Article M.Touami
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Article M.Touami
UNE AVENTURE TECHNOLOGIQUE AU SAHARA UN EEMI A HASSI MESSAOUD 1976/89 LE CONTEXTE Je suis arrivé à Hassi Messaoud, cité pétrolière saharienne, par une très froide matinée du début de l’année 1976. Cette phrase me rappelle un peu la fameuse ouverture du « Grand Meaulnes » : « …nous sommes arrivés à…..par une froide matinée de décembre 18… » Je la cite à peu prés. Mais Hassi Messaoud, pays du pétrole, sauf par le côté nostalgie, mystère et charmes romantiques n’a rien à voir avec la Sologne d’Alain Fournier. C’est une contrée aride et sauvage, souvent climatiquement épouvantable. C’est une immense « Base de Vie » plutôt qu’un village ou une ville ; c’est-à-dire un ensemble d’austères installations préfabriquées néanmoins non dépourvues d’un certain confort où vivent et travaillent des milliers de gens venus « d’ailleurs » ; des professionnels de toutes sortes qui, tous métiers confondus, finissent par prendre le titre prestigieux de « Pétroliers». Le régime de travail y est du type « 6/4 » ; c’est-à-dire que l’employé effectue six semaines de présence ininterrompue sur site pour quatre chez lui, ailleurs en Algérie, où à l’étranger pour les « expatriés », à titre de « congé de récupération ». Il n’y a ni weekend ni jours fériés ; les horaires de travail sont de 9 heures par jour pour le personnel de « surface » , administration intendance , maintenance , « caté ring » , logistique , technique et de 12 heures d’affilé pour les pauvres bougres du « quart » , suant sang et eau , et rendant quelques fois accidentellement âmes , par 50/60° à l’ombre sur les appareils de forage . Il est vrai que pour ces catégories-là les salaires sont en conséquence, mais pour tout le monde, l’attrait du grand sud et de ses mythes pèse de tout son poids dans les motivations. Il est possible qu’on ait le désert dans le sang comme on a la foi ou la passion. Le régime de travail est à l’origine d’une rotation intensive des personnels .Le « turn over » résultant du « 6/4 » explique la formidable activité du minuscule aéroport de Hassi Messaoud ; minuscule et rudimentaire par la taille et les équipements mais premier en Algérie par le volume du trafic. Premier par l’intensité du trafic, mais aussi par la riche et chaleureuse diversité de l’origine des passagers venus de tous horizons, du pays comme de l’étranger. Bônois , Algérois , Oranais , Constantinois s’y mêlent le temps d’ un transit , mais aussi des voyageurs venus de très loin : américains, russes , roumains , italiens , français évidemment, mais aussi syriens , maltais , polonais , etc.… En sus des infrastructures fondatrices constituées par les innombrables bases de vie et autres ateliers ; la petite cité civile de Hassi Messaoud , naissante alors , comptait quelques charmants « camps » ( hameaux) de quelque quarante à cent résidences individuelles chacun , disséminés à travers de luxuriants fourrés de verdure tropicale , de véritables micro-oasis réservées à ceux des cadres et ingénieurs installés en famille . Comme une grande famille réunie autour d’un âtre, la vie des « déracinés », se concentrait et s’organisait autour d’une petite esplanade commerciale alimentant les foyers en produits et articles divers, et servant, dans les relatives fraicheurs du soir, de promenade aux rares femmes qui vivaient là. Le « Far West » ! Mais un « Far West » sympa, chaleureux, convivial, familial ; et l’aventure fascinante est juste aux portes de la petite agglomération .C’était ainsi du moins à l’époque. J’étais venu y vivre et travailler en « célibataire ». Autrement dit j’étais soumis au régime du « 6/4 », et allais résider dans une piaule affectée « à vie » à la base de vie Nord de la compagnie « Sonatrach ». Un grain de poussière de plus dans la fourmilière des quelque 2000 résidents qui y vivaient en permanence. Et la base Nord, la BN, n’était qu’un élément de l’immense patrimoine saharien de la vache à lait du pays : la florissante « Sonatrach ». J’avais 33 ans. Cela faisait huit années déjà que j’avais quitté Paris et l’Ecole ; huit années à apprendre la dureté du métier d’ingénieur sur le terrain, dans un contexte socio-économique en plein bouleversement et avec, déjà, il faut le souligner, d’écrasantes responsabilités conférées par l’employeur étatique. A cette époque en effet, encore bénie pour les chercheurs d’emplois, les ingénieurs algériens étaient rares par rapport à la demande. La chance de ceux de ma génération, toutes autres abominations qu’ils eurent à encaisser, restant égales par ailleurs, était que les bonnes places tout comme les promotions rapides, pour ne pas dire fulgurantes, étaient en profusion. Dans ce même exceptionnel contexte de profusion de postes à responsabilité de haut niveau , je venais déjà de « construire » , en tant que très jeune directeur de projet, ma première centrale thermo-électrique-vapeur dans le port de Annaba ( ex-Bône) ; deux tranches de 120 et 55 mégawatts pour le compte de l’EGA ( Electricité et Gaz d’Algérie ) l’équivalent en miniature d’EDF plus ou moins accointée avec sa fondatrice et grande sœur française. A l’école de la réalité j’avais appris en quatre ans de direction de projet suivis de quatre autres dans le domaine de l’ingénierie et de la maintenance industrielles, ce qu’étaient réellement la technique et la technologie, sans compter les servitudes encore plus ardues du management. Je débutais réellement ma carrière, sûr d’une expérience acquise sur laquelle allaient se baser désormais mes petite assurances et surtout mes audaces à venir. Bref je me sentais capable de faire beaucoup de choses et des plus spectaculaires ! LA DTP-SONATRACH FIRME DE FORAGE PETROLIER GEANTE • 150 APPAREILS EN EXPLOITATION, • 12000 HOMMMES PERMANENTS, • SISMIQUE, CLIMATISATION, INSTRUMENTATION, GENIE CIVIL, • INTEGRATION DE LA TOTALITE DES SERVICES AUX PUITS. Mon nouvel employeur à Hassi Messaoud était la DTP (Direction des Travaux Pétroliers) ; c’est un département opérationnel de forage pétrolier relevant de la division hydrocarbures du géant « Sonatrach ». Géante elle-même, ma firme spécialisée intégrait la totalité des services au puits, allant de la sismique au génie civil en passant par l’instrumentation, la climatisation, la topographie et assurait ses propres activités d’intendance, de « cate ring » et d’hébergement des effectifs. Elle exploitait 150 appareils de forage, l’un des plus grands parcs au monde, et gérait un effectif permanent de douze mille hommes. Ses services sanitaires urgents étaient couverts par deux «beechcrafts » médicalisés de douze places chacun. Elle disposait d’une dizaine de bases de vie et d’ateliers de maintenance répartis sur tout le territoire et sa compétence territoriale couvrait la totalité du Sahara. J’étale sciemment ces précisions dans le but de donner un juste aperçu de l’importance considérable de la firme, conséquemment une idée en adéquation parfaite avec l’envergure du projet dont elle me confiera la charge. La firme avait pour vocation et était équipée pour intervenir en opération intégrée ,sans sous-traitance partielle intermédiaire ;elle honorait ses commandes , toutes émanant de la maison-mère évidemment , selon le principe du « puits en main » qui intègre la totalité du cycle de réalisation de l’opération .Sa mission globale comporte la phase implantation de l’appareil , la réalisation des pistes d’accès aux aires de forage et les plateformes de service, l’exécution du forage proprement dit et de ses servitudes, le nettoyage du site de chantier puis la livraison du puits au maitre d’ouvrage. On imagine la formidable équipée , par 50 à 60° Celsius à l’ombre, dans un paysage sablonneux et vide à perte de vue , la flotte à mobiliser et surtout le rythme infernal avec les casses de matériels et donc les inextinguibles besoins en maintenance et en pièces de rechange inhérents . Un forage d’exploration, le plus dur des forages, dure environ deux mois, mobilise une centaine de personnes sur site et coûte plusieurs millions de dollars. Il part équipé de ses cabines d’hébergement, de ses cuisines et de ses frigos, nanti d’une infirmerie, de groupes électrogènes et d’un parc d’engins et d’automobiles complet. Il nécessite des dizaines de navettes pour son approvisionnement à partir du centre logistique en eau, nourriture, carburants, consommables techniques etc... Il a aussi un prix humain qu’il ne faut jamais oublier : il coûte beaucoup en souffrances, en solitude et en drames ; souvent la mort accidentelle, imprévisible, la mort brutale et cruelle le visite, cassant des foyers entiers. Ma firme creusait des puits de pétrole, forait inlassablement de Hassid Messaoud à Tamanrasset, à Hourde Nouss, à Gharr, à Tindouf et l’extrême ouest du pays. Elle faisait des grands trous, des grands trous et toujours des grands trous, un peu à la manière obsessionnelle du « poinçonneur des Lilas », mais sans jouir du même climat béat ni de la même routine tranquille .On creusait la terre comme des fous et parfois tout comme le philosophique poinçonneur de Gainsbourg on se demandait pourquoi. A seulement considérer l’immensité des distances à parcourir et le caractère désertique des contrées à traverser on imagine facilement le niveau pharaonique de la logistique à laquelle il est fait appel pour simplement implanter l’appareil et le ravitailler en cours d’opération , en eau , en denrées alimentaires , en carburants , etc... D’où l ‘armada de matériels en tous genres acquis et exploités par la firme et exploités dans des conditions climatiques extrêmes. D’où l’épineuse et presque insoluble complexité du problème de maintenance, complexité et insolubilité rendues encore plus irréductibles du fait d’une gestion bureaucratique et rigide, presque mystique des firmes étatiques. En séminaire chez un consultant à Paris , un expert m’avait impressionné en affirmant pourtant une simple évidence, qui est devenue une énigme tant l’absurde bureaucratie qui a réussi à totalement m’ôter de la tète le droit de décider de ce que je jugeais être le meilleur et le plus efficace sans en référer à une longue, interminable et tortueuse quête d’accords préalables . Le plus banal des actes de gestion était devenu dans notre tête séquestrée par les puissances de l’absurde des sortes de prouesses incalculables. L’expert avait tout simplement dit sans se rendre compte de l’incroyable effet qu’il provoquait en moi : « un des critères clés de l’acte de maintenance est dans la rapidité d’acquisition de la pièce de rechange ; la disponibilité doit être absolue ; sinon doit être réduite à sa plus simple expression : le délai d’approvisionnement. C’est une question d’heures, au pire de jours « et si on le calcule en mois sinon en années ce délai tel qu’on le fait chez nous ? » avais-je dit avec détresse. L’homme m’avait regardé comme si je déraillais ou plaisantais, puis se rappelant qu’il avait à faire à un algérien et connaissant l’inflexible réputation de la bureaucratie, il avait conclu : « dans ce cas-là je vous conseille de changer de métier…sinon carrément de pays… » J’aurais aimé qu’il eût le courage de conseiller à nos patrons d’arrêter de gaspiller les deniers publics en vains stages de formations de « mise à niveau » à l’étranger, puisque ce n’étaient pas nos compétences qui faisaient faillite mais plutôt le système lui-même. UN PARC ROULANT DE 3700 UNITES ALLANT DE LA LAND-ROVER TT AUX BULLS DE 500 CV ET AUX KENWORTH AUTO-CHARGEURS DE 50 TONNES , 15000 MATERIELS PETROLIERS ,12000 EQUIPEMENTS DE FROID ET CLIMATISATION , DES CENTAINES DE GRUES , CITERNES ,CHARIOTS ELEVATEURS, DES CENTAINES DE GROUPES ELECTROGENES DE 200 A 500 kVA , ETC,ETC…TEL ETAIT LE FORMIDABLE PATRIMOINE LOGISTIQUE A MAINTENIR Quelle était la mission principale, la finalité de la firme ? Forer des puits pétroliers. Cette mission avait prérogative de couvrir les trois catégories de forage en usage dans le monde du pétrole, à savoir : les forages d’EXPLORATION, soient les opérations de recherche systématique de nouveaux gisements , les forages de DEVELOPPEMENT, ou d’augmentation des capacités de production des champs déjà en exploitation, enfin les forages de « WORK OVER » ou d’entretien des puits existants .Les puits en effet se colmatent au bout d’un certain temps. Il faut les récurer .Un appareil d’intervention léger s’en occupe, c’est le « WORK OVER ». Cette lourde prérogative est déjà en ellemême une tâche ardue et considérable. Mais par la faute d’une tendance décousue , propre à nos entreprises étatisées , la DTP s’était doublement compliquée la tâche en associant à son domaine d’activité de base toutes les activités de logistique et notamment l’une des plus hypercomplexes d’entre elles : la fonction maintenance, ceci dans le cadre d’un souci d’autosuffisance et d’autonomie illusoires. Ce faisant ses activités dites de soutien, qui auraient gagné à être décentralisées, voire externalisées, au lieu d’apporter l’efficience et la compétitivité escomptées, grevaient lourdement ses énergies, rajoutaient leurs inerties propres à l’énorme désordre déjà existant. > Paradoxalement les activités secondaires, dites de soutien annexaient littéralement ces énergies ; elles les monopolisaient au détriment de la vocation et du métier de base ; conséquence : au lieu d’optimiser ces efforts en vue de dynamiser la production on s’épuisait à administrer des poids morts et une multitude de contre-performances résultant d’une divergence pléthorique des centres d’intérêt. Autrement dit, on palabrait durant des heures et on polémiquait de même pour au final reculer de deux pas après avoir avancé d’un. C’est ça l’essence même de la bureaucratie. Parler, ne jamais décider. Car le vrai problème pour nous, ce n’était pas tant s’encombrer de notre propre maintenance que d’incarcérer cette fonction vitale dans un corset bureautique de caractère inflexible : comme s’il s’agissait de battre tous les records du monde en matière de lenteur, de médiocrité et de mauvaise foi. Les mainteneurs étaient devenus les champions du « cossardisme », de la nullité congénitale et du sabotage ; ils étaient les derniers dans la chaine des responsabilités, ceux dans le camp desquels la balle était restée, les boucs émissaires. Quand je suis arrivé à Hassi Messaoud les services de maintenance de ma nouvelle firme, ceux dont il était prévu que j’allais hériter en tant que nouveau chef, atteignaient le fond de l’infamie, c’était tout juste si on ne leur faisait pas un procès public, tout juste si on ne les lynchait pas ! Mais malgré cette redoutable perspective pour ma carrière et pour ma paix intérieure, j’arrivais aussi à point nommé. C’est-à-dire au moment où on préparait l’inauguration et la mise en service d’une immense nouvelle base de maintenance centrale : la base industrielle du Vingt Aout 55 de Hassi Messaoud. On la nommait ainsi en référence « langue- de-bois » à un épisode sanglant de l’Histoire de l’Algérie. On aurait pu trouver techniquement mieux approprié et moins sinistre. C’était un investissement spectaculaire, au moins par la taille, la splendeur et le coût, un instrument décisif sur lequel misaient tous les espoirs de redresser la barre, de sortir la maintenance de la « mouise » ; pour ne pas dire de la marginalisation et du quasi-déshonneur ! Encore fallait-il, pour les futurs exploitants, être à la hauteur de la vision des bâtisseurs de la superbe infrastructure. Car hélas, comme il était de tradition à l’époque c’était un investissement « clé en main ». Il a été conçu dans des bureaux étrangers, construits par les mêmes, avec des matériaux et des équipements choisis, achetés et montés par les mêmes .Nous avions là la lettre, comment retrouver l’esprit et la norme, comment s’élever à leur hauteur ? LA NOUVELLE BASE DE MAINTENANCE CENTRALE DE LA DTP HASSI MESSAOUD : 14 HECTARES D’ATELIERS, DE MAGASINS, DE PLATEFORMES DE SERVICES, D’UTILITES DIVERSES, DE BUREAUX, D’ESPACES VERTS…. Faute d’amateurs tentés par l’aventure et surtout doués d’ expériences suffisantes en la matière, l’honneur comme la redoutable responsabilité d’organiser , d’équiper et de mettre en service les ateliers de la nouvelle base m’échurent de facto ; et ce ne fut ni pour me déplaire ni pour me faire peur . J’aimais ce genre de challenge , et partir de zéro avec une table rase et des moyens neufs constituaient des atouts considérables . On sait qu’il est beaucoup plus facile de construire à neuf que de corriger un existant tordu, ou d’éponger un passif négatif trop bien ancré. Je m’empresse de préciser que pour aussi beaux et performants et vastes fussent-ils, les ateliers avaient été livrés vides ; c’était des « murs » ; il fallait imaginer, doter et implanter les postes de travail un à un dans un ensemble cohérent ; c’est ce que j’avais le devoir de faire, c’était ce qu’on attendait de moi et pour lequel on me donnait carte blanche. J’ai donné plus haut un bref aperçu des catégories d’équipements et des matériels en usage dans l’entreprise ainsi que leur importance numérique. Jusqu’alors ce parc extraordinaire bénéficiait d’une maintenance rudimentaire dans des installations de fortune indignes de la valeur incalculable de ce patrimoine. Il était donc attendu de la nouvelle base un meilleur accueil et un traitement plus performant. D’où l’attention très particulière accordée par la hiérarchie à la nécessité d’une excellente organisation préalable, avant toute mise en service opérationnelle de l’infrastructure. D’où l’écrasante confiance que je sentais placée en moi , d’où les premières jalousies sournoises des collègues , d’où la lente montée en puissance du front hostile qui allait s’opposer par tous les moyens , pas toujours logiques ni loyaux à mon action et bientôt au grand projet que j’allais mettre en route . Un projet non prémédité d’ailleurs, une simple improvisation survenue en cours de route. Mais une improvisation hardie et ambitieuse. Les enjeux, comme on va le voir, étaient grands en effet, et pas seulement de style symbolique comme la gloire, la promotion ou le vedettariat. De grands intérêts matériels occultes gouvernaient les ambitions des professionnels de l’intrigue dans l’ombre et des zélotes des « acquis irréversibles » et autres privilèges inamovibles de classe …Mais cela est une autre histoire. Il est intéressant et utile pour la compression de la suite de cet exposé de détailler un peu plus les capacités d’accueil de la nouvelle base et de préciser le mode de répartition des catégories de matériels par atelier spécialisé. En termes de capacités d’accueil, 7 ateliers flambants neufs composaient le nouveau complexe de maintenance. En aires de travail couvertes et outillées, cela faisait un total de 50000 mètres carrés. Ces ateliers étaient prévus pour être alimentés par un groupe de magasins centraux spécialisés d’une superficie globale de stockage aménagée de 20000 mètres carrés. L’ensemble ateliers-magasins était renforcé de 30000 mètres carrés environ de plateformes de services aménagées ; les premières destinées recevoir les colis encombrants ; les secondes à servir d’aires de travail en plein air pour certaines opérations ne nécessitant pas de conditions environnementales particulières. De plus, la nouvelle base recevait les bureaux du siège de la firme délocalisés d’Alger .Elle regroupait également certaines utilités et servitudes stratégiques telles que : un central de télécommunications et un réseau de faisceaux hertziens , une station de déminéralisation pour la production d’eau potable à partir de l’albien ,une station service et de distribution privée de carburants , etc. Dans les quatre magasins centraux 200 000 pièces de rechange étaient stockés dont 30 à 40 % en rotation rapide. En phase de croisière 2500 personnes environ ; les membres des corps techniques de surface et ceux du corps administratif devaient s’y concentrer pour y travailler. La totalité des services centraux devaient à terme y être implantés à l’exclusion du « cate ring », de l’hôtellerie, de la sécurité et du médico-social, qui resteraient fixés à leurs ports d’attache originels dans la Base de Vie Nord. Environ une centaine de mètres séparaient les entrées des deux bases, ce qui faisait que quatre fois par jour on assistait à une intense noria de transferts motorisés des personnels entre ces trois pôles essentiels de la vie : boulot, dodo et miam miam … SEPT ATELIERS SPECIALISES ET UN STOCK DE PIECES DE RECHANGE DE 200 000 ARTICLES POUR ASSURER LA COUVERTURE EN MAINTENANCE DE LA TOTALITE DES MOYENS LOGISTIQUES ET DE PRODUCTION A mon arrivée à Hassi Messaoud la construction du nouveau complexe ateliers-magasins était achevée. L’affectation de chacun des ateliers à une catégorie de matériel donnée était déjà décidée par le management d’un commun accord avec le constructeur de l’infrastructure. Mon action de parachèvement devait s’insérer dans le cadre de cette décision organisationnelle antécédente. Ce qui ne me gênait absolument pas. Il y avait tellement d’espace et de volume bâtis à ma disposition que je pouvais me permettre ce que je voulais. Mon travail d’organisation consistait à matérialiser les postes de travail, à en formaliser l’existence, à insérer le tout dans le cadre d’un organigramme fonctionnel d’ensemble qui assurerait son unité et sa cohérence à la fonction maintenance de l’entreprise ; fonction restée jusqu’alors artisanale, marginalisée et éparse. Bien entendu la priorité de l’action allait à l’aspect pratique des choses ; pas question de s’égarer en grosses théories sophistiquées pour le moment. Il était urgent de former les postes de travail, de les concrétiser sur le terrain , d’en limiter les emprises spécifiques , de les outiller et de les équiper en fonction des spécialités techniques requises et de la répartition des tâches déterminée par la nature technologique de chaque catégorie de matériels à traiter . Travail de fourmi et de « stakhanoviste » par 50° Celsius à l’ombre…Heureusement qu’à environ 200 mètres de la base , ce qui correspond à quelques microns à l’échelle démesurée du désert saharien , existait encore une ancienne relique héritée de l’ex Compagnie Hôtelière Saharienne ( le CHS ) , relevant de la mythique CIE TRANSATLANTIQUE des temps héroïques . C’était un sympathique relais inséré dans une touffe de verdure édénique où à l’ombre des mineuses et des palmiers en bouquet venaient se reposer autour d’une caisse de bière « PILS 33 » les guerriers de la région. Guerriers dont mon vieil ami Simon, un ingénieur français expatrié et moi étions les raffinés représentants. Simon était déjà un « vieux » , la cinquantaine ,par rapport au jeunot que j’étais à l’époque , il était aussi « exilé » et aussi solitaire que moi , et tout comme moi il trouvait l’apaisement de la nostalgie du « pays » dans des gueuletons occasionnels bien arrosés et dans ses pauses-bières qu’on s’offrait dans les midis caniculaires sous la fraicheur inouïe de ce petit paradis ….Quelque fois une blonde walkyrie surgissait d’on ne savait où , puis l’énigmatique « touriste » disparaissait aussi mystérieusement qu’apparue …. « Pince moi, je rêve … » ; me disait le vert quinqua en clignant des yeux. « non, tu ne rêves pas Simon » ; répondais-je invariablement en clignant des yeux de façon identique .Je m’entendais bien avec Simon ; avec lui j’avais un interlocuteur de choix ; lui de même avec moi. Il en sera question un peu plus loin…avant que les dramatiques contingences de la vie n’en clôturent à jamais le chapitre. Question donc de moyens en exploitation dans l’entreprise, une grande variété d’usages, de marques, de types existaient en ce domaine, d’où le nombre élevé d’ateliers spécialisés ; d’où l’importance vitale de la nécessité de découpage par catégories, et même sous-catégories. Au final on avait catalogué et scindé le parc global des moyens en 7 grandes catégories, technologiquement homogènes, sinon au moins affectés au même service de production ou de logistique. Ainsi distinguait-on la catégorie « MATERIELS ROULANTS » qui, évidemment regroupait l’ensemble des véhicules en service dans l’entreprise, soit au total 3700 unités, tous types confondus. La nomenclature du parc en service dans l’entreprise comprenait une très large gamme de tonnages et de fonctions allant du 4x4 tous terrains Land Rover , classée dans la sous-catégorie « léger » et destinée au service liaison, aux transporteurs lourds ou moyennement lourds ( camions bennes , plateaux, tracteurs semi- remorques ) et aux gros engins pétroliers Spécial –Sahara , les impressionnants porteurs-tracteurs tout terrain de style KENWORTH : 500 CV , six ponts moteurs ,rouleau pétrolier , treuil et bras de « gin pool » pour autochargement . Dans ce lot on trouvait même quelques 4L RENAULT égarées dans la masse. J’ai aussi vu d’authentiques 2 CV capotées de bâches grisonnantes circuler comme de prestigieux vestiges, telle celle dont je crois me souvenir que JUGLAR (promo 68) utilisait du temps de notre jeunesse. Pardon au concerné si je confonds et me trompe. Cette flotte considérable était donc forte de 3700 unités, tous types confondus, dont (c’est important à souligner) 200 KENWORTH. Le KENWORTH, ou géant tous terrains texan était utilisé pour les déménagements des appareils et chantiers de forage d’un site de travail à l’autre. Il roule sur les dunes et à travers dunes comme moi, je marche sur un lino ; il te charge d’un coup de treuil annexé un colis de 50 tonnes sur le plateau ou la sellette et le livre ailleurs où on veut en un clin d’œil. Sans ce chameau mécanique du Sahara pas de forages pétroliers possibles ! L’engin chéri coûte les yeux de la tète, en prix d’acquisition, et en coût d’exploitation. La découverte d’un bon puits l’amortit un million de fois … L’atelier EN 11 , le premier de la liste : 8000 mètres carrés, trois travées d’interventions spécialisées ( « léger » , « lourds » , « spécial KENWORTH » ) devait être agencé et organisé pour être en mesure d’accueillir et de traiter dans de bonnes conditions la catégorie « MATERIELS ROULANTS » Puis venait la catégorie : « ENGINS DE TRAVAUX PUBLICS ET DE MANUTENTION » . Cette flotte regroupait les grues automotrices et autres appareils de levage mobiles de 25 tonnes et plus, les chariots élévateurs de 3 à 20 tonnes, les treuils non pétroliers et tous les systèmes mécaniqueshydrauliques en général. Ceci pour la manutention et le levage. Côté engins de travaux publics on disposait d’un important parc de bulldozers, de « scrapers » , de niveleuses , de chargeurs , de compresseurs , de bétonnières , de bennes , etc.… Tout ce qui devait entrer en jeu lors de la phase technique préparatoire des chantiers de forage : pistes d’accès, plateformes de services, cave de tète de puits. Le voisinage dans le même atelier des engins de manutention et de travaux publics se justifiait par l’existence d’un point commun entre les deux : les systèmes hydromécaniques de commande et d’asservissement, vérins, pompes, distributeurs, convertisseurs. L’atelier EN 12 second de la liste, 5500 mètres carrés, deux travées d’intervention spécialisées, deux ponts roulants de 10 tonnes, était destiné à recevoir les catégories engins de manutention - levage et de travaux publics. > La troisième catégorie recensée étaient constituée par les organes mécaniques de l’appareil de forage proprement dit ; c’est ce qu’on appelait avec respect la « mécanique pétrolière »…autrement dit c’est le noyau central de l’outil de production. Au total 11000 gros équipements de ce genre et de ce gabarit étaient en exploitation dans l’entreprise ; une très coûteuse collection de composants et de sous-ensembles spéciaux dont les treuils de forage géants de 200 tonnes , les crochets de levage de même capacité et leurs mouflages , les tables de rotation , les pompes à boues , les bacs à boue , les boites de transmissions et autres réducteurs ; sans oublier les superstructures et le monumental mât de levage , cette tour légendaire qui de loin annonce la « sonde »pétrolière , le fameux « derrick » des pionniers de l’or noir . L’atelier EN 2, 6000 mètres carrés couverts, deux travées d’interventions spécialisées, deux ponts roulants de 10 tonnes devait être organisé pour traiter ce genre de matériels. Il s’agit de gros et très gros matériels , onéreux aussi , dont la prise en charge de la maintenance approfondie nécessitait autant de savoir-faire minutieux, de sérieux que de moyens de manutention et d’outillages spéciaux en adéquation et surtout , de ressources humaines qualifiées. C’était là le défi majeur lancé à l’entreprise. Le cœur névralgique de ses soucis. La maintenance des composants de l’appareil de forage consommait d’énormes budgets en pièces de rechange et autres sous-ensembles pour échanges standards, c’était le patrimoine stratégique, celui dont la priorité éclipsait toutes les autres sauf celles inhérentes au domaine de la sécurité. C’était ce patrimoine technique dont la moindre défaillance causait d’énormes pertes à l’entreprise, en termes de manque à produire, de coût de réparation, voire de coût humain (accidents mortels ou gravement handicapants). L’urgence était là et c’était de ça qu’il fallait espérer des gains massifs et des performances spectaculaires en cas de réussite de nos actions d’organisation. On n’allait pas lésiner, d’autant plus que les centres du pouvoir qui avaient prérogatives de nous allouer des budgets d’exploitation en devises faramineux, n’y allaient pas eux-mêmes avec le dos de la cuillère, et pour cause ! Leur bonne fortune, pour ne pas dire leurs hauts privilèges étaient intimement liés à la manne pétrolière ; ils étaient les mieux placés pour savoir les enjeux extraordinaires associés aux performances (ou aux non-performances) des foreurs de puits magiques. Ces inépuisables « trous de cocagne ». Les foreurs proprement dits, ces nobles « producteurs » avaient tendance à tirer la totalité de la couverture à eux, réservant avec condescendance et mépris la part congrue aux « souteneurs ». Il fallait expressément veiller à ce que ce qu’on gagnait de ce coté-là( favorisé en disponibilité opérationnelle de l’appareil de forage) ne fut pas anéanti par les défaillances des moyens de soutien logistique, maintenance y compris…Difficile dilemme…. La firme fonctionnait comme un organisme intégré , aucun des éléments de la chaine n’était dépourvu d’importance, rien n’était laissé pour compte. Un joint bloquait l’appareil ; cela tout le monde le savait , mais l’ignorait et passait outre à la table de négociation des allocations budgétaires et autres avantages. Enorme polémique entre foreurs-producteurs et souteneurs , éternelle guerre des opinions , des valeurs et des intérêts sous- jacents . Guerre qui avait fini par exacerber un collègue directeur des services de transports (soutien par excellence) au point de l’acculer en pleine réunion de direction à comparer , en jouant ironiquement avec les mots , l’ingratitude de sa mission à celle , infiniment plus douteuse, des professionnelles de même nom mais d’une toute autre activité… L’atelier EN5 devait être organisé pour pouvoir assurer la maintenance approfondie des « groupes de force » et des groupes électrogènes. Il s’agit de tous les systèmes de motorisation et de fourniture d’énergie autonomes destinés à l’entrainement des machines de l’appareil de forage (treuils, pompes à boue…) et à l’alimentation électrique des auxiliaires et commodités diverses. Les groupes de force fournissaient la puissance mécanique utile distribuée par le biais d’un réseau d’embrayages, de cardans, de boites de transmissions et de vitesse aux différents récepteurs fonctionnels de la sonde. Les groupes de force étaient des mastodontes de trente tonnes ; des diesels deux temps à régime lent de 3000 à 4000 CV, fixés sur « skid », souvent couplés en duo et travaillant ensemble ou en solo selon les besoins en puissance des opérations en cours. Ces bijoux de la technologie étaient pour l’essentiel des MERCEDES ou des GENERAL MOTORS, si je me souviens bien. On en dénombrait 300 unités, ce qui donne une idée de la « task force » disponible de la firme, et surtout de ses capacités financières. C’était l’immensité des problèmes de maintenance. Le parc de groupes électrogènes , 400 unités ,250 à 500 kVA , destinés à l’alimentation électrique des cabines de chantiers , de climatisation et des frigos itinérants , de l’éclairage de chantier étaient prévus pour recevoir dans le même atelier leur maintenance approfondie . Outre la similitude évidente des technologies respectives , la technologie diesel, il y avait lieu d’optimiser ,en taux d’utilisation , en dotation instrumentale et en effectifs humains une spécialité commune aux deux catégories de moyens , à savoir les réparations et les mises au point des systèmes d’injection : pompes et injecteurs . Les outils et instruments spéciaux de forage ou destinés à la sécurité du point, trépans, BOP, etc... avaient leur propre atelier : l’EN7 et leur propre magasin de pièces de rechange ; enfin les équipements individuels de climatisation , les chambres froides de chantier et les matériels électroménagers et de buanderie ( 15000 unités en exploitation au total, tous types confondus ), devaient être traités dans ce qu’on appelait l’atelier EN 6 . Il n’est pas inutile de rappeler, comme dit plus haut, que ce formidable complexe devait être fourni en pièces de rechanges et consommables divers par les quatre magasins centraux où, tant bien que mal, se gérait un stock géant de 200 000 articles. C’était une ruche où tout semblait être prévu y compris l’imprévisible pour se mélanger les pédales. Il est de même utile de préciser que le type de maintenance prévue pour être pratiquée dans ces nouveaux ateliers était la maintenance dite de 4ème et 5ème degrés, soient les révisions générales et les rénovations totales impliquant la réhabilitation par rechargement et réusinage des organes importants touchés par l’usure ou la casse. Le matériel devait ressortir comme neuf, muni de ses capacités nominales d’origine, prêt pour effectuer une nouvelle grande carrière, en principe… En tout cas, les moyens en outillages, instruments de mesure et de diagnostic mis à la disposition des nouveaux ateliers étaient sans commune mesure avec le passé ni avec aucune autre structure de maintenance implantée à Hassi Messaoud . On créait un outil fantastique, une merveille incomparable tant du point de vue capacité, que splendeur des architectures et des espaces verts, sophistication et suréquipement des postes de travail. Je me souviens encore des réactions de stupeur des visiteurs étrangers (américains, français, italiens, ne parlons pas des russes) que je recevais à la nouvelle base quelque temps après qu’on ait achevé son organisation et inauguré sa mise en service officielle. Tous sans exception avaient le même regard écarquillé, un regard de stupeur admiratif et envieux où je lisais hélas, des sentiments de regret et de dépit à peine tempérés. C’était trop beau pour nous autres. Un proverbe très algérien et très usuel n’affirmait-il pas que « Dieu donne des noix aux édentés » ; autrement dit le nec plus ultra, le super « nanan » à ceux qui ne le méritent pas parce qu’ incapables de l’apprécier et d’en tirer le meilleur profit. Cette triste remarque s’appliquait parfaitement, dans ses sages sous-entendus, à ceux qui avaient, sitôt les portes des ateliers grands ouverts, envahi les installations avec l’intention de vandaliser. Moi qui avait passé des mois et des mois à arpenter les 14 hectares sous des pointes extrêmes de chaleur ou sous le vent de sable, qui avait passé des milliers d’heures à suer sang et eau pour imposer qu’on achète le meilleur pour les nouveaux ateliers , à imaginer toujours plus et mieux , à fignoler avec obsession les ultimes détails des postes de travail , à les doter en outillages et en instruments les plus sophistiqués , à veiller à l’ergonomie et la sécurité des personnels , à embellir toujours plus ces joyaux de maintenance , avais vu trois mois a peine après son « occupation » la merveille transformée en fiasco total. L’inestimable dotation en outillages avait fondu , barbotée, cassée, perdue, sciemment jetée au dépotoir !… Je me souviens aussi d’un incident significatif survenu au cours de la pompeuse visite inaugurale du ministre de l’énergie de l’époque ,où un incident m’avait appris que le mal était plus profond , plus généralisé dans la société que je ne le pensais . Le PDG de la firme accompagnait son excellence et moi j’avais pour rôle de guider le cortège à travers les nouvelles installations en débitant le « speech » d’usage. On avait traversé l’EN11 en diagonale, avec, il faut le dire, l’attention d’un ministre particulièrement attentionnée et accrochée à mes lèvres. Juste avant de quitter l’atelier, j’abandonnais le peloton de tète (et monsieur le ministre qui s’apprêtait à partir) aux bons soins du PDG ! Mission accomplie ! On passait alors à hauteur du dernier poste de travail où un ouvrier semblait toujours affairé à terminer sa tâche. Ce n’était pas une tactique exceptionnelle dans la société. A ce moment-là j’entendis dire par un motard du cortège marchant à pied à mes cotés et qui avait remarqué le manège. « Remballe ton cirque Moh ! c’est fini ; il est passé le maalem’ (patron) » ….A la même époque j’avais, au cours d’une visite d’inspection dans le même atelier, découvert par hasard un local dont on avait à mon insu changé l’utilisation. A l’origine je l’avais équipé pour abriter des travaux de précision sur certains organes mécaniques en cours de rénovation …Tout avait été évacué, à la place il y avait des tapis au sol et l’espace était nu ... « qu’est-ce que c’est que ça ? » avais-je demandé au chef d’atelier qui m’accompagnait. « C’est une salle de prière, c’est obligé ! » ; avait-il répondu. Le ver était déjà dans le fruit …Dans quelques dizaines d’années il ne ferait que sortir ses grosses cornes. On ne fait pas du jour au lendemain d’un souillon un monomaniaque de la propreté, ni d’un ai un fougueux pur-sang, ni d’un chamelier errant et priant un nippon hyperactif …à chaque mentalité son univers et sa culture. J’ai dit que la base centrale avait pour vocation de réaliser la maintenance du 4ème et 5ème degrés. Cela devait aller de soi compte tenu de la forme d’organisation et de gestion semi-décentralisée imposée par différents critères à l’entreprise. > Ayant compétence sur la totalité du territoire saharien (quatre fois la France tout de même) elle avait un intérêt vital à se subdiviser en secteurs semiautonomes rayonnant sur un cercle de 400 à 1000 kilomètres à partir du pôle central de Hassi- Messaoud. Ces secteurs étaient au nombre de quatre et étaient géographiquement disposés de façon optimum dans les zones-clés des champs pétroliers : 1- le secteur de Rhourde Nouss à proximité de la frontière libyenne, 2- le secteur d’IN AMENAS-ILLIZI à l’extrême sud, 3 – le secteur de BECHAR au sud-ouest, 4 - le secteur de HASSI RMEL implanté dans la médiane. Chaque secteur disposait de sa propre base régionale logistique où s’opéraient tout naturellement, par définition et par obligation de rationalisation, les maintenances des trois premiers degrés à savoir l’entretien courant, les dépannages rapides et les échanges standards. Ainsi l’énorme boucle était (ou devait être) bouclée. La maintenance du cinquième échelon, qui était encore au stade d’utopie dans ma tète, envisageait la réhabilitation des organes mécaniques de valeur et visait déjà les prémices de ce qu’on appellera plus tard le « reverse engineering». Les techniques de réhabilitation étaient éprouvées de par le monde ; elles avaient leur culture, leurs méthodes et leurs instrumentations. Elles consistaient essentiellement à restituer au composant mécanique défectueux sa forme et ses performances originelles par procédés de rechargement métallique (arc, projection) et réusinage aux cotes nominales. Un peu plus tard j’aurai à développer le procédé en association avec la compagnie Castolin-Suisse. Personne, malgré l’importance des investissements en équipements et en formation, n’aura à le regretter compte tenu de l’implication positive immédiate et incontestable : une culasse de pompe à boue par exemple coûtait 5000 dollars à l’importation ; et elle se consommait comme des petits pains à la grande joie du fournisseur américain. Réhabilitée localement par nos soins elle valait en qualité l’originale et revenait à 100 dollars, rien par rapport au tarif en cours. Avantage autrement plus appréciable : on échappait à l’emprise peu philanthropique du fournisseur et aux délais infernaux du réapprovisionnement. Dans cette énumération exhaustive des nouveaux ateliers et de leurs rôles respectifs, il n’a pas été question des ateliers EN 3 et EN 4, qui normalement, devaient figurer dans la série. Ce n’est ni un oubli ni une omission délibérée du constructeur de la base, qui n’a fait que se référer au préexistant pour déterminer sa numérotation. L’EN3 existait en effet depuis belle lurette, depuis le règne des compagnies françaises sur Hassi Messaoud, et répondait à un besoin primordial pour le foreur : la réfection des tiges de forage et des « drill collards ». Il est question, dans ces opérations de réhabilitation d’un instrument qui vaut presque littéralement de l’or en barre, de réusiner les filetages coniques des tiges et de redresser celles d’entre elles que les contraintes mécaniques dans le puits avaient tordues ou déformées. Il faut imaginer ce qu’on appelle le « train de tiges » ; une longue ficelle d’acier forgé extra-dur formée d’éléments vissés bout à bout , pouvant atteindre 3 à 4 kilomètres de long ,soit la profondeur moyenne du puits .Sur les éléments de pieds, la pression exercée par le train est fantastique ; ce qui , d’ailleurs , aide à la pénétration du trépan ou du tricorne fixé au bout . L’EN3 était situé à environ 500 mètres de la nouvelle base et était géré en totale autonomie. D’où les rivalités et les animosités entre les « internés » (ceux de la base centrale) et les « externés » (ceux de la base « tubulaire ») ; c’était ainsi qu’on appelait cet atelier extraterritorial. Quant à l’EN 4, il existait bel et bien ; et c’était même le plus beau de tous ; c’était une merveille d’espace, d’harmonie et d’architecture. Son défaut était d’avoir été affligé d’une vaseuse définition de ses tâches ; ce qui allait le vouer à l’improvisation et à une activité végétative où se regroupait l’inclassable : on y faisait un peu de tournage, d’ajustage …Cette marginalisation d’une superbe bâtisse et le peu de conviction apportée par le management à son exploitation allaient m’apporter une inspiration de fond, un atout providentiel au lancement du prodigieux projet qui commençait de germer dans ma tète. Il en sera la fondation et le tremplin. Sans ce port d’attache idoine il était presque certain que mon « projet » n’aurait même pas été envisageable dans l’esprit très terre à terre du management. Donc consciemment ou inconsciemment le constructeur de la base et la chance avaient travaillé pour moi. L’EN4 allait être mon QG, mon laboratoire, ma rampe de lancement. Mon refuge aussi quand la tempête des rancunes et des jalousies des antagonismes à l’affût infestaient l’air… Un autre critère (de poids) allait être mon autre allié décisif. Un allié moral qui à l’argument concernant la gestion d’un stock de pièces de rechange démesuré et des faillites de la maintenance qu’il engendrait, associait un autre du genre qu’on ne discute pas : l’argument financier. 5 à 9 millions de dollars de consommation annuelle de pièces de rechange , un fabuleux pactole pour les marchands , qu’ils fussent avec d’honnêtes intentions ou du genre «relaps» strictement intéressés par le «bon gros coup », par le bon coup prompt unique et massif ; ceux qu’on appelle les « piéçards », qui nous fourguaient le tout venant méprisable, la contre- façon dite « de Taiwan » à l’époque où le dragon n’avait pas encore acquis ses lettres de noblesse , où nous-mêmes n’y voyons encore que du feu .. Sans compter : les malsaines motivations suscitées intra-muros par la manne, les pertes fatalement induites par les prévisions fantaisistes, les stocks dormants ou morts résultant des confusions et de la mauvaise gestion. Sans compter : les coulages dans les magasins ou les ateliers, la surcharge technique et organisationnelle : gérer 200 000 articles dans les conditions manuelles et bureaucratiques de l’époque était un défi insensé ; ça se savait et ça se ressentait dans les résultats déplorables de la maintenance. Précisons que les paiements à l’importation s’effectuaient en devises, luxe suicidaire pour un pays qui devait son existence au prix du baril. Des autorisations globales à l’importation (AGI), budgétées en dollars, étaient annuellement accordées. Cela restait malgré tout pour l’entreprise une lourde charge et une dépendance dangereuse. On imagine que toute initiative, sérieuse et argumentée, qui en atténuerait les effets serait la bienvenue. Mon projet, un peu fou, ambitionnait d’aller dans ce sens : réduire le gaspillage de la devise, réduire l’inefficacité des stocks, atténuer la dépendance à l’étranger et surtout la terrible indisponibilité, voire la pénurie chronique de la pièce qui nous accablait en permanence. On devine l’accueil enthousiaste qui sera réservé à ma proposition ; on devine l’immensité des difficultés techniques et des écueils. Mais c’est déjà là la deuxième partie de mon article, la partie essentielle qui s’annonce…. LA FETE A LA « PISCINE » Après six longs mois d’efforts marquants et « crevants » j’eus enfin le bonheur de livrer à l’exploitation une première tranche opérationnelle de l’EN 11 ; un début mais un début prometteur. Ce fut un succès retentissant ; mais dans les yeux éblouis des collègues il n’y avait pas que de la joie et de l’admiration. On s’offrit de la pâtisserie et de la limonade en plein atelier. Le chef de district (second du PDG) un sympathique noir d’El Goléa, ne nous refusa rien , sa joie sincère se mêlait au légendaire sens de l’hospitalité des sahariens. Le soir même, mon vieil ami Simon me suggéra de fêter l’événement autrement qu’avec de la fade limonade et de l’écœurante sucrerie. Je ne me le fis pas répéter deux fois. Autrefois, avant les nationalisations des hydrocarbures, une multitude de gentils bistrots à la française pullulaient à Hassi Messaoud. Ils contribuaient à anéantir les affres des grandes solitudes du grand Sud. Pétroliers et légionnaires y trouvaient leurs paradis. Des « Relais d’Algérie », des »Tombouctou », des « Rancho », il ne restait rien, à part le zinc en ruines de ce dernier et un vestige de clocher au haut de la chapelle mitoyenne. D’une dizaine de bistroquets il ne subsistait plus que la « Piscine ». C’était une vraie piscine olympique ! Une piscine avec un environnement sublime : une jolie et dense palmeraie –pinède, un bar-restaurant avec terrasse sur le bord de l’eau d’une grande convivialité. C’était l’ultime ressource pour les quêteurs de plaisirs du cru qu’étaient Simon et moi. C’est là où à la tombée du crépuscule, d’ une splendeur incomparable, Simon et moi avions débarqué à l’heure où s’allumaient les lampions, affluaient les pétroliers et où, discrètement, de féeriques nymphettes en bikini dernier cri émergeaient de l’eau bleue et disparaissaient dans les verdures des appartements privés. On ne se priva de rien … A minuit passé, lui conduisant malgré l’interdit relatif à son haleine inflammable et moi devisant nous rejoignîmes nos pénates à la Base Nord, munis du viatique d’usage : deux excellentes bouteilles d’un coteau du Dahra ; du nectar et du feu. Nous avions l’habitude de terminer dans ma chambre les soirées du genre afin de ne pas rester sur nos faims, afin de ne pas trop vite abréger le rêve. Nos discussions changeaient le monde, démontaient et remontaient l’Univers. On s’assit face à face, moi sur mon lit, lui sur une chaise. Puis le Grand Prêtre s’était mis à déboucher le précieux flacon avec un art et un amour dont seuls les français du style et du gabarit de Simon étaient capables. Il servit les premiers verres et son œil vigilant malgré l’âge et le jus de la treille tomba sur un graffiti que j’avais gribouillé sur une cloison : « vini , vidi , vici » ! - C’est toi qui as écrit ça ? - Oui. - Ca veut dire quoi ? - « Je suis venu, j’ai vu, j’ai vaincu »… c’est du latin. - Oh la vache ! je sais que tu es calé, mais pas au point de savoir le latin ! tu as appris ça où ? - Au lycée, évidemment. - Et tu n’as pas oublié ? - Tout ce qui s’apprend au lycée ne s’oublie jamais … Seul dans ma tête je poursuivis : « surtout le latin appris dans Astérix…mais ça il n’y avait aucune raison de le lui avouer. Mohamed TOUAMI (68)