraissent solides
; elles croissent doucement. La plupart sont entre les mains de femmes.
Je pense à Vanessa Bruno, à Stella Cadente, à Isabel Marant, Maje,
Sandro, Dice Kayek, et encore, à Catherine Malandrino installée aux
Etats-Unis. Et cette prise de pouvoir, précisément par des femmes très
créatives, constitue selon moi, l’ébauche d’un changement.
et qu’imaginez-vous pour demain ?
Je ne pense pas à un avenir lointain, et préfère me cantonner à un
avenir immédiat. Je suis un peu inquiète par cette crise, car on peut
toujours se passer de textile, au moins provisoirement, mais j’imagine
que cela va permettre de faire un peu « le ménage » et ainsi laisser de la
place pour une nouvelle génération, celle que je viens d’évoquer et en
laquelle je crois sincèrement. Je pense qu’elles pourront avoir leur place
entre le bas de gamme qui lui, a toutes les chances de survivre, les
grandes structures du type Zara ou H&M qui ont une distribution sans
concurrence, et un haut luxe qui tendra sans doute à accentuer ses
spécificités. Mais, je ne peux pas aller plus loin !
73
Témoignages - “Envie de mode et mode en vie...”
Jacques groMB,
Président de la Fédération de 1974 à 1976, ancien Président de l'UFIH,
du DEFI et d'EURATEX. Il est également Président d'Honneur de la FFPAPF.
Quels sont, selon vous, les hauts faits et les figures marquantes du
prêt-à-porter ?
Il est bien sûr impossible de ne pas citer Hechter et Cacharel.
Pas plus qu’il ne serait envisageable d’occulter le rôle du magazine Elle,
et l’importance d’une émission comme DimDamDom qui, elle aussi,
a révélé toutes les facettes de la mode au grand public. Ce ne sont ici
que quelques composants d’un incroyable ensemble. C’est de
l’Histoire… à titre plus personnel, j’ajouterai Robert Weill. Par son
rayonnement qui n’avait d’égal que sa modestie, ce chef d’entreprise
remarquable a marqué mes années de jeunesse. Hommage devrait être
aussi rendu à André Bercher et à Georges Rech. Et puisque j'ai
longtemps été tourné vers nos confrères européens, ayant beaucoup
travaillé a Bruxelles, j'ai envie de nommer des hommes exceptionnels
qui ont su porter à un niveau impressionnant leur entreprise de prêt-aporter, ce sont, en Allemagne, Klaus Steilmann et en Italie, Max Maramotti.
Que pensez-vous du foisonnement de marques créatives que l’on
observe aujourd’hui dans le prêt-à-porter ?
Le prêt-à-porter est un secteur d’activité terriblement lié aux hommes,
aux créateurs. Je crois que la force et la faiblesse du prêt-à-porter
français, par rapport aux concurrents étrangers, aux Italiens et aux
Allemands notamment, tiennent aux personnalités très fortes qui sont
à la tête de nos entreprises. Elles illuminent le firmament. Mais il est
ensuite très difficile d’assurer une succession pour faire durer
l’entreprise, même si l’entreprise a fait un important travail sur son
patrimoine pour préparer la succession, et même si des gens très
talentueux prennent le relais.
et qu’imaginez-vous pour demain ?
Les Français ont donc le problème de constituer des entreprises
74
qui sachent s’établir dans la durée. Il faut pour cela qu’elles ne soient
pas trop dépendantes d’une personnalité. Le mot de « création »,
qu’on emploie en permanence, est assez réducteur à mes yeux.
Je pense qu’il faut envisager une démarche beaucoup plus globale :
même si je n’aime pas ce mot, il convient pour réussir d’avoir une
politique de création, mais aussi une politique de pricing, une politique
de sourcing, et une politique de communication. Toutes ces politiques
conjuguées donnent sa physionomie à la marque. Le moindre
changement, la moindre altération survenue sur l’un de ces paramètres
est immédiatement repéré par la consommatrice. Un changement de
logo ? Il faut le faire en douceur, sinon elle est perdue ! A fortiori lorsqu’il
s’agit d’un changement de créateur… En somme, plus l’entreprise
aura un créateur à forte personnalité, plus elle aura de problèmes pour
se perpétuer. N’est-il pas très difficile de mettre Saint Laurent en
équation ?
Daniel HECHTEr,
Créateur de mode, Président de la Fédération de 1984 à 1987
Quels sont, selon vous, les hauts faits et les figures marquantes du
prêt-à-porter ?
Je pense, d’une part, que l’événement le plus important, qui a fédéré la
profession, fut le 1er salon, avec ses 20 exposants. C’était en 1956, aux
Ambassadeurs. Le Président Mitz et mon père en étaient les
instigateurs, et je devais avoir alors une douzaine d’années…
D’autre part, ce sont les premiers défilés en 1961 et 1962 :
ceux d’Emma Christie, par Emmanuelle Khanh et Christiane Bailly,
ceux d’ID par Gérard Pipart et les miens ! J’estime que ces défilés-là ont
véritablement donné au prêt-à-porter ses premières lettres de noblesse.
Que pensez-vous du foisonnement de marques créatives que l’on
observe aujourd’hui dans le prêt-à-porter ?
Foison de marques créatives… Foison est bien le mot juste. Or, tout
dépend ce que l’on appelle la « création ». Trop souvent, elle a été
75
Témoignages - “Envie de mode et mode en vie...”
confondue avec le marketing - je ne veux citer aucun nom - mais
nombre de pseudo-créateurs sont d’excellents directeurs de produit. Il
est vrai aussi que je fais partie de ceux qui ont débuté dans les années
1960, et qu’à cette époque, la créativité était incroyable dans tous les
domaines : dans l’art avec le début du Pop Art, dans la musique avec le
“rock’n roll”, dans le cinéma avec la Nouvelle vague, dans le design…
Et cette démocratisation de la mode dont on parle en permanence, n’a
pas été aussi rapide qu’on l’imagine. C’était d’abord le fait d’une élite
sociale, très moderne et éclairée, qui elle, a ouvert la voie au plus
grand nombre.
et qu’imaginez-vous pour demain ?
Demain ??? sera demain. Lorsque l’on me posait la question de savoir
comment serait la mode de l’an 2000 ma réponse était invariable :
j’ai déjà assez de mal à anticiper un an à l’avance… Je suis un homme
du présent, je vis intensément. Mais si l’on regarde vingt ans
en arrière qu’est-ce qui a changé ou évolué ? La communication et le
marketing. Et c’est peut-être cela, précisément, qui freine la créativité…
Jean-Pierre MoCHo ,
Président de la Fédération Française du Prêt À Porter Féminin et Président de l’UFIH.
Quels sont, selon vous, les hauts faits et les figures marquantes du
prêt-à-porter ?
Bien évidemment, la naissance de l’expression « prêt à porter » en
1955. Plus proche de nous, l'événement le plus marquant de ces
dernières décennies aura été le défilé historique du Trocadéro. Il
témoignait d'une créativité portée à la fois par la Haute Couture et le
prêt-à-porter Français défilant pour la première fois ensemble. Parmi les
personnalités marquantes je pense particulièrement à André Courrèges,
Balenciaga, Azzedine Alaïa et son talent qui traduit une élégance
moderne unique, Yves Saint Laurent pour ses collections Rive
Gauche, ils ont chacun au travers de leurs personnalité, de leur talent
apporté un renouveau au prêt-à-porter Français.
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Que pensez-vous du foisonnement de marques créatives que l’on
observe aujourd’hui dans le prêt-à-porter ?
Les marques créatives sont nécessaires pour séduire une clientèle
française et internationale qui ne cesse de s'élargir. Elles témoignent
également d'une grande diversité. Sans création, pas de désir, et sans
désir, pas d’achat. C’est pourquoi, il faut sans cesse booster création et
innovation. D’autant plus que nous avons en France cette culture de la
création et de la mode ainsi que les savoir-faire.
Qu’imaginez-vous, quelle est votre vision du prêt-à-porter de demain ?
L'éthique est une des composantes dont nous devons tenir compte.
Les consommatrices sont de plus en plus sensibilisées aux enjeux du
développement durable, la mode n’y fait pas exception. Nous
constatons déjà une nouvelle tendance de consommation, le
« slowear » qui met en avant des produits créatifs, moins inscrits dans
la saisonnalité de la mode. C’est le retour aux fondamentaux où, sous
des formes apparemment simples, se cachent un savoir-faire et une
recherche de matière sophistiqués. Parallèlement et de manière
complémentaire, la « Fast Fashion » est là pour répondre aux envies de
nouveautés et presque d’exclusivités des consommatrices. Mais tout
mouvement de mode sera de plus en plus confronté au verdict du
« juste prix », le 2ème élément après la création qui fera pencher la
balance d’un côté ou de l’autre.
Elie WEILL,
Directeur Adjoint de WEILL et Directeur Général d’ATIKA.
La création n’a pas d’âge, pas plus que la Mode et ses élégances toujours recommencées,
quand elles se conjuguent avec le nom emblématique de Weill, depuis plus d’un siècle.
Fondée en 1892 par Albert Weill au cœur de Paris, Weill est la plus ancienne maison
française de mode. Son histoire légendaire se confond avec celles de la Mode et d'une lignée :
la famille Weill.
La société, au capital entièrement familial, est dirigée aujourd’hui par les descendants d’Albert
Weill : la quatrième génération et aussi la cinquième avec Elie Weill.
77
Témoignages - “Envie de mode et mode en vie...”
Quels sont, selon vous, les hauts faits et les figures marquantes du
prêt-à-porter ?
Le changement de vocabulaire a été fondamental : l'expression prêt-àporter est la traduction littérale de l'américain "ready-to-wear"…
et c'est mon grand-père, Jean-Claude Weill, qui, au retour d'un voyage
aux états-Unis à la fin des années 1940, a introduit en France et le
concept et l'appellation de prêt-à-porter. Avant, hormis la Haute
Couture et les petites couturières, il n'y avait que la confection, d'atelier
ou industrielle ; les fabricants n'avaient pas de griffe et chaque détaillant
apposait sa propre griffe sur le vêtement anonyme. Il s'agissait de petites
séries mais on retrouvait un peu partout les mêmes modèles sous des
noms différents. Weill fut le premier à griffer ses vêtements.
Cette révolution s'est accompagnée d'une industrialisation des moyens
de fabrication et d'une stratégie de communication élaborée par
Publicis, avec un slogan, "Weill vous va" et un logo, celui de la calèche,
toujours le même aujourd'hui. De nombreux stylistes ont travaillé pour
Weill, mais les patrons en sont restés les chefs de production, très
impliqués dans la conception des collections.Parallèlement, le fait que
les grands couturiers soient passés au prêt-à-porter, avec, en tête SaintLaurent Rive Gauche, a donné à ce nouveau phénomène ses lettres de
noblesse et lui a assuré une place dans la catégorie du luxe.
Sonia Rykiel est pour moi celle qui a su coller à la femme de son temps,
en créant une mode active, pratique sans jamais renoncer à la féminité.
Que pensez-vous du foisonnement de marques créatives que l’on
observe aujourd’hui dans le prêt-à-porter ?
Dans cette pléthore de marques, tous ne font pas preuve de la même
créativité et il faut distinguer entre plusieurs types de prêt-à-porter :
celui des maisons de couture et de luxe, dont j'ai parlé plus haut, celui des
créateurs indépendants comme Dries Van Noten ou Stella McCartney,
qui ont une identité très marquée et un discours fort et sont pour moi
les vrais couturiers d'aujourd'hui, celui des stylistes plus tournées vers
une mode au quotidien comme Vanessa Bruno et Isabel Marant, celui
des petites marques qui suivent l'air du temps, comme Maje, Sandro
ou le Comptoir des Cotonniers et enfin, le prêt-à-porter industriel.
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Qu’imaginez-vous, quelle est votre vision du prêt-à-porter de demain ?
Pour des maisons comme la nôtre, l'avenir est incontestablement
d'opérer un mouvement vers le haut, de se différencier du
"main stream", en maintenant une exigence de qualité, qu'il s'agisse
des tissus, de la coupe ou de la fabrication. La course aux petits prix,
les délocalisations, la globalisation ont entraîné une perte du savoir-faire,
une baisse des exigences, mais la réalisation d'un beau vêtement
restera toujours soumise à des règles de production qui dépassent
les seules considérations financières pour aborder des domaines plus
impalpables mais irremplaçables comme la passion du métier,
la tradition, la transmission.
Actuellement, de nombreux talents sont écrasés par les contraintes
commerciales, en même temps qu'une ligne démarque chaque fois
plus fortement le prêt-à-porter industriel de celui qui tend à préserver
une part d'artisanat, que ce soit dans l'esprit ou la fabrication.
Jean-Claude WEILL,
Président du Conseil d’administration de WEILL.
Quels sont, selon vous, les hauts faits et les figures marquantes
du prêt-à-porter ?
Les personnalités marquantes du prêt-à-porter sont Lempereur et Weill,
Hechter et Cacharel. Les deux premiers parce qu’ils ont mis sur pied
les bases sur lesquelles nous travaillons encore, qu’au même moment,
ils ont osé mettre une griffe sur leur production et supprimer celle
du détaillant, et qu’à partir du nom, de leur nom, ils ont fait de la
publicité. Ils ont tout simplement changé l’image de la profession.
Le nom de Weill a aussi été associé, pour la première publicité de
1950, au néologisme « prêt-à-porter ». Et vous ne pouvez imaginer
l’impact que cela a eu : les puristes de la langue française ont vivement
réagi, cela a même donné lieu à un débat dans le Figaro…
Hechter et Cacharel, ensuite. Ils sont de la génération suivante.
Ils ont su insuffler de la créativité, comprendre les demandes des jeunes.
Ils ont, en somme, profondément renouvelé l’approche du prêt-à-porter.
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Témoignages - “Envie de mode et mode en vie...”
Ils ont donné envie aux femmes de se l’approprier. Quant aux faits
marquants, ce sont d’abord les voyages d’études qui nous ont permis
de parcourir, dès 1948, tous les Etats-Unis, de voir une réalité si
différente de celle qu’était la nôtre. Cela nous a vraiment ouvert les
yeux. Ce sont ensuite les salons. Le nom de Weill était déjà présent à
l’Exposition de 1937. Il ne cessera de l’être lors de toutes les
manifestations collectives suivantes. Je précise que ces salons servaient
surtout aux entreprises qui n’avaient pas de représentants. Nous, nous
n’en avions pas besoin, commercialement parlant, puisque les dates du
salon ont toujours été très tardives et que je me suis longtemps battu
pour les avancer. Mais l’union fait la force !
Avant que ne s’ouvre le Salon National du Prêt à Porter, il y eut la
Foire de Lyon en 1947, qui a permis d’exposer au public nos
réalisations. Marcel Coq, avec sa marque Héko, avait même installé
sur son stand tous les détails du processus de fabrication d’une robe.
C’était spectaculaire!
et qu’imaginez-vous pour demain ?
L’évolution de la consommation montre bien que les grosses entreprises
comme Zara ont changé la donne, en proposant des articles « mode » à
prix intéressants. Dans la position qui est la nôtre, nous observons
effectivement cette tendance, ce que vous appelez le « slow » and « fast
fashion » : les femmes achètent moins de manteaux qui est pourtant
l’essence même du savoir-faire de notre Maison. Elles préfèrent les
doudounes et les parkas et nous vendons de plus en plus de petites
pièces. Cela veut dire qu’il faut, en permanence, savoir s’adapter ! Je
ne crois pas aux prévisions à long terme, il y a trop d’éléments
extérieurs qui entrent en ligne de compte. Aujourd’hui, je laisse
à mes enfants et à mes petits enfants le soin d’anticiper, mais je leur
conseillerais volontiers de ne pas regarder trop loin !
Que pensez-vous du foisonnement de marques créatives que l’on
observe aujourd’hui dans le prêt-à-porter ?
Oui, c’est un fait, il y a aujourd’hui beaucoup de marques créatives,
et même très créatives. Mais malheureusement, beaucoup ne sont que
des météores. Pour « tenir le pavé », il faut y croire, et continuer encore
à croire. L’histoire de cette profession montre combien c’est un système
qui favorise l’intégration. Il y a eu les Alsaciens au tout début du
XXème siècle, puis il y a eu les arrivants de l’Europe de l’Est entre les
deux guerres, puis tous ceux qui venaient d’Afrique du Nord, et
maintenant, des gens qui viennent d’encore plus loin. Tous ont
beaucoup, beaucoup travaillé, et ils ont, pour la plupart, préféré que
leurs enfants deviennent médecins ou avocats. Alors, encore une fois,
pour ne pas être un météore, il faut y croire !
Image réalisée
pour les 80 ans
de la Fédération
Française du
Prêt À Porter
Féminin
Nicole
Van dyke
80
81
Merci
Nos sincères remerciements s'adressent à tous ceux qui ont contribué
à la réalisation de cet ouvrage :
Marie Bédacier, Maryline Bellieud-Vigouroux, Claude Brouet, Jean Bouquin,
Jean Bousquet, Françoise Chassagnac, Corinne Cobson, Jacques Dransard,
Annette Goldstein, François-Marie Grau, Jacques Gromb, Daniel Hechter,
Jean-Jacques Picart, Fabienne Rousso, Olivier Saillard, Valérie Solvit, Elie Weill,
Jean-Claude Weill.
Nous remercions également pour leur contribution à l'illustration :
Antik Batik, Marc Audibet, Burfitt, Servane Gaxotte, Heimstone, Clarisse Larousse,
François Lesage, Margareth&Moi, Popy Moreni, Diane Pernet, Marco de Rivera,
Kris Seraphin-Lange, Seiko Taki, Nicole Van Dyke, Marion Vidal, Gaspard
Yurkievich.
Nous remercions également les Administrateurs de la FFpApF :
Didier Parakian (Vice-Président), Daniel Wertel (Vice-Président), Joël Cousseau,
Philippe Hache, Maurice Korn, Pierre-François Le Louët, Frédéric Lener, Michel
Natan, Philippe Pianko, Gérard Ravouna, Alain Sarfati, Jean-Richard Tokatlian,
Virginie Weil.
et les présidents d’Honneur.
Fédération Française du Prêt à Porter Féminin
5, rue Caumartin
75009 Paris
Tél. 01 44 94 70 80
www.pretaporter.com
Jean-Pierre Mocho,
Président de la Fédération Française du Prêt à Porter Féminin et Président de l’UFIH
Virginie Bertrand, Directrice de la communication
Constance Dubois, Directrice Adjointe de la communication
Tous droits réservés
Prix de Vente : 15 euros
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«Prête à être portée, la mode attendait dans l’antichambre
des salons de Haute Couture que les portes sur la rue,
s’entrouvrent. Les façades solennelles et les moulures
pompeuses des maisons où l’on bichonnait les clientes,
n’ont d’égal que l’absence de murs qui caractérise l’aventure
des pionniers du prêt-à-porter et celle de leurs héritiers
aujourd’hui. Alors que les devantures des maisons
de coutures devenaient peau de chagrin avec le siècle,
celles du prêt-à-porter ne cessaient de s’élargir…
Cette ambition démocratique qui favorisa l’accès à la mode au
plus grand nombre doit demeurer synonyme de création,
d’expression, de singularités, de vigilance aussi. Car c’est dans
l’attention que l’on protège les grands destins…»
Olivier SAILLARD
Jean-Jacques PICART
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Histoire(s) du prêt-à-porter avec la Fédération Française du Prêt À Porter Féminin
« Depuis 8 décennies, telle la mère bienveillante
d’une famille (très) nombreuse, la Fédération Française
du Prêt À Porter Féminin a su rester à l’écoute, vigilante,
patiente et inspirée de milliers d’entreprises de mode, tout en
sachant respecter les différences de chacune d’entre elles.
Elle a accompagné leur développement et leur succès par-delà
les agitations, les bouleversements et les crises de toutes sortes.
Avec pour seule ligne de conduite : sa foi dans la capacité des
entreprises de mode française à combler les rêves de tous. »