DE PARIS

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DE PARIS
TRIBUNAL
D E GRANDE
INSTANCE
DE PARIS
3ème chambre 3ème
section
N° RG :
07/13504
JUGEMENT
rendu le 03 Mars 2010
N° MINUTE:
Assignation du :
05 Octobre 2007
DEMANDERESSES
Société NOVARTIS AG
LICHTSTRASS35, CH-4056 Bâle
57340 SUISSE
Société CIBA VISION AG Intervenant volontaire
HARDHOFS-TRASS
15,CH 8424 EMBRACH SUISSE
Société CIBA VISION Intervenant volontaire
17, avenue Didier Daurat
31700 BLAGNAC
représentées par Me Sabine AGE, avocat au barreau de PARIS, avocat
vestiaire P0024, Me Pierre VERON, avocat au barreau de PARIS,
vestiaire P24
DÉFENDERESSES
Société JOHNSON JOHNSON VISION CARE, INC
7500 Centurion Parkway,
Jacksonville
FL-32256, FLORIDE (USA)
Société JOHNSON & JOHNSON MEDICAL LIMITED
Po box 1988, Simpson Parkway,
Livingston, West Lothian EH54 OAB
ECOSSE (ROYAUME UNI)
S.A.S ETHICON
1 RUE CAMILLE DESMOULINS
92130 ISSY LES MOULINEAUX
représentées par Me Grégoire DESROUSSEAUX, avocat au barreau
de PARIS, vestiaire W03
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Audience du 3 Mars 2010
3ème Chambre 3ème Section
RG 07/13504
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Agnès THAUNAT, Vice-Président, signataire de la décision
Arme CHAPLY, Juge
Mélanie BESSAUD, Juge
assistée de Marie-Aline PIGNOLET, Greffier, signataire de la décision
DEBATS
A l'audience du 14 Décembre 2009
tenue en audience publique
JUGEMENT
Prononcé par remise de la décision au greffe
Contradictoire
en premier ressort
La société NOVARTIS AG, société de droit suisse, est titulaire d'un
brevet européen EP-A-0 819 258 Bi délivré sur le fondement d'une
demande internationale de brevet déposée le 22 mars 1996 en
application du Traité de Washington dit PCT, sous priorité de
demandes de brevet européen, suisse et américain. Le titre et l'objet du
brevet sont les "lentilles ophtalmiques qui peuvent être portées pendant
une longue durée".
La délivrance de ce brevet a été publiée au Bulletin européen de brevets
du 12 septembre 2001. Il a été fait mention de la remise de la traduction
en langue française à l'INPI au Bulletin Officiel de la Propriété
Industrielle du 15 février 2002.
La société NOVARTIS AG est propriétaire de la totalité de ce brevet à
la suite de la cession à son profit, le 30 septembre 2007, de la quote part
de copropriété du laboratoire de recherche australien
COMMONWEALTH SCIENTIFIC AND INDU STRIAL RESEARCH
ORGANISATION avec lequel elle avait initialement déposé
l'invention.
L'invention porte sur une lentille ophtalmique pouvant notamment être
portée en continu sur de longues périodes d'au moins 24 heures sans
répercussion indésirable importante sur la santé de l'oeil ou le confort
du consommateur.
Cette invention est exploitée en France par la société CIBA VISION,
filiale du groupe NOVARTIS, sous la marque "AIR OPTIX
NIGHT&DAY".
L'opposition au brevet européen formée par la société américaine
JOI4NSON & JOHNSON VISION CARE, INC. a été rejetée par
décision de la chambre des recours de l'OEB en date du 12 juillet 2007,
infirmant totalement la décision de la division d'opposition.
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3ème Chambre 3ème Section
RG 07/13504
La société NOVARTIS AG ayant constaté que la société JOHNSON &
JOHNSON VISION CARE, INC commercialisait notamment en France
par l'intermédiaire de ses filiales européennes, la société britannique
JOHNSON & JOHNSON MEDICAL LIMITED et la société française
ETHICON, des lentilles ophtalmiques dénommées "ACUVUE OASYS
with HYDRACLEAR Plus", qu'elle estimait reproduire les
caractéristiques protégées par la revendication 1 du brevet européen cidessus visé, a
- le 19 septembre 2007, fait établir un constat d'huissier sur les sites
Internet www.acuvue.com et www.pro-acuvue.fr,
- le 21 septembre 2007, fait procéder à une saisie contrefaçon au siège
social de la société ETHICON en exécution d'une ordonnance rendue
sur requête par le Président du tribunal de ce siège en date du 19
septembre 2007.
Par actes en date du 5 octobre 2007, la société NOVARTIS AG a
assigné les sociétés JOHNSON & JOHNSON VISION CARE, INC.,
JOHNSON & JOHNSON MEDICAL LIMITED et ETHICON devant
le Tribunal de ce siège en contrefaçon du brevet européen n° 0 819 258
B1 et en indemnisation.
Cette action s'inscrit dans un litige de plus grande ampleur entre les
sociétés NOVARTIS et JOHNSON & JOHNSON, plusieurs procédures
aux Etats-Unis, en Australie et dans divers pays européens (dont
l'Allemagne, la Grande Bretagne et l'Italie notamment) étant également
en cours.
Le 9 octobre 2007, la société ETHICON a assigné la société
NOVARTIS AG devant le juge des référés aux fins de voir les
documents n° 5 à 11, saisis à l'occasion des opérations de saisie
contrefaçon, placés sous scellés et déposés au greffe du Tribunal
jusqu'à ce que le juge du fond en décide autrement ou à défaut la
désignation d'un expert aux fins de tri entre les documents confidentiels
et ceux qui ne le seraient pas.
Par ordonnance en date du 20 novembre 2007, le juge des référés a
désigné un expert aux fins d'examiner les différents documents en la
seule présence des avocats des parties et d'occulter dans ces documents
l'information qui est sans rapport avec la contrefaçon.
L'expert, Monsieur KLENIEWSKI, a déposé son rapport le 14 avril
2008.
Par jugement mixte du 25 mars 2009, le tribunal de grande instance de
Paris a:
Rejeté les demandes des sociétés JOHNSON & JOHNSON VISION
CARE, INC., JOHNSON & JOHNSON MEDICAL LIMITED et
ETHICON tendant au rejet des conclusions n° 3 et n° 4 de la société
NOVARTIS AG ainsi que des pièces n°35 à 39, la nouvelle pièce n°9
et leurs traductions
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Rejeté les demandes des sociétés JOHNSON & JOHNSON VISION
CARE, INC., JOHNSON & JOHNSON MEDICAL LIMITED et
ETHICON tendant à voir déclarer le brevet européen n° 0 819 258 sans
effet en France ou la traduction déposée à l'Institut National de la
Propriété Industrielle comme ne faisant pas foi
Dit que la revendication 1 du brevet européen n° 0 819 258 ne peut
bénéficier des dates de priorité de la demande européenne EP 95810221
déposée le 4 avril 1995 et de la demande suisse CH 149695 déposée le
19 mai 1995 ;
Débouté les sociétés JOHNSON & JOHNSON VISION CARE, INC.,
JOHNSON & JOHNSON MEDICAL LIMITED et ETHICON de leur
demande en nullité de la partie française du brevet européen n° 0 819
258
Dit qu'en important, offrant à la vente, mettant dans le commerce et
détenant aux fins précitées en France, les lentilles ophtalmiques
ACU VUE OASYS with HYDRACLEAR Plus , les sociétés
JOHNSON & JOHNSON MEDICAL L1MITED et ETHICON ont
commis des actes de contrefaçon de la revendication 1 de la partie
française du brevet européen EP 0 819 258 au préjudice de la société
NOVARTIS AG;
Fait interdiction aux sociétés JOHNSON & JOHNSON MEDICAL
LIMITED et ETHICON de poursuivre de tels agissements, et ce sous
astreinte de 5.000
par infraction constatée à compter de la
signification du présent jugement ;
Ordonné la confiscation aux fins de destruction sous contrôle d'un
huissier désigné par la société NOVARTIS AG et aux frais des sociétés
JOHNSON & JOHNSON MEDICAL LIMITED et ETHICON, de toute
lentille ophtalmique contrefaisante qui sera trouvée en leur possession
en France au jour de la signification du présent jugement ;
Débouté la société NOVARTIS AG de ses demandes contre la société
JOFINSON & JOHNSON VISION CARE, [NC.;
Débouté les sociétés JOHNSON & JOHNSON VISION CARE, INC.,
JOHNSON & JOHNSON MEDICAL LIMITED et ETHICON de leur
demande reconventionnelle pour procédure abusive ;
Avant dire droit sur le montant des dommages et intérêts, ordonné une
expertise ;
Désigné pour y procéder Madame Florence LAZARD demeurant 3,
avenue VAVIN à PARIS ene, à titre d'expert, avec mission de
rechercher et fournir au Tribunal tous éléments permettant de définir la
masse contrefaisante résultant des actes de contrefaçon commis par la
société JOHNSON & JOHNSON MEDICAL LIMITED et la société
FUI-ICON en obtenant notamment des éléments d'information tels
que les quantités de lentilles ophtalmiques ACUVUE OASYS with
HYDRACLEAR Plus commercialisées, livrées, reçues ou commandées
en France ainsi que sur le prix obtenu pour ces produits, lui permettant
de statuer ultérieurement sur le quantum du préjudice subi par la société
NOVARTIS AG du fait des actes de contrefaçon commis sur le
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territoire français par les sociétés JOHNSON & JOHNSON MEDICAL
LIMITED et ETHICON du brevet européen EP 0 819 258;
Dit que l'expert devra déposer son rapport dans un délai de SIX MOIS
à compter de l'avis de consignation effective qui lui sera adressé par le
service du contrôle des expertises
Fixé à la somme de 5000 euros, la provision de l'expert qui sera
consignée au greffe de ce Tribunal dans le délai d'un mois par les
sociétés JOHNSON & JOHNSON MEDICAL LIMITED et ETHICON
in solidum ;
Dit qu'à défaut la mesure deviendra caduque et l'affaire sera radiée ;
Renvoyé l'affaire à l'audience de mise en état pour vérification de la
consignation ;
Condamné in solidum les sociétés
JOHNSON & JOHNSON
MEDICAL LIMITED et ETHICON à payer à la société NOVARTIS
AG un provision de 1.000.000 , à valoir sur son préjudice ;
Autorisé la publication du dispositif du présent jugement dans trois
journaux ou revues au choix de la demanderesse et aux frais in solidum
des sociétés JOHNSON & JOHNSON MEDICAL LIMITED et
ETHICON, sans que le coût de chaque publication n'excède, à la
charge de celle-ci, la somme de 5.000,00
H.T.
Ordonné aux sociétés JOHNSON & JOHNSON MEDICAL LIMITED
et ETHICON, de procéder à la publication du dispositif du présent
jugement en page d'accueil des sites Internet www.acuvue.com et
www.pro-acuvue.fr et ce, pendant une durée de six mois sous astreinte
de 5.000,00 par jour de retard passé un délai de quinze jours à
compter de la signification du présent jugement ;
Dit se réserver la liquidation des astreintes ordonnées
Ordonné l'exécution provisoire de la décision ;
Débouté les parties du surplus de leurs demandes ;
Condamné in solidum les sociétés
JOHNSON & JOHNSON
MEDICAL LIMITED et ETHICON à payer à la société NOVARTIS
AG la somme de 15.000 sur le fondement de l'article 700 du Code de
procédure civile ;
Condamné in solidum les sociétés
JOHNSON & JOHNSON
MEDICAL LIMITED et ETHICON à payer à la société NOVARTIS
AG à payer les entiers dépens, avec recouvrement direct au profit des
avocats, conformément à l'article 699 du code de procédure civile.
Ce jugement est actuellement frappé d'appel mais les opérations
d'expertise ordonnées par le tribunal se poursuivent et c'est dans ces
conditions que les sociétés CIBA VISIONS AG et CIBA VISION SAS,
par conclusion signifiées le 5 juin 2009,
ont déclaré intervenir
volontairement à l'instance en leur qualité respective de licenciée et de
distributrice des produits brevetés et ont sollicité l'extension de la
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mission de Mme Florence LAZARD pour fournir des élément
permettant l'évaluation du préjudice qu'elles ont subi du fait des actes
de contrefaçon.
Par conclusions du 1" juillet 2009, les société JOHNSON et ETHICON
ont soulevé l'irrecevabilité de l'intervention volontaire des deux
sociétés CIBA VISION et par conclusions signifiées le même jour ces
deux sociétés ont demandé au juge de la mise en état de surseoir à
statuer sur la demande d'extension de mission dans l'attente de la
décision définitive du tribunal sur la recevabilité des interventions
volontaires.
Par décision en date du 26 août 2009, le juge de la mise en état a
interprété la mission de l'expert précédemment désigné et dit que
l'expert devait solliciter des parties tout document permettant non
seulement d'évaluer le manque à gagner de la société NOVARTIS,
c'est à dire la perte d'une redevance indemnitaire mais également les
bénéfices réalisés par le contrefacteur et le préjudice moral causé au
titulaire de droit, distinction étant à faire entre les faits de contrefaçon
antérieurs à la mise en application de l'article L615-7 du code de la
propriété intellectuelle et les faits postérieurs à cette disposition et
sursis à statuer sur la demande d'extension de mission de l'expert
relative à l'évaluation du préjudice subi par les sociétés CIBA VISION
jusqu'à la décision du tribunal sur la recevabilité des interventions
volontaires.
Par conclusions signifiées 10 décembre 2009, les sociétés CIBA
VISION AG et CIBA VISION, SAS demandent au tribunal au visa des
articles 325 et suivants du code de procédure civile, de:
dire et juger que les sociétés Johnson & Johnson Medical et Ethicon
devront indemniser, in solidum, les sociétés Ciba Vision AG et Ciba
Vision SAS du préjudice que leur a causé l'importation, l'offre et la
vente, en France, des lentilles ophtalmiques Acuvue Oasys with
Hydraclear Plus ;
condamner in solidum les sociétés Johnson & Johnson Medical et
Ethicon à payer aux sociétés Ciba Vision AG et Ciba Vision SAS la
somme de 100 000 en application de l'article 700 du Code de
procédure civile
condamner in solidum les sociétés Johnson & Johnson Medical et
Ethicon aux entiers dépens, et dire qu'ils seront recouvrés
conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.
Et, avant dire droit sur le mérite de ces demandes :
déclarer les sociétés Ciba Vision SAS et Ciba Vision AG recevables en
leur intervention volontaire
dire et juger que relèvent du fond du droit les contestations élevées par
les sociétés Johnson & Johnson Medical et Ethicon sur la mise en
oeuvre du brevet européen n° 0 819 258 par les lentilles de la gamme
Aix Optix des sociétés Ciba Vision ainsi que sur l'existence d'un risque
de confusion, entre ces lentilles et les lentilles Acuvue Oasys with
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Hydraclear Plus ; les réserver pour les trancher ultérieurement ;
renvoyer l'affaire à une audience du Juge de la mise en état pour qu'il
soit statué sur la demande des sociétés Ciba Vision AG et Ciba Vision
SAS tendant à ce que les opérations d'expertise de Madame Lazard,
expert désigné par le jugement du 25 mars 2009, soient :
-déclarées communes et opposables aux sociétés Ciba Vision AG et
Ciba Vision ;
-étendues à la recherche et la fourniture des éléments qui permettront
au Tribunal d'évaluer le préjudice propre et distinct des sociétés Ciba
Vision AG et Ciba Vision résultant des actes de contrefaçon commis
par les sociétés Johnson & Johnson Medical et Ethicon ;
rejeter les demandes des sociétés Johnson & Johnson Medical et
Ethicon ;
réserver les dépens de la présente instance.
Par dernières conclusions signifiées le 11 décembre 2009, les sociétés
JOHNS ON&JOHNSON MEDICAL ltd et ETHICON ont
principalement demandé au tribunal de :
déclarer irrecevable l'intervention volontaire des sociétés CIBA
VISION SAS et CIBA VISION AG,
à titre subsidiaire, ne déclarer recevable l'intervention des sociétés
CIBA VISION SAS et CIBA VISION AG que pour les faits postérieurs
au 20 octobre 2009, date du contrat confirmatif de licence,
à titre très subsidiaire, ne déclarer recevable l'intervention des société
CIBA VISION SAS et CIBA VISION AG que pour les faits postérieurs
à la date du 4 août 2008 date d'entrée en vigueur des dispositions de
l'alinéa 3 de l'article L613-9 du code de la propriété intellectuelle,
dans l'hypothèse où les demandes des sociétés CIBA VISION et CIBA
VISION AG seraient jugées recevables, renvoyer l'affaire pour examen
de leur bien fondé;
condamner les sociétés CIBA VISION et CIBA VISION AG à leur
payer la somme de 10 000 euros en application de l'article 700 du code
de procédure civile,
condamner les sociétés CIBA VISION et CIBA VISION AG aux
entiers dépens avec distraction au profit de Maître DESROUS SEAUX,
en application de l'article 699 du nouveau code de procédure civile.
Le tribunal a accepté la production d'un échange de notes en délibéré
par les parties suite aux dernières écritures des sociétés JOHNSON et
JOHNSON et ETHICON signifiées le 11 décembre 2009.
Les sociétés CIBA VISION AG et CIP_,A VISION SAS ont adressé une
note en délibéré le 15 janvier 2010 et les sociétés JOHNSON et
JOHNSON et ETHICON y ont répliqué le 2 février 2010.
Toutes les autres notes en délibérés, communiquées par la suite et qui
n'ont pas été autorisées par le tribunal seront écartées des débats.
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MOTIFS DE LA DECISION
Sur l'intervention des sociétés CIBA VISION AG et CIBA VISION
SAS
L'article 325 du code de procédure civile dispose que : "l'intervention
n'est recevable que si elle se rattache aux prétentions des parties par un
lien suffisant" et l'article 329 du même code que :" l'intervention est
principale lorsqu'elle relève une prétention au profit de celui qui la
forme. Elle n'est recevable que si son auteur a le droit d'agir
relativement à cette prétention."
En l'espèce, le tribunal, saisi par la société NOVARTIS titulaire du
brevet, a déclaré qu'en important, offrant à la vente, mettant dans le
commerce et détenant aux fins précitées en France les lentilles
ophtalmiques ACIJVUE OASYS with HYDROCLEAR plus, les
sociétés JOHNSON et JONHSON et ETHICON avaient contrefait la
revendication 1 de la partie française du brevet européen EP 0819 258
au préjudice de la société NOVARTIS et avant dire droit institué une
mesure d'expertise afin de déterminer le préjudice de cette société.
La société Ciba Vision AG et la société Ciba Vision SAS sont toutes
deux des filiales de la société Novartis propriétaire du brevet européen
n°0 819258.
Les sociétés Ciba Vision AG et Ciba Vision SAS déclarent intervenir
respectivement en qualité de licenciée du brevet européen n° 0 819 258
et en qualité de distributeur exclusif des lentilles brevetées auprès des
centrales d'achat et des opticiens français et soutiennent qu'en leur
faisant perdre des ventes de lentilles Air Optix et Air Optix Night &
Day, les actes de contrefaçon commis par les sociétés Johnson &
Johnson Medical et Ethicon leur ont causé un préjudice dont elles
demandent réparation et que leur intervention volontaire à l'instance en
cours tendant à la détermination et à la liquidation du préjudice de la
société Novartis AG est recevable.
Sur la recevabilité de l'intervention de la société CIBA VISION AG en
qualité de licenciée
Aux termes de l'article L615-2 du code de la propriété intellectuelle
"l'action en contrefaçon est exercée par le propriétaire du brevet. (...)
Tout licencié est recevable à intervenir dans l'instance en contrefaçon
engagée par le breveté, afin d'obtenir la réparation du préjudice qui lui
est propre".
Par ailleurs l'article L613-9 du dit code dispose que "tous les actes
transmettant ou modifiant les droits attachés à une demande de brevet
ou à un brevet doivent, pour être opposables aux tiers, être inscrits sur
un registre , dit registre national des brevets, tenu par l'institut national
de la propriété intellectuelle.
Toutefois avant son inscription, un acte est opposable aux tiers qui ont
acquis des droits après la date de cet acte, amis qui avaient connaissance
de celui-ci lors de "l'acquisition de ces droits."
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La loi du 4 août 2008 a ajouté un troisième alinéa à l'article L 613-9,
qui dispose que "le licencié, partie à un contrat de licence non inscrit
sur le registre national des brevets, est également recevable à intervenir
dans l'instance en contrefaçon engagé par le propriétaire du brevet afin
d'obtenir la réparation du préjudice qui lui est propre".
-Sur l'existence d'un licence
Les sociétés JOHNSON et ETHICON soutiennent que la société CIBA
VISION AG n'établit pas sa qualité à agir en qualité de licenciée du
brevet européen dont s'agit.
La société CIBA VISION AG produit aux débats un acte intitulé "acte
confirmatif de licence de brevet" intervenu le 20 octobre 2009 entre la
société NOVARTIS AG et la société CIBA VISION AG. Ce document,
après avoir rappelé que "la société NOVARTIS était titulaire du brevet
européen 0819258 déposé le 22 mars 1996 et délivré le 12 septembre
2001; que ce brevet avait été déposé en copropriété par la société
NOVARTIS AG et la Commonwealth scientific and inustriel research
organisation ; que cet organisme avait le 30 septembre 2007 cédé sa part
de copropriété à la société NOVARTIS et que de tout temps la
Commonwealth scientific and industriel research organisation et la
société ont consenti à la société CIBA VISION une licence exclusive et
mondiale du brevet européen n°0819258 qui produit effet depuis la date
de dépôt du brevet. " , précise que : "les sociétés NOVARTIS et CIBA
VISION confirment par le présent acte, avoir respectivement consenti
et accepté la licence précitée, qui inclut une licence exclusive du brevet
européen n°0819258 et, plus généralement, que la société NOVARTIS
a toujours et constamment consenti à conférer une telle licence du
brevet européen n°0819258 pour tous les pays où il produit ses effets et
que la société CIBA VISION l'a toujours et constamment accepté. Cette
licence confère à la société CIBA VISION le droit exclusif de vendre,
utiliser, faire et faire faire des lentilles ophtalmiques qui mettent en
oeuvre les revendications du brevet européen n°0819 258. Les sociétés
NOVARTIS et CIBA VISION confirment, en outre, que cette licence
confère à la société CIBA VISION un droit propre à la réparation du
préjudice qui pourrait lui être causé par un tiers, du fait de la
contrefaçon du brevet européen n°0819258."
Par ailleurs, la société CIBA VISION AG verse également aux débats
un acte sous seing privé en date du 1 er janvier 2001, intervenu entre la
société NOVARTIS AG et la société CIBA VISION AG, "ci-après
dénommée CV", intitulé "Contrat". Ce document précise que par
"droits de propriété" il désigne "l'ensemble des brevets, des demandes
de brevet, inventions, droits d'auteur et autres biens immatériels relatifs
aux produits" et son article 3.1 est ainsi rédigé :"par les présentes, la
société NOVARTIS concède à la société CV, et la société CV accepte,
une licence des droits de la société NOVARTIS sur les Biens
Immatériels, sur le Territoire, conformément aux termes et conditions
énoncés dans le présent contrat. Cette licence inclut le droit de concéder
des sous-licences".
Il est constant que des sociétés poursuivies en contrefaçon ne sont pas
fondées à s'immiscer dans les rapports du breveté et du licencié et à
contester la validité du contrat de licence, dès lors que le breveté et le
licencié agissent dans la même instance.
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Dès lors, la société CIBA VISION AG établit suffisamment par les
actes versés aux débats sa qualité de licenciée de la société
NOVARTIS, étant relevé que cette dernière société présente dans la
cause ne lui conteste pas cette qualité.
-Sur le caractère exclusif de la licence
La société CIBA VISION AG ne prétend pas agir comme licenciée
exclusive de la société NOVARTIS sur le territoire français mais
comme simple licenciée. Dès lors, les développements des sociétés
JOHNSON et ETHICON sur le caractère non exclusif de la licence
concédée sont sans incidence.
-Sur la recevabilité de la société CIBA VISION AG sur le fondement de
l'article L613-9 du code de la propriété intellectuelle
La licence dont se prévaut la société CIBA VISION AG n'a fait l'objet
d'aucune inscription.
Il est constant que l'article L613-9 subordonnait la recevabilitié de
l'action du licencié à la publication de sa licence et que l'inscription
pouvait intervenir à tout moment, même après l'assignation en
contrefaçon et que la loi du 4 août 2008 a supprimé cette fin de non
recevoir.
Il convient de faire application des dispositions de l'article 126 du code
de procédure civile qui dispose que " dans les cas où la situation
donnant lieu à fin de non recevoir est susceptible d'être régularisée,
l'irrecevablité sera écartée si sa cause a disparu au moment où le juge
statue (...)"
Dans ces conditions, la loi ayant supprimé cette fin de non recevoir
désormais le licencié non inscrit est recevable à agir au côté du breveté
pour obtenir réparation du préjudice qui lui est propre.
Cependant aux termes de l'article 2 du code civil "la loi ne dispose que
pour l'avenir et n'a pas d'effet rétroactif'. Dès lors, si la condition de
recevabilité de l'action du licencié n'est plus subordonnée à inscription
de sa licence au RNB, cette mesure bien qu'applicable aux instances en
cours ne concerne que les actes commis à compter de l'entrée en
application de cette loi et non les actes antérieurs.
En l'espèce, la société CIBA VISION AG n'est donc recevable à agir
en application de ce texte qu'en ce qui concerne les actes commis après
le 4 août 2008.
-Sur le fondement de l'article 1382 du code civil
Pour la période antérieure au 4 août 2008, le licencié qui n'a pas de
droit privatif peut agir au côté du breveté sur le fondement de la
concurrence déloyale sur les même faits que ceux déjà argués de
contrefaçon.
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Rien ne lui interdit de se plaindre de la faute que constitue, sous
l'empire de l'article 1382 du code civil la contrefaçon du brevet
appartenant à son donneur de licence. Il peut donc demander réparation
de son dommage sur le fondement de la responsabilité civile.
Dans ces conditions, la société CIBA VISION AG est recevable dans
son action fondée sur l'article 1382 du code civil.
Sur la recevabilité de la société CIBA VISION SAS
Cette société déclare agir en sa qualité de distributeur exclusif en France
de lentilles de contact mettant en oeuvre le dispositif breveté.
Les sociétés JOHNSON et ETHICON soutiennent que la société CIBA
VISION SAS ne démontre pas sa qualité de distributeur exclusif de
produits brevetés, que les attestations produites ne démontreraient pas
ce caractère exclusif et qu'en toute hypothèse la société NOVARTIS a
soutenu dans la procédure d'expertise quelle avait consenti une sous
licence du brevet EP B0819 258 à certains concurrents.
La société Ciba Vision AG soutient qu'elle vend à sa filiale française,
la société Ciba Vision SAS, distributeur exclusif des produits Ciba
Vision en France, des lentilles qui mettent en oeuvre ce brevet, soit :
les lentilles Air Optix
les lentilles Air Optix Night & Day, anciennement dénommées Focus
Night & Day.
et que la société Ciba Vision SAS vend ces lentilles, en France, auprès
des centrales d'achat et des opticiens.
La société CIBA VISION SAS pour démontrer sa qualité de distributeur
exclusif des produits brevetés verse aux débats
-une attestation du président directeur général de la société CIBA
VISION SAS, attestée par son commissaire aux comptes indiquant que
"depuis l'année 2006, CIBA VISION SAS s'approvisionne en lentilles
de contact exclusivement auprès de la société CIBA VISION AG"
-une attestation du commissaire aux comptes de la société CIBA
VISION AG selon laquelle la société CIBA VISION AG vend à sa
filiale française, la société CIBA VISION SAS l'ensemble des lentilles
de la gamme AIR Optixdestinées au marché français
Le tribunal relève que la société CIBA VISION SAS soutient que les
actes de contrefaçon commis par les sociétés JOHNSON et ETHICON
ont constitué à son égard des actes de concurrence déloyale et lui ont
causé un préjudice, notamment par perte d'une marge, en raison de la
perte de ventes de lentilles de la gamme AIR Optixet fonde son action
sur l'article 1382 du code civil.
La recevabilité d'une action fondée sur l'article 1382 du code civil,
n'est pas subordonnée au caractère exclusif de la distribution, mais à
l'existence d'une faute, d'un dommage et d'un lien de causalité entre la
faute et le dommage.
Il est suffisamment établi par les pièces produites aux débats que la
société CIBA VISION SAS distribue en France des lentilles de la
gamme AIR Optix, que lui vend la société CIBA VISION AG, licenciée
de la société NOVARTIS titulaire du brevet dont s'agit.
Page il
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Le caractère exclusif de la distribution devra être apprécié par le
tribunal au stade de la détermination de l'importance du préjudice subi
par la société CIBA VISION SAS, il en est de même de la mise en
oeuvre du brevet par les lentilles AIR Optix, qui relève du bien fondé
de l'action et non de sa recevabilité.
Sur le lien suffisant des interventions avec l'action principale
Les sociétés JONHSON et ETHICON soutiennent que les interventions
seraient irrecevables faute de lien suffisant avec l'instance principale,
le tribunal étant par application de l'article 481 du code de procédure
civile désormais dessaisi de la contestation relative à la contrefaçon et
à la responsabilités des sociétés JOHNSON et ETHICON .
Il convient d'observer que le jugement du 25 mars 2009, est un
jugement mixte qui après s'être prononcé sur l'existence d'une
contrefaçon à l'égard de la société NOVARTIS par les sociétés
JOHNSON et ETHICON a sursis à statuer sur l'évaluation du préjudice
de la société NOVARTIS et a institué une mesure d'expertise sur cette
évaluation.
Dès lors, bien que cette décision fasse l'objet d'un appel, le présent
tribunal reste saisi de la demande d'évaluation du dommage de la
société breveté.
Dans ces conditions, l'action de la sociétés CIBA VISION AG, en sa
qualité de licenciée et de la société CIBA VISION SAS, en sa qualité
distributeur du dispositif breveté, aux côtés de la société
NOVARTIS, dans l'instance l'opposant aux sociétés JOHNSON et
de
ETHICON dont le tribunal a reconnu la responsabilité quant aux actes
de contrefaçon dudit brevet, pour voir reconnaître le préjudice qui leur
est propre du fait de ces actes contrefaisants possède un lien suffisant
avec l'instance actuellement pendante devant le tribunal.
Les interventions des sociétés CIBA VISION AG et CIBA VISION
SAS doivent en conséquence être déclarées recevables.
Il n'y a pas lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du
code de procédure civile.
Il convient de réserver les dépens.
PAR CES MOTIFS
Le tribunal statuant publiquement, par décision contradictoire,
susceptible d'appel avec le jugement sur le fond, et par mise à
disposition au greffe,
Déclare recevable l'intervention volontaire des sociétés CIBA VISION
AG et CIBA VISION SAS,
Renvoie l'affaire à l'audience du juge de la mise en état du mardi
11 Mai 2010 à 151.1eures 30 pour conclusions des parties sur
l'extension de la mission de l'expert saisi,
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Audience du 3 Mars 2010
3ème Chambre 3ème Section
RG 07/13504
Dit n'y avoir lieu à l'application de l'article 700 du code de procédure
civile,
Réserve les dépens.
Fait et jugé le 3 mars 2010
Le Président
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