Histoire(s) - Fédération Française du prêt à porter féminin
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Histoire(s) - Fédération Française du prêt à porter féminin
Histoire(s) du prêt-àporter avec la Fédération Française du Prêt À Porter Féminin 1929-2009 Sommaire 1929/2009, la Fédération a 80 ans. Nous saluons cet anniversaire lors de notre assemblée générale du 11 juin et avec l'édition de ce livret qui raconte sous la plume de Catherine Örmen les aventures du prêt-à-porter, cette mode en-vie, cette mode du désir, cette mode accessible. 2009, une année charnière, comme chacun sait, et qui n’est pas sans rappeler 1929. Les crises financières, sociales et économiques se sont radicalisées pour fomenter une nouvelle société, engendrer des changements de raisonnement, de comportement et d'action. La mode devient mondiale, chaque pays l'exprime en création, en fabrication ou par sa consommation croissante. Elle prend la parole sur l'éthique, se fait transversale et résonne avec les expressions artistiques. Le style, voilà l’enjeu, l’axe majeur de ces prochaines décennies. Le style qui traduit la french touch, cette élégance toujours un peu décalée, une dose de frivolité… un melting mode que Paris réunit à chaque salon et fashion week. Notre choix est celui de la création, germe du désir. Ces bouleversements devraient ouvrir la voie à une société à la fois exigeante, en recherche de sens et de beau. La Fédération fédère les entrepreneurs et faiseurs de mode, mutualise les savoir faire, crée des réseaux des façonniers aux étudiants. Fédérer, partager, échanger… ses mots sont plus que jamais dans l'air du temps et de demain. À la Fédération d'être toujours plus inventive, innovante, forte… ensemble. Jean-Pierre MOCHO Président de la Fédération Française du Prêt À Porter Féminin et Président de l’UFIH p. 4 La naissance du prêt-à-porter p. 14 Le prêt-à-porter se fédère p. 20 La Fédération lance le prêt-à-porter p. 30 L’explosion du prêt-à-porter p. 40 La Fédération, la création et la mondialisation p. 48 Les nouveaux défis et les nouvelles créativités p. 60 Témoignages “Envie de mode et mode en vie...” Textes par Catherine örmen 22 La Naissance du prêt-à-porter Le textile est à l’origine de la révolution industrielle. en France, la confection s’organise dès le début du XIXème siècle, pour répondre aux besoins toujours croissants d’une population qui s’urbanise. Né de la révolution industrielle, ce secteur de production qui va progressivement se mécaniser et qui emploie essentiellement des femmes, est déjà du « prêt-à-porter », mais il n’en porte pas encore le nom. 4 paris, capitale de la mode : depuis toujours, il en est ainsi ! Déjà sous l’Ancien Régime, le textile et l’habillement constituent un secteur économique de tout premier plan : ils occupent la moitié des travailleurs de l’industrie. Au milieu du XIXème siècle, la mode, tous métiers confondus, emploie 3,5 millions de personnes et jusqu’à la fin du XIXème siècle, ce secteur reste le premier poste d’activité en France, le fer de lance de l’économie française en matière d’exportation. Le textile et l’habillement constituent un secteur économique de tout premier plan. La Mode est fille de la démocratie et de la révolution industrielle. A partir de 1793, « chacun est libre de porter l’habillement de son sexe qui lui convient». La Révolution Française, en abolissant les privilèges, supprime les lois somptuaires et permet à chaque individu de s’habiller comme il lui plaît, en fonction non plus de son statut social, mais de ses moyens financiers. Dans l’ordre du paraître, l’argent va jouer un rôle primordial et le luxe, en théorie, pourra être à la portée de tous. Pendant tout le XIXème siècle, la Révolution industrielle fait converger vers les villes toute une population nouvelle, créant d’importants besoins vestimentaires auxquels vont s’efforcer de répondre les secteurs du textile et de l’habillement. Si les classes aisées continueront, pendant longtemps, de faire réaliser leurs vêtements par des artisans qui travaillent sur mesure, la nécessité de paraître, notamment sous le Second Empire, va inciter les couturiers et tailleurs à innover : Mme Roger d’abord, puis l’Anglais Charles Frederick Worth à une plus grande échelle, sauront répondre aux besoins de luxe d’une clientèle aisée et internationale, 5 Paris étant toujours considéré comme la capitale mondiale de la mode. De là, naîtra la Haute Couture. Mais, pour répondre aux besoins du plus grand nombre, c’est la confection qui se met en place pour produire des vêtements bourgeois conformes aux modes de leur temps. En standardisant peu à peu les méthodes de travail et les productions (en s’inspirant de ce que pratiquaient déjà les couvents et les prisons), les fabricants, ceux qu’à l’époque, on nommait les premiers « industriels » de l’habillement, tiendront le pari. La structure des entreprises est familiale et les méthodes de travail qui reposent sur la division des tâches et sur le travail à domicile, demeurent encore artisanales. L’essor du machinisme, et bien sûr celui de la machine à coudre, ne modifieront pas du jour au lendemain les modes de production, mais peu à peu, l’outil industriel se féminisera. La machine bientôt ne sera plus l’apanage de l’homme. En 1847, à Paris, 233 confectionneurs emploient plus de 7 000 ouvrières. à l’instar de la Belle Jardinière, des magasins de nouveautés apparaissent, qui destinent d’abord leurs produits aux hommes. Mais, dès 1850, ces magasins proposent des gammes de vêtements pour les femmes et les enfants : lingerie, mantelets qui ne nécessitent pas de retouches, tabliers et robes toutes faites. Paris est toujours considéré comme la capitale mondiale de la mode. Image réalisée pour les 80 ans de la Fédération Française du Prêt À Porter Féminin L’essor des grands magasins sous le Second empire traduira l’importance prise désormais par la confection. Le grand magasin, proche des gares, servi et desservi par le train, expédie en province les nouveautés parisiennes. La vente par correspondance s’effectue grâce aux Margareth et Moi 7 La naissance du prêt-à-porter nombreux catalogues édités par ces vastes entreprises qui diffusent non seulement des produits, mais également des images au fin fond des provinces, dans les colonies, et à l’étranger. L’essor des chemins de fer (700 km par an construits sous le Second Empire) permet enfin de dissocier les lieux de production des lieux de vente. Le grand magasin qui vend bon marché pour vendre beaucoup, et qui vend beaucoup pour vendre bon marché, selon l’axiome défini par Zola dans son roman, « Le Bonheur des Dames », devient une fascinante vitrine de la modernité et un lieu d’acculturation pour les nouveaux citadins. La mode, en effet, permet de s’intégrer socialement. Les processus d’imitation s’accélèrent et pour se différencier, pour se distinguer, l’élite composée de mondaines et de demi-mondaines qui s’habillent en Haute Couture, ne cesse d’inventer de nouvelles modes qui seront, elles aussi, quasiment immédiatement imitées. De là, proviennent les incessantes variations des modes et de silhouettes qui se font jour à cette époque… à l’aube du XXème siècle, les métiers qui font le renom de la mode sont d’une grande variété. Le luxe et la Haute Couture ont les leurs, auxquels s’ajoutent ceux de la confection. La confection produit des vêtements « riches », « mi-riches » ou « bon marché » d’une qualité égale ou supérieure à ceux des tailleurs et couturières mais les articles de la confection sont moins chers. La conception, la coupe et le repassage demeurent au sein de l’entreprise, la couture, opération répétitive qui nécessite moins de qualification peut, quant à elle, être réalisée soit au sein d’ateliers intégrés, soit sous-traitée à des entrepreneurs qui répartissent le travail auprès d’ouvrières à domicile. Les intérêts de deux secteurs aussi différents que la Haute Couture et la confection ne peuvent que diverger. C’est ce qui explique qu’en 1910, la Chambre Syndicale de la Couture, des Confectionneurs et des Tailleurs pour dames, se divise. Elle avait été fondée en 1868 par un 8 L’essor des grands magasins sous le Second Empire traduira l’importance prise désormais par la confection. Le grand magasin, proche des gares, servi et desservi par le train, expédie en province les nouveautés parisiennes. 9 La naissance du prêt-à-porter confectionneur pour dames, M. Dreyfus de la maison Dreyfus et Kaufman, et englobait les fabricants de confections pour dames et les couturiers. « Ces deux corporations ont travaillé de concert pour le bien général, étudiant avec fruit les questions concernant les patrons aussi bien que celles concernant les ouvriers (…). Mais l’évolution naturelle des affaires, l’accroissement de la consommation et d’autres causes diverses ont motivé dans nos Chambres aussi bien qu’autre part, une plus grande division du travail ; c’est la cause principale de la scission de la Confection et de la Couture. Ces deux groupements, tout en étant séparés, suivent des voies parallèles, tous deux n’ayant qu’un but, la protection des intérêts de l’industrie nationale. », déclarait le Président Storch, lors de la première assemblée générale de la Chambre Syndicale de la Confection Française pour dames et fillettes, le 12 mars 1912. à l’issue de la Première Guerre mondiale, la confection poursuit une lente modernisation sans toutefois que l’organisation du travail s’en trouve modifiée. C’est dans le Sentier, à Paris, que sont déjà regroupés depuis longtemps les marchands de tissus et c’est logiquement à proximité que les confectionneurs continuent de s’installer. Les établissements Albert Weill Jeune, qui comptent parmi les plus célèbres, sont, par exemple, implantés 19 rue de Cléry. Ces derniers disposent d’un atelier de modélisme et d’un atelier de coupe qui fournit une « bûche » ou un « paquet » à des entrepreneurs extérieurs chargés de réaliser l’assemblage et les finitions… Mais, comme au XIXème siècle, la confection produit encore un nombre très important de modèles différents, avec une grande variété dans les détails et les finitions. C’est, certes, une production standardisée, en série, mais les séries sont très limitées en nombre de pièces. Le seul réel progrès est d’ordre social : le travail à domicile est mieux réglementé, mieux protégé, et l’on s’aperçoit que la productivité est plus élevée au sein d’ateliers. Mais la main d’œuvre est devenue rare, elle est mal formée et les confectionneurs se voient en permanence dans l’obligation de faire appel à des ouvriers étrangers, Alsaciens au début du siècle, puis immigrants de l’Europe de l’Est entre les deux guerres1. La simplification de la mode des années 1920, celle de la gracile garçonne qui a supprimé son corset, raccourci sa jupe en même temps que ses cheveux, facilite le travail de la confection. Cette simplicité, accentuée encore par le graphisme très géométrique des illustrations diffusées dans les magazines, représente un évident facteur de démocratisation de la mode. Mais la confection est encore mal aimée : contrairement aux Américaines, aux Allemandes ou aux Britanniques, les consommatrices françaises ont la réputation d’être exigeantes, individualistes et très coquettes. Elles ne se satisfont pas de modèles standardisés, réalisés dans des tissus qu’elles estiment de piètre qualité. Elles n’ont d’yeux que pour le luxe, du sur-mesure et pour la toute puissante Haute Couture. C’est ce qui expliquera, en partie, que la confection française, pourtant très appréciée à l’étranger, soit demeurée pendant si longtemps méconnue en France. les consommatrices ançaises ont la réputation d’être exigeantes, individualistes et très coquettes Les confectionneurs, dont les intérêts sont défendus par des syndicats régionaux, décident, à la veille de la crise de 1929, de créer une Fédération pour défendre les intérêts de leur profession. Voir sur ce point, l’ouvrage de Nancy L. Green, « Du Sentier à la 7ème Avenue, la confection et les immigrés, Paris-New York, 1880-1980 », éditions du Seuil, 1998, traduit de l’anglais par Pap Ndiaye. 1. 10 11 La naissance du prêt-à-porter Chronologie Fondation de La Belle Jardinière qui vend à prix fixes des costumes d’homme confectionnés. 1851 Participation des confectionneurs français à l’Exposition Universelle de Londres. 1855 Les grands magasins, vitrine de la modernité, vendent des confections pour dames. Triomphe de la crinoline. début de la diffusion de la machine à coudre. 1857 Ouverture de la Maison Worth qui donne naissance à la Haute Couture. 1868 Création de la Chambre Syndicale de la Confection et de la Couture pour dames et fillettes. 1882 Organisation d’une exposition collective à Amsterdam. 1889 Importante participation des confectionneurs français à l’Exposition Universelle de Paris. 1892 Fondation de la manufacture Albert Weill. 1824 La Haute Couture cesse de confier aux confectionneurs français la reproduction de ses toiles et patrons. Elle soupçonne en effet la confection d’effectuer des contrefaçons. 1907 Paul Poiret crée des robes sans corset. 1910 Dissolution de la Chambre Syndicale de la Couture, des Confectionneurs et des Tailleurs pour dames. 1912 Création du Syndicat de paris. 1896 Image réalisée pour les 80 ans de la Fédération Française du Prêt À Porter Féminin Gaspard Yurkievich 12 13 Le prêt-à-porter se fédère Après avoir vu triompher la garçonne, la mode revient, au cours des années 1930, à une conception plus traditionnelle de la féminité. paris dicte sa loi au monde entier et la mode, jusqu’alors réservée à une élite, est désormais accessible à tous. La confection découvre la nécessité de produire en plus grandes séries. Quelques mois avant le krach boursier de Wall Street, les syndicats de confectionneurs et ceux de la Couture en gros de paris et de province, fleuron de la profession, se regroupent, pour constituer le 29 juin 1929, la Fédération du vêtement qui représente les industries de transformation du tissu. La Fédération se donne pour vocation d’organiser ce secteur d’activité, de favoriser l’exportation et de défendre les intérêts de la profession auprès des pouvoirs publics. 14 L’union faisant la force, la Fédération du Vêtement répartit d’emblée le travail entre quatre commissions : une Commission « Finances » chargée des questions fiscales et du crédit, une Commission du « Commerce et des transports » à laquelle incombent les problèmes liés à l’exportation, aux transports, à la publicité, aux ventes, une Commission du « Travail et de l’Enseignement Technique » et enfin, une Commission du « Règlement de la propagande et des fêtes ». L’objectif commun est d’intervenir auprès des Pouvoirs publics dans les domaines économique et social, de promouvoir les exportations, et au sein de la Profession, d’unifier les us et pratiques, d’améliorer l’enseignement technique et d’offrir à ses adhérents des services de renseignements et de placements. Quelques mois plus tard, sous les effets de la crise, alors que la production partout est ralentie2, des stratégies nouvelles s’élaborent. La silhouette féminine change d’aspect, la garçonne disparaît définitivement et la mode se tourne vers une sophistication exacerbée. Les jupes rallongent, les lignes du corps s’affirment et s’affinent et la mode est de nouveau très codifiée. La Haute Couture cherche à relancer la demande car ses possibilités d’exportations vont se limiter aux toiles et patrons. Elle invente, en outre, la notion de seconde ligne, mais, méfiante, comme elle l’est depuis 18963, elle continue de tenir les confectionneurs français à distance. La Fédération du vêtement, quant à elle, cherche à accroître la productivité des La silhouette féminine change d’aspect, la garçonne disparaît définitivement et la mode se tourne vers une sophistication exacerbée. en 1933, la valeur du commerce mondial n’équivaut plus qu’à 35% du montant de 1929 et le volume est réduit à 73% . 2. en 1896, la Haute Couture cesse de confier aux confectionneurs français la reproduction de ses toiles et patrons. Elle soupçonne, en effet, la confection d’effectuer des contrefaçons. 3. 15 Le prêt-à-porter se fédère entreprises, mais la main d’oeuvre spécialisée fait défaut et l’on recourt de plus en plus à la main d’oeuvre étrangère, qui peu à peu s’intègre par vagues successives. La Fédération se préoccupe de la sauvegarde du commerce extérieur qui, en cette période de crise mondiale, se trouve très entravé par l’élévation générale de barrières douanières4. La notion de production en plus grandes séries va contribuer à faire évoluer les mentalités des confectionneurs en mettant l’accent sur le retard accumulé dans les infrastructures. Des magasins populaires, en effet, voient le jour, affichant des prix uniques pour une marchandise standardisée. Toutmain impose ainsi ses robes et ses manteaux à prix uniques, distribués aussi bien par correspondance que sous son enseigne des Champs-Elysées. C’est un succès populaire, mais pour le pérenniser, il devient urgent de moderniser les structures de production qui demeurent à un stade très artisanal : le secteur est peu mécanisé, il fait appel à la sous-traitance et travaille à domicile. La confection est une industrie de main d’oeuvre. C’est ce qui la rend sensible aux aléas conjoncturels, mais ce qui lui donne aussi sa flexibilité. en mai 1936, pressées par des impératifs de productivité, les ouvrières exigent le respect des horaires officiels, la suppression du travail aux pièces, quinze jours de congés payés et une revalorisation de leurs salaires. Des grèves s’ensuivent qui aboutissent à la signature des Accords de Matignon, le 12 juin 1936. La Chambre Syndicale de Paris insiste sur la courtoisie de la délégation ouvrière pendant les deux semaines de négociation et sur la bonne volonté des deux délégations. « Le passé est mort. » conclut M. Halff, Président de la Chambre Syndicale de Paris… Mais la confection est encore mal aimée du public parce qu’elle est méconnue. La Seconde Guerre mondiale constitue un épisode particulièrement douloureux. Partout, on fait face comme on peut aux restrictions qui s’imposent. La mode est faite de bric et de broc, mais elle se libère d’un certain nombre de Des magasins populaires voient le jour, affichant des prix uniques pour une marchandise standardisée. conventions héritées du XIXème siècle (le fait de sortir sans bas, sans chapeau ou sans gants, n’est plus considéré comme une hérésie). Le Système D s’impose. Pour permettre le meilleur fonctionnement possible des maisons de couture, les statuts professionnels sont réaménagés par le gouvernement de Vichy et la Haute Couture bénéficie d’un traitement de faveur. La confection, constituée d’une myriade de petites entreprises, est quant à elle, sous le coup de mesures discriminatoires prises par le régime de Vichy qui interdisent aux juifs de posséder une entreprise. Beaucoup cessent leurs activités, ou sont obligés de vendre en catastrophe des entreprises florissantes (ce fut le cas pour Albert Weill Jeune & Fils). Les petits ateliers familiaux et les tailleurs de quartier, souvent des immigrés juifs, sont éradiqués de la scène de la production. Plus généralement encore, c’est l’ensemble du travail à domicile qui est entravé, désorganisé, voire décimé, et qui, au mieux, tente de se réimplanter en zone non occupée, 4. Les droits de douane pour les vêtements importés par les Etats-Unis s’élèvent à 90%. 16 17 Chronologie Le prêt-à-porter se fédère Création de la Fédération du Vêtement pour représenter les industries de transformation du tissu. 1930 Extension mondiale de la crise économique. Les droits de douane pour les vêtements importés par les états-Unis s’élèvent à 90%. Robes, manteaux et tailleurs de Toutmain à prix unique. 1er catalogue de confection de La Redoute. 1931 Ouverture du Prisunic Caumartin. Il y en aura 60 en 1939. 1932 Ouverture de Monoprix. 1933 La valeur du commerce mondial n’équivaut plus qu’à 35% du montant de 1929, le volume à 73%. 1934 La Fédération s’élève contre la taxe de 5 à 10% sur l’emploi de la main d’œuvre étrangère. 1935 Création du nylon. 1936 Les Accords de Matignon proclament les conventions collectives obligatoires, les congés payés et la semaine de 40 heures. 1937 La confection féminine habille près de 25% des Françaises et emploie 80 000 personnes. 1941 La mode subit la pénurie de textile. Instauration d’une carte de vêtements. Dérogations pour l’approvisionnement textile de la « couture-création ». 1942 Lois de Vichy portant sur l’aryanisation. De nombreuses entreprises de confection disparaissent ou s’implantent en Zone Libre. 1929 d’où l’émergence, sur la côte méditerranéenne, de nouveaux centres de confection. Il s’ensuit une réduction considérable du volume des pièces confectionnées, autant pour les vêtements féminins que masculins : la confection qui produisait 20 millions de pièces en 1938, n’en livre plus que 5 800 000 en 1943. Cependant, sous l’effet des mesures corporatistes de Vichy, le nombre d’adhérents à la Fédération augmente. La profession se tourne vers un marché porteur, la Suisse, qu’elle tente de ravir aux Allemands. Fédération unique d’une France coupée en deux, cette institution poursuit vaillamment ses activités : organiser la répartition du textile, inciter ses adhérents à se regrouper, moraliser la profession tout en tentant obstinément d’orienter la production vers la qualité… La qualité, en effet, semble être le seul moyen de sortir la profession du marasme au lendemain de la guerre. La qualité semble être le seul moyen de sortir la profession du marasme au lendemain de la guerre. 18 La Fédération incite ses adhérents à acheter en commun des matières premières. 1943 Réglementation des appellations « couture» et « couturière », « Haute Couture » et « couturier ». Le statut des maisons de couture en gros est redéfini. Les conditions d’accès sont extrêmement sélectives, les entreprises sont soumises à une appréciation annuelle (concours supervisé par l’Etat) et leur nombre est limité à 50. La Fédération opère le classement de la main d’œuvre en différentes catégories et définit un programme-type d’apprentissage. La confection emploie 25 000 personnes.. 1945 Dissolution de la Chambre Syndicale de Paris. Dans le marasme de l’immédiat après-guerre, face au rationnement textile qui se prolonge, au manque de liquidités, à l’obsolescence des infrastructures et à la démoralisation générale, Albert Lempereur estime toujours que « seuls les produits de haute qualité pourront s’exporter »... La France a désormais un concurrent de taille, les Etats-Unis qui se sont émancipés de la tutelle française pendant le conflit et ont développé sous l’appellation « ready-to-wear», une mode simple, pratique, confortable et qui peut être adoptée par toutes les femmes. 19 La Fédération lance le prêt-à-porter dans l’immédiat après-guerre, sous la conduite d'Albert Lempereur, qui, 17 ans durant, assurera la présidence de la Fédération, la confection commence sa métamorphose. dès 1946, l’appellation désuète de «confection pour dames» disparaît au profit « d’industrie du vêtement féminin ». Inspirée par le succès du « ready-to-wear américain », la confection change non seulement de nom, mais aussi d’image et de méthodes : la Fédération orchestre de vastes opérations de communication, relayées par la presse et la publicité. Collant à son époque, le prêt-à-porter français va conquérir un nombre toujours plus grand de consommatrices de toutes nationalités. Moderniser la profession : au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, cet objectif apparaît aussi nécessaire qu'inatteignable. La profession est exsangue. Elle subit de plein fouet la pénurie de matières premières, le manque de liquidités, la crise sociale, l’emprise de l’état sur l’économie, qui ne laisse aux entreprises qu’une marge de manoeuvre très restreinte. Lentement, la situation va pourtant s’améliorer... et la Fédération relèvera le défi, sans jamais cesser de se débattre avec une fiscalité trop complexe, des charges sociales estimées trop lourdes, une politique de prix bloqués, et un manque de crédit aussi bien pour l’investissement que pour la consommation. Sous l’impulsion de la Fédération et de son infatigable président Albert Lempereur, les années 1950 seront déterminantes. Modernisation de la profession et vaste entreprise de promotion auprès des consommatrices iront de pair: il s’agit de séduire les femmes autant que de les éduquer à de nouvelles pratiques d'achat ; il convient aussi de capter l’étranger pour accroître les exportations. En somme, selon le mot d'Albert Lempereur, de «faire savoir le savoir-faire ». Dès l'immédiat après-guerre, dans le cadre du Plan Marshall (European Recovery Program), Albert Lempereur organise plusieurs missions d’études aux Etats-Unis où triomphe alors le « ready-to-wear ». Séparés d’un Paris isolé par la guerre, les Américains ont, en effet, développé des modes de production inédits adaptés à de nouvelles pratiques vestimentaires très éloignées des traditions françaises. Un style spécifique, adapté à la production en série5, s’est rapidement développé Outre-Atlantique. Le succès de ce prêtà-porter est incontestable et la mission comprend que le « ready-to-wear » est à la fois le fruit de l’industrialisation et le résultat d’une remarquable politique d’information, via la presse, et de communication, via la publicité. Dès 1953, la Fédération lance ses premières études de marché. Lors de son Bill Blass, Anne Klein, mais surtout Claire McCardell sont 5. tissus “hors de la mode” comme le jean plus adapté aux besoins de la population. les pionniers du prêt-à-porter américain. Claire McCardell notamment, utilisait des 20 21 Marco de rivera & diane pernet La Fédération lance le prêt-à-porter second voyage, en 1955, Albert Lempereur emmènera donc, outre les confectionneurs, plusieurs journalistes et publicitaires, qui vont ainsi se rendre compte que, toute créative et de qualité qu'elle soit, la production française ne pourra se développer sans le relais de la presse et de la publicité. à l'initiative de Jean-Claude Weill, autre pionnier de la modernisation, l'expression prêtà-porter, traduction littérale de l'américain "ready-to-wear" est alors adoptée... Un changement de vocabulaire qui se révèle décisif ! Si l'entreprise s'est métamorphosée, la psychologie des chefs d’entreprise change, elle aussi. Le passage aux grandes séries représente un important changement d’échelle dans l’industrie de l’habillement féminin et impose désormais la nécessité de construire des usines. Et comme il est impossible de les bâtir à Paris, on commence à décentraliser les unités de production, initiative encouragée, dès 1956, par le Gouvernement. Avec le CIM (Comité de Coordination des Industries de la Mode), créé en 1955, la Fédération se dote d’un outil qui lui permet de communiquer des informations sur les tendances et les aspirations du marché à tous les niveaux 22 © Kris Seraphin-Lange Si l'entreprise s'est métamorphosée, la psychologie des chefs d’entreprise change, elle aussi, au cours de cette période fondatrice de l’histoire du prêtà-porter: on prend confiance en soi. Weill est le premier à apposer sur ses vêtements une griffe à son nom, et à lancer un slogan "Weill vous va" et un logo - une calèche - imaginés par la toute jeune agence Publicis. Image réalisée pour les 80 ans de la Fédération Marc Française du Prêt À Porter Audibet Féminin de la filière de production. « Les Françaises consacrent une part infime de leur budget au renouvellement de leur garde-robe » disait Albert Lempereur, en 19566. « Le Textile est en crise. Si nous n’en subissons pas les répercussions, c’est que nous avons pris un marché qui appartenait autrefois à la couture ou à la fabrication familiale. Mais le problème se trouvait néanmoins posé, d’où l’idée d’un Comité de Liaison dont l’objet serait de faire une étude permanente du marché et, compte tenu de cette étude, susciter des besoins grâce auxquels le textile pourra reprendre la place qu’il n’aurait jamais dû perdre. Susciter les besoins, cela consiste à renouveler plus fréquemment la mode pratique, à lancer certains coloris ou certains tissus-vedettes, ceci en liaison avec la presse de mode, sans laquelle rien d’efficace ne pourrait être tenté. L’appui de la Presse nous pouvons le considérer comme acquis à 95%. » Marion Vidal Image réalisée pour les 80 ans de la Fédération Française du Prêt À Porter Féminin Marc Audibet 24 Image réalisée pour les 80 ans de la Fédération Française du Prêt À Porter Féminin 6. Archives Fédération 24/01/1956 /Archives Syndicat de Paris, 27/01/1956. 25 La Fédération lance le prêt-à-porter Financièrement soutenue par l’Etat, la communication de la Fédération se développe sur plusieurs fronts. La collaboration avec les médias, fers de lance de cette conquête du marché intérieur, croît et embellit. Les conférences de presse se multiplient devant des journalistes enthousiasmés de ce renouveau. ELLE, Le Jardin des Modes, Marie-Claire et Marie-France épousent avec joie la cause du prêt-à-porter et font fleurir ses créations sur leurs pages. Parallèlement, la Fédération s'adresse à la profession, recrutant de nouveaux adhérents et suscitant de nouvelles structures pour répondre aux exigences d'une société de consommation en plein essor. En juin 1956, le premier Salon national du prêt-à-porter ouvre ses portes au Théâtre des Ambassadeurs. Avec le concours du CNCE (Centre National du Commerce Extérieur) la Fédération organise également la Semaine de l’Exportation. en 1958, le Salon s'installe au parc des expositions de la porte de Versailles. Le prêt-à-porter gagne du terrain. Grands couturiers et grands confectionneurs développent de nouvelles lignes et se regroupent par affinités. Producteurs de fibres, filateurs, tisseurs, commerçants et fabricants ressentent le besoin d'une coordination. dans ses habits neufs de prêt-à-porter, la confection révèle l’image même de la modernité. On a abandonné les petites séries, trop diversifiées, au profit de séries plus grandes, composées d’un plus petit nombre de modèles. On pense à toutes les heures de la journée, à toutes les circonstances de la vie d’une femme, et surtout, on introduit dans cette production en série une notion capitale et jusque là réservée à la couture, celle du style. On pense à toutes les heures de la journée, toutes les circonstances de la vie d’une femme, et surtout, on y adjoint lentement mais sûrement, une notion capitale pour séduire les consommatrices, celle du style. très vite, le Salon s'affirme comme l'entité fédératrice des différents groupes et composantes de la profession. Au moment où s'ouvre le Marché Commun, Albert Lempereur, toujours précurseur, sent la nécessité de passer à la dimention internationale et de faire de ce Salon grandissant une entreprise commerciale. Lorsqu'il quitte la présidence, en 1963, Albert Lempereur laisse à la Fédération une entreprise en pleine expansion, dotée de 135 adhérents et d'un Salon international du prêt-à-porter, désormais installé sur 3700 m2 de stands à la Porte de Versailles ! 26 27 La Fédération lance le prêt-à-porter Chronologie Création du magazine elle, qui va promouvoir le prêt-à-porter. 1946 La confection pour dame se métamorphose en « industrie du vêtement féminin ». La production textile est paralysée. Lucien Lelong, président de la Chambre Syndicale de la Couture, imagine le Petit Théâtre de la Mode pour promouvoir la Haute Couture de par le monde. La marque Réard invente un tout petit bikini… 1947 Christian dior restaure le prestige de la couture avec le New Look. La Haute Couture va continuer à dicter sa loi pendant les années 1950. 100 confectionneurs participent à la Foire de Lyon. 1948 Dans le cadre du Plan Marshall, première mission d’étude aux Etats-Unis sous la conduite du Président Albert Lempereur. La Fédération organise un grand défilé au Palais de Chaillot. Weill griffe ses modèles de son nom. La Fédération organise des campagnes de publicité collective. 1949 Mission d’étude de Didier Colette, Délégué Général, en Suède. 1950 Lempereur, Weill, Timwear, Tricosa, Blizzand, Rodier, font de la publicité. 1951 L’industrie du vêtement féminin emploie 65 000 ouvriers. La Fédération participe à la constitution d’un Comité interprofessionnel pour l’expansion 1945 28 des produits textiles qui regroupera l’Union Textile, l’Union de l’Habillement, la Couture, le Négoce de tissus et la Fédération des dentelles et de la broderie. 1952 La Fédération organise « l’Exposition du Prestige français » à la Foire de Lyon et la « Nuit du Vêtement » au Palais de Chaillot. « Face à une crise qui est autant d’ordre moral et psychologique qu’économique, il convient de faire savoir notre savoir-faire par une propagande collective », dit Albert Lempereur. Brigitte Bardot pose habillée en prêt-à-porter dans le magazine Elle. Ghislaine de Polignac entre au service des Galeries Lafayette. C’est l’une des premières « stylistes ». 1953 1 ère étude de marché de la Fédération. Claude Brouet, au sein du magazine “Elle”, publie un numéro par saison consacré au prêt-à-porter. 1954 Gabrielle Chanel ré-ouvre sa maison de couture avec des petits tailleurs qui seront universellement imités. La Fédération du vêtement féminin et la Fédération du vêtement masculin entament dans le cadre de discussions sur les Conventions Collectives Nationales, des pourparlers avec les syndicats ouvriers. Albert Lempereur réclame plus de crédit pour la consommation : « L’achat d’un vêtement féminin représente une dépense d’un montant analogue à l’achat d’un appareil de radio, mais il n’y a pas de crédit possible pour le vêtement féminin . Qu’on nous aide à vendre plus et alors, nous pourrons fabriquer mieux et plus ! » (Archives Fédération, 10/11/1954) 1955 2ème mission d’étude aux Etats-Unis sous la conduite d’Albert Lempereur avec des confectionneurs, des journalistes et des publicitaires. 40% des Françaises s’habillent en prêt-àporter contre 95% aux Etats-Unis. Organisation de la 1ère « semaine d’exportation du vêtement féminin », dans les salons de l’hôtel George V. La Fédération crée le CIM (Comité de coordination des Industries de la Mode) qui agit comme un bureau de style au sein de la filière de production. Jardin des Modes, grâce à Maïmé Arnodin consacre une rubrique régulière au prêt-àporter. Le terme de prêt-à-porter fait encore débat mais il se répand. 1956 L’Amicale des confectionneurs organise le 1er Salon du prêt-à-porter féminin au Théâtre des Ambassadeurs, puis à Réaumur, avec la participation de 20 fabricants. Le magazine Vogue consacre un numéro spécial au prêt-à-porter. Les magasins Prisunic, guidés par Denise Fayolle, mettent en vitrine les modèles reproduits dans le magazine Elle. Albert Lempereur fait un voyage en Australie. Il poursuit son voyage en Inde et en Chine afin d’ouvrir de nouveaux débouchés commerciaux. 1957 1er Novembre : inauguration du Salon officiel du prêt-à-porter au Grand palais. La Fédération organise une « Semaine du vêtement féminin » avec la collaboration du CNCE (Centre National du Commerce Extérieur) et du Conseil Municipal de Paris; il ne s’agit plus de se déplacer à l’étranger, mais d’être subventionné pour faire venir les acheteurs étrangers à Paris. L’association des maisons de couture en gros participe à la Foire de New York sous le label « Les Trois Hirondelles ». Naissance de Relations Textiles, premier cabinet de conseil en style. 1958 Le Salon National du prêt-àporter s’installe au palais des expositions de la porte de Versailles. Dans les stands, faisant fi de tous les tabous, des mannequins de présentation noirs sont revêtus de modèles de ville et de plage. Le Printemps se dote d’un bureau de style dirigé par Jacqueline Bénard. 1959 « Manifeste du 20 janvier 1959 » : la Fédération met en garde les Pouvoirs publics contre l’aggravation continue des charges salariales et fiscales. Obtention d’un accord sur le statut des modélistes-cadres. Le Vichy rose de la robe de mariée de Brigitte Bardot fait fureur. 1960 Daniel Hechter ouvre sa première boutique. 1961 Création au sein de la Fédération d’un groupement de propagande de la Mode Enfantine, et d’une Commission Nationale de Propagande. 1962 La Fédération diffuse une plaquette sur la normalisation des tailles. 29 L’explosion du prêt-à-porter Au début des années 1960, la jeunesse née du babyboom déferle sur le marché. C'est une révolution qui va totalement et définitivement bouleverser les données de la mode. pour dessiner leurs collections, les fabricants font désormais appel à des stylistes. Souvent formés sur le tas, les tout jeunes stylistes vont inventer la mode dont tous rêvent ensemble. pour la première fois de son histoire, la production en série se dote de son propre style, indépendant et libéré du diktat de la Haute Couture. Le renouvellement des tendances de mode s’accélère, les boutiques se multiplient et le marché intérieur connaît un essor fulgurant : à la fin des années 1960, plus de 80% des Françaises s’habilleront en prêt-à-porter, tandis qu’en moins d’une décennie, les exportations auront été multipliées par cinq. C'est une période euphorique pour les entreprises qui voient leur chiffre d’affaires progresser d’année en année. Structurellement, une mutation profonde s’opère dans le système de production : avant les délocalisations, la décentralisation est à l’ordre du jour. 30 L’arrivée sur le marché d’un million trois cent mille jeunes filles modifie considérablement le paysage de la mode. de nouvelles habitudes de consommation voient le jour, et ce au profit du prêtà-porter. La demande sur le marché intérieur est forte, et jamais encore elle ne s'est exprimée de cette manière. Une nouvelle image de la femme s’impose : celle de la jeunesse. Sous l'égide de la Fédération, les fabricants réagissent et s'adaptent en engageant de jeunes dessinateurs qui vont donner au prêt-à-porter un style aux multiples variantes, riche de l'apport de leur fougue, de leur fantaisie, de leur personnalité. Gérard Pipart, chez Germaine et Jeanne, puis chez Chloé, Michèle Rosier chez V de V, Emmanuelle Khahn chez Cacharel, Anne-Marie Beretta pour Ramosport, Elie et Jacqueline Jacobson pour Dorothée Bis, Christiane Bailly, Jacques Delahaye, Jean Bouquin, Chantal Thomass... sont à l'avant-garde d'une longue liste qui révolutionne les façons de se vêtir. une image de la femme entièrement différente va s’imposer - c’est celle de la jeunesse - Le réseau de distribution suit évidemment cette mutation : comme Dorothée Bis, les fabricants ouvrent leurs boutiques, et comme Gudule, Eva, La Gaminerie, Victoire, les premières boutiques multimarques voient le jour à Paris. à la fin des années 1960, plus de 80% de la population féminine française est conquise par le prêt-à-porter ! 31 Avec l'éclosion des stylistes, l’hégémonie de la Haute Couture prend fin. Ce n’est plus elle qui, saison après saison, dicte les tendances, choisit les matières, les formes, les couleurs et la longueur des ourlets. En 1966, avec l'ouverture de la boutique Saint Laurent Rive Gauche, Yves Saint Laurent affermit le prêt-à-porter des couturiers. Stylistes et boutiques passent à l'avant-garde, les lignes de diffusion des couturiers devanceront désormais la Haute Couture. de son côté, la Fédération anticipe. Les années 1960 sont marquées par une mode versatile qui impose des changements brusques, on passe du long au court, et du court au long. La mode explose de tous les désirs d'une joyeuse jeunesse souvent capricieuse. Créativité de la rue et du prêt-à-porter se répondent l'une à l'autre. Les envies des consommatrices changent de plus en plus vite et la chaîne professionnelle est parfois désemparée. Face au besoin d'anticipation, le Salon se fait éclaireur et conseiller. Multipliant les études de marché et campagnes d’information, la Fédération suit au plus près les aspirations des consommatrices. Attentive à la circulation verticale de l’information, elle participe à la création du Bulletin commun des Industries de l’Habillement. à l'intérieur, elle adapte ses structures : dès 1964, une politique de gestion plus collégiale se dessine. Différentes commissions se forment, sériant les questions d'intérêt majeur sur lesquelles la Fédération se donne pour mission d’intervenir : Commission des Statuts, Commission économique, Sociale, de Propagande, du Salon, de la Couture en gros, Commission Technique et Section Enfants. Les efforts de la Fédération se concentrent sur l’accompagnement des entreprises dans leurs mutations structurelles, sur le développement des Heimstone Image réalisée pour les 80 ans de la Fédération Française du Prêt À Porter Féminin 32 33 L’explosion du prêt-à-porter exportations et cela passe par une meilleure compréhension de ce qu’est la mode et par une communication devenue indispensable. De spectaculaires opérations de promotion du prêt-à-porter sont organisées lors des salons qui prennent une envergure sans précédent et attirent en 1973 plus de 1000 journalistes sur les 70 000 m2 de la Porte de Versailles. Londres, New York, Milan se retrouvent au Salon, où se concentre la quintessence de cet essor sans précédent. Après l’Europe, ce sont d’autres marchés plus éloignés que la Fédération entend conquérir comme les états-Unis, le Canada ou l’Extrême-Orient, car la préoccupation majeure des années 1970 est la montée en puissance des importations en provenance des pays à bas salaires. Une seconde génération de stylistes, les « Créateurs de mode », parmi lesquels figurent Thierry Mugler, Claude Montana, Jean Paul Gaultier, Sonia Rykiel, Anne-Marie Beretta, Agnès b., Azzedine Alaïa, Elisabeth de Senneville, etc. choisissent de travailler pour leur propre compte en créant un univers qui leur ressemble. Tous contribuent à l’atomisation des tendances. Certains ont alors pris conscience qu’il fallait se donner les moyens de produire dans des «usines». Cette formidable impulsion, doublée par celle des bureaux de styles inventés par Maïmé Arnodin, bouscule les modes de fabrication. « Ce fut une évolution très importante », témoigne Jacques Gromb7 (Claude Havrey), « car jusque-là, à la différence du prêt-à-porter masculin et du sportswear, le prêt-à-porter féminin était fabriqué dans des ateliers, souvent en banlieue et à domicile. Certains opérateurs ont alors pris conscience qu’il fallait se donner les moyens de produire dans des « usines » qui devaient nécessairement être en province pour des raisons évidentes. On vit donc les premières usines, dont les pionniers sont Weill, Gérard Pasquier, Weinberg, Claude Havrey, André Bercher, parmi d’autres. Ce cercle faisait partie des instances fédérales, au point qu’une question de vocabulaire s’est posée : nous étions qualifiés par la profession « d’industriels ». Si certains ego étaient flattés, je faisais partie, quant à moi, de ceux qui voyaient dans ce vocable un signe de relégation : il y avait ceux qui avaient des usines, et ceux qui avaient du talent ! Le fin du fin, était bien sûr, d’avoir du talent, et en plus des usines. Cette anecdote illustre bien, selon moi, que ce passage vers l’industrialisation était autant un phénomène psychologique que factuel ». Durant les années 1960, l’usine intégrée impose son modèle. La décentralisation, encouragée par le Gouvernement, voit nombre d’usines fleurir en province, dotées des derniers perfectionnements technologiques (machines ultramodernes et bientôt, conception et dessin assistés par ordinateur). Ces usines emploient une main d’œuvre plus qualifiée mais moins nombreuse. L’effort de formation encouragé par la Fédération se porte d'abord sur les chefs d’entreprise, sur les cadres et les techniciens supérieurs, tandis qu'en 1968, la prolongation de la scolarité jusqu’à l'âge de16 ans apporte de nouveaux problèmes de formation. Le statut et la formation des ouvriers et des employés sont en outre demeurés longtemps en suspens, entraînant dès la fin des années 1960 un déficit de main d’œuvre qualifiée alors même que la demande intérieure était au plus haut. Faute de pouvoir recruter, de nombreux confectionneurs français se sont trouvés ponctuellement dans l’obligation de faire fabriquer une partie de leur production à l’étranger. Le rythme saisonnier du prêt-à-porter, deux collections par an, permettant d’envisager de nouvelles stratégies, les entreprises les plus importantes ont donc commencé à délocaliser leurs productions dès le début des années 1970. Si le bureau de création demeure à Paris, la fabrication est effectuée à l’étranger, dans des pays à bas coûts de main d’œuvre, pendant les six à huit mois qui séparent la présentation des modèles et leur arrivée en boutique. Jacques Gromb a été Président de la Fédération de 1974 à 1976. 7. 34 35 Chronologie L’explosion du prêt-à-porter à la tête d’un secteur d’activité extrêmement diversifié, individualiste et composé majoritairement de petites et moyennes entreprises, la Fédération tout au long des années 1960 et 1970 continue de prôner l’union et d'affirmer la présence du prêt-à-porter français aussi bien dans son pays qu’à l’étranger. Elle se dote d’un formidable outil commercial en centralisant les fichiers de détaillants, puis ceux de tous les acheteurs français et étrangers et grâce à cela, opère des relances bi-annuelles. à l’étranger, elle s’assure progressivement l’appui de bureaux permanents de représentation, notamment aux étatsUnis. L'élargissement progressif du Marché Commun, puis l’apparition sur le marché mondial des productions à bas prix des pays émergents, bouleversent la donne du commerce international. Face à cette situation nouvelle, dès la fin des années 1970, la Fédération ne cesse d’appeler l’attention de ses adhérents sur la nécessité d’adapter les entreprises tout en redéployant le commerce extérieur pour tenter de le maintenir à un niveau élevé. La Fédération tout au long des années 1960 et 1970 continue de prôner l’union. 36 1963 Le Salon du prêt-à-porter devient Salon International du prêt-à-porter 135 adhérents sont présents sur 3700 m2 de stands, 20 maisons britanniques sont dispersées sur 900 m2 à travers le Salon. L’idée de la mini-jupe germe chez Jacques Delahaye. 1964 Modification des statuts de la Fédération pour assurer une direction plus collégiale. L’heure est à la décentralisation. Forte influence des modes anglaises et notamment des mini-jupes de Mary Quant. Les ventes de collants décollent. 1965 Mise sur fichier perforé de la liste des détaillants (30 000 détaillants recensés sur plaques-adresses). Création du Bulletin commun des Industries de l’Habillement. Françoise Vincent-Ricard inaugure Promostyl. Immense succès des chemisiers en crêpon de Cacharel. Mini-jupes et pantalons d’André Courrèges. L’émission de télévision DimDamDom de Daisy de Galard fait la part belle à la mode. 1966 Tendance Masculin-Féminin inspirée par Françoise Sagan, il se vend en France plus de pantalons que de jupes. Ouverture de la boutique Saint Laurent Rive Gauche. 1967 Création d’un salon de luxe à l’Hôtel Hilton sous contrôle de la Fédération. La Fédération participe à la réforme des programmes de l’école Supérieure des Industries du Vêtement, marquant une orientation plus nette vers la formation des cadres supérieurs techniques. Les chemisiers en Liberty de Cacharel, photographiés par Sarah Moon, ont un immense succès. Daniel Hechter fait une collection «maxi» pour l’hiver 1967/1968. 1968 La Fédération s’installe dans de nouveaux locaux, 69 rue de Richelieu. Organisation du « Procès de la Mode » dans le cadre du Salon des Arts Ménagers devant 800 spectatrices. Importantes retombées dans la presse. Prolongement de la scolarité jusqu’à 16 ans. Dorothé Bis innove et introduit l’audiovisuel dans sa boutique. Maïmé Arnodin et Denise Fayolle créent l’Agence Mafia. 1969 Des antennes de représentation permanente du Salon sont installées en Suède, au Danemark, en Allemagne, Grande-Bretagne, Italie et Espagne ainsi qu’à New York. Opération « Tiercé du prêt-à-porter ». Formation d’une presse professionnelle avec GAP (Groupe Avant-Première) qui regroupe Elle, Le Jardin des Modes et Mademoiselle Age Tendre. Des maxi-manteaux aperçus dans la rue créent une vague de panique chez les fabricants de prêt-à-porter. La Fédération fait une campagne de presse au début de l’année 1970 en faveur de la mode courte. 1970 Début des délocalisations Interventions de la Fédération à Bruxelles pour empêcher la libération des importations. Mise en place avec le CAPCOMA (Centre de productivité de la Confection Masculine), 37 L’explosion du prêt-à-porter en échange d’une aide sur la propagande, de séminaires de perfectionnement à la gestion pour les chefs d’entreprises et les cadres administratifs. Les trois salons sont réunis porte de Versailles (800 exposants, 15 594 visiteurs en avril, 23 500 en octobre). Dominique Peclers ouvre son bureau de style, Peclers Paris. 1971 Accord sur la classification des emplois (techniciens et agents de maîtrise, ingénieurs et cadres). La mensualisation, signée le 29/01/1971, « rénove pratiquement entièrement les statuts des ouvriers de l’habillement ». La collection « Libération » d’Yves Saint Laurent est décriée, mais elle ouvre la voie aux modes « rétro ». 1972 La Fédération crée le French Apparel Center à New York. Mise en place d’un organisme permanent d’étude de marché. Ouverture d’un bureau à Stockholm, opérations de promotion au Japon. 1973 une seconde génération de stylistes, les « Créateurs de mode », parmi lesquels figurent thierry Mugler, Claude Montana, Jean paul Gaultier, Sonia rykiel, Anne-Marie Beretta, Agnès b., Azzedine Alaïa, elisabeth de Senneville, etc. choisissent de travailler pour leur propre compte en créant un univers qui leur ressemble. Tous contribuent à l’atomisation des tendances de la mode. Création de la Chambre Syndicale des Couturiers et Créateurs de mode. Le Salon du prêt-à-porter s’étend sur 70 000 m2 et accueille plus de 1000 journalistes. Défilés en France (Lyon, Caen, Epinal, Le Touquet, Chambéry, Nancy, et au Salon des Arts Ménagers), présentations à Stockholm, en Suède et Norvège, à Amsterdam et à Munich ainsi qu’au Fashion Institute of Technology et dans un avion «French Fashion Flight », participation à la French European Fair de New York. 1974 Présentations en Extrême-Orient et création d’un bureau permanent à Tokyo, en collaboration avec la bonneterie. Développement du sportswear, transformation du survêtement en jogging 1976 Apparition des punks en Angleterre. 1977 Création d’une antenne de la Fédération à Londres. Burfitt 38 Image réalisée pour les 80 ans de la Fédération Française du Prêt À Porter Féminin La Fédération, la création et la mondialisation depuis le début des années 1980, la mode est à la mode… elle en devient même un phénomène culturel. Le «total look» triomphe avec exubérance et euphorie. puis, au cours de la décennie suivante, la mode s’assagit, elle prend un tour plus intellectuel. elle se fait minimaliste, discrète et sophistiquée… La profession s’engage dès 1980 dans un vaste mouvement de restructuration sous la pression de la concurrence mondiale et de l’éclatement des phénomènes de mode. La Fédération, avec le concours des Syndicats régionaux, contribue à bâtir une stratégie professionnelle tout en continuant de mener de spectaculaires opérations de communication. dans un secteur où règne la profusion, l’information et la formation constituent des enjeux majeurs. Le Salon des années 1990 se fera donc décrypteur de tendances tandis que la Fédération prospectera toujours plus loin pour trouver de nouveaux marchés… 40 C’est au cours des années 1980 que s’opère le brouillage des codes dans la mode. La mode affirme et revendique le rôle de phénomène culturel qu’elle a toujours occupé dans l’histoire de France et symboliquement elle investit les musées ainsi que la Cour Carrée du Louvre… La Fédération n’est pas en reste, qui sous l’impulsion de son Président, Daniel Hechter8, organise à deux reprises deux manifestations monstres, l’une en 1985 qui part de l’Etoile et se développe avenue Foch, et l’autre, deux ans plus tard, comme une première mondiale où, sur le Trocadéro, défilent mille mannequins devant des tribunes de 12 000 spectateurs et 250 000 téléspectateurs ! Haute Couture, prêt-àporter de luxe, prêt-à-porter des créateurs de mode et prêt-à-porter de grande diffusion offrent au consommateur une image prolixe et kaléidoscopique de la mode. Toutes les tendances coexistent pacifiquement. Demain se mélange avec avant-hier et ici se mêle à là-bas. Le postmodernisme règne et la consommatrice se trouve confrontée à une infinité de choix. à chacun et à chacune de définir son look ! Assimilés souvent à un seul et même pôle d’activité, le Textile et l’Habillement sont considérés comme la première industrie française de biens de consommation par leur chiffre d’affaires et leur volume d’exportation. Mais, si ces deux industries ont des points communs, leurs différences n’en sont pas moins fondamentales : d’un côté, l’industrie textile présente des structures capitalistiques; elle est ouverte sur des marchés à vocation technique et industrielle, mais elle n’a que peu de contacts avec le consommateur. De l’autre, l’industrie de l’habillement est essentiellement une activité créative et de main d’œuvre. En 1985, la Fédération regroupe 20 syndicats régionaux et compte 980 entreprises qui emploient 70 000 salariés, dont 85% de femmes. Contrairement au Textile, l’Habillement, en contact direct avec les circuits de distribution, est proche du consommateur. 8. daniel Hechter a été Président de la Fédération de 1984 à 1987. 41 La Fédération, la création et la mondialisation Handicapé par la petitesse de ses entreprises, le prêt-à-porter français contrairement, par exemple, à son homologue allemand qui a une structure capitalistique plus élevée - est assez lent à envisager la mondialisation de l’économie. Mais cette mutation amorcée au cours des années 1970, s’opère plus largement lors de la décennie suivante. « Circuit long » et « circuit court » vont coexister : d’un côté, on procède à des délocalisations massives, et de l’autre, on fait appel à une production de proximité, à l’instar du modèle développé par le quartier du Sentier. D’un côté, on procède à des délocalisations massives, et de l’autre, on fait appel à une production de proximité. Ce quartier parisien dont la réputation n’est plus à faire depuis le XVIIIème siècle, époque où la Compagnie des Indes s’y était installée, a le mérite de concentrer en un même endroit toutes les composantes de la mode : textiles, fournitures, savoir-faire, main d’oeuvre spécialisée, etc. Le Sentier, comme ses équivalents de Marseille, Lyon, New York ou Milan, est donc susceptible de répondre dans des délais très courts à la demande. En sortant du rôle traditionnel qui lui était imparti – le réassort – et en misant sur la créativité, il va offrir au cours des années 1980 des modèles de réussite tout à fait exemplaires à l’instar de Naf Naf, Kookaï, ou Morgan. La mutation rapide qui s’opère dans les années 1980 fait apparaître un besoin urgent de formation car de nouvelles professions se créent, liées à la logistique (sourcing, dispatching, etc.). La Fédération, qui dès 1970, en échange d’une aide sur la communication, avait mis en place avec le CAPCOMA (Centre de Productivité de la Confection Masculine) des séminaires de perfectionnement Image réalisée pour les 80 ans de la Fédération Française du Prêt À Porter Féminin Seiko taki 42 La Fédération, la création et la mondialisation à la gestion pour les chefs d’entreprises et les cadres administratifs, entend aller plus loin encore. Une nouvelle étape va donc être franchie en 1985 avec l’ouverture de l’Institut Français de la Mode, qui devait, à l’origine, être un second cycle avec un triple cursus (formation commerciale, formation à la communication pour des journalistes et des attachés de presse et formation des créateurs). Poursuivant dans cette voie, la Fédération ouvrira en 1993 Mod’Spé Paris, avec une vocation essentiellement tournée vers l’enseignement du marketing. Le secteur de la distribution subit de profondes évolutions au cours de ces deux décennies avec le développement rapide des chaînes spécialisées, d’abord nationales puis internationales. à ce phénomène de concentration de la distribution qui se manifeste partout en Europe s’ajoute la montée en puissance des importations en provenance des pays émergents qui ne cesse d’inquiéter. La progression est, en effet, rapide et massive. Aussi la Fédération multiplie-t-elle les interventions à tous les niveaux pour tenter de limiter cette libéralisation des échanges. Les entreprises européennes ont alors des stratégies très différentes comme en témoigne Jacques Gromb, et les Pouvoirs publics une position encore mal définie : « J'ai été président de l'Association Européenne des Industries de l'Habillement à cette époque, et mon rôle était de défendre vis-à-vis de la Commission Européenne les intérêts d'industriels européens qui produisaient déjà majoritairement en Orient et ailleurs, à l'exception des pays du Sud - Espagne, Portugal, Italie et France - qui cherchaient à maintenir chez eux la production. Aujourd’hui, il est clair que le « sourcing » est un des éléments de la politique de chaque entreprise, sans aucune coloration positive ou négative. Mais cette évolution fut un long combat et les Pouvoirs publics ont longtemps eu une attitude ambiguë ». Cependant, le meilleur moyen de défense n’est-il pas l’attaque ? C’est pourquoi, sans cesse, la Fédération prospecte à l’étranger en allant toujours 44 plus loin, à la conquête notamment des marchés asiatiques où elle développe une politique d’implantation dans les salons, à Pékin, à Taïpei, à Hong Kong ou à Shanghaï… Construire une politique d’image en la propageant sur les marchés internationaux constitue donc la meilleure riposte à la mondialisation et à une concurrence désormais planétaire. La véhiculer par les moyens de communication les plus modernes et les plus puissants est, selon la Fédération, la seule stratégie gagnante pour les entreprises. La Fédération multiplie les interventions à tous les niveaux pour tenter de limiter cette libéralisation des échanges. 45 La Fédération, la création et la mondialisation Image réalisée pour les 80 ans de la Fédération Française du Prêt À Porter Féminin Chronologie Octobre, le Président de la République, Valéry Giscard d’Estaing, déclare l’Industrie Textile-Habillement comme un « secteur stratégique et d’avenir ». Sortie du 1er numéro de Peplos, la revue de la Fédération Française du Prêt à Porter. 1981 Sous l’impulsion du ministre de la culture, Jack Lang, la mode se mue en phénomène culturel. La Fédération emménage 5 rue Caumartin. 1982 La mode défile dans la Cour Carrée du Louvre. 1984 La Fédération prend en charge le déplacement de 263 sociétés vers les différents marchés du monde. Succès du «Grand méchant Look de Naf Naf». Agnès b. impose la notion de « basique ». développement du streetwear. Skate, surf, glisse, modes influencées par la musique, fomentées par les adolescents. Création du DEFI. 1985 La Fédération regroupe 20 syndicats régionaux auxquels adhèrent 980 entreprises qui emploient 70 000 salariés, dont 85% de femmes. Organisation de défilés « Nouveaux talents ». La Fédération organise le 1er Festival International de la Mode avec un défilé géant 1980 46 qui part de la Place de l’étoile et se déroule sur toute l’Avenue Foch. Ouverture de l’Institut Français de la Mode. Triomphe du « Total Look ». 1986 Création des Oscars de la mode. Inauguration de la Journée de la Mode. La Fédération organise un gigantesque défilé sur le trocadéro. 1990 Le phénomène grunge prend de l’ampleur et touche la France. émergence des jeunes créateurs belges. 1991 La Fédération organise des missions à Hong Kong, Taipeh et Kobe. 1992 Mise en place de L’Observatoire de la Mode qui rend compte tous les 15 jours des meilleures ventes. 1993 Le Salon International du Prêt à Porter s’intitule désormais Prêt à Porter Paris®. Création du Carrousel de la Mode avec la Fédération Française de la Couture. La Fédération participe au 1er Salon International de l’Habillement à Pékin. Ouverture de Mod’Spé. 1994 La Fédération s’associe à la Chambre Syndicale de Paris dans la lutte contre le travail clandestin. 1987 PROFEM publie Mode France, une revue de 70 pages regroupant plus de 200 marques pour promouvoir à l’étranger la créativité française. La Fédération est présente à la « Sanghaï International Fashion Fair ». Prêt à Porter Paris® se déplace en Asie avec le « Hong Kong Paris Pret ». Un chic, minimaliste et classique s’impose mondialement. 1995 La Fédération représente 3 000 entreprises qui emploient 47 000 salariés. Le Salon Prêt à Porter Paris® regroupe 1200 marques et attire 50 000 visiteurs français et étrangers ainsi que 1000 journalistes du monde entier. Participation à « Hong Kong Paris Pret » et « Chic’95 » à Pékin. 1996 Opération «Belles, Belles, Belles», tour de France lancé dans les Salons de l’Hôtel de Ville de Paris. Modification du régime des soldes par la loi du 5 juillet 1996. 1997 Ouverture d’un espace dédié aux jeunes talents sur le Salon Prêt à Porter Paris®. 1998 Crise des marchés asiatiques. 47 Les nouveaux défiset lesnouvelles créativités depuis 80 ans, à l’écoute d’une profession qui n’a cessé de se métamorphoser, la Fédération incite ses marques adhérentes à développer toujours plus de qualité et de créativité pour répondre aux attentes des consommateurs. La mode change sans cesse. C’est son essence même. Au-delà des défis de la création, de l’innovation, de l’image et du rêve, elle ajoute la question de la mondialisation, de l’éthique, de la concurrence des autres univers de consommation. Sans cesse, elle doit susciter le désir, surprendre le consommateur et lui donner envie. C’est pourquoi sans déroger à ses missions traditionnelles – la défense des intérêts professionnels, la représentation des marques et leur promotion à l’étranger – mais en modernisant toutes ses approches, la Fédération d’un prêt-à-porter féminin qui est désormais leader d’opinion entend, plus que jamais, faire entrer l’imagination au service de la profession. 48 Élu en 2000 à la présidence de la Fédération, Jean-pierre Mocho, homme de mode, entreprend un profond changement face aux enjeux créatifs et économiques, aux évolutions de la société de consommation. Les mouvements de mode s’accélèrent. Ce rythme impose des actions nouvelles, des missions à inventer, des combats à défendre. Les priorités de la Fédération se radicalisent autour de l’international et aussi de la formation, de la création et de la sauvegarde d’un savoir faire français. Opter pour la performance, c’est retrouver l’excellence tant dans la gestion de l’entreprise que dans l’anticipation de la demande du consommateur. La création est un des axes majeurs, elle doit être émettrice de sens et pour cela, être au cœur des préoccupations. Sans oublier la notion de « prix juste », ou comment expliquer au consommateur que le prix proposé est calculé de manière juste et équitable, après des années de perte de repères face à des réductions. Autrement dit, «il est essentiel de mener une campagne sur la vérité du prix » affirme Jean-Pierre Mocho. La création est un des axes majeurs, elle doit être émettrice de sens et pour cela, être au cœur des préoccupations. La mondialisation a conduit à une homogénéisation des productions. D’où qu’elles proviennent actuellement, elles sont susceptibles d’atteindre, notamment dans le montage et les finitions, un bon niveau. Partant du principe qu’aujourd’hui la qualité d’un vêtement peut donc être irréprochable où qu’il soit fabriqué, c’est sur le patronage, sur le modélisme et la logistique, qu’il convient de concentrer les efforts. Et comme une Japonaise ne ressemble pas à une Néerlandaise, il faut à l’évidence adapter les collections aux morphologies des clientes. Mais le principe est également valable sur le 49 Les nouveaux défis et les nouvelles créativités marché français. L’enquête nationale de mensuration, révélée sur le salon Prêt à Porter Paris® en 2006, apporte des éléments tangibles qui permettent de s’approcher de la perfection d’un vêtement fait sur-mesure, de mieux cibler les collections, de les adapter, par exemple aux spécificités régionales, et/ou aux segments d’âges. Ce sont des éléments techniques, certes, mais ils sont essentiels ! la Fédération a développé depuis 2003 le service «jeune création et entreprise » qui s’est donné pour mission d’accompagner ces jeunes entrepreneurs de mode La formation et l’information sont, depuis 1929, au cœur des préoccupations de la Fédération qui est désormais reconnue comme un expert sectoriel. Si la création de Mod’Spé Paris répond, depuis 1993, au besoin de formation en marketing, une autre page, plus culturelle, car pas de mode sans culture, s’est ouverte avec la création en 2007/2008 d’une chaire d’histoire de la Mode et du Costume au sein de la prestigieuse école du Louvre. Mais la formation ne suffit pas à façonner les jeunes talents. Pour les aider, la Fédération a développé depuis 2003 le service « jeune création et entreprise » qui s’est donné pour mission d’accompagner ces jeunes entrepreneurs de mode dans l’élaboration de leur business plan, dans leurs démarches administratives ainsi que dans la présentation de leurs collections en France et à l’étranger. L’inauguration de la Rue des Gardes à Paris, un espace dédié aux jeunes talents pour faire émerger de nouvelles entreprises de mode, a été suivie par d’autres dans les grandes métropoles régionales : Lyon, Marseille, Lille, Roubaix et Nantes. Les nombreux prix qui leur ont été décernés et la médiatisation qui a été faite autour de ces jeunes Image réalisée pour les 80 ans de la Fédération Française du Prêt À Porter Féminin 50 Servane Gaxotte 51 Les nouveaux défis et les nouvelles créativités créateurs9, témoignent de ces aides. Et si une convention avec la Ville de Paris, le Syndicat de Paris de la Mode Féminine et la FFPAPF a été signée en faveur de la jeune création en 2004, suite à l’application de la décision votée au Conseil de Paris, précisément parce que “la créativité des jeunes et leur faculté d’innovation est fondamentale pour le prêt-à-porter d’aujourd’hui et qu’elle est déterminante pour celui de demain.” Jean-Pierre Mocho, Président de la Fédération Française du Prêt à Porter Féminin. Sous l’impulsion et la volonté de Jean-pierre Mocho, homme de tous les combats, la Fédération anticipe, construit de nouveaux supports de promotion et de soutien pour les marques en créant le prix Elan de Mode qui récompense chaque année plusieurs entreprises françaises s’inscrivant dans une thématique portée par la Fédération Française du Prêt à Porter Féminin. Deux ans avant le discours de l’Union pour la Méditerranée prononcé par le Président de la République, Nicolas Sarkozy, la Fédération s’est ainsi ouverte sur l’Euroméditerranée en soutenant dès 2005 la création de la Cité Euroméditerranéenne de la Mode. Des collaborations propices à créer une dynamique avec les Fédérations du Maroc, de la Tunisie, du Liban, de la Turquie, de l’Italie, de l’Espagne et du Portugal. Outre le développement d’échanges commerciaux et celui d’une production de proximité entre créateurs et industriels des deux rives, ce rapprochement aura permis de faciliter, par exemple, les échanges dans le domaine des formations qualifiantes avec Mod’Spé Paris par exemple. Et c’est toujours dans la perspective internationale que Jean-Pierre Mocho a participé en 2006 à un voyage présidentiel en Thaïlande. Pour la première fois, la mode était invitée comme les autres grands secteurs économiques. D’autres actions fortes sont construites : THE TRAIN, salon des marques créatives européennes et américaines à New York dans un lieu d’avant-garde The Terminal Store, LIVINGROOM à Tokyo, des missions pédagogiques ou économiques dans le monde entier, de la Chine à Moscou, 9. patrick demarchelier a photographié les créations des cinq lauréats dans le cadre de la convention jeune création FFPAPF / Ville 52 La créativité des jeunes et leur faculté d’innovation est fondamentale pour le prêt-à-porter d’aujourd’hui et elle est déterminante pour celui de demain. en passant par la Corée ou le Brésil. Des accords cadre – MoU – sont signés avec le Pérou, le Pakistan, la Bulgarie, la Thaïlande, l’Egypte pour faciliter les échanges. Parallèlement à ces actions d’envergure, le savoir-faire français se fonde toujours sur une idée de fabriquant et se dote d’une plateforme virtuelle des façonniers. La Fédération crée un nouveau service pour mettre en lien au nom de l’UFIH les donneurs d’ordre et les faiseurs français. de nouvelles tendances dans la consommation ont été décryptées par la Fédération avec une mise en avant de marques et de conférences sur le salon Prêt à Porter Paris®. Il s’agit, d’une part, du “Slowear”, autrement dit d’achats de qualité, réfléchis dans une optique citoyenne et d’autre part, de la « Fast Fashion », des achats « coup de coeur », pas forcément raisonnables de Paris et a intégré ces photographies au sein de l’exposition monographique qui lui était consacrée en 2008 au Petit Palais. 53 Les nouveaux défis et les nouvelles créativités ni raisonnés, considérées comme des accessoires de mode. « Slowear » et « Fast Fashion » sont désormais les rythmes auxquels la mode est soumise, l’un est fondé sur la durée, l’autre sur la nouveauté. Mais ce sont deux rythmes parfaitement complémentaires, et il importe que le prêt-à-porter suive le tempo ! « D’une économie fondée sur la production industrielle, la mode est passée à une « économie de consommation » estime Jean-Pierre Mocho. Jadis dominé par le règne du luxe, le prêt-à-porter s’en est aujourd’hui émancipé. Il est désormais leader d’opinion. Et la FFPAPF de s’interroger sur l’érosion actuelle du grand luxe et donc sur son inéluctable démocratisation… L’humain, l’humanitaire, la solidarité, le partage, les actions caritatives, participent aujourd’hui, à l’évidence, des préoccupations des femmes. à cette mode à plusieurs vitesses s’ajoute désormais le souci de la provenance, le besoin d’avoir, comme dans l’alimentaire, une « traçabilité » des articles de mode. C’est un courant «éthique» qui monte en puissance, qui préfère les matériaux bio ou recyclés et, surtout, qui accorde une importance grandissante au commerce équitable. Il faut penser en termes d’écoconception. S’entourant d’experts, la Fédération veut diffuser cette nouvelle façon de créer, de produire. à travers les ATELIERS CAUMARTIN, rencontres de travail pour les marques, et aussi par le lancement de SO ETHIC10 sur Prêt à Porter Paris®. La Fédération est une des pionnières du « combat » éthique. L’humain, l’humanitaire, la solidarité, le partage, les actions caritatives sont aussi des préoccupations des femmes. Or, la Fédération est précisément celle du prêt-à-porter féminin, qui pense aux femmes d’abord. Elle « part » des femmes et a la même « philosophie ». C’est pourquoi, la Image réalisée pour les 80 ans de la Fédération Française du Prêt À Porter Féminin La Fédération a mis en place une équipe permanente pour répondre à cette demande et a inauguré un espace appelé « So Ethic » à PRêT à PORTER PARIS® en 2006. 10. popy Moreni 54 © François Lesage Fédération a un croissant souci d’engagement et soutient la Maison de Solenn11, créée à l’initiative de Madame Bernadette Chirac au travers de la création d’un espace mode. Celui-ci accompagne les adolescents hospitalisés pour des pathologies liées aux troubles du comportement alimentaire. Le prix d’un vêtement a toujours été un élément clé de la compétitivité. Il le demeure, bien sûr, a fortiori en période de crise. Mais d’autres éléments s’ajoutent qui finiront par être déterminants dans la décision d’achat : le respect de l’environnement, de l’éthique, et le fait, a priori paradoxal pour un produit de mode, qu’il puisse contribuer à une consommation responsable et au développement durable. La consommatrice est surinformée. Elle est cultivée. Elle est intelligente. Elle est exigeante. Communication et services importent donc au plus haut point. Le vêtement qui la séduira, en plus d’être parfait, devra avoir un sens, une histoire, une valeur ajoutée. Car la consommatrice réclame aussi du rêve. Au prêt-à-porter d’avoir de l’imagination. Catherine örmen 11. Image réalisée pour les 80 ans de la Fédération Française du Prêt À Porter Féminin François Lesage Le prix « elan de Mode », initié par Jean-Pierre Mocho et qui récompense les chefs d’entreprise qui soutiennent les thématiques développées par la Fédération, a été remis en 2006 aux entreprises qui ont procuré des vestiaires complets à cette institution médicale. 57 Les nouveaux défis et les nouvelles créativités Chronologie 2000 Apparition des marques dites «créatives»: Maje, Sandro, American Retro… 2000 Election de Jean-Pierre Mocho à la présidence de la Fédération 2001 Inauguration de la Rue des Gardes. 2003 Création du prix Elan de Mode La Fédération participe au Sidaction. Signature d’une Convention Jeune Création avec la Mairie de Paris et le Syndicat de Paris de la Mode Féminine. Election de Jean-Pierre Mocho à la présidence de Paris Capitale de la Création jusqu’en 2008. 2004 Exposition “Air de Paris” pour Paris Capitale de la Création avec des artistes reconnus : Michel Gaubert, Matali Crasset, Christophe Luxureau, Florence Deygas et Olivier Huntzel… Installation au sein de la Maison de Solenn, d’une vétothèque pour adolescents. Lancement de «The Train » à New York. 2005 Coprésidence de la Cité Euroméditerranéenne de la Mode. Mise en place de la Plateforme des Façonniers. Lancement de « Livingroom » à Tokyo. 58 100ème édition du Salon PRET à PORTER PARIS® dans le cadre de Paris Capitale de la Création. Conventions de partenariat passées avec le Maroc, le Pakistan et les EtatsUnis. La Fédération s’élargit à l’Euroméditerranée. 2005 et 2008 Election et Réélection de Jean-Pierre Mocho à la Présidence de l’Ufih. 2006 Publication des résultats de la campagne nationale de mensurations avec l’IFTH. Création de So Ethic : univers dédié à la mode éthique à PRET à PORTER PARIS®. 2007 Transversalité de la mode en résonnance avec les autres univers créatifs. PRET A PORTER PARIS® crée le Parcours mode-arts-culture. Création de la Chaire d’Histoire de la Mode et du Costume au sein de l’Ecole du Louvre. 2008 Partenariat avec Alta Roma à l’occasion du 50ème anniversaire du jumelage exclusif entre Paris et Rome. 2009 Fast Fashion and Slowear : deux mouvements de mode complémentaires décryptés par PRET à PORTER PARIS®. Image réalisée pour les 80 ans de la Fédération Française du Prêt À Porter Féminin Antik Batik Témoignages - “Envie de mode et mode en vie...” Témoignages “Envie de mode et mode en vie...” Maryline BELLIEuD-VIgouroux , Présidente de l'Institut Mode Méditerranée : Quels sont, selon vous, les hauts faits et les figures marquantes du prêt-à-porter ? Les années 1980 où les nouveaux créateurs ont apporté aux côtés de la Couture un souffle nouveau dans lequel ils ont associé toutes les formes d'Arts : "Cinéma, Musique, Peinture…" Cette association a donné naissance à un courant de mode qui s'est imposé, faisant de la France et de Paris tout particulièrement, la capitale internationale de la Mode. Le créateur le plus marquant est à mes yeux Azzedine Alaïa, il apporte sans cesse une modernité dans la mode, je suis sensible à ces origines méditerranéennes. Son approche du vêtement donne au corps des femmes une élégance intemporelle, que seuls les grands plasticiens arrivent à maîtriser. Par ailleurs sa culture de l'histoire de la mode est impressionnante. J'ajoute Yves Saint Laurent et Christian Lacroix dont leur Haute Couture nous est enviée dans le monde entier. Que pensez-vous du foisonnement de marques créatives que l’on observe aujourd’hui dans le prêt-à-porter ? Elles m'enchantent par le dynamisme des stylistes et des chefs d'entreprises qui sont au coeur de ces marques dont chacune, malgré la grande diversité, arrivent à ses propres codes, à un environnement artistique personnel. 60 Qu’imaginez-vous, quelle est votre vision du prêt-à-porter de demain ? Le prêt-à-porter après avoir été boudé revient en force, c'est une grande satisfaction car cette reconnaissance vient avant tout du grand public qui le consomme, ce prêt-à-porter, donnant envie à nouveau à la presse française et internationale de le mettre à l'honneur dans les pages de ses magazines. Dernièrement il y avait sur la couverture d'un grand titre féminin Charlotte Gainsbourg, habillée en Balenciaga avec un tee-shirt American Vintage, une grande griffe marseillaise. Jean BouQuIN, Artiste, couturier révolutionnaire ! De 1952 à 1971, durant 20 ans, Jean Bouquin a, selon ses propres mots, “habillé de jolies femmes avec de jolis tissus”. Proche du dandysme, ses créations sont profondément marquées par son style, à la fois poétique et provocant, et son audace subversive. Il est l'un des premiers à avoir adapté à la mode féminine les techniques de coupe masculine. Quels sont, selon vous, les hauts faits et les figures marquantes du prêt-à-porter ? Poiret, Dior, Chanel, les couturiers qui ont précédé le prêt-à-porter et libéré la femme ont ouvert la voie dans laquelle la confection a su s'engouffrer après la guerre, en comprenant que l'on ne pouvait plus habiller les femmes et les hommes comme avant, parce qu'ils n'étaient plus les mêmes. Ce sont les grands événements historiques et sociaux qui font évoluer les comportements vestimentaires et l'explosion de liberté qui a marqué les années 1950 à 1970, le besoin de diversité, de fantaisie, de couleur a aussi été une réponse de la rue aux totalitarismes, aux autoritarismes. Les fabricants de tissus, à qui l'on ne rend pas assez souvent hommage, ont grandement participé au phénomène, ils ont innové, cherché, détourné… rendu possible la diversité… Je pense à Boussac qui a, notamment, teint et recyclé les énormes stocks de coton fin destiné aux parachutes pour les utiliser à la fabrication de chemises ou de robe d'été ! Ma spécialité était le vêtement masculin et, il y avait tout à faire pour les hommes. Passionné de tissus, j'ai racheté, entre autres, les stocks des 61 Témoignages - “Envie de mode et mode en vie...” soyeux lyonnais, redécouvert des matières oubliées et nobles, comme le seersucker, le madras, le batik, les indiennes et le patchwork… Je voulais donner aux hommes les moyens de s'individualiser, de sortir du troupeau, au lieu de porter tous le même costume, le même uniforme, qu'ils se déguisent chacun à leur guise ! J'ai créé mes propres boutiques en marge du système, autour du théâtre et des Idoles de Marc 'O qui sont devenus l'emblème de cette époque de gaieté et d'irrévérence… Les femmes se sont jetées sur cette mode homme et ses matières douces et cela a en retour simplifié la mode féminine, mais aussi favorisé l'apparition d'une mode indifférenciée, androgyne, ridiculement baptisée "unisexe", comme si cela existait autrement que dans une anormalité anatomique ! Aujourd'hui, paradoxalement, le prêt-à-porter assure la survie de la Haute Couture : alors que les grands couturiers sont devenus de bons confectionneurs puis ont disparu, leurs noms devenant des marques, dont les collections sont dessinées par des stylistes successifs, quelques grands noms, (tel Jean Paul Gaultier), sortis des rangs du prêt-à-porter se sont lancés dans la Haute Couture, ultime référence de la pièce unique! Que pensez-vous du foisonnement de marques créatives que l’on observe aujourd’hui dans le prêt-à-porter ? Il y a certes, pléthore de marques mais pas de création ! La mode s'est unifiée. Obsédés par la "tendance", fabricants et bureaux de style passent leur temps à se copier l'un l'autre, le monde entier est uniformisé par les mêmes boutiques qui se répètent de quartier en quartier… et si la rue est envahie de marques, on ne reconnaît pourtant plus la marque d'un couturier au sens de son empreinte, on ne peut plus identifier un vêtement ! Qu’imaginez-vous, quelle est votre vision du prêt-à-porter de demain ? Pour le moment, la mode regarde dans le rétroviseur… à quand le retour généralisé du corset ? Actuellement, les vêtements signés sont chers mais gratuits, c'est-à-dire : vide de sens, inadaptés aux réels besoins de nos sociétés. Je sens que la crise peut être salutaire, provoquer un sursaut, 62 faire souffler un nouveau vent de liberté, nous ramener à une mode plus réaliste, plus contemporaine, à la fois pratique et ludique, écologique, confortable, à une plus grande égalisation des prix. N'oublions pas que le vêtement est une seconde peau et répond à des besoins. Les besoins de la société modifiée qui va sortir de la crise sauront sans doute se faire sentir ! J'espère en outre que cette nouvelle société saura revenir à l'expression des personnalités comme à l'affirmation d'une différence de genre entre les hommes et les femmes, qui seule crée l'espace nécessaire au jeu de l'attraction, de la séduction et de la pulsion de plaire afin de mieux séduire. Jean BouSQuET, Président-Fondateur de Cacharel Quels sont, selon vous, les hauts faits et les figures marquantes du prêt-à-porter ? Cacharel est né en 1958, au début de la grande aventure du prêt-àporter et le regard que je porte sur cette histoire s'inscrit dans la durée. C'était une époque fantastique, tout a bougé en même temps, la musique avec les Beatles, le cinéma avec la Nouvelle Vague en France, Jean-Paul Belmondo et Brigitte Bardot, la peinture avec le Pop Art, l'architecture, le design, le sport… et la Haute Couture a suivi, rajeunie par Yves Saint-Laurent… Le prêt-à-porter français a vite pris une dimension mondiale, les acheteurs du monde entier venaient à Paris acheter des collections dessinées par des stylistes comme Emmanuelle Khanh, formées sur le tas, propulsées par l'énergie de leur jeunesse, qui inventaient la mode qu'elles voulaient porter et qui n'existait nulle part, soutenues par des journalistes comme Hélène Lazareff ou Daisy de Galard. Cette formidable impulsion, doublée par celle des bureaux de styles, inventés par Maïmé Arnodin, a bousculé les grandes industries du Nord, des Vosges et a su durablement s'installer et prospérer : notre prêt-à-porter résiste encore aujourd'hui à la concurrence étrangère qui s'est précisément développée à partir du boom français. 63 Témoignages - “Envie de mode et mode en vie...” Que pensez-vous du foisonnement de marques créatives que l’on observe aujourd’hui dans le prêt-à-porter ? La fin des années 1990 a vu le regroupement des maisons de Haute Couture qui ont conquis d'importantes parts du marché mondial et investi dans la distribution et la communication. Les deuxièmes lignes créées par ces maisons concurrencent directement le prêt-à-porter, concurrence "par le haut" à laquelle s'ajoute une concurrence "par le bas" venue de la grande distribution, des grands groupes étrangers, eux aussi implantés mondialement. Malgré une créativité toujours vivante, ces deux grandes poussées bousculent le prêt-à-porter qui n'occupe plus une place aussi nette, qui semble hésiter et a du mal à s'orienter, aimanté soit vers le haut, soit vers le bas. Pour le prêt-à-porter au sens traditionnel, ce foisonnement représente un défi. Qu’imaginez-vous, quelle est votre vision du prêt-à-porter de demain ? Le défi auquel doit faire face le prêt-à-porter français est accentué par la crise… mais celle-ci devient à son tour sa plus belle opportunité de renouvellement, car elle va inévitablement obliger tous ses acteurs à se remettre en question. En effet, comme tout évènement historique ou économique d'importance, la crise va modifier nos modes de vie et donc nos modes d'habillement. L'attente du public - la demande du consommateur vont évoluer… Et les très grands changements que va entraîner la crise vont libérer les forces créatives qui apporteront la juste réponse aux nouvelles exigences sociales, aux nouvelles attitudes comportementales. Je ne suis pas pessimiste, car, avec ses particularités, ce moment me rappelle irrésistiblement le début des années 1960 : aujourd'hui, comme à ce moment-là, il s'agit de tout réinventer. 64 Claude BrouET, Claude Brouet a traversé un demi-siècle de mode : En 1953 elle entre au magazine "Elle" où elle inaugure une rubrique consacrée au prêt-à-porter. Alors dirigé par Hélène Lazareff, "Elle", leader des magazines de mode apporte pleinement son soutien à cette mode qui "descend dans la rue". De 1971 à 1988, elle a été la rédactrice en chef Mode & Beauté du magazine “Marie-Claire”. Enfin, de 1988 à 1997, Claude Brouet a été directrice de collection chez Hermès. Quels sont, selon vous, les hauts faits et les figures marquantes du prêt-à-porter ? J'ai débuté dans le journalisme de mode au moment même où, au début des années 1950, le prêt-à-porter commençait à se développer, en même temps que plusieurs fabricants affirmaient une volonté de visibilité et de communication. Jusque-là les journaux ne parlaient que des grands couturiers et des boutiques de luxe. Et la confection n'était rien d'autre que le reflet de la mode créée par la haute couture six mois plutôt. Lorsque les confectionneurs ont décidé d'assumer leur différence et d'engager des stylistes, - dont le premier fut Gérard Pipart, qui fit merveille chez Chloé - les choses ont commencé à changer; pour les journalistes, ce tournant décisif de la mode était enthousiasmant et, à ELLE, où je venais de rentrer, j'ai demandé à m'occuper de la rubrique prêt-à-porter. Ensuite, ce fut une véritable éclosion de talents, Emmanuelle Khahn chez Cacharel, créant une mode résolument tournée vers la jeunesse, Michèle Rosier chez V.de V., Christiane Bailly, Jacques Delahaye pour citer les plus importants s'engouffrèrent dans le sillage de Gérard Pipart et inventèrent une mode à la fois, moderne et gaie, oublieuse des conventions BCBG et enfin adaptée à la vie active… un vent frais et joyeux rafraîchissait la profession. Emmanuelle Khahn pour Cacharel a ainsi complètement féminisé et adapté à l'esprit français le sportswear américain. Je me souviens d'une silhouette marquante imaginée par Emmanuelle et parue en couverture de ELLE : un bermuda blanc et un polo rouge vif au col "hirondelle" blanc, qui fit un tabac ! Si on la regarde aujourd'hui, on s'aperçoit qu'elle n'a pas pris une ride… 65 Témoignages - “Envie de mode et mode en vie...” Que pensez-vous du foisonnement de marques créatives que l’on observe aujourd’hui dans le prêt-à-porter ? Je me demande qui est si créatif que ça aujourd'hui ?... Il ne s'agit plus que de marketing et de caisse enregistreuse ! Comment parler de créativité alors même que l'on ne prend plus aucun risque: plutôt que d'aider de jeunes stylistes à ouvrir une maison à leur nom, on les engage au service de vieux noms que l'on déterre pour en faire des "marques", puis on les jette après les avoir pressés comme des citrons ! Et lorsqu'un indépendant sort du lot et réussit à monter une petite maison et à se faire un nom, il est vite racheté pour devenir une "marque", dont il se retrouve le plus souvent très rapidement éjecté, perdant même parfois le droit d'utiliser ailleurs son propre nom ! On ne mise plus sur des talents, on ne pense qu'au chiffre, au commercial, un vrai cauchemar ! Heureusement, quelques-unes, comme Vanessa Bruno ou Isabel Marant, tiennent bon et tentent de se frayer leur chemin en restant indépendantes. Qu’imaginez-vous, quelle est votre vision du prêt-à-porter de demain ? L'un des pires aspects de la mondialisation est à mon sens, l'uniformité culturelle. Faire abstraction de l'originalité de sa culture, du climat, du teint, des cheveux, de tout ce qui différencie les êtres humains et fait la richesse de l'humanité pour devenir des femmes-sandwiches, porteuses de logos et toutes habillées pareilles, me donne envie de pleurer… Que peut-on imaginer au milieu d'un tel manque d'imagination ? La mode en elle-même est actuellement encombrée de vieilleries, de chichis, elle tourne le dos à l'avenir. Les vêtements évolueront forcément, en fonction de la technique, des nouvelles matières et des nouvelles façons de les assembler, et il y aura toujours des gens talentueux pour marcher avec leur temps ! 66 Françoise CHASSAgNAC, La Dame des Victoires Elle a fait la renommée de Victoire et Victoire l’a rendue célèbre. Qui ne connaît pas Françoise Chassagnac, cette infatigable découvreuse de talents qui la première a cru aux grands créateurs de prêt-à-porter et leur a offert une boutique comme rampe de lancement. Aujourd’hui, Françoise Chassagnac est consultante dans l’univers de la mode. Quels sont, selon vous, les hauts faits et les figures marquantes du prêt-à-porter ? Entrer dans une boutique, essayer un vêtement et ressortir avec : l’arrivée du prêt-à-porter a été pour moi comme un rêve qui se réalisait ! Cela comblait mon impatience de mode… Fini les visites chez la petite couturière et l’attente d’un vêtement dont on n’avait parfois plus envie lorsqu’il arrivait. En 1966, l’ouverture de la boutique Saint-Laurent Rive Gauche fut tout simplement grisante… Imaginez ! La première maison de couture à s’ouvrir « à la rue », à apporter la qualité et le prestige du sur-mesure au prêt-à-porter. Encore un rêve qui se concrétisait. à l’autre extrême et pour un plus grand nombre, l’introduction du style dans le vêtement de grande surface avec Maimé Arnodin pour Prisunic représentait la même révolution. Car les tout débuts du prêt-à-porter, dans les années 1950, ne s’étaient pas tout de suite accompagnés d’une révolution dans la façon de s’habiller ; cela restait très conventionnel, en automne, on adoptait du vert ou du marron et à Pâques on s’offrait régulièrement un nouveau petit tailleur marine, signe que l’on attaquait une nouvelle saison. La vraie révolution du prêt-à-porter est venue avec les stylistes, les créateurs, qui ont bousculé toutes les conventions et fait comprendre aux femmes qu’elles pouvaient elles-mêmes se créer leur propre style en accord avec leur personnalité. Je pense à Christiane Bailly, à Michèle Rosier chez V qui, les premières, ont détourné les vêtements « techniques », jusque-là réservés aux sports, au travail, ou à certains climats pour les faire passer à la ville… Ainsi des premières parkas, blousons, combinaisons-pantalons… Au même 67 Témoignages - “Envie de mode et mode en vie...” moment, Anne-Marie Beretta pour Ramosport, choisissait, elle, d’apporter à l’imperméable, sempiternellement identique à lui-même, tous les raffinements d’un vrai vêtement. L’apparition des « petites boutiques », Eva et Gudule, pour ne citer que les plus connues, a renforcé ce mouvement libérateur : les femmes y ont découvert le plaisir d’assortir à leur guise différentes pièces pour se fabriquer leur propre tenue. Dorothée Bis et la merveilleuse Lil, grande styliste de maille, ont totalement renouvelé le rapport des femmes aux vêtements de laine, en associant confort, modernité et fantaisie. Cacharel s’est lui adressé aux jeunes filles, aux adolescentes et a ouvert la porte à un romantisme moderne, à la fois pratique et poétique. Au milieu des années 1970, Tan Giudicelli est, dans sa boutique de la rue de Tournon, le premier à sortir les robes du soir et de cocktail du Pré Carré de la Haute Couture et à amener au prêt-à-porter des petites mains aux doigts de fée et des artisans, tel le brodeur Lesage. Que pensez-vous du foisonnement de marques créatives que l’on observe aujourd’hui dans le prêt-à-porter ? C’est un rêve ! Ce foisonnement correspond aussi à la passion que déclenche ce métier chez de tous jeunes gens et à la multiplication des écoles de style, dont je suis très proche. Plus que de succès financier, ces jeunes ont soif de créativité, de réussite professionnelle, fondée sur le talent et le travail. C’est un mouvement de retour vers les petits ateliers. Je pense à des femmes comme Isabel Marant ou Vanessa Bruno qui travaillent énormément, créent leurs modèles et mènent leur affaire en même temps. Elles flairent la mode, et le sens du moment tout en ayant leur propre style. Les petites marques émergentes, telles Maje, Sandro ou encore le Comptoir des Cotonniers, ont une démarche différente qui suit la mode au jour le jour et réagit aussitôt. Là, ce sont plutôt des équipes et c’est moins la personnalité d’un créateur que celle d’un fabricant qui est importante. Mais l’un comme l’autre de ces phénomènes actuels sont un signe de bonne santé et de vitalité du prêt-à-porter français. 68 Corinne CoBSoN, Elle a fait ses premiers pas de mode au sein de l’entreprise familiale, Dorothée Bis. Depuis 1987, elle a sa propre marque de prêt-à-porter féminin : « Corinne Cobson » frappée au coin de sa personnalité : non conformiste, instinctive avec un zest d'humour et un soupçon d'élégance. Depuis, elle multiplie les collaborations sous licence ou en partenariat avec de grands groupes : Cacharel, Monoprix, Alain Mikli, Variance, L’Oréal… Quels sont, selon vous, les hauts faits et les figures marquantes du prêt-à-porter ? Quand j'ai débuté, dans les années 1980, on se trouvait encore dans le prolongement de la créativité festive des années 1970, on faisait la mode par bonheur, tout le monde était libre, les créateurs, les stylistes, la presse… on ignorait encore les contraintes du marketing. Polly Magoo, le film de William Klein, inspiré de l'aventure de mes parents, reflète bien cette période. Mon goût pour la mode avait été marqué très tôt par mes parents, créateurs de Dorothée Bis bien sûr, mais aussi par Kenzo et Chantal Thomass pour Ter & Bantine. Ensemble ils avaient réalisé, dans les gravats de la Gare d'Orsay, le premier défilé de l'histoire du prêt-à-porter, qui a inauguré le rituel ! Les créateurs qui m'ont marqués sont ceux qui ne se sont pas contentés de commenter l'histoire du costume mais ont réfléchi autrement, qui ont détourné leur environnement, utilisé les nouvelles technologies, bref qui ont innové en étant à la fois contemporains et à l'avant-garde. Je pense à Jean Paul Gaultier, à ses bijoux en boîtes de conserves, ses robes en sacs poubelles, à Castelbajac et ses robes en bande velpeau, à Comme des Garçons et ses robes-haillons, à France Andrévie et son défilé post-nucléaire, aux japonais qui ont innové dans les matières. Cette liberté extrêmement créative est ce qui m'a le plus imprégnée ; elle est, pour moi, l'élément fondamental de l'histoire du prêt-à-porter. Que pensez-vous du foisonnement de marques créatives que l’on observe aujourd’hui dans le prêt-à-porter ? 69 Témoignages - “Envie de mode et mode en vie...” Comparé à la période que je viens d'évoquer, le foisonnement actuel me paraît surtout dominé par le mass market, le prêt-à-porter industriel a en grande partie écrasé l'initiative créatrice. Le foisonnement n'évite pas l'uniformité ! Reste le prêt-à-porter des créateurs, Gaultier, Alaïa, Issey Miyake… pour ne citer que mes favoris, qui gardent une indépendance, une cohérence entre leur défilé et les modèles vendus, bref une personnalité singulière et indépendante. Qu’imaginez-vous, quelle est votre vision du prêt-à-porter de demain ? J'aime mieux vous parler de ce que j'aimerais imaginer… : que les marques de prêt-à-porter fassent appel à de vrais stylistes créateurs plutôt qu'à des directeurs artistiques ou des chefs de produits, qu'une part plus grande soit laissée à la recherche, que le public puisse retrouver une diversité de choix qui corresponde à nos différences… Le contraire des fashion victims, trop souvent victimes de l'industrialisation… Le cahier de tendances, le marketing étouffent les possibilités de liberté en rétrécissant le champ des propositions, dès l'amont de la chaîne de création : la variété des tissus s'est, par exemple, considérablement réduite et les indépendants n'ont pas les moyens de faire fabriquer en petite quantité ceux dont ils rêvent. Il faudrait aussi réfléchir aux moyens de protéger ce qui reste de la fabrication française, voire même de la relancer… Si l'on veut qu'à l'avenir notre prêt-à-porter reste brillant, il faut lui redonner et lui garantir les conditions de qualité et de créativité qui ont fait sa force. Jacques DrANSArD, Ancien expert de la Cour d’Appel de Paris. Après avoir débuté dans le Groupe Boussac, Jacques Dransard a pris la direction d’une Maison de Couture en gros tout en assurant parallèlement des responsabilités syndicales et professionnelles : Présidence du Syndicat de Paris, Présidence de l’UFAC (il est à l’origine de la fondation du Musée de la Mode au Louvre), administrateur et trésorier de la Fédération. Devenu ensuite expert et conseil pour la Cour d’Appel de Paris, il suit aujourd’hui l’évolution de l’art contemporain, notamment en Chine où il se rend régulièrement. 70 Quels sont, selon vous, les hauts faits et les figures marquantes du prêt-à-porter ? Ce n’est pas un fait, mais de multiples faits qu’il conviendrait d’évoquer, ni une personne en particulier, mais un ensemble de personnalités. Néanmoins, ce qui, à mes yeux, fut un haut fait du prêtà-porter, c’est la prise de conscience qui s’est manifestée peu après l’ouverture du Marché Commun, que même ce marché-là, à brève échéance allait être trop petit. Qu’il fallait en somme envisager les choses plus largement, dépasser les frontières de l’Europe en s’ouvrant sur le monde. Nous allons alors assister : - au développement des salons professionnels haut de gamme : Prêt-à-porter de luxe à l’hôtel Hilton, Boutiques au Grand Hôtel, avant un regroupement général à la Porte de Versailles, - à la présentation à Paris de collections en groupe pour les acheteurs étrangers et la presse, telles que celles du Groupement de Paris à l’hôtel George V, - à l’ouverture d’antennes financées uniquement par la profession à New York, Hong Kong et Tokyo, - à la création de salons dans ces mêmes villes, cette grande exportation, essentielle pour la Profession, a donc débuté dès le milieu des années 1960, mais qui s’en souvient aujourd’hui ? Que pensez-vous du foisonnement de marques créatives que l’on observe aujourd’hui dans le prêt-à-porter ? Tant mieux si beaucoup de jeunes talents se lancent dans le métier ! Mais combien réussiront à percer, à durer ? Je pense que la créativité est essentielle. Cependant, elle ne peut s’épanouir que grâce au professionnalisme, et notamment à une connaissance très poussée des matières et des marchés possibles. Je ne déplore qu’une chose : c’est que tous ces jeunes talents soient divisés par des querelles d’un autre âge entre couture et prêt-à-porter, querelles qui, de l’extérieur paraissent incompréhensibles et constituent une perte d’énergie, car tous ces jeunes créateurs font le même métier et s’adressent à la même clientèle. 71 Témoignages - “Envie de mode et mode en vie...” et qu’imaginez-vous pour demain ? Les hommes, les femmes, les enfants auront toujours besoin de s’habiller, quel que soit le pays d’origine et la population mondiale ne cesse de s’accroître. De nouveaux marchés vont encore s’ouvrir ou se développer à l’avenir. Avec la mondialisation de l’esthétique et des canons de beauté, le prêt-à-porter français, qui est porteur d’une image prestigieuse, à toutes ses chances. à côté des productions de masse, il y aura, à mon sens, toujours de la place pour des productions de qualité et d’un niveau de créativité élevé. Je suis donc optimiste. Je regrette seulement qu’en France, contrairement à ce qui continue de se pratiquer dans les pays anglo-saxons par exemple, on ait perdu l’habitude de « s’habiller ». Les convenances ont évolué, certes, mais j’aimerais que la jeune génération retrouve ces plaisirs-là. Annette goLDSTEIN, Présidente du Fashion Group de 1997 à 2007 Quels sont, selon vous, les hauts faits et les figures marquantes du prêt-à-porter ? Il faudrait citer bien des noms, mais je vais en privilégier quelques uns : Pierre Cardin, tout d’abord, parce qu’il n’a pas hésité, le premier, à aller en Chine. C’était un grand couturier mais il a su pousser l’industrialisation très loin, ce qui ne fut pas sans engendrer une certaine moquerie de la part de la Profession. Cacharel ensuite, parce que cette marque a su donner ses lettres de noblesse au flou - aux chemisiers, aux robes - un secteur alors un peu sous-estimé par l’aristocratie de la profession qui faisait du tailleur et des pièces à manches. Sonia Rykiel, ensuite, parce que dans le même ordre d’idées, elle a contribué à mettre le tricot, et la maille en général, sur le devant de la scène de la mode. Tout ceci était auparavant considéré comme mineur, et c’est aujourd’hui devenu indispensable. J’ajouterai que ces trois maisons industrielles sont restées indépendantes, ce qui n’est pas négligeable et prouve bien qu’elles ont quelque chose de particulier. Mais je voudrais encore citer Marithé et François Girbaud, parce 72 qu’ils ont su s’adapter très vite à la mondialisation, parce qu’ils sont demeurés créatifs et ont donné au jean un autre statut. Enfin, j’évoquerai Ted Lapidus, parce qu’au moment où ses tailleurs étaient très à la mode, il a établi des ponts avec l’industrie. On l’a un peu oublié, mais il a beaucoup diffusé des collections assez haut de gamme et il en a entraîné beaucoup dans son sillage. Que pensez-vous du foisonnement de marques créatives que l’on observe aujourd’hui dans le prêt-à-porter ? Tout ce foisonnement tient sans doute au vide relatif que laissent actuellement les grandes marques. Elles se sont un peu épuisées et certaines connaissent des difficultés financières. Mais dans ce métier, il faut faire attention car beaucoup ont pensé qu’on pouvait y faire fortune rapidement, mais ce n’est plus vrai ! Autrefois, il y avait des industriels qui embauchaient des stylistes. Aujourd’hui, j’ai confiance dans des petites maisons émergentes qui fonctionnent différemment. Ce sont des marques qui paraissent solides ; elles croissent doucement. La plupart sont entre les mains de femmes. Je pense à Vanessa Bruno, à Stella Cadente, à Isabel Marant, Maje, Sandro, Dice Kayek, et encore, à Catherine Malandrino installée aux Etats-Unis. Et cette prise de pouvoir, précisément par des femmes très créatives, constitue selon moi, l’ébauche d’un changement. et qu’imaginez-vous pour demain ? Je ne pense pas à un avenir lointain, et préfère me cantonner à un avenir immédiat. Je suis un peu inquiète par cette crise, car on peut toujours se passer de textile, au moins provisoirement, mais j’imagine que cela va permettre de faire un peu « le ménage » et ainsi laisser de la place pour une nouvelle génération, celle que je viens d’évoquer et en laquelle je crois sincèrement. Je pense qu’elles pourront avoir leur place entre le bas de gamme qui lui, a toutes les chances de survivre, les grandes structures du type Zara ou H&M qui ont une distribution sans concurrence, et un haut luxe qui tendra sans doute à accentuer ses spécificités. Mais, je ne peux pas aller plus loin ! 73 Témoignages - “Envie de mode et mode en vie...” Jacques groMB, Président de la Fédération de 1974 à 1976, ancien Président de l'UFIH, du DEFI et d'EURATEX. Il est également Président d'Honneur de la FFPAPF. Quels sont, selon vous, les hauts faits et les figures marquantes du prêt-à-porter ? Il est bien sûr impossible de ne pas citer Hechter et Cacharel. Pas plus qu’il ne serait envisageable d’occulter le rôle du magazine Elle, et l’importance d’une émission comme DimDamDom qui, elle aussi, a révélé toutes les facettes de la mode au grand public. Ce ne sont ici que quelques composants d’un incroyable ensemble. C’est de l’Histoire… à titre plus personnel, j’ajouterai Robert Weill. Par son rayonnement qui n’avait d’égal que sa modestie, ce chef d’entreprise remarquable a marqué mes années de jeunesse. Hommage devrait être aussi rendu à André Bercher et à Georges Rech. Et puisque j'ai longtemps été tourné vers nos confrères européens, ayant beaucoup travaillé a Bruxelles, j'ai envie de nommer des hommes exceptionnels qui ont su porter à un niveau impressionnant leur entreprise de prêt-aporter, ce sont, en Allemagne, Klaus Steilmann et en Italie, Max Maramotti. Que pensez-vous du foisonnement de marques créatives que l’on observe aujourd’hui dans le prêt-à-porter ? Le prêt-à-porter est un secteur d’activité terriblement lié aux hommes, aux créateurs. Je crois que la force et la faiblesse du prêt-à-porter français, par rapport aux concurrents étrangers, aux Italiens et aux Allemands notamment, tiennent aux personnalités très fortes qui sont à la tête de nos entreprises. Elles illuminent le firmament. Mais il est ensuite très difficile d’assurer une succession pour faire durer l’entreprise, même si l’entreprise a fait un important travail sur son patrimoine pour préparer la succession, et même si des gens très talentueux prennent le relais. et qu’imaginez-vous pour demain ? Les Français ont donc le problème de constituer des entreprises 74 qui sachent s’établir dans la durée. Il faut pour cela qu’elles ne soient pas trop dépendantes d’une personnalité. Le mot de « création », qu’on emploie en permanence, est assez réducteur à mes yeux. Je pense qu’il faut envisager une démarche beaucoup plus globale : même si je n’aime pas ce mot, il convient pour réussir d’avoir une politique de création, mais aussi une politique de pricing, une politique de sourcing, et une politique de communication. Toutes ces politiques conjuguées donnent sa physionomie à la marque. Le moindre changement, la moindre altération survenue sur l’un de ces paramètres est immédiatement repéré par la consommatrice. Un changement de logo ? Il faut le faire en douceur, sinon elle est perdue ! A fortiori lorsqu’il s’agit d’un changement de créateur… En somme, plus l’entreprise aura un créateur à forte personnalité, plus elle aura de problèmes pour se perpétuer. N’est-il pas très difficile de mettre Saint Laurent en équation ? Daniel HECHTEr, Créateur de mode, Président de la Fédération de 1984 à 1987 Quels sont, selon vous, les hauts faits et les figures marquantes du prêt-à-porter ? Je pense, d’une part, que l’événement le plus important, qui a fédéré la profession, fut le 1er salon, avec ses 20 exposants. C’était en 1956, aux Ambassadeurs. Le Président Mitz et mon père en étaient les instigateurs, et je devais avoir alors une douzaine d’années… D’autre part, ce sont les premiers défilés en 1961 et 1962 : ceux d’Emma Christie, par Emmanuelle Khanh et Christiane Bailly, ceux d’ID par Gérard Pipart et les miens ! J’estime que ces défilés-là ont véritablement donné au prêt-à-porter ses premières lettres de noblesse. Que pensez-vous du foisonnement de marques créatives que l’on observe aujourd’hui dans le prêt-à-porter ? Foison de marques créatives… Foison est bien le mot juste. Or, tout dépend ce que l’on appelle la « création ». Trop souvent, elle a été 75 Témoignages - “Envie de mode et mode en vie...” confondue avec le marketing - je ne veux citer aucun nom - mais nombre de pseudo-créateurs sont d’excellents directeurs de produit. Il est vrai aussi que je fais partie de ceux qui ont débuté dans les années 1960, et qu’à cette époque, la créativité était incroyable dans tous les domaines : dans l’art avec le début du Pop Art, dans la musique avec le “rock’n roll”, dans le cinéma avec la Nouvelle vague, dans le design… Et cette démocratisation de la mode dont on parle en permanence, n’a pas été aussi rapide qu’on l’imagine. C’était d’abord le fait d’une élite sociale, très moderne et éclairée, qui elle, a ouvert la voie au plus grand nombre. et qu’imaginez-vous pour demain ? Demain ??? sera demain. Lorsque l’on me posait la question de savoir comment serait la mode de l’an 2000 ma réponse était invariable : j’ai déjà assez de mal à anticiper un an à l’avance… Je suis un homme du présent, je vis intensément. Mais si l’on regarde vingt ans en arrière qu’est-ce qui a changé ou évolué ? La communication et le marketing. Et c’est peut-être cela, précisément, qui freine la créativité… Jean-Pierre MoCHo , Président de la Fédération Française du Prêt À Porter Féminin et Président de l’UFIH. Quels sont, selon vous, les hauts faits et les figures marquantes du prêt-à-porter ? Bien évidemment, la naissance de l’expression « prêt à porter » en 1955. Plus proche de nous, l'événement le plus marquant de ces dernières décennies aura été le défilé historique du Trocadéro. Il témoignait d'une créativité portée à la fois par la Haute Couture et le prêt-à-porter Français défilant pour la première fois ensemble. Parmi les personnalités marquantes je pense particulièrement à André Courrèges, Balenciaga, Azzedine Alaïa et son talent qui traduit une élégance moderne unique, Yves Saint Laurent pour ses collections Rive Gauche, ils ont chacun au travers de leurs personnalité, de leur talent apporté un renouveau au prêt-à-porter Français. 76 Que pensez-vous du foisonnement de marques créatives que l’on observe aujourd’hui dans le prêt-à-porter ? Les marques créatives sont nécessaires pour séduire une clientèle française et internationale qui ne cesse de s'élargir. Elles témoignent également d'une grande diversité. Sans création, pas de désir, et sans désir, pas d’achat. C’est pourquoi, il faut sans cesse booster création et innovation. D’autant plus que nous avons en France cette culture de la création et de la mode ainsi que les savoir-faire. Qu’imaginez-vous, quelle est votre vision du prêt-à-porter de demain ? L'éthique est une des composantes dont nous devons tenir compte. Les consommatrices sont de plus en plus sensibilisées aux enjeux du développement durable, la mode n’y fait pas exception. Nous constatons déjà une nouvelle tendance de consommation, le « slowear » qui met en avant des produits créatifs, moins inscrits dans la saisonnalité de la mode. C’est le retour aux fondamentaux où, sous des formes apparemment simples, se cachent un savoir-faire et une recherche de matière sophistiqués. Parallèlement et de manière complémentaire, la « Fast Fashion » est là pour répondre aux envies de nouveautés et presque d’exclusivités des consommatrices. Mais tout mouvement de mode sera de plus en plus confronté au verdict du « juste prix », le 2ème élément après la création qui fera pencher la balance d’un côté ou de l’autre. Elie WEILL, Directeur Adjoint de WEILL et Directeur Général d’ATIKA. La création n’a pas d’âge, pas plus que la Mode et ses élégances toujours recommencées, quand elles se conjuguent avec le nom emblématique de Weill, depuis plus d’un siècle. Fondée en 1892 par Albert Weill au cœur de Paris, Weill est la plus ancienne maison française de mode. Son histoire légendaire se confond avec celles de la Mode et d'une lignée : la famille Weill. La société, au capital entièrement familial, est dirigée aujourd’hui par les descendants d’Albert Weill : la quatrième génération et aussi la cinquième avec Elie Weill. 77 Témoignages - “Envie de mode et mode en vie...” Quels sont, selon vous, les hauts faits et les figures marquantes du prêt-à-porter ? Le changement de vocabulaire a été fondamental : l'expression prêt-àporter est la traduction littérale de l'américain "ready-to-wear"… et c'est mon grand-père, Jean-Claude Weill, qui, au retour d'un voyage aux états-Unis à la fin des années 1940, a introduit en France et le concept et l'appellation de prêt-à-porter. Avant, hormis la Haute Couture et les petites couturières, il n'y avait que la confection, d'atelier ou industrielle ; les fabricants n'avaient pas de griffe et chaque détaillant apposait sa propre griffe sur le vêtement anonyme. Il s'agissait de petites séries mais on retrouvait un peu partout les mêmes modèles sous des noms différents. Weill fut le premier à griffer ses vêtements. Cette révolution s'est accompagnée d'une industrialisation des moyens de fabrication et d'une stratégie de communication élaborée par Publicis, avec un slogan, "Weill vous va" et un logo, celui de la calèche, toujours le même aujourd'hui. De nombreux stylistes ont travaillé pour Weill, mais les patrons en sont restés les chefs de production, très impliqués dans la conception des collections.Parallèlement, le fait que les grands couturiers soient passés au prêt-à-porter, avec, en tête SaintLaurent Rive Gauche, a donné à ce nouveau phénomène ses lettres de noblesse et lui a assuré une place dans la catégorie du luxe. Sonia Rykiel est pour moi celle qui a su coller à la femme de son temps, en créant une mode active, pratique sans jamais renoncer à la féminité. Que pensez-vous du foisonnement de marques créatives que l’on observe aujourd’hui dans le prêt-à-porter ? Dans cette pléthore de marques, tous ne font pas preuve de la même créativité et il faut distinguer entre plusieurs types de prêt-à-porter : celui des maisons de couture et de luxe, dont j'ai parlé plus haut, celui des créateurs indépendants comme Dries Van Noten ou Stella McCartney, qui ont une identité très marquée et un discours fort et sont pour moi les vrais couturiers d'aujourd'hui, celui des stylistes plus tournées vers une mode au quotidien comme Vanessa Bruno et Isabel Marant, celui des petites marques qui suivent l'air du temps, comme Maje, Sandro ou le Comptoir des Cotonniers et enfin, le prêt-à-porter industriel. 78 Qu’imaginez-vous, quelle est votre vision du prêt-à-porter de demain ? Pour des maisons comme la nôtre, l'avenir est incontestablement d'opérer un mouvement vers le haut, de se différencier du "main stream", en maintenant une exigence de qualité, qu'il s'agisse des tissus, de la coupe ou de la fabrication. La course aux petits prix, les délocalisations, la globalisation ont entraîné une perte du savoir-faire, une baisse des exigences, mais la réalisation d'un beau vêtement restera toujours soumise à des règles de production qui dépassent les seules considérations financières pour aborder des domaines plus impalpables mais irremplaçables comme la passion du métier, la tradition, la transmission. Actuellement, de nombreux talents sont écrasés par les contraintes commerciales, en même temps qu'une ligne démarque chaque fois plus fortement le prêt-à-porter industriel de celui qui tend à préserver une part d'artisanat, que ce soit dans l'esprit ou la fabrication. Jean-Claude WEILL, Président du Conseil d’administration de WEILL. Quels sont, selon vous, les hauts faits et les figures marquantes du prêt-à-porter ? Les personnalités marquantes du prêt-à-porter sont Lempereur et Weill, Hechter et Cacharel. Les deux premiers parce qu’ils ont mis sur pied les bases sur lesquelles nous travaillons encore, qu’au même moment, ils ont osé mettre une griffe sur leur production et supprimer celle du détaillant, et qu’à partir du nom, de leur nom, ils ont fait de la publicité. Ils ont tout simplement changé l’image de la profession. Le nom de Weill a aussi été associé, pour la première publicité de 1950, au néologisme « prêt-à-porter ». Et vous ne pouvez imaginer l’impact que cela a eu : les puristes de la langue française ont vivement réagi, cela a même donné lieu à un débat dans le Figaro… Hechter et Cacharel, ensuite. Ils sont de la génération suivante. Ils ont su insuffler de la créativité, comprendre les demandes des jeunes. Ils ont, en somme, profondément renouvelé l’approche du prêt-à-porter. 79 Témoignages - “Envie de mode et mode en vie...” Ils ont donné envie aux femmes de se l’approprier. Quant aux faits marquants, ce sont d’abord les voyages d’études qui nous ont permis de parcourir, dès 1948, tous les Etats-Unis, de voir une réalité si différente de celle qu’était la nôtre. Cela nous a vraiment ouvert les yeux. Ce sont ensuite les salons. Le nom de Weill était déjà présent à l’Exposition de 1937. Il ne cessera de l’être lors de toutes les manifestations collectives suivantes. Je précise que ces salons servaient surtout aux entreprises qui n’avaient pas de représentants. Nous, nous n’en avions pas besoin, commercialement parlant, puisque les dates du salon ont toujours été très tardives et que je me suis longtemps battu pour les avancer. Mais l’union fait la force ! Avant que ne s’ouvre le Salon National du Prêt à Porter, il y eut la Foire de Lyon en 1947, qui a permis d’exposer au public nos réalisations. Marcel Coq, avec sa marque Héko, avait même installé sur son stand tous les détails du processus de fabrication d’une robe. C’était spectaculaire! et qu’imaginez-vous pour demain ? L’évolution de la consommation montre bien que les grosses entreprises comme Zara ont changé la donne, en proposant des articles « mode » à prix intéressants. Dans la position qui est la nôtre, nous observons effectivement cette tendance, ce que vous appelez le « slow » and « fast fashion » : les femmes achètent moins de manteaux qui est pourtant l’essence même du savoir-faire de notre Maison. Elles préfèrent les doudounes et les parkas et nous vendons de plus en plus de petites pièces. Cela veut dire qu’il faut, en permanence, savoir s’adapter ! Je ne crois pas aux prévisions à long terme, il y a trop d’éléments extérieurs qui entrent en ligne de compte. Aujourd’hui, je laisse à mes enfants et à mes petits enfants le soin d’anticiper, mais je leur conseillerais volontiers de ne pas regarder trop loin ! Que pensez-vous du foisonnement de marques créatives que l’on observe aujourd’hui dans le prêt-à-porter ? Oui, c’est un fait, il y a aujourd’hui beaucoup de marques créatives, et même très créatives. Mais malheureusement, beaucoup ne sont que des météores. Pour « tenir le pavé », il faut y croire, et continuer encore à croire. L’histoire de cette profession montre combien c’est un système qui favorise l’intégration. Il y a eu les Alsaciens au tout début du XXème siècle, puis il y a eu les arrivants de l’Europe de l’Est entre les deux guerres, puis tous ceux qui venaient d’Afrique du Nord, et maintenant, des gens qui viennent d’encore plus loin. Tous ont beaucoup, beaucoup travaillé, et ils ont, pour la plupart, préféré que leurs enfants deviennent médecins ou avocats. Alors, encore une fois, pour ne pas être un météore, il faut y croire ! Image réalisée pour les 80 ans de la Fédération Française du Prêt À Porter Féminin Nicole Van dyke 80 81 Merci Nos sincères remerciements s'adressent à tous ceux qui ont contribué à la réalisation de cet ouvrage : Marie Bédacier, Maryline Bellieud-Vigouroux, Claude Brouet, Jean Bouquin, Jean Bousquet, Françoise Chassagnac, Corinne Cobson, Jacques Dransard, Annette Goldstein, François-Marie Grau, Jacques Gromb, Daniel Hechter, Jean-Jacques Picart, Fabienne Rousso, Olivier Saillard, Valérie Solvit, Elie Weill, Jean-Claude Weill. Nous remercions également pour leur contribution à l'illustration : Antik Batik, Marc Audibet, Burfitt, Servane Gaxotte, Heimstone, Clarisse Larousse, François Lesage, Margareth&Moi, Popy Moreni, Diane Pernet, Marco de Rivera, Kris Seraphin-Lange, Seiko Taki, Nicole Van Dyke, Marion Vidal, Gaspard Yurkievich. Nous remercions également les Administrateurs de la FFpApF : Didier Parakian (Vice-Président), Daniel Wertel (Vice-Président), Joël Cousseau, Philippe Hache, Maurice Korn, Pierre-François Le Louët, Frédéric Lener, Michel Natan, Philippe Pianko, Gérard Ravouna, Alain Sarfati, Jean-Richard Tokatlian, Virginie Weil. et les présidents d’Honneur. Fédération Française du Prêt à Porter Féminin 5, rue Caumartin 75009 Paris Tél. 01 44 94 70 80 www.pretaporter.com Jean-Pierre Mocho, Président de la Fédération Française du Prêt à Porter Féminin et Président de l’UFIH Virginie Bertrand, Directrice de la communication Constance Dubois, Directrice Adjointe de la communication Tous droits réservés Prix de Vente : 15 euros 82 «Prête à être portée, la mode attendait dans l’antichambre des salons de Haute Couture que les portes sur la rue, s’entrouvrent. Les façades solennelles et les moulures pompeuses des maisons où l’on bichonnait les clientes, n’ont d’égal que l’absence de murs qui caractérise l’aventure des pionniers du prêt-à-porter et celle de leurs héritiers aujourd’hui. Alors que les devantures des maisons de coutures devenaient peau de chagrin avec le siècle, celles du prêt-à-porter ne cessaient de s’élargir… Cette ambition démocratique qui favorisa l’accès à la mode au plus grand nombre doit demeurer synonyme de création, d’expression, de singularités, de vigilance aussi. Car c’est dans l’attention que l’on protège les grands destins…» Olivier SAILLARD Jean-Jacques PICART 84 Histoire(s) du prêt-à-porter avec la Fédération Française du Prêt À Porter Féminin « Depuis 8 décennies, telle la mère bienveillante d’une famille (très) nombreuse, la Fédération Française du Prêt À Porter Féminin a su rester à l’écoute, vigilante, patiente et inspirée de milliers d’entreprises de mode, tout en sachant respecter les différences de chacune d’entre elles. Elle a accompagné leur développement et leur succès par-delà les agitations, les bouleversements et les crises de toutes sortes. Avec pour seule ligne de conduite : sa foi dans la capacité des entreprises de mode française à combler les rêves de tous. »