Dfdanse

Transcription

Dfdanse
English Translation Follows vendredi 9 octobre 2009
Dfdanse
Le magazine de la danse actuelle à Montréal
Les gradués des Danses Buissonnières à Tangente : un aperçu
Garde tes gradués et regarde-les aller
Tangente propose la suite de ses Buissonnières avec, à la suite de ses diplômés, ses
gradués, un suivi des nouveaux chorégraphes de l’an passé, qui affirment leur
tempérament.
Helen Simoneau
Quatre chorégraphes au programme, dont deux
sélectionnées de la cuvée de Buissonnières 2008 :
Ashlea Watkin et Julia Male, accompagnées de
deux chorégraphes invitées, Helen Simoneau et
Alexandra « Spicey » Landé. Une sortie en filles
donc, mais loin de jouer la carte de la sensiblerie ou
de la putasserie. Au contraire, quatre styles bien
tranchés qui s’exposent sans gnagnas.
S.A.X. (stolen acts of xenophilia) d’Ashlea Watkin
s’appellera ici « Mangez du tigre ».En trois
mouvements et demi disons, cette pièce a pour
décor et accessoire une tête de tigre tissée bien
kitsch. La tapisserie s’enflamme d’éclairage
rougeoyant en introduction, et c’est une sorte de
démon intérieur qui se réveille. Et le tigre est en toi ! Mouvement 1 : l’approche, féline
car l’air de rien, la chorégraphie qui part de dos genre réservée s’aventure jusqu’à
l’avant de la scène très libérée de sa première timidité. Second mouvement avec une
bonne joke sexe de recette pour atteindre l’extase (looney/dime/quarter/nickel… 25
buck 25 buck !), le bassin de la danseuse appuyant plus que suggestivement sa
narration. Un troisième temps, la pudeur peut-être, le retranchement après s’être
dévoilé, reste abstrait. Mais enchaîne après courte interpellation du public pour
dénicher un courageux, sur un réveil où l’autre n’est plus mais dont le poids reste
empreint sur le corps, ou du moins l’a transformé au point qu’il faut se le réapproprier.
Cette lecture sexuelle fauve de la présentation - l’attaque l’approche le retranchement
puis la perte ou le retour à la solitude - donne le goût d’aller fouiller dans l’astrologie
chinoise pour connaître les traits typiques de caractère du tigre. Tripant niveau
musique (CHRISTIAN OLSEN aux batteries et Thibaut Duverneix à la guitare, les
deux ayant collaboré non innocemment avec Poirier, encore Ghislain à l’époque) et
très assumé dans l’interprétation, avec ce côté anglophone dégêné terriblement
Fringe.Et si l’on renommait Has Nowhere To Go, And Nothing To Fill It Up « C’est
une poupée-héhé » ?
La gestuelle a quelque chose de désarticulé, en décalage permanent, malaisé.
Comme des échassiers malhabiles qui enjambent des obstacles inexistants, feignant
l’élégance avec une fierté risible. Le comportement paraît plus animal ou animé
qu’humain (revient l’Albatros maladroit de Baudelaire), et la dynamique même
désaccordée est mécanique. Une ballerine de boîte à musique se dérègle et perd
l‘équilibre, ou un mannequin d’entreposage prend vie après minuit dans une boutique
oubliée. Sans la dimension psychologique douloureuse, le côté pantin introduit au
monde plus médical de la réadaptation, de la rééducation du corps qui n’est plus
capable de se mouvoir qu’en contorsions rigides et systématiques. Le ton est
toutefois positif, dans la redécouverte du mouvement plus que dans sa limitation
frustrée (Jacinte Giroux dans une création de Jo Leslie au Transatlantique
récemment). Pipa (du Present State Movement, Fringe 2009) était de la même trame
poétique où l’on palpe un imaginaire qui devient presque réel. Helen Simoneau offre
aussi à toucher du doigt un rêve, en plus concret et moins lyrique heureusement.
« Mais, tout cela ne reste qu’une distraction de ce que je veux vraiment vous dire »,
alias The gentleness was in her hands est étonnamment LA pièce de la soirée,
étonnamment parce que ne payant peut-être pas de mine bien que sur le moment
déjà elle accapare, et hante ensuite. L’interprète est totalement dépassée, la mine
sale et fatiguée, le regard vague, l’épaule affaissée. Le jeu n’est pas si impersonnel
qu’il y paraît, et l’impact sur le spectateur est crument intime. La tête excessivement
lourde, les bras ballants, et une gravité qui écrase toujours plus. Il existe un poids des
choses de la vie, contre lequel on peut s’obstiner mais qui subsiste et atterre. Une
fatigue devenue impossible à soulever.
Lève le doigt avant de ne pas parler, ne te laisse pas accabler, réagis, redresse-toi,
réessaie, ressaisie-toi, lève ta mine au poids de plomb. Et l’on finit par embrasser les
fantômes de nos paroles non dites qui se referment sur nous. C’est pudique dans le
traitement, mais tout compte fait assez dur et dépressif, oscillant entre simuler qu’on
supporte et la prise de narcotiques abusive et expéditive. Julia Male est extrêmement
touchante, et communicative malgré ses balbutiements ravalés.
Ils s’appellent pour la frime ’Kurlz’ (Melanie Pinheiro), ’Taminator’ (Valerie Chartier),
’Sleepy Fred’ (Frédérique Dumas), ’Ddimplz’ (Erich Etienne), ’Ebony’ (Axelle
Munezero), ’Cherry’ (Martine Bruneau), et ’Luda’ (Jean Edouard Pierre Toussaint). Le
break-danse leur colle aux basques, comme leur chandail-cagoule rouge au visage,
et ce détail scénographique fait tout le caractère de la pièce. Rien à redire à la
maîtrise technique du style, c’est énergique et surtout, la chorégraphie va
constamment chercher un second niveau, plus dans la dérision et le décalé. Aussi la
trame sonore comme les passes de danse pourront évoquer un beat essoufflant à la
Michael Nyman (La leçon de Piano) remixé techno, ou un tango Gotan Project mené
live. Tantôt Fantomas ou Spiderman, les trois plongeurs en maillots de Kodak, des
bonshommes verts dans un spot publicitaire, mais aussi les Frères Jacques ou une
parodie de braquage raté, ces schtroumpfs rouges ont du talent et de la fougue à
revendre, le poing levé mais l’humour toujours à bout de bras. La logique du tombé
de masque et re-voilement de face n’est pas claire dans ses causes et
conséquences, mais qu’importe. Un univers presque TimBurtonien dans le contraste
festif/politique de ce groupe d’intervention plutôt spécial, comme un joyeux ballet de
cadavres et croquemorts. En brèves de coulisses, on entendait ces gais lurons
craindre l’accueil tant ils se démarquaient des solos de la soirée… Ils ont ravi.
Marion Gerbier
English Translation: The body language is somewhat disjointed, in permanent delay, uncomfortable. Like clumsy waders that trip over non‐existent obstacles, pretending elegance with a laughable pride. This behavior seems more animal or animated than human (here returns the clumsy Albatros of Baudelaire), and the dynamic though out of tune is mechanical. A music box ballerina becomes unsettled and loses her balance, or a store mannequin comes to life after midnight in a forgotten boutique. Without the painful psychological dimension, the pantomime aspect introduces to the more medical world of re‐adaptation, of reeducation of the body that is no longer capable of movement other than by rigid and systematic contortions. The tone is nonetheless positive, in its rediscovery of movement more than in its frustrating limitation (Jacinte Giroux in a creation of Jo Leslie at Transatlantique recently). Pipa (of Present State Movement, Fringe 2009) was of the same poetic score where we touch the imaginary that becomes almost real. Helen Simoneau also offers a first hand experience of a dream, fortunately more concrete and less lyrical.
“All of this is but a distraction in what I really want to tell you”, alias The gentleness was in her hands is surprisingly THE piece of the night. Surprisingly because though it perhaps does not look special, yet already, on the fly, the piece absorbs, and then haunts. The dancer is totally overwhelmed, a tired and dreadful expression, a vacant look, a sagging shoulder. The game is not as impersonal as it may appear, and the impact on the spectator is crudely intimate. The head excessively heavy, the arms dangling, and a seriousness that always crushes more. There exists a weight of things in life, against which we can insist, but that subsists and holds us down. A fatigue that has become impossible to lift.