Consulter le dossier de presse sur la situation à la prison de Faa`a

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Consulter le dossier de presse sur la situation à la prison de Faa`a
observatoire international des prisons
section Française
centre pénitentiaire de
faa'a nuutania :
Conditions de détention indignes dans
la prison la plus surpeuplée de france
Dossier de presse
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observatoire international des prisons
Sommaire
Introduction
3
1. Une surpopulation dramatique
5
2. Des infrastructures délabrées
8
3. Des sanitaires sans intimité
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4. Santé : une prise en charge
16
et insalubres
défaillante
5. Une promiscuité facteur
18
de violences
6. Un temps carcéral vide
20
7. La réinsertion : un parcours
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8. Les condamnations en justice
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du combattant
2
(c) OIP-SF 2016. Toutes photos (c) CGLPL, sauf mention contraire.
dossier de presse
conditions de détention indignes à la prison de faa'a nuutania
Introduction
Construit en 1970 sur l’île de Tahiti, en Polynésie française, le centre pénitentiaire est situé dans un fond de
vallée, au lieu-dit Nuutania, à 1,6 km de la commune de Faa’a. D’une capacité d’accueil de 165 places, il se
compose de trois structures :
- un établissement pour hommes, d’une capacité de 119 places réparties
entre un quartier « maison d’arrêt » (MA), un secteur mineurs et un quartier « centre de détention » (CD) ;
- un établissement pour femmes d’une capacité de quatorze places ;
- un centre pour peines aménagées d’une capacité de 32 places.
L’inhumanité des conditions de détention de la prison polynésienne est connue depuis des années pour
avoir été régulièrement dénoncée par la section française de l’Observatoire international des prisons (OIP),
les médias locaux et nationaux ainsi que par divers rapports officiels.
Evoquant « la situation urgente et intolérable du centre pénitentiaire de Faa’a-Nuutania », un rapport
d’information parlementaire expliquait en 2008 que « les conditions de détention observées sur place sont
indignes de notre pays et méconnaissent les droits fondamentaux. Les détenus vivent pour la plupart à
quatre dans dix mètres carrés et n’ont accès qu’à très peu d’activités en raison du manque d’équipements et de
place. La très forte surpopulation entretient des risques permanents de tensions, qui font de cet établissement
une poudrière »1.
A la suite d’une visite de l’établissement en 2012, le Contrôleur général des lieux privatifs de liberté (CGLPL)
dénonçait à son tour dans un rapport paru en 2015 « des conditions d’hébergement inacceptables »2 et
une « suroccupation intolérable ». Il indiquait notamment que « dans certaines cellules, la surpopulation
exceptionnelle réduit l’espace disponible à 2,59 m² par personne – sans déduire la surface du mobilier – soit
un confinement insupportable, assimilé par la CEDH à un traitement inhumain et dégradant ». Il notait
également que « le centre pénitentiaire vieillit d’autant plus mal qu’il n’est pas conçu pour accueillir une
population carcérale aussi nombreuse ».
Au mois de juillet 2015, après une visite de l’établissement, le président de la Commission des lois de
l’assemblée nationale d’alors, Jean-Jacques Urvoas, s’alarmait encore de la situation du centre pénitentiaire,
pointant des « locaux extrêmement dégradés »3 et une sur-occupation « sans égale » qui le place en tête des
prisons françaises les plus surpeuplées.
Comme le relèvent tous les observateurs, cette surpopulation alliée à la vétusté et à l’inadaptation des locaux,
ainsi qu’à leur localisation dans une vallée humide, génèrent des conditions de détention absolument
effroyables. Ces dernières ont d’ailleurs ont été jugées contraires à l’article 3 de la CEDH, qui interdit les
traitements inhumains ou dégradants, par les juridictions administratives dans le cadre de procédures
indemnitaires qui se sont multipliées ces dernières années.
COINTAT C., FRIMAT B. (2008), Rapport d’information, Commission des lois n° 130, p. 68.
CGLPL (2015), Visite du Centre pénitentiaire de Nuutania à Faa’a (Polynésie Française) du 3 au 7 décembre 2012, p. 110.
3
Commission des lois (2015), Rapport d’information sur la Polynésie Française, p. 41.
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observatoire international des prisons
Alors que l’administration pénitentiaire refusait de communiquer à l’OIP les rapports d’activités récents
du centre pénitentiaire de Nuutania, l’OIP a multiplié ces dernières années l’envoi de questionnaires aux
personnes détenues afin de disposer d’informations actualisées sur la situation de cet établissement.
Il ressort de l’analyse des réponses apportées à ces questionnaires que l’immense majorité des constats
effectués ces dernières années par les organes de contrôles, missions parlementaires ou groupes de travail
précédemment cités demeurent d’actualité.
Ainsi, il apparait que les personnes détenues au centre pénitentiaire de Nuutania vivent toujours
entassées à 3 ou 4 dans des cellules de 9 m² qui ne disposent pas d’eau potable ni d’eau chaude, dont les
sanitaires ne sont pas entièrement cloisonnés et dont les murs sont sales et couverts de moisissures.
En raison de la surpopulation, la séparation entre détenus fumeurs et non-fumeurs, entre prévenus et
condamnés voire même entre mineurs et majeurs n’est pas toujours garantie.
Il règne souvent dans les locaux, qu’il s’agisse des cellules ou des parties communes, une odeur
nauséabonde en raison notamment du sous-dimensionnement de la station d’épuration et la prison est
également confrontée à la prolifération des animaux nuisibles (rats, souris, insectes). L’accès aux soins est
particulièrement défaillant, compte tenu de l’inadaptation des locaux de l’unité sanitaire et du manque de
médecins. Enfin l’offre d’activités est faible et inadaptée, soumettant les détenus à l’oisiveté forcée, alors que
l’effectif des conseillers d’insertion et de probation, chargés d’accompagner ces derniers dans la préparation
de leur sortie et de leur réinsertion, demeure très insuffisant.
Pour remédier à la situation dramatique de la prison polynésienne, les pouvoirs publics avancent la
construction en cours d’un nouveau centre de détention, dont les portes n’ouvriront cependant pas avant la
fin de l’année 2017 et qui ne permettra de toute façon pas d’enrayer le fléau de la surpopulation de la maison
d’arrêt de Nuutania. Ils invoquent également une restructuration du centre pénitentiaire de Nuutania sans
qu’aucun budget ne soit cependant été affecté officiellement à cette opération. Surtout, aucune mesure
d’envergure ou moyens supplémentaires n’ont été annoncé pour développer les aménagements de peines
et alternatives à la détention.
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dossier de presse
conditions de détention indignes à la prison de faa'a nuutania
Partie 1 /
une surpopulation dramatique
Le centre pénitentiaire de Faa’a Nuutania dispose d’une capacité d’accueil de 165 places : 54 au quartier maison
d’arrêt et 111 au quartier centre de détention. Pourtant, au 1er avril 2016, 411 personnes y étaient détenues : 159
au quartier maison d’arrêt et 252 au quartier centre de détention. Le taux d’occupation était donc de 294,4% dans
le premier quartier et de 227% dans le second. Avec un taux d’occupation global de 249,1% au 1er avril 2016,
l’établissement pénitentiaire est le plus surpeuplé de France4.
Or, la surpopulation qui affecte Nuutania à Faa’a est un véritable fléau structurel. En effet, les statistiques réalisées
par l’administration pénitentiaire démontrent que le taux d’occupation du centre pénitentiaire avoisine les 250%
depuis plusieurs années. Si une légère baisse apparaissait au premier trimestre de l’année 2016, elle est d’ores et déjà
contredite par la hausse du taux d’occupation au mois d’avril. Le graphique ci-après est une illustration saisissante de
la pérennité de la surpopulation au centre pénitentiaire de Faa’a Nuutania.
Taux de
surpopulation
(en %)
Limite de surpopulation (100% de taux d’occupation)
Evolution des chiffres de la surpopulation dans l’établissement au quartier maison d’arrêt (QMA) et au
quartier centre de détention (QCD).
Plus encore, ces chiffres inquiétants doivent être envisagés comme de simples minimas. En effet, dans son rapport
de visite, le CGLPL estimait que le nombre de places théoriques au sein de l’établissement était inférieur à celui
communiqué par l’administration pénitentiaire. A titre d’exemple, le taux d’occupation du quartier maison d’arrêt
était en réalité de 353,3%, et non 294,4%, au 1er avril 2016.
Cette surpopulation endémique conduit l’administration pénitentiaire à méconnaitre toutes les dispositions
légales et réglementaires relatives à l’encellulement des personnes détenues.
Ministère de la justice, Direction de l’administration pénitentiaire, Bureau des statistiques et des études, Statistique mensuelle des personnes écrouées et détenues
en France, Situation au 1er avril 2016, 2016, p. 29.
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s
Problématiques d’encellulement
Ainsi, les personnes incarcérées déplorent que le chef de détention ne puisse pas toujours séparer les primodélinquants des récidivistes ou les prévenus des condamnés.
De même, le centre pénitentiaire ne comporte pas de quartier dédié aux mineurs mais leur réserve un nombre
variable de cellules – de deux à six cellules individuelles – au sein du quartier maison d’arrêt des hommes5. Parfois
même, personnes majeures et mineures sont regroupées au sein de la même cellule. Ce dysfonctionnement a
d’ailleurs été récemment médiatisé lorsqu’il est apparu qu’un détenu mineur, partageant sa cellule avec des adultes
durant plusieurs mois de l’année 2012, avait participé au viol d’un de ses codétenus6. En 2014, le groupe de travail sur
les problématiques pénitentiaires en outre-mer estimait donc que devait être « rapidement envisagée la création de
quartiers mineurs et femmes conformes à la réglementation ». Il s’appuyait notamment sur un rapport de la Direction
des affaires criminelles et des grâces assurant que « la situation de surencombrement chronique de l’établissement
pénitentiaire et l’absence de quartier spécialement conçu pour l’incarcération des mineurs pose[nt] problème » .
Le CGLPL a aussi constaté que le surencombrement rendait impossible la séparation des détenus fumeurs et des
détenus non-fumeurs7. Par conséquent, certains détenus ne consommant pas de tabac doivent subir, jusqu’à 20
heures par jour, l’ambiance tabagique de leur cellule de 10 m² mal ventilée. Pourtant, la Cour européenne des droits
de l’homme a déjà sanctionné plusieurs Etats en raison du tabagisme passif imposé à des personnes détenues8.
En France, le juge administratif a, lui aussi, reconnu que l’Etat avait commis une faute en affectant une personne qui
ne fumait pas dans une cellule occupée par des fumeurs et l’a donc condamné à indemniser cette dernière pour le
préjudice qu’elle avait subi9.
s
Un manque d’espace vital suffocant
La Cour européenne des droits de l’homme estime, depuis 201210, que la surpopulation d’un établissement
pénitentiaire constitue, en elle-même, une violation de l’article 3 de la Convention européenne des droits de
l’homme lorsqu’elle implique que les personnes détenues disposent d’un espace de vie personnel trop restreint.
Dans plusieurs décisions, elle a jugé qu’il en était notamment ainsi lorsque cet espace était inférieur à 3 m².
Le 15 décembre 2015, le Comité européen pour la prévention de la torture et des traitements inhumains et
dégradants (CPT) a aussi posé des normes relatives à l’espace vital par détenu dans les établissements pénitentiaires.
Selon celles-ci, une personne détenue doit bénéficier – en plus de l’annexe sanitaire – d’un espace vital minimal de 6
m² en cellule individuelle et 4 m² en cellule collective11.
Or, au centre pénitentiaire de Faa’a Nuutania, ces minimas sont loin d’être respectés. En 2015, le rapport de la
Commission des lois présenté par Jean-Jacques Urvoas12 relayait d’ailleurs la dénonciation du CGLPL selon laquelle :
« l’espace moyen disponible par personne détenue varie de 2,69 m² pour les cellules de 10,48 m² hébergeant
quatre personnes, à 2,59 m² pour les cellules individuelles de 5,18 m² occupées par deux personnes. Cette moyenne
arithmétique est encore supérieure à la réalité dans la mesure où elle ne prend pas en compte la surface occupée par les lits,
la douche, les toilettes et le rare mobilier ». Le contrôleur en concluait que « dans certaines cellules, la surpopulation
exceptionnelle réduit l’espace disponible à 2,59 m² par personne – sans déduire la surface du mobilier – soit un
confinement insupportable, assimilé par la CEDH à un traitement inhumain et dégradant » .
CGLPL (2015), Visite du Centre pénitentiaire de Nuutania à Faa’a (Polynésie Française) du 3 au 7 décembre 2012, p. 29 ; Groupe de travail « problématiques
pénitentiaires en outre-mer » mars 2014 (2014), Rapport sur les problématiques pénitentiaires en outre-mer, p. 53 ; Commission des lois (2015), Rapport
d’information sur la Polynésie Française, p. 44.
6
http://la1ere.francetvinfo.fr/polynesie/tahiti/un-detenu-de-nuutania-veut-faire-condamner-l-etat-pour-faute-lourde-251693.html
7
CGLPL (2015), Visite du Centre pénitentiaire de Nuutania à Faa’a (Polynésie Française) du 3 au 7 décembre 2012, p. 25 et 27 à propos du bâtiment C et de la MA
des femmes.
8
CEDH, Ostrovar c. Moldavie, n° 35207/03, 13 septembre 2005 ; CEDH, Florea c. Roumanie, n° 37186/03, 14 septembre 2010 ; CEDH, Elefteriadis c. Roumanie, n°
38427/05, 25 janvier 2011.
9
TA Caen, n°1500035, 24 septembre 2015.
10
CEDH, Ananyev et autres c. Russie, n° 42525/07 60800/08, 10 janvier 2012.
11
Conseil de l’Europe, CPT (2015), Espace vital par détenu dans les établissements pénitentiaires : Normes du CPT, p. 1.
12
Commission des lois (2015), Rapport d’information sur la Polynésie Française, p. 41-42.
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conditions de détention indignes à la prison de faa'a nuutania
« Nous sommes trop dans une cellule, trop de tensions, de chaleurs humaines, de non
respect des détenus. La cellule n’est pas sécurisée, il n’y a pas d’interphone pour
prévenir les autorités en pleine bagarre. Odeurs nauséabondes des toilettes, de la
salle de bain, ronflement, pour trop petite cellule ».
Témoignage de M. U., personne détenue, recueilli par l’OIP
« Nous vivons comme des sardines dans cette porcherie, les uns sur les autres, ceci
pour vous dire mon envie, mon désespoir, que cela s’arrête un jour pour ceux qui
viendront après, que l’État prenne toutes ses dispositions pour réparer ses erreurs ».
Témoignage de M. T., personne détenue, recueilli par l’OIP
« Tout est fait aux yeux de tout le monde, les odeurs, les bruits qui vous empêchent
de dormir, les fuites d’eau, les disputes. Quand on a tous attrapé la diarrhée, c’est
très dur de se retenir et attendre la place ».
Témoignage de M. C., personne détenue, recueilli par l’OIP
Conscients de ce que leurs droits étaient bafoués, de nombreuses personnes détenues ont saisi le juge administratif
de recours indemnitaires. Ce dernier prenant en compte, parmi d’autres facteurs, l’espace disponible par individu a
très largement fait droit à leurs demandes. Il a alors retenu la responsabilité de l’Etat français pour la faute résultant
des conditions de détention imposées aux personnes détenues qui « n’ont pas permis d’assurer le respect de la dignité
inhérente à la personne humaine conformément aux stipulations de l’article 3 de la convention européenne de sauvegarde
des droits de l’homme et des libertés fondamentales »13.
Schéma d’une celulle réalisé par une personne détenue
Voir entre autres : TA Polynésie Française, ord., 11 juin 2013, n°1300168 ; TA Polynésie Française, ord., 10 septembre 2013, n°1300415 ; TA Polynésie Française,
ord., 4 septembre 2013, n°1300258 ; TA Polynésie Française, ord., 17 septembre 2013, n°1300469, TA Polynésie Française, ord., 25 novembre 2013, n°s 1300552,
1300553, 1300554, 1300555, 1300556, 130059.
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observatoire international des prisons
Partie 2 /
des infrastructures délabrées
et insalubres
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Des locaux vétustes
L’article D349 du code de procédure pénale prévoit que «l’incarcération doit être subie dans des conditions
satisfaisantes d’hygiène et de salubrité, tant en ce qui concerne l’aménagement et l’entretien des bâtiments, le
fonctionnement des services économiques et l’organisation du travail, que l’application des règles de propreté
individuelle et la pratique des exercices physiques.»
Or, Les personnes détenues déplorent la vétusté de leurs cellules, et plus largement, de la prison toute entière. Ils
relèvent, par exemple, que les murs sont humides, moisis et fissurés, que les fuites d’eau sont fréquentes et que les
installations électriques sont défectueuses.
« A mon arrivée, ma cellule était dans un état déplorable, même moi je n’aurais pas
mis mon chien dedans. ».
Témoignage de M. C., personne détenue, recueilli par l’OIP
« Humidité, saletés, moisissures, suie, fissures. Où nous sommes, dans le Bât. C107,
nous avons de l’eau de w.c. du haut – Bat. C207 – qui coule dans notre cellule. De
la pisse humaine qui coule sur nous. ».
Témoignage de M. T., personne détenue, recueilli par l’OIP
En 2015, Jean-Jacques Urvoas, encore député, exprimait aussi son inquiétude quant à la « vétusté des installations»,
relevant que « le personnel et les détenus font des efforts particulièrement remarquables pour entretenir au mieux
des cellules et des locaux extrêmement dégradés ». Un an auparavant, le groupe de travail sur les problématiques
pénitentiaires en outre-mer attestait déjà que l’établissement était « particulièrement vétuste » et « offr[ait] peu
d’espace extérieurs ni de salles d’activité ». Le CGLPL observait aussi, en 2012, que « la tripale vieillit mal, les façades
et l’enceinte sont recouvertes, par endroits, d’algues noires qui prolifèrent dans ce fond de vallée humide et donnent
à la construction un aspect dégradé. L’entretien parfois très soigneux des cellules par leurs occupants et des travaux
d’entretien masquent en partie cette vétusté ».
« De nombreuses personnes détenues se sont plaintes aux contrôleurs de la qualité de l’eau et ont
installé des morceaux de gaze sur le robinet de leur lavabo et sur leur douche afin de filtrer les
impuretés. Les contrôleurs ont effectivement pu constater la présence de résidus noirâtres retenus
par ces filtres improvisés. Selon les indications recueillies, le réseau d’eau, très vétuste, est
corrompu par l’oxydation. Il est par ailleurs noyé dans le béton, ce qui rend son remplacement
problématique ; les travaux auraient été interrompus depuis l’annonce de la construction d’un
nouveau centre pénitentiaire à Papeari. »
Rapport du CGLPL, p.34
Outre le bâti, c’est l’ameublement et le matériel même de la prison qui sont vétustes. Les prisonniers pointent plusieurs
difficultés : fenêtres des cellules qui ne fournissent ni suffisamment de lumière naturelle ni une aération suffisante,
ventilateurs en panne, draps tâchés, en mauvais état voir inadaptés aux matelas…
Le CGLPL le soulignait d’ailleurs dans son rapport de visite s’agissant tant du quartier maison d’arrêt des hommes « l’ameublement est sommaire et vétuste : une ou deux étagères avec des placards, une ou deux tables, trois à quatre
chaises en matière plastique » - que du quartier centre de détention des hommes – « les lits n’ont pas été repeints et
sont souvent en mauvais état ».
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dossier de presse
conditions de détention indignes à la prison de faa'a nuutania
« Des détenus se sont plaints auprès des contrôleurs de l’ancienneté et de la faible épaisseur de
certains matelas en mousse inadaptés à leur corpulence. Ils ont montré des supports de matelas
cassés et l’absence fréquente de barre de retenue sur les lits du haut, ainsi que d’échelle – en
particulier au bâtiment C.»
Rapport du CGLPL, p.21
Si des travaux d’entretien ont été engagés, ils ne semblent pas avoir d’effets pérennes. Le CGLPL relevait que malgré
les nouvelles couches de peinture qui recouvraient certains murs de la prison, la vétusté restait apparente. Là encore,
ces constatations s’accordent avec les témoignages des personnes détenues au sein de l’établissement pénitentiaire :
« Il y a des travaux de réfection et réparation qui ont été entrepris dans notre
cellule. Je n’ai constaté aucune nette différence après ces travaux qui ne sont pas
durables. »
Témoignage de M. H., personne détenue, recueilli par l’OIP
« La fuite des toilettes n’a pas encore été réparée, je n’ai constaté aucune
différence après les travaux. Non il n’y a pas d’effet durable, comme la peinture.
»
Témoignage de M. P., personne détenue, recueilli par l’OIP
« A part de nouveaux carreaux et une nouvelle peinture qui ne tient pas, la prison de
Nuutania reste une vraie poubelle.
»
Témoignage de M. B., personne détenue, recueilli par l’OIP
Photos prises en cellule (c) CGLPL
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observatoire international des prisons
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Saleté et insalubrité dans l’établissement
Les articles D350 et D351 du code de procédure pénale prévoient notamment que « les locaux de détention et,
en particulier, ceux qui sont destinés au logement, doivent répondre aux exigences de l’hygiène, compte tenu
du climat, notamment en ce qui concerne le cubage d’air, l’éclairage, le chauffage et l’aération » et que « Les
installations sanitaires doivent être propres et décentes. »
Or, les personnes détenues dénoncent l’omniprésence de la saleté au sein des espaces du centre pénitentiaire : cours
de promenade, couloirs, ateliers de travail, salles de sport, bibliothèque et parloirs sont effectivement mal entretenus.
Dans son rapport, le CGLPL pointait tout particulièrement la
prolifération des moisissures noires dans les douches résultant
de l’humidité. Elle était constatée tant dans le quartier maison
d’arrêt des hommes, que dans le bâtiment C et le secteur mineurs.
Ce problème faisait donc l’objet d’une observation particulière:
« La dégradation du revêtement des douches (…) favorise le
surdéveloppement d’une moisissure qui les rend malsaines, voire
préjudiciables à la santé de leurs utilisateurs ».
« Malgré les efforts visibles déployés par la
direction pour entretenir régulièrement les bâtiments,
le centre pénitentiaire vieillit d’autant plus mal
qu’il n’est pas conçu pour accueillir une population
carcérale aussi nombreuse. L’insalubrité des cabines
de douches qui sont, pour la plupart, envahies par
les moisissures, ainsi que la mauvaise qualité de
l’eau due à l’oxydation des canalisations participent
également à l’indignité des conditions de vie. »
Rapport du CGLPL, p.111
Une douche de la prison de Nuutania
photo (c) CGLPL
« La cour n’est équipée d’aucun siège. Elle dispose
de deux toilettes, l’une à la turque, l’autre étant
un simple orifice dans le sol sans dalle de céramique,
aucune des deux n’étant close ; lors de la visite,
elles étaient dans un état de saleté repoussant. »
A propos de la cour du quartier disciplinaire des
hommes, Rapport du CGLPL p. 55
Résultat de l’insalubrité permanente, les insectes et les rongeurs prolifèrent au sein de l’établissement. Les prisonniers
témoignent de ce que leurs cellules sont infestées de cafards, de fourmis et de cent-pieds. Les couloirs et les cours
de promenade grouillent de rats et sont, par conséquent, jonchés d’urine, d’excréments et de cadavres. L’odeur
nauséabonde qui se dégage de ces restes leur est insupportable.
« Oulala !!! Notre cour de promenade du Bat. C doit être la plus dangereuse de toutes
les prisons françaises avec des bouts de métal qui dépassent, des trous que les rats
ont fait pour leur habitat et un caniveau à éviter quand on joue au football »
Témoignage de M. B., personne détenue, recueilli par l’OIP
En 2012, le CGLPL expliquait déjà dans son rapport que des cafards étaient présents à l’intérieur des cellules et des
rats à l’extérieur de celles-ci. Plus encore, il relatait que « des personnes détenues [avaient] affirmé avoir trouvé des
cafards dans la nourriture » tout en attestant de leur présence dans les cuisines.
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dossier de presse
conditions de détention indignes à la prison de faa'a nuutania
« Nous avons des rats gros comme des castors dans les couloirs. Dans la cellule :
fourmis, cafards, puces de pigeons provenant du parapet de la fenêtre. »
Témoignage de M. T., personne détenue, recueilli par l’OIP
Or, l’administration pénitentiaire ne parvient pas à assainir l’établissement. En effet, les campagnes de désinsectisation
et de dératisation régulières qu’elle mène sont sans effet sur la prolifération des insectes et des rongeurs au sein des
espaces de vie.
« Nous n’avons aucun moyen pour lutter contre ces nuisibles car c’est interdit.
L’administration pénitentiaire fait des campagnes ponctuelles tous les six mois, ce
qui à mon sens est largement insuffisant. »
Témoignage de M. T., personne détenue, recueilli par l’OIP
Par ailleurs, les détenus ne peuvent ni conserver ni cuisiner les denrées alimentaires qu’ils cantinent car réfrigérateurs
et réchauds ne sont pas offerts à l’achat. Dès lors, ils stockent les produits laitiers et la viande dans de simples
armoires et fabriquent des réchauds artisanaux à l’aide de boites de conserve, de papier toilette et d’huile de monoï.
Cette situation est d’autant plus problématique que les détenus considèrent que les repas servis par l’administration
pénitentiaire, de mauvaise qualité, ne répondent pas à leurs besoins nutritionnels. Ils délaissent donc fréquemment
une nourriture «écœurante» et «infecte» dans laquelle ils retrouvent parfois des «cheveux» et des «ongles cassés»,
sans pour autant avoir les moyens de cantiner ou cuisiner eux-mêmes
« Il n’est pas autorisé de posséder un frigo en cellule. On stocke la nourriture en
espérant que ça ne tourne pas mais le plus souvent c’est une bonne diarrhée. »
Témoignage de M. T., personne détenue, recueilli par l’OIP
« C’est justement ce qu’il nous faut dans les cellules, avec la chaleur et pas assez
de moyens pour nous aérer nous avons besoin de boire de l’eau glacée et de manger des
produits frais. »
Témoignage de M. B., personne détenue, recueilli par l’OIP
Enfin, les produits d’entretien tant de la cellule que des affaires personnelles ne sont pas non plus octroyés aux détenus
en quantité suffisante. Beaucoup d’entre eux disent ne recevoir qu’un seau et une balayette pour les espaces et une
brosse pour les vêtements. Or, les produits ménagers sont chers en détention. En outre, il semble particulièrement
difficile de nettoyer la cellule dès lors que les détenus ne disposent pas de poubelle. En effet, ils jettent leurs déchets
dans des plastiques distribués par l’administration pénitentiaire qu’ils doivent parfois entreposer dans leur douche en
raison du manque d’espace. L’un des détenus témoigne, en effet, que « les douches puent car servent de stockage des
poubelles ».
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Manque de lumière et d’aération
Le premier alinéa de l’article D351 du code de procédure pénale dispose que « dans tout local où les détenus
séjournent, les fenêtres doivent être suffisamment grandes pour que ceux-ci puissent lire et travailler à la lumière
naturelle. L’agencement de ces fenêtres doit permettre l’entrée d’air frais. La lumière artificielle doit être suffisante
pour permettre aux détenus de lire ou de travailler sans altérer leur vue ».
Or, le manque de lumière tant naturelle qu’artificielle est dénoncé par la quasi-totalité des personnes détenues. Selon
elles, les ouvertures au sein des cellules ne laissent pas suffisamment filtrer la lumière extérieure. Elles doivent donc
allumer la lumière électrique pour pouvoir se livrer à des activités telles que la lecture ou l’écriture. Parfois, même la
lumière artificielle ne suffit pas ! Alors, les prisonniers n’ont d’autre choix que d’assister impuissants à la baisse de leur
vue, laquelle s’accompagne souvent de maux de tête. Cela est d’autant plus dommageable qu’aucun ophtalmologue
n’intervient au sein du centre pénitentiaire de Faa’a Nuutania.
« Depuis que je suis arrivé, j’ai dû recourir à des verres correcteurs car ma vue
a baissé. C’est aux environs de midi que je peux lire avec la lumière naturelle à
condition d’avoir le beau temps. Autrement, je dois nécessairement allumer la faible
ampoule dont nous disposons pour nous éclairer. »
Témoignage de M. T., personne détenue, recueilli par l’OIP
« Non ! Sans allumer la lumière on ne peut pas lire. Quand je suis arrivé 10/10.
Maintenant, je pense que j’ai besoin de lunettes. Au bout de 15 à 20 minutes de
lecture, la vision devient floue. »
Témoignage de M. T., personne détenue, recueilli par l’OIP
Les ouvertures des cellules ne fournissent pas une aération plus satisfaisante. En effet, si l’établissement a été construit
selon un schéma favorisant la circulation de l’air, le CGLPL a constaté lors de sa visite que les températures grimpaient
jusqu’à 31 °C dans les cellules de la maison d’arrêt des hommes. Ces conditions extrêmes l’ont conduit à formuler une
recommandation à minima : doter chaque cellule d’un ventilateur.
La Garde des Sceaux s’est contentée de répondre à cette recommandation que « le projet de restructuration et
d’extension permettra d’adapter le bâtiment aux spécificités du climat polynésien (…) avec la mise en place de portes
tropicalisées, une orientation des bâtiments adaptée à la circulation des alizés et le choix des matériaux de construction»14.
Cette réponse illustre le refus gouvernemental d’améliorer les conditions de détention à court terme. Elle occulte,
en outre, le fait que le centre pénitentiaire de Faa’a Nuutania continuera d’accueillir des personnes détenues après
l’ouverture de l’établissement de Papeari.
« La fenêtre se trouve à 1,60 mètre du sol. Nuutania a été construit dans une cuvette,
il n’y a aucune circulation d’air les jours chauds, même la respiration c’est difficile
parce que le toit se réchauffe et la cellule devient un sauna »
Témoignage de M. T., personne détenue, recueilli par l’OIP
« Les murs sont plus hauts que la cellule. Il n’y a aucune circulation d’air. Parfois,
on a l’impression de suffoquer. »
Témoignage de M. T., personne détenue, recueilli par l’OIP
14
Christiane Taubira, Observations sur le rapport de visite du Centre pénitentiaire de Nuutania à Faa’a, Ministère de la Justice, p. 3.
12
dossier de presse
conditions de détention indignes à la prison de faa'a nuutania
Enfin, le manque d’aération conduit nécessairement à l’accumulation des odeurs au sein des cellules : humidité,
excréments, fosse septique, cigarette, fumée de réchauds artisanaux, nourriture, rats morts… Celles-ci sont une
source importante d’angoisse pour les détenus qui les qualifient souvent d’« insupportables ». Déjà en 2012, le CGLPL
remarquait tout particulièrement que la station de traitement des eaux usées délivrait une odeur nauséabonde sur le
site de la prison.
« C’est quand même frustrant pour moi, là encore, je vous écris, ça sent la merde
d’excréments humains, je ne sais plus quoi faire, à qui ou vers où je dois me tourner,
à l’aide ! S’il vous plaît. »
Témoignage de M. T., personne détenue, recueilli par l’OIP
« Je tiens à ce que vous sachiez que ce n’est pas seulement que nous vivons dans un
trou à rat, mais lorsque la station d’épuration tombe en panne, lorsque les rats sont
morts après distribution des produits de dératisation, ou bien les oiseaux morts, le
caniveau d’évacuation qui se trouve à côté de notre cellule, nous sommes obligés de
supporter ces mauvaises odeurs à longueur de journée et de la nuit et cela pendant
plusieurs jours. Ce sont des conditions nauséabondes, nuisibles que nous sommes en
train de supporter.
»
Témoignage de M. E., personne détenue, recueilli par l’OIP
« Aucune séparation, aucune aération spécifique [pour les toilettes], on filtre les
odeurs avec les poumons. »
Témoignage de M. T., personne détenue, recueilli par l’OIP
Une cellule du quartier femmes occupée par deux détenues
13
observatoire international des prisons
Partie 3 /
des sanitaires sans intimité
Le 15 décembre 2015, le Comité européen pour la prévention de la torture et des traitements inhumains et
dégradants (CPT) a posé des normes relatives à l’espace vital par détenu dans les établissements pénitentiaires.
Selon celles-ci, une personne détenue dans une cellule collective doit bénéficier d’une annexe sanitaire
entièrement cloisonnée.
Le même jour, la Cour européenne des droits de l’homme a jugé que l’article 8 de la Convention européenne des
droits de l’homme mettait à la charge des Etats l’obligation « de fournir un accès à des installations sanitaires qui
soient séparées du reste de la cellule d’une façon qui assure un minimum d’intimité pour les détenus ».
Ces normes ne sont absolument pas respectées au centre pénitentiaire de Faa’a Nuutania. Si les cellules sont
généralement occupées par deux ou quatre individus, elles ne comprennent pourtant aucune annexe sanitaire
séparée du reste de l’espace de vie. Les personnes détenues - totalement privées d’intimité - sont donc contraintes
d’utiliser les toilettes au vu et au su des autres codétenus, eux-mêmes alors victimes des bruits et des odeurs
nauséabondes15.
« Lorsque quelqu’un va aux toilettes, tout le monde dans la cellule profite de ses
odeurs et de ses bruits.
»
Témoignage de M. T., personne détenue, recueilli par l’OIP
« C’est horrible, surtout quand c’est la fermeture, on subit alors les odeurs
nauséabondes. »
Témoignage de M. I., personne détenue, recueilli par l’OIP
«Le plus gênant c’est lorsque cela arrive au moment de manger, cela retarde le repas,
on attend qu’il ait terminé pour manger. »
Témoignage de M. T., personne détenue, recueilli par l’OIP
Pour tenter d’échapper tant bien que mal à cette situation indigne, les détenus usent de leurs paréos comme de
cloisons de séparation. Le CGLPL le déplorait d’ailleurs dans son rapport de visite : « Les cellules comportent toutes des
toilettes et des douches non isolées du reste de la cellule hormis par les paréos de couleur suspendus tant bien que mal par
les personnes détenues aux tringles en fer fixées aux plafonds ».
Outre l’intimité, c’est tout simplement une règle élémentaire d’hygiène qui est bafouée par l’absence de cloisonnement.
En effet, les sanitaires se situent généralement à moins d’un mètre cinquante du lieu de préparation et de
consommation des aliments, si bien que certains détenus vont jusqu’à utiliser les toilettes comme « deuxième
chaise pour s’asseoir à l’heure des repas ».
Enfin, l’insalubrité des installations sanitaires est particulièrement signalée par les détenus qui confortent en cela le
constat opéré par le CGLPL : la plomberie est défectueuse, la station de traitement des eaux usées est trop vieille, les
douches sont couvertes de moisissures et l’eau est sale.
« la station de traitement des eaux usées n’est plus adaptée. Un premier bac de décantation était
en réfection au moment de la visite des contrôleurs et une forte odeur régnait à l’entrée de la
prison. Ici encore, les travaux de rénovation de cette station sont arrêtés lors de la présence
des contrôleurs. »
Rapport du CGLPL, p.34
15
Conseil de l’Europe, CPT (2015), Espace vital par détenu dans les établissements pénitentiaires : Normes du CPT, p. 1.
14
dossier de presse
conditions de détention indignes à la prison de faa'a nuutania
En réponse au rapport de visite du CGLPL, la Garde des Sceaux soutenait que les douches avaient été carrelées et
que « des travaux d’envergure [avaient] été réalisés pour lutter, non seulement contre les fuites, mais également pour
améliorer la qualité de l’eau ». Toutefois, les questionnaires reçus par l’OIP démontrent que les problèmes dénoncés
persistent.
« L’eau du robinet n’est pas potable mais on est obligé de boire pour vivre et, en
plus de ça, il faut la filtrer avec un tissu ou bien avec une compresse. Comme j’ai pas
les moyens de cantiner des bouteilles d’eau. »
Témoignage de M. T., personne détenue, recueilli par l’OIP
« L’eau disponible n’est pas bonne, nous trouvons des débris de vieille tuyauterie et
les compresses qu’ils nous ont fournis pour filtrer l’eau sont imbibées d’un produit
qui donne un mauvais goût à l’eau. Ils ont arrêté de nous en donner. »
Témoignage de M. T., personne détenue, recueilli par l’OIP
15
observatoire international des prisons
Partie 4 /
santé : une prise en charge
défaillante
Le deuxième alinéa de l’article 46 de la loi pénitentiaire de 2009 prévoit que « la qualité et la continuité des soins
sont garanties aux personnes détenues dans des conditions équivalentes à celles dont bénéficie l’ensemble de la
population ».
Cette disposition n’est évidemment pas respectée au sein du centre pénitentiaire de Faa’a Nuutania. Les locaux
dévolus aux soins sont, tout d’abord, totalement inadaptés à l’importance de la population pénale. Les espaces de
l’unité sanitaire ne représentent que quelques 50 m², soit le huitième de la superficie des locaux du centre pénitentiaire
de Saint-Denis de la Réunion qui a pourtant une population pénale avoisinante16.
Ils sont également inappropriés aux exigences particulières de la pratique médicale. Ainsi, les psychologues sont-ils
largement freinés dans leur travail : leurs bureaux ne disposent pas d’ordinateur accédant à Internet tandis que les
bureaux d’audition dans lesquels ils reçoivent leurs patients n’ont pas d’ordinateur du tout. De même, l’infirmerie du
centre pour peines aménagées trône au cœur d’un bureau d’audition utilisé, par ailleurs, par les aumôniers, les SPIP,
les avocats… Elle n’est équipée d’aucun équipement médical.
Enfin, les espaces n’offrent pas les garanties nécessaires au respect du secret médical. Selon le rapport du CGLPL, «
les contrôleurs ont pu constater qu’une conversation tenue dans le bureau du médecin était parfaitement audible depuis
le bureau du psychiatre ». Le même relève que le surveillant affecté à l’unité de consultations et de soins ambulatoires
(UCSAGP) – qui connait l’état de santé des détenus – n’a suivi aucune formation spécifique et que les dossiers médicaux
sont conservés dans un bureau qui ne ferme pas à clef.
Plus encore, l’insuffisance du personnel médical ne permet pas aux personnes détenues d’accéder rapidement aux
soins. La Cour des comptes a relevé à ce sujet que le critère principalement retenu par le ministère des affaires
sociales et de la santé pour assurer la prise en charge médicale des détenus était celui de la capacité théorique de
l’établissement. Un centre pénitentiaire gravement surpeuplé tel que Nuutania ne peut que pâtir de ce mode de calcul
des dotations.
En effet, le médecin généraliste n’est présent qu’à mi-temps. Le kinésithérapeute ne pratique que six heures par
semaine alors que l’utilisation d’équipements sportifs extrêmement dégradés engendre des centaines d’accidents à
l’année. Le dentiste consulte, en moyenne, 9,1 personnes par semaine alors que l’établissement en héberge plus de
400. Aucun ophtalmologue ne peut être consulté au sein du centre pénitentiaire et l’attente est de deux à trois mois
« L’état buccodentaire de la population carcérale est déplorable ; la liste d’attente est très
importante et les délais pour obtenir une consultation varient entre quelques mois et une année.
Aussi le dentiste ne traite-t-il que les urgences. »
Rapport du CGLPL, p.34
pour obtenir un rendez-vous à l’extérieur de la prison.
Le délai pour bénéficier d’une consultation avec le psychiatre est d’environ trois semaines, celui-ci n’exerçant qu’à
mi-temps. Selon la Cour des comptes, « les prises en charge psychiatriques sont une source de difficultés importantes,
aggravées par le faible nombre ou l’inexistence de lits psychiatriques ». La commission des lois a d’ailleurs dénoncé
« l’absence de véritable prise en charge des pathologies psychiatriques » en Polynésie française et rappelé que le manque
de psychiatre sur ce territoire restreignait les possibilités d’aménagement de peine. Ce faisant, elle emboitait le pas
au CGLPL qui avait observé dans son rapport de visite que « le taux d’occupation de l’établissement mériterait la mise à
16
Cour des comptes (2014), La santé dans les outre-mer, une responsabilité de la République, p. 192.
16
dossier de presse
conditions de détention indignes à la prison de faa'a nuutania
disposition d’un psychiatre à temps plein ».
Lorsqu’elles accèdent finalement à un praticien, les personnes détenues sont généralement victimes d’une prise
en charge médicale médiocre. Celle-ci est d’autant plus inquiétante que les conditions de détention au centre
« A deux reprises j’ai demandé au médecin du centre pénitentiaire de m’aider afin que
je reçoive les soins appropriés, pour résoudre mon problème de bras, et à chaque fois
la réponse est : nous avons perdu le dossier. Les années ont passé et mon bras ne
cesse de se déboîter. (…) Des moments horribles, sans aide, lié qu’à mon courage pour
moi même remettre mon bras. »
Témoignage de M. T., personne détenue, recueilli par l’OIP
« Il y a quelques jours [...], je me suis retrouvé avec un gros trou dans le tibia
gauche, parce que le docteur était absent les infirmières n’ont pas pu me donner des
antibiotiques ; après une chute de mon lit superposé. Le docteur était absent pendant
une semaine. L’infirmière après plus de 10 jours d’infection a été obligée de dire au
nouveau docteur qu’il fallait m’envoyer à l’hôpital. Mais il m’a ouvert le tibia sans
morphine car il n’y en avait plus, je vous laisse imaginer. »
Témoignage de M. C., personne détenue, recueilli par l’OIP
« Lors de mon arrivée, ils ont refusé de poursuivre les soins dentaires entamés à
l’extérieur. Conséquence : 6 mois après, le dentiste m’a arraché 18 dents avec de
l’os, le tout en 3 semaines. Et puis il m’a laissé dans cet état. Sur la mâchoire
supérieure, plus aucune dent. Et sur la mâchoire inférieure, il ne reste que 9 dents
à l’avant. C’est comme si je vivais avec un couteau sur les gencives. Voilà dans quel
état il m’a laissé !!! Un être humain ne peut pas vivre ainsi. »
Témoignage de M. D., personne détenue, recueilli par l’OIP
17
observatoire international des prisons
Partie 5 /
une promiscuité facteur
de violences
Les rapports traitant des conditions de détention au centre pénitentiaire de Faa’a Nuutania n’abordent que très
brièvement la question de la violence et, souvent, la minimisent. Le CGLPL a, par exemple, observé dans son rapport
de visite qu’ « une gestion attentive de la détention, doublée d’une approche professionnelle et humaine de la population
carcérale par les surveillants, permettent, jusqu’à présent, d’éviter que les tensions ne dégénèrent en violences ». Le groupe
de travail sur les problématiques pénitentiaires en outre-mer a renchérit que « malgré la surpopulation observée, les
faits de violence restent limités ». Seul le rapport d’information rendu par les sénateurs Christian Cointat et Bernard
Frimat à la suite d’une mission d’information réalisée en Polynésie française du 21 avril au 2 mai 2008 pointe «la très
forte surpopulation entretient des risques permanents de tension, qui font de cet établissement une poudrière».
De multiples articles de presse relatent en revanche les faits de violence qui se déploient régulièrement entre les
murs de la prison. Le 12 avril 2016, par exemple, le site Tahiti Infos dévoilait qu’une personne détenue au quartier
maison d’arrêt de Nuutania avait été condamnée à deux ans de prison supplémentaires pour avoir tenté d’agresser
sexuellement son codétenu17. Le 18 janvier 2016, le site TNTV News publiait la capture d’écran d’une vidéo diffusant
le combat de deux prisonniers dans l’enceinte de l’établissement18. Le 27 novembre 2015, le site La dépêche de Tahiti
expliquait qu’un détenu avait été condamné à trois mois d’emprisonnement supplémentaires pour avoir frappé son
psychiatre19. Le 28 avril 2015, le site France TV Info annonçait qu’un détenu mineur, partageant sa cellule avec des
adultes durant plusieurs mois, avait participé au viol d’un de ses codétenus20.
Les illustrations sont nombreuses. Surtout, elles sont corroborées par les témoignages des personnes détenues qui,
unanimement, dénoncent le climat de violence de l’établissement.
« Je garde des cicatrices et des marques de violence sur ma peau. Psychologiquement,
je garde des séquelles de toutes mes incarcérations, j’ai payé de ma vie ce que je
devais à la société. Nuutania ne m’a pas changé, elle ne changera personne. Elle m’a
permis d’être encore plus violent et encore plus rebelle. »
Témoignage de M. T., personne détenue, recueilli par l’OIP
« Tous les jours, la tension, la violence augmentent, oui. Il y a des combats entre
détenus, nous nous battons entre nous pour un oui, pour un non. Ici, la loi du plus
fort sinon tu te fais sodomiser. »
Témoignage de M. T., personne détenue, recueilli par l’OIP
Pour autant, la prévention de la violence telle qu’elle est organisée par l’administration pénitentiaire souffre de
carences. A titre d’exemple, les cellules ne comprennent ni sonnettes d’alarme ni interphones. Les personnes
incarcérées sont donc réduites à taper contre leur porte en cas d’incident. Ces dernières se plaignent d’ailleurs de la
lenteur des interventions du personnel lorsqu’il y a des incidents.
http://www.tahiti-infos.com/Il-tente-de-sodomiser-un-co-detenu-a-Nuutania-2-ans-ferme_a147269.html
http://www.tntv.pf/Un-combat-filme-par-un-prisonnier-fait-le-tour-du-web_a9719.html
19
http://www.ladepeche.pf/Un-prisonnier-de-Nuutania-frappe-son-psychiatre_a9257.html
20
http://la1ere.francetvinfo.fr/polynesie/tahiti/un-detenu-de-nuutania-veut-faire-condamner-l-etat-pour-faute-lourde-251693.html
17
18
18
dossier de presse
conditions de détention indignes à la prison de faa'a nuutania
« Deux détenus se sont battus pendant presque une heure. Moi-même, ainsi que beaucoup
d’entre nous, avons vu ce qu’il s’était passé alors que les gardiens, trois caméras
plus deux miradors n’ont rien fait face à cela. »
Témoignage de M. I., personne détenue, recueilli par l’OIP
« La surpopulation en est la principale cause et la différence de couleur qui n’est
pas facile à vivre quand il y a 10 blancs pour 400 tahitiens furieux d’avoir été jugés
par des français (…). Malheureusement, j’ai subi à 2 reprises des violences gratuites
qui au lieu de l’intervention rapide des gardiens, ils ont préféré attendre la fin pour
intervenir. »
Témoignage de M. B., personne détenue, recueilli par l’OIP
19
observatoire international des prisons
Partie 6 /
un temps carcéral vide
L’article 27 de la loi pénitentiaire de 2009 prévoit que « toute personne condamnée est tenue d’exercer au moins
l’une des activités qui lui est proposée par le chef d’établissement et le directeur du service pénitentiaire d’insertion
et de probation dès lorsqu’elle a pour finalité la réinsertion de l’intéressé et est adaptée à son âge, à ses capacités,
à son handicap et à sa personnalité », étant précisé à l’article 29 de la même loi que « les personnes détenues
sont consultées par l’administration pénitentiaire sur les activités qui leur sont proposées ». Ces activités peuvent
consister en « l’apprentissage de la lecture, de l’écriture et du calcul » ou même de « la langue française ».
Or, Les personnes incarcérées au centre pénitentiaire de Faa’a Nuutania témoignent de ce que l’offre d’activités
culturelles et sportives y est extrêmement faible, notamment au regard de la population effectivement hébergée.
L’accès à la bibliothèque et aux salles de sport reste généralement limité à quelques heures par détenu et par
semaine. En conséquence, les détenus restent enfermés plus de quinze heures par jour, à quatre, dans une cellule
d’une superficie approximative de 12 m² avec pour toute perspective de sortie une cour de promenade sale.
« Faute de place dans ce centre pénitencier construit en 1970 pour 130 personnes sur le modèle
des prisons en étoile, les détenus attendent parfois plusieurs semaines avant d’avoir accès aux
activités culturelles, sportives et aux enseignements proposés par le service de probation et
d’insertion. “Nous n’avons pas tous les outils pour permettre un travail d’insertion satisfaisant
pour lutter contre la récidive”, reconnaît-on au parquet. Même une heure de bibliothèque peut
s’avérer complexe. “Ce ne sont pas des conditions décentes, tout le monde est d’accord, atteste
un magistrat du parquet général. »
La prison de Polynésie tient par miracle, malgré une situation « insupportable »,
C. Chaumeau, Le Monde, 9/03/2012
En 2012, le CGLPL constatait effectivement que trois activités seulement avaient été proposées de façon régulière aux
personnes détenues jusqu’au mois d’août 2012. Lors de sa visite, seules deux subsistaient pour les hommes majeurs:
une activité échecs et une activité musique. Proposées deux fois par semaine pendant deux heures, ces activités ne
regroupaient respectivement que quarante et dix personnes par séance. Sur plus de quatre cents prisonniers, seule une
centaine avait donc accès à une séance d’activité hebdomadaire. Cela demeure toutefois un sort plus favorable que
celui réservé aux femmes qui, elles, ne bénéficiaient tout simplement d’aucune activité lors de la visite du Contrôleur.
La même année, le rapport d’activité de la Mission outre-mer, alors qu’il détaillait les activités proposées par les
établissements pénitentiaires d’outre-mer, se contentait de préciser que ceux de Polynésie française avait privilégié
des activités musicales parmi d’autres dont il ne faisait pourtant pas état. En 2008, c’est le rapport d’information
rendu par les sénateurs Christian Cointratet Bernard Frimat qui expliquait la carence de l’administration pénitentiaire
par « le manque d’équipements et de place » .
Par ailleurs, peu de personnes détenues ont accès à l’enseignement et la formation.
« J’ai pu étudier jusqu’à la 2ème année de droit. Depuis, je suis dans l’impossibilité
de poursuivre ! Apparemment, dû à mon âge, ils ne peuvent pas financer et ne me
donnent pas la possibilité de travailler pour que moi-même je finance les cours par
correspondance. Condamné à ne rien faire ! »
Témoignage de M. D., personne détenue, recueilli par l’OIP
20
dossier de presse
conditions de détention indignes à la prison de faa'a nuutania
Le CGLPL expliquait, en effet, dans son rapport que durant l’année scolaire 2011/2012, seuls trente hommes détenus
avaient suivi la préparation au certificat de fin d’études générales et douze celle du brevet des collèges. Il soulignait
aussi que l’offre scolaire était bien moindre pour les femmes détenues tant en terme de nombre d’heures que de
formations.
En 2014, le groupe de travail sur les problématiques pénitentiaires en outre-mer relevait aussi qu’ « en 2013, aucune
formation professionnelle n’[avait] été réalisée à l’établissement faute d’obtention de financements parle Service de
l’Emploi, de la Formation et de l’Insertion professionnelle (SEFI), organisme territorial compétent localement » . Ce constat
corroborait celui déjà effectué par le CGLPL en 2012 : « la demande prioritaire des personnes détenues est de suivre une
formation professionnelle ou préprofessionnelle, ce qui est actuellement impossible en l’absence de financement et de
locaux adaptés ».
Enfin, le centre pénitentiaire ne permet pas aux personnes incarcérées de s’émanciper via le travail. D’une part,
nombre de détenus ne disposent pas d’un travail au sein de la prison. D’autre part, beaucoup de ceux qui sont classées
se contentent de quelques heures de « corvée » par jour, autrement dit, de nettoyage d’espaces de vie tels que les
couloirs.
«J’ai toujours demandé un travail, réponse négative. Pendant toute mes détentions
aucune fois ils n’ont accepté de me donner un travail. »
Témoignage de M. B., personne détenue, recueilli par l’OIP
«Ici à Nuutania si tu veux travailler, il faut que tu connaisses bien le chef
pour avoir une corvée ou bien avoir de la famille qui travaille aussi au centre
pénitentiaire. »
Témoignage de M. P., personne détenue, recueilli par l’OIP
Effectivement, selon le CGLPL, « le délai d’attente pour être classé est souvent supérieur à six mois ». Et pour cause,
l’établissement propose peu de travail en concession et ne recherche pas véritablement de concessionnaires en raison
du manque d’espace pour de nouveaux ateliers.
Par ailleurs, il existe de fortes inégalités entre les détenus qui travaillent, concernant tant les horaires que la
rémunération. S’agissant des auxiliaires, par exemple, le CGLPL a démontré que, si « en théorie, [ils] travaill[aient]
7 heures par jour, (…), ceci cinq ou six jours par semaine selon les postes. Dans les faits, le nombre d’heures travaillées
quotidiennement et les horaires vari[aient] selon les postes ». Ainsi, les détenus qui distribuaient les repas ne travaillaientils que deux heures par jour, six jours par semaine. De même, tous les auxiliaires étaient « rémunérés à la journée
de travail, d’une durée théorique de 7 heures, quel que soit le nombre réel d’heures travaillées » et « la difficulté et la
pénibilité du travail ».
21
observatoire international des prisons
Partie 7 /
la réinsertion :
un parcours du
combattant
Selon l’article 2 de la loi pénitentiaire de 2009, l’une des principales missions du service public pénitentiaire est
de « contribue[r] à l’insertion ou à la réinsertion des personnes qui lui sont confiées par l’autorité judiciaire ».
Or, si l’insuffisance d’activité à l’intérieur de la prison se fait cruellement ressentir, le manque de préparation à la sortie
n’est pas en reste. En effet, la plupart des personnes détenues témoignent de la rareté de leurs entretiens avec le
service pénitentiaire d’insertion et de probation.
« Le principe est simple, si tu n’écris pas, ils ne te voient pas. Il m’est arrivé de
ne voir qu’une seule fois mon SPIP dans l’année. »
Témoignage de M. B., personne détenue, recueilli par l’OIP
Et pour cause, le rapport de la commission des lois, confirmant en cela le rapport du groupe de travail sur les
problématiques pénitentiaires en outre-mer, explique que « le SPIP de Polynésie française gère un territoire équivalent
à la taille de l’Europe, entraînant des déplacements coûteux et chronophages, ce qui limite d’autant la capacité d’action
de ces services ». Il dénonce ainsi « des infrastructures largement inadaptées aux peines probatoires et au contexte
géographique propre aux outre-mer », ainsi que « des moyens humains et financiers insuffisants sur fond de crise
économique et sociale ». Effectivement, aux dires du service lui-même, le manque de personnel est flagrant : « l’effectif
en CPIP, vu la charge de travail est insuffisant, en effet nous tournons en moyenne à 140 mesures par CPIP ». Le CGLPL
aussi, lors de sa visite, relevait : « chaque CPIP gère environ soixante dossiers en milieu fermé et cent-quarante en milieu
ouvert ».
Cette problématique est aggravée par les carences des autres acteurs de la réinsertion : manque d’effectifs de la
commission d’application des peines, absence de centre national d’évaluation et insuffisance d’expert-psychiatres sur
le territoire de la Polynésie française.
« Dans mon cas, j’ai besoin de deux expertises pour accéder aux permissions. Le
problème c’est qu’on doit attendre 1 ou 2 ans pour les faire. C’est tellement difficile
que la plupart préfèrent arriver en fin de peine et sortir sans avoir rien de prévu
(comme moi). Au lieu de nous aider, ils nous compliquent la vie. Le mot ‘réinsertion’
à Nuutania, ça ne veut rien dire. »
Témoignage de M. T., personne détenue, recueilli par l’OIP
Les personnes détenues se plaignent également de la qualité de l’accompagnement dont ils bénéficient de la part des
SPIP :
« J’aimerais aussi dénoncer les entretiens trop courts avec nos SPIP qui ne durent
même pas 5 minutes, alors qu’une réinsertion possible et réussie ne peut pas porter
ses fruits si tu n’as même pas le temps de te faire comprendre et de comprendre toute
la complexité des documents à fournir ou recevoir. Pour nous détenus, qui n’avons pas
eu une vie toujours rose, comprendre en 5 minutes autant de choses n’est pas aussi
facile que pour les SPIP qui ont fait des cours de droit… »
Témoignage de M. B., personne détenue, recueilli par l’OIP
22
dossier de presse
conditions de détention indignes à la prison de faa'a nuutania
« J’ai réfléchi à un projet que je n’ai pas proposé à mon CPIP à cause de sa réticence
à abonder dans la réalisation de la finalisation de conception de mon projet de
réinsertion. Je ne sens aucun soutien pour me donner confiance en cette administration
afin de faire officialiser mon projet de réinsertion. »
Témoignage de M. T., personne détenue, recueilli par l’OIP
Les contrôleurs ont également entendu « que ce service “fonctionn[ait] à l’ancienne et qu’il [était] plus un service social
qu’un vrai SPIP“ » et « que le manque de partenaires se faisait cruellement ressentir ». En effet, « le centre de formation
professionnel pour adultes (CFPA) refuse de prendre en charge les personnes détenues » et « il n’existe qu’une seule
structure d’accueil pour les personnes condamnées sans domicile ou en rupture familiale à Tahiti ».
Aussi le CGLPL note que que certains « détenus (…) préfèrent aller au bout de leur peine en travaillant dans l’établissement
plutôt que de sortir avec un aménagement de peine », notamment pour une question de rémunération21.
Le taux d’aménagement de peine de Polynésie est d’ailleurs le plus bas de toute l’outre-mer - 5,4% au 1er janvier
2014 - alors même que le taux de criminalité y est inférieur à celui de la métropole et que Nuutania est l’établissement
le plus surpeuplé de France.
« Les territoires ultramarins souffrent, tout d’abord, du manque de places dédiées aux peines
de probation dans les centres pénitentiaires ou dans leurs antennes et ce, compte tenu de
la surpopulation carcérale endémique. La politique carcérale de Faa’a Nuutania, en Polynésie
française, est à cet égard révélatrice. Pour accueillir les 397 détenus présents au 1er janvier
2014, 165 places étaient disponibles au centre pénitentiaire, dont seulement 6 pouvant accueillir
des peines de semi-liberté. La prison de Polynésie tient par miracle, malgré une situation
‘insupportable’. »
Alfred Marie-Jeanne,
Avis de la commission des lois sur le projet de loi (n° 2234) de finances pour 2015, 9/10/2014
Enfin, l’administration pénitentiaire ne place pas les personnes détenues au centre pénitentiaire de Faa’a Nuutania
dans des conditions leur permettant d’entretenir des liens familiaux, pourtant vecteur primordial de réinsertion
sociale. Des difficultés logistiques d’abord entravent les contacts entre l’intérieur et l’extérieur de la prison, qu’il
s’agisse d’interdiction de visites injustifiées ou d’arrêt de bus trop éloigné.
« En ce qui concerne les visites, j’ai été interdit de voir ma concubine parce que la
direction la soupçonnait de trafic. Une enquête a été ouverte et au bout de moins de 1
mois, il a été conclu qu’elle était innocente. Pourtant, l’interdiction a duré plus de
1 an sans qu’aucun autre motif ne lui soit reproché. Pendant 1 an, j’ai fait plusieurs
requêtes sans jamais recevoir de réponses. »
Témoignage de M. T., personne détenue, recueilli par l’OIP
Le plus proche arrêt de bus est situé à 1,6 km du centre pénitentiaire. Les visiteurs qui
utilisent les transports en commun doivent donc parcourir à pied ce trajet, en empruntant une
route dépourvue de trottoirs qui monte le long de la colline. En raison des conditions climatiques
– pluies tropicales ou fortes chaleurs – le trajet peut être éprouvant, notamment pour les
personnes – nombreuses – de forte corpulence.
Rapport du CGLPL, p.66
21
DEBOT-DUCLOYER, N. (2015) Nuutania : « Des échanges forts entre surveillants et détenus », Tahiti Infos, 24 août 2015.
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observatoire international des prisons
En outre, de nombreux détenus se plaignent de l’absence d’intimité des différents moyens de communication à leur
disposition : parloirs non cloisonnés, téléphone en pleine cour de promenade et ouverture quasi-systématique du
courrier.
« La cabine de téléphone se trouve dans la cour. Aucune intimité confidentielle pour la
conversation. »
Témoignage de M. T., personne détenue, recueilli par l’OIP
« Peu de mes courriers sont restés confidentiels. On peut dire que 90 % est ouvert. Ce
sont même des courriers confidentiels qui sont ouverts. »
Témoignage de M. T., personne détenue, recueilli par l’OIP
Ces témoignages confirment le constat effectué par le CGLPL lors de sa visite en 2012. Il remarquait, notamment à
propos de la salle des parloirs : « de chaque côté, le long des murs, sont alignés dix boxes de 1,50 m de large et 2,15 m
de long, séparés par une cloison, sauf en façade. Ces boxes sont ouverts sur un couloir de circulation longeant un espace
central vitré de 1,40 m de large qui permet de surveiller l’intérieur des boxes. Ainsi, à travers les vitres de cet espace
central, il est possible, depuis un box, de voir l’intérieur des boxes du côté opposé. Les familles n’ont donc aucune intimité
ni visuelle, ni sonore. ».
Boxes de parloir à la prison de Faa’a Nuutania
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dossier de presse
conditions de détention indignes à la prison de faa'a nuutania
Partie 8 /
les condamnations en justice
Dans son rapport paru en mars 2014, le groupe de travail sur les problématiques pénitentiaires en outre-mer relevait
que « le contentieux relatif aux conditions de détention connait un essor important. (...) Au 1er mars 2014, les conditions
de détentions de Faa’a ont entrainé à de multiples reprises la condamnation de l’Etat au versement d’indemnités. ».
Récemment, Me Thibaud Millet, avocat au barreau de Papeete, confirmait cette explosion du nombre de procédures
indemnitaires engagées dans une interview donnée à l’OIP22. Fin 2015, son cabinet enregistrait un total de 350 recours
formés à la demande de personnes incarcérées dans la prison polynésienne. La plupart de ces procédures aboutissent
désormais sans passage devant le Tribunal administratif de Polynésie Française. L’administration préfère en effet
indemniser les personnes détenues lorsque ces dernières en font la demande, et ne pas attendre d’y être contrainte
par les juges afin d’éviter des frais supplémentaires. Car, immanquablement, l’Etat est condamné lorsque les dossiers
arrivent devant le Tribunal administratif.
Dans une décision du mois de janvier 2016, ce dernier ordonnait encore l’indemnisation d’une personne incarcérée
au centre pénitentiaire de Nuutania en estimant que ses conditions de détention étaient contraires au principe de
dignité humaine « en raison notamment de la vétusté des cellules où il a été affecté, du surpeuplement de celles-ci et
des odeurs nauséabondes ».
Considérant qu’il est constant que le sous dimensionnement de la station d’épuration du centre
pénitentiaire de Nuutania à Faa’a a provoqué des odeurs nauséabondes et que très fréquemment les
cellules de 11 m² doivent accueillir 4 détenus et celles de 5 m² 2 détenus ; qu’il n’est pas
contesté que M. T. partage, depuis le 31 juillet 2007, la cellule B 06 d’environ 10 m² dotée de
deux lits superposés, avec 3 autres détenus ; que, dans cette cellule, dans laquelle les détenus
prennent leur repas, les toilettes ne sont, depuis le mois de décembre 2009, que partiellement
séparées du reste de la pièce, par une fine cloison en contreplaquée depuis 2012 ;
[...] Considérant que les conditions d’incarcération de M. T. dans une cellule sous dimensionnée
pour le nombre d’occupants, dont les toilettes en partie cloisonnées sont situées à proximité
immédiate du lieu de prise des repas, exposant leurs occupants aux odeurs nauséabondes permanentes,
n’ont pas permis d’assurer le respect de la dignité inhérente à la personne humaine conformément
aux stipulations de l’article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme
et des libertés fondamentales et aux dispositions sus-rappelées du code de procédure pénale ; que
cette méconnaissance des stipulations de l’article 3 de la convention européenne de sauvegarde
des droits de l’homme et des libertés fondamentales et des dispositions sus-rappelées du code de
procédure pénale est constitutive d’une faute de nature à engager la responsabilité de l’Etat à
l’égard de l’intéressé.
Décision du Tribunal administratif de Polynésie Française, 11 juin 2013
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Interview en ligne sur le site de l’OIP : http://www.oip.org/images/ITWMillet.pdf
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