ENOUGH LE DEGRE QUI REND POSSIBLE Comment définir la
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ENOUGH LE DEGRE QUI REND POSSIBLE Comment définir la
Catherine MOREAU Université de Bordeaux 3 (JE 2385) ENOUGH LE DEGRE QUI REND POSSIBLE Comment définir la suffisance? Assez ou trop par rapport à quoi? Quel repère pour déterminer ce qui suffit, ne suffit pas, ou est excessif? Malgré les propriétés syntaxiques que cette construction partage avec les structures comparatives, on orientera l’étude vers une construction résultative découlant du degré atteint ou dépassé en fonction d’une norme. L’adéquationà la norme engendrera l’accès au possible, la non-adéquation le bloquera. Introduction La notion de suffisance fait appel à deux types d’opposition : Enough s’oppose à not enough (l’insuffisance) et à too (l’excès) ; c’est le complémentaire de deux notions totalement opposées. Si l’on veut envisager de définir un domaine notionnel de suffisance, on se heurte au problème suivant : considérant que l’Intérieur I est représenté par enough, son complémentaire E (not enough/too) serait alors représenté par des valeurs opposées et contradictoires (insuffisance et excès). On ne peut donc pas travailler sur un seul domaine notionnel. Pour cette raison, on exclura la notion de gradient 1 puisqu’il n’y a pas de centre attracteur permettant de s’éloigner vers des zones de plus en plus faibles, étant donné l’existence de deux directions opposées (insuffisance et excès) partant de ce pôle. Je remercie Fabienne Dedieu et Jean-Pierre Gabilan de leur relecture attentive. 1 A. Culioli (1990 : 61) 2 CATHERINE MOREAU Il faut alors parler en termes de degrés, ce qui implique la prise en compte d’une échelle et non d’un gradient. Ceci nous permettra de conserver l’opposition binaire entre enough et les deux autres marqueurs, en termes de « degré d’adéquation » : ADEQUAT (enough) / NON-ADEQUAT (not enough/too). Pour cela nous allons examiner le comportement syntaxique de ces marqueurs, comparer leur structure propositionnelle à celle des comparatives, établir leur lien avec les résultatives et montrer que le degré ainsi défini est fortement lié au phénomène de validation. 1. Le degré 1.1. Comportement syntaxique Too et enough partagent la propriété d’apparaître dans le paradigme de l’adverbe. Le critère positionnel permet aussi de les différencier : too comme pré-modificateur, alors que enough est un post-modificateur. Dans un seul cas il apparaît comme pré-modificateur dans les constructions nominales opposées en enough + Nom et Nom + enough2. A noter que son équivalent lexical sufficiently adopte la position opposée3: He doesn’t speak loud enough / he doesn’t speak sufficiently loud. Ils sont tous deux modifiables par des adverbes (just enough, quite enough, only enough), seul too admet des modificateurs de comparatifs (far, a little). Enfin ils sont regroupés par R. Quirk4 sous la rubrique des intensifieurs et ils opèrent tous deux comme outils scalaires : enough y est présenté comme un atténuatif (‘downtoner’) de type ‘compromizer’ qui situe en-dessous d’une norme, avec le sens de ‘moderately’, ‘more or less’ (she seems happy enough). Too, en revanche, est présenté comme un amplificateur (‘amplifier’) qui situe au-dessus d’une norme (it’s too late). C’est donc bien en termes de degré et de norme que le problème se pose. 2 Nous n’aborderons pas dans cet article les constructions en enough + Nom et Nom + enough, qui ont déjà fait l’objet d’une étude par C. Delmas (1983). 3 P. Cotte (1981 : 63) 4 R. Quirk (1985 : 7.56 et 8.111). ENOUGH LE DEGRE QUI REND POSSIBLE 3 1.2. Degré sur une échelle Le degré se définissant comme l’élément d’une échelle, il faut prendre en compte les propriétés de gradabilité des notions associées à enough et too et établir par rapport à elles une échelle graduée où l’on retrouve les degrés représentant les notions de suffisance, d’in-suffisance et d’excès. L’échelle comportant ces degrés est imaginaire car la gradabilité résulte d’une construction énonciative5, ce qui va donner à ces degrés un caractère subjectif. On pourra ainsi jouer sur la construction de la notion associée comme le montre l’emploi de enough avec un adjectif qui, par son sémantisme, fonctionnerait davantage comme non gradable : (1) No spoken language has yet been found exact enough to express the highest generalisations. F. Myers (Aucune langue parlée n’a jusqu’à présent été jugée suffisamment exacte pour exprimer les plus grandes généralisations) On constate qu’une quantification objective n’empêche pas d’apprécier subjectivement par rapport à des degrés de suffisance (2), d’insuffisance (3) ou d’excès (4) : (2) 'I have answered three questions, and that is enough,' said his father. L.Carroll, Alice’s Aventures in Wonderland (‘J’ai répondu à trois questions, ça suffit,’ dit son père) (3) She saw him one morning at his own house, and has since dined with him in company four times. This is not quite enough to make her understand his character. J. Austen, Pride and Prejudice ([…] quatre fois. Ce n’est pas tout-à-fait suffisant pour comprendre sa personnalité) (4) ‘[…] The crowd got there too quickly. Thirty seconds after the smash they were all standing over me and staring at me… It’s not right they should run that fast, so late at night…’. R. Bradbury, The Crowd ‘[…] La foule s’est rendue sur place trop rapidement. Trente secondes […] Ce n’est pas normal qu’ils arrivent si vite à une heure aussi tardive’) Ainsi l’idée de degré renvoie à une mesure. L’échelle établit alors une opération quantitative ou qualitative selon la notion qui lui est associée. On 5 C. Charreyre (1997 : 53) : « […] est préférée ici une approche où cette gradabilité relève d’un construit énonciatif mettant en œuvre le jeu sur le domaine notionnel. ». 4 CATHERINE MOREAU parlera donc en termes de degrés de quantité sur de la quantité (Qnt sur Qnt) ou en termes de degrés de qualité sur du non-quantifiable (Qlt sur Qlt). L’échelle des degrés est une échelle sémantique qui, comme le propose Rivara6 dans son étude sur les adjectifs graduables, renvoie à un « continuum » mettant en jeu « un accroissement continu où les degrés se définissent par rapport au degré précédent : c’est le cas des degrés associés à enough, not enough et too. En (5) la quantité associée à la notion ne permet pas d’atteindre le degré de suffisance ; en (6) une petite quantité devrait permettre de l’atteindre ; en (7) elle l’atteint et finit par le dépasser en (8) : (5) ‘Has Lester been talking?’ ‘Some, but not enough’. R. Macdonald ( ‘Est-ce que Lester a parlé?’ ‘Un peu, mais pas suffisamment’) (6) Get as many men as you need. Use as few as possible but use enough. N. Harman, Dunkirk: The Necessary Myth (Prenez autant d’hommes qu’il faut. Utilisez-en aussi peu que possible mais utilisez-en suffisamment) (7) It only required a little more persuasion, just enough to save his selfrespect. J. Austen, Pride and Prejudice (Cela réclamait juste un peu plus de persuasion, juste assez pour préserver sa propre estime) (8) Before she had drunk half the bottle she found her head pressing against the ceiling,[…]“That’s quite enough – I hope I sha’n’t grow anymore – As it is, I ca’n’t get out at the door – I do wish I hadn’t drunk quite so much!” L. Carroll, Alice’s Adventures in Wonderland (Avant d’avoir bu la moitié de la bouteille elle se retrouva la tête coincée au plafond […] ‘Ça suffit – j’espère que je ne vais pas grandir davantage – Oh, je ne peux plus sortir – je regrette d’avoir bu autant !’) En (7) a little more illustre la progression dans l’échelle quantitative pour atteindre le degré de suffisance (just enough). De même, en (8), l’excès est exprimé par le biais de quite so much (quantité rejetée par Alice et équivalente ici à too much). Il se définit donc par rapport à enough dans un continuum croissant. 6 R. Rivara (1983). ENOUGH LE DEGRE QUI REND POSSIBLE 5 Ainsi, on constate que la construction des degrés passe par une comparaison implicite7. Ceci nous oriente vers une étude parallèle de la comparaison et de la suffisance. 2. Structure comparative : comparaison ou non ? 2.1. Comparaison: On peut considérer que l’expression du degré de suffisance partage avec la comparaison une structure commune qui admet dans les deux cas les mêmes orientations syntaxique et sémantique. 2.1.1. Structure syntaxique et orientation. Il est souvent question dans les grammaires de proposition comparative. Cette structure admet en effet plusieurs propriétés communes avec les structures comparatives : - Les adverbes qui modifient les comparatives modifient aussi too : it’s far too late. - L’élision du verbe est admise dans la comparative : bigger than John (is). De même on remarque l’élision de l’objet lorsqu’il est identifié au sujet de la comparée: (9) This coffee is too hot / warm enough for us to drink (it). (Ce café est trop chaud / assez chaud (bon à boire) pour être bu) - Dans le même sens, Quirk8 considère que cette construction comparative entre dans le paradigme des adverbiaux car la subordonnée est permutable avec une proposition en so that résultative ou finale. Comme les résultatives, la subordonnée est uniquement en position finale ; comme les finales, elle est corrélée à un premier élément (enough …, too …). - Toute comparaison implique un élément comparé (proposition englobante) suivi d’un élément de comparaison (proposition subordonnée) qui ici est une proposition infinitive : (10) How glad I am that my sons are too young to fight. By the time they are old enough to be soldiers it will certainly all be over if it starts. 7 J. Goes (1999 : 67) : « La gradation implique d’ailleurs une comparaison implicite : elle n’est interprétable que par rapport à une norme implicite propre à la classe dont fait partie l’objet qu’elle détermine. ». 8 R. Quirk (1985 : 15.75) 6 CATHERINE MOREAU B. Vine, Asta’s Book. (Quelle chance que mes fils soient trop jeunes pour combattre. D’ici à ce qu’ils soient en âge d’être soldats, tout sera sûrement terminé si ça commence) La syntaxe construit donc le comparant hiérarchiquement inférieur au comparé puisqu’il apparaît sous la forme d’une proposition subordonnée. Cependant l’orientation syntaxique privilégie la relation comparé-comparant en plaçant le comparé en tête. C’est lui que l’on cherche à définir. En effet la construction typique des comparatives met en jeu une corrélation, que M. Noailly appelle une « mise en balance »9 entre les deux pôles que sont le comparant et le comparé. Cette corrélation est de type repéré-repère10. Ainsi on constate une orientation syntaxique commune aux deux systèmes, qui va de pair avec une orientation sémantique inverse, où le comparant est un repère. 2.1.2. Orientation sémantique : statut énonciatif du repère-comparant Dans les deux cas de figure, l’orientation inverse de la structure syntaxique reflète l’ordre des opérations sémantiques : dans une première opération constitutive, on pose l’existence du repère-comparant qui fonctionne comme repère constitutif et à partir duquel, dans un deuxième temps, on pose l’existence d’un degré de la propriété du repéré-comparé : degré identique ou non (pour le comparatif d’égalité ou d’inégalité), adéquat ou non (pour la relation de suffisance en enough, not enough, too). Dans la relation de suffisance, le repère-comparant apparaît sous la forme d’une représentation notionnelle. La présence de l’infinitif ou d’une forme 9 M. Noailly (1993). 10 C’est en ces termes de comparaison et de degrés que dans son étude des relations de comparaison, R. Rivara (1995 : 30) définit la relation d’égalité (EG) comme celle où le comparé atteint un niveau identique au comparant ; et pour ce qui est des relations d’inégalité (ER), la « supériorité est celle du degré atteint par un terme « comparé » par rapport à un point de référence, qui est le degré atteint par le « comparant ». ENOUGH LE DEGRE QUI REND POSSIBLE 7 lexicale est une marque de désignation11, de mention de la notion, ce qui confère au repère un statut notionnel. Ce renvoi à la notion fait appel à une norme qui fait l’objet d’un consensus entre co-énonciateurs; elle représente un point de départ, le thème, correspondant à ce qui est requis pour construire le degré jugé suffisant : AD (= adéquat // EG) ou excessif : NON-AD (= non-adéquat // ER). Cette norme est jugée plus ou moins objective: (11) There are enough bedrooms for the children to have one each. (Il y a assez de chambres pour chacun) B. Vine, Asta’s Book (12) "Haven't you had enough exercise for one day?" J. Austen, Pride and Prejudice (‘N’as-tu pas fait assez d’exercice dans la journée?) (13) His mind is too jumpy for sleep. J.C. Oates (Il a l’esprit trop agité pour dormir) (14) Mind you, I’m glad you’ve decided to settle down. You’re too old for sleeping around. J. Braine, Room at the Top ([…] Tu es trop vieux pour découcher) On peut gloser les repères par des formulations du type: Si on veut qu’ils aient chacun leur chambre (11’), par rapport à la norme journalière requise (12’), si on s’intéresse aux propriétés du sommeil <sleep> (13’), ou à l’activité de découcher (14’) … Une fois le repère posé sous forme notionnelle, on asserte que le degré associé à la notion du comparé est adéquat ou non : par exemple, le nombre de chambres est jugé suffisant (12), ou la nervosité est jugée excessive (13). 2.1.3. Système comparatif EG-ER // Enough-too : Ces deux systèmes sont fondés sur une opposition binaire. Dans les deux cas la notion d’infériorité n’a pas de marqueur spécifique : on a recours à la négation de l’égalité (not so much / not so little) comme à la négation de la suffisance (not enough). Il n’y a pas de marqueur spécifique pour l’infériorité car il n’y a pas d’infériorité par rapport au seuil-repère. La négation inverse l’orientation première de la construction scalaire, de sorte que les degrés sont parcourus 11 A. Culioli (1992-99 : 133). 8 CATHERINE MOREAU toujours vers un degré plus élevé (ER)12 dans le sens de l’orientation sémantique de la notion. L’énoncé (7) ci-dessus illustre cette progression sur l’échelle. L’opérateur ER de l’inégalité, adapté ici à la non-adéquation, construit donc une supériorité sur l’échelle considérée. Il opère sur deux types d’échelles orientées à l’inverse : (15) Too much fratricide, too little fraternity. The Observer (Trop de fratricides, trop peu de fraternité) (16) Too many students chasing too few universities. D. Williams (Trop d’étudiants en quête d’universités en trop petit nombre) D’autre part, l’équivalence sémantique entre not enough et too few montre bien que la négation inverse l’orientation : (17) There are not enough trees here for it to be truly natural.' E. Hemingway, For Whom the Bell Tolls (Il n’y a pas assez (= il y a trop peu) d’arbres ici pour que ça paraisse vraiment naturel) (18) The few notices I received were good, but there were too few to put the book on the map. R. Manning ([…] Il y en avait trop peu (= pas assez) pour que le livre soit un succès) Ainsi les opérateurs d’égalité et d’inégalité (EG/ER) du système comparatif permettent de rendre compte des notions d’adéquation et de non-adéquation (AD/NON-AD) inhérentes à la relation de suffisance. On peut ainsi établir deux parallèles : l’un entre l’opérateur d’égalité EG, marqueur d’identité, et enough marqueur d’adéquation ; l’autre entre l’opérateur ER d’inégalité, marqueur d’altérité, et not enough/too marqueurs d’inadéquation. 2.2. Ce n’est pas une comparaison. Malgré ces rapprochements, on constate d’importantes divergences : 12 R. Rivara (1993 : 41) : « Cela seul permet de comprendre que l’emploi absolu d’un adjectif graduable indique beaucoup plus que la simple possession d’une propriété classificatoire ». ENOUGH LE DEGRE QUI REND POSSIBLE 9 - La relation d’adéquation est non marquée : *as enough. En effet, enough n’est pas un degré comparatif, mais un degré qui fonctionne comme un pôle, un point de départ. - Dans le système comparatif, l’existence du degré comparant est nécessairement posée ; la subordonnée comparante (19) est donc positive ou semi-négative13 (ou non positive), alors que l’autre système (20) admet aussi une valeur négative: (19a) He eats as much / as little as I do (*not) (valeur positive). (Il mange autant / aussi peu que moi / que je ne mange *[pas]) (19b) He eats more/less than I could (*not): (valeur non positive). (Il mange plus/moins que moi / que je ne mange *[pas]) (20a) He’s old enough to do some work (valeur positive). (Il est assez grand pour travailler / avoir un travail rémunéré) (20b) He’s too old / not old enough to do any work (valeur non positive). (Il est trop vieux / pas assez grand pour travailler / faire le moindre travail) (20c) They are brave but stupid people, he thought. But they have sense enough now not to attack us again until the planes come. (valeur négative). E. Hemingway, For Whom the Bell Tolls ([…] Mais ils ont assez de bon sens pour ne pas nous attaquer…) - Enfin, dans la construction de la suffisance le degré atteint par le comparant ne sert pas de repère à un degré quelconque atteint par le comparé, comme c’est le cas dans la comparaison14. 2.3. Représentation scalaire La suffisance est un degré à atteindre (21) et éventuellement à ne pas dépasser (22) : (21) Tea drinkers need cups, fine enough to taste from and strong enough to hold very hot liquid and these qualities were apparently not achievable by colonial potters. J. Harlow, England's developing economy 13 Voir à ce sujet R. Rivara (1995). 14 Id. (1995 : 30). 10 CATHERINE MOREAU (Les amateurs de thé ont besoin de tasses suffisamment raffinées pour boire dedans et suffisamment résistantes pour contenir du liquide très chaud et les potiers des colonies ne parvenaient pas à concilier ces exigences) (22) […] to achieve the difficult feat of talking just enough to suggest conversation and not too much to prevent monologue. S. Maugham, Of Human Bondage ([…] réussir l’exploit de parler juste assez pour faire naître la conversation et pas trop pour éviter le monologue) Comme l’indique le schéma 1 ci-dessous un même degré peut être valué positivement ou négativement. On trouve en effet une équivalence graduelle entre not numerous enough et too few, par le biais de deux points de vue différents qui peuvent s’expliquer si on inverse les échelles. Leur point commun est le degré enough, degré atteint de deux manières différentes. Sur chaque échelle orientée à l’inverse se définissent deux zones : en-deçà de enough se trouve la zone d’insuffisance (not enough); au-delà, la zone d’excès (too) : Schéma 1 C’est par rapport au degré de suffisance que l’on peut définir l’insuffisance et l’excès. A partir de ce point origine commun, on propose de construire une représentation graphique bi-pôlaire faisant apparaître une symétrie : Schéma 2 ENOUGH LE DEGRE QUI REND POSSIBLE 11 On prend en compte deux échelles distinctes inversées, l’une relative à l’excès, l’autre relative à l’insuffisance. Leur point d’origine est une zone commune, une zone frontière restreinte à un point unique : c’est cette zone que nous entendons appeler pôle constitutif de la gradation liée au fonctionnement de enough. C’est le point de départ, origine de deux orientations opposées. Ces deux échelles ne se chevauchent pas car elles n’ont aucune propriété commune, aucun degré commun. Ainsi chaque zone graduée est un intervalle fermé à gauche (par une borne franchissable) et ouvert à droite, selon son orientation sémantique inhérente. A droite on ne tend vers aucune limite théorique parce que la question ne se pose pas. La question est de dire que l’on a atteint un degré ou qu’on l’a dépassé. Le marqueur enough est associé au pôle constitutif. Sa négation en not enough définit un degré appartenant à la zone en-deçà (l’insuffisance) : il y a un manque par rapport à la norme indiquée par le pôle constitutif. Le marqueur too indique l’excès par rapport à cette norme et définit un degré appartenant à la zone au-delà. 3. Définition et fonctionnement des degrés. 3.1. Degré atteint ou dépassé. 3.1.1. Degré subjectif. Les degrés sont des variables car ils se définissent en fonction d’un jugement subjectif qui peut être explicité dans le contexte immédiat, en renvoyant à la source du jugement: (23) There were too many variables for his liking, but he had committed himself now. David Wingrove, Chung Kuo book 2: The broken wheel (Il y avait trop de variables à son goût […]) L’énonciateur peut même changer d’opinion sur le degré atteint : (24) 'It is close enough. Even too close,' he whispered. 'But the light is behind us. We are all right here.' J. Austen, Pride and Prejudice (‘C’est assez près. Trop près, même,’ souffla-t-il. ‘Mais la lumière est derrière nous. Ici, ça va.’) D’autre part, la subjectivité est évidente lorsque la quantité est indéterminée : (25) I felt a little faint movement tonight, not much but enough to reassure me. B. Vine, Asta’s Book 12 CATHERINE MOREAU (Je l’ai senti bouger un tout petit peu cette nuit, pas grand’chose mais suffisamment pour me rassurer) (26) Some soldiers—by no means all, but enough—saw their comrades getting down to the port. N. Harman, Dunkirk: The Necessary Myth (Il y a des soldats – pas tous, mais suffisamment – qui ont vu leurs camarades se diriger vers le port) La présence de l’adverbe restrictif only à valeur modale apporte une orientation négative au jugement : (27) The bill came and when I paid it I found that I had only enough for an inadequate tip. Her eyes rested for an instant on the three francs I left for the waiter and I knew that she saw me mean. W. Maugham, The Luncheon ([…] j’avais seulement assez pour un maigre pourboire. Son regard se porta sur les trois francs que je laissais au garçon et je sus qu’elle me trouvait mesquin) Ici la quantité (three francs) est restreinte par rapport à la quantité escomptée, elle est jugée inadaptée (inadequate) et le geste est jugé négativement (mean). Only fait donc passer à un ensemble restreint en créant une distance entre la quantité escomptée et la quantité effective. Il définit un ensemble par élimination, il contient donc une négation implicite, de là l’orientation négative du jugement. Ceci s’oppose à l’orientation positive qu’apporte just qui, selon G. Deléchelle15, marque une opération de restriction-focalisation : (28) She still had her arms around me. I moved just enough so that we had to pull apart. R. Carver, Harry’s Death (Elle me tenait encore dans ses bras. Je bougeai juste assez pour qu’elle eut à lâcher son étreinte) On remarquera enfin que la suffisance peut être marquée dans certains cas par le déterminant de fléchage en the . Les deux exemples suivants, empruntés à M. Swan, montrent que le degré de suffisance est normé subjectivement : (29) I hardly had the strength to take my clothes off. ( à peine la force de…) Il y a une idée de norme implicite : ‘the necessary strength, the right amount, the amount required’. Le fléchage, qui est une opération distinctive, permet ici de définir le degré adéquat par opposition à tout autre jugé inadéquat. 15 Voir à ce sujet G. Deléchele (1996). ENOUGH LE DEGRE QUI REND POSSIBLE 13 3.1.2. Degré atteint. Le degré suffisant est un seuil à atteindre. Son représentant enough est d’ailleurs un terme dont l’origine est liée au latin nancisci (donnant ‘obtain’) et au sanskrit anosti (donnant ‘reaches’). La quantité associée à la notion représente ce seuil : (30) Saying a thing like that can make a person hate you, one or two words are enough, they last forever. B. Vine, Asta’s Book (De telles paroles peuvent susciter la haine, un ou deux mots suffisent, ils perdurent) L’existence d’une notion peut aussi représenter ce seuil: (31) 'How are you getting on?' said the [Cheshire] Cat, as soon as there was mouth enough for it to speak with. L.Carroll, Alice’s Aventure in Wonderland (‘Comment ça va?’ dit le Chat, dès qu’il lui apparut suffisamment de bouche pour parler) (32) A word’s enough to raise mankind to kill. Lord Byron (Un mot suffit pour pousser au meurtre) (33) But neither their ages nor social differences seemed to have been enough to keep them from going for walks together. B. Vine, Asta’s Book (Mais ni leur âge ni leurs différences sociales ne semblaient avoir suffi à les empêcher de se promener ensemble) En revanche, le degré lui-même n’est pas quantifiable (ni graduable) car c’est un point-seuil. On ne dira pas *much enough, ni *a little enough, car cette zone-frontière n’a aucune épaisseur, mais just enough, quite enough : (34) Greasy yellow linoleum on the floor of the kitchen, foldaway table giving just enough room to turn. I. Rankin, A Question of Blood (Du lino jaune, graisseux, dans la cuisine, une table pliante laissant juste assez de place pour se retourner) 3.1.3. Dépassement Le dépassement est marqué par too ou la négation en not enough qui instaurent une distance non nulle entre le degré-seuil et le degré effectif. 14 CATHERINE MOREAU Cette altérité entre le degré atteint et le degré-seuil peut être mise en évidence par un adversatif en but : (5) ‘Has Lester been talking?’ ‘Some, but not enough’. Elle définit un dépassement : la négation en not enough définit un degré supérieur (opérateur ER) appartenant à la zone altérée de l’en-deçà (l’insuffisance) sur une échelle inversée depuis le pôle constitué par enough. La limite est dépassée, la borne de gauche associée à la zone de l’en-deçà est franchie, dans une orientation opposée à celle de l’excès (17, 18). L’équivalence entre not enough et too little/too few dans la zone en-deçà permet de définir un même degré d’insuffisance par dépassement du seuil accepté dans la petite quantité (little/few) en respectant l’orientation inhérente à l’échelle. Il n’existe donc pas d’infériorité par rapport au seuil-repère. On voit que l’infériorité référentielle se définit par une supériorité sémantique. L’altérité est aussi marquée par too qui indique l’excès par rapport à la norme et nous situe dans la zone altérée de l’au-delà par rapport au pôle constitué par enough. Il définit un degré au-delà de ce qui est requis ou acceptable : l’idée de non-adéquation à une norme : (35) Somewhere I had gone wrong; I had opened myself either too little or too much. R. Kadish, From a Sealed Room (Je m’étais trompé quelque part. Je m’étais ouvert soit trop soit trop peu) Ce degré indique que le point extrême de la limite indiquée par le seuil est dépassé16. La zone de dépassement est parfois exprimée en opposition avec le degré-seuil : (36) You’ve got enough bad habits without adding to your repertoire. S. Delaney (Tu as suffisamment de mauvaises habitudes sans avoir à en ajouter à ton répertoire) La suffisance se définit par exclusion du dépassement, qui est exprimé ici avec un terme lié à l’extérieur : without. Cette idée de dépassement peut être lexicalisée en exceed, go beyond, exaggerate. On retrouve dans ces termes les notions d’altérité, d’en dehors (ex-) : (37) He was not absolutely simple, which would have been excess; he was only relatively simple, which was quite enough. H. James (Il n’était pas extrêmement simple, ce qui aurait été excessif ; il était seulement relativement simple, ce qui était bien suffisant) 16 C. Guimier (1998 : 230) : « Too, par sémantisme propre, est le signe d’un dépassement, c’est-à-dire d’un mouvement grâce auquel une limite peut être franchie ». ENOUGH LE DEGRE QUI REND POSSIBLE 15 Enfin too renvoie à une zone graduable, c’est un degré quantifiable. La quantité qui lui est associée représente la zone différentielle calculée à partir du point-seuil de la suffisance. Cette distance peut être plus ou moins grande et on peut parcourir les degrés dans les deux zones d’altérité. La quantité associée à la distance peut être située à la frontière du pointseuil, marquée par scarcely, hardly, barely : (38) But the difficulty was that they had scarcely enough money to keep themselves. J. Austen, Pride and Prejudice (Mais le problème est qu’ils avaient à peine assez d’argent pour subvenir à leurs propres besoins) ou dans la zone de proximité de la frontière intérieure de l’excès, marquée par almost, a little, a bit : (39) The degree of attention to textual accuracy is almost too fastidious. Review of English Studies (Le degré d’attention portée à la précision textuelle est presque trop méticuleux) La quantité associée à la distance peut être marquée par une quantité (grande ou petite) ou une notion donnant l’idée de la quantité: (40) ‘No!’ exclaimed Mr Emerson, in much too loud a voice for church. G.M.Forster, A Room with a View (‘Non!’ s’exclama M. Emerson, à bien trop haute voix pour une église) (41) […] with some justice, though with a good deal too much laissez-aller of tongue. Thackeray ([…] avec une bonne dose de laisser-aller dans le langage) (42) […] the effect of the trousers, at least three sizes too large for him, was ludicrous. S. J. Perelman ([…] au moins trois tailles trop grand pour lui […]) Elle peut définir un haut degré dans l’échelle orientée pour s’approcher d’une limite conceptuelle (qu’on ne peut atteindre) dans l’insuffisance ou dans l’excès. La proximité est alors niée (not nearly) ou l’éloignement exprimé (far) : (43) […] 30,000 men,[…]. This was not nearly enough, but nobody was to blame. N. Harman, Dunkirk: The Necessary Myth ( C’était loin d’être suffisant mais personne n’était à blamer) (44) You’re far too temperamental. Try to control yourself. N. Coward (Tu es de loin trop impulsif. Essaie de te contrôler) 16 CATHERINE MOREAU (45) I disliked the sound of the job – I felt it was nothing like good enough. ([…] Je sentais qu’il était loin d’être satisfaisant) C.P. Snow En (45) le degré n’a aucune propriété commune avec le seuil, ce qui est un moyen de le situer loin dans la zone en-deçà. Cette organisation bi-pôlaire a permis de mettre en évidence une dissymétrie notionnelle entre les zones gradables représentées par not enough/too et le point-seuil non gradable représenté par enough.17 D’autre part les degrés ainsi définis ont un fonctionnement spécifique par rapport au repère constitutif représenté à droite sous forme notionnelle. En effet, pour ce qui concerne un thème, on pose un degré qui permet de dire qu’on est en adéquation avec ce thème (opérateur d’adéquation AD = enough) ou non (opérateur de non-adéquation NON-AD = not enough, too). 3.2. Point d’identification et altérité. 3.2.1. Seuil déclencheur. L’adéquation correspond à une coïncidence. Dans ce cas il y a un point d’identification18 entre le degré atteint sur l’échelle (to a certain degree/extent) et le seuil-déclencheur représenté par enough. La distance est nulle et cette identification donne accès19, rend possible un état de chose. C’est ce point d’identification qui va servir de repère pour envisager la validation ou non de l’état de chose représenté sous forme notionnelle. Ce point-seuil, comme l’indique son étymologie gotique ‘binah’ (signifiant ‘it’s right or needful’), doit être nécessairement atteint : (46) If the Spirit of St. Louis can cruise at 1750 r.p.m. with this load, I have more than enough fuel to reach Paris. C. A. Lindbergh 17 C. Rivière (1991) signale que c’est une des propriétés que partagent en anglais les adjectifs de modalité ‘possible/impossible’ : le possible admet une gradation entre les deux pôles hard et easy, alors que l’impossible n’est pas gradable. 18 Je renvoie ici à A. Celle (2003) qui met en œuvre un point-seuil d’identification dans son étude sur les résultatives. 19 A. Culioli (1997 : 91) : « Tout chemin suppose une distance entre deux points : parcourir une distance afin d’avoir accès à un état de choses visé, c’est supprimer le hiatus et annuler la distance ». ENOUGH LE DEGRE QUI REND POSSIBLE 17 ([…] j’ai plus d’essence qu’il n’en faut pour atteindre Paris) On peut gloser : ‘I have more than required, I don’t need so much’. La quantité d’essence est supérieure à ce qui est nécessaire. A noter que sur l’échelle des degrés, more nous situe au-delà de la limite mais le dépassement est objectif (non valué) et n’empêche pas l’accès à l’état de chose <reach Paris>, sinon too (subjectif) aurait été employé. Son équivalent français suffisant met en évidence l’accès au possible : au XII° siècle, le terme renvoie à ce qui est de nature à combler le besoin, signifiant ainsi ‘satisfait’ ou ‘rassasié’ : la distance est annulée. Au XIII° siècle, les notables, par leur importance sociale, s’appelaient les ‘suffisants’ : souffisant signifiant ‘capable’, ‘compétent’. On retrouve cette acception au XVI° siècle : (47) De porter un poulet je n’ay la suffisance. Regnier, Sat. 3 Enfin l’accès au possible est parfois marqué par la présence des formes lexicalisées unable ou allow qui lui sont associées : (48) […] a practice large enough to enable him to settle two sons well in his own profession. C. Kingsley (un cabinet assez grand pour lui permettre d’installer ses fils confortablement dans la profession) 3.2.2. Degrés bloquants. L’inadéquation résulte d’un hiatus qui situe le degré atteint à une distance non nulle du point d’identification. L’opérateur ER d’inadéquation a une valeur quantitative (la distance par rapport au seuil-déclencheur est quantitativement non nulle) et qualitative car sa présence dans des termes tels que alter et other indique une altérité20. Ici c’est une différenciation par rapport au seuil. Ce degré ne peut donc pas fonctionner comme déclencheur : l’accès au possible est bloqué, comme l’indique too. Ainsi, tous les degrés de l’échelle situés au-delà (too) ou en-deçà (not enough) du point d’identification ne permettent pas l’accès au possible. 3.2.3.Résultative. 20 R. Rivara (1995). 18 CATHERINE MOREAU Le point d’identification (entre le degré atteint et le seuil-déclencheur) est un point limite qui sert de repère quantitatif car il permet l’existence d’une occurrence. Il transforme le repère notionnel constitutif en repéré résultatif, de sorte que la proposition située à droite prend le statut d’une résultative. C’est pourquoi elle peut être introduite par so that ou so as to. D’ailleurs, elle admet l’introduction de l’adverbe consequently : (49) […] and unscrewed the plug from one of the kegs enough so that the wine squirted from the edge of the plug into the bowl. E. Hemingway, For Whom the Bell Tolls (et dévissa suffisamment la bonde d’un des fûts de sorte que le vin jaillit […]) (50) ‘I stopped too long up in that room, so that even such leaden feet could catch me up’. G. K. Chesterton, A Nightmare (Je me suis arrêté trop longtemps dans cette pièce, au point que même en traînant des pieds de cette manière on pouvait me rattrapper) (51) Ladies and gentlemen , can there be anyone here tonight who is so blind as to say that the war is not on ? McCarthy’s Speech on communists in the State Department, Feb. 1950 (Mesdames et messieurs, y a-t-il parmi vous quelqu’un assez aveugle pour dire / aveugle au point de dire que la guerre n’est pas déclarée ?) Cependant l’équivalence n’est pas stricte car l’intensifieur so signale que le degré déclencheur a atteint un haut degré dans la notion (ce qui n’est pas nécessaire pour le faire fonctionner comme déclencheur). Le rapprochement que nous venons de mettre en évidence avec ‘so that’ et ‘so as to’ crée une ambiguïté car ces locutions sont aussi employées dans les propositions finales. Cette ambiguïté provient du fait que résultative et finale sont construites sur un même phénomène d’implication. Selon H. Wyld21 la résultative relève de l’orientation ‘p entraîne q’ où le lien p/q est préconstruit, comme en (49) où le dévissage de la bonde entraîne l’écoulement du vin. Dans la finale, l’orientation ‘p découle de q’ est sous-tendue par l’agentivité, comme l’indique la marque de non-réel sur le procès de la subordonnée : (49)’ He unscrewed the plug from one of the kegs enough so that the wine could / might/ should squirt from the edge of the plug into the bowl. C’est l’état de chose visée en q (faire jaillir le vin) qui constitue le terme source et p (le moyen d’y arriver : <unscrew the plug>) en découle. 21 H. Wyld (2001). ENOUGH LE DEGRE QUI REND POSSIBLE 19 Cette ambiguité nous amène à considérer que ces propositions fondées sur un même phénomène d’entraînement sont de l’ordre du résultatif . Après tout, la notion qui sert de repère constitutif a bien été envisagée dès le départ. Mais ce qui entre en jeu ici n’est pas tant la relation de cause à effet, mais la concomitance entre un degré et un point-seuil. Enfin on remarquera la souplesse de construction de cette résultative : - elle peut être coordonnée (and) pour signaler que l’occurrence de procès a été située et qu’elle a fait l’objet d’une validation (assertion positive) ou non (assertion négative) : (52) The shock was too much for his frail body and he died in the morning. W. Boyd (Le choc fut trop grand pour son pauvre petit corps et il mourut au matin) - le résultat peut être antéposé, sa valeur négative étant déjà posée en contexte à gauche : (53) “I never ask advice about growing” Alice said indignantly. “Too proud?” the other inquired. L. Carroll, Through the Looking-glass (‘Je ne demande jamais conseil pour grandir’, s’indigna Alice. ‘Trop fière ?’ demanda l’autre) - par ailleurs, le passage au possible peut être centré sur le sujet bénéficiaire : (54) And if thou dost not love me, I love thee enough for both. E. Hemingway, For Whom the Bell Tolls (Et si tu ne m’aimes point, je t’aime [assez] pour deux) 3.2.4. Adéquation vs. non-adéquation. a) accéder au possible : Le point d’identification enough met en évidence un résultat positif (lié à la marque positive some), alors que dans le même cas le hiatus entraîne l’emploi de la valeur-image non positive any : (55) He is far too modest a man to permit a proper conversation about anything. The Times, 1991 (C’est un homme bien trop pudique pour s’autoriser une [quelconque] conversation approfondie) (56) She followed him with her eyes, envied every one to whom he spoke, had scarcely patience enough to help anybody to coffee; 20 CATHERINE MOREAU J. Austen, Pride and Prejudice (Elle […] avait à peine assez de patience pour servir le café [à qui que ce soit]) Le point-seuil permet l’accès au possible, ce qui confère la possibilité au sujet de valider (ou non) le procès qui lui est associé. Le contexte indiquera comment se situe le repère constitutif par rapport au phénomène de la validation : Il y a des cas où le point-seuil permet l’accès au validable sans qu’une validation s’ensuive. On peut lui opposer un procès contradictoire asserté (but … lived en famille) : (57)Swanny's house was […] big enough for a flat to have been contrived in it, but Mormor lived en famille with her daughter and son-in-law. B. Vine, Asta’s Book (La maison de Swanny était suffisamment grande pour qu’un appartement ait pu y être aménagé, mais Mormor vivait en famille[…]) Même phénomène d’accès au possible en annulant l’élément bloquant too. Le rejet de l’excès nous oriente vers le pôle constitutif enough et nous situe dans le degré de la suffisance (la négation sur too inverse l’orientation en rejetant l’appartenance à l’excès): (58) ‘Not too late to go out, all the shops are still open.’ (‘Pas trop tard pour sortir, tous les magasins sont encore ouverts’) indique bien que rien ne s’oppose à la sortie : le blocage est levé. L’emploi du restrictif but a le même effet : (59) […] too restless to do anything but walk. H. James (Trop agité pour faire quoi que ce soit d’autre que se promener) Il y a des cas où le contexte indique que le procès a déjà fait l’objet d’une validation. On peut en trouver la trace en contexte gauche (33) ou droit (13): (31) 'How are you getting on?' said the [Cheshire] Cat, as soon as there was mouth enough for it to speak with. L. Carroll, Alice’s Aventures in Wonderland (11) There are enough bedrooms for the children to have one each and Hansine and Emily, up in the attics, don't have to share. B. Vine, Asta’s Book Enfin lorsque enough fonctionne avec une résultative négative, comme en : (60) Enough money not to go short of anything. B. Vine, Asta’s Book (Assez d’argent pour ne manquer de rien) ce degré indique qu’il y a adéquation avec le repère constitutif négatif. Le degré a atteint un seuil qui déclenche la possibilité de ne pas valider le procès, jugé ici néfaste. Le phénomène est comparable à so that + not : ENOUGH LE DEGRE QUI REND POSSIBLE 21 (61) […] the shoes big enough so that the toes aren’t cramped. B. Spock (les chaussures assez grandes de sorte que les orteils ne sont pas comprimés) b) bloquer l’accès: Quand l’accès est bloqué, too, not enough, less than enough l’indiquent et le contexte droit ou gauche le justifie. En (62), un autre procès a été validé : I rose. En (63), la valeur <he, go>, préconstruite dans la question, a été validée: elle représente l’opposé de <he, stay>. En (64), l’insuffisance bloque l’accès au possible. (62) Too feverish to rest, I rose as day dawned. C. Brontë (Trop fébrile pour me reposer, je me levai dès l’aube) (63) Why did he go? Did we talk too loud [for him to stay]? G.M. Forster, A Room with a View (Pourquoi est-il parti? Avons-nous parlé trop fort ?) (64) The two years’ provision of grain had fallen to less than enough to feed the city for one month. J. Reed (Des deux années de provision de grain, il restait moins qu’il n’en fallait pour nourrir la ville pendant un mois) Autrement dit, ça n’est pas tant la question de savoir s’il y a eu validation ou non, que de savoir s’il y a adéquation avec le repère constitutif. L’adéquation entraîne la possibilité de valider ou non. La non-adéquation, qui se manifeste par un élément bloquant (too, not enough), ne permet pas l’accès au possible de telle manière que l’on restera en dehors du domaine, à moins de lever le blocage, comme nous l’avons vu, par la négation sur too. CONCLUSION Les degrés représentés par enough, not enough et too sont des quantifieurs subjectifs déclenchant ou bloquant l’accès à validation d’un événement. Ce sont des opérateurs fortement liés au phénomène de la validation. Ils représentent des opérateurs de validabilité, en tant que degrés d’adéquation (AD enough) et de non-adéquation (NON-AD not enough/too) au passage à validation de l’état de chose représentant le repère constitutif. A partir de cette binarité dans le comportement de ces opérateurs d’adéquation, on peut considérer qu’on a là des représentants possibles du domaine notionnel de validabilité/non-validabilité. En effet, l’opérateur- 22 CATHERINE MOREAU déclencheur exprimant la suffisance (enough) fonctionne comme un des représentants possibles de l’Intérieur (I) de ce domaine ; les opérateursbloqueurs exprimant l’in-suffisance et l’excès (not enough/too) fonctionnent comme des représentants possibles de l’Extérieur (E) de ce domaine. 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What reference will define what is sufficient, insufficient or excessive? Despite common syntactic properties shared with comparative structures, the study will lead to a resultative construction derived from the degree that has been reached or overstepped with regard to a norm. Adequation to the norm will open access to possibility, non-adequation will block the way.