Chapitre 2

Transcription

Chapitre 2
1904 RELEGATION EN DEUXIEME DIVISION
1905 PROMOTION EN PREMIERE DIVISION
THEORIE DE LA RELATIVITE PUBLIEE PAR EINSTEIN
1906 CHAMPION DE PREMIERE DIVISION
CONSTRUCTION DU KOP
TREMBLEMENT DE TERRE A SAN FRANCISCO
DEUXIEME CHAPITRE
1902-1919
Oncle Tom Watson et les Autres
1909 LOUIS BLERIOT TRAVERSE LA MANCHE EN AVION
1910 COURONNEMENT DE GEORGE V
1914 PREMIERE PARTICIPATION EN FINALE DE COUPE D’ANGLETERRE
DEBUT DE LA PREMIERE GUERRE MONDIALE
1915 SCANDALE DU MATCH ARRANGE
DECES DE TOM WATSON
1918 FIN DE LA GUERRE
«S’IL Y A UN FANFARON A L’INTERIEUR D’UN HOMME JOUANT AU FOOTBALL DE NOS
JOURS, JE NE LE CONNAIS PAS. POUR LACEY, ACTUELLEMENT AU SOMMET DE SA FORME,
EVERTON DOIT REGRETTER DE S’ETRE SEPARE DE LUI. »
DEPECHE DE JOURNAL
DEUXIEME CHAPITRE 1902-1919 ONCLE TOM WATSON ET LES AUTRES
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Liverpool s’enfonça dans un profond déclin après sa première saison victorieuse, alors
que l’équipe qui avait si bien joué commença à se désintégrer. Si c’était frustrant pour
les fans, ce devait être l’agonie pour Watson. Il n’eut pas de remède à ce problème.
Juste quelques semaines avant de décrocher leur titre, Liverpool reçut des nouvelles de la
Ligue de Football : A partir de ce jour, tous les joueurs professionnels évoluant en Angleterre
devaient limiter leur gain au maximum de £4 par semaine. Cette loi suivit une campagne des
petits clubs qui ressentaient fortement le fait que leurs meilleurs joueurs se faisaient enrôler
par leurs riches rivaux. La Ligue pensait qu’il allait de l’intérêt de tous les clubs d’enrayer ce
désaccord concernant les salaires. Mais pour Liverpool, qui payait ses joueurs plus de £10 par
semaine avec de généreux bonus en cas de victoire, la loi eût de néfastes conséquences.
John McKenna s’opposa farouchement à cette nouvelle règle, argumentant que cela rendait
impossible le fait de recruter des joueurs provenant d’autres régions du pays : « Pourquoi
devraient-ils partir de chez eux s’ils peuvent maintenant gagner autant d’argent en restant
dans des clubs locaux ? », demanda-t-il. Il croyait alors que la plupart des équipes existantes
seraient tentées de retransférer ceux-ci dans ses rangs une fois que les augmentations de
primes pour rester dans la Mersey seraient supprimées. Il pressentait également que certains
arrêteraient le football pour retourner dans leurs anciennes professions, où il était possible de
gagner plus d’argent.
Avec la Ligue qui refusa de revoir sa position, McKenna dût trouver d’autres astuces pour
payer ses joueurs plus que le maximum légal. Le coup le plus fameux fut de procurer à Alex
Raisbeck un métier « d’inspecteur des factures », supposé contrôler les panneaux d’affichages
autour du terrain. Ainsi, le capitaine pu toucher légitimement des gains supplémentaires. Mais
ce genre de création de comptes ne pouvait pas mener très loin. Les prédictions de McKenna
devinrent fondées. Plusieurs joueurs quittèrent le club et les résultats s’en ressentir bientôt.
Dans la campagne 1901-02, Liverpool finit onzième, n’ayant remporté que dix de leurs trentequatre matches. Ils inscrivirent seulement 42 buts dont 7 lors d’une seule confrontation à
domicile contre Stoke alors que les visiteurs étaient décimés par une intoxication alimentaire.
Neuf joueurs de Stoke commencèrent le match, mais de fréquents déplacements urgents aux
toilettes des messieurs firent qu’à un moment donné de la rencontre ils n’étaient que sept sur
le terrain. Le joueur de Liverpool Andy McGuigan en tira le maximum d’avantage en faisant
trembler les filets à 5 reprises. Il s’agit du record en un seul après-midi, événement qui ne se
reproduisit plus à Anfield lors des 52 années qui suivirent.
L’équipe finit la saison 1902-03 à la cinquième place, mais l’année suivante, ce fut le
désastre. Perturbée par l’application à la lettre de la loi sur le salaire maximum et par les
autres clubs qui essayaient d’en tirer avantage. En mai 1903, la Ligue de Football découvrit
que Portsmouth avait proposé des « avantages financiers » à trois joueurs de Liverpool pour
les inciter à signer. Le club de la côte sud fut amandé de £100 alors que les trois joueurs de
Liverpool, à savoir Archie Goldie, Sam Raybould et John Glover, furent interdits à vie de
jouer pour Portsmouth. Ils retournèrent sur les bords de la Mersey mais furent bannis du
terrain durant sept mois.
Ceux qui retournèrent à Anfield en 1903-04 jouèrent mal. Seize défaites précipitèrent l’équipe
dans les profondeurs du classement. Et lors de la dernière journée, alors qu’ils étaient battus
sur le terrain de leurs combatifs camarades de Blackburn, ils furent condamnés à la relégation.
La dernière fois que Liverpool descendit en Deuxième Division, John McKenna tenu sa
promesse de les remonter dans l’année qui suivit. Cette fois, Watson était déterminé à suivre
cet exemple.
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Il réorganisa ses arrières, consolidant la défense qui avait concédé 62 buts la saison
précédente. Ensuite, il la renforça encore en retournant dans le Nord-Est pour s’emparer de
son ancien gardien, Ned Doig, pour £150. L’Ecossais était une figure légendaire à
Sunderland, ayant participé à trois titres de champion. Il fit sa première apparition pour
Liverpool en septembre 1904 et, à l’âge de 37 ans et 11 mois, demeura le plus vieux
« débutant » du club.
Avec Doig entre les poteaux, la défense des rouges prouva qu’elle était la plus solide de
Deuxième Division. L’équipe ne concéda que 25 buts de toute la saison. Mais la promotion
fut atteinte grâce à trois buteurs prolifiques. Liverpool marqua à 93 reprises lors de la
campagne, par Robbie Robinson (24 buts), Jack Parkinson (20 buts) et Sam Raybould (19
buts), tous au sommet de leur forme.
Régner en Maître sur les Bords de la Mersey
Les choses devinrent plus excitantes l’année suivante. Lors d’un parcours étourdissant en
Coupe d’Angleterre, ils alignèrent des succès contre Leicester Fosse, Barnsley, Brentford et
Southampton. Vint alors la demi-finale à Villa Park contre Everton. Selon les reportages des
quotidiens, tous les trains de Birmingham étaient complets et les routes en direction du stade
embouteillées. Au moment où les caisses furent fermées, soit une heure avant le coup d’envoi,
il y avait 37'000 personnes dans le stade dont la majorité provenaient de la région de la
Mersey.
Liverpool partait favori grâce à leur forme éblouissante dans la Ligue. Mais, malgré les
exploits de Raisbeck (« deux fois la valeur de chaque homme sur le terrain » selon le
fondateur de la Ligue de Football, William McGregor) ils ne purent tenir leurs promesses. A
la fin de l’après-midi, ce furent les Evertoniens qui rentrèrent satisfaits dans leurs foyers après
avoir vu leur équipe gagner 2-0. En fait, Everton remporta la Coupe trois semaines plus tard,
grâce à une victoire 1-0 contre Newcastle à Crystal Palace. Pour revenir sur les bords de la
Mersey, on estima à 200'000 le nombre de personnes venues souhaiter la bienvenue aux deux
équipes. Et, parmi les premiers à féliciter les joueurs à la Gare Centrale…les directeurs de
Liverpool.
Ils étaient en mesure d’être généreux, leurs propres joueurs venaient de gagner le titre de
champion de la Ligue. A un départ calamiteux de trois défaites succédèrent une série de huit
victoires en dix parties. Ils rivalisèrent avec Preston pour la place de premier durant toute la
saison, mais finirent par prendre la tête quand ils se rendirent à Deepdale en mars et y
obtinrent une victoire 2-1. Un match à domicile gagné 3-1 contre Sheffield United lors de la
dernière journée de la saison les sacra champions avec quatre points d’avance. Cet unique
doublé pour les deux équipes de la ville donna lieu a de vastes célébrations. Et le fameux
Liverpool Echo caricatura les deux capitaines victorieux dans les bras l’un de l’autre,
résumant les sentiments de chacun avec cette simple légende : « Suprématie».
En fait, il y eut encore plus d’honneurs pour l’équipe de Watson cette année. Avec le titre
dans leurs valises, ses joueurs complétèrent un modeste triplé en enlevant la Coupe Senior de
Liverpool et le Dewar Shield. Ce dernier était un précurseur de ce qui deviendra plus tard le
Charity Shield. Haut de plus de 1m50, il fut certainement le trophée le plus grand ayant trôné
dans le cabinet d’Anfield. Mis en jeu à la fin de chaque saison pour les meilleurs clubs
professionnels et amateurs du pays, il était remis par Sir Thomas Dewar, Sheriff de la Cité de
Londres et à la tête de la fameuse firme de whisky.
Liverpool l’emporta 5-1 contre Corinthians à Fulham mais cela ne donna pas suite à des
bonus en liquide pour le club.
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«Le club ne retire rien de sa visite à Craven Cottage aujourd’hui…ils retournent en ville pour
régler leurs frais de train et d’hôtel » dit un article de journal. En fin de compte, les joueurs
attendaient toujours de recevoir enfin la récompense de leurs efforts. Relancés par le succès,
les directeurs les emmenèrent à Paris coiffant chacun d’eux d’un canotier de paille orné d’un
ruban rouge à l’effigie d’un Liverbird.
La Naissance du Kop
Il y eut également une récompense pour les fans cette année-là. Les succès sur le terrain ont
propulsé la moyenne de spectateurs à plus de 18'000 et, à l’été 1906, le comité autorisa une
augmentation de la capacité d’Anfield. En ce temps-là, le stade pouvait contenir environ
20'000 personnes, avec comme choix de se tenir à découvert sur des gradins en bois aux
extrémités d’Anfield Road et Walton Break Road. On pouvait payer un petit extra pour
s’asseoir dans la tribune principale (Main Stand), un modeste pavillon construit en 1895, orné
d’imitations de pignons centraux de l’époque Tudor. Où alors on pouvait arriver plus tôt et
prendre possession d’une des quelques places plus avantageuses situées dans le gradin de
Kemlyn Road, une étroite bande de sièges compressés entre la ligne de touche et les maisons
en terrasse dos-à-dos qui se trouvaient alors sur l’actuel parking du Centenary Stand.
La façon d’avoir plus de fans dans le stade était de construire un tout nouveau et énorme
remblayage côté sud, derrière le but de Walton Break Road. A l’origine, ce fut seulement un
vaste monticule de terre et de cendres, avec rien de plus qu’une clôture de piquets blancs pour
empêcher la foule de déborder sur le terrain. Mais elle offrait une vue spectaculaire et des
milliers de personnes commencèrent de se rassembler là dès le début de la nouvelle saison.
Bientôt on lui donna le nom de « Spion Kop », dérivé de Spioenkop, une colline d’Afrique du
Sud, scène d’une des batailles les plus sanguinaires de la guerre des Boers. En janvier 1900,
des soldats britanniques tentèrent de briser le siège de Ladysmith quand ils furent attaqués par
les troupes Boers. Lors de la bataille, 300 d’entre eux furent abattus. Tous appartenaient aux
Fusiliers du Lancashire, un régiment qui recrutait ses soldats dans la région et qui comptait de
nombreux habitants de la région de la Mersey dans leurs rangs. Mais, en dépit d’un
rattachement local, Liverpool ne fut pas le premier club à nommer un secteur de son stade au
nom de la bataille. En fait, l’origine de « Kop » apparut en 1904 à Manor Field, au sud de
Londres, patrie de Woolwich Arsenal. Du temps où Liverpool l’adopta, apparemment sur les
conseils d’un journaliste sportif local, il était déjà utilisé dans différents stades. Aucune
importance. Au cours des années il n’y eut qu’un seul Kop à devenir célèbre à travers le
monde. Et c’est celui d’Anfield.
Mais d’où proviennent les Kopites originaux ? Des historiens spécialisés dans le social
prétendent que les foules du début du vingtième siècle étaient essentiellement composées de
travailleurs qualifiés ou semi-qualifiés, homme d’affaires, ingénieurs, constructeurs de
bateaux et réparateurs. A Liverpool, leur nombre augmentait grâce à la grande quantité
d’employés en cols blancs engagés par les industries navales et de l’assurance, alors en pleine
expansion. Pour certaines raisons, Anfield était également populaire auprès des policiers. En
1907 vous pouviez acheter un billet de saison pour sept shillings et six pences (38 pences) et
avoir une action unique comme récompense. Au temps où la guerre éclata en 1914, presque
un quart des actionnaires de Liverpool faisaient partie des agents de police locaux. Tandis que
les gradins d’Angleterre étaient majoritairement composés de la gente masculine, un journal
affirmait que Liverpool, de même qu’Everton, possédait le plus grand pourcentage de
« Supportrices Féminines » de tous les clubs de la Ligue. Les fans de Liverpool étaient
également connus pour leur comportement sportif.
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Les journalistes mentionnèrent leur façon d’applaudir les joueurs de l’équipe adverse,
particulièrement le gardien, et ceci en 1901 déjà.
D’autres articles décrivent les fans d’Anfield comme « bruyants » et racontent leur manière de
célébrer les buts en lançant leurs chapeaux et bérets en l’air. Mais, d’après un article de 1905
paru dans le magazine Porcupine, ils étaient peu désireux d’étendre leur soutien à d’autres
manières : «Nous, à Liverpool, sommes plus réservés et moins enthousiastes que nos
confrères dans le pays. Quand Sheffield, Birmingham ou Blackburn viennent en ville, nous le
savons. Mais les Liverpooliens portent rarement leurs couleurs de façon visible, même
lorsqu’ils voyagent. Nous savons par des comptes rendus transmis d’une génération à l’autre
que jouer devant le Kop n’était pas un avantage. Un grand nombre de supporters se tenaient là
uniquement quand Liverpool attaquait de ce côté, changeant de côté quand les joueurs
shootaient en direction d’Anfield Road. Cela explique pourquoi quand, en 1907 les premiers
chants du Kop furent décris, le bruit provenait des chants de supporters de Blackburn.
Difficile à imaginer de nos jours, quoique, les supporters actuels vont facilement reconnaître
un autre aspect du comportement des visiteurs : « Ils agitèrent leurs couleurs en bandes
mouvantes et poussèrent d’étranges cris de déterrés… mais devinrent silencieux quand
Liverpool marqua».
La Traversée du Désert
Il n’y eut pas de quoi s’égosiller pour un supporter du Kop de Liverpool après le titre de
champion en 1906. L’équipe retomba en 15ème position la saison suivante et plusieurs de leurs
meilleurs joueurs commençaient d’atteindre la fin de leur carrière. Une décennie de
médiocrité s’ensuivit avec des rangs de milieu de classement, une place de deuxième et des
combats contre la relégation comme faits principaux à signaler.
Il n’y eut que des matches particuliers à signaler dont certains sont entrés dans la légende.
Décembre 1909 nous apporta une fameuse confrontation contre Newcastle, quand les visiteurs
menaient 5-2 à Anfield avant d’être battus 6-5. Il y eut aussi le match du jour de Noël contre
Bolton quand le demi-gauche Jim Bradley dut jouer au but à la place du gardien habituel, Sam
Hardy qui avait raté le train. Liverpool l’emporta quand même 3-0. En 1910, l’équipe se
rendit à Manchester pour le premier match de l’histoire à Old Trafford. Le résultat :
Manchester 3, Liverpool 4. Il y eut aussi quelques grandes individualités en tant que joueurs.
Hardy, reconnu comme ayant été un des plus grands gardiens d’Angleterre, remplacé en 1912
par le brillant international Ecossais Kenny Campbell. Don McKinlay, un autre Ecossais
ayant fait partie de la sélection de son pays, devint une pièce maîtresse de la défense aux côtés
de l’élégant et inusable Eph Longworth (voir page 23). Et, en attaque, l’ailier Irlandais Bill
Lacey qui formait une paire d’attaque dangereuse avec l’avant-centre natif de Bootle, Jack
Parkinson.
Lacey, qui arriva d’Everton en 1912 lors d’un échange de joueurs, fut un des premiers à
traverser directement de Goodison à Anfield. Sa forme, qui lui valut 24 sélections
internationales, et ses célébrations de buts sauvages et particulièrement modernes firent de lui
un des favoris du public. Le demi-défensif Tom Fairfoul raconta au Liverpool Echo comment
Lacey se comporta durant un match amical d’avant-saison : « La balle était à peine au milieu
du terrain que Bill partit avec elle et, brisant toute volonté d’opposition, marqua un but
inoubliable d’un réel exploit individuel dans la plus pure tradition de l’époque. Billy fut si
content de sa performance qu’il effectua un saut périlleux au grand étonnement et amusement
des spectateurs.»
En dépit d’une valeur certaine de divertissement, les joueurs de Liverpool ne provoquèrent
que peu d’occasions de pavoiser pour leurs fans. Mais, en 1914, le seul titre qui leur avait
échappé vint à leur portée.
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Une Finale de Coupe Enfin
La Grande-Bretagne armait ses troupes, les suffragettes manifestaient dans la rue, les dockers
entamaient la grève et Charlie Chaplin effectuait sa première apparition dans un film, habillé
en vagabond. Il y eut plein de sujets de discussion à propos de ce printemps-là, mais les fans
de Liverpool étaient obsédés par une autre question : leur équipe était-elle actuellement
capable de se qualifier pour la finale de la Coupe d’Angleterre ?
Ils avaient vu Everton le faire et ensuite s’en aller gagner le trophée. Ils avaient vu leur propre
équipe atteindre les demi-finales à trois différentes reprises pour se faire éliminer de piètre
manière. Mais cette fois, les perspectives de Liverpool, qui progressait dans la compétition de
manière conquérante, semblaient différentes. Les fans le sentaient : le quatrième tour joué à
Anfield attira une foule de plus de 40'000 spectateurs.
Le point culminant de l’épopée fut une impressionnante victoire 5-1 contre West-Ham lors
d’un match à rejouer du troisième tour. Les caisses furent fermées et des milliers de gens s’en
retournèrent bredouilles du tourniquet d’entrée. A l’intérieur, les supporters, pour l’occasion
fiers de porter enfin les couleurs de leur équipe, brandissaient écharpes et rosettes. Il fut même
rapporté qu’un énorme drapeau rouge fut déployé par un spectateur dans le Kop. Ils furent les
témoins d’une fantastique démonstration dans tous les domaines de la part de l’équipe locale,
mais deux buts de Liverpool inscrits par l’ancien attaquant de Goodison firent de lui l’homme
du match. «S’il y a un fanfaron à l’intérieur d’un homme jouant au football de nos jours, je ne
le connais pas. Pour Lacey, actuellement au sommet de sa forme, Everton doit regretter de
s’être séparé de lui », proclama le journal Dispatch.
Une quinzaine de jours plus tard, lors de la venue de Queen’s Park Rangers à l’occasion du
quatrième tour, 43'000 spectateurs s’amassèrent à Anfield. Si les joueurs de Liverpool étaient
maintenant habitués à de telles affluences, les visiteurs eux ne l’étaient pas : Le Liverpool
Echo s’émerveille autant du bruit et de l’atmosphère qui les fit « perdre la tête » que du fait
que « la meilleure chose que les Rangers aient réussi à faire était de jolies passes ». Cela ne
fut bien sûr pas suffisant et Liverpool remporta le match 2-1.
Ainsi les Rouges étaient en marche pour leur quatrième participation à une demi-finale de
Coupe d’Angleterre, cette fois contre les tenants du titre, Aston Villa. Avec une équipe des
Midlands qui se battait également furieusement pour le titre, la plupart de quotidiens
pensaient qu’ils allaient passer l’épaule. Mais ils eurent tort. Les 27'000 témoins qui suivirent
le match à White Hart Lane virent Jimmy Nicol inscrire un but par mi-temps et Liverpool
atteindre enfin la finale (voir page 26). Malheureusement, ce jour d’avril à Crystal Palace ne
tourna pas dans le sens que les joueurs et les fans avaient espéré. Mais, en moins de quatre
mois, toute déception fut oubliée. Chacun ayant des choses bien plus importantes à l’esprit.
En Temps de Guerre
Quand, le 4 août 1914, la Grande-Bretagne déclara la guerre, l’Union de Rugby Football
laissa tomber son programme à venir. La Ligue de Football, dirigée par John McKenna, lança
immédiatement un appel à faire de même. Mais, avec la nouvelle saison qui n’était éloignée
que de quatre semaines et avec la ferme certitude que les combats seraient terminés à Noël,
les dates des rencontres furent maintenues selon le calendrier.
Les clubs espéraient que le football constituerait une distraction bienvenue durant les
hostilités, ils eurent tort. Les fréquentations chutèrent. Ceci était partiellement dû aux heures
supplémentaires obligatoires des usines mais, plus généralement, c’était la décision de
centaines de milliers de jeunes gens de rejoindre l’armée britannique. Il y eut un enthousiasme
particulier à Liverpool ou le Lord Derby menait une campagne déterminée pour enrôler les
gens. Durant une période de trois jours à la fin du mois d’août, il persuada personnellement
2'000 hommes d’accepter les deniers du Roi.
DEUXIEME CHAPITRE 1902-1919 ONCLE TOM WATSON ET LES AUTRES
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Comme l’année suivait son cours, le chef Lord militaire Kitchener obtint un encart dans le
programme de match de Liverpool pour communiquer au spectateur interpellé que « Ton Pays
a Besoin de Toi ». Ainsi les gradins furent dégarnis de plus de la moitié et Anfield n’attira
plus que 10'000 personnes à une rencontre de Coupe contre Stockport.
Sur le terrain, les joueurs traînaient leur misère. Ils furent sortis de la Coupe au second tour,
sombrèrent dans la médiocrité du milieu de classement en Ligue et ne purent que constater le
renouveau d’Everton qui grimpait au sommet. Mais alors que les combats continuèrent après
Noël et que l’effrayante courbe des victimes commençait à devenir inquiétante, le football
devint dénué de sens. Quand la saison 1914-15 tira sur sa fin, il fut évident qu’elle serait la
dernière au moins jusqu’à la fin de la guerre. Ce fut dans ce climat qu’un groupe de joueurs de
Liverpool et Manchester United décidèrent de s’accorder un grand jour de paie final. Ils se
rendirent ensemble dans un pub de Manchester quelques jours avant que les deux équipes se
rencontrent lors d’un match fixé le Vendredi-Saint à Old Trafford. La raison ? se mettre
d’accord sur le résultat, organiser un pari d’avant match et empocher la récompense.
Ils durent faire monter considérablement les enchères pour que Liverpool joue si affreusement
mal. Les joueurs avaient convenu que United devait absolument gagner deux buts à zéro,
résultat qui devait leur donner les points nécessaires dans leur combat contre la relégation.
Une fois le score acquis, Liverpool ne montra aucune volonté de revenir dans le match. Même
lorsqu’ils parvenaient à remonter le ballon jusqu’en profondeur, les attaquants galvaudèrent
occasions sur occasions. L’arbitre décrivit par la suite le match comme le plus incroyable
qu’il n’ait jamais arbitré.
Les bookmakers devinrent immédiatement suspicieux. De grandes sommes d’argent avaient
été misées sur le résultat, pariées dans les bureaux de tout le pays. Face à de telles pertes, ils
ordonnèrent une enquête et refusèrent d’indemniser un seul des parieurs avant d’en connaître
les conclusions. La Ligue de Football y alla de sa propre investigation et appela tous les
joueurs et officiels à se rendre à l’évidence. Alors que la vérité émergeait peu à peu, il devint
certain que huit joueurs, quatre de chaque équipe, étaient impliqués dans un scandaleux pari.
Jackie Sheldon, Tom Miller, Tom Fairfoul et Bob Purcell étaient les conspirateurs côté
Liverpool, alors que dans les quatre de Manchester se trouvait un ancien favori d’Anfield, à
savoir Enoch « Knocker » West. Bien que tous les joueurs furent suspendus indéfiniment de
jeu, sept d’entre eux virent leurs sentences levées après la guerre, probablement en
reconnaissance des services rendus à la patrie. Toutefois, West, qui avait toujours clamé son
innocence, dut attendre jusqu’à l’âge de 62 ans avant que sa suspension soit levée.
Cela avait été une horrible année pour le club et il y en aurait de bien pires à venir. Le dernier
jour de la saison, Tom Watson se plaignit de malaises alors qu’il regardait son équipe gagner
à Oldham. Il fut ramené à la maison et obligé de garder le lit, mais il décéda deux semaines
plus tard. A la une du Daily Post, un hommage le décrivit comme le « Respectable Tom ,
l’homme le plus populaire du football »
Jusqu’à la fin de la guerre, Liverpool joua dans la pauvre et très insignifiante Ligue du
Lancashire. L’équipe opérait sans véritable manager. Le patriotique Watson, qui avait
positivement encouragé les jeunes joueurs à s’enrôler dans l’armée, aurait certainement été
épouvanté par l’essor de la guerre s’il avait encore été vivant pour le voir. Trois joueurs de
Liverpool, Joe Dines, Wilfred Bartrop et Tom Gracie furent tués lors des combats.
DEUXIEME CHAPITRE 1902-1919 ONCLE TOM WATSON ET LES AUTRES
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Bien d’autres clubs perdirent des joueurs-clés. D’autres furent si méchamment blessés qu’ils
ne purent jamais rechausser une paire de souliers de football. Pour la ville de Liverpool, un
effectif estimé à 100'000 jeunes gens rejoignit les combats du Front de l’Ouest et d’ailleurs.
De ceux-ci, un soldat sur six ne revint jamais.
TOP 10
BUTEURS EN LIGUE
1. Jack Parkinson
2. Arthur Goddard
3. Joe Hewitt
4. Robbie Robinson
5. Jack Cox
6. Sam Raybould
7. Tom Miller
8. George Livingston
9. Fred Pagnam
10. Arthur Metcalfe
123
73
64
64
49
49
37
31
24
23
1902-1919
COUPS DU CHAPEAU
NOMBRE DE MATCHES EN LIGUE
1. Jack Parkinson
8
2. Sam Raybould
5
3. Charlie Hewitt
2
4. Joe Hewitt
2
5. Sam Bowyer
1
6. Fred Pagnam
1
7. William McPherson
1
8. Arthur Metcalfe
1
9. Ronald Orr
1
10. James Stewart
1
(Toutes compétitions confondues)
1. Arthur Goddard
2. Robbie Robinson
3. Sam Hardy
4. Jack Parkinson
5. Jack Cox
6. James Bradley
7. Eph Longworth
8. Alex Raisbeck
9. Maurice Parry
10. Joe Hewitt
DEUXIEME CHAPITRE 1902-1919 ONCLE TOM WATSON ET LES AUTRES
22
344
254
219
202
181
169
168
164
155
153
JOUEUR
EPH LONGWORTH
Ce fut le mal du pays qui conduisit Ephraim Longworth à Anfield. En 1910, ce
défenseur natif de Bolton, quitta son club de Wanderers et joua en Ligue pour le club du
sud de L’Angleterre, Leyton. Mais la nostalgie l’incita à retourner dans le Nord-Ouest et
il sauta dans le premier train pour Lime Street quand Liverpool lui exprima son intérêt.
Après avoir fait ses débuts lors d’une défaite à domicile contre Sheffield United, Longworth
établit rapidement sa réputation en tant que l’un des défenseurs les plus élégants et complets
évoluant en Grande-Bretagne. En 1920, il fit sa première apparition en équipe d’Angleterre
sur un total de cinq sélections, quand son équipe revint d’un score de 4-2 pour battre l’Ecosse
5-4. En 1921, alors que l’Angleterre rencontrait la Belgique, il devint le premier joueur de
Liverpool à porter le brassard de capitaine en équipe nationale.
Longworth faisait partie d’une formidable ligne défensive qui comprenait, à des époques
différentes, son camarade de sélection anglaise Tom Lucas et l’international Ecossais Don
McKinley. Mais à chaque fois que la concurrence pour les places de titulaires augmentait, il
avait l’avantage d’être capable d’évoluer aussi bien sur le côté gauche qu’à droite. Sa mobilité
et sa régularité faisait de lui un choix automatique en première équipe durant les années qui
précédèrent la Première Guerre Mondiale et il fit partie de l’équipe de Liverpool qui joua sa
première finale de Coupe d’Angleterre. Quand les hostilités prirent fin, il reprit sa place et
assuma le rôle de capitaine, menant le club à deux titres successifs de Champion de la Ligue
en 1922 et 1923.
Durant toute sa carrière il eut comme signe distinctif une longue mèche de cheveux balayant
son front de droite à gauche. Il était doté d’une santé et d’une résistance extrême, ce qui lui
permit de jouer au football de haut niveau jusqu’à l’âge de 40 ans. Il était également homme
de grande honnêteté et fut parmi les joueurs qui refusèrent de prendre part au tristement
célèbre scandale du match arrangé de 1915. D’après l’enquête de la Ligue, il essaya de
persuader ses coupables camarades d’abandonner cette idée.
Au moment où il mit un terme à sa carrière de joueur en 1928, Longworth avait fait 371
apparitions en première équipe sous les couleurs de Liverpool. Il ne trouva jamais le chemin
des filets adverses et détient encore de nos jours le record du nombre de matches joués pour le
club sans avoir jamais marqué.
Suite à sa retraite, il rejoint l’équipe des entraîneurs et effectua quelques petits boulots pour le
club. Il était là quand l’équipe gagna le titre en 1947 et vécut bien assez longtemps pour voir
Liverpool remporter enfin la Coupe d’Angleterre en 1965.
DEUXIEME CHAPITRE 1902-1919 ONCLE TOM WATSON ET LES AUTRES
23
MANAGER
TOM WATSON
Ils sont comme leurs « messies » du football dans le Nord-est et Tom Watson fut le
véritable miracle ouvrier des bords de la Tyne. L’ancien professeur d’école et joueur
amateur commença tôt dans le management, prenant les rennes de Newcastle West End
pour en faire le club le plus titré de la ville. Il répéta l’opération avec leur plus grand
rival de l’East-End qui évoluera par la suite sous le nom de Newcastle United. Mais ce
fut à Sunderland que Watson établit réellement sa réputation, rassemblant la bien
nommée « Equipe de tous les Talents » et les conduisant à trois titres de champions dans
les années 1890.
Durant cette époque, il était catalogué comme le boss par excellence. Sa décision de quitter a
du être un choc effroyable pour le club et ses fans. Cela donne une idée du pouvoir de
persuasion de John McKenna qui le fit opter pour un avenir sur les bords de la Mersey.
Son arrivée apporta un néo-professionnalisme à Anfield. A Sunderland, il préconisait une
diète stricte et un régime de santé qu’il introduisit rapidement dans la nouvelle discipline des
joueurs de Liverpool. Alors que ces derniers augmentaient leur résistance et leur vitesse,
Watson était occupé au recrutement des nouveaux joueurs qui les mèneraient à l’assaut du
titre. Ceci lui prit la majeure partie de son temps durant les 5 années qui suivirent mais, en
1901, il mit sur pied une équipe qui remporta finalement le championnat.
Après les avoir vus chanceler après leur premier succès, Watson fit face à l’humiliation de
rétrograder d’une Division. Mais sa détermination, son savoir-faire tactique et des transactions
astucieuses sur le marché des transferts remis rapidement Liverpool dans le bon wagon et
apporta au club un deuxième titre de champion en 1906.
Bien qu’il engagea de brillants joueurs à Liverpool, il avait un talent particulier pour recruter
des gardiens de buts de classe mondiale. Le premier, le vétéran de Sunderland Ned Doig,
devient une pièce maîtresse de l’équipe victorieuse qui obtint sa promotion en 1905. Son
successeur, Sam Hardy, transfert de £500 provenant de Chesterfield, devint le « premier
choix » en matière de gardien pour l’équipe d’Angleterre durant de nombreuses années.
Ensuite, ce fut le tour de Kenny Campbell, un Ecossais qui fut par la suite sélectionné huit
fois par son pays. Puis, arriva dans ses rangs un certain jeune homme Irlandais répondant au
nom d’Elisha Scott.
Comme certains managers de Liverpool qui lui succédèrent, Watson vivait et respirait
football. Il ne pouvait pas sortir son esprit du jeu, même quand la saison était terminée. En
référence à un article du Liverpool Echo, il était « dans ses habitudes de passer ses vacances à
l’étranger. Cela n’est rien de dire qu’il eut une influence certaine sur la popularisation du jeu
sur le continent ». De retour chez lui, il aimait habiter près de son lieu de travail et voulait être
certain qu’il ne vivait qu’à quelques centaines de mètres du terrain. Les jours de matches, il
refusait de s’installer dans les stands, préférant observer le jeu de ce qu’il appelait ses
« repères » dans les tranchées. Une fois cependant, l’action qui se déroulait devant lui fit que
ses nerfs le trahirent. Lors d’une rencontre à domicile contre Newcastle, Liverpool était mené
5-2. Watson, incapable de supporter cela plus longtemps, quitta son siège et s’enferma dans
son bureau. Une demi-heure plus tard, il demanda le score à quelqu’un qui frappait à sa porte.
Il lui fut répondu que Liverpool avait égalisé. Il courut alors voir les dernières minutes et vit
son équipe gagner 6-5 !
DEUXIEME CHAPITRE 1902-1919 ONCLE TOM WATSON ET LES AUTRES
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Avec le début de la guerre, en 1914, les clubs de football furent critiqués pour avoir fait
pression pour le maintien de leur programme dans la Ligue. Les joueurs qui décidèrent d’être
contre un recrutement de l’armée furent désavoués. Watson réagit sévèrement à ces attaques
et écrivit une lettre au Times soulignant l’engagement de Liverpool à l’effort de guerre.
« Nous comptons 27 professionnels, 13 sont mariés et 14 célibataires. Le recrutement a pris
place à l’intérieur du stade durant toute la saison, accompagné des fanfares de l’armée
présentes à tous les matches. Un directeur, un joueur, une grande partie des actionnaires et
deux fils de directeurs ont rejoint l’armée. Les joueurs donnent 12,1/2% de leur salaire à
l’assistance pour les nécessiteux et aux fonds de guerre. Les donations se sont montées à :
Le club : £413 7s 6d
Collectes dans le stade: £113 3s 5d
Du Staff, directeurs et joueurs : £25 15s 9d
Total : £553 16s 5d
Dix-huit ballons ont aussi été envoyés au front pour des supporters en uniformes du Roi.
£10 10s ont été envoyés aux fonds de la Princesse Mary.
Les joueurs ont travaillé deux fois par semaine chez un officier retraité de l’armée.
1'000 soldats et marins ont reçu des entrées gratuites à chaque match, ainsi que pour des
soldats blessés et des réfugiés Belges.
Juste 6 mois après avoir écrit cette lettre, cet Anglais, qui était le manager le plus titré du jeu
mourut dans sa maison de Priory Road, âgé de 56 ans. Le jour de ses funérailles, certains de
ses joueurs les plus réputés, parmi lesquels Raisbeck et Doig, portèrent le cercueil jusqu’au
Cimetière d’Anfield.
Aujourd’hui, Watson demeure dans les mémoires comme appartenant aux plus grands
pensionnaires d’Anfield de tous les temps. Véritable artisan de l’obtention du premier
Championnat, il conduisit l’équipe à un second titre et à la première participation à une finale
de la Coupe. Seule la mort le sépara du club qu’il aimait. En 19 ans de service, il reste le
manager de Liverpool ayant officié le plus longtemps.
DEUXIEME CHAPITRE 1902-1919 ONCLE TOM WATSON ET LES AUTRES
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MATCH LIVERPOOL CONTRE BURNLEY
FINALE DE LA COUPE D’ANGLETERRE 1914
Durant la période du début du 20ème siècle, le football devint le sport qui attirait le plus
de spectateurs en Angleterre. Malgré les rassemblements de centaines de milliers de fans
dans les stades, tout le monde ne partageait pas le même enthousiasme pour la
croissance de ce jeu. En fait, plusieurs « élites » du pays fronçaient les sourcils à propos
du football de même que pour d’autres formes de spectacles de masses de ce temps-là
comme le music-hall et le cinéma. Graduellement toutefois l’engouement grandit si
fortement que même l’opulente classe moyenne commença à l’adorer. Alors se produisit
en 1914 l’ultime signe d’acceptation du football par l’Establishment, à savoir la décision
du monarque régnant d’être présent à la finale de la Coupe.
Ce fut une grande idée des conseillers de George V qui, même en ce temps là, cherchaient un
moyen de faire paraître la Famille Royale moins éloignée du peuple. Et quand ils découvrirent
que ce jeu était en passe de devenir une spécialité de toute la région du Nord-ouest, ils
revinrent avec un coup encore plus fumant : le Roi porterait à la boutonnière la rose rouge du
Lancashire.
Quand ils s’installèrent sur leurs sièges dans le Pavillon Royal, une foule officiellement
estimée à 72'778 spectateurs s’amassait dans les tribunes pour voir Liverpool affronter
Burnley. Mais comme des photographes prirent des photos de supporters perchés sur des
poteaux télégraphiques et grimpant dans les arbres des alentours, leurs journaux respectifs
estimèrent que non moins de 100'000 personnes suivirent la rencontre. Nous ne saurons
jamais la vérité pour la raison qu’aucun billet de match n’a été imprimé. Les autorités de
Crystal Palace considéraient que ce grand stade en forme de bol était bien assez grand pour
recevoir tous les supporters, quelque soi leur nombre.
Nous savons que des trains bondés commencèrent à arriver à Londres à 11 heures la nuit
précédant la rencontre. Dès cinq lignes de chemin de fer de l’époque qui desservaient le trafic
du rail, on enregistra les arrivées suivantes : Londres et Nord Ouest, 45 trains ; Grand Nord,
41 trains ; Grand Ouest, 40 trains ; Grand Centre, 25 trains ; Midland, 20 trains. La grande
majorité des fans arrivèrent dans les premières heures du matin, 15'000 de Burnley et enfin
20'000 de la Région de la Mersey. Selon un rapport de presse, les fans de Liverpool
décoraient leurs chariots de rosettes, écharpes, drapeaux et photos d’équipe. Certains
chantaient entre autres chansons « You Made Me Love You », une des chansons les plus
populaire de l’époque, durant le voyage. En dépit d’un nombre sans précédent de voyageurs,
la police des transports ne fit qu’une seule arrestation pour état d’ivresse.
Pendant que les supporters jouissaient de leur première excursion de masse, les joueurs se
préparaient pour leur première finale de Coupe d’Angleterre. Plus tôt dans la semaine, Tom
Watson emmena son équipe dans un hôtel près de Epping Forest, où il pouvait avoir l’œil sur
leur diète tout en préparant un programme d’entraînement spécial. Mais, malgré toute
l’attention portée à la préparation, il subit un coup du sort important le matin du match, quand
le capitaine Harry Lowe manqua un contrôle de santé. Watson désigna Donald McKinlay
pour le remplacement de Lowe et tendit le brassard de capitaine à Robert Ferguson.
DEUXIEME CHAPITRE 1902-1919 ONCLE TOM WATSON ET LES AUTRES
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Quand les joueurs de Liverpool arrivèrent dans une succession de taxis de Chingford, les rues
aux alentours de Crystal Palace étaient bondées. Hors du stade, des fans des deux équipes
portaient les couleurs de leur club favori avec des milliers de répliques miniatures du trophée
fixées sur les revers de leurs vestes. A l’intérieur, un tambour et cinq fanfares provenant du
régiment de Liverpool, le 1st Kings, divertissaient l’assemblée. Cinq minutes avant le coup
d’envoi, le roi en personne arriva. La fanfare entonna l’hymne national, le monarque serra la
main des deux capitaines et le match pu commencer. D’après bon nombre de récits, ce ne fut
pas classique. Typique d’une finale de Coupe, les nerfs à fleur de peau empêchaient les deux
équipes d’évoluer à leur meilleur niveau lors d’une première mi-temps où personne ne voulait
prendre le risque de provoquer une erreur. Une surface de jeu dure et inégale rendait les
contrôles difficiles et, à part une offensive de Burnley qui heurta la barre transversale, il n’y
eut que peu d’actions de but avant la pause. La deuxième mi-temps fut de meilleure facture,
mais c’était typiquement le genre de match serré lors duquel un seul but en déterminait
toujours l’issue. Quand celui-ci arriva, à la 58ème minute, ce fut les fans de Burnley qui eurent
toutes les raisons de pavoiser sur une reprise de volée de Bert Freeman qui ne laissa aucune
chance au gardien de Liverpool Kenny Campbell.
Le score demeura à 1-0 au coup de sifflet final. Les espoirs de Liverpool de soulever
l’insaisissable trophée avaient pris fin. Mais ils tinrent bien leur rôle lors de cette finale
historique, la première à être suivie par la royauté et la dernière à être disputée à Crystal
Palace. Les fans furent déçus mais reconnaissants du sensationnel parcours, le plus long que
l’équipe ait fournit en Coupe jusqu’alors, pour atteindre ce jour mémorable. Quand les trains
des joueurs les ramenèrent à la maison, des milliers de personnes les attendaient pour les en
remercier.
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