Sommaire Vingt-quatre Exemples de Piété Filiale

Transcription

Sommaire Vingt-quatre Exemples de Piété Filiale
Sommaire
Vingt-quatre Exemples de Piété Filiale
Avertissement ..........................................................................................................................2
Présentation .............................................................................................................................2
THUẤN (dont) la piété filiale émeut le Ciel ...............................................................................8
TĂNG TỬ DƯ (a) d’extrêmes sentiments filiaux pour ses parents ........................................13
Bibliographie ..........................................................................................................................17
Patrick Fermi
Prologue
à une présentation des
Vingt-quatre Exemples de Piété Filiale
二十四孝
Nhị Thập Tứ Hiếu
孝
Hai Mười Bốn Hiếu
1
AVERTISSEMENT
Cet article est un extrait adapté d’une probable publication sur l’ensemble des Vingt-quatre
Exemples de Piété Filiale selon une version vietnamienne de Lý Văn Phức.
PRÉSENTATION
Je me souviens encore de ma surprise lorsque j’ai pris connaissance des Vingt-quatre
Exemples de Piété Filiale. C’était par l’intermédiaire du bel ouvrage Imagerie populaire
vietnamienne de Maurice Durand ; et il y a pourtant déjà plus d’une trentaine d’années. Il est
tout aussi vraisemblable qu’un Asiatique lambda puisse être étonné de ma surprise tant les
valeurs transmises dans ces histoires sont inscrites depuis des millénaires dans les
organisations sociales, de l’état à la famille, dans les structures du langage et plus
généralement dans les conceptions du monde. Il n’est pas facile de questionner et de remettre
en question les évidences que chaque culture entretient sur elle-même.
Pour oser penser et écrire, il y a quasiment cinq siècles, que « chacun appelle barbarie ce qui
n'est pas de son usage ; comme de vrai, il semble que nous n'avons autre mire de la vérité et
de la raison que l'exemple et idée des opinions et usages du pays où nous sommes. », Michel
de Montaigne témoignait d’une ouverture d’esprit qui, aujourd’hui encore, demeure
exceptionnelle.
Mais pourquoi cette citation ? Parce que, dans l’ensemble de ces exemples de piété filiale,
rares seront ceux qui ne verront pas quelque barbarie dans l’histoire de ces parents préférant
tuer leur enfant que de mal nourrir une grand-mère. « il est possible d’avoir d’autres enfants
mais nous n’avons qu’une seule mère. » dira le mari à son épouse pour justifier de cette
2
entreprise criminelle. Ou encore, comment ne pas éprouver quelque aversion pour cette femme
qui nourrit sa belle-mère au sein ?
Il faut cependant montrer ici de la réserve car dans l’ensemble des pays plus ou moins sinisés,
l’Histoire du dernier siècle a bouleversé et érodé l’exemplarité idéale illustrée par ces vingtquatre récits. Il y a encore peu de temps, les régimes politiques chinois et vietnamiens les
jugeaient néfastes et réactionnaires avant de réhabiliter certaines des vertus du confucianisme.
Et pourtant, si l’on porte un regard éloigné, il est un fait frappant : la notion de piété filiale est
une sorte de fil rouge1 traversant le cours des dynasties et des États successifs durant les deux
derniers millénaires.
La piété filiale.
Le caractère qui représente cette notion est explicite : 孝 [zh. xiào – vn. hiếu] ; sa décomposition
montre un vieillard 老 [zh. lǎo – vn. lão] qui s’appuie sur un enfant 子 [zh.. zǐ – vn. tử].
Aujourd’hui, en Occident, nous sommes tant habitués à plutôt considérer nos parents comme
les tuteurs et les garants de nos propres ambitions que cette seule image peut présenter une
difficulté. Il ne s’agit pourtant pas de représentations opposées, les parents vietnamiens sont
tout autant dévoués au bonheur de leurs enfants. Cependant, le respect filial est érigé en
principe fondateur non seulement des relations familiales mais aussi de l’ensemble des
relations sociales.
La forme actuelle des Vingt-quatre Exemples de Piété Filiale est ancienne de 6 ou 7 siècles
mais une conception de la piété filiale était déjà élaborée vers le 5ème siècle av. J.-C. dans le
Classique de la piété filiale, 孝經, Xiàojīng, parfois attribué à Confucius, parfois à son disciple
Zēngzǐ - 曾子. Quoi qu’il en soit, ce texte est un dialogue entre ces deux lettrés et la piété filiale
y est déclinée sous toutes ses formes. Dès son origine, la « Doctrine des lettrés » [ zh : 儒教 /
vn : Nho giáo ] que l’on connaît en Occident sous le nom de Confucianisme décrit cinq relations
1
La locution « fil rouge » doit son origine à une pratique de la marine anglaise qui insérait un fil rouge
dans le tissage de ses cordages afin que ces derniers soient toujours identifiables.
3
constantes [ 五常, ngũ thường ] mais l’évolution de la Doctrine tendra sans cesse à réorganiser
les qualités2 associées à ces relations. De fait, une étude conséquente de la piété filiale devrait
analyser ses rapports avec les autres qualités, même si on pense d’abord à ses liens avec le
sens de l’humanité [ zh : 仁 / vn : nhân ]. Un autre rapport, suggéré par Hưu Ngọc, mériterait
aussi une attention, il s’agit du lien avec la qualité de loyauté [ zh : 忠 / vn : trung ]. En effet, si
un espace conflictuel devait les séparer, faut-il préférer hiếu - la piété filiale ou trung – la loyauté
envers le souverain ? Dans l’optique confucéenne, la loyauté n’est pas synonyme de la
soumission, voire même l’insoumission n’est pas exclue si le souverain est incompétent à
remplir le mandat du Ciel. Il n’est pas dans notre propos d’entrer ici dans toutes ces questions,
nous voulions seulement pointer une complexité possible que les Vingt-quatre Exemples de
Piété Filiale ne laissent pas spontanément apparaître.
Nous ferons enfin une dernière remarque. La piété filiale s’exprime dans le culte des ancêtres
dont on a tort de le considérer comme une religion au sens communément entendu dans les
pays monothéistes. Comme j’ai déjà eu l’occasion de l’écrire, le culte des ancêtres ne se situe
pas à un niveau transcendant, il renvoie plutôt à des choses éminemment terrestres, à des
choses vécues, à des choses sensibles, la vie, la mort, la famille, le deuil, les liens affectifs, la
continuité des générations. La piété filiale en est le cœur.
Le Classique de la piété filiale était un ouvrage incontournable pour qui recevait une éducation
de base ; il n’en était pas de même pour les Vingt-quatre Exemples de Piété Filiale,
générelement boudé par les érudits, mais ses histoires étaient néanmoins racontées aux
enfants. On dit qu’il n’était pas une seule bibliothèque ou librairie qui n’en posséda un
exemplaire.
Èrshí sì xiào - 二十四孝 et son auteur : Guō Jūjìng 郭居敬
Littéralement « 24 piétés filiales » est donc le titre d’un recueil d’histoires rassemblées par un
érudit chinois du nom de Guō Jūjìng 郭居敬. On sait peu de choses sur sa biographie. Il aurait
vécu à Dàtián Xiàn 大田縣, dans la province du Fújiàn 福建省, à l'époque de la dynastie Yuán
2
Particulièrement, depuis la systématisation de la période Han, à : Nhân, Nghĩa, Lễ, Trí, Tín.
4
(1260-1368). On rapporte que c’est à la mort de son père que Guō Jūjìng recueillit ces
légendes. Chaque Exemple est relativement court, facilement transmissible et mémorisable, et
toujours structuré de la même manière :

un aphorisme de quatre caractères contenant le thème général ;

une présentation du héros par ses noms et la période dynastique dans laquelle il vécut ;

le contenu de l’histoire elle-même ;

une forme d’éloge poétique en quatre vers termine le récit.
Les Exemples sont classiquement présentés dans un certain ordre mais ce n’est pas toujours le
cas. D’ailleurs, l’ordre de la version vietnamienne de Lý Văn Phức différe de celle de Guō
Jūjìng. Il faut aussi compter sur les aléas des transmission et des éditions car les histoires ellesmêmes finissent par éclipser leurs rédacteurs, lesquels n’en sont généralement que des
collecteurs. Le phénomène n’est guère étonnant car les contes et les légendes sont à la croisée
des traditions orales et écrites.
Guō Jūjìng est aussi connu sous le nom de Guō Jūyè 郭居業 ; c’est souvent à partir de cette
appellation qu’il est transcrit en vietnamien sous la forme Quách Cư Nghiệp même si la forme
Quách Cư Kính est aussi présente.
Lý Văn Phức, diplomate et écrivain
Lý Văn Phức 李文馥 (1785-1849), nom social Lân Chi, pseudonymes Khắc Trai et Tô Xuyên,
est natif du village de Hồ Khẩu devenu aujourd'hui le quartier Ba Đình à Hà Nội. Sa famille
serait originaire du Fújiàn (EFEO : Foukien, province du sud-est de la Chine) et aurait migré au
Việt Nam au XVIIème siècle, à la chute de la dynastie des Ming. Selon Tạ Trọng-Hiệp (1964) :
« C'étaient de petits lettrés, fonctionnaires moyens de père en fils. La génération de Lý Văn
Phức finit par percer : ses deux frères et lui furent tous licenciés es lettres (Cử nhân) ; Lý Văn
Phức le devint en 1819. Il fit presque toute sa carrière dans la diplomatie et alla à plusieurs
reprises dans les mers du Sud (Singapour, Luçon, Bengale) et en Chine, soit comme
ambassadeur, soit pour racheter une faute politique (効力 - hiệu lực, en 1830) ». Sur une durée
de onze années, Lý Văn Phức effectua sept missions à l’étranger. Les dernières années de sa
5
carrière, il occupa les fonctions de Ministre des Rites (Bộ Lễ). On peut noter que la vie de Lý
Văn Phức se déroula sous les règnes des quatre premiers empereurs de la dynastie Nguyễn :
Gia Long, Minh Mạng, Thiệu Trị et Tự Đức.
Populaire grâce aux 24 exemples de piété filiale (1835), il est surtout l'auteur d'une importante
œuvre littéraire3 écrites en chinois classique et en chữ nôm, c'est-à-dire cette écriture
spécifique créée sur la base des caractères chinois et adaptée aux sons de la langue
vietnamienne. Pour l'anecdote, mais cela ne fut pas sans importance dans l’évolution des
techniques d’irrigation, P. Huard et M. Durand dans Connaissance du Việt-Nam notent que de
sa mission comme ambassadeur de Minh Mạng 明命 (ou Minh Mệnh) à la cour de Pékin, il
rapporta un modèle de noria à palette utilisant le pédalage humain (đạp guổng). À sa mort, il
reçut le titre de Lễ Bộ Hữu Thị Lang.
Nhị thập tứ hiếu - 二十四孝
Telle est la manière prédominante actuelle de transcrire les 24 exemples en vietnamien mais
dans la mesure où leur rédacteur Lý Văn Phức les écrivit en écriture nôm, il ne serait pas
déplacé de transcrire « hai mười bốn hiếu » si on en lisait les caractères appropriés, à savoir :
𦊚𨒒𠄩孝. Dès la première moitié du XXème siècle quelques transcriptions de ces textes en
écriture quốc ngữ, c'est-à-dire dans l’écriture romanisée d’aujourd’hui, ont été publiées. Elles se
présentent sous la forme Nhị thập tứ hiếu diễn âm 二十四孝演音 ou Nhị thập tứ hiếu diễn ca
二十四孝演歌, c'est-à-dire racontés en vers. Je n’ai pas la prétention ni les compétences pour
présenter cet écrit de Lý Văn Phức dans une version française mais de faire connaître à un
public francophone la substance de ces histoires.
La configuration des deux exemples présentés
J’ai voulu donner aux lecteurs la possibilité d’aller un peu plus loin dans la compréhension de
ces récits. Ainsi chacun d’eux est présenté dans une forme relativement proche de quelques-
3
On en trouvera quelques extraits dans Anthologie de la littérature vietnamienne, L’Harmattan, tome II,
2000, p.258-259. Présentation de Nguyễn Khắc Viện, Hữu Ngọc et coll.
6
uns des ouvrages que l’on trouve au Việt Nam. Arbitrairement, notre référence de base est celle
de l’édition en transcription moderne réalisée par Đoàn Trung Còn en 1948. Il en ait beaucoup
d’autres, tout autant dignes d’intérêt (voir bibliographie) mais c’est avec les rééditions de 1962
(Trí - Đức, Tòng – Thơ, Saïgon) et de 1999 (Nhà xuất bản văn nghệ, Hồ Chí Minh) que j’ai
approché ces textes. Chaque exemple est donc présenté en suivant les numérotations telles
qu’elles y apparaissent. Elles précèdent donc naturellement le récit en français. Notre version
emprunte pour l’essentiel à Lý Văn Phức mais quand il arrive que la version de Guō Jūjìng Quách Cư Nghiệp donne des éléments supplémentaires, ils sont intégrés à l’histoire ou bien
sont mentionnés dans la notice qui suit chaque histoire.
Les notices décrivent généralement le cadre historique, les dimensions culturelles et précisent
ou explicitent des aspects particuliers, notamment ceux qu’un lecteur francophone est censé
ignorer. Ensuite vient un texte en vietnamien résumant l’histoire. Ce texte reproduit celui que
l’on trouve dans l’édition de 1999. Il peut parfois contenir quelques différences avec ceux que
l’on trouve maintenant en très grand nombre sur Internet mais j’ai tenu à en conserver
l’intégralité lexicale, ponctuation comprise. Il en est de même pour la mise en poème suivante
de Lý Văn Phức qui est donc transcrite en écriture quốc ngữ, avec quelquefois il est vrai
quelques termes sino-vietnamiens.
Enfin, chacune des parties contient la version intégrale de Guō Jūjìng en caractères chinois
traditionnels. Cependant, pour que le lecteur ne s’y perde pas trop, j’ai inséré un tableau de
correspondance entre termes vietnamiens et chinois, tableau situé entre les textes de Lý Văn
Phức et de Guō Jūjìng.4 Il est bien entendu possible de lire toutes ces histoires sans
nécessairement tenir compte des notes et des commentaires.
L’ouvrage dont cet article n’est qu’un extrait contient des Annexes où figurent la translittération en pinyin
des textes chinois, des tables de correspondance entre transcriptions vietnamienne, pinyin et celle de
l’École Française d’Extrême-Orient (EFEO), tant pour les exemples eux-mêmes que pour les dynasties
évoquées et des informations supplémentaires sur les noms de personnes (anthroponymie).
4
7
第一節
Đệ nhất tiết
Tiết thứ nhứt
1
虞舜孝感動天
Ngu Thuấn hiếu cảm dộng Thiên
Lỏng hiếu cảm của vua Ngu Thuấn động tới Trời
THUẤN (DONT) LA PIÉTÉ FILIALE ÉMEUT LE CIEL
Histoire
Thuấn, [empereur] de la dynastie Ngu, possédait des sentiments filiaux
indéfectibles. La rudesse de son père Cổ Tẩu et la préférence outrancière
de la seconde femme de celui-ci pour son propre fils, l’arrogant Tượng,
n’entamèrent pas sa persévérance à servir sa famille. Quand Thuấn
travaillait la terre sur le Mont Lịch, des éléphants labourèrent pour lui et des
oiseaux enlevèrent les mauvaises herbes. Thuấn œuvrait sans relâche et sa
conduite profitait à ceux avec lesquels il vivait ; qu’ils soient agriculteurs,
potiers sur les berges de la rivière Hà, ou pêcheurs près du lac Lôi, tous
voyaient s’amélioraient leurs conditions 5. [Une fois] il y eut un vent d’une
extrême violence, du tonnerre et de la pluie mais Thuấn poursuivit sa route
sans se laisser troubler. Tous ces prodiges furent connus de l’empereur
Nghiêu (Yáo 堯) qui lui fit des présents, lui confia neuf de ses fils, lui donna
en mariage deux de ses filles et le prit comme ministre avant d’en faire
5
En croisant plusieurs autres données, les lieux évoqués correspondraient à la rivière Guī t溈, au Shānxī
山西, qui prend sa source au mont Lì Shān 歷山 et se jette dans le Huáng Hé 黃河 ou Fleuve Jaune.
8
l’héritier de son trône, estimant qu’après toutes ces épreuves, Thuấn en était
plus capable que son propre fils.
La réussite de Thuấn ne fit que susciter la jalousie dans sa famille. La bellemère et son fils allèrent jusqu’à conspirer contre sa vie : une fois en
l’enterrant alors qu’il était au fond d’un puits, une autre fois en le faisant
monter sur le toit d’un grenier pendant que Tượng retirait l’échelle et y
mettait le feu. Par l’intermédiaire de sa demi-sœur et avec le soutien de ses
épouses, Thuấn fut prévenu des complots et
sut échapper aux
conspirations. Ainsi, il avait pris soin de creuser un tunnel de secours au
fond du puits et, s’aidant de deux chapeaux comme d’un parachute, il put
sauter du toit et atterrir sans mal.
Notice
Dans de nombreux écrits – c’est ici le cas dans l’énoncé de l’aphorisme - Thuấn est appelé Ngu
Thuấn. Cela s’explique par le fait que le texte chinois classique présente les empereurs sous la
forme « dynastie – nom ». Ainsi, l’homologue chinois de Thuấn est transcrit 虞舜 [Yúshùn],
c'est-à-dire Shùn de la dynastie Yú dont la transcription vietnamienne est Ngu.
Les particularités de l’anthroponymie chinoise et vietnamienne nécessitent quelques
explications préalables. D’une manière générale, on peut distinguer entre le nom de famille, le
nom personnel ou social, le pseudonyme, le nom de période (pour les souverains) et le nom
posthume. Par exemple Shùn avait Yáo 姚 comme nom de famille, Yǒuyú 有虞 comme nom de
clan, Zhònghuá 重華 comme nom personnel6. Dans le même ordre, les correspondances
vietnamiennes sont Diêu, Hữu Ngu, Trùng Hoa, actuellement Trùng est souvent écrit Trọng.
Les histoires suivantes ne déploient pas toujours cet éventail des noms mais de manière
générale plusieurs appellations sont attribuées à chacun des héros.
6
Cette liste n’est pas exhaustive ; par exemple, parce qu’il aurait été originaire de Yúmù 虞幕, on l’aurait
aussi connu comme Yú shì 虞氏
9
Avec « l’empereur Shùn », Dì Shùn 帝舜, à plus de deux millénaires av. J.-C., nous sommes
dans l’antiquité chinoise et même aux confins de l’histoire mythique. Avec l’empereur Yáo 堯
auquel il succéda, Shùn fait partie des Trois Augustes et des cinq Empereurs 三皇五帝
considérés comme les dieux et rois légendaires précédant les dynasties historiques.
Les Vingt-quatre exemples de piété filiale originaux ne donnaient pas tous les détails de cette
histoire car la vie légendaire de l’empereur « Shùn - Thuấn » était connue par ailleurs. C’est
ainsi que le Classique des documents ( 書經 – Shūjīng )7, l’un des cinq livres canoniques de la
« doctrine des lettrés » (confucianisme) raconte la vie de l’illustre empereur. De nombreux
autres écrits y font aussi allusion8. Quand on sait l’importance fondamentale qu’a eu le Shūjīng,
plus connu en français comme Chou King, Les Annales de la Chine depuis la traduction de
Séraphin Couvreur, dans la formation des élites chinoises, on comprend que la connaissance
de l’histoire de « Shùn - Thuấn » était incontournable. Par exemple, il n’était pas besoin de
préciser que les deux filles données par Yáo (Nghiêu) étaient Nǚyīng (女英 - Nữ Anh) et
Éhuáng (娥皇 - Nga Hoàng). Les deux princesses furent si dévouées à Shùn qu’à sa mort elles
le pleurèrent tant que leurs larmes colorèrent des bambous qui depuis sont nommés bambous
tachetés, 斑竹 - bānzhú ou encore 湘妃竹 - Xiāngfēi zhú, parce que l’enterrement eut lieu près
de la rivière Xiāng dans le Húnán.
Comme la plupart des histoires, celle de Thuấn connaît plusieurs variantes et si l’on se fie aux
dessins animés actuels et aux livres pour enfants, la dimension merveilleuse ou magique paraît
valorisée. Ainsi, un manteau magique donné par ses épouses lui permit de se transformer en
oiseau pour s’envoler du grenier en feu et en dragon pour s’échapper du puits.
On notera une curieuse collusion : le caractère hán-việt pour le nom de l’orgueilleux frère
Tượng est 象 or, ce même caractère est celui de l’éléphant, tượng en sino-vietnamien et voi en
vietnamien. Ainsi deux « éléphants » traversent la vie de Thuấn, l’un pour son malheur, l’autre
pour son bonheur.
- 經書
7
Correspondance vietnamienne : Kinh thư
8
Notamment le Shǐjì 史記, de Sīmǎ Qiān - 司馬遷 (fr. Mémoires historiques), réf. viet. : Sử ký Tư Mã Thiên
10
Le nom du père de Thuấn, Gŭshŏu 瞽搜, est souvent traduit par « le vieil aveugle ». La même
interprétation est possible avec l’équivalent vietnamien Cổ Tẩu. Une interprétation, minoritaire il
est vrai, considère qu’il s’agit d’un aveuglement moral, quoi qu’il en soit Cổ Tẩu « ne voyait
pas » les persécutions incessantes dirigées contre son fils. Peut-être Thuấn lui rappelait-il trop
le décès précoce de sa première épouse ?

Truyện
1 - Vua Thuấn họ Diêu, tên hiệu là Thuấn, quốc hiệu là Đại Ngu, cha là Cổ Tẩu, (có mắt cũng
như mù, vì không biết kẻ hay người dở, người đời bấy giờ mới tặng cho tên là Cổ Tẩu), mẹ đẻ
mất sớm, mẹ kế là người ương gàn, em (cùng cha khác mẹ) là Tượng, tính lại hỗn xược, cha và
mẹ kế cùng em ngày ngày chỉ kiếm cách để giết ngài đi; nhưng ngài vẫn một lòng trên hiếu với
cha mẹ, dưới hòa cùng em, lòng hiếu cảm động đến trời, như khi cha ngài bắt ngài cày ruộng
một mình ở núi Lịch Sơn, thì voi về cày ruộng, chim về nhặt cỏ. Khi sai ngài dánh cá ở hồ Lôi
Trạch thì gió lặng sóng yên. Vua Nghiêu nghe tiếng, gọi gả hai con gái cho ngài và truyền ngôi
cho ngài. Khi ngài làm vua, trong 18 năm chỉ ngồi gảy đàn, hát khúc Nam phong mà thiên hạ
rất thái bình thịnh trị.
Diễn ca –Prologue aux poèmes 9
Người tai mắt đứng trong thiên địa,
Ai là không cha mẹ sinh thành ?
Gương treo đất nghĩa, trời kinh,
Ở sao cho xứng chút tình làm con.
Chữ hiếu niệm cho tròn một tiết,
Thì suy ra trăm nết đều nên.
Chẳng xem thuở trước thánh hiền,
Hiếu hai mươi bốn, thơm nghìn muôn thu.
9
Ce poème n’est pas directement associé à ce premier exemple, il introduit l’ensemble des textes. Nous
l’avons inséré ici pour conserver une forme de cohérence relativement à notre mise en page.
11
Diễn ca - Poème - Lý Văn Phức
Ðức đại thánh họ Ngu, vua Thuấn,
Buổi tiềm long gặp vận hàn vi,
Tuổi xanh khuất bóng từ vi,
Cha là Cổ Tẩu người thì ương ương
Mẹ ghẻ tánh lại càng khe khắt,
Em Tượng thêm rất mực điêu ngoa.
Một mình thuận cả vừa ba :
Trên chiều cha mẹ, dưới hòa cùng em.
Trăm cay đắng, một niềm ngon ngọt,
Dẫu tử sanh không chút biến dời,
Xót tình khóc tối, kêu mai,
Xui lòng ghen ghét hóa vui dần dần.
Trời cao thẳm mấy lần cũng đến,
Vật vô tri cũng mến lựa người,
Mấy phen non Lịch pha phôi,
Cỏ, chim vì nhặt, ruộng, voi vì cày.
Tiếng hiếu hữu xa bay bệ thánh,
Mạng trung dung trao chánh nhường ngôi
Cầm thi, xiêm áo thảnh thơi,
Một nhà đầm ấm muôn đời ngợi khen !

Correspondances
Héros
Aphorisme
Dynastie
vietnamien : quốc ngữ
chinois : pinyin
Lý Văn Phức
Thuấn
Shùn
舜
hiếu cảm dộng Thiên
xiào găn dòng Tiān
孝感動天
Ngu
Yú
虞
1
Exemple n° :
Guō Jūjìng
1
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二十四孝 - 郭居敬 / Èrshí Sì Xiào - Guō Jūjìng
一、孝感動天
虞舜。瞽搜之子。性至孝。父頑母囂。弟象傲。舜耕於歷山。有象為之耕。有鳥為之耘
。其孝感如此。帝堯聞之。事以九男。妻以二女。遂以天下讓焉。系詩頌之。詩曰
對對耕春象。紛紛耘草禽。嗣堯登帝位。孝感動天下。
12
第三節
Đệ tam tiết
Tiết thứ ba
3
曾子輿事親至孝
Tăng Tử Dư sự thân chí hiếu
Thầy Tăng Tử Dư thờ đấng thân rất hiếu
TĂNG TỬ DƯ (A) D’EXTRÊMES SENTIMENTS FILIAUX POUR SES PARENTS
Histoire
Cela s’est passé à l’époque de la dynastie des Châu orientaux. Tăng Tử, né
Tăng Sâm, avait Tử Dư comme nom personnel. Il est connu comme l’un des
disciples de Khổng Tử (Confucius). Il prenait soin de son père adoptif Tăng
tích en lui servant toujours du vin et de la viande ; « Au moment de desservir
la table, il demandait toujours à qui il donnerait les restes (car il n’aurait pas
voulu les servir de nouveau à son père). Imiter Tăng Tử, cela s’appelle
contenter le cœur de son père. »10.
Alors que Tăng Tử ramassait du bois de chauffage dans la montagne, un
visiteur arriva à la maison. Sa mère se sentit prise au dépourvu [pour bien
recevoir cet hôte] et souhaita le retour de son fils. Elle patienta un peu mais
ne voyant pas Sâm revenir, elle se mordit profondément un doigt. Tăng Tử
ressentit une profonde douleur au cœur, se chargea des fagots et rentra
donc au plus vite. S’agenouillant, il demanda à sa mère ce qui se passait ;
10
Lý Văn Phức répétant ici un extrait des écrits de Mèng Zǐ 孟子, Mạnh Tử en vietnamien, nous reprenons
la traduction de Séraphin Couvreur dans les Œuvres de Meng tzeu.
13
celle-ci répondit : « un visiteur inattendu est arrivé ; j’ai mordu mon doigt
pour te prévenir. »
Notice
Lý Văn Phức ne reproduit pas ici l’aphorisme de Guō Jūjìng (Quách Cư Nghiệp) qui est pourtant
bien plus parlant : 嚙指心痛, « morsure au doigt (de sa mère), douleur dans son cœur ».
L’imagerie populaire vietnamienne a plutôt retenu ce dernier thème, translittéré en sinovietnamien en khiết chỉ tâm thống ou khiết xỉ thống tâm. Cet écart de Lý Văn Phức est d’autant
plus curieux que son aphorisme 事親至孝 est une locution chinoise des plus classiques que le
dictionnaire Ricci traduit « Servir ses parents avec un grand respect et une tendre affection ».
Dans le texte original de Guō Jūjìng, il y a bien une expression très proche, 事母至孝, mais on
voit qu’elle s’adresse précisément à la mère ( 母 ).
Zēngzǐ (505 - 436 av. J.-C.), le héros de cette histoire est né Zēng Shēn 曾參 pendant la
dynastie Zhōu 周 et avait Zĭyú 子輿 comme nom personnel. Dans le texte de Lý Văn Phức, on
retrouvera donc Tăng Tử, né Tăng Sâm dans la période Châu et appelé Tử Dư.
Dans le contexte, Zĭyú signifie le disciple du maître, en l’occurrence Confucius nommé Khổng
Tử en vietnamien. Zĭyú - Zēngzǐ fut certainement le plus illustre des disciples, au point même
qu’on lui attribue l’essentiel de La Grande étude - 大學 – Dàxué. Cet ouvrage est majeur dans
« la doctrine des lettrés » (confucianisme) et fait partie des Quatre Livres ( 四書 - Sìshū ) qui
complètent Les Cinq Classiques ( 五經 – wǔjīng ). Cet ensemble est connu au Việt Nam sous
les noms de Tứ thư et Ngũ kinh. La Grande étude est Ðại học. Une chose est certaine, le
Classique de la piété filiale - 孝經 – Xiàojīng - est un dialogue entre Confucius et Zēngzǐ.
Complément :
Zēngzǐ est par ailleurs connu à cause d’une locution chinoise très particulière : 曾子殺豬 –
« Zēngzǐ shā zhū », c’est à dire « Zēngzǐ tue le cochon ». Cette expression toujours énoncée
lorsqu’il s’agit d’éducation des enfants a plus de deux millénaires ; on la trouve dans le Hán
Fēizĭ - 韓非子, livre du nom de son auteur, Hán Fēi. Ce dernier rapporte qu’un jour, la femme de
14
Zēngzǐ voulait aller au marché en laissant leur fils à la maison mais l’enfant pleurait tant qu’elle
lui promit de lui cuisiner du cochon à son retour. Lorsqu’elle revint, Zēngzǐ s’apprêtait à tuer un
cochon : « Mais ce n’était qu’une plaisanterie pour le calmer ! » dit l’épouse à son mari.
« Comment veux-tu éduquer un enfant dans la bonne direction si sa propre mère ne tient pas
ses promesses et lui donne l’exemple du mensonge ? » répondit Zēngzǐ. Alors, il tua le cochon.

Truyện
3 - Tăng Tử tên là Sâm, tự là Tử Dư, người ấp Vũ Thành nước Lỗ, sinh vào thời Xuân Thu, là
học trò vào bậc giỏi của đức Khổng Tử, sau được liệt vào bậc tứ phối (bốn ông phối hưởng của
đức Khổng Tử). Ông thờ cha mẹ rất hiếu, bữa ăn nào cũng có rượu thịt. Khi cha mẹ ăn xong,
còn thừa lại món ăn, ông hỏi cha mẹ bảo để cho ai, thì ông vâng theo lời mà cho người ấy. Một
hôm ông đi vào rừng kiếm củi vắng, ở nhà có khách đến chơi, mẹ ông không biết làm thế nào
cho ông về ngay, bèn cắn ngón tay mình, để cho động lòng con. Quả nhiên, ông ở trong rừng
thấy quặn đau trong dạ, ông vội gánh củi về ngay.
Diễn ca - Poème - Lý Văn Phức
Ðời Châu mạt có thầy Tăng Tử,
Thờ mẹ cha thì giữ chí thành :
Bữa thường rượu, thịt ngon lành,
Cho ai, vâng cứ đinh ninh chẳng dời.
Nhà bần bạc thường đi hái củi,
Quãng mù xanh lủi thủi non sâu,
Mẹ ngồi tựa bóng cửa lầu,
Nhân khi khách đến, trông mau con về.
Rồi trong dạ, lâm khi cùng túng,
Cắn ngón tay cho động lòng con.
Trong non bỗng chốc bồn chồn ;
Quặn đau trong dạ, bước dồn gót chân.
Quì dưới gối ghé gần thưa hỏi,
Lắng bên tai tỏ giải nguồn cơn.
Cho hay từ, hiếu tương quan
Non Ðồng khi lở, khôn hàn tiếng chuông.
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
Correspondances
Héros
nom(s)
Aphorisme
Dynastie
Caractères hàn-viêt
vietnamien : quốc ngữ
chinois : pinyin
Tăng Tử
Zēngzǐ
曾子
Tằng Sâm
Zēng Shēn
曾參
Tử Dư
Zĭyú
子輿
sự thân chí hiếu
niè zhĭ tòng xīn
事親至孝
嚙指心痛
Châu mạt
Zhōu
周末
周
3
3
Lý Văn Phức
Exemple n° :
Guō Jūjìng

二十四孝 - 郭居敬 / Èrshí Sì Xiào - Guō Jūjìng
三、嚙指心痛
周。曾參。字子輿。事母至孝。參曾採薪山中。家有客至。母無措參不還。乃嚙其指。
參忽心痛。負薪以歸。跪問其母。母曰。有客忽至。吾嚙指以悟汝耳。後人系詩頌之。
詩曰
母指方纏囓。兒心痛不禁。負薪歸未晚。骨肉至情深。
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