Latinistes - Etymologie

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Latinistes - Etymologie
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GYMNASE DU BUGNON (M. P./ août 2003)
CULTURE ANTIQUE ET FRANÇAIS
NOTIONS DE GRAMMAIRE HISTORIQUE ET COMPAREE
(texte de base tiré de : M. Demat, J. Laloup, A la découverte du monde gréco-romain, Dessain,Liège/Paris, 1961)
Certaines similitudes frappantes entre des langues très diverses ont induit à penser qu’elles étaient
parentes entre elles : la grammaire historique étudie l’histoire des langues, la grammaire comparée
examine leur parenté. Quand on voit que, pour exprimer la notion de rouge, par exemple, le grec dit
ε−ρυθ−ρος, le latin ruber, l’italien rosso le lithuanien raudas, le vieux gothique rauths, l’allemand rot,
l’anglais red, le néerlandais rood ..., on ne peut s’empêcher de croire que ces langues sont apparentées :
mais comment le sont-elles et de quelle langue dérivent-elles ? Telles sont les questions que se posèrent le
grands linguistes de notre temps.
Nous donnerons successivement quelques aperçus sur les langues indo-européennes, puis, à partir du
latin, sur les langues qui en ont dérivé : les langues romanes ; enfin,, à partir d’elles, sur le français et ses
origines.
A.- LES LANGUES INDO-EUROPEENNES
On classe généralement les langues de la manière suivante :
Les langues isolantes se composent de monosyllabes, renfermant une idée complète et fixe, juxtaposés les uns aux
autres sans fusion : ainsi le chinois, le japonais, le siamois. Exemple : la phrase Ma sœur aînée se tient à l’intérieur
de la maison se dira en chinois Wo tse tse tai fang nei tch’e, c’est-à-dire, mot à mot, Moi sœur sœur être dans
maison intérieur.
Dans les langues agglutinantes, les divers radicaux se juxtaposent les uns aux autres en fusionnant. de ce type, le
turc, le mongol, l’esquimau, le malais, le bantou. Ainsi, en turc ev = maison, evden= hors de la maison, evlerden =
hors des maisons.
Les langues flexionnelles joignent à des radicaux des éléments dénués de sens isolément, de telle sorte que
l’ensemble ait une signification précise (cf. l’allemand Der Tisch, dem Tisch, die Tische).
De ce type sont les langues indo-européennes, les langues sémitiques (hébreu, phénicien, syriaque, arabe) et les
langues chamitiques (égyptien ancien, copte).
Les langues indo-européennes se répartissent en deux faisceaux subdivisés à leur tour en groupes :
Faisceau oriental
Groupe indo-iranien
Faisceau occidental
Indien antique :védique, sanscrit
Groupe celtique
Indien moyen : pâli, pratik
Indien moderne : hindi
Iranien antique : vieux perse, Groupe germanique
avestique
oriental
Iranien moyen : pehlvi
nordique
Iranien moderne : persan
occidental
Groupe arménien
Groupe albanais
Groupe balto-slave
Groupe hellénique
Vieux prussien
Letto-lithuanien
Russe, polonais, tchèque, bulgare
Groupe italique
Vieux gaulois
Brittonique (gallois, breton..)
Gaélique (Irlandais, écossais...)
Vieux gothique
Danois, suédois, norvégien
Haut-allemand: bavarois,
franconien
Bas-allemand: rhénan,
westphalien, néerlandais, flamand
Frison et Anglo-saxon : anglais
Attico-ionien, achéen, dorien
grec
hellénistique
(κοινη),
byzantin, grec moderne
Osco-ombrien
Latin : archaïque, classique,
bas latin, d’où les langues
romanes (français, italien, espagnol,
portugais,
roumain,
provençal, catalan, rhéto-roman
ou romanche ...)
Voici une série de cartes décrivant l’origine géographique et la lente progression des ces langues :
(adresse Internet : http://www.e-cours-online.com/cours-online/cohl/Pix/cohl1-07.gif)
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Axes de diffusion
Résultat final
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Etapes de la progression
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Afin de retrouver la filiation exacte des langues indo-européennes, la science linguistique a essayé de
reconstituer la langue primitive : elle a ainsi édifié une langue, purement théorique et scientifique, appelée
l’indo-européen.
L’élément primordial de cette langue est la base, qui est censée être la forme primitive des racines
trouvées dans les langues réelles.
Voici quelques exemples de bases indo-européennes. Elles ont été reconstituées à partir des racines grecques,
latines ou germaniques qu’on peut déceler dans les mots grecs, latins, allemands ou anglais introduits en petits
caractères (et fruit parfois d’hypothèses de la part de l’auteur de ce document ...) :
base
edeyeugebhereteneage-
base
oqwedôjoindre,joug (το ζευγ ; jungere ; Joch, yoke)
porter (gr : φερω ; lat: ferre ; bringen ; to stâ- (cf. *)
voir (to look ; ?suisse all. : luege ?)
donner (lat. : dare ; donare)
faire monter, dresser, conduire
tendre (lat : tener ; angl : tender)
conduire, pousser (lat. : agere)
dompter (lat.:domare; zähmen ; to tame )
engendrer (gr : h γενεσις ; lat. : gignere)
notion générale + exemples
manger (lat. : edere ; essen ; to eat)
bring)
demâgenê-
notion générale + exemples
Les exemples montrent que les bases indo-européennes ont subi des variations qui ont donné lieu, dans chaque
langue, à des racines apparemment différentes. Les linguistes prétendent que ce phénomène est dû à l’alternance
vocalique, c’est-à-dire à la façon dont chaque peuple prononçait la voyelle au sein de la base indo-européenne,
depuis sa forme la plus accentuée (ou normale) jusqu’à sa forme la moins accentuée (ou faible).
Dans le tableau ci-dessus, prenons la base stâ*. Voici les racines et mots qu’elle a pu engendrer, selon les
linguistes, suivant la forme sous laquelle chaque peuple a pu la prononcer :
forme normale : stâtisthami (sanscrit) je dresse
je dresse
ιστηµι
être debout
staan (néerl.)
être debout
stare (lat.)
être debout
stehen (all.)
forme défléchie (ou moyenne) : stôpoutre
στωµιξ
portique
στοα
stouwen (néerl.) arrimer, fixer
conduire, diriger
sturen (néerl.)
forme faible ou réduite : sta-, stopoteau
σταυρος
instaurare (lat.) créer, édifier
station, arrêt
στασις
ville
stad (néerl.)
étable
stal (néerl.)
étable
stabulum (lat.)
B.- LES LANGUES ROMANES
Pendant que le grec classique évoluait vers la forme alexandrine ou hellénistique, appelée κοινη (koïné),
pour devenir le grec byzantin qui a donné naissance au grec moderne, le latin évolua selon deux modes
différents.
Sous sa forme classique, il fut cultivé notamment par le fameux Cicéron (Ier siècle avant J.-C.). Les
auteurs qui le suivirent firent encore évoluer le latin sous sa forme écrite et littéraire.
Mais dans le parler courant, le latin finit par devenir ce qu’on appelle le bas latin ou latin vulgaire (de
vulgus, le peuple, donc latin populaire). N’avait-il pas été colporté dans tout l’Empire par des soldats peu
cultivés ou des marchands souvent étrangers (Grecs, Levatins, Africains) dont il était la deuxième langue?
De plus il dut être assimilé par les peuples soumis par Rome: Gaulois (parmi eux : les Helvètes), Germains,
Ibères, Slaves, sans compter les Africains et les Asiatiques. Les peuples germaniques qui luttèrent contre
l’Empire sans être soumis (les Francs, par exemple) le pratiquèrent par la force des choses.
Aussi ce latin « commun » fut une corruption et une simplification de la langue cultivée. Fait
remarquable : chaque peuple finit par prononcer ce latin commun avec des inflexions très
différentes. Cela était dû notamment à l’influence des sonorités propres à sa langue d’origine, désormais
devenue ce que l’on appelle un substrat du latin (dans le domaine francophone, c’est ce phénomène de
substrat qui explique, par exemple, la nasalisation du « n » ou la prononciation du « u », héritées du celtique et pas
du tout du latin : cf. p.5).
Ces différences de prononciation produisirent d’abord le fourmillement des dialectes et patois romans qui
foisonnent encore depuis la Belgique jusqu’à la Sicile (wallon, picard, normand, bourguignon, vaudois, corse,
sarde, andalou, calabrais...). Une fois qu’un dialecte eut pris le dessus sur les autres au sein d’une même nation, on
assista à la naissance des diverses langues romanes : français, provençal, italien, espagnol, catalan,
portugais, roumain, rhéto-roman (dans les Grisons).
Voici un exemple simple montrant l’évolution d’un message à partir du latin classique, et par les bas latins
particuliers à chaque peuple, jusqu’aux langues française, italienne et espagnole.
Supposons (car aucun auteur ne l’a jamais écrite) la phrase latine classique :
Totam diem deambulavimus ut multos libros emeremus ; vespere autem nullum invenimus.
1.- le bas latin de l’Île-de-France l’aurait transposée comme suit :
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Nos nos sumus prominatos totum illum diurnum, pro accaptare bellum collapum de libros ; magis, ad illum serum
nos non inde habiamus tropatum aliquem unum.
D’où le vieux français :
Nous nous somes promenés tot il djorn por achepter beau-coup de livres, mais al soir nous n’en avions trové
auque-un.
A vous de jouer, maintenant : « traduisez » cette phrase en français moderne
2.- Le bas latin de Toscane l’aurait transposée ainsi :
Habiamos passetatum totum diurnum pro comprare multi libri ; magis ad illam seram inde habebamos trovato neesse-unum.
D’où l’italien moderne :
Abbiamo passeggiato tutt’il giorno per comprare molti libri ; ma alla sera non ne avevamo trovato nessuno.
3.- Le bas latin de Castille l’aurait traduit ainsi :
Habemos passeatum totum illum diem pro comprare multos libros ; per-hoc ad illam tardem teniamos ne-unum.
D’où l’espagnol moderne :
Hemos paseado todo il dia para comprar muchos libros, pero a la tarde teniamos ninguno.
C.- LE FRANÇAIS ET SON ETYMOLOGIE
( section tirée de (Vocabulaire), coll. Guides Le Robert & Nathan, dirigés par Alain Bentolila, 2001, p. 10-14)
Une langue (...) au fond de laquelle on distinguait nettement
toutes ces magnifiques étymologies grecques, latines ou espagnoles,
comme les perles et coraux sous l’eau d’une mer limpide.
(Victor Hugo, Littérature et philosophie mêlées)
L’étymologie est l’étude de l’origine des mots, de leur filiation.
Rechercher l’étymologie d’un mot, c’est reconstituer son ascendance jusqu’à son état le plus
anciennement accessible: « aube » vient du latin alba signifiant « blanche ».
Le mot « étymologie » vient du grec ετυµος (etumos), « vrai » et λογια (logia), « théorie ». Il signifie
donc « science de la vérité (des mots) »
Les mots sont vivants. Ils naissent, évoluent, disparaissent, réapparaissent parfois sous une forme
différente (cf. bas p. 6, sous ! !). Néanmoins, ils conservent toujours en eux-mêmes la mémoire de leur
identité première.
L’étude de l’étymologie d’un mot consiste à découvrir :
- de quel autre mot il est issu ; c’est ce que l’on appelle son étymon ;
- dans quelles circonstances il est apparu et à quelle époque ;
- les évolutions de sens et de forme qu’il a subies au fil du temps.
Cette étude permet d’enrichir son vocabulaire, d’éviter les erreurs, en percevant mieux le sens authentique
des mots. Prenons donc l’habitude de consulter régulièrement les indications étymologiques succinctes
des dictionnaires de langue ou celles, plus étoffées, des dictionnaires étymologiques.
I.- ORIGINES ET EVOLUTION DU FRANÇAIS
Une évidence s’impose : l’étymologie est étroitement liée à l’histoire. Force est de conclure que les mots
du français que nous parlons sont, un à un, les fidèles témoins de l’histoire des populations qui en ont fait
évoluer la forme et le sens à travers les siècles. Ces mots sont aussi, et seront, les témoins de l’histoire
dans laquelle nous sommes plongés nous-mêmes (sous l’influence de l’anglomanie ambiante, combien de
mots anglais ou d’origine anglaise prononçons-nous chaque jour ?). La permanence ou l’apparition de tel
ou tel mot dans notre langue, l’emprunt à telle autre langue sont autant de témoignages des relations qui
ont uni, pour le meilleur ou pour le pire, les peuples devenus francophones à d’autres peuples : guerres,
invasions, migrations, échanges commerciaux et scientifiques, influences artistiques, domination
économique, modes, tous ces phénomènes ont laissé, laissent et laisseront dans notre vocabulaire des
traces qu’il est bon de savoir déceler.
Procédons à une « fouille archéologique » des strates de notre langue. En première analyse, nous nous
apercevrons que les mots français se répartissent en deux catégories :
1.- les mots issus d’un fonds primitif constitué pour l'essentiel du celtique, du latin vulgaire (cf. p. 2) et du
germanique. C’est ce que l’on pourrait appeler en quelque sorte le vocabulaire hérité.
2.- les mots empruntés – à partir du Moyen Âge – au latin littéraire, au grec ou à d’autres langues, en
fonction des besoin ou de l’histoire des populations en devenir francophone.
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Affinons maintenant « la fouille » de ces deux grandes « couches » :
1.- les langues du fonds primitif
- le celtique : parlé par les Gaulois jusqu’à la conquête romaine (env. 50 avant J.-C.) ce fonds est (avec
quelques mots comme Genève, légués par les Ligures), le plus ancien substrat du français. Il se
réduit à quelques dizaines de mots touchant essentiellement l’agriculture et la sylviculture, domaines
d’excellence des Gaulois : alouette, bouleau, charrue, chêne, glaner, sillon, sans oublier la cervoise et
les braies !
- le latin (vulgaire, bien entendu, cf. p.2) : parlé par les Gaulois soumis par Rome (les Gallo-romains)
jusqu’à la fin de l’Empire romain (476 après J.-C.).
C’est de loin l’apport le plus important : 80% du vocabulaire français est d’origine latine.
- le germanique, et surtout le francique, la langue des anciens Francs qui, petit à petit, réunifièrent
l’ancienne Gaule romaine sous leur autorité. A ces deux langues, le vocabulaire français doit surtout
des termes relatifs à la guerre ou aux institutions : baron, franc, gagner, gars, guerre, *hache, *honte,
jardin, riche. De son côté, notre orthographe leur doit ... le « h » aspiré (cf. *).
Au cours des siècles, les mots provenant de ces trois langues ont vu leur prononciation (et, par
conséquent, leur graphie) se modifier. Génération après génération, ils se sont transformés dans la bouche
des populations qui les avaient adoptés. C’est pourquoi on les appelle des mots de formation populaire
(cf. plus bas sous « doublets »).
Ces mots de formation populaire sont presque toujours plus courts que le mot d’origine et, malaxés
comme ils l’ont été dans la bouche de générations de locuteurs, ils lui ressemblent parfois très peu :
securum a donné « sûr » ; pavorem, « peur » ; mansionaticum, « ménage » ; caballum, « cheval ».
Un aperçu des règles les plus importantes régissant ces transformations sera donné plus bas (p. 7 et suiv.).
2a.- les emprunts au latin (littéraire)
Pendant tout le Moyen Âge et jusqu’au XVIe siècle, les lettrés et les savants ont écrit en latin.
Lorsqu’ils ont voulu écrire en français, il est arrivé un moment où le lexique de base, trop pauvre encore,
ne parvenait plus à satisfaire les besoins de nouveau termes liés à l’évolution de la civilisation et
notamment des sciences et des techniques. Il fallait enrichir le lexique.
Les lettrés sont donc allés puiser directement dans le latin dont la science et les lettres s’étaient déjà
servies : ils ont tout simplement reproduit la forme latine du mot (le plus souvent à l’accusatif) en se
contentant de la franciser. c’est pourquoi on appelle ces mots des mots de formation savante :
germinationem a donné « germination » ; proletarium, « prolétaire », fragile, « fragile » ; epigrammam,
« épigramme ». La grande majorité des mots de notre vocabulaire résulte de ce procédé.
Notons enfin que quelques emprunt récents au latin sont passés tels quels en français : album, agenda, pedibus...
LES DOUBLETS
: l’intervention des lettrés dans l’évolution de la langue a provoqué un phénomène
inattendu : dans de nombreux cas, le mot de formation savante qu’ils tirèrent du latin
vint inopinément doubler un mot existant déjà en français, mais qui, tout en ayant la
même étymologie, s’était transformé selon les lois de formation populaire décrites cidessus. Mais, comme les deux mots avaient une forme et un sens différents, le français
les garda tous deux, notamment pour enrichir ses capacités d’expression.
C’est ainsi qu’hospitalem donna hôtel
(formation populaire)
et hôpital
(formation savante)
Il en est de même pour : aigre / âcre ; avoué / avocat ; chenal / canal ; déchéance /
décadence ; écouter / ausculter ; entier /intègre ; frêle / fragile ; parole / parabole, etc.
Exercices : 1) A l’aide du dictionnaire, repérez le sens exact de chaque doublet. 2) Insérez-le
dans des expressions que vous créerez. 3) Cherchez cinq à dix autres paires de doublets et
travaillez-les selon les consignes données sous 1) et 2).
2b.- les emprunts au grec
C’est surtout au XVIe siècle, sous l’influence de l’humanisme (Du Bellay, La Pléiade), que la vague
d’emprunts au latin s’accrut d’un mouvement d’emprunts parallèles au grec, langue des médecins, des
philosophes, mais aussi des poètes. La plupart du temps, ces mots grecs ont été d’abord « latinisés », puis
francisés. Ont été empruntés au grec des mots comme :
- « économie », de οικος (oikos), maison, et, νεµειν (nemein), administrer, c’est-à-dire « art de bien administrer la
maison » ; « politique », de πολις (polis), la cité, d’où politikos, « qui concerne le citoyen et l’Etat »
La mythologie grecque a aussi fourni de belles images qu’on utilise toujours : un virus informatique agit
comme un cheval de Troie ; on vise le talon d’Achille de qqn; un arrogant se croit sorti de la cuisse de Jupiter...
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Il faut encore relever que le français moderne continue à créer la plus grande partie de son vocabulaire
scientifique à partir de radicaux (latins et) grecs : hydrophobie (XVIe siècle) ; hydrophile (XIXe) ;
hydrocution, cybernétique (XXe s.).
Que dire enfin des publicitaires qui exploitent le grec et le latin pour « créer » les nom de Nike, Itineris,
Vivendi, etc... ? (consultez à ce sujet, par Google, le TM de Marie Nicollier « Le Grec et le Latin des fils de pub »)
2c.- les emprunts aux autres langues
Ces emprunts sont multiples. Si nous sommes conscients de l’introduction massive de mots anglais dans
notre langue en ce début du XXIe siècle, sans doute ne reconnaîtrions-nous pas l’origine arabe, italienne
ou espagnole de tel ou tel mot entré dans notre vocabulaire au moment où l’Islam, l’Italie ou l’Espagne
exerçaient une forte influence sur la civilisation française.
Voici un bref répertoire de ce type de mots :
- d’origine arabe (environ 300 mots, empruntés surtout au Moyen Âge) :
alchimie, alcool, algèbre, ambre, amiral, chiffre gazelle, gourbi, hasard, matelas, nouba, sirop, zénith,
zéro, zouave.
- d’origine italienne (environ 1'000 mots, empruntés surtout au XVIe, puis au XVIIIe siècle) :
balcon, banque, bouffon, boussole, brigade, canon, concerto, confetti, cortège, courtisan, crédit,
dilettante, escadron, faillite, fresque, graffiti, incognito, opéra, page, pittoresque, scénario, soldat,
solfège, ténor,...
- d’origine allemande (environ 200 mots, empruntés surtout au XVIe, XVIIe et XXe siècle) :
accordéon, bière, bivouac, blocus, chenapan, choucroute, cible, ersatz, espiègle, képi, obus, sabre,
trinquer, valse, vasistas, ...
- d’origine espagnole (environ 300 mots, empruntés surtout au XVIe et XVIIe siècle) :
abricot, adjudant, banane, bizarre, casque, cédille, chocolat, cigare, guérilla, hâbleur, maïs, matamore,
moustique, romance, sieste, ...
- d’origine russe (empruntés surtout au XIXe siècle) :
boyard, cosaque, isba, mammouth, moujik, samovar, steppe, ...
- d’origine anglaise ou américaine (à vous de les compter...., empruntés surtout au XIXe et XXe siècle) :
barman, bifteck, box, budget, casting, .... software, stock, string, toast, tunnel, zoom.. (a vous de jouer !)
! ! Certains mots empruntés à l’anglais avaient été exportés de France vers l’Angleterre au Moyen Âge. Ils nous
sont revenus quelques siècles plus tard sous une autre forme et souvent un autre sens : étiquette a donné ticket en
anglais, forme sous laquelle il nous est revenu avec le sens de billet ; de même tonnelle nous est revenu sous la
forme tunnel, et entrevue sous la forme interview. (Et encore, que dire de l’étymologie de budget ?)
- enfin, il ne faut pas oublier les apports des parlers régionaux ou des langues comme le breton
(baragouin, biniou, dolmen), le provençal (cabas, cigale), le suisse romand (bringuer, déguiller, gonfle,
panosse, ...) ou encore ceux des divers argots (boniment coquille, pion).
II.- QUELQUES REGLES REGISSANT LA TRANSFORMATION DES MOTS
( section inspirée par MM. Demat et Laloup. Les exercices ont été crées par M. Bernard Grobéty, du gymnase de Morges)
1.- Dans les langues romanes en général : - permanence de l’accent tonique sur la même syllabe.
- permanence du « squelette » consonantique des syllabes fondamentales.
Pour les mots venant du latin selon un processus de formation populaire, deux règles générales
s’imposent :
- la syllabe latine portant l’accent tonique se maintient pour l’essentiel, les autres s’amenuisent, se
corrompent ou disparaissent.
- toutefois la structure (=l’emplacement dans le « squelette » consonantique) des consonnes qui restent
respecte toujours fidèlement la structure du mot latin d’origine, même au cas où ces consonnes auraient
varié quelque peu (cf., plus bas *).
Choisissons un exemple concret en soulignant en gras la syllabe latine accentuée et en italiques la syllabe initiale
(qui paraît avoir porté un accent secondaire). Il faut aussi tenir compte du fait que c’est l’accusatif des mots latins
qui a enfanté les mots romans correspondants :
ci – vi –ta –tem devient en espagnol
ciudad
en italien
città
en français
cité.
On voit comment chacune des langues romanes se trouve à un point différent d’évolution (ou de
« corruption ») du mot latin primitif, comment aussi les diverses syllabes du mot latin ont évolué
diversement, comment enfin les consonnes sur lesquelles se base la structure du mot (= le « c » initial et
le« t» de la syllabe accentuée, varié en « d »* par l’espagnol) gardent la place qu’elles avaient en latin. Voici
d’autres exemples :
LATIN
FRANÇAIS
ITALIEN
ESPAGNOL
8
pretium
videt
hospitem
arborem
spissum
ferrum
scriptum
mercedem
cantatorem (cf. plus bas : c)
prix
voit
hôte
arbre
épais
fer
écrit
merci
chanteur
prezzo
vede
oste / ospite
albero
spesso
ferro
scritto
mercede
cantatore
precio
ve
huesped
arbol
espeso
hierro
escrito
merced
cantador
Il est inutile ici d’étudier dans le détail la façon dont chaque voyelle et consonne s’est transformée suivant
sa place dans le mot. C’est l’affaire de spécialistes que vous serez peut-être un jour.
Profitons pourtant de ce tableau pour relever parmi les mots français trois phénomènes intéressants :
a) l’épenthèse (= ajout, apparition) du é dans les mots commençant par « s » en latin (spissum, scriptum).
Les Gaulois (comme les Ibères) devaient avoir de la peine à prononcer des mots commençant par « s »+une autre
consonne. Par effet de substrat (cf. p. 3 et 4), leurs descendants - comme s’ils avaient continué à éprouver les
mêmes difficultés - se facilitèrent la tâche en remplaçant le « s » initial latin par un « e + accent aigu »
(correspondant au « e + s » de l’espagnol).
Exercice : Quels mots français présentant cette épenthèse proviennent de stomachum, scholam, spatham,
speciem, sponsum/sponsam ?
b) le remplacement de la voyelle + « s » latin (ou du vieux français*) par un accent circonflexe : dans le
tableau hospitem a donné hôte ( et encore: asperum, âpre ; bestiam, bête ; festam, fête ; *meisme, même, etc.)
c) l’adoucissement du « c + a » du latin (le plus souvent initial) en ch + voyelle dans les mots français.
Ce phénomène concerne surtout les mots de formation populaire, car ceux de formation savante, comme
vous le savez (cf. bas p. 5) respectent mieux la structure du mot latin original.
Voici un exercice qui vous permettra de vérifier le lois sur la prononciation énoncées à la page 5 (sous chiffre 1.-)
et d’exercer, une fois encore les doublets . Comblez correctement les lacunes selon le modèle fourni pour
« calvum » (lettre latine en gras = place de l’accent tonique + tenez compte de l’alternance vocalique !) :
LATIN
calvum
capillum (cf aussi sous e)
caballum (cf aussi sous e)
calamum
calida(m)
camera
canem
capram
cantatorem (cf. tabl. p. 7)
captivum
*caput, **capitis
*
carnem
catenam
FRANÇAIS
avec Ch (formation populaire)
chauve
avec Ca (formation savante)
calvitie
camarade (de « cameratam »)
**
catenaire
Voici maintenant quelques autres règles étymologiques qui, comme les précédentes, vous aideront à
mieux sentir l’évolution des mots provenant du latin. Ne vous étonnez pas de voir apparaître, parmi les
exemples, des mots déjà contenus dans les tableaux précédents : vous vous doutez bien que ce sont plusieurs règles
à la fois qui ont agi pour transformer chaque mot que nous prononçons (... en contribuant à notre tour à leur
ultérieure transformation : cf. « ‘Jour, m’dame, m’sieu » pour « Bonjour, Madame, Monsieur »...)
d) Certains mots de la grille précédente (calvum, calidam) présentent, dans leur forme populaire, la
transformation de la syllabe latine al- en la diphtongue française au-.
Bien entendu, comme nous l’avons vu dans l’exercice précédent, ce phénomène n’intervient pas dans les mots
d’origine savante.
Exercez cette nouvelle règle en complétant la grille suivante selon le modèle fourni :
LATIN
alterum
album/albam (=blanc-he)
FRANÇAIS
avec « au » (formation populaire)
autre
avec « al » (formation savante)
altérité, alternative
9
altum
animal
balsamum
falsum
gallum
palmam
saltum
salvum / *salvam
(mot au pluriel)
(mot au singulier)
falsifier
gallo-romain
*(une)
saltimbanque
salve (de canon, d’applaudissements)
e) dans les mots de formation populaire, le « b » ou le « p » d’un mot latin a pu se changer en « v ».
Testez cette règle dans l’exercice suivant :
LATIN
FRANÇAIS
avec « v » (formation populaire)
avoir
habere
capram
capillum (cf aussi sous c)
caballum (cf aussi sous c)
(verbe)
abortare
(verbe)
approbare
febrem
lupum / lupam
pauperem
(nom)
librum
pipam (= flûte)
avec « b » ou « p » (formation savante)
l’habitude
le cabri, le caprice
(adjectif)
(nom)
(nom)
f) dans les mots de formation populaire, sous l’influence du germanique et du francique (cf. p. 5), le « v »
latin finit par être prononcé comme le « w » anglo-saxon (ou, mieux, « gv », comme dans « gouache »).
Finalement il fut prononcé « g ». Le « b » latin a connu parfois la même transformation.
Testez cette règle dans cet ultime exercice :
LATIN
FRANÇAIS
avec « g » (formation populaire)
âge
aevum
diluvium
levem
nivem
rabiem
*ruber / rubrum
salviam
(nom d’un insecte)
vespam
werram (francique latinisé)
avec « v » / « b » (formation savante)
médiévail
antédiluvien
(nom d’un vaccin)
*
Salbei (allemand)
(aucun mot)
(aucun mot)
Voici pour l’essentiel. Vous pourrez ajouter vous-mêmes au bas de cette page d’autres règles
étymologiques que vous découvrirez par la suite et qu’il vous intéresse de retenir.
Par exemple, voici, en vieux français, le premier vers d’un célèbre poème: lequel de ces mots contient une
métathèse ? Pouvez- vous citer d’autres exemples de métathèses ?
Maistre Corbeaus, sur son arbre perchez, tenoit en sun bec un formaige..
Marco Perlini / août 2003

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