BAUDELAIRE, Les Fleurs du mal (1857). SEQUENCE DE

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BAUDELAIRE, Les Fleurs du mal (1857). SEQUENCE DE
BAUDELAIRE, Les Fleurs du mal (1857).
SEQUENCE DE SECONDE : la femme dans les Fleurs du mal (Sélection de poèmes)
TEXTE 1. Parfum exotique
Quand, les deux yeux fermés, en un soir chaud d'automne,
Je respire l'odeur de ton sein chaleureux,
Je vois se dérouler des rivages heureux
Qu'éblouissent les feux d'un soleil monotone ;
Une île paresseuse où la nature donne
Des arbres singuliers et des fruits savoureux ;
Des hommes dont le corps est mince et vigoureux,
Et des femmes dont l'œil par sa franchise étonne.
Guidé par ton odeur vers de charmants climats,
Je vois un port rempli de voiles et de mâts
Encor tout fatigués par la vague marine,
Pendant que le parfum des verts tamariniers,
Qui circule dans l'air et m'enfle la narine,
Se mêle dans mon âme au chant des mariniers.
TEXTE 2. Le serpent qui danse
Que j'aime voir, chère indolente,
De ton corps si beau,
Comme une étoffe vacillante,
Miroiter la peau !
Sur ta chevelure profonde
Aux âcres parfums,
Mer odorante et vagabonde
Aux flots bleus et bruns,
Comme un navire qui s'éveille
Au vent du matin,
Mon âme rêveuse appareille
Pour un ciel lointain.
Tes yeux, où rien ne se révèle
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De doux ni d'amer,
Sont deux bijoux froids où se mêle
L'or avec le fer.
A te voir marcher en cadence,
Belle d'abandon,
On dirait un serpent qui danse
Au bout d'un bâton.
Sous le fardeau de ta paresse
Ta tête d'enfant
Se balance avec la mollesse
D'un jeune éléphant,
Et ton corps se penche et s'allonge
Comme un fin vaisseau
Qui roule bord sur bord et plonge
Ses vergues dans l'eau.
Comme un flot grossi par la fonte
Des glaciers grondants,
Quand l'eau de ta bouche remonte
Au bord de tes dents,
Je crois boire un vin de Bohême,
Amer et vainqueur,
Un ciel liquide qui parsème
D'étoiles mon cœur !
TEXTE 3. Une charogne
Rappelez-vous l'objet que nous vîmes, mon âme,
Ce beau matin d'été si doux :
Au détour d'un sentier une charogne infâme
Sur un lit semé de cailloux,
Les jambes en l'air, comme une femme lubrique,
Brûlante et suant les poisons,
Ouvrait d'une façon nonchalante et cynique
Son ventre plein d'exhalaisons.
Le soleil rayonnait sur cette pourriture,
Comme afin de la cuire à point,
Et de rendre au centuple à la grande Nature
Tout ce qu'ensemble elle avait joint ;
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Et le ciel regardait la carcasse superbe
Comme une fleur s'épanouir.
La puanteur était si forte, que sur l'herbe
Vous crûtes vous évanouir.
Les mouches bourdonnaient sur ce ventre putride,
D'où sortaient de noirs bataillons
De larves, qui coulaient comme un épais liquide
Le long de ces vivants haillons.
Tout cela descendait, montait comme une vague,
Ou s'élançait en pétillant ;
On eût dit que le corps, enflé d'un souffle vague,
Vivait en se multipliant.
Et ce monde rendait une étrange musique,
Comme l'eau courante et le vent,
Ou le grain qu'un vanneur d'un mouvement rythmique
Agite et tourne dans son van.
Les formes s'effaçaient et n'étaient plus qu'un rêve,
Une ébauche lente à venir,
Sur la toile oubliée, et que l'artiste achève
Seulement par le souvenir.
Derrière les rochers une chienne inquiète
Nous regardait d'un œil fâché,
Epiant le moment de reprendre au squelette
Le morceau qu'elle avait lâché.
- Et pourtant vous serez semblable à cette ordure,
A cette horrible infection,
Etoile de mes yeux, soleil de ma nature,
Vous, mon ange et ma passion !
Oui ! telle vous serez, ô la reine des grâces,
Après les derniers sacrements,
Quand vous irez, sous l'herbe et les floraisons grasses,
Moisir parmi les ossements.
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Alors, ô ma beauté ! Dites à la vermine
Qui vous mangera de baisers,
Que j'ai gardé la forme et l'essence divine
De mes amours décomposés !
TEXTE 4. A une passante
La rue assourdissante autour de moi hurlait.
Longue, mince, en grand deuil, douleur majestueuse,
Une femme passa, d'une main fastueuse
Soulevant, balançant le feston et l'ourlet ;
Agile et noble, avec sa jambe de statue.
Moi, je buvais, crispé comme un extravagant,
Dans son œil, ciel livide où germe l'ouragan,
La douceur qui fascine et le plaisir qui tue.
Un éclair... puis la nuit ! - Fugitive beauté
Dont le regard m'a fait soudainement renaître,
Ne te verrai-je plus que dans l'éternité ?
Ailleurs, bien loin d'ici ! Trop tard ! Jamais peut-être !
Car j'ignore où tu fuis, tu ne sais où je vais,
Ô toi que j'eusse aimée, ô toi qui le savais !
Texte complémentaire:
La femme sauvage et la petite maîtresse (in Le Spleen de Paris, 1862, XI)
« Vraiment, ma chère, vous me fatiguez sans mesure et sans pitié ; on dirait, à vous entendre
soupirer, que vous souffrez plus que les glaneuses sexagénaires et que les vieilles
mendiantes qui ramassent des croûtes de pain à la porte des cabarets.
« Si au moins vos soupirs exprimaient le remords, ils vous feraient quelque honneur ; mais ils
ne traduisent que la satiété du bien-être et l’accablement du repos. Et puis, vous ne cessez
de vous répandre en paroles inutiles : « Aimez-moi bien ! j’en ai tant besoin ! Consolez-moi
par-ci, caressez-moi par-là ! » Tenez, je veux essayer de vous guérir ; nous en trouverons
peut-être le moyen, pour deux sols, au milieu d’une fête, et sans aller bien loin.
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« Considérons bien, je vous prie, cette solide cage de fer derrière laquelle s’agite, hurlant
comme un damné, secouant les barreaux comme un orang-outang exaspéré par l’exil,
imitant, dans la perfection, tantôt les bonds circulaires du tigre, tantôt les dandinements
stupides de l’ours blanc, ce monstre poilu dont la forme imite assez vaguement la vôtre.
« Ce monstre est un de ces animaux qu’on appelle généralement « mon ange ! » c’est-à-dire
une femme. L’autre monstre, celui qui crie à tue-tête, un bâton à la main, est un mari. Il a
enchaîné sa femme légitime comme une bête, et il la montre dans les faubourgs, les jours de
foire, avec permission des magistrats, cela va sans dire.
« Faites bien attention ! Voyez avec quelle voracité (non simulée peut-être !) elle déchire des
lapins vivants et des volailles piaillantes que lui jette son cornac. « Allons, dit-il, il ne faut pas
manger tout son bien en un jour, » et, sur cette sage parole, il lui arrache cruellement la
proie, dont les boyaux dévidés restent un instant accrochés aux dents de la bête féroce, de
la femme, veux-je dire.
« Allons ! un bon coup de bâton pour la calmer ! Car elle darde des yeux terribles de
convoitise sur la nourriture enlevée. Grand Dieu ! Le bâton n’est pas un bâton de comédie,
avez-vous entendu résonner la chair, malgré le poil postiche ? Aussi les yeux lui sortent
maintenant de la tête, elle hurle plus naturellement. Dans sa rage, elle étincelle tout entière,
comme le fer qu’on bat.
« Telles sont les mœurs conjugales de ces deux descendants d’Ève et d’Adam, ces œuvres de
vos mains, ô mon Dieu ! Cette femme est incontestablement malheureuse, quoiqu’ après
tout, peut-être, les jouissances titillantes de la gloire ne lui soient pas inconnues. Il y a des
malheurs plus irrémédiables, et sans compensation. Mais dans le monde où elle a été jetée,
elle n’a jamais pu croire que la femme méritât une autre destinée.
« Maintenant, à nous deux, chère précieuse ! À voir les enfers dont le monde est peuplé, que
voulez-vous que je pense de votre joli enfer, vous qui ne reposez que sur des étoffes aussi
douces que votre peau, qui ne mangez que de la viande cuite, et pour qui un domestique
habile prend soin de découper les morceaux ?
« Et que peuvent signifier pour moi tous ces petits soupirs qui gonflent votre poitrine
parfumée, robuste coquette ? Et toutes ces affectations apprises dans les livres, et cette
infatigable mélancolie, faite pour inspirer au spectateur un tout autre sentiment que la
pitié ? En vérité, il me prend quelquefois envie de vous apprendre ce que c’est que le vrai
malheur.
« À vous voir ainsi, ma belle délicate, les pieds dans la fange et les yeux tournés
vaporeusement vers le ciel, comme pour lui demander un roi, on dirait vraisemblablement
une jeune grenouille qui invoquerait l’idéal. Si vous méprisez le soliveau (ce que je suis
maintenant, comme vous savez bien), gare la grue qui vous croquera, vous gobera et vous
tuera à son plaisir !
« Tant poète que je sois, je ne suis pas aussi dupe que vous voudriez le croire, et si vous me
fatiguez trop souvent de vos précieuses pleurnicheries, je vous traiterai en femme sauvage,
ou le vous jetterai par la fenêtre, comme une bouteille vide.
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LECTURE DE L’IMAGE : MANET, Olympia (salon de 1865)
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