Institut universitaire de hautes tudes internationales
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Institut universitaire de hautes études internationales La mondialisation : nature, évolution, perspectives Professeur Pierre du Bois Janvier 2005 Les groupements régionaux sont-ils compatibles avec la mondialisation ? Jean-Claude Vignoli e-mail : [email protected] Table des matières : 1 1.1 2 INTRODUCTION QUELQUES REMARQUES MÉTHODOLOGIQUES POURQUOI LES RÉGIONS EXISTENT-ELLES ? 3 4 5 2.1 L’ORGANISATION INTERNATIONALE 2.2 L’ORGANISATION RÉGIONALE 2.2.1 CHANGEMENT DE NATURE 2.2.2 INFÉRIORITÉ DE JURE 2.2.3 LES EFFETS DIFFÉRENCIÉS DU RÉGIONALISME ET DU MONDIALISME 5 6 7 7 8 3 9 DE LA DIFFICILE CONCORDANCE ÉCONOMIQUE… 3.1 JUSTIFICATION DES PACTES RÉGIONAUX 3.2 LE RÔLE DE L’OMC 3.2.1 L’ARTICLE XXIV ET LES ARRANGEMENTS RÉGIONAUX 3.2.2 PROBLÈMES GLOBAUX, RÉPONSES GLOBALES 3.3 LES ÉCHANGES INTRA-RÉGIONAUX ET INTERNATIONAUX 3.3.1 LOMÉ 3.3.2 PVD ET GROUPEMENTS RÉGIONAUX 9 10 10 12 12 13 14 4 16 …À LA COMPLÉMENTARITÉ POLITIQUE 4.1 UNE COMMUNAUTÉ DE VALEURS 4.1.1 MANQUE D’EFFECTIVITÉ ET TROP PLEIN DE SPÉCIALISATION DES OI 4.1.2 L’IDENTITÉ DU CITOYEN : UN PERSPECTIVE LÉGITIMISTE DES OR ET DES OI 4.2 LA SÉCURITÉ 4.2.1 LE CHAPITRE VIII DE L’ONU 4.2.2 LE KOSOVO 4.3 MOTIVATIONS CACHÉES DES OR 4.3.1 AIDES ET BIG STICK AU MERCOSUR 4.3.2 RÉSURGENCE COLONIALE À LA SAARC 16 17 19 20 21 21 22 23 23 5 CONCLUSION 25 6 GLOSSAIRE 7 BIBLIOGRAPHIE 8 ANNEXES i iii viii Mondialisation et régionalisation Jean-Claude Vignoli 1 Introduction De cinq Puissances au XIXème, puis deux Superpuissances durant la majeure partie du XXème siècle, il n’existe plus aujourd’hui qu’une seule Hyperpuissance. Cette concentration de pouvoir n’a d’équivalent que la fragmentation territoriale qui s’est produite en parallèle ; de plus en plus d’Etats, parfois peu viables, ont émergés aux quatre coins de la planète. Chapeautant ces deux phénomènes, une extraordinaire accélération des échanges culturels, politiques et économiques a vu le jour : la mondialisation, terme réactualisé avec grande vigueur depuis la fin de la Guerre Froide. Dès le début du siècle, pour répondre à ces échanges de plus en plus intenses et, alors même qu’on assistait à une « balkanisation du monde », il devint assez rapidement nécessaire de s’unir, soit pour mieux se comprendre, soit pour avoir un plus vaste pouvoir. A la fin de la Deuxième Guerre Mondiale, apprenant des nombreuses erreurs passées, des Organisations Internationales (OI) et des Organisations Régionales (OR) vont être créées, parfois sur les cendres des tentatives précédentes. Les motifs animant leurs fondateurs étaient très différents ; comme nous allons le présenter plus loin, les OI et les OR répondent à des intérêts distincts. L’OI est naturellement universaliste, alors que l’OR ressemble à club d’Etat, destinée à protéger l’économie, la sécurité, etc. Nous avons donc une force centripète (les OR, qui concentrent leurs intérêts) et une force centrifuge (les OI, qui étendent leurs intérêts à d’autres), qui semblent refléter au mieux cette dialectique entre mondialisation et résistance à celle-ci. Posé en ces termes, il semble que les deux phénomènes soient antagoniques, et que la cohabitation soit difficile, voir impossible. Pourquoi à l’heure où l’on parle de mondialisation plus que jamais auparavant, des OR existent-elles encore ? Celles-ci ne sont-elles pas filles d’une époque révolue, tout justes bonnes à justifier les travaux de recherche des académiques ? Après tout, ce sont les réunions à l’ONU qui déchaînent les passions, alors que l’adhésion à l’UE déplaça 20,7% des électeurs en Pologne, ou 17% en Slovaquie. Notre travail va tâcher de démontrer que si les objectifs de ces organismes sont distincts, les rôles des OI et OR sont très souvent complémentaires, nécessaires les uns aux autres. Le monde est bien différent, mais c’est justement pour cette raison que les OR offrent des solutions originales, pragmatiques, plus proches des réalités locales. La mondialisation dans un monde unipolaire est beaucoup plus marquée ; à la chute de l’Union soviétique, les échanges entre les différentes nations vont faire un bond quantitatif. Il faut en effet avoir à l’esprit que, sans être aussi catégorique qu’un Fukuyama, c’est une conception du monde qu’il l’a emporté et que celle-ci met en avant le commerce à outrance. L’économie mondiale a donc une part importante dans le nouveau régionalisme, qui a retrouvé un second souffle depuis une quinzaine d’années. La vision économiste sera en quelque sorte la matière première de notre travail, qui nous permettra d’observer les interactions entre OI et OR. Dans un second temps, il s’agira de relativiser cet vision économiste ; l’économie n’est pas une fin en soit, et bien qu’elle aie pris une importance démesurée, il nous faut revenir à des notions plus prosaïques, et tenter d’expliquer quels sont les fondements des OI et des OR. La notion de partage de valeurs et la question de l’identité seront ainsi développées, mais nous nous pencherons sur le lien unissant à la région « physique », et non institutionnelle. La complexité qui entoure les différents organismes rend difficile une appréhension globale de la matière : nous avons à faire à un nombre incommensurable d’OR, et un nombre conséquent d’OI. La quantité ne doit pas cacher une autre difficulté : chaque organisme a ses propres raisons d’existence déclarées, mais il reste rarement enfermé au sein des barrières qu’on lui assigne. C’est ainsi que nous explorerons les agendas secrets de deux OR, en dernière analyse de la facette « politisante ». En raison de la spécificité de certaines OI, nous ferons l’impasse sur nombre d’entre elles ; même si de par leur nature (voir plus loin), les OI sont déjà matériellement spécialisées, certaines le sont plus que d’autres. Ni le FMI ni la Banque Mondiale, et les relations qu’ils entretiennent avec certaines OR1, ne feront l’objet d’une analyse. Cette étude ne se veut pas exhaustive, loin de là, mais bien plus ponctuelle et phénoménologique. 1 Nous pensons notamment au rôle joué par le FMI dans la crise argentine, et à ses relations avec le MERCOSUR. -3- Mondialisation et régionalisation Jean-Claude Vignoli Cette présentation utilisera en grande partie et comme pierre de touche, pour comprendre le mieux possible les OR, l’UE. Parce que l’UE est la région la plus aboutie, elle entretient des relations beaucoup plus poussées à l’intérieur de sa communauté, mais aussi dans les relations avec ses partenaires. Les déclarations de ses dirigeants sont souvent moins polies, contenant des aspérités sur lesquelles nous tenterons de prendre appui pour notre réflexion. A contrario, notre travail ne se focalisera que très peu sur l’Afrique, bien que de grands espoirs convergent sur l’UA, institution pleine de promesses d’avenir. Il faudra avoir conscience de cette lacune à l’esprit tout le long de la lecture de cette étude. Enfin, nous présenterons pas les résistances internes à la régionalisation, car si la mondialisation et les OI qui l’accompagnent ne vont pas de soit, les OR provoquent également beaucoup de méfiance de la part des populations. Mais ce thème ne rentrant pas directement dans la problématique abordée, nous préférons seulement avertir le lecteur que ce phénomène existe, et participe lui aussi de cette résistance à ce que l’on perçoit parfois comme une « mondialisation régionale ». 1.1 Quelques remarques méthodologiques L’approche retenue sera multidisciplinaire ; de par les thèmes abordés, il est nécessaire d’envisager le droit, l’économie, l’histoire et même la science politique. Il sera fait appel à certains concepts de ces quatre disciplines, afin d’avoir la vue d’ensemble la plus large possible du domaine. Pour comprendre le fonctionnement et les relations des OR et des OI, il est nécessaire à la fois de maîtriser leurs textes fondateurs et la jurisprudence relative à leur application, de comprendre les théories économiques qui sont parfois à l’origine de tels organisations, de suivre leur évolution et de, bien évidemment, se pencher sur les intérêts politiques qui guident leurs relations. C’est pourquoi la méthode fonctionnaliste sera au cœur de la méthode de ce travail. Cette théorie politique essaye d'expliquer comment les éléments d’une société (un parti, une institution, etc.), de par la fonction qu'il ou elle exerce dans l'ensemble, encourage le rapprochement international. Ainsi, la libéralisation du marché par exemple, crée une incitation à la demande de droits fondamentaux par les citoyens ; les producteur, commerçants, travailleurs vont renforcer et étendre les demandes pour la protection de droits de l’homme, avec le droit de liberté, la propriété, la nourriture, la santé, etc.2 Toutefois, tenant compte des critiques formulées notamment par Merton à cette théorie, nous nous servirons du fonctionnalisme comme outil d’analyse, tentant d’éviter une approche déterministe : nous préférerons parler « d’intérêts » des acteurs, plutôt que de leurs « besoins ». En parallèle au fonctionnalisme, nous utiliserons aussi la vision large propre au systémisme ; la première méthode nous permettra d’être plus spécifique mais, pour brosser un portrait d’ensemble, voir comment le système international réagit à ses contradictions et quelles méthode il utilise pour s’adapter, il est nécessaire de recourir aussi à ces outils généraux. Nous pourrons ainsi comprendre les antagonismes entre OI et OR, mais également leurs apports au système. A cette approche, nous ferons une entorse lors de la présentation de la question identitaire de l’individu, nous attardant sur des questions d’ordre psychologique et social. Enfin, un glossaire est fourni en fin de travail ; afin de faciliter la lecture, il a été choisi d’utiliser uniquement les sigles et acronymes des diverses OI et OR que nous nous proposons d’analyser. Quelques rappels, pour les organismes moins connus, seront mentionnés. 2 Petersmann, Ernst-Ulrich, « Time for a United Nations ‘Global Compact’ for Integrating Human Rights into the Law of Worldwide Organizations: Lessons from European Integration », The European Journal of International Law (EJIL), vol. 13, n° 3, 2002, pp. 629-632 -4- Mondialisation et régionalisation Jean-Claude Vignoli 2 Pourquoi les régions existent-elles ? Pour reprendre la définition de Jérôme Grimaud, le régionalisme est la « création d’entités régionales de taille et de natures diverses, qui va de l’association à l’union, caractérisées par une solidarité entre les Etats-membres qui s’affirme dans le développement institutionnel. Son objectif peut s’exprimer dans des domaines aussi divers que le développement économique, le progrès social, la coopération politique et militaire » 3. Un point que sur lequel ce travail va se focaliser, c’est cette solidarité mentionnée. Qu’est-ce qui unit ces entités régionales, et pourquoi en a-t-on besoin ? Après tout, il existe de nombreuses institutions mondiales, nées pour la plupart avant même que des organisations régionales éclosent… L’économique est bien souvent mis en avant comme facteur de cohésion, comme finalité aux organisations ; mais si cela n’était qu’une question d’argent, verrait-on aujourd’hui pour l’adhésion à l’Union européenne, une polémique aussi forte au sujet de la Turquie ? D’emblée, certaines valeurs s’imposent, et l’on comprend que la solidarité n’est pas qu’une question économique. L’économie est le ferment de nombreuses organisations régionales, mais que dire au sujet des OR économiques ne venant qu’après une précédente version politique, comme ce fût le cas de l’AFTA qui vînt après l’ASEAN ? 2.1 L’organisation internationale Dans le cadre de ce travail, nous prendrons les OI comme représentantes du phénomène de mondialisation. C’est un choix délibéré de ciblage, tant il est vrai que l’on pourrait incorporer dans la définition des organisations mondiales les sommets du G8, par exemple. Cependant, en nous concentrant uniquement sur les institutions formalisées, qui possèdent une Charte, un secrétariat, etc. nous rendons quelque peu palpable le phénomène de mondialisation. Le G8, pour reprendre notre exemple, ne possède aucune structure formelle4. La genèse juridique de l’organisation internationale est déjà bien connue : son autonomie a pu être consacrée par la CIJ, dans son avis consultatif sur l’Affaire des dommages subis au service des Nations Unies en 19495 ; sa personnalité juridique y avait été affirmée. Toutefois, la différentiation entre l’organisation internationale et l’organisation régionale ne va pas de soi. Le doute s’installe encore plus fortement lorsqu’on lit M. Virally : « Une organisation internationale est une association d’États, établie par accord entre ses membres dotée d’un appareil permanent d’organes, chargé de poursuivre la réalisation d’objectifs d’intérêt commun par une coopération entre eux »6. Comme on peut le voir, l’organisation internationale a pour raison d’être d’assurer la coopération entre ses membres ; dès lors, qu’est-ce qui distingue une OR d’une OI ? Il y a lieu de rappeler que dans un avis consultatif ultérieur de la CIJ, sur la Licéité de l’utilisation des armes nucléaires dans un conflit armé (1996), la Cour précise que les « organisations internationales sont régies par le principe de spécialité », soit que les compétences des OI sont régies par les limites et les buts qui leurs sont assignées par leur acte fondateur. Contrairement aux Etats, dont les compétences sont pleines et entières. Ainsi, du point de vue juridique, les OI et les OR ne peuvent être séparées, puisque les deux ont les mêmes caractéristiques au sens légal. Ce qui nous oblige à poser d’autres concepts nous permettant d’appréhender les OI. Celles-ci ont, dès leur création, une spécialité particulière : ne s’occuper que d’un domaine bien précis, comme nous allons le voir dans le chapitre 4. Les OR, par contre, se spécialisent « généralement », si l’on peut dire : pour le MERCOSUR, il s’agira de la région sud-américaine, pour l’Union européenne, de la région européenne, et ainsi de suite. La portée de l’organisation internationale, elle, sera universelle, mais dans un thème bien circonscrit. 3 Grimaud, Jérôme, Le régionalisme en Asie du Sud : l’expérience de la SAARC (1985-1997), L’Harmattan, 1998, p. 11 « En dépit d'un agenda de plus en plus chargé, le G8 est parvenu à conserver un caractère informel et à échapper largement à la bureaucratisation. Il n'a ni secrétariat ni règlement intérieur arreté. » Tiré du site internet du G8. 5 Kuffer, Ariane, Le droit international influence-t-il la mondialisation ?, travail de séminaire de l’IUHEI, décembre 2004, p. 21 6 Virally, M., « Définition et classification des organisations internationales », in Le concept d’organisation internationale, AbiSaab, Georges, Paris, 1980, p. 52 4 -5- Mondialisation et régionalisation Jean-Claude Vignoli Cela est d’autant plus patent lorsque nous comparons les différentes Chartes des OI et des OR. L’ONU stipule ainsi dans son article 4, paragraphe 1 : « Peuvent devenir Membres des Nations Unies tous [..] États pacifique qui acceptent les obligations de la présente Charte ». Dans l’Accord instituant l’OMC, son article XII paragraphe 1 précise que : « Tout Etat ou territoire douanier distinct jouissant d'une entière autonomie dans la conduite de ses relations commerciales extérieures […] pourra accéder au présent accord à des conditions à convenir entre lui et l'OMC ». L’universalité est de mise. A contrario, l’article I-1 du projet de Traité établissant une Constitution européenne, mentionne que « L'Union est ouverte à tous les États européens qui respectent ses valeurs et qui s'engagent à les promouvoir en commun » ; l’article 1 lettre c de la Charte de la SAAR indique que les buts de l’association sont de « promote and strengthen collective self-reliance among the countries of SOUTH ASIA » ; l’article 4 de Charte de l’OAS : « Sont membres de l'Organisation tous les Etats américains qui ratifient la présente Charte » ; le troisième avant-projet de FTAA à son article 9 du chapitre XXIV : « Les autres États de l’hémisphère peuvent adhérer au présent accord » ; le cas le plus extrême restant le GCC, avec son article 5 : « The Cooperation Council shall be formed of the six states that participated in the Foreign Ministers' meeting held in Riyadh on 4 February 1981 », où tout nouveau membre est exclu d’emblée. On pourrait multiplier les exemples ici, mais la conclusion serait à chaque fois identique : tout le monde n’entre pas dans une OR. En somme, ce qui différencie le mieux les OI des OR sont les barrières mises à l’entrée de nouveaux membres. Les OI sont par définition universelles, acceptant tout nouveau membre qui se conforme à la Charte de l’organisme ; les OR requièrent, elles, un qualité particulière de ses membres (appartenance géographique, très souvent, mais pas seulement comme nous allons le voir). Une fois ce constat établi, il convient d’expliquer quelles sont les raisons d’être de ces organismes. Pourquoi trouve-t-on à la fois des associations d’Etats au niveau régional, alors qu’existent des regroupements mondiaux qui prônent la même finalité. Comment a pu coexister autrefois la CEE, alors même que le GATT était en vigueur ? Ou en allant plus loin dans la réflexion, pourquoi l’OTAN est-elle intervenue au Kosovo alors même que c’était le rôle du Conseil de Sécurité de l’ONU ? Comme nous allons le voir le long de cette présentation, OI et OR peuvent être complémentaires, ou parfois antagoniques. Tout l’intérêt de l’objet étudié est de comprendre pourquoi les OI ne sont pas suffisantes en elles-mêmes, et pourquoi y a-t-il une place pour les OR dans le système international. 2.2 L’organisation régionale Avant d’expliquer comment divergent ou convergent les OI et les OR, il y a lieu d’établir une certaine typologie de l’association régionale. Tout d’abord, on peut en rencontrer de jure, et d’autres « naturelles »7. Il s’agit dans le premier cas d’OR qui se sont formalisées, institutionnalisées, qui dépassent les simples regroupements sporadiques. Avant la NAFTA, il existait ainsi un tel arrangement « naturel », tout comme il existe en Asie pacifique aujourd’hui8. Cependant, le passage de ce qu’on pourrait appeler un stade primitif vers une construction plus élaborée, et bien la preuve du souhait de répondre à des besoins réels. On peut d’ailleurs dire que, de manière générale, le développement institutionnel d’une organisation démontre le volontarisme et la volonté de coopération de ses membres9. Parce que nous souhaitons être le plus concret possible, notre travail se concentrera uniquement sur les régionalisation de jure. L’analyse « classique » des organismes régionaux retient avant tout les ZLE ayant pour objectif l’institutionnalisation. Ou encore, il est de coutume de définir une OR en se basant sur la géographie, la langue ou la culture commune. Néanmoins, se référer aux intérêts analogues d’une ensemble d’Etats qui les amènent à s’unir nous semble plus pertinent pour définir une OR, surtout dans l’approche « politique » de notre travail, puisque dans l’approche « économique » nous constaterons que la distance de transport des marchandises est un élément déterminant dans leur création ; dès lors, les OR ont effectivement tendance à avoir une proximité géographique. ; Malgré cela, on peut 7 Oman, Charles, « The policy challenges of globalisation and regionalisation », Policy brief n° 11, OECD Development Centre, 1er juin 1996, p. 6 Ibid, p. 7 9 Grimaud, Jérôme, op. cit., p. 211 8 -6- Mondialisation et régionalisation Jean-Claude Vignoli arguer que ces OR ont pour intérêts convergents le développement économique… ce qui nous ramène à notre typologie des intérêts, et à l’approche fonctionnaliste retenue dans le cadre de ce travail, et la raison de notre prise de liberté avec des définitions plus « classiques » ou plus juridiques. Des organismes tels que l’OSCE10 ne pourraient être inclus dans l’approche « classique », et comprendre comment celui-ci peut réunir des pays comme la Russie, le Canada ou les Etats-Unis, alors qu’à l’origine cette OR se dénomme Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe. Plus encore, l’UE, organisation régionale par excellence, serait ravalée au rang d’OI, selon la définition juridique de celle-ci. Les intérêts qui unissent une région sont divers et nombreux : pour en citer quelques uns, on peut voir des convergences communes d’ordre militaro-sécuritaires (comme dans le cadre de l’OTAN), politiques (CECA, ASEAN) ou économiques (cas de l’AFTA). Elles peuvent être un savant mélange de tout cela, comme l’est l’OPEP, par exemple. Ou encore, elles peuvent être tout à la fois, comme l’UE, le projet d’OR le plus ambitieux et extraordinaire sur lequel il nous soit donné de réfléchir. En somme, ce qui réunit toutes les OR, ce sont les barrières mises à l’entrée de nouveaux membres. 2.2.1 Changement de nature Durant la Guerre Froide, le moteur de la régionalisation était avant toute la stratégie, le containement. Le souci principal était de faire front à l’ennemi. Les superpuissances vont avantager non seulement les pays, mais également des organismes régionaux : l’OTAN, mais aussi l’UE11, financée à ses débuts par l’aide américaine, qui poussait pour l’inclusion de l’Allemagne – ce qui avait le don d’effrayer les Français12. Il faut avoir à l’esprit que lors de la mise en place des OR, nous sommes déjà en pleine phase de mondialisation : les relations internationales s’accélèrent sous tout point de vue, et pourtant… les régions sont déjà primordiales. Bien que le monde soit divisé – caricaturalement – en deux, les OR sont un facteur important sur la scène internationale. La fin de la Guerre Froide va permettre aux accords de ne plus se cantonner uniquement au militarosécuritaire (et politique), et verra ainsi l’explosion d’OR basées sur la finalité économique : entre la création du GATT et 1997, 163 accord de libre-échange lui ont été notifiés, dont… 7713 rien qu’entre 1992 et 1996 ! Autre exemple très significatif de ce changement de nature des organismes régionaux, la volonté de la SAARC de créer la SAFTA en 199614, ou de la ASEAN de créer l’AFTA en 199115 (et concrétisée en 1992). Toutefois, il est difficile de cantonner le revirement des Etats-Unis vers le régionalisme aux années 90, puisque leur intérêt remonte au moins aux années 80 : avec les idées de ZLE avec le Canada, voire avec le Mexique (et donc NAFTA) sont donc antérieures à la chute de l’URSS16. 2.2.2 Infériorité de jure Les OI sont juridiquement au-dessus des OR. Les premières prévoient les arrangements régionaux (article XXIV de l’OMC, Chapitre VIII de l’ONU, voir plus bas), et les secondes font « acte d’allégeance » aux OI. 10 La CSCE de 1975 s’est transformée en OSCE en décembre 1994. Dans le cadre de ce travail, nous nous permettrons parfois quelques libertés anachroniques avec la terminologie de l’UE. Pour rappel, les changements de dénominations sont : la CECA en 1951, la CEE en 57, les Communautés européennes en 60 ; ce n’est qu’avec le traité de Maastricht qu’on commence à parler réellement d’UE. 12 L’exemple le plus démonstratif de la peur française à s’engager dans un partenariat régional avec la RFA reste la CED, qui d’une proposition à l’origine française, échouera notamment sous la peur de réarmer la RFA. 13 Ruggiero, Renato, Regional initiatives, global impact, Discours donné à la 3ème conférence sur le dialogue d’affaires transatlantique, 7 novembre 1997 14 Grimaud, Jérôme, op. cit., p. 166 15 Bowles, Paul, « ASEAN, AFTA and the ”New Regionalism” », Pacific Affairs, vol. 70, n° 2, été 1997, p. 225 16 Tussie, Diana, « Multilateralism Revisited in a Globalizing World Economy », Mershon International Studies Review, vol. 42, n° 1, mai 1998, p. 189 11 -7- Mondialisation et régionalisation Jean-Claude Vignoli On peut prendre comme exemple l’article premier de l’OTAN, qui prévoit que : « Les parties s'engagent, ainsi qu'il est stipulé dans la Charte des Nations Unies, à régler par des moyens pacifiques tous différends internationaux dans lesquels elles pourraient être impliquées ». C’est également le cas du préambule de l’OAS : « Déterminés à poursuivre cette noble entreprise que l'humanité a confiée à l'Organisation des Nations Unies, dont ils réaffirment solennellement les principes et les buts ». Ou encore, dans le préambule du projet de FTAA, on retrouve l’OIT érigé en « organisme responsable d’établir et de traiter [les normes fondamentales du travail reconnues dans le monde entier] »17, alors même que dans son chapitre XXIII l’OMC sert de base paradigmatique à tout le processus de règlement des différends. L’exception la plus notable de la liste étant celle de l’Union européenne ; mais il faut reconnaître que, à tout points de vues, l’UE est particulière. Cela se retrouve également dans les relations des OR ; dans les rapport entre elles, ou dans les rapports avec d’autres pays, il est flagrant de voir les références continues aux instances mondiales. L’un des exemples les plus significatif reste l’Accord préférentiel de commerce MERCOSUR avec l’Inde, qui sur 35 articles que comprend l’Accord, 11 sont consacrés18 à la coordination de leurs relations vis-à-vis de l’OMC et de ses règles. 2.2.3 Les effets différenciés du régionalisme et du mondialisme Au risque d’exprimer une lapalissade, il convient de préciser que les effets d’une OI sont une mondialisation des nations, et que ceux d’une OR une régionalisation de celles-ci. La banalité n’est cependant plus mise lorsque l’on analyse concrètement ce que sont régionalisation et mondialisation. Dans le premier cas de figure, les pays s’unissent pour créer un bloc. Et ce bloc est résolument tourné vers l’extérieur, il s’agit donc de protéger face à l’étranger. Que ce soit une protection économique, politique, sociale, peu importe ; ce qui compte, c’est le sentiment communautaire réunissant un groupe de pays, qui peut même n’être que temporaire. L’effet au sein de la région est donc dialectiquement opposé, puisqu’il s’agit dans le même temps de s’ouvrir vers certains pays (les membres de l’accord), et de se fermer à d’autre. Bien qu’il faille quelque peut nuancer cette position, avec ce qu’on appelle le « régionalisme ouvert », consistant en l’imbrication de plusieurs pacte régionaux ; un pays peut être membre de plusieurs OR à la fois, ce qui dilue cette fermeture. Les OI, au contraire, tentent d’ouvrir tous les pays, en même temps. L’ouverture, qui peut ici aussi passer par divers domaines, se fait envers et pour tous. En somme, c’est une intégration mondiale et non régionale. 17 Troisième avant-projet de la FTAA, Chapitre 1, 21 novembre 2003 Articles 6, 7, 9, 10, 13, 14, 15, 16, 17, 18 et 21 de l’Acuerdo Preferencial de Comercio MERCOSUR y la República de la India, New Dehli, janvier 2004 18 -8- Mondialisation et régionalisation Jean-Claude Vignoli 3 De la difficile concordance économique… Si les idées d’Adam Smith et de Montesquieu nous paraissent aujourd’hui évidentes, allant de soi, c’est parce que depuis un demi-siècle elles se sont imposées dans le monde. Cette réussite ne provient pas d’une application de ces idées pour elles-mêmes, mais du contenu en elles-mêmes ; la finalité n’est pas le développement économique. L’économie est une science utilisée que depuis récemment par les Etats ; durant le XIXème siècle, et surtout durant l’entre-deux-guerres, l’économie sera clairement utilisée comme une arme. Et si les économistes s’insurgent contre de telles pratiques, c’est qu’ils ont à l’esprit le célèbre adage de Montesquieu : « le commerce adoucit les mœurs ». Une réponse concrète au désastre de la 2ème Guerre Mondiale sera la mise en place des 3 piliers tels que voulus par Keynes, pour soutenir les flux commerciaux et éviter qu’une nouvelle déroute commerciale, comme celle de 1929, soit possible. Le FMI, la Banque Mondiale, et le GATT seront directement inspirés du « plus jamais ça », découlant d’un véritable espoir pacifiste des économistes. Et dès lors de s’interroger ; les OR à visée économique ne sont-elle pas, comme le fut la CECA par exemple, qu’une émanation de la volonté politique de l’Etat ? Pour réaliser l’imbrication entre les pays européens, augmentant leur interdépendance à un point où il serait impossible de se faire la guerre, il faut en effet lâcher des parts de souverainetés… Ce qui remettrait entièrement en cause l’existence d’OR uniquement cantonnées à la sphère économique. Or, l’économique n’est un instrument de l’Etat ; tout l’intérêt d’étudier sous l’angle économique les différents accords régionaux consiste donc à observer la compatibilité ou non des OR et des OI, et de déterminer quels sont les buts inavoués et inavouables d’une alliance théoriquement restreinte au seul champ économique. 3.1 Justification des pactes régionaux Pourquoi des Etats souverains souhaiteraient-ils se rapprocher économiquement de partenaires ? Cela peut sembler étrange, lorsque l’on sait que le revenu des impôts sera plus maigre, dès lors que les taxes douanières baissent. Pourquoi un Etat souhaiterait-il les diminuer ? Les économistes voient deux types d’effets – que nous appellerons ici directs - dans les accords régionaux : ceux qui créent du commerce, en baissant les obstacles à l’intérieur de la région, et ceux qui détournent le commerce, en favorisant le commerce intérieur au détriment des échanges avec l’extérieur19. Donc nous constatons qu’ils s’accordent à penser que le commerce intérieur augmente dans tous les cas de figure ; c’est ce que nous allons expliciter dans les quelques lignes suivantes, avant de nous pencher, par la suite, sur cet effet « pervers » qui détourne le commerce. Comment le commerce interne augmente-t-il ? Premièrement, la baisse des tarifs douaniers permet une augmentation du commerce, autant les importations que les exportations des pays qui ont conclut un tel accord. Ensuite, c’est toute la théorie de l’avantage comparatif qu’il faut réintroduire ici20 : en raison d’une concurrence plus saine – car moins touchée par les déstabilisateurs que sont les frais de douane - les pays vont se spécialiser dans ce qu’ils savent faire le mieux. La production ainsi augmentera dans certains produits, et les économies d’échelles réalisées vont provoquer une baisse du prix des biens21, et par conséquent augmenter le pouvoir d’achat des citoyens. Enfin, l’on constate que si l’Etat touche moins d’impôts aux douanes, il en touchera plus par le biais de l’impôt sur la consommation. Les citoyens achètent plus, puisque le prix des biens a baissé. 19 Oman, Charles, op. cit., p. 28 Voir notamment les travaux sur la mondialisation de Paul Krugman, notamment. Van Langenhove, Luk et al., From Multilateralism to Multiregionalism: What Role for Regional Integration in Global Governance?, United Nations University, n° 0-2004/5, 2004 20 21 -9- Mondialisation et régionalisation Jean-Claude Vignoli D’autre part, outre cet avantage direct, il en existe de nombreux indirects : plus de poids dans négociations internationales, une homogénéisation du marché qui attire plus d’investissements directs, une image de stabilité qui rassure les investisseurs de tout acabit, etc. On perçoit d’emblée les frictions que l’on rencontre entre les OI et les OR ; ces dernières ont pour but d’augmenter leurs propres avantages, ce qui signifie, comme nous allons le voir avec le cas de l’OMC, une difficile cohérence avec la mondialisation et ses organismes internationaux… 3.2 Le rôle de l’OMC « The WTO is a powerful force for good in the world. Yet we are too often misunderstood, sometimes genuinely, often wilfully. » Michael Moore, directeur de l’OMC (1999-2002) L’OMC est l’organisme représentant par essence, dans la pensée populaire mais également dans celle de ses élites, l’organisation « mondialisante ». Dotée de 148 membres, il n’y a guère plus que la Russie – dans les grandes économies – qui n’en fasse pas encore partie. Cette organisation fonctionne sur quatre principes fondamentaux : la clause de la nation la plus favorisée, la consolidation des droits de douane, le traitement national et la suppression des quotas. Si se reflète dans ces principes le spectre des années 30, ce n’est pas par hasard : on veut réussir, autant que faire se peut, à créer une dépendance économique mondiale. C’est donc par le biais de l’augmentation de la transparence du marché, de l’établissement de mêmes règles pour tous, et surtout du multilatéralisme que l’OMC pense pouvoir construire un monde plus soudé. Son arme la plus efficace étant sa clause de nation la plus favorisée qui, contrairement à ce qui se pratiquait jusqu’au début du XXème siècle, pose la réciprocité « immédiate et sans condition » (article 1er du GATT 94) entre tous ses membres. Ainsi, une nation devenant membre de l’OMC bénéficiera d’absolument toutes les concessions et accords conclus dans ce cadre institutionnel. Ceci permet la concurrence la plus égale entre les pays, et évite jalousies et rancoeurs dans la foulée. Un membre ne peut, dès lors, se sentir floué par un autre membre, pas plus que des coalitions ne permettraient à quiconque de retirer un avantage au détriment d’autrui. Du moins, en théorie. L’OMC est avant tout une organisation égalisatrice ; tout le monde est logé à la même enseigne, avec pour but bien évidemment l’augmentation de la croissance intérieure, mais aussi l’ouverture vers l’extérieur. Elle combat le protectionnisme – bien qu’assorti, selon les situations, de certaines exceptions – avec tous les moyens énoncés, ce qui fait d’elle l’une des OI les plus représentatives du système mondialisant. L’objectif avoué est d’intégrer tous les pays dans une seule économie-monde, où l’arme commerciale ne pourrait plus être brandie entre nations. 3.2.1 L’article XXIV et les arrangements régionaux L’article XXIV de l’OMC22 mentionne que « les dispositions du présent Accord ne feront pas obstacle, entre les territoires des parties contractantes, à l'établissement d'une union douanière ou d'une zone de libre-échange ou à l'adoption d'un accord provisoire nécessaire pour l'établissement d'une union douanière ou d'une zone de libre-échange ». Cet article peut sembler contradictoire – comme nous allons le voir – avec ce que nous venons d’exposer. Et en effet, lorsque l’on se penche sur sa conception, on voit à quel point les désaccords au sujet de cette disposition étaient nombreux lors des négociations originelles23. Le Royaume-Uni et son empire, ou la France avec ses colonies, ne sont pas prêts à suivre les USA dans leur marche triomphante vers le multilatéralisme. 22 23 Il s’agit en réalité d’un article déjà en vigueur depuis 1947, lors de la signature des traités du GATT. Cf. annexe. Mathis, James H., Regional Trade Agreements in the GATT/WTO, TMC Asser press, La Hague, 2002, pp. 31-53 - 10 - Mondialisation et régionalisation Jean-Claude Vignoli Aujourd’hui, la position des dirigeants de l’OMC sur les organismes régionaux24 consiste à soutenir que ces derniers sont trop hétéroclites sur le plan économique pour être rentables. De plus, dans un monde où les multinationales ont résolument beaucoup d’importance, parfois plus que les Etats euxmêmes, il est vain de vouloir n’en discuter qu’en petit groupe réduit ; pourquoi ne pas traiter de problèmes qui sont devenus mondiaux, au niveau le plus élevé qui soit ? Le régionalisme est indice relativement dangereux, toujours selon Ruggiero, d’une volonté politique de protéger ses industries locales : on pourrait même aller jusqu’à, selon une telle logique, attiser le conflit Nord-Sud25. Pourtant, la plupart des accords régionaux ont le souci formel de n’exister qu’en complémentarité avec les instances mondiale. A l’Accord préférentiel de commerce MERCOSUR avec l’Inde (cf. supra), on peut rajouter la Charte de la SAARC qui indique que « la coopération régionale n’est pas un substitut aux relations bilatérales et multilatérales »26 Il est difficile d’imaginer les accords régionaux comme étant autre chose qu’une entorse à - au moins la clause du traitement national. Les membres composant l’Union européenne, par exemple, vont avoir tendance, par le biais de leurs arrangements, à privilégier de facto leurs échanges. Si les transactions commerciales sont facilitées (pas de taxe, mais moins d’administration aussi), les entreprises vont avoir naturellement tendance à commercer, ou à délocaliser au sein de l’UE. Ce doute se concrétise (pense-t-on, mais les données à disposition ne sont pas encore significatives) depuis le passage de l’UE à 25 membres, au mois de mai 2004 : c’est en Pologne, ou dans les pays Baltes, que les grandes entreprises vont implanter leurs usines, au détriment d’une vision plus large, plus universelle, souhaitée par l’OMC. Le régionalisme est privilégié sur le multilatéralisme, il est déclaré même « économiquement irrationnel », puisque les avantages sont accordés au « clan » régional, et pas au producteur le plus efficient27. Tout cela s’oppose à ce que la science économique promeut ; la baisse des prix, et donc l’augmentation du pouvoir d’achat des consommateurs ne peut se réaliser que si le marché est « sain ». Pour obtenir un marché « sain », il est nécessaire d’avoir des règles de concurrence transparentes et égalitaires. Sur le plan de l’égalité, on ne peut pas dire qu’un producteur de textile africain soit traité dans les mêmes conditions qu’un producteur français par les grossistes européens (cf. infra) ; c’est aussi à cela que servent les régions, à protéger leurs citoyens. D’autre part, la multiplication des accords régionaux – et leur superposition - réduisent la prévisibilité des acteurs économiques. L’attitude d’un Etat ou d’une multinationale est incertaine, lorsqu’on ne peut pas prévoir quel accord sera concrètement appliqué ; et le manque de prévisibilité était un reproche que l’on a fait beaucoup aux années trente… De manière transversale, la crainte est de voir émerger des blocs, à l’image des deux blocs connus durant la Guerre Froide. Certaines déclarations confirment cette peur, à l’image de Michel Rocard déclarant que « un ensemble Europe-Afrique pèserait d’un poids considérable dans le monde de demain et constituerait une zone de contre-pouvoir à une domination trop monolithique des EtatsUnis »28. L’OMC, née formellement en 1995 – bien qu’existant déjà auparavant sous la forme du GATT, souhaite éviter que la possibilité d’un nouvel affrontement idéologique ne puisse prendre racine. Telle est la mission de l’OMC, et telles sont les raisons qui la voient parfois s’opposer aux blocs économiques qui se constituent de par le monde. On a pu voir Michael Moore s’en prendre à l’APEC par exemple, expliquant que la légitimité de l’OMC29 est un atout considérable dans le règlement des différents, et qu’il est bien plus difficile d’arriver aux résultats escomptés par le biais d’organismes régionaux. Ou encore, le célèbre économiste Jagdish Bhagwati de déclarer : « I consider striving for an FTAA a great mistake.[…] Proliferating "free-trade areas" have become a pox on the world trading system »30. 24 Ruggiero, Renato, op. cit., 7 novembre 1997 Idem. Voir également l’exemple de Lomé développé ci-dessous. 26 Article 2 paragraphe 2, Charte de la SAARC, Dhaka, 8 décembre 1985 27 Mathis, James H., op. cit., p. 103 28 Cité in Mouradian, Anne-Marie, « Menaces sur la convention de Lomé », Le Monde Diplomatique, juin 1998 29 Moore, Michael, Globalizing Regionalism: A New Role for MERCOSUR in the Multilateral Trading System, Discours donné à Buenos Aires, 28 novembre 2000 30 Bhagwati, Jagdish, « Fast track to nowhere », The Economist, 18 octobre 1997. A noter que Bhagwati est aujourd’hui conseiller externe auprès de l’OMC. 25 - 11 - Mondialisation et régionalisation 3.2.2 Jean-Claude Vignoli Problèmes globaux, réponses globales A l’ère du e-business, il est difficile de croire que des solutions régionales peuvent encore être d’actualité. Les problèmes sont aujourd’hui de plus en plus globaux ; la finance, le commerce ont intrinsèquement besoin de cadres généraux, et non locaux. Outre les problèmes politiques inhérents aux nouveaux défis de notre époque, la sphère économique ne peut être régulée uniquement par le biais d’accords régionaux. On le voit bien avec la « taxe Tobin »31, qui perd une grande partie de son sens dans un cadre uniquement européen. En effet, si les entreprises étaient soumises à une telle taxe, qu’est-ce qui les empêcherait de se livrer à leurs investissements financier ailleurs ? Plus encore, lors d’une augmentation d’impôt, qu’est-ce qui empêcherait une entreprise de délocaliser ? La mondialisation des techniques d’échanges se fait au moyen d’outils accélérant l’échange, permettant aux marchandises de se répandre au quatre coins du globe. Dans ces conditions, il est difficile de croire que des réponses régionales suffisent. 3.3 Les échanges intra-régionaux et internationaux De manière générale, les pays se lançant dans des accords de libre-échange régionaux ont des PIB par habitant relativement proches. Suivant la théorie de l’avantage comparatif, il paraît en effet rationnel de s’accorder entre pays qui ont le même avantage, afin de réaliser des économies d’échelle encore plus élevées – mais réalisées au détriment d’une rationalisation mondiale, comme nous l’avons vu précédemment. Or, les succès des zones de libre-échange sont très mitigés. Comme nous allons le voir, il semble difficile de réaliser et concrétiser des accords intra-régionaux, mais également inter-régionaux. Ce qui amène parfois les organisations régionales à défendre les instances mondiales, à l’image de l’APEC. L’APEC a œuvrée pour la mise en place de l’OMC, et pense que son soutien a été déterminant à la conclusion des négociations32. Cette organisation, qui regroupe 40% de la population mondiale, et génère 60% de son PIB (soit près de $ 20'000 milliards), aspire à non seulement augmenter la coopération régionale, mais également à promouvoir les échanges mondiaux. Pourtant, l’analyse des faits dément quelque peu ces quelques promesses, puisqu’il semble que les échanges régionaux seuls sont favorisés. Afin de vérifier le niveau d’intégration économique régionale, on peut mesurer le ratio des exportations extra-régionales sur le total des exportations de la région. Et le constat pour l’APEC est pour le moins mitigé : en l’espace de 10 ans, la part des exports hors APEC est passée de 32% à 27% en 200033. Et cela, alors même que l’APEC est loin d’être une région de libre-échange, mais seulement une région sujette à une libéralisation des échanges. Poursuivons l’analyse : ces chiffres représentent après tout une immense région mondiale, et le seul poids lourd économique n’en faisant pas partie est l’UE. Si l’on se penche sur l’UE - à quinze - et sur la même période, on passe d’un taux d’export hors UE-15 de 44% à 37%. L’intégration européenne pousse effectivement ses membres à commercer entre eux, et la menace de l’effet de dispersion pointée par les économistes prend tout son sens. Sur le total cumulé de presque 5’000 milliards d’Euros d’exports de l’UE (total 1990-200034), la diminution de 7% d’exportation extra-UE représente 350 milliards d’Euros supplémentaires qui sont restés en Europe. Et ce ne sont pas les nouveaux arrivants qui vont inverser la tendance : la plus grosse économie des 10 nouveaux membres, la Pologne, a vu sa part d’exportation à destination de l’UE-15 passer de 55% en 1990 à 69% en 200335 ! Tout laisse présager que cette tendance, après tout le but de toute zone de libre-échange, n’aille qu’en s’accroissant. 31 Pour comprendre l’intérêt théorique d’une telle taxe, voir Burda, Michael et Wyplosz, Charles, « Macroéconomie, une perspective européenne », 3ème edition, De Boeck, 2003, notamment p. 269 (encadré 11.2) 32 APEC Economic Leaders’ Declaration of common resolve, Indonésie, 15 novembre 1994 33 Labastida, Maria Elena, Governance and Institutional design, mémoire de l’IUHEI, octobre 2002, p. 102 34 Statistical yearbook: External and intra-European Union trade, European Communities, 2004, p. 18 35 Ibid, pp. 200-203 - 12 - Mondialisation et régionalisation Jean-Claude Vignoli Dans les autres zones de libre-échange on retrouve le même constat : 90% des échanges globaux du Canada sont effectués au sein du NAFTA36, les échanges des USA sont passées de 25% avec cette même région (moyenne des années 80-93) à 31%37 (moyenne des années 94-03) ; quant au Mexique, on monte de 67% à 80% pour exactement la même période. Ou encore, les membres du MERCOSUR ont doublés leurs échanges en 10 ans38. Presque partout, où que l’on regarde, on peut constater la réussite du régionalisme économique - dans sa vocation primaire. Des contre-exemples existent, évidemment, mais ces maigres cas peuvent être dus à des raisons politiques, comme pour les pays très hétéroclites de la SAARC, qui échangent peu intrarégionalement39 : le pourcentage plafonnait encore à 3% en 199740. Ce cas de figure se retrouve également dans un autre OR asiatique, l’ASEAN ; moins d’un cinquième de ses exportations sont intra-ASEAN41. Parfois, c’est aussi dû à la spécialisation à outrance de certaines régions dans le secteur des matières premières : les membres du GCC, qui dépendent principalement – pour ne pas dire uniquement – du pétrole et du gaz, ont augmenté leurs exports hors GCC de 92% en 1990 à 94,5% en 200042. Mais de règle générale, les réussites s’accumulent. Le succès du régionalisme est expliqué par l’optique d’une zone de libre-échange ; avec la baisse des taxes douanières, il devient par conséquent plus rentable pour une entreprise d’exporter non seulement dans un pays dont les marchandises ne seront pas – ou peu – taxées par l’Etat importateur. De plus, le propre de ces zones est très souvent la proximité géographique, ce qui est déjà, dès le départ, avantageux sur le plan des coûts de transports. Les accords régionaux ont vraiment tout pour doper le commerce, et se permettent d’aller bien plus loin dans la réduction tarifaire que ne le fait l’OMC. En effet, il faut avoir à l’esprit que lorsqu’on aborde les échanges dans le cadre de l’OMC, on parle de libéralisme, soit d’abaissement des droits des douanes ; lorsqu’on présente les zones régionales, suivant leur niveau d’ancienneté, on entre dans le domaine du libre-échange ! Du libre-échange qui peut faire l’objet d’un protectionnisme détourné – les préférences nationales sont difficiles à éradiquer – mais une abolition des tarifs douaniers tout de même. Quelque soit l’enthousiasme que provoquent les chiffres des échanges intra-régionaux, cette joie est bien souvent restreinte aux pays développés, ou au moins aux pays possédant des potentiels de développement économique. En 1997, les investissements directs dans les pays développés correspondaient au double des investissements directs mondiaux de 198643. Et le régionalisme, voire la coopération inter-régionale, n’a jamais réussi à changer la donne. 3.3.1 Lomé Les conventions de Lomé sont un exemple démonstratif des incompatibilités et des insuccès des accords entre différentes régions, et surtout de l’impact que peuvent avoir les OI sur les OR. Ils démontrent quelles peuvent être les difficultés de concrétisations des négociations entre deux organismes régionaux, lorsque des objectifs mondiaux se superposent aux objectifs régionaux. La CEE, instituée par les Traités de Rome de 1957, prévoyait une « convention d'application relative à l'association des Pays et Territoires d'Outre Mer »44. Résultant de cette convention, le traité de Lomé (1975) a associé l’OR et quarante-six pays africains, avec pour but d’avoir des échanges commerciaux préférentiels ainsi que des mécanismes de soutien et d'aide au développement45. Au fil des décennies, chacun des deux groupes a crût, jusqu’à atteindre septante et un pays dits ACP (groupe comprenant l’Afrique, les Caraïbes et le Pacifique). 36 Moore, Michael, op.cit. World Economic Outlook, International Monetary Fund, septembre 2004, p. 42 Moore, Michael, « Globalizing Regionalism: A New Role for Mercosur in the Multilateral Trading System », Speech given at Buenos Aires, 28 novembre 2000 39 Reed, Ananya Mukherjee, « Regionalization in South Asia: Theory and Praxis », Pacific Affairs, vol. 70, n° 2, été 1997, p. 239 40 Grimaud, Jérôme, op. cit., p. 227 41 Southeast Asia : a free trade area, ASEAN Secretariat, 2002, p. 5 42 Labastida, Maria Elena, op. cit., p. 103 43 Bowles, Paul, op. cit., p. 227 44 Consultable sur le site d’European NAvigator (ENA) : http://www.ena.lu/index.cfm?doc=1764&lang=1 45 La Convention de Lomé : bilan et perspectives, Centre de documentation Tiers Monde de Paris, 1999 37 38 - 13 - Mondialisation et régionalisation Jean-Claude Vignoli Or, le constat est accablant : les échanges n’ont jamais décollés, et même au contraire, la part ACP dans les imports de l’UE a plus qu’été divisée par deux46. L’Europe étant certainement trop occupée à se construire47. Qualifiée régulièrement de « relation unique », cette convention contenait l’accord Nord-Sud le plus ambitieux48, avec un véritable projet de développement pour les pays ACP. En effet, la quatrième convention de Lomé, arrivée à expiration en février 2000, était la dernière de son genre ; la cinquième - l’Accord de Cotonou - tient compte des règles libérales et anti-protectionnistes de l’OMC. Les effets de ces règles se faisaient déjà sentir en 1998, où « plus de 60% des exportations ACP vers l’Europe ne [bénéficiaient] plus d’aucun avantage par rapport à la concurrence asiatique et latino-américaine »49. On pourrait déduire ici toute la portée paradoxale de la superposition OI-OR, avec l’OMC qui aurait contré les bienfaits attendus d’un tel type de relation. On pourrait croire que l’UE ne pouvait avantager les pays ACP au détriment des pays industrialisés, les règles de l’organisme international l’en ayant empêché ; notons toutefois qu’il est serait malaisé d’être catégorique sur le sujet, car depuis la fin des années 70, l’OMC prévoit la « clause d’habilitation »50, permettant aux pays industrialisés d’accorder un régime tarifaire plus avantageux au PMA, clause qui a été réaffirmée en 1999 pour une période de 10 ans51. Ce qui revient à dire, en fin de compte, que non seulement le partenariat UE-ACP a échoué, mais que l’OMC ne produit pas les résultats escomptés… Poussant la réflexion plus loin, on peut supputer que l’échec de cette coopération entre régions est due principalement aux divergences matérielles d’intérêts des deux groupes : l’UE veut à tout prix maintenir un protectionnisme sur l’agriculture, ce qui – évidemment - mécontente ses partenaires. Cela se traduit par une subvention à ses produits agricoles, et une taxation élevée des produits finis en provenance de l’extérieur52. Les chiffres des échanges ACP-UE sont éloquents : pour l’année 1999, 84% des exports européens à destination de l’ACP concernaient le secteur industriel53. Quand on connaît le problème de la dévaluation des matières premières face aux biens manufacturés, on comprend aisément à quel point cela peut prendre des proportions gigantesques ! 3.3.2 PVD et groupements régionaux Les PVD manifestent un regain d’intérêt pour les groupements régionaux depuis au moins deux décennies. Passant de la substitution à l’exportation à l’ouverture vers l’extérieur, l’intégration régionale est née sous l’inspiration des théories développées par les auteurs tels que Singer, Nurkse, Rostow et Prebisch pour répondre à un besoin de substitution54. Alors que l’UE, par exemple, avait adopté dès sa naissance des politiques encourageant la promotion des exportations - celles-ci ayant favorisé le démantèlement rapide des barrières tarifaires intracommunautaires. L’OMC souhaite, comme nous l’avons vu, développer les échanges Nord-Sud et non simplement Nord-Nord55. Et avant même que l’OMC n’aboutisse, les PVD se plaignaient des tergiversations pour la création de l’OMC56, qui elle seule pourrait « casser » le protectionnisme qui se mettait en place avec les accords régionaux du Nord. On pouvait ainsi entendre le président chilien Patricio Aylwin déclarer en 1992 : « We face a great paradox. On one side, Latin America is opening up to international trade at a great social cost. On the other, industrialised nations, including the EC, shelter behind protectionist measures that hamper our growth and development »57. Alors même que l’on pousse les PVD à s’ouvrir, expliquant que l’accélération des échanges entre partenaires commerciaux 46 « L’Accord de Cotonou : Aperçu général », Accord de partenariat ACP-UE, Union Européenne, octobre 2004 Bachir Diagne, Souleymane, « Cette relation unique », Le Monde Diplomatique, mai 1999 Mouradian, Anne-Marie, « Menaces sur la convention de Lomé », Le Monde Diplomatique, juin 1998 49 Idem 50 Traitement différencié et plus favorable, réciprocité et participation plus complète des pays en voie de développement, décision L/4903 du GATT, 28 novembre 1979 51 Préférences tarifaires en faveur des pays les moins avancés, décision WT/L/304 de l’OMC, Adoptée le 15 juin 1999 52 Berthelot, Jacques, « Agriculture, le vrai débat Nord-Sud », Le Monde Diplomatique, mars 2000 53 « Statistiques du commerce extérieur », Accord de partenariat ACP-UE, Union Européenne, octobre 2004 54 Tchenzette, Martial, « Le régionalisme et la mondialisation sont-ils des phénomènes exclusifs ? » in ZOMBIE, Zone Ouverte de Mobilisation pour Briser les Injustices et Exclusions, 23 juin 2004 55 Tussie, Diana, op. cit., p. 185 56 Berthelot, Yves, « Globalisation et régionalisation » in Choquet, Catherine (dir.), L’intégration régionale dans le monde, Karthala, 1994, pp. 14-15 57 Crawford, Leslie, « Chile grows weary of US 'stalling antics' on FTA », Financial Times, 3 juin 1992 47 48 - 14 - Mondialisation et régionalisation Jean-Claude Vignoli sera bénéfique à leur économie, des forteresses régionales se mettent en place, et au premier chef d’entre-elles : l’UE. Et c’est là que réside le paradoxe, puisqu’on demande aux pays développés de procéder à une réforme que les PI n’entreprenne pas eux-mêmes. Sur le plan théorique, les OR du Nord pourraient avoir des effets bénéfiques pour celles du Sud ; la libéralisation des marchés (ou les ZLE) produit une croissance, qui elle-même accroît la demande en matière première. Mais les OR des PI apparaissent comme des moyens avant tout de protéger les secteurs peu concurrentiels du Nord, notamment l’agriculture et les textiles. Les pays du Sud souhaiteraient avoir accès aux mêmes conditions douanières pour ces deux domaines que celles existant dans domaines de haute technologie. Pour ces pays, des OR comme la NAFTA ou l’UE sont un moyen déguisé de faire du protectionnisme. Le MERCOSUR reproche ainsi régulièrement à l’UE de protéger son marché de viande bovine, via des subventions illégales au sens des règles de l’OMC ; l’UE, soucieuse de défendre les nombreux petits et moyens producteurs dans des régions souvent défavorisées, s’y refuse. Les produits comme le sucre, les céréales, les produits laitiers subissent le même traitement alors que, on constate avec peu de surprise, le marché du vin est totalement ouvert à l’extérieur, ne subissant que peu de concurrence58. Pour que la régionalisation soit un véritable avantage pour les PVD, il est nécessaire que ceux-ci dépassent leurs conflits traditionnels. Il est primordial qu’ils réussissent à ce coordonner, afin d’avoir plus de poids dans leurs négociations avec les autres blocs régionaux. Les crises de l’or noir des années 70, provoquées par l’utilisation de l’arme pétrolière des pays de l’OPEP, exemplifient le résultat qu’il est possible d’obtenir des pays non industrialisés pourraient obtenir. Avec une réserve de sur la gradation, toutefois ; il existe peu de matériaux dont sont aussi dépendants les pays du Nord. L’OMC a aussi son rôle à jouer en la matière ; en dépassant le simple traité, en devenant une institution mondiale en 1995, elle peut être un outil extraordinairement puissant pour les PVD. Mais ici encore, il est nécessaire pour eux de se coordonner. Car dans les deux domaines précédemment mentionnés, cette institution a de nombreuses difficultés à faire appliquer les mesures décidées. 58 Le vin européen est considéré comme de meilleure qualité par les consommateurs européens. Dès lors, l’UE a peu à craindre des exportations sud-américaines. - 15 - Mondialisation et régionalisation Jean-Claude Vignoli 4 …à la complémentarité politique « L’Europe ne saurait se limiter au charbon et l’acier […] l’institution de la Communauté, qui l’ébauche d’un Etat fédéral, n’a d’ailleurs de sens que si elle débouche sur une véritable autorité politique. » Jean Monnet, 13 août 1952 Le protectionnisme économique des Etats, qu’il se fasse par le biais d’institutions régionales ou non est, comme nous l’avons vu, irrationnel. Le dégagement des ressources libérées par une ouverture économique permettrait, comme s’accordent à dire les économistes, d’augmenter la production locale. La question surgit : pourquoi les Etats maintiennent-ils encore des barrières douanières, si le but premier d’un Etat est le bien-être de sa population ? Pourquoi ceux-ci ne se lancent pas immédiatement dans une libéralisation débridée, voire une zone de libre-échange mondiale ? Le rôle d’un Etat est d’assurer le bien-être de sa population, certes. Joseph Nye, par exemple, défend l’hypothèse que l’intégration économique régionale tend à inhiber les conflits et à augmenter les incitations d’autogestion59. Cependant, l’économie n’est qu’un instrument parmi tant d’autres, et la croissance ou la répartition des richesses ne reste qu’un moyen à la disposition de l’Etat : Comme nous l’avons vu précédemment, le libre-échange n’est pas un but en soi, mais bel et bien un moyen d’attendre un état où l’interdépendance rendrait les conflits interétatiques plus difficiles. Ainsi, à de nombreuses reprises dans l’histoire, c’est d’abord l’approche politique de la région qui a été privilégiée. Nous avons déjà mentionné les exemples de la SAARC et de l’ASEAN qui, de politique, se sont orientées vers le domaine économique, en créant respectivement la SAFTA et l’AFTA. Plus flagrants encore sont les exemples que nous allons développer du MERCOSUR et de l’idéal-type en la matière, l’Union européenne. Analyser les relations entre OR et OI requiert par conséquent une vision plus large que la simple recherche des motifs économiques. Ne serait-ce que parce qu’il existe des OR n’ayant pas pour but le développement économique, mais la sécurité, l’exportation de valeurs, etc. Et quand bien même on se penche sur les OR économiques, on découvre des motifs politiques à leur création, les hidden agendas, des intérêts politiques sous-jacents à leur conception. Une fois exposée l’hypothèse de l’origine socio-politique des OR et OI, il restera à comprendre pourquoi les deux coexistent, et quelle est la valeur ajoutée d’une OR ; pourquoi existe-t-il des organismes de sécurité collective comme l’ONU, parallèlement à d’autres organismes régionaux comme l’OTAN ? 4.1 Une communauté de valeurs Un grand nombre d’OR ont été créées avec pour but premier la consolidation des valeurs et pratiques démocratiques. Que ce soit le Conseil de l’Europe avec la Convention européenne des droits et libertés fondamentaux60, ou l’OAS avec les principes mentionnés à son article 361, il existe un très grand nombre d’OR qui ont été créées dans le souci d’assurer au niveau régional le respect de valeurs communes. Ce qui a priori ne déroge pas de ce que nous savons au sujet de l’ONU : cette instance représente non seulement des valeurs régionales, mais même mondiales. A son article 1, sa Charte constitutive mentionne explicitement le souci de promouvoir la paix (paragraphe 1), développer des relations amicales entre pays (paragraphe 2), réaliser la coopération internationale en résolvant 59 Nye, Joseph, Peace in parts : integration and conflit in regional organisations, Brown, 1971, cité in Hurrell, Andrew, « Latin America in the New World Order: A Regional Bloc of the Americas? », International Affairs, vol. 68, n° 1, janvier 1992, p. 121 60 Best, Edward, Regional Integration and (Good) Regional Governance: Are Common Standards and Indicators Possible?, United Nations University, 2004, p. 10 61 Extrait de l’article 3 de la Charte de l’OAS : Les Etats américains réaffirment les principes suivants : a. Le droit international constitue la norme de conduite des Etats dans leurs relations mutuelles; b. L'ordre international est basé essentiellement sur le respect de la personnalité, de la souveraineté et de l'indépendance des Etats ainsi que sur le fidèle accomplissement des obligations découlant des traités et des autres sources du droit international; c. La bonne foi doit présider aux relations des Etats entre eux; [..] - 16 - Mondialisation et régionalisation Jean-Claude Vignoli les problèmes internationaux d'ordre économique, social, intellectuel ou humanitaire, en développant et en encourageant le respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales pour tous, sans distinctions de race, ce sexe, de langue ou de religion (paragraphe 3) ; tout ceci ne semble pas incompatible avec les principes dont les OR, et l’on peut même se demander de prime abord si il n’y a pas un double emploi risquant de disperser les énergies communes. Cependant, en revenant à la Charte de l’OAS, nous remarquons que son article 2 lettre b prévoit comme objectif essentiel d’encourager et consolider la démocratie représentative dans le respect du principe de non-intervention; si la non-intervention est un concept bien établi en droit international et sanctionné par l’ONU elle-même, la première partie de cet article aborde… la démocratie représentative. La forme du gouvernement est explicitement mentionnée, elle en devient une valeur commune à tout un continent où la démocratie s’est répandue alors qu’elle n’était que limitée en Europe. Cet objectif va donc plus loin que ceux exprimés au sein de l’ONU, puisque cette valeur n’est pas universellement acceptée et reconnue, mais seulement régionalement. On touche là un point extraordinairement important pour comprendre le « plus » apporté par les OR qui, ne concernant qu’un nombre restreints de pays, ont une concentration plus forte de leurs idéaux communs, et peuvent se permettre de mettre l’accent sur des valeurs plus précises, allant bien au-delà de ce qu’il serait envisageable au sein des OI. Cette divergence de statut et de retranscription des valeurs, différentes entre les OI et les OR, peut se traduire doublement : premièrement, elle pose la question du manque d’effectivité des OI dans l’application de ces valeurs (dissolution du pouvoir). D’autre part, la concordance des valeurs défendues est difficile à atteindre (spécialisation des OI). Ce qui peut sembler assez paradoxal, il faut nous l’avouer ; les OR sont plus efficace parce qu’elle sont spécialisées dans une région, alors que dans le même temps, les OI sont inefficaces parce qu’elles sont thématiquement spécialisées. L’individu comme l’Etat sont pluriels, d’où leurs capacités à se retrouver dans une organisation qui représente leurs nombreuses facettes. Une OI ne représente que l’une de celles-ci, et peut-être est-ce là que réside le problème. 4.1.1 Manque d’effectivité et trop plein de spécialisation des OI Les OR sont les représentantes de valeurs plus concentrées, perçues comme plus légitimes aux yeux des élites et de la population, qui auront tendance à bien plus se reconnaître dans des valeurs plus « locales » que celles prônées par des grands ensembles. On peut donc aller plus loin et plus vite dans une intégration légale, économique ou politique lorsque plus de dénominateurs communs unissent les différentes nations : il y a moins d’acteurs en jeu, ils sont moins hétéroclites, et les buts d’une OR sont plus rassembleurs, emportant le consensus plus facilement qu’au sein d’une OI. Dans le domaine des droits de l’homme, il est ainsi intéressant de constater que durant les années 40 et 50, hormis l’OIT et certaines agences spécialisées (comme l’UNESCO et l’OMS), aucune OI n’intégrera dans son traité fondateur le souci de gérer ce domaine en tant que finalité62. Au contraire des OR, qui les intègrent très souvent dans leurs propre charte, voire même les utilisent comme principe de base dans leurs relations inter-région, comme dans le cas de l’Accord de Cotonou exposé précédemment. Lorsque l’individu émerge en tant que sujet du droit international, c’est dans les chartes africaine, européenne et américaine des droits de l’homme, avec des procédures et mécanismes juridiques concrets à la clé. Certains juristes n’hésitent pas à demander que l’on prenne comme référence l’UE pour la construction d’un système légal mondial63. Par ailleurs, selon Pascal Lamy64, le partenariat ACP-UE permettrait de « dépasser l'approche unilatérale consistant à octroyer des concessions sans fixer d'obligations de bonne gestion interne aux ACP [car] un accès préférentiel aux marchés sans bonnes politiques internes nous semble en effet voué à l'échec »65. Plus intéressant encore, Lamy renchérit en disant que « les efforts de renforcement des capacités s'inscrivant dans le cadre des négociations des APE (Accord de Partenariat Economique) rendront les pays ACP plus à même de participer activement aux 62 Petersmann, Ernst-Ulrich, op. cit., pp. 622-623, 642 Ibid, p. 632 Ancien commissaire européen responsable du commerce, qui a de grandes chances de devenir directeur de l’OMC. 65 Lamy, Pascal, Entretien de M. Lamy avec la Commission Développement du Parlement européen, 14 mai 2002 63 64 - 17 - Mondialisation et régionalisation Jean-Claude Vignoli négociations de l'OMC » 66. Cet exemple démontre que la concentration d’intérêts régionaux donne plus de pouvoir aux OR ; celles-ci, plus soudées, ont un pouvoir de négociation plus élevé dans leurs relations avec leurs partenaires. Les négociations peuvent dès lors porter sur des domaines dont les OR sont porteuses, chose beaucoup plus difficile au sein des OI mondiales, accueillant un grand nombre de délégations. Le différend entre l’Européen Airbus et l’Etasunien Boeing exemplifie la difficulté de parvenir à un accord au sein de l’OMC. Après des mois d’invectives entre les deux entités sur le sujet des subventions octroyées aux entreprises aéronautiques, avec menaces de recourir à l’OMC, il a récemment été convenu de régler le contentieux hors de l’institution mondiale67. Certains pourrait arguer qu’il s’agit là d’une démonstration du pouvoir de l’OMC, dont la menace aurait fait aboutir les négociations. Pourtant, il apparaît que les deux parties au litige ont eu peur d’une éventuelle décision à l’OMC, qui déclarerait illégale les aides de chacun d’entre eux à leurs industries aériennes68. En somme, en l’état actuel du droit international, les OR ont en contraste des OI une effectivité générale plus grande, qui est loin d’être limité à ces seuls exemples. On parle de libre-échange dans une ZLE, alors que l’on parle de libéralisation des échanges à l’OMC, car on ne peut aller aussi loin que dans une OR. Dans le domaine environnemental, l’entrée en vigueur du Protocole de Kyoto, pourtant discuté dès 1992 dans l’enceinte des Nations Unies, ne sera due qu’aux négociations entre l’UE et la Russie69, où lors du sommet UE-Russie de mai 2004, « la ratification [du Protocole de Kyoto] avait été liée de manière explicite au soutien européen à l'entrée de la Russie dans l'Organisation mondiale du commerce »70. Bien que pour nuancer ce propos, on puisse arguer que ce type de négociation est permis dans le cas uniquement des OR ayant pour but une intégration dépassant la ZLE ; l’UE, l’OAS, l’UA sont clairement dans ce cas de figure, alors que l’APEC ne l’est pas. L’exemple de Kyoto nous démontre toutefois que très souvent, les idées peuvent naître dans les institutions internationales, mais que leur concrétisation peut passer, parfois, par les OR. Depuis une dizaine d’années, toujours dans le domaine de l’environnement, le problème de la pollution de la frontière étasuno-mexicaine s’affiche au grand jour au sein de la NAFTA, avec des résultats satisfaisants71. Outre ce problème de dissolution du pouvoir dans une OI, il se pose aussi le problème de la spécialisation particulière de celles-ci (cf. supra, 2.1) ; les OI répondent à l’expression d’un besoin spécifique. L’OIT s’occupe des normes de travail mondiales, l’ONU de la sécurité et de la paix internationales, la Banque Mondiale du développement, etc. L’OMC, pour reprendre le développement de notre deuxième chapitre, ne poursuit que des buts commerciaux, bien que la jurisprudence tende à laisser espérer une évolution72. Quand bien même on serait tenants d’une évolutionnisme parmi les instances mondiales, tant il est vrai que le rôle des Nations Unies a bien débordé de ses objectifs premiers, notre bon sens nous rappelle à l’ordre : certains domaines, certains intérêts sont irrémédiablement inconciliables. Et l’institutionnalisation de ceux-ci augmente encore plus leurs contradictions. Si d’un côté nous avons l’OMC qui milite pour la croissance et l’augmentation de la production internationale, le souci environnemental se traduit lui dans le Protocole de Kyoto. Andreï Illarionov, économiste et conseiller auprès du Kremlin, expliquera ainsi que l’adhésion à Kyoto « entraînera des pertes de l'ordre de 1’000 milliards de dollars » pour l'économie russe73. Que faire alors, consommer et produire à outrance pour donner une chance supplémentaire à la paix, ou assurer un avenir à notre descendance ? Le dilemme est entier. De la complexité de telles oppositions naît le besoin d’en discuter d’une manière globale et non sectorielle. Un débat de fond, transversal et pluridisciplinaire, qu’il est bien plus difficile d’obtenir dans une OI, peut éclore dans les OR. L’UE, par exemple, veut répartir les efforts de ses membres au sujet 66 Idem « Airbus/Boeing : l'OMC pas sollicitée », Le Nouvel Observateur, 11 janvier 2005 Dugua, Pierre-Yves, et Denuit, Delphine, « Boeing et Airbus veulent faire la paix », Le Figaro, 12 janvier 2005 69 La ratification du Protocole de Kyoto par la Russie a permis au dit l’accord d’entrer en vigueur. 70 Kempf, Hervé, « En décidant de ratifier le protocole de Kyoto, Moscou renforce la position européenne sur le climat », Le Monde, 2 octobre 2004 71 Hurrell, Andrew, op. cit., pp. 136-137 72 Par exemple, dans l’affaire dite « Essence » l’Organe d’appel (ORD) de l’OMC indiquera que les principes environnementaux et commerciaux doivent être mis sur un pied d’égalité. Affaire Etats-Unis – Normes concernant l’essence nouvelle et ancienne formules, Rapport de l’ORD, AB-1996-1, 29 avril 1996 73 Nougayrède, Natalie, « Après l'annonce des réformes, le Kremlin donne "un signal positif" », Le Monde, 2 octobre 2004 67 68 - 18 - Mondialisation et régionalisation Jean-Claude Vignoli de Kyoto : « [...] les contributions de chaque État membre à l'exécution de l'engagement global de la Communauté en matière de réduction [des émissions] [...] sont différenciées afin de tenir compte, entre autres, des perspectives de croissance économique, de la ventilation des différentes formes d'énergie et de la structure industrielle dans chaque État membre »74. Ceci pour démontrer que l’UE tient compte à la fois des engagements souscrits internationalement, et à la fois des capacités économiques de ses membres. Le débat peut se dérouler dans tous les domaines, puisque l’UE n’est pas un organisme spécialisé particulièrement… et qu’en groupe restreint, les Etats sont moins soucieux de leur inaliénable souveraineté, conscient des valeurs plus fortes qui les rassemblent. Il faut toutefois mentionner ici qu’il s’agit d’une nuance de degrés ; l’UE, organisme régional le plus abouti au monde institutionnellement, voit régulièrement des débats opposants les souverainistes aux fédéralistes75. Cette opposition entre les deux visions paradigmatiques est moins forte dans les OR que dans les OI, mais elle existe malgré tout. Il est enfin judicieux de rappeler que les OI doivent posséder une personnalité autonome vis-à-vis de leurs membres pour avoir droit à ce titre. En ce qui concerne les OR, et hormis l’UE, nous en sommes très loin, puisqu’elles répondent à des aspirations étatiques directes. De facto, le courant souverainiste est plus palpable au sein des OI. 4.1.2 L’identité du citoyen : un perspective légitimiste des OR et des OI Au-delà des aspects supranationaux que nous avons évoqué, il nous semble nécessaire d’aborder le problème de l’identité. « On sait qui on est seulement si on sait qui on n’est pas », soutenait Huntington76. Si cette hypothèse nous paraît pertinente et va nous servir de fil rouge dans l’approche de la légitimité des OR, nous sommes à des lieues de tirer les mêmes conclusions qu’Huntington ; l’identité n’est jamais figée dans le temps ou l’espace, mais au contraire évolutive et relative. L’identité est construite. Nous avons pu conclure précédemment que les OR, contrairement aux OI, sont suivies d’une plus grande effectivité. La communauté des valeurs est plus grande, avons-nous affirmé. Soit, mais pourquoi partager des valeurs communes peut-elle représenter une plus grande légitimité ? Après tout, ne sommes-nous pas plus proche d’un citadin ouzbèk que d’un paysan suisse dans notre perception du monde ? L’individu tente par tous les moyens d’appréhender le monde qui l’entoure, il est à la recherche d’ « espace de sens », qui sont des « tentatives d’organisation de la pluralité du monde sur des bases qui n’invalident ni les formes d’organisations précédentes – comme les Etats-nations – ni celles qui se font jour, comme la mondialisation »77. A cette thèse, nous ajoutons les OR, sorte de stade identitaire intermédiaire entre les Etats-nations et les OI. Nous avons donc trois niveaux d’identités qui se superposent, autant d’appuis que l’individu utilise pour se démarquer de l’ « étranger ». Qu’est-ce que l’étranger ? C’est principalement ce que nous ne sommes pas. Nous décidons de nous définir, nous retrouver face à l’autre, l’autre qui représente des valeurs que nous n’avons pas. Ces valeurs se cristallisent dans les trois niveaux définis, et prennent d’autant plus de sens qu’ils sont différents des niveaux de l’autre, chacun constitué par d’autres valeurs. Ce phénomène prend toute son importance, et de manière quasi caricaturale lorsque l’individu s’éloigne de sa communauté ; plus il s’en distancie, plus elle prend de l’importance. Plus on est loin de son groupe national, plus la nation nous définit. In extenso, plus on s’éloigne de notre OR, plus celle-ci se révèle constructrice de notre identité. Dès lors, qu’y a-t-il à attendre des OI ? Elles encadrent le globe dans son ensemble ; on ne peut les fuir, elles ne peuvent donc nous définir avec le même absolu. L’autre, dans une OI, ne peut matériellement pas être exclu,. 74 Décision relative à l'approbation, au nom de la Communauté européenne, du protocole de Kyoto à la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques et l'exécution conjointe des engagements qui en découlent, Conseil de l’UE, décision n° 2002/358/CE, 25 avril 2002, paragraphe 10 du préambule 75 Dans les grandes lignes, les premiers sont tenants d’une Europe où l’Etat-nation reste le principal dépositaire des décisions étatiques, alors que les seconds souhaitent un modèle fédératif pour l’UE. 76 Huntington, Samuel P., Le choc des civilisations, Odile Jacob, Paris, 1997, p. 21 77 Laïdi, Zaki (dir.), Géopolitique du sens, Desclée de Brouwer, Paris, 1998, p. 11 - 19 - Mondialisation et régionalisation Jean-Claude Vignoli Les OI sont des lieux de confrontations d’identités et valeurs différentes ; différentes conceptions du monde s’y choquent et s’y entrechoquent, avec âpreté. Aucune d’entre elle n’est représentante de la même identité, mais au contraire de valeurs universelles à l’homme. Les OR, au contraire, proviennent du phénomène dialectique moi contre l’autre. On se réunit contre l’étranger, pour préserver son économie, ses valeurs, etc. Cela participe d’une construction identitaire négative, alors que les OI travaillent sur la construction positive. Les deux types d’instances ne sont pas hiérarchisables ; elles répondent toutes deux à des besoins différents. On voit, timidement, émerger une identité européenne, tout comme autrefois, une identité française fit son chemin. Les contextes entre les deux phénomènes sont très différents, mais il n’est pas anodin de noter que, lors de la menace de veto française face aux envies belliqueuses étasuniennes, le sentiment d’appartenance à l’Europe s’est renforcé parmi les peuples. Il faut néanmoins être précautionneux quant à la durée de tels sentiments, ne pas les surestimer ; malgré tout, on ne peut que constater le phénomène, bien présent. Dans le cas des OI, il ne s’agit aucunement de participer à la même dialectique. C’est la rencontre avec l’autre, et non sa négation, qui est en jeu. C’est ainsi que l’on parle de soft law, de soft power pour les OI. Elles répondent donc à des besoins de l’individu d’un tout ordre. La perception de la légitimité est d’un tout ordre que l’on soit dans une OR ou dans une OI. L’approche dialogique d’Habermas78 met en avant que la légitimité réside dans un consensus obtenu par une discussion exempte de domination, ce qui nous signifierait que les OI seraient perçues comme étant tout aussi légitimes que les OR. Toutefois, puisque les OI ne répondent pas à ce besoin identitaire et paraissent beaucoup trop éthérées aux individus, on ne peut partager ce point de vue. Le sentiment de partager des valeurs communes ne correspond qu’à un raccourci pour sa propre construction identitaire, où la discussion n’arrive que dans un second temps. Ce qui explique une perception très différente de la légitimité, suivant que l’on observe une OI ou une OR. Cette démonstration sur le rapport identité-légitimité existant est encore plus palpable lorsqu’on observe avec quelle fougue ces dernières années les individus se sont opposés aux interventions « illégitimes », mais hors des OR. L’intervention illégitime de l’OTAN au Kosovo ne vit qu’une poignée d’intellectuels protester, soit presque rien face à l’ampleur des manifestations auxquelles on a pu assister en Europe, lors de l’intervention du conglomérat étasunien en Irak. Dans les deux cas, les règles de l’ONU ont été bafouées ; s’il est vrai que les violations des droits de l’homme étaient d’un tout autre acabit lors de la guerre civile yougoslave, il est pourtant étonnant de constater que l’on ne rencontre pas des manifestations aussi unanimistes en Europe face au violations des droits de l’homme en Tchétchénie, par exemple. Et la question de l’identité prend donc tout son sens, les individus acceptant la légitimité d’une intervention d’autant plus que l’organisme procédant à l’intervention est proche de lui. Le domaine de la sécurité est toutefois bien plus complexe que cela, et on ne peut l’amalgamer, simplement, à la question de l’identité. La légitimité des interventions militaires fait appel aussi au pouvoir régalien de l’Etat, l’usage de la force, qui lui permet d’assurer sa propre survie. Et dans se domaine, les études de Maslow79 nous font comprendre que, avant la question identitaire, la survie de l’individu est prioritaire. D’où le traitement de la légitimité, dans le sous-chapitre suivant, sous l’angle légal, ce qui nous amène à renverser le concept de légitimité développé jusqu’ici. Force est de constater que, si la notion de valeur est à géométrie variable, celle de la légitimité l’est tout autant. Mais comme nous allons le voir, cela n’invalide pas notre développement sur l’effectivité des OR, au contraire, même. 4.2 La sécurité Afin de protéger au mieux ses concitoyens, les Etats s’unissent pour coordonner leur effort de prévention, de préparation, ou même faire des économies d’échelles sur leurs dépenses en armements. Mais avant 1945, les alliances étaient surtout conditionnées par la recherche d’une plus grande puissance, d’un plus grand bargaining power. 78 Habermas, Jürgen, Théorie de l'agir communicationnel, Fayard, Paris, 1987 Abraham Maslow développa la théorie selon laquelle nos besoins sont hiérarchisés selon leur nature. Ainsi apparaissent, dans l'ordre, les besoins physiologiques, de sécurité, d'affiliation, d'estime, et d'accomplissement de soi. 79 - 20 - Mondialisation et régionalisation Jean-Claude Vignoli En raison des carences du système international, et de la difficulté à trouver un équilibre entre puissances, l’ONU a été créée en 1945. Dans le domaine de la sécurité, c’est la seule instance universelle. A l’intérieur de celle-ci, le Conseil de Sécurité a « la responsabilité principale du maintien de la paix et de la sécurité internationales » (article 24 de la Charte). Pendant la Guerre Froide, le manque d’efficacité de l’ONU est aisément compréhensible, paralysée ad nauseam par les vetos successifs des superpuissances. Les années 90 marqueront les débuts timides des opérations de maintien de la paix par l’ONU. Et pourtant, bien que ce soit la seule OI légitime dans le domaine sécuritaire, l’ONU a le plus souvent délégué ses missions aux OR. Que ce soit l’OAS qui donne une réponse régionale au coup d’Etat d’Haïti en 199180, ou bien l’OTAN qui intervienne au Kosovo en 1999, ou encore l’ASEAN qui réussit à convaincre le Vietnam d’opter pour la paix lors de son conflit contre le Cambodge81, les exemples affluent pour nous montrer combien sont importantes les OR dans le processus de sécurité, et à quel point ONU et OR sont complémentaires. En somme, depuis la fin de la Guerre Froide, l’ONU est devenue universellement légitime dans le domaine de la sécurité. L’affrontement idéologique n’a plus cours, mais ce n’est pas pour autant qu’elle peut activement intervenir… puisque ce sont les membres de l’OI qui doivent fournir armes et munitions à l’ONU. Ce fut tout le problème des bombardements au Kosovo, où l’OTAN avait la capacité d’intervenir, mais où l’intervention sortait du cadre légal. 4.2.1 Le chapitre VIII de l’ONU Le chapitre VIII de la Charte de l’ONU (en annexe) reconnaît explicitement les accords régionaux « destinés à régler les affaires qui, touchant au maintien de la paix et de la sécurité internationales, se prêtent à une action de caractère régional » (article 52 paragraphe 1). Mais elle précise un peu plus loin qu’« aucune action coercitive ne sera entreprise en vertu d'accords régionaux ou par des organismes régionaux sans l'autorisation du Conseil de sécurité » (article 53 paragraphe 1). De manière générale, toutes les OR à intérêt sécuritaire contiennent des références explicites de subordination à la Charte de l’ONU, comme nous l’avions déjà introduit au chapitre 2 plus globalement. L’OSCE, par exemple, mentionne à son article 7 : « Nous réaffirmons que l'OSCE est un accord régional au sens du Chapitre VIII de la Charte des Nations Unies, une organisation de premier recours pour le règlement pacifique des différends dans la région et un instrument essentiel pour l'alerte précoce, la prévention des conflits, la gestion des crises et le relèvement après un conflit ». Mais on peut également trouver des références ambiguës, à l’image de la Charte de l’OTAN : « Les parties conviennent qu'une attaque armée contre l'une ou plusieurs d'entre elles survenant en Europe ou en Amérique du Nord sera considérée comme une attaque dirigée contre toutes les parties, et en conséquence elles conviennent que, si une telle attaque se produit, chacune d'elles, dans l'exercice du droit de légitime défense, individuelle ou collective, reconnu par l'article 51 de la Charte des Nations Unies » (article 5). Ainsi, l’OTAN se présente comme une organisation régionale qui, toute en promouvant les mêmes valeurs fondamentales que l’ONU, utilise l’article 51 – consacré à la légitime défense – pour se présenter comme une « ONU régionale » – limitée à l’Amérique du Nord et à l’Europe82 – pouvant intervenir collectivement lorsque l’un de ses membres subit une attaque armée. Il s’agit donc d’exercer le recours à la violence uniquement dans ce cadre, mais il semble pour le moins ambigu que l’on puisse accepter a priori la formation d’alliances militaires. 4.2.2 Le Kosovo Ces différentes dispositions légales nous conduisent à nous interroger sur les interactions effectives entre les deux types d’organismes. En effet, en raison de ce choc entre légitimité et effectivité, on a pu 80 Hurrell, Andrew, op. cit., p. 135 Reed, Ananya Mukherjee, « Regionalization in South Asia: Theory and Praxis », Pacific Affairs, vol. 70, n° 2, été 1997, p. 248 La définition des territoires mentionnée a été modifiée le 22 octobre 1951, lors de l’accession de la Grèce et la Turquie à l’OTAN. 81 82 - 21 - Mondialisation et régionalisation Jean-Claude Vignoli assister en 1999 à l’intervention armée de l’OTAN, puis à la prise en charge administrative et politique de la région par l’ONU dans la région du Kosovo. Bien que cette action de l’OTAN fut entièrement illégale, conformément à l’article 53 de la Charte de l’ONU, elle ne provoquera que peu de réactions de la part des puissances opposées principalement à une action dans le cadre de l’ONU, à savoir la Chine et la Russie. Ces deux puissances ne participant pas à l’intervention, on ne pourrait leur reprocher de brader le concept de non-ingérence, auquel elles sont très attachées. Elles souhaitaient l’arrêt des exactions commises au Kosovo, mais cela ne pouvait passer par l’ONU, puisqu’elles auraient été associées à l’action entreprise. Raison pour laquelle l’ONU, comme si de rien n’était, s’installera après les frappes aériennes au Kosovo. Pour ces deux pays, la complémentarité OR et ONU est entière. Mais comme le commentera Jean-Marie Colombani, « on peut comprendre que l'OTAN ne veuille pas dépendre d'un éventuel veto russe ou chinois pour agir en situation d'urgence. Mais elle donne désormais l'impression de vouloir incarner sur la planète un "camp occidental" qui se situe hors normes, hors légalité internationale. C'est dommage et sans doute dangereux »83. Au risque de se répéter, la légitimité de tout recours à la force étatique est entre les mains de l’ONU, surtout depuis la fin de la Guerre Froide ; toute autre intervention, par le biais d’une OR84 ne peut être perçue légitime par le reste du monde. L’ONU n’a pas actuellement les moyens de ses ambitions. Un projet de réforme de l’institution est en cours, mais tant que les membres principaux n’auront pas la volonté politique de lui donner les capacités d’intervenir, elle ne pourra répondre au rôle qui lui a été assigné. Au début du deuxième semestre de l’année 2004, les dix principaux fournisseurs de contingents de personnel militaire et policier étaient le Pakistan, le Bangladesh, le Nigéria, le Ghana, l’Inde, l’Ethiopie, l’Afrique du Sud, l’Uruguay, la Jordanie et le Kenya. Sur le total, seul 10% des effectifs déployés dans les opérations de maintien de la paix étaient originaires de l’Union Européenne, et… 1% provenaient des Etats-Unis85. Il est nécessaire que les PI participent autant, sinon plus, que les PVD. Dans l’attente d’une telle évolution, les OR ont pleinement leur rôle à jouer en matière de sécurité. Les mutations que vit l’ONU sont nombreuses, ne serait-ce que dans l’approche du recours à la force des casques bleus ; les expériences des années 90 on amené à remettre en question l’impartialité des militaires onusiens, qui peuvent aujourd’hui recourir à l’intervention massive. Mais ce sont encore majoritairement, aujourd’hui, des partenariats entre l’ONU et les OR qui permettent les interventions. 4.3 Motivations cachées des OR Lorsque des pays s’unissent pour créer une OR, ou lorsque des entités politiques contribuent à leur réalisation, les aspirations profondes peuvent répondre à des mobiles bien différents que ceux déclarés. L’UE est un cas d’école lorsque l’on veut présenter ce thème : afin d’établir un rempart contre le glacis soviétique, les USA financèrent la construction européenne, via le Plan Marshall. Mais comme nous allons le voir, ce n’est pas la seule occasion où l’on a assisté à l’instrumentalisation d’une organisation régionale, puisque le MERCOSUR et la SAARC font l’objet de visées secrètes. Ces deux exemples ont été choisis afin d’illustrer des desseins provenant aussi bien de l’extérieur, que de l’intérieur de l’OR. L’accent est mis dans les prochaines lignes sur les OR elles-mêmes ; puisqu’il est difficile d’instrumentaliser une OI aujourd’hui, du fait du nombre de ses participants et des intérêts trop disparates de chacun d’entre eux, nous n’estimons pas les OI puissent subir le même degré de manipulation que rencontrent les OR. En conséquence de quoi, nous nous éloignerons quelque peu de notre problématique relationnelle OR-OI ; mais il nous semble opportun dans notre présentation, après avoir montré quels avantages ont les OR sur les OI dans le domaine de la sécurité, de montrer où est-ce les OI pourraient éventuellement jouer de tout leur poids et se révéler efficace. 83 Colombani, Jean-Marie, « La nouvelle OTAN », Le Monde, 27 avril 1999 Nous n’abordons pas le cas des alliances créées ad hoc, sortant du cadre de notre travail. 85 Nations Unies : le maintien de la paix, Département de l’information des Nations Unies, juillet 2004, p. 9 84 - 22 - Mondialisation et régionalisation 4.3.1 Jean-Claude Vignoli Aides et big stick au MERCOSUR Le 27 juin 1990, George Bush senior faisait un discours appelé enterprise initiative for the Americas, où il développait l’idée de créer une ZLE allant de l’Alaska à la Terre de feu, étendant la NAFTA au sud. Le Traité d’Asunción du 26 mars 1991, neuf mois plus tard, voit s’associer l’Argentine, le Brésil, le Paraguay, l’Uruguay dans ce qu’on appelle le MERCOSUR. Deux projets qui répondent à des aspirations et des attentes différentes, mais dont les motifs avoués ne laissent rien transparaître d’autre que l’ambition d’un développement économique, bénéfique pour les populations ; il est dès lors étonnant que, dans un intervalle aussi bref, deux projets aux objectifs identiques soient sortis du chapeau des politiques. Du côté du MERCOSUR, cet accord se positionne en réalité comme un contrepoids à l’idée de FTAA de George Bush. On veut garder une certaine indépendance, garder certaines valeurs qu’on n’estime pas partager avec les voisins du nord, mais aussi protéger son économie. Le Brésil, par exemple, dont les industries seraient fortement éprouvées par la FTAA, préfère de loin une association avec des pays moins concurrentiels86. C’est pourquoi les USA voient d’un mauvais oeil cet obstacle à leur expansion économique, mais également politique, se former. Plus encore, alors que le commerce avec l’Amérique du Sud a déjà commencé à se faire au détriment de l’UE dès les années 8087, l’UE signe un accord-cadre en 1995 avec le MERCOSUR. De l’autre côté de l’Atlantique, on grince des dents88. Chacune des deux entités va entrer alors en concurrence, les Européens promouvant le MERCOSUR pour et les Etasuniens poussant la FTAA. Le MERCOSUR, par le biais du partenariat européo-sud-américain, est ainsi totalement instrumentalisé, allait bien plus loin que les déclarations d’amitié et de coopération économique le laissent entendre. Chris Patten89, par exemple, déclarera que promouvoir l’« integration within Latin America has been one of the major pillars of recent European policy towards the region. We have provided political backing and technical expertise to Central America, the Andean Community and Mercosur. And we will continue to do so. We want to share with them our experience so they can learn from our successes, and mistakes »90. Très bel acte de foi, semble-t-il… Car du côté des USA, la FTAA ressemble à un moyen d’étendre son influence et d’exporter ses valeurs dans tout le continent. Et Pascal Lamy de dire : « En misant sur le MERCOSUR, le Brésil, l'Argentine, l'Uruguay et le Paraguay ont ouvert des perspectives nouvelles pour la croissance et la diversification des économies du Cône Sud. Quoi de plus nécessaire et de plus légitime pour vos pays que la diversification et l'expansion de l'industrie et des services à haute valeur ajoutée qui lui sont associés ! », puis d’ajouter : « Comment ne pas contraster ce type d'intégration régionale entre voisins et "pairs en développement", avec une intégration continentale sous l'égide des Etats-Unis ? »91. Bien qu’il le démente par la suite, l’attaque est néanmoins claire, Lamy souligne le risque pour le MERCOSUR de tomber sous domination étasunienne. Le MERCOSUR est un appui stratégique pour l’Europe, pour développer son marché sur le continent du sud, alors que les USA veulent s’étendre au moyen de la FTAA. Pour l’UE, le MERCOSUR répond à des intérêts économiques, certes, mais il s’en sert également pour faire barrage politique à son concurrent étasunien. Ce qui concorde assez bien avec le souci d’indépendance économique et politique de certains pays sud-américains. 4.3.2 Résurgence coloniale à la SAARC En guise de Plan Marshall et d’endiguement de la menace rouge, les Etats-Unis vont, en échange d’une aide économique, exiger que la région sud-asiatique collabore pour s’auto-gérer, s’auto- 86 Le président brésilien Luis Ignacio « Lula » da Silva a notamment déclaré que « L’Amérique du Sud est ma maison », démontrant par là le rôle que le Brésil entend jouer en Amérique du Sud. Cité in Gudynas, Eduardo, « El MERCOSUR ante el ALCA: Nuevas tensiones y nuevas opciones », Observatorio Hemisférico, 29 octobre 2003 87 Hurrell, Andrew, op. cit., p. 127 88 Seitenfus, Ricardo, « Washington manoeuvre contre le Mercosur », Le Monde Diplomatique, février 1998 89 Ancien commissaire en charge des affaires extérieures de l’UE, de septembre 1999 au 21 novembre 2004. 90 Patten, Chris, Latin America - the European Dimension, Conférence au Royal Institute of International Affairs, Miami, 2 octobre 2002 91 Lamy, Pascal, Régionalisme et Multilatéralisme en Amérique latine, FIESP (Federation of Industries of the State of São Paulo), Sao Paulo, 10 juillet 2001 - 23 - Mondialisation et régionalisation Jean-Claude Vignoli développer, bref, devenir autonome. Mais l’Accord de Manille de septembre 1954, qui donna naissance à l’OTASE92, démontre les vraies ambitions de la superpuissance. Toutefois, la volonté de puissance n’a jamais été l’apanage de l’Occident. New Delhi, à travers Nehru et le Club des Pays Non-Alignés, ambitionnait de se poser sur l’échiquier international comme un acteur incontournable. La fin de la Guerre Froide va entériner la prépondérance de l’Inde sur le sous-continent asiatique. Appelée big bully93 par ses voisins régionaux94, on a pu récemment voir avec quelle arrogance le géant a refusé l’aide internationale pour ses côtes frappées par les tsunamis de décembre 2004 : pour un pays qui possède un PIB d’à peine 25% supérieur à celui des Pays-Bas, pour une population près de 65 fois plus élevée95, les habitants risquent de payer au prix fort les coûts d’une politique de prestige. D’autant plus qu’elle a même offert au nom de la solidarité régionale son aide aux autres pays touchés96. La SAARC représente pour l’Inde un vecteur de domination sur le sous-continent, du moins les autres membres de l’OR s’en font cette représentation97. Et il est vrai qu’au vu de la taille du pays et de sa population, New Delhi est de facto la puissance majeure de l’OR, capable de peser de tout son poids sur les décisions. La SAARC est bien un moyen de réaffirmer les intérêts régionaux, et de légitimer son leadership sur les autres partenaires98, à la fois économiquement – New Delhi a des avantages comparatifs dans presque tous les domaines – et à la fois politiquement. L’Inde a en effet des conflits frontaliers avec la moitié des de ses associés : le différend avec Bangladesh porte sur le Gange, celui avec le Pakistan sur le Cachemire, et avec le Népal il s’agit du bassin du fleuve Makhali. S’associer avec ces pays par le biais d’une OR, permet de les éloigner du giron des USA – on a vu cette angoisse prendre corps avec une vigueur nouvelle depuis les attaques du 11 septembre – mais également de… la Chine. La Chine est le concurrent le plus sérieux de l’Inde. Les deux pays sont devenus indépendants avec deux ans d’écart, et leurs prétentions respectives sur la région les ont très rapidement mené au conflit, dès 1962. Pourtant, devant le peu de progrès d’intégration régionale de la SAARC, Beijing a toujours reçu positivement les petits pas menés par celle-ci. Il semble probable que, bien que les objectifs de départ soient un renforcement de la position indienne sur le sous-continent, la SAARC amène à une pacification des relations sino-indiennes. Ainsi donc, la SAARC semble un instrument pour New Delhi, à la fois à l’intérieur de l’organisation régionales, mais aussi vis-à-vis des autres puissances extérieures. Ce genre de constat ne devrait pas nous étonner, puisque comme nous l’avons vu à de nombreuses reprises, les motivations originelles des OR comportent intrinsèquement cet objectif. 92 Organisation qui était le pendant asiatique de l’OTAN, mais dépourvue de moyens. Haas, Ernst B., « Regionalism, Functionalism, and Universal International Organization », World Politics, vol. 8, n° 2, janvier 1956, p. 254 93 Signifiant à la fois « grand frère » et « grand despote ». 94 Shahin, Sultan, « From superpower to pragmatist », Asia Times, Hong Kong, 3 septembre 2004 95 Chiffres 2001. Banque mondiale, World development indicator, 2003 96 Dath, Isabelle, « L'Inde refuse l'aide internationale », Un Monde en question, RTL info, 5 janvier 2005 97 « Preventable Disaster », The Times, London, 6 septembre 1988 98 Bratersky, M., Lunyov, S. I., « India at the End of the Century: Transformation into an Asian Regional Power», Asian Survey, vol. 30, n° 10, octobre 1990, p. 929 - 24 - Mondialisation et régionalisation Jean-Claude Vignoli 5 Conclusion Le regard que nous avons porté sur les OR est biaisé : lorsque l’on analyse les réussites et échecs de celles-ci, une grande partie des réussites sont le fait de l’UE. De par son institutionnalisation très avancée, elle peut donner l’impression que partout on retrouve des succès identiques, ce qui est loin d’être le cas. « Depuis deux ou trois décennies, l'Europe est […] un laboratoire de globalisation maîtrisée »99. On ne peut pas en dire autant des autres OR. Par exemple, les réussites économiques des OR en Asie sont peu probantes, et même sur le plan politique. Trop de différends irrésolus, de sujets à controverse expliquent peut-être l’échec de ces expériences100. Et pourtant, ce fut la même optique adoptée que pour l’UE, l’approche fonctionnaliste, qui mena à sa création ! Les OR ne sont pas universelles, chacune d’entre elle a ses propres réponses à apporter aux intérêts régionaux. Une OR doit être donc plus qu’une simple agréation d’économies diverses, de pays proches, ou d’intérêts communs. Il est nécessaire qu’elle soit capable de donner le sentiment que les individus partagent des valeurs communes, qu’ils ont quelque chose à gagner en montant dans le train régional. Nous avons soulignées l’importance des valeurs qui unissent certaines OR, qui déterminent leur succès, et ce n’est pas un hasard si les plus réussies sont aussi celles qui ont le plus d’échanges inter et intra culturels. Ensuite se pose la question de savoir si la finalité des ZLE est d’enfanter des régions plus intégrées, comme à l’image de l’UE. Certains pays européens étaient déjà issus eux-mêmes d’unions douanières. Dans une optique de path dependecy, il peut sembler qu’une fois la voie empruntée, les mécanismes d’auto-renforcement pousseront quoi qu’il advienne dans la direction de l’intégration régionale « à l’européenne ». Il est difficile de soutenir une telle thèse, tant les déclarations des fondateurs de ZLE n’ont que peu de points communs avec les discours de Schuman ou de Monnet, qui mettaient en avant la nécessité de créer une Europe fédérale. Les OR vont-elles permettre aux régions de parler sur un pied d’égalité, de pacifier les contentieux historiques et de promouvoir la croissance économique des PVD ? Les OI participeront-elles à l’émergence d’un Etat-nation mondial ? Pour naïves que puissent sembler ces prospectives, il est courant de lire de tels espoirs sous la plume d’experts. Il faut noter un fait, loin d’être anodin : les termes de régionalisme et mondialisme renvoient à une organisation supranationale dans les deux cas… La régionalisation s’opère en parallèle à la mondialisation. Les deux processus sont complémentaires, et tendent à se renforcer l’un l’autre. Ils s’inspirent mutuellement, apprennent ensemble. Mais l’un comme l’autre, ils peuvent s’effondrer, l’histoire nous l’a déjà démontré. L’échec de la SDN, au même titre que les nombreux échecs des OR asiatiques, sont là pour nous rappeler qu’il n’y a pas de déterminisme en la matière. Comme nous avons pu le voir, la légitimité collective est entre les mains des OI ; la légitimité individuelle, elle, plutôt du ressort des OR, ce qui leur assure une plus grande effectivité. Les deux types d’organismes n’ont pas les mêmes objectifs, ils ont donc totalement leur rôle à jouer. Bien souvent, ce que fait l’un, l’autre ne peut le faire, donc on ne peut que souhaiter que la fructueuse collaboration entre les deux se pérennise. Toutefois, il ne faut pas perdre de vue que le risque du régionalisme est le chacun pour soi, et de participer à une polarisation du monde, et que celui du mondialisme de ne produire que des vœux pieux, des textes qui ne seront jamais appliqués. Dans l’arène des relations internationales, on ne sait jamais de quoi sera fait le lendemain. 99 Lamy, Pascal, op. cit. Grimaud, Jérôme, op. cit., p. 240 100 - 25 - ¾ Glossaire A. Organisations régionales et internationales ACP Groupe de pays de l’Afrique sub-saharienne, des Caraïbes et du Pacifique (Cette appellation est fille des Accords de Cotonou) AFTA Zone de libre-échange des membres de l’ASEAN ASEAN Association des pays de l’Asie du sud-est (Birmanie, Brunei, Indonésie, Laos, Malaisie, Philippines, Singapour, Thaïlande, Vietnam) APEC Coopération Economique pour l’Asie et le Pacifique (Australie, Brunei, Canada, Chili, Chine, Indonésie, Japon, République de Corée, Malaisie; Mexique, Nouvelle Zélande, Papouasie Nouvelle-Guinée, Pérou, République des Philippines, Russie, Singapour, Taiwan, Thaïlande, USA, Vietnam) CECA Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier (n’existe plus) CED Communauté Européenne de Défense (n’existe plus) CSCE Conférence pour la Sécurité et la Coopération en Europe (n’existe plus) FTAA Zone de libre-échange des Amériques (projet) (Antigua-et-Barbuda, Argentine, Bahamas, Barbade, Belize, Bolivie, Brésil, Canada, Chili, Colombie, Costa Rica, Dominique, El Salvador, Équateur, Etats-Unis, d'Amérique, Grenade, Guatemala, Guyana, Haïti, Honduras, Jamaïque, Mexique, Nicaragua, Panama, Paraguay, Pérou, République dominicaine, Sainte-Lucie, SaintKitts-et-Nevis, Saint-Vincent-et-les-Grenadines, Suriname, Trinité-et-Tobago, Uruguay, Venezuela) GCC Conseil de Coopération du Golfe (Arabie Saoudite, Bahreïn, Emirats Arabes Unis, Koweït, Oman, Qatar) MERCOSUR Zone de libre-échange des pays d’Amérique du Sud (Argentine, Brésil, Paraguay, Uruguay et depuis le 17/12/2004 Colombie, Equateur et Venezuela) NAFTA Zone de libre-échange pour l’Amérique du Nord (Canada, Mexique, USA) OAS Organisation des Etats Américains (Antigua et Barbuda, Argentine, Bahamas, Barbade, Belize, Bolivie, Brésil, Canada, Chili, Colombie, Costa Rica, Cuba (exclue depuis 1962), Dominique, République Dominicaine, Equateur, Le Salvador, Grenade, Guatemala, Guyane, Haïti, Honduras, Jamaïque, Mexique, Nicaragua, Panama, Paraguay, Pérou, Saint Kitts et Nevis, Saint Lucie, Saint Vincent et les Grenades, Suriname, Trinidad et Tobago, USA, Uruguay, Venezuela) OMS Organisation Mondiale de la Santé ONU Organisation des Nations Unies OPEP Organisation des pays producteurs de pétrole (Arabie saoudite, Irak, Iran, Koweït, Venezuela, Qatar, Indonésie, Libye, Emirats arabes unis, Algérie et Nigeria) -i- OSCE Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (Albanie, Allemagne, Andorre, Arménie, Autriche, Azerbaïdjan, Belarus, Belgique, Bosnie-Herzégovine, Bulgarie, Canada, Croatie, Chypre, République Tchèque, Danemark, Espagne, Estonie, Finlande, France, Georgie, Grèce, Hongrie, Islande, Irlande, Italie, Kazakhstan, Kirghizstan, Lettonie, Liechtenstein, Lituanie, Luxembourg, Macédoine, Malte, Moldavie, Monaco, Norvège, Ouzbékistan, Pays-Bas, Pologne, Portugal, Roumanie, Royaume-Uni, Russie, Saint Marin, Serbie et Monténégro, République Slovaque, Slovénie, Suède, Suisse, Tadjikistan, Turkménistan, Turquie, Ukraine, USA, Vatican) OTAN Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (Allemagne, Belgique, Bulgarie, Canada, Danemark, Espagne, Estonie, France, Grèce, Hongrie, Islande, Italie, Lettonie, Lituanie, Luxembourg, Norvège, Pays-Bas, Pologne, Portugal, Roumanie, Slovaquie, Slovénie, République Tchèque, Turquie, Royaume-Uni, USA) OTASE Organisation du traité de l'Asie du Sud-Est (n’existe plus) UA Union Africaine (Angola, Bénin, Botswana, Burkina Faso, Burundi, Cameroun, Cap-Vert, République Centrafricaine, Comores, Congo, République Démocratique du Congo, Côte d´Ivoire, Djibouti, Egypte, Erythrée, Ethiopie, Gabon, Gambie, Ghana, Guinée Bissau, Guinée Conakry, Guinée Equatoriale, Kenya, Lesotho (Royaume du), Libéria, Libye, Madagascar, Malawi, Mali, Maurice, Mauritanie, Mozambique, Namibie, Niger, Nigéria, Ouganda, Rwanda, République Arabe Sahraouie Démocratique, São Tomé & Príncipe, Sénégal, Seychelles, Sierra Leone, Somalie, Soudan, Swaziland (Royaume du), Tanzanie, Tchad, Togo, Tunisie, Zambie, Zimbabwe) UE Union Européenne SAARC Association d’Asie du Sud pour la coopération régionale (Bangladesh, Bhoutan, Inde, Maldives, Népal, Pakistan, Sri Lanka) SAFTA Zone de libre-échange pour l’Asie du Sud (doit entrer en vigueur le 1er janvier 2006) UNESCO Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture B. Divers PI Pays Industrialisés PVD Pays en Voie de Développement ZLE Zone de Libre-Échange - ii - ¾ Sources i : Discours et conférences APEC : APEC Economic Leaders’ Declaration of common resolve, Indonésie, 15 novembre 1994 <http://www.apec.org/apec/leaders__declarations/1994.html> UE : Lamy, Pascal, Régionalisme et Multilatéralisme en Amérique latine, FIESP (Federation of Industries of the State of São Paulo), Sao Paulo, 10 juillet 2001 <http://europa.eu.int/comm/archives/commission_1999_2004/lamy/speeches_articles/spla36_fr.htm> Lamy, Pascal, Articuler intégration européenne et gouvernance globale, Entretiens Europartenaires, Paris, 13 mars 2002 <http://europa.eu.int/comm/archives/commission_1999_2004/lamy/speeches_articles/spla103_fr.htm> Lamy, Pascal, Entretien de M. 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Ouvrages et articles non publiés i : Travaux de l’IUHEI Kuffer, Ariane, Le droit international influence-t-il la mondialisation ?, travail de séminaire de l’IUHEI, décembre 2004 Labastida, Maria Elena, Governance and Institutional design, mémoire de l’IUHEI, octobre 2002 B. Monographies et ouvrages collectifs Carreau, Dominique, et Juillard, Patrick, Droit international économique, Dalloz, Paris, 2003 Choquet, Catherine (dir.), L’intégration régionale dans le monde, Karthala, Paris, 1994 Grimaud, Jérôme, Le régionalisme en Asie du Sud : l’expérience de la SAARC (1985-1997), L’Harmattan, Paris, 1998 Laïdi, Zaki (dir.), Géopolitique du sens, Desclée de Brouwer, Paris, 1998 Mathis, James H., Regional Trade Agreements in the GATT/WTO, TMC Asser press, La Hague, 2002 Oman, Charles, Globalisation et régionalisation : Quels enjeux pour les pays en développement, Etudes du centre de développement, OCDE, Paris, 1994 C. 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Les dispositions du présent Accord s'appliqueront au territoire douanier métropolitain des parties contractantes ainsi qu'à tout autre territoire douanier à l'égard duquel le présent Accord a été accepté aux termes de l'article XXVI ou est appliqué en vertu de l'article XXXIII ou conformément au Protocole d'application provisoire. Chacun de ces territoires douaniers sera considéré comme s'il était partie contractante, exclusivement aux fins de l'application territoriale du présent Accord, sous réserve que les stipulations du présent paragraphe ne seront pas interprétées comme créant des droits ou obligations entre deux ou plusieurs territoires douaniers à l'égard desquels le présent Accord a été accepté aux termes de l'article XXVI ou est appliqué en vertu de l'article XXXIII ou conformément au Protocole d'application provisoire par une seule partie contractante. 2. Aux fins d'application du présent Accord, on entend par territoire douanier tout territoire pour lequel un tarif douanier distinct ou d'autres réglementations commerciales distinctes sont appliqués pour une part substantielle de son commerce avec les autres territoires. 3. Les dispositions du présent Accord ne devront pas être interprétées comme faisant obstacle a) aux avantages accordés par une partie contractante à des pays limitrophes pour faciliter le trafic frontalier; b) ou aux avantages accordés au commerce avec le Territoire libre de Trieste par des pays limitrophes de ce territoire, à la condition que ces avantages ne soient pas incompatibles avec les dispositions des traités de paix résultant de la seconde guerre mondiale. 4. Les parties contractantes reconnaissent qu'il est souhaitable d'augmenter la liberté du commerce en développant, par le moyen d'accords librement conclus, une intégration plus étroite des économies des pays participant à de tels accords. Elles reconnaissent également que l'établissement d'une union douanière ou d'une zone de libre-échange doit avoir pour objet de faciliter le commerce entre les territoires constitutifs et non d'opposer des obstacles au commerce d'autres parties contractantes avec ces territoires. 5. En conséquence, les dispositions du présent Accord ne feront pas obstacle, entre les territoires des parties contractantes, à l'établissement d'une union douanière ou d'une zone de libreéchange ou à l'adoption d'un accord provisoire nécessaire pour l'établissement d'une union douanière ou d'une zone de libre-échange, sous réserve a) que, dans le cas d'une union douanière ou d'un accord provisoire conclu en vue de l'établissement d'une union douanière, les droits de douane appliqués lors de l'établissement de cette union ou de la conclusion de cet accord provisoire ne seront pas, dans leur ensemble, en ce qui concerne le commerce avec les parties contractantes qui ne sont pas parties à de tels unions ou accords, d'une incidence générale plus élevée, ni les autres réglementations commerciales plus rigoureuses que ne l'étaient les droits et les réglementations commerciales en vigueur dans les territoires constitutifs de cette union avant l'établissement de l'union ou la conclusion de l'accord, selon le cas; b) que, dans le cas d'une zone de libre-échange ou d'un accord provisoire conclu en vue de l'établissement d'une zone de libre-échange, les droits de douane maintenus dans chaque territoire constitutif et applicables au commerce des parties contractantes qui ne font pas partie d'un tel territoire ou qui ne participent pas à un tel accord, lors de l'établissement de la zone ou de la conclusion de l'accord provisoire, ne seront pas plus élevés, ni les autres réglementations commerciales plus rigoureuses que ne l'étaient les droits et réglementations correspondants en vigueur dans les mêmes territoires avant l'établissement de la zone ou la conclusion de l'accord provisoire, selon le cas; c) et que tout accord provisoire visé aux alinéas a) et b) comprenne un plan et un programme pour l'établissement, dans un délai raisonnable, de l'union douanière ou de la zone de libre-échange. 6. Si, en remplissant les conditions énoncées à l'alinéa a) du paragraphe 5, une partie contractante se propose de relever un droit d'une manière incompatible avec les dispositions de - viii - l'article II, la procédure prévue à l'article XXVIII sera applicable. Dans la détermination des compensations, il sera dûment tenu compte de la compensation qui résulterait déjà des réductions apportées au droit correspondant des autres territoires constitutifs de l'union. 7. a) Toute partie contractante qui décide d'entrer dans une union douanière ou de faire partie d'une zone de libre-échange ou de participer à un accord provisoire conclu en vue de l'établissement d'une telle union ou d'une telle zone avisera sans retard les PARTIES CONTRACTANTES et leur fournira, en ce qui concerne cette union ou cette zone, tous les renseignements qui leur permettront d'adresser aux parties contractantes les rapports et les recommandations qu'elles jugeront appropriés. b) Si, après avoir étudié le plan et le programme compris dans un accord provisoire visé au paragraphe 5, en consultation avec les parties à cet accord et après avoir dûment tenu compte des renseignements fournis conformément à l'alinéa a), les PARTIES CONTRACTANTES arrivent à la conclusion que l'accord n'est pas de nature à conduire à l'établissement d'une union douanière ou d'une zone de libre-échange dans les délais envisagés par les parties à l'accord ou que ces délais ne sont pas raisonnables, elles adresseront des recommandations aux parties à l'accord. Les parties ne maintiendront pas l'accord ou ne le mettront pas en vigueur, selon le cas, si elles ne sont pas disposées à le modifier conformément à ces recommandations. c) Toute modification substantielle du plan ou du programme visés à l'alinéa c) du paragraphe 5 devra être communiquée aux PARTIES CONTRACTANTES qui pourront demander aux parties contractantes en cause d'entrer en consultations avec elles, si la modification semble devoir compromettre ou retarder indûment l'établissement de l'union douanière ou de la zone de libreéchange. 8. Aux fins d'application du présent Accord, a) on entend par union douanière la substitution d'un seul territoire douanier à deux ou plusieurs territoires douaniers, lorsque cette substitution a pour conséquence i) que les droits de douane et les autres réglementations commerciales restrictives (à l'exception, dans la mesure où cela serait nécessaire, des restrictions autorisées aux termes des articles XI, XII, XIII, XIV, XV et XX) sont éliminés pour l'essentiel des échanges commerciaux entre les territoires constitutifs de l'union, ou tout au moins pour l'essentiel des échanges commerciaux portant sur les produits originaires de ces territoires; ii) et que, sous réserve des dispositions du paragraphe 9, les droits de douane et les autres réglementations appliqués par chacun des membres de l'union au commerce avec les territoires qui ne sont pas compris dans celle-ci sont identiques en substance; b) on entend par zone de libre-échange un groupe de deux ou plusieurs territoires douaniers entre lesquels les droits de douane et les autres réglementations commerciales restrictives (à l'exception, dans la mesure où cela serait nécessaire, des restrictions autorisées aux termes des articles XI, XII, XIII, XIV, XV et XX) sont éliminés pour l'essentiel des échanges commerciaux portant sur les produits originaires des territoires constitutifs de la zone de libre-échange. 9. Les préférences visées au paragraphe 2 de l'article premier ne seront pas affectées par l'établissement d'une union douanière ou d'une zone de libre-échange; elles pourront toutefois être éliminées ou aménagées par voie de négociation avec les parties contractantes intéressées.* Cette procédure de négociation avec les parties contractantes intéressées s'appliquera notamment à l'élimination des préférences qui serait nécessaire pour que les dispositions des alinéas a) i) et b) du paragraphe 8 soient observées. 10. Les PARTIES CONTRACTANTES pourront, par une décision prise à la majorité des deux tiers, approuver des propositions qui ne seraient pas entièrement conformes aux dispositions des paragraphes 5 à 9 inclus à la condition qu'elles conduisent à l'établissement d'une union douanière ou d'une zone de libre-échange au sens du présent article. 11. Tenant compte des circonstances exceptionnelles qui résultent de la constitution de l'Inde et du Pakistan en Etats indépendants et reconnaissant que ces deux Etats ont formé pendant longtemps une unité économique, les parties contractantes sont convenues que les dispositions du présent Accord n'empêcheront pas ces deux pays de conclure des accords spéciaux concernant leur commerce mutuel, en attendant que leurs relations commerciales réciproques soient établies définitivement.* - ix - 12. Chaque partie contractante prendra toutes mesures raisonnables en son pouvoir pour que, sur son territoire, les gouvernements et administrations régionaux et locaux observent les dispositions du présent Accord. 2. Le Chapitre VIII de la Charte de l’ONU : Les accords régionaux Article 52 (1) Aucune disposition de la présente Charte ne s'oppose à l'existence d'accords ou d'organismes régionaux destinés à régler les affaires qui, touchant au maintien de la paix et de la sécurité internationales, se prêtent à une action de caractère régional, pourvu que ces accords ou ces organismes et leur activité soient compatibles avec les buts et les principes des Nations Unies. (2) Les Membres des Nations Unies qui concluent ces accords ou constituent ces organismes doivent faire tous leurs efforts pour régler d'une manière pacifique, par le moyen desdits accords ou organismes, les différends d'ordre local, avant de les soumettre au Conseil de sécurité. (3) Le Conseil de sécurité encourage le développement du règlement pacifique des différends d'ordre local par le moyen de ces accords ou de ces organismes régionaux, soit sur l'initiative des États intéressés, soit sur renvoi du Conseil de sécurité. (4) Le présent Article n'affecte en rien l'application des Articles 34 et 35. Article 53 (1) Le Conseil de sécurité utilise, s'il y a lieu, les accords ou organismes régionaux pour l'application des mesures coercitives prises sous son autorité. Toutefois, aucune action coercitive ne sera entreprise en vertu d'accords régionaux ou par des organismes régionaux sans l'autorisation du Conseil de sécurité; sont exceptées les mesures contre tout État ennemi au sens de la définition donnée au paragraphe 2 du présent Article, prévues en application de l'Article 107 ou dans les accords régionaux dirigés contre la reprise, par un tel État, d'une politique d'agression, jusqu'au moment où l'Organisation pourra, à la demande des gouvernements intéressés, être chargée de la tâche de prévenir toute nouvelle agression de la part d'un tel État. (2) Le terme "État ennemi", employé au paragraphe 1 du présent Article, s'applique à tout État qui, au cours de la seconde guerre mondiale, a été l'ennemi de l'un quelconque des signataires de la présente Charte. Article 54 Le Conseil de sécurité doit, en tout temps, être tenu pleinement au courant de toute action entreprise ou envisagée, en vertu d'accords régionaux ou par des organismes régionaux, pour le maintien de la paix et de la sécurité internationales. -x-