san francisco, baie gourmande.

Transcription

san francisco, baie gourmande.
Munis des délices trouvés
au Farmers Market,
à l’Embarcadero, les
promeneurs peuvent
déjeuner en profitant de
la vue sur Bay Bridge (à
g.). Parmi les nouveaux
lieux de gastronomie à
ne pas manquer : l’Atelier
Crenn de la Française
Dominique Crenn (au
centre) propose une
cuisine « poétique » (ci-dessus, « Océan »,
un ormeau fumé).
Au Foreign Cinema,
on dîne dehors dans
un décor « Chic
industriel ».
san francisco,
baie gourmande.
Les étoiles pleuvent sur les restaurants de la métropole
californienne, qui rivalise désormais avec New York
en matière de gastronomie. De quoi ravir les foodies,
prêts à débourser des fortunes pour en profiter. Par Corine Lesnes
En cuisine, on ne l’appelle que « chef Crenn ».
Dominique Crenn, 51 ans, est la première femme
à avoir raflé deux étoiles Michelin aux Etats-Unis.
A quelques heures de l’ouverture, elle s’engouffre
dans son restaurant des hauteurs de la Marina, à
San Francisco, où le staff est déjà aux fourneaux.
Chef Crenn est vêtue d’un jean qui lui tombe sur
les hanches, d’un blouson de toile, d’une chemise bleue à imprimé cachemire conclue par un
foulard à damiers. Aux pieds, l’une de ses vingt
paires d’Adidas. Un look de Versaillaise (comme
114 Dossier tourisme — Photos Damien Maloney pour M Le magazine du Monde
ses origines) encanaillée sur la Côte ouest.
Artiste jusqu’au tablier. ­Dominique Crenn revient
tout juste de New York, où elle a reçu la distinction de « meilleur chef féminin du monde »,
décernée le 27 avril par l’académie qui établit
chaque année un palmarès des 50 meilleurs restaurants de la planète. « Quoi ? Vous ne savez pas
que j’ai eu le Best Female Award ? », s’étranglet-elle. C’est bon pour cette fois, mais tenez-vous
le pour dit : Dominique a aussi été sélectionnée
pour la série documentaire de Netflix « Chef’s
Table » (A la table du chef), qui sera diffusée
à partir du 27 mai aux Etats-Unis. La caméra
l’a suivie ­« ­pendant un mois » jusque dans la baie
de Quimper, le pays de sa grand-mère.
La Française a ouvert son Atelier Crenn
en 2011 à San Francisco, une ville qui lui rappelle
la Bretagne, avec ses baies, ses brumes, ses
crabes et sa palette de bleus. Elle y a inventé la
« cuisine poétique ». Le client réserve (298 dollars
par personne) sans rien savoir des plats sinon
que le contenu aura tout l’air d’une œuvre d’art.
« On ne suit pas les recettes. On construit nos
propres goûts dans l’assiette », énonce-t-elle.
Le décor est minimaliste, la carte inspirée par ses
poèmes : « Marche dans la forêt », « Naissance », ou
« Océan » : « Un ormeau fumé sur un gril japonais,
servi avec une sauce à l’ail du printemps,
enveloppé d’algues de la baie, accompagné
de lard frit », décline-t-elle.La poétesse fait partie
– avec Corey Lee, du restaurant Benu, trois étoiles
Michelin – de la nouvelle génération de chefs en
train de transformer San Francisco en capitale de
la gastronomie mondialisée. Pendant des décennies, la ville a vécu sur la lancée du mouvement
« farm to table » d’Alice Waters, la pionnière de l’alimentation bio, fondatrice du restaurant Chez Panisse en 1971 à Berkeley. « L’idée, c’était de ne pas
cacher le légume, raconte Dominique Crenn. Le
produit dans l’assiette, c’était un truc magnifique.
Si on mangeait une tomate, c’était vraiment une
tomate. On ne misait pas tout sur la technique, les
sauces, comme en France. » C’était une révolution :
la « cuisine californienne » était née. Des fruits et
légumes dans leur plus simple appareil. Trente ans
plus tard, le jeune cuisinier Daniel Patterson a publié un article retentissant dans le New York Times
en 2005 : « Nous aimons tous Chez Panisse. Peutêtre un peu trop. » Pour lui, la révérence accordée
à la papesse de la slow food aboutissait à une
tyrannie culinaire qui étouffait la créativité.
Dans la foulée, les nouveaux talents, qui, pour
beaucoup, avaient fait leurs classes chez Panisse,
se sont émancipés. Et ils ont façonné ce qui est
aujourd’hui une ville de foodies – de fins gour-
mets. San Francisco compte plus de 3 500 restaurants, soit un nombre par habitant plus élevé
que dans toute autre ville aux Etats-Unis. Dans la
baie, on se flatte d’avoir cinq établissements trois
étoiles inscrits au célèbre guide rouge (en comptant le French Laundry de la Napa Valley), et
sept à deux macarons. A quoi s’ajoutent le plus
vieux restaurant italien des Etats-Unis (Fior
­d’Italia, ouvert en 1886) et nombre d’autres
spécialités, comme le pain au levain (sourdough)
et le fortune cookie, qui est né dans le Chinatown
de ­­San Francisco et non à Pékin.
La cité californienne est en train de rattraper
New York (qui ne compte qu’un trois-étoiles
de plus et aucun nouveau lauréat depuis 2011).
Surtout, la démocratie règne. C’est toute la ville
qui se passionne pour le « bien-manger », « bien »
étant défini non par la taille des plats mais par
un goût sophistiqué et un appétit pour l’expérimentation proportionnel à celui de la Silicon
Valley. Entre voisins on échange des adresses : le
glacier aux parfums mirobolants (miel de lavande,
hibiscus, gelée de litchi), la dernière invention de
la cuisine « fusion » – le « Sushirrito » (un burrito
mexicain dans un sushi) ou le « cruffin » (né du
croisement entre le croissant et le muffin)… « Dans
les dîners, on se croirait à un concert, raconte
Bryan, 31 ans, un jeune avocat arrivé récemment
de ­Philadelphie. On commente les plats comme
des solos de ­guitare ou le dernier Beyoncé. »
Le décor se doit d’être sans prétention (au
contraire de l’addition). Façon cantine de quartier ou, mieux, dans un hangar sous un échangeur
routier, au point que les tentes des sans-abri
­finissent par se fondre dans le paysage techie. Un
style baptisé « chic industriel » comme au ­Foreign
Cinema, où l’on dîne dehors, sous un écran de
cinéma. Minimalisme aussi dans les assiettes.
Les foodies n’aiment rien tant qu’un lunch fait de
trois salades ascétiques – arugula, mozzarelle,
carpaccio – à la Montesacro Pinseria, à MidMarket. « Les gens se ruent sur tout ce qui a l’air à
l’avant-garde », constate Joe Wolf, le propriétaire
de Marla Bakery, un restaurant de quartier qui •••
115
Carnet
Au Farmers Market, près de
l’Embarcadero, les « foodies » sont prêts à
payer le prix pour déguster gourmandises
et des produits de qualité.
pratique
Y MANGER
Atelier Crenn,
Pour l’expérience de poésie culinaire.
3127 Fillmore St,
Tél. : (415) 440-0460
www.ateliercrenn.com
••• sert un cocktail à base d’axta blanc (sherry)
et de vermouth, appelé le « séparatiste basque ».
Au point d’attendre patiemment leur tour devant
une nouvelle crêperie ou une obscure échoppe
birmane. « C’est la seule ville où les gens aiment
faire la queue pour manger », poursuit-il.
La culture foodie s’explique apparemment
par la géographie. L’abondance des produits.
« Nous avons tout dans un rayon de soixantedix kilomètres », fait remarquer le chef David
Groff. Les fruits de mer, les vaches laitières, les
vignes, les légumes… « Et c’est une métropole
qui a des tonnes d’argent », note-t-il. Dominique
Crenn, elle, loue l’esprit d’innovation : « C’est
une cité intellectuelle, qui adore la diversité. La
première à avoir apprécié la liberté d’expression
du chef. » Les idées que les gens ont ici, « c’est
incroyable », s’extasie-t-elle. Exemple : le State
Bird Provisions. Les mets sont servis en petites
portions (vendues cinq dollars) sur des chariots,
façon restaurant chinois. Le lieu revendique de
n’avoir « aucun élément programmé », le client
compose son plat lui-même.
Le samedi matin, c’est fête sur l’Embarcadero.
Plusieurs milliers de personnes viennent chaque
semaine au Farmers’ Market, créé dès 1993 par
le Cuesa (Centre pour l’éducation urbaine sur
l’agriculture durable). L’association organise des
démonstrations de recettes. Ce 30 avril, une
quarantaine de personnes sont assises sous un
auvent pour suivre chacun des gestes de David
Groff, qui propose son houmous de printemps.
Rien de standard : il a raffiné la leçon d’un houmous vert (aux petits pois) et carmin (à base de
betterave). « Au goût, c’est comme une promenade au jardin », vante-t-il. David Groff enseigne
dans une nouvelle école culinaire, la San Francisco
Cooking School. Fondée il y a à peine trois ans
avec le soutien du chef activiste Daniel Patterson,
elle peine à répondre à la demande. « Les gens
sont fanatiques, assure-t-il. Et il faut que tout soit
artistique. » Non seulement les foodies dégustent,
mais ils entendent poster leur plat sur Instagram.
Devant le stand de Craftsman and Wolves – le nom improbable est également un must
pour qui veut se lancer dans la gastronomie sanfranciscaine –, William Ge observe les consommateurs. Le jeune financier a investi dans cette
« pâtisserie contemporaine ». Pourquoi tant
de becs fins à San Francisco ? « Les gens sont
à la recherche de manières de dépenser leur
argent », s’esclaffe-t-il. Le « rebel within » (rebelle
de l’intérieur) de Craftsman and Wolves est
l’une des curiosités les plus commentées sur les
réseaux sociaux. Il faut dire que le chef William
Werner, un geek de la cuisine, a réussi à loger
un œuf, encore mollet, à l’intérieur d’un muffin.
Chez Hog Island, les huîtres – la folie du
moment – sont à trois dollars pièce. Rien n’est
trop cher pour les techies, ce qui fait bien les
affaires des restaurateurs et de leur marge bénéficiaire. « A déguster, l’une avec une goutte de
ketchup, l’autre avec une vinaigrette bourbon
miel », propose le vendeur. Alexandra Hudson,
27 ans, en tenue de yoga, est venue chercher
des cailles au stand de la ferme Devil’s Gulch.
Pour son chat, confie-t-elle. « Ça le fait planer. »
La jeune femme a créé une start-up qui produit
des chips de kale, le chou frisé sans lequel il
n’y a pas de techie heureux en sa salade. « C’est
l’air de San Francisco, assure-t-elle. La fermentation. Les gens élargissent leur esprit. » L’air,
donc. Le grand large. Pour se mettre au diapason, rien de tel qu’une limonade à la lavande
en regardant les mouettes disputer le pont
de l’East Bay aux voiliers.
•
Petit Crenn,
Le deuxième adresse de Dominique
Crenn. Plus abordable, très bretonne.
609 Hayes St,
Tél. : (415) 864-1744,
www.petitcrenn.com
Foreign cinema,
Un classique. Un peu surfait,
vu les prix élevés.
2534 Mission St,
Téléphone : (415) 648-7600,
foreigncinema.com
State Bird provisions,
Des mets servis en petites portions.
1529 Fillmore St,
Téléphone : (415) 795-1272,
statebirdsf.com
Marla Bakery,
Près d’Ocean Beach. Une cantine
qui se pique d’innovation.
3619 Balboa St,
Téléphone : (415) 742-4379,
www.mariabakery.com
Vive la Tarte,
L’un des innombrables cafés
où l’on a envie de s’arrêter
dans SOMA (South of market).
1164 Howard St,
Téléphone : (415) 634-5444,
vivelatarte.com
Farmers Market,
Les meilleurs chefs ­
et producteurs sont représentés.
Ouvert les mardis, jeudis et samedis,
Ferry Plaza (Embarcadero).
Montesacro Pinseria,
Pour un lunch à l’italienne.
510 STevenson St,
Téléphone : (415) 7953040,
www.montesacrosf.com
y aller
Spécialisé dans les voyages vers
l’Amérique du Nord, Vacances
fabuleuses propose un week-end
de 4 jours/3 nuits, à partir de
1 262 € par personne, avec vol au départ
de Paris et hébergement en chambre
double à l’hôtel The Buchanan.
www.vacancesfabuleuses.fr
116 Dossier tourisme — Photos Damien Maloney pour M Le magazine du Monde

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