Août 1942 LVF contre PSF

Transcription

Août 1942 LVF contre PSF
Août 1942
8 – En France et en Europe occupées
LVF contre PSF
1er août
Militant perdu
Paris, Porte des Lilas – Il est presque 20h00. L’homme, veston, pantalon et chapeau gris,
anonyme, sort d’un pas énergique du métro. Comme tous les soirs à la même heure. Comme
tant d’autres. Il se dirige vers l’avenue de Paris en regardant droit devant lui, sans être
vraiment là. Que faire, que dire, que répondre. On lui a fait une offre, de celles qu’on peut
difficilement refuser. Que l’on pourrait difficilement refuser en temps normal, mais voilà,
nous ne sommes pas en temps normal. C’est la guerre, et dans chaque guerre, il faut choisir
son camp et s’y tenir. Il y a déjà quelque temps qu’il a franchi le Rubicon en rompant avec
son ancien parti, doit-il faire plus ? Accepter serait s’exposer. Exposé, il l’est déjà, encore plus
depuis quelques jours, mais là, il n’est pas dupe : avec cette promotion, il se mettrait au
service de l’Ennemi – et c’est pour ne pas servir l’Ennemi qu’il a été exclu de son Parti, il y a
bientôt trois ans. Trois ans…
Que de chemin parcouru ! Que de décisions l’ayant mené là où il était à présent, et pas
vraiment sûr d’être à la meilleure place. Il était numéro 3, avant – en passant la mer, il aurait
été chef de son clan en Afrique ! Sauf que… Sauf que ses propres choix l’ont éloigné de tout
cela et qu’il est maintenant un faire-valoir entre les mains d’un ancien camarade que l’on
disait déchu. Il l’a bien compris.
Mais il a aussi compris qu’il devait changer de discours et de façon de penser, les temps
troublés que vivait le monde l’exigeaient. C’est pourquoi, malgré tout, il a renoué avec ce
camarade, cet ancien camarade qu’il avait tant critiqué après son départ du Parti, ce nouveau
camarade à qui il va devoir lier son destin jusqu’à la fin de la guerre. A-t-il fait le bon choix ?
Il décide de chasser ces doutes de son esprit. Au moins pour ce soir. Ils auront tout le temps
de revenir plus tard.
L’homme en gris descend maintenant le boulevard de la Liberté, un cycliste imprudent vient
de le frôler. Il repense à cette proposition qu’on lui a faite dans l’après-midi : entrer au
gouvernement. Bien sûr, si le grand Jacques le veut à ses côtés, c’est en tant qu’ancien
dirigeant du Parti, pour rallier à sa cause, à leur cause, le plus possible de camarades encore
indécis. Mais c’est aussi pour lui une occasion inespérée de revenir au premier plan et de
convaincre les camarades de le rejoindre lui, lui qui ne vit pas dans l’ombre depuis deux ans,
lui qui est resté dans la lumière, qui ne s’est pas caché comme l’autre Jacques, le gros, ni
comme Benoît, qui ne s’est pas enfui comme André ou comme Maurice, leur chef – un chef
qui a déserté ! Lui qui est resté droit et fidèle à ce qu’il était.
La rue des Ecoles, qu’il emprunte d’habitude, est encombrée. Une grosse voiture à gazogène
est en travers et un attroupement s’est formé. Un accident sûrement. Son chauffeur semble
discuter avec plusieurs personnes, expliquant bruyamment qu’il partira quand le moment sera
venu. Il a un visage connu. Déjà vu quelque part. Un acteur sans doute.
Pas d’humeur à se frayer un chemin dans la foule, l’homme continue sa route et décide de
passer par la rue de Bagnolet, souvent déserte. Il reprend le cours de ses pensées, se parlant à
lui-même, ne prêtant pas attention aux passants derrière lui – un piéton et un cycliste, le
même ou un autre que tout à l’heure, qui roule à présent au pas. Oui, il se sait isolé, sa
position est fragile, ses choix pas toujours heureux, mais sa décision est prise, il ira au bout de
sa démarche, jusqu’au bout, et qui sait ? Le destin sera peut-être avec lui ? Après tout c’est la
guerre et tout est possible ! Il esquisse un sourire.
Il perçoit un mouvement derrière lui, son ébauche de sourire disparaît. Lui en voudrait-on ?
Un bruit soudain, violent. Une douleur vive dans le dos. Ses jambes l’abandonnent. Il
demande de l’aide mais n’est même pas sûr d’avoir émis un son. Il tombe, un vélo le dépasse,
un jeune homme crie quelque chose qu’il ne comprend pas et se met à courir derrière le
cycliste, qui file au milieu de la rue de Pantin.
Au sol, l’homme en gris tente de se relever mais ses mains ne lui obéissent déjà plus. Il perd
connaissance. Oui, on lui en voulait.
………………………
Extraits du dossier médical du patient GITTON Marcel, Hôpital Tenon, Paris XXe.
« 1er août 1942, 21 heures 30. (…) Transpire abondamment. Paraît souffrir. Pression
artérielle basse, 9/6. (…) A repris conscience mais parle avec difficulté. (…) La balle, de petit
calibre (6,35 sans doute) est entrée à la base du poumon gauche et s’est logée dans
l’abdomen. Elle est bien visible sur la radiographie. (…) L’état du patient étant stable,
l’intervention aura lieu demain matin. »
« 2 août 1942. La balle a pu être extraite, mais l’intervention a permis de constater de
nombreux dégâts, dont la réparation a été longue et complexe (voir CRO détaillé). Perte de
sang +++. Pas de donneur compatible disponible. N’a pas repris connaissance. (…)
14 heures 30 – Patient décédé. »
………………………
Marcel GITTON (1903-1942). Homme politique français. Ouvrier du bâtiment, devient en
1925 secrétaire des syndicats du bâtiment de la région parisienne et est élu en 1929 au
Bureau confédéral de la CGTU. Membre du Parti communiste, il entre en 1932 au Bureau
politique et devient en 1935 secrétaire national – il est alors le numéro 3 du Parti derrière
Maurice Thorez et Jacques Duclos. Elu député de la Seine en 1936.
En 1939, il dénonce violemment la signature du Pacte germano-soviétique en compagnie
d’une vingtaine de parlementaires communistes. Mobilisé, il participe jusqu’au bout aux
combats de la campagne de France ; il est même cité en juillet pour son courage. En août,
n’ayant pas embarqué pour l’Afrique du Nord, il profite du système de démobilisation rapide
mis en place par le cabinet Reynaud pour ne pas être fait prisonnier.
Collabore de façon éphémère au journal Le Cri du Peuple de Jacques Doriot entre l’automne
1940 et l’été 1941. Refusant de se laisser dicter ses articles par Doriot, quitte le journal et
crée le Parti des Ouvriers et Paysans Français (POPF) en janvier 1941. Il espère regrouper
dans cette organisation (en théorie affiliée au Parti “unique” du Renouveau Français) les
communistes qui refusent de suivre tant les “bourgeois” d’Alger que la ligne prônée par
Duclos dans la clandestinité. Ceux qui le rejoignent pouvant se compter sur les doigts d’une
main, il se rapproche à nouveau de Doriot à la fin de 1941. En janvier 1942, son POPF
devient la Section des Ouvriers et Paysans Français du PPF doriotiste. Il entre en mars au
Bureau politique du PPF.
Après Barbarossa, devant les premiers attentats officiellement communistes et la répression
qu’ils provoquent, il devient particulièrement virulent contre l’institution même du Parti
communiste français. Il publie fin juillet une « Lettre ouverte aux ouvriers communistes »
dans laquelle il fustige la « dépendance directe à Moscou [du PCF] et la soumission totale de
certains de ses dirigeants à la Troisième Internationale ». Victime le 1er août d’un attentat en
pleine rue organisé par le PCF, il meurt de ses blessures le 2.
(Grand Larousse de la Seconde Guerre Mondiale, op. cit.)
Etoile jaune
Laeken – La reine Elisabeth reçoit en audience une délégation de l’Association des Juifs de
Belgique, composée de Lazare Liebman, Salomon Vanden Berg et Eugène Hellendael. Ils
font à la Reine une description déchirante des déportations qui frappent indistinctement
vieillards, hommes et femmes, enfants et nourrissons, sans qu’il soit même tenu compte des
liens familiaux. La Reine se montre extrêmement émue au cours de l’entretien et promet de
faire tout ce qui sera en son pouvoir. En fin d’audience, au moment où ils la remercient, elle
répond : « Ce n’est pas moi que vous devez remercier, mais mon fils. »
2 au 5 août
6 août
Le PSF du côté d’Alger
Alger – Une nouvelle émission de Radio Alger est née, baptisée L’Union Sacrée. Son
principe est de donner chaque fois la parole à un parti politique, dont les représentants vont
débattre de l’actualité et appeler leurs partisans en Métropole à continuer la lutte pour
préparer la Libération. Il s’agit de préparer le grand retour des communistes dans le giron
national, inévitable depuis le démarrage de Barbarossa, mais cette semaine, L’Union Sacrée
est consacrée au Parti Social Français.
Sont réunis l’aviateur Bernard Dupérier, qui est devenu un As quelque temps plus tôt,
Philippe Viannay, qui travaille au service de presse du gouvernement Reynaud, François de
Polignac, l’un des députés PSF qui a participé au Déménagement sur le Massilia, enfin
Charles Vallin, qui commande un bataillon de zouaves. L’émission s’achève sur un
monologue énergique de Vallin, qui exhorte les membres du « premier parti de France » à
lutter activement, par tous les moyens possibles, contre « cet ersatz de gouvernement qui n’a
comme ligne de conduite que l’avilissement pur et simple de la patrie au joug hitlérien. »
7 août
Yougoslavie : chasse aux Partisans
Slovénie – Opération “Provincia di Lubiana”. L’opération s’achève. Un millier de maisons
ont été incendiées, 200 civils fusillés et 2 500 déportés. Les Partisans rescapés se dispersent ;
une partie d’entre eux rejoint le camp de Tito à Biha!.
8 août
En sursis
Cimetière du Père Lachaise, Paris – A l’enterrement de Marcel Gitton se retrouvent la
plupart des dirigeants de la Section des Ouvriers et Paysans Français du PPF et des anciennes
figures communistes ayant décidé de faire cause commune avec l’occupant : Clamamus,
Piginnier, Bourneton, Pillot, Clément… Autant de personnages qui seront visés jusqu’à la
Libération, avec plus ou moins de succès, par l’organisation responsable de la mort de Gitton :
le détachement Valmy.
Le détachement Valmy, dont trois membres ont participé à l’attentat contre Gitton (“Tours”,
le tireur à vélo, “Cerbère”, le piéton qui a fait semblant de poursuivre le tireur, et “Nancy”,
resté en couverture) est un groupe d’action relevant de la Commission des cadres du Parti
communiste français. Ses missions principales sont de liquider les renégats du PCF
(notamment ceux passés au PPF et au SOPF), de châtier des collaborateurs même sans
antécédents communistes, mais aussi d’éliminer les éléments douteux du PCF clandestin. La
réussite de ce premier attentat va conforter la Commission des cadres dans la pertinence de
son choix et favorisera le développement des actions de “Valmy” au cours de l’automne 1942.
De plus, elle va attirer sur le détachement la faveur de Moscou (où l’on approuve et
recommande cette façon de défendre la ligne du Parti), mais aussi l’intérêt d’Alger (où le
Deuxième Bureau va s’efforcer d’orienter les actions de “Valmy” vers les cibles qui lui
paraîtront les plus souhaitables).
9 août
Laval veut épurer
Paris – Laval est ulcéré quand on lui rapporte les propos tenus la veille par Vallin. Il ordonne
aux services de renseignements du SONEF de Darnand et au Secrétariat général de la Police,
dirigé par René Bousquet, d’élaborer une nouvelle version de la Liste d’Épuration Politique
de l’automne 1940, à la fois plus précise et plus complète que la première.
10 août
Des Résistantes sélectionnées
Moscou et Kharkov – « L’ordre est donné, il partira à l’Ouest, elle dans le sens opposé. Les
Komsomols partaient combattre pour défendre notre pays » : dans ce chant d’une autre
guerre, on a simplement changé les quatre derniers mots, qui étaient « dans la guerre civile ».
Plusieurs centaines de jeunes femmes ont reçu leur convocation au siège du Parti communiste
d’Ukraine, transféré à Kharkov, ou à celui du PC de Biélorussie, provisoirement replié à
Moscou. Leurs points communs : elles sont originaires des territoires occupés, en bonne
condition physique, avec un pedigree politique et social au moins acceptable (pas de koulak
ou de contre-révolutionnaire dans la famille). Elles reçoivent un entraînement accéléré,
apprennent à manier le fusil Mosin-Nagant, le pansement et la grille de chiffrage, à poser une
charge d’explosifs. Bientôt, elles partiront combattre à l’arrière des lignes ennemies.
11 août
Nettoyage ethnique
Novograd-Volynskiy (Ukraine) – Le maréchal von Reichenau, chef de la 6e Armée,
s’inquiète sérieusement des groupes armés qui apparaissent sur ses arrières dans les zones
boisées du nord de l’Ukraine. Il envoie à tous ses commandants d’unités une instruction qui
sera approuvée par son chef le maréchal von Rundstedt et lui vaudra les félicitations du
Führer : « Le but essentiel de la guerre contre le système judéo-bolchévique est la complète
destruction et l’éradication de l’influence asiate dans le cercle de la culture européenne. La
mission de la troupe va donc au delà de la simple tâche du soldat. Le soldat à l’Est n’est pas
seulement un combattant mais le porteur d’une implacable idée ethnique et le vengeur des
Allemands et des peuples apparentés pour toutes les atrocités qu’ils ont subies. De ce fait, le
soldat doit avoir conscience de la nécessité d’une vengeance dure mais juste sur les soushommes juifs. Ceci a pour but d’étouffer dans l’œuf tous les soulèvements qui sont le plus
souvent déclenchés par les Juifs. »
12 août
Heurs et malheurs de Tito
Biha! (Bosnie) – Tito a obtenu la libération d’Andrija Hebrang, chef du Parti Communiste,
en l’échangeant contre des chefs oustachis capturés. Cependant, le PCY ne jouera qu’un rôle
mineur dans la coalition des Partisans – ses meilleurs éléments l’ont déserté dès 1941 pour
rejoindre les titistes… Au demeurant, Hebrang, très éprouvé par sa captivité, n’est guère en
état de contester le pouvoir de Tito. Mais celui-ci songe à l’avenir : la résistance soviétique
depuis près de trois mois (et les nouvelles venant de Smolensk) lui donne à réfléchir. S’il
veut, après la guerre, sauvegarder l’indépendance et l’unité de son pays… ainsi que son
pouvoir personnel, il a intérêt à jouer un subtil équilibre entre l’Est et l’Ouest. C’est pourquoi
il tient à avoir les communistes officiels dans son camp, pour le cas où il faudrait négocier
l’avenir de la Yougoslavie avec les Soviétiques plutôt qu’avec les Occidentaux.
Mais le même jour, sur son flanc sud, les Italiens lui jouent un mauvais tour.
………
Dalmatie, Opération “Alba” – Les Italiens (15e DI Bergamo, 59e Division d’Infanterie de
Montagne Cagliari, éléments d’autres unités, auxiliaires tchetniks et croates) attaquent les
Partisans aux confins de la Dalmatie et de l’Herzégovine. En trois semaines (l’opération va
durer jusqu’au 2 septembre), dix villages seront brûlés. Dès le début de cette campagne, les
Partisans perdent leurs deux avions, détruits au sol le 12 août par des Fiat G.50 utilisés pour
l’appui au sol par les Italiens.
13-14 août
15 août
Laval n’aime pas sa presse
Châteldon – Pierre Laval, qui est allé passer le week-end de l’Assomption (la fête tombe le
samedi) dans sa propriété, ne se gêne pas pour tempêter devant ses proches contre la Presse de
Métropole. « Ceux qui défendent ma politique sont tous des médiocres ! » s’écrie-t-il. « Ils ne
survivent que par les fonds secrets que je leur alloue à pleines mains ! » Il se tourne vers son
directeur de cabinet : « Jardin ! Combien, le mois dernier ? »
« Quelques millions, Président » répond Jean Jardin sans s’engager outre mesure.
Et Laval poursuit sa diatribe : « Entre les saligauds qui n’appuient les Boches que pour mieux
me torpiller et les grands… tenez, La Montagne, par exemple… qui refusent, en réalité, de me
soutenir, je me vois mal parti ! » Il conclut, menaçant : « Marion, et ce salopard de Doriot
avec lui, croient qu’ils auront ma peau. Mais je leur réserve un chien de ma chienne, et ils ne
perdent rien pour attendre. »
Il est vrai que le Président, de longtemps convaincu qu’on n’est jamais si bien servi que par
soi-même, ne se pardonne pas d’avoir abandonné le portefeuille de l’Information à un homme
qu’il méprise – et qu’il a même de bonnes raisons de haïr.
16 au 18 août
19 août
Si ce n’est toi…
Rovno (Ukraine) – De violentes explosions ravagent plusieurs bâtiments utilisés par les
Allemands et leurs collaborateurs locaux, faisant plusieurs centaines de morts et blessés, pour
les deux tiers ukrainiens. C’est par pur hasard qu’Erich Koch, commissaire du Reich en
Ukraine, échappe à la bombe qui le visait : il était en déplacement avec le professeur
Volodymyr Kubiyovych, un de ses principaux collaborateurs locaux, pour étudier un
problème de délimitation entre son territoire et celui de son collègue Heinrich Lohse,
commissaire du Reich pour l’Ostland (Biélorussie et Lituanie).
La population juive de Rovno est immédiatement accusée, délogée de force et « invitée » à
faire ses bagages pour être transférée à Kostopil. Elle n’arrivera jamais jusque là : plus de sept
mille Juifs sont abattus dans la forêt de Klevan par les hommes de l’Einsatzgruppe C avec le
concours du 320e Bataillon de Police, de la 213e Division de Sécurité de la Wehrmacht
(général René de l’Homme de Courbière) et de la police auxiliaire ukrainienne. Mais ce
massacre aurait pu toucher bien plus de monde encore : en effet, une partie importante de la
population juive, évaluée à 30 000 personnes avant la guerre, avait pu être évacuée dans les
premiers jours de l’invasion allemande.
Les Juifs ne sont évidemment pour rien dans les attentats de Rovno, qui ont été organisés par
Dimitri Medvedev, chef des opérations du NKVD pour les territoires ukrainiens occupés. Un
monument soviétique célébrant cette action sera élevé après la guerre sur la place principale
de Rovno. Cependant, compte tenu du grand nombre de victimes ukrainiennes et de la sévère
répression qu’organiseront les Soviétique dans la région après le départ des Allemands, ce
monument sera contesté par les nationalistes ukrainiens et finalement déplacé. Les rancunes
seront durables : encore en 2009, Kirill, patriarche de Moscou, en visite en Ukraine, sera prié
de ne pas se rendre à Rovno « pour raisons de sécurité ».
20 août
21 août
Partisans
Moscou – Une conférence secrète réunit Panteleimon Ponomarenko, premier secrétaire du
Parti communiste de Biélorussie, le général Ivan Maslennikov et un officier du NKVD,
Vassili Zakharovitch Korj, un ancien de la guerre d’Espagne.
En tant que chef de la 29e Armée, Maslennikov se remet lentement des fatigues de l’opération
Borodino (et des apostrophes parfois brutales de Joukov) mais arbore fièrement une nouvelle
série de décorations. Il était aussi, jusqu’au début de la guerre, chef des garde-frontières du
NKVD en Biélorussie : à ce titre, il connaît bien la région frontalière de Biélorussie
occidentale, enlevée en 1939 à la Pologne. Il ne fait que modérément confiance aux
Biélorusses de l’Ouest, même communistes : en 1939, beaucoup de militants du KPZB (Parti
communiste de Biélorussie occidentale) sont passés directement des prisons polonaises aux
camps de déportation du NKVD, et les autres sont restés suspects. Mais Maslennikov, qui
passe pour un des officiers les plus proches de Beria, sait que Staline a accepté de passer
l’éponge sur beaucoup de déviations antérieures à Barbarossa. C’est donc avec la plus grande
attention qu’avec Ponomarenko et Borj, il étudie la possibilité de créer une organisation de
partisans en Biélorussie et plus spécialement dans la région de Pinsk.
Korj connaît bien les réflexes des paysans biélorusses : ils n’aiment pas les fonctionnaires
soviétiques, mais ils détestent encore plus les féodaux polonais, et ils sont certainement
furieux contre les Allemands qui, non seulement refusent de leur rendre leurs terres
collectivisées, mais ont commencé à confisquer massivement leurs récoltes et leurs bétail. Et
puis il y a les Juifs, qui commencent à se cacher dans les forêts pour échapper à la traque des
SS, et un certain nombre de soldats et de garde-frontières, dépassés par l’avance allemande au
début de la guerre et qui ont échappé à la capture e se mettant en civil, mais qui ne demandent
qu’à reprendre le combat. On signale déjà un grand nombre d’exécutions d’otages par les
forces d’occupation fascistes.
Maslennikov souligne les risques de l’opération, mais aussi son intérêt, « à titre
expérimental » : si les partisans arrivent à rester discrets pendant quelques mois, ils pourront
alors couper les voies de communication, que les envahisseurs se donnent tant de mal pour
rétablir, au moment le plus opportun. Au moins, leur menace obligera les fascistes à maintenir
plusieurs divisions de sécurité sur leurs arrières.
Ponomarenko est plus sensible à l’aspect politique. Le comité central, suivant l’inspiration du
camarade Staline, n’a-t-il pas rendu un décret « Sur l'organisation de la lutte des partisans
derrière les lignes ennemies » ? Les Alliés, surtout les Français, sont entichés des Polonais : il
importe de leur montrer que le peuple est uni pour défendre la patrie soviétique, même dans
ces régions contestées.
Le plan de Kroj est simple : quelques dizaines d’hommes, répartis en petites unités,
traverseront les lignes allemandes au nord de Vitebsk et suivront les épaisses forêts du nord et
de l’ouest de la Biélorussie jusqu’à la région des marais de Pinsk, où elles aménageront des
cachettes avant le gel hivernal. Ensuite, il sera possible de leur envoyer du matériel et des
renforts, par avion léger ou par voie terrestre. D’ici là, les fascistes auront probablement eu le
temps de réparer les voies ferrées qui vont de Brest-Litovsk vers Minsk et Gomel : ils vont
avoir une surprise. Les volontaires sont déjà en voie de recrutement et ils montrent un
excellent moral, y compris les femmes.
Kroj évite de dire que ces « fondateurs », comme on les appellera par la suite, ont très peu de
chances de revenir vivants. Au début de la guerre, alors qu’il était en poste à Pinsk, il a tout
juste eu le temps de faire évacuer sa famille vers le Kouban, au pied du Caucase. Il éprouvera
des sentiments mêlés, quelques mois plus tard, en apprenant que ses deux filles se sont
engagées comme brancardières dans le 4e Corps de cavalerie cosaque.
SOE dans les Balkans
Albanie – Quatre Britanniques du SOE sont parachutés dans une zone tenue par un groupe de
la Résistance albanaise, mais ce parachutage ne passera pas longtemps inaperçu. Il ne
surprend pas les services de renseignements de l’Axe : depuis quelques jours, l’OVRA
italienne, l’Abwehr de l’amiral Canaris et le SD de Kaltenbrunner ont noté que le temps
d’émission en langue albanaise a doublé sur la radio du Caire. Il est clair que les Anglais et les
royalistes en exil préparent une action en Albanie : les services de l’Axe renforcent leur
surveillance du petit pays.
22 août
Résistance albanaise
Albanie – Les délégués de six petits partis albanais se réunissent dans la villa du bey Mehdi
Frashëri, ancien premier ministre. Le bey s’est poliment (ou prudemment ?) absenté, et c’est
son frère cadet Mid’hat qui préside la séance. Les récentes attaques aériennes sur Durrës les
ont convaincus que l’Italie était de moins en moins en état de protéger l’Albanie. Il est temps
d’assurer l’avenir de la nation albanaise en constituant un « Balli Kombëtar », un Front
National (l’appellation est très bien portée en Europe à cette époque) et de s’armer pour toute
éventualité. Le commandant Spiro Moisiu, le militaire le plus résolu du groupe, a déjà un plan
pour désarmer les garnisons italiennes du sud du pays.
– Il faut faire vite, dit Mid’hat Frashëri. Sinon, les Alliés livreront l’Albanie aux Serbes et aux
Grecs, et ce qui en restera, ils le restitueront au roi Zog, ce paon vaniteux.
– Mes hommes sont prêts, répond le commandant Moisiu. Ils se lèveront au premier signal.
Moisiu évite de dire à ses associés, issus pour la plupart de la classe des grands propriétaires,
quel lieutenant il vient de recruter : un certain Mehmet Shehu, ancien officier des Brigades
internationales d’Espagne, récemment échappé de France par l’Italie. Un Rouge, donc ! Sans
doute, mais avec une précieuse expérience du combat.
23 au 26 août
27 août
Création de la LVF
Paris – La Légion des Volontaires Français contre le Bolchevisme (dite LVF), présidée par
Eugène Deloncle, est créée un peu plus de trois mois après le déclenchement de l’Opération
Barbarossa. Bien que plusieurs ministres du gouvernement Laval, à commencer par Jacques
Doriot et Marcel Déat, en soient les inspirateurs, l’initiative ne reçoit qu’un soutien du bout
des lèvres de Laval lui-même, jusqu’à son approbation officielle par l’ambassadeur allemand
Otto Abetz. Même ensuite, Laval interdira aux fonctionnaires de l’Etat de s’engager dans la
LVF. Au demeurant, Hitler ne veut pas d’une collaboration militaire avec le “Nouvel État
Français” et le statut extra-gouvernemental de la LVF convient donc parfaitement aux
Allemands. Les organisateurs disent attendre cent mille combattants, mais en deux ans
d’existence de la LVF, 13 000 hommes seulement vont s’enrôler. Plus de 3 000 rejoindront
finalement la Waffen SS et d’autres, 4 à 5 000 sans doute, vont déserter dès que le risque de
voir le feu se précisera. Les autres – guère plus de 5 000 hommes commandés sur le terrain,
non par Deloncle, mais par le colonel de Planard – seront principalement utilisés par les
Allemands comme supplétifs dans la lutte anti-partisans, sur le front russe… ou ailleurs.
D’autres Français vont s’engager directement sous l’uniforme allemand à partir de 1943. Six
mille environ revêtiront l’uniforme de la Waffen SS. Avec les 3 000 déçus de la LVF, ils
constitueront la Division Charlemagne (33e Waffen-Grenadier-Division der SS Karl der
Grosse).
On verra aussi près de 2 000 Français dans le Corps de Transport Automobile des Volontaires
Antibolcheviques de la Luftwaffe (der NSKK Transport Regiment Luftwaffe), qui sera vite
transformé en unité combattante, 4 000 dans l’organisation Todt et même 200 dans la
Kriegsmarine. Mais dans ces trois cas, les motivations paraissent beaucoup plus diverses et en
tout cas moins politiques qu’en ce qui concerne la LVF et la Division Charlemagne.
La collaboration politique avec l’occupant dépasse le cadre militaire, mais le nombre précis
de personnes concernées reste aujourd’hui inconnu (voir appendice 1 pour une évaluation des
organisations collaborationnistes, sans doute sujette à caution, mais proposant des ordres de
grandeur assez fiables d’après les rares documents écrits issus de cette période, les minutes
des procès qui ont suivi la fin de la guerre et les archives de la résistance, FTP compris).
28 août
29 août
30 août
La Rocque prend le maquis
Paris – C’est une fin de dimanche après-midi ensoleillée au Grand Cluny, l’un des nombreux
cafés du Boulevard Saint-Michel. Il y a quelques instants, tout allait bien, le train-train
quotidien, un peu de monde malgré la pauvreté de la carte des alcools, et pour une fois pas
d’officiers allemands à servir. Mais c’était avant l’arrivée d’une demi-douzaine de membres
de la toute neuve Légion des Volontaires Français contre le Bolchevisme, arborant fièrement
un uniforme fort proche de celui des Waffen SS. Ils sortent de la conférence de presse où
Deloncle les a présentés à la “Nouvelle France” et à la “Nouvelle Europe”. Le son des verres
entrechoqués et le murmure des conversations paisibles sont alors couverts par des chants
bruyamment interprétés : ceux du PPF, du NEF ou l’hymne de la LVF.
Le vide se fait autour de leur table, l’ambiance s’alourdit, mais un calme relatif règne encore
quand un homme aux cheveux gris, vêtu, malgré la chaleur, d’un long manteau noir, se lève et
vient se dresser devant la table des “Volontaires Français” : « Vous n’avez pas honte ? »
demande t-il d’une voix grave et sonore.
– Honte de quoi ? s’exclame un des jeunes gens, l’œil flamboyant. C’est pas un rebut du
Chemin des Dames dans ton genre qui va venir nous chercher des poux ! Nous, on se bat pour
la France, Monsieur ! Le bolchevisme est une plaie et d’ici Noël, on l’aura refoulé jusqu’en
Sibérie. Tout ça, on le fait dans l’intérêt supérieur de toute l’Europe ! Les patriotes de la
Nouvelle France, c’est nous !
L’homme secoue la tête, consterné. Aucun de ses interlocuteurs n’a plus de vingt-cinq ans.
– Et c’est par patriotisme que vous allez monter au front sous un uniforme étranger ? C’est la
France que vous allez représenter sous les ordres des hommes qui ont envahi notre pays il y a
deux ans et qui l’occupent encore ? C’est cela, votre patriotisme : servir l’ennemi !
– Nous allons nous occuper de nos vrais ennemis, ceux que nous ont désignés les dirigeants
désignés par l’Assemblée des Forces Vives de la Nation, pas les ennemis de la juiverie
internationale. Si ça, c’est pas du patriotisme ! riposte un autre “Volontaire”, l’air suffisant.
– L’Assemblée des Forces Vives ? s’esclaffe l’individu. Un jeune homme l’a rejoint et lui
pose la main sur le bras pour l’apaiser, mais il le repousse et se lance dans un véritable
discours, dont les autres clients du café ne perdent pas une miette : « Laissez-moi rire ! Laval
et sa bande de jean-foutre ont remplacé un système où des dirigeants naïfs ou corrompus
s’accrochaient à des brindilles de privilèges et de confort aux dépens du peuple, mais ils se
comportent en charognards, qui se repaissent des restes que l’Occupant leur abandonne
après avoir pillé notre pays. Certes, on n’emmène pas la Patrie à la semelle de ses
chaussures et certes le communisme n’apporte rien de bon, mais au bout du compte et pour
l’essentiel, Messieurs, ce que combattra votre LVF, ce n’est pas le communisme ou le
bolchevisme, appelez-le comme vous voulez, ce n’est pas la franc-maçonnerie, ce n’est pas
“Ceux d’Alger” ou je ne sais qui encore. Messieurs, ce que vous allez combattre, c’est la
France ! »
Les six “Volontaires” se dressent, l’injure aux lèvres et les poings serrés, une douzaine de
spectateurs s’interposent, brouhaha, cohue générale…
– Filez vite, Colonel, on s’en occupe, glisse le patron du café.
L’homme, un temps réticent, accepte et s’en va à grands pas, accompagné du jeune homme
qui avait tenté de le calmer.
– Imbécile que je suis ! grogne-t-il. Voilà que je me fais stupidement remarquer ! Quelqu’un
m’aura sûrement reconnu.
– Je le crains, mon colonel, il n’y a pas de raison que seul le patron du café soit
physionomiste, répond son jeune compagnon.
– Les sbires de Darnand vont faire savoir à Laval que je n’ai pas abdiqué, je me suis mis
bêtement en danger, il va falloir prendre des dispositions… Tout ça pour un coup de sang…
– C’est de ma faute, j’aurais dû vous retenir…
– Vous n’y êtes pour rien, Morland, grommelle le colonel François de La Rocque, quand j’ai
vu les couleurs françaises sur un uniforme allemand, j’ai eu un coup de sang… Tant pis, on
ne badine pas avec la France !
31 août
La Rocque arrêté
Paris – Le colonel de La Rocque, accompagné de son secrétaire, le jeune François Morland,
est arrêté en pleine rue par une dizaine d’agents des Sections Spéciales de Lutte contre les
Activités Anti-Nationales. L’interpellation, exécutée sous le prétexte de “Haute trahison”, se
déroule vers 17h00 sur des Champs-Elysées bondés. En quelques heures, la nouvelle fait le
tour de la capitale.
Pourtant, La Rocque n’aurait jamais dû se trouver là. La nuit précédente, il a pris plusieurs
décisions qu’il repoussait depuis quelques mois. C’est ainsi que Noël Ottavi, son bras droit,
prend sa place à la tête du Réseau Klan, qu’il représentera le soir même à la réunion du
Comité National de la Résistance. Le colonel a pris ses dispositions pour fuir Paris et être
exfiltré vers Londres. Mais le train qu’il devait prendre avec son secrétaire a été supprimé, la
voie ferrée – ironie du destin – ayant été endommagée par une action de la Résistance ;
l’arrestation d’un des relais de la filière d’évasion – un malencontreux hasard de plus – a
empêché de trouver immédiatement une solution de rechange.
C’est pourquoi La Rocque s’est retrouvé bloqué à Paris en compagnie de Morland. C’est
Ottavi qui a présenté au colonel ce jeune homme, dont le curriculum vitae atteste la valeur :
membre des Volontaires Nationaux (le mouvement de jeunesse des Croix-de-Feu), fait
prisonnier en Quarante, il s’est évadé et a repris contact, sitôt revenu en France, avec d’autres
anciens des Volontaires Nationaux. Le colonel est fort satisfait des services de ce jeune
homme cultivé, dont il a refusé de connaître le véritable nom. Ce sont les hommes de Doriot
qui lui apprendront qu’il se nomme en réalité Mitterrand1.
En effet, c’est bien Doriot, informé par un des jeunes LVF qui a reconnu De la Rocque, qui a
donné l’ordre de l’arrêter. Laval sera mis devant le fait accompli un peu. Il semble que Doriot
ait voulu se poser comme un dur parmi les durs, alors que le lancement de Barbarossa a donné
un tour nouveau à la guerre et que la création de la LVF marque une étape de la
Collaboration.
Dans son bulletin d’informations du soir, Radio Nouvelle France2 annonce brièvement
l’arrestation du colonel de La Rocque, « vieux politicien déchu, réfractaire à la Nouvelle
France ».
Quelques échauffourées ont lieu dans le courant de la nuit : d’anciens membres du Parti
Social Français s’en prennent à des hommes des Sections Spéciales de Lutte contre les
Activités Anti-Nationales de Doriot, mais aussi à des représentants du Service d’Ordre du
Nouvel État Français de Darnand. On compte une dizaine de blessés, dont un grave, le jeune
Lucien Lacombe, des SSLAAN3. En revanche, il n’y a que six interpellations pour “troubles à
l’ordre public”.
Pour la lutte armée
Corse – Le sous-marin français Monge dépose 15 tonnes d’armes destinées à la Résistance.
1
On sait aujourd’hui que ce dernier, à son arrivée à Paris, avait aussi pris contact avec certaines de ses relations
dans l’entourage de Laval et notamment avec René Bousquet (par l’intermédiaire d’un collaborateur de celui-ci,
Jean-Paul Martin). Mais ce lien, qui n’a pas suffi à éviter à Mitterrand l’arrestation, la prison et les mauvais
traitements, ne permet pas d’en faire le Judas que certains ont dépeint. A la fin de sa vie, Mitterrand regrettera
cependant publiquement le procès et l’exécution de Bousquet, en 1945, expliquant qu’une intervention de sa part
lui avait sans doute « sauvé la peau » fin 1942.
2
L’ancienne Radio Paris a été rebaptisée sur l’inspiration de Philippe Henriot, qui a cru ainsi échapper au slogan
meurtrier « Radio Paris ment, Radio Paris est allemand », mais en pratique, tout le monde continue d’appeler
par son ancien nom la station la plus collaborationniste de France.
3
Lacombe se remettra, après avoir failli devenir le Horst Wessel français. Ses blessures lui sauveront peut-être
la vie : après une longue hospitalisation et une encore plus longue convalescence, il s’éloignera de la
Collaboration, reprendra des études et pourra après la guerre se faire pardonner ses péchés de jeunesse en
écrivant une Histoire de la Collaboration sans complaisance ni diabolisation qui fait encore référence.
Appendice 1
Les Collabos en 1942
Extraits de l’ouvrage de Lucien Lacombe « Les Collabos – Histoire de ces Français qui
souhaitaient la victoire de l’Allemagne » (Paris, 1975, rééd. mise à jour, 1990).
En 1942, trois organisations se partagent l’essentiel du terrain politique collaborationniste
depuis l’instauration du premier gouvernement du Nouvel Etat Français le 13 août 1940, sous
l’autorité (en principe) de Pierre Laval. Elles sont théoriquement coiffées par le Parti du
Renouveau Français (PRF), mais il faut admettre que celui-ci, déchiré par les luttes
d’influence entre Déat, Doriot et Laval, ne sera jamais qu’une sorte de coquille vide.
– Le Rassemblement national populaire (RNP) est un parti fondé par Marcel Déat (ancien
dirigeant de la SFIO), ministre de l’Economie et du Travail. D’inspiration socialiste et
européenne, il se destine à « protéger la race » et à collaborer activement avec l’Allemagne
nationale-socialiste. Il est constitué autour d’un noyau d’anciens militants de la SFIO (outre
Marcel Déat, Francis Desphelippon, ancien responsable des Amicales socialistes, Roland
Silly, secrétaire de la section CGT des techniciens et surtout Georges Albertini, ancien
secrétaire des Jeunesses Socialistes et très vite secrétaire général du RNP), de néo-socialistes,
de syndicalistes, de communistes (Henri Barbé), de trotskystes (qui créeront plus tard le Parti
des Travailleurs), de membres de l’Union nationale des combattants (UNC) dont son
président, l’industriel et député conservateur Jean Goy, ainsi que de divers cagoulards passés
par le Mouvement Social Révolutionnaire.4 Les effectifs du RNP tournent entre 40 000 et
50 000 adhérents.
Son bras armé, le Contrôle Économique, qui soutient Marcel Déat à son poste de ministre de
l’Économie et du Travail, est certainement l’amalgame le plus improbable de tout le potpourri de la collaboration française. Comme les milices des autres partis, cette troupe
paramilitaire recrute en dehors de son organisation mère. Elle comptera environ 11 000
hommes plus préoccupés de piller dans leur intérêt personnel que de construire la Nouvelle
Europe ; leur efficacité militaire est extrêmement limitée (surtout après la mutation de 2 000
de se éléments les plus… motivés à la Garde Française). Plus redoutable peut-être est la
propagande répandue par l’organe officiel du parti, le journal L’Œuvre, dirigé par Déat luimême depuis 1940.
– Le Parti populaire français (PPF) est un parti d’extrême-droite, d’inspiration fasciste
“classique”, conduit par Jacques Doriot, ministre de l’Intérieur et de la Reconstruction
Nationale. Fondé en 1936 par d’anciens membres du Parti Communiste français, tel Henri
Barbé (bientôt dissident vers le RNP) ou Paul Marion, il a compté dans son bureau politique
le maire de Marseille, Simon Sabiani, très lié au Milieu marseillais. Cependant, dès 1937, le
PPF regroupe d’anciens militants des ligues dissoutes en juin 1936 par le gouvernement de
Léon Blum. Certains, pour qui le fascisme prolonge leur précédent engagement politique, sont
venus de l’Action Française. D’autres, lassés du légalisme manifesté par le colonel de La
Rocque, sont venus des Croix-de-Feu. D’autres enfin sont venus de Solidarité Française et
quelques-uns du francisme de Marcel Bucard, comme Vauquelin des Yveteaux, chargé de la
propagande au PPF. L’organe du parti est L’Émancipation Nationale. Il dispose d’un
mouvement de jeunesse, l’Union Populaire de la Jeunesse Française (UPJF).
En 1938, le PPF compte probablement 60 000 adhérents, et 95 000 en 1940. Initialement, les
ouvriers et les chômeurs y sont majoritaires, mais, comme le remarque Pierre Milza (Les
4
Ces derniers, ultra-minoritaires, quitteront le parti fin 1940 pour rejoindre leur ancien chef, Eugène Deloncle,
au SONEF.
Fascismes, Imprimerie nationale, Paris, 1985), l’embourgeoisement du PPF et son corollaire,
l’abandon des revendications sociales osées, sont encore plus rapides dans le parti de Jacques
Doriot que dans celui de Mussolini. C’est particulièrement net en dehors de l’agglomération
parisienne. La section de la Côte-d’Or, jugée représentative de la province, comptait une
moitié de militants issus des Croix-de-Feu, un tiers venus d’Action française, et seulement un
dixième venus du PC ou de la SFIO. Le PPF attire, jusqu’en 1939, des technocrates qui
occuperont des postes importants dans le gouvernement de collaboration, comme Pierre
Pucheu. Il touche aussi des intellectuels, comme l’écrivain Pierre Drieu La Rochelle,
ouvertement fasciste, le médecin eugéniste Alexis Carrel ou les maurrassiens Paul Chack et
Abel Bonnard, qui participent à l’élaboration du programme économique du Front de la
Liberté en 1937.5
Jusqu’en 1938, le PPF se garde de verser dans l’antisémitisme, expliquant qu’il a bien mieux
à faire qu’à s’en prendre aux Juifs, ou a fortiori à les défendre. Mais à partir de l’automne de
cette année, ses positions évoluent rapidement : l’influence du nazisme et des éléments les
plus durs du fascisme italien s’affirme.
Le 19 novembre 1940, le PPF forme pour soutenir son chef une unité paramilitaire baptisée
Sections Spéciales de Lutte contre les Activités Anti-Nationales, que Doriot préfère baptiser
du nom plus poétique de Croisés de la Reconstruction (et dont l’uniforme brun rappelle à s’y
méprendre celui des défunts SA…). Ce bras armé englobera non seulement les militants
désireux d’en découdre sur le terrain, mais aussi un grand nombre d’aventuriers et de truands
recrutés principalement dans le Sud de la France. Il comptera jusqu’à 17 000 hommes (dont
3 000 seront mutés à la Garde Française).
En revanche, si les forces de police comptent environ 15 000 hommes, le ministre de
l’Intérieur ne peut vraiment compter que sur 2 000 à 3 000 hommes, le reste de l’effectif étant
considéré comme « infecté par les communistes » (le terme « communistes » incluant dans ce
cas le gouvernement d’Alger) et donc absolument pas apte à recevoir d’autres armes que des
pistolets, car susceptible de passer au maquis avec armes et bagages.
– Le Service d’Ordre du Nouvel Etat Français (SONEF), dirigé par Joseph Darnand,
installé par Laval comme ministre de l’Intérieur-bis à titre personnel, n’est pas à proprement
parler un parti.
Dans les semaines suivant l’entrée des Allemands à Paris, alors que certains pensent
inévitables la capitulation française et l’armistice, germe l’idée d’une organisation de
« maintien de l’ordre national », qui paraît d’autant plus nécessaire après le départ du
gouvernement pour Alger. Le 25 septembre 1940, Pierre Laval crée les Groupes de Défense
du Gouvernement Provisoire. Ces Groupes doivent « collaborer avec la Police dans le recueil
des informations sur les mouvements subversifs et factieux et organiser la sécurité des
responsables du GPEF. » En fait, Laval souhaite en faire sa garde personnelle. Dès le 6
novembre, il décide de transformer les GDGP en Service d’Ordre du Nouvel Etat Français
(SONEF), dont il confie le commandement à Joseph Darnand.
Le SONEF prône le culte du Chef, la haine de la démocratie, le racisme mais aussi la
« Collaboration » avec l’Allemagne nazie, que Laval prêche personnellement à la radio à
partir de sa rencontre avec Hitler, le 21 août 1940. Les positions collaborationnistes de
Darnand semblent d’ailleurs adoptées sous l’influence de Laval, dont il prend à la lettre les
déclarations et ne cessera jamais de recevoir le soutien.
5
En 1937, le PPF forme un Front de la Liberté, pour s’opposer au Front populaire, avec le Parti Républicain
National et Social dirigé par Pierre Taittinger (avatar des Jeunesses Patriotes, également dissoutes en juin 1936),
le Parti Agraire et Paysan français de Fleurant Agricola et la Fédération Républicaine, l’un des deux grands
partis de droite de l’époque. L’Action française, sans y adhérer formellement, en est très proche et soutient les
candidats du Front aux élections, notamment aux législatives partielles de 1937, 1938 et 1939.
Prenant exemple sur la SS et la Waffen-SS, Darnand crée très vite une organisation
paramilitaire dépendant du SONEF : la Milice Française. Cette milice sera la source
principale des effectifs de la Garde Française, créée en 1942 et qui comptera jusqu’à 30 000
hommes en uniforme noir, dépourvus des convictions internationalistes des engagés dans la
LVF, mais supplétifs zélés de la Wehrmacht sur le territoire français. Malgré leurs noms
officiels, ces deux organismes seront en général appelés “Milice” ou “Garde”, tout court, à
moins qu’on ne les désigne, avec pertinence, comme la Milice ou la Garde “du NEF”.
Le peu de différences entre le SONEF et la Garde Française, qu’il s’agisse des uniformes, des
domaines d’intervention ou des fonctions, est toutefois à nuancer. Certes, les Français
regroupaient sous le nom de “Milice” tout ce qui était de près ou de loin aux ordres de Joseph
Darnand – en revanche, les membres du SONEF (après le transfert du gros des effectifs à la
Garde à la fin de 1941) affichaient un certain mépris pour ceux de la Garde proprement dite,
ces derniers ne valant pas mieux à leurs yeux que « ceux de Doriot » ou « ceux de Déat ». Fin
1942, le SONEF, réduit à la dimension d’une sorte de police d’Etat d’élite, sera dirigé par un
jeune homme de 27 ans, Paul Touvier, qui compensera son peu d'expérience par une
motivation qui plaira beaucoup à l’Occupant. Les archives du SONEF ayant été en grande
partie détruites, les effectifs de l’organisation restent encore assez difficiles à préciser à
l’heure actuelle.
Par ailleurs, si la gendarmerie dépend en théorie de Laval (ministre, entre autres, de la
Défense), parmi les effectifs qui n’ont pas rejoint Alger, 500 à 900 hommes en tout et pour
tout ont prêté serment au chef autoproclamé du Nouvel Etat Français …
– Il faut compléter ce sinistre panorama en évoquant d’autres organisations militaires et/ou
politiques soutenant le gouvernement Laval.
Le Nouveau Parti Social Français (NPSF), dont la création fut décidée par Laval lui-même à
la suite des émeutes ayant suivi l’arrestation de De la Roque, prit forme en septembre 1942.
Les deux leaders de ce parti furent Paul Creyssel (nommé secrétaire d’état aux Questions
Economiques à la fin de 1941) et Marcel Deschaseaux, ancien député PSF des Vosges. Honni
par les différents mouvements collaborationnistes “purs et durs”, qui y voyaient un faux nez
de Croix-de-Feu accrochés au légitimisme de La Roque ; raillé par les adhérents d’avantguerre du véritable PSF (dont le nombre est incertain : les chiffres vont de 100 000 à un
million), le NPSF ne réussira jamais à faire illusion. Il restera une coquille vide, malheureuse
création de Pierre Laval (son affiliation à l’artificiel Parti Unique, le Parti du Renouveau
Français, se fera plus d’un an après sa création, en novembre 1943, alors que les Alliés
avaient déjà repris pied sur le sol de la Métropole !). Ses effectifs réels ne dépasseront jamais
4 000 adhérents.
Le Mouvement Franciste (MF) a été fondé en 1933 par Marcel Bucard. Cette ligue, qui
regroupait jusqu’à 10 000 adhérents avant 1940, est l’équivalent français du fascisme italien
et bénéficie même de subventions de Mussolini. Les francistes, que l’on nomme aussi les
“Chemises Bleues”, portent l’uniforme et saluent à la romaine, comme Solidarité Française. À
la mort du président de Solidarité française, François Coty, en 1934, ses membres se rallient
au Mouvement Franciste. Les Chemises Bleues déclarent à cette époque : « Notre philosophie
s’oppose sur l’essentiel à celle de nos aînés. Nos pères ont voulu la liberté, nous réclamons
l’ordre. Ils ont professé l’égalité, nous affirmons la hiérarchie des valeurs. » Ouvertement
fasciste et antisémite, sans doute le plus extrémiste de l’époque, il participe aux émeutes du
6 février 1934. Le Mouvement est dissout en juin 1936 et Bucard est emprisonné. Un essai de
reformation en 1938 est de courte durée, car le parti est rapidement dissous à nouveau.
Cependant, en octobre 1940, Bucard parvient à remettre sur pied son parti dans l’ombre du
PRF. De 600 adhérents en décembre 1940, il atteint les 6 000 en août 1942 – mais parmi eux,
combien de convaincus et combien d’opportunistes ?
L’Action Française tente (non sans mal, puisqu’une partie de ses militants ont rejoint le PPF,
tandis que d’autres ont émigré pour aller s’engager dans l’Armée en Afrique du Nord) de
fédérer diverses ligues encore actives, ou reconstituées après août 1940. Les deux principales
sont les Jeunesses Patriotes et le Faisceau.
Les Jeunesses Patriotes, créées en décembre 1924, se présentaient comme la “section jeunes”
de la Ligue des Patriotes de Déroulède, dont l’objectif était un renforcement du pouvoir
exécutif et « la protection des institutions contre la gauche ». Les Jeunesses Patriotes avaient
adopté des rituels inspirés du fascisme italien, défilés militaires et saluts “à la romaine”. Mais
elles étaient plus fascistes dans leur rituel que dans leur programme. Reformées en 1941 sous
l’impulsion de Serge France, elles totalisent alors 200 à 600 militants très actifs, prônant
surtout la lutte armée contre l’ennemi bolchevique (la plupart finiront par s’engager dans la
Division Charlemagne en 1943).
Le Faisceau a été créé le 11 novembre 1925 par Georges Valois, ancien anarchiste et
royaliste. Cette ligue, qui revendique ouvertement un fascisme inspiré du modèle italien,
entend faire la synthèse du nationalisme et du socialisme : instaurer une dictature nationale
au-dessus de toutes les classes sociales, avec un chef proclamé par les combattants et acclamé
par la foule. Elle se compose de quatre Faisceaux (le Faisceau des Combattants ou Légion,
regroupant les anciens combattants de la Première Guerre et des guerres coloniales, organisés
en compagnies, sections et groupes ; le Faisceau des Producteurs, composé de corporations ;
le Faisceau des Jeunes avec les Jeunesses Fascistes et les organisations universitaires ; le
Faisceau Civique enfin). Elle dispose d’un journal (Le Nouveau Siècle, fondé le 26 février
1925). Ses adhérents, toujours sur le modèle italien, portent un uniforme ; en 1926, ils sont
25 000. Mais le Faisceau connaît en 1928 de graves dissensions internes et éclate. Il est
reformé en 1941 par le fils de Georges Valois, Edmond, qui ne parvient à porter son effectif
qu’à 1 200 adhérents.
Une poussière d’organisations locales plus ou moins fidèles à Laval complète le tableau.

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