Rêve et délire dans la philosophie de Diderot

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Rêve et délire dans la philosophie de Diderot
I – ESSAIS
RÊVE ET DÉLIRE DANS LA PHILOSOPHIE DE DIDEROT 1
Jean-Claude BOURDIN
Université de Poitiers
Indépendamment de sa conception du mécanisme des phénomènes oniriques
(Croker 1963, Coggi 1988), Diderot a fait un usage singulier et très beau du « rêve »
et du « délire » comme modes d’exposition de sa philosophie. Pour comprendre pourquoi le « rêve » et le « délire » furent ses formes privilégiées d’exposition, il est nécessaire de les replacer dans une question plus générale.
S’il est indubitable que Diderot souhaitait donner à son matérialisme la caution des sciences, il était aussi lucidement conscient du fait qu’il en était encore très
loin (Versini 1994a, p. 1221). En tant qu’encyclopédiste – philosophe, il a tenté, en
réalisant l’Encyclopédie, de donner une réponse philosophique à la dispersion du
savoir et à la crise de la culture qui en découlait (Auroux, 1984, p. 25 et suivantes).
Mais comme philosophe matérialiste, il n’a pas cherché à donner à sa philosophie la
forme d’un achèvement, d’une exposition qui procéderait systématiquement. Toutefois, et paradoxalement, une réflexion sur la méthode en sciences expérimentales,
menée dans Pensées sur l’interprétation de la nature, lui fait découvrir la possibilité de
modes de connaissance différents de la connaissance discursive ou de la connaissance
expérimentale. Cette connaissance, appelée « esprit de divination », trouve dans le
rêve et le délire ses formes et sa mise en scène qui se révèlent adéquates à l’expression de cette pulsion métaphysique que recèle le matérialisme dans ce qu’on pourrait
appeler, si l’on veut, son âge « pré-scientifique ».
On peut avancer alors que le matérialisme de Diderot ne peut être qu’une
science rêvée : à la fois au sens où le savoir délivré par le matérialisme fait signe vers
un état projeté au-delà de sa situation actuelle, et au sens où c’est sous la forme de
« rêves » que cette situation pouvait devenir philosophiquement intéressante et séduisante. Toutefois, il ne faut pas dire que Diderot a rêvé faute de mieux, mais qu’il a vu
dans le rêve et le délire des outils philosophiques propres à satisfaire un besoin irré1. Les références aux textes de Diderot renvoient aux éditions de Versini (Versini 1994a, 1994b, 1996 et
1997) et de Vernière (Vernière 1990).
L’enseignement philosophique – 59e année – Numéro 2
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pressible de la raison géniale, de s’élever à une vision spéculative du monde naturel
et de construire un édifice métaphysique. Il reste à se demander exactement de quel
genre de rêve et de délire il s’agit, et ce que précisément Diderot leur a demandé de
réaliser.
Partons d’une question générale souvent abordée par les commentateurs :
pourquoi Diderot n’a-t-il pas donné à sa philosophie une présentation ou une exposition sinon systématique, du moins discursive relativement achevée ? On pourrait
poser la même question pour l’esthétique, la politique et la morale. Ce qu’on trouve,
chez Diderot, c’est une profusion de genres de textes, une remarquable hétérogénéité
du corpus, qui a pour effet de disséminer les thèses, les propositions, les développements doctrinaux. On peut vérifier cet effet non seulement dans les textes concernant
une discipline aisément repérable (philosophie, esthétique, philosophie morale), mais
dans le mélange des genres littéraires qu’il pratique : ce fait, qui n’est certes pas
propre à Diderot, – pensons à l’œuvre de Nietzsche –, est sans aucun doute responsable de la mauvaise réputation de philosophe que Diderot traîne après lui et qui en a
fait longtemps un philosophe pour « littéraires ». C’est parce qu’il n’y a évidemment
aucune raison d’accepter cette image paresseuse qui se veut doublement et inutilement injurieuse (pour Diderot et pour les « littéraires »), qu’il est utile de prendre au
sérieux la question de départ 2.
Il faut reconnaître que cette hétérogénéité et la dispersion qui en découle rendent difficile la rencontre du lecteur avec quelque chose qu’il pourrait appeler « la »
philosophie de Diderot. Le statut équivoque des textes philosophiques, ou qui se présentent comme tels, et de ceux qui ne se présentent pas comme tels mais qui contiennent des moments philosophiques, toujours sous la forme de parenthèses, de digressions 3, renforcent cette gêne.
Mais si Diderot a exclu le système ou le traité, en revanche il a consigné sa
pensée philosophique dans des textes où son matérialisme est inséparable de mises en
scène et d’un travail d’écriture et de fiction : recours à la forme dialoguée, ou à
l’échange dialectique, dans les pensées XV à XXI des Pensées philosophiques, qui mettent aux prises les figures anonymes du déiste, du dévot et de l’athée (Bourdin, 1998,
p. 26-36), fiction d’un « délire philosophique » du mathématicien anglais Saunderson
dans la Lettre sur les aveugles, fiction enfin du géomètre d’Alembert rêvant et délirant
dans le texte appelé le Rêve de d’Alembert. Il est donc remarquable qu’il a réservé l’exposition de son matérialisme à ces formes qui relèvent de ce que Deleuze appelait des
« dramatisations de la pensée » (Deleuze et Guattari, 2002, p. 130 et suivantes). Écartant l’idée qu’il ne s’agirait là que de simples procédés rhétoriques ou de divertissement littéraire, on voudrait montrer que le recours au rêve est ce qui permet à Diderot d’assumer un matérialisme pleinement spéculatif, métaphysique, alors même qu’il
prétend s’inspirer des sciences positives. En réalité, c’est dans le rapport indécidable
entre métaphysique et sciences positives (Bourdin 2003), que se joue la résolution de
Diderot de montrer que son matérialisme ne peut être que le rêve de la science de la
matière.
2. Pour être encore plus explicite, on dira que la volonté de trouver une réponse philosophiquement satisfaisant à cette question répond au désir, peut-être vain ou désespéré, de faire entrer les œuvres de Diderot dans
le canon de la philosophie, en tout cas de la nôtre.
3. Cf. par exemple le Salon de 67 (Versini 1996, p. 594 et suivantes, la « promenade Vernet »).
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UN MATÉRIALISME DE LA SENSIBILITÉ
La difficulté n’est cependant pas d’identifier sa philosophie et si l’on veut utiliser un terme de classification commode, il est indiscutable que Diderot est matérialiste. Certes, il n’emploie pas ce mot pour identifier ses positions philosophiques. Pour
des raisons de prudence, sans doute, et parce qu’il sait que ce terme, étant une arme
des adversaires spiritualistes et des théologiens, est chargé de connotations péjoratives qui risquent de jouer le rôle d’obstacles épistémologiques ou d’images-écrans, même s’il convient de noter que les définitions données par des dictionnaires du
temps, ou la figure-épouvantail des matérialistes dressée par les adversaires, ne sont
pas fausses (Salaün 1996, p. 41-78). Mais c’est peut-être aussi parce qu’il savait qu’il
existe, dans l’histoire, des variétés de matérialisme, et que parmi ses contemporains,
on a pu donner des versions diverses du matérialisme (La Mettrie, Helvétius et d’Holbach). Il était surtout conscient que le matérialisme dans lequel il se reconnaissait,
qu’il avait contribué à diffuser, dans ses travaux d’encyclopédiste prudent, mais aussi
de collaborateur de l’entreprise de diffusion de la libre-pensée et de la pensée libertine et hétérodoxe avec le baron d’Holbach, soulevait d’importants problèmes qui suscitaient ses réserves : rejet des positions morales (ou amorales) de La Mettrie (Versini
1994a, p. 694 et p. 1118-1119 ; Assoun 1981, p. 63-72), critiques de la méthode
(Bourdin 1996, p. 112-115), de l’anthropologie et de la politique d’Helvétius (Versini
ibid., p. 777-923), réserves enfin sur le Système de la nature de son ami d’Holbach
(ibid., p. 760).
Quand il arrive à Diderot de désigner la position philosophique matérialiste,
c’est de façon indirecte et cryptée. Prenons un exemple. On a coutume de repérer son
engagement philosophique matérialiste dans un article de l’Encyclopédie, qui ne
contient pas le mot « matérialisme » ou « matérialiste » et qui, en tant qu’article d’un
Dictionnaire, n’est pas censé exprimer une position personnelle. Sa lecture est cependant intéressante. Il s’agit de l’article Spinoziste attribué à Diderot par Naigeon
(Proust 1995, p. 289) :
« Il ne faut pas confondre les spinozistes anciens et les spinozistes modernes. Le principe
général de ceux-ci c’est que la matière est sensible, ce qu’ils démontrent par le développement de l’œuf, qui par le seul instrument de la chaleur graduée passe à l’état d’être sentant et vivant et par l’accroissement de tout animal qui dans son principe n’est qu’un
point, et qui par l’assimilation nutritive des plantes, en un mot de toutes les substances
qui servent à la nutrition, devient un grand corps sentant et vivant. De là ils concluent
qu’il n’y a que de la matière et qu’elle suffit pour tout expliquer. »
Cet article doit être connecté avec la dernière partie, qu’on peut attribuer à
Diderot (cf. ibid., p. 537), de l’article Naturaliste où on lit ceci :
« On donne encore le nom de naturalistes à ceux qui n’admettent point de Dieu, mais
qui croient qu’il n’y a qu’une substance matérielle, revêtue de diverses qualités qui lui sont
aussi essentielles que la longueur, la largeur, la profondeur et en conséquence desquelles
tout s’exécute nécessairement dans la nature comme nous le voyons ; naturaliste en ce
sens est synonyme à athée, spinoziste, matérialiste, etc. ».
On voit comment l’article Spinoziste explicite ce que cachait l’article naturaliste
(Bourdin 2002, p. 92-96), à savoir que cette qualité, aussi « essentielle » de la matière
que le sont les déterminations seulement géométriques (cartésiennes), est la « sensibilité », présentée comme pouvant rendre compte de l’exécution nécessaire de tous les
phénomènes naturels. L’article spinoziste développe donc un point fondamental, mais
absent de l’article naturaliste, la sensibilité qui, une fois adoptée, rend superflue la
référence à Dieu ou à un agent spirituel, voire se substitue à eux, afin d’expliquer la
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formation des choses du monde. On aura également remarqué comment le terme de
matérialiste se trouve introduit : à la faveur d’une série de synonymes qui tend à identifier quatre positions philosophiques (athée, naturaliste, spinoziste et matérialiste),
entre elles, à moins qu’il ne faille en rapporter trois (athéisme, naturalisme et spinozisme) au seul matérialisme, comme si les trois premières étaient des masques de la dernière, ou, enfin, comme si celle-ci révélait la vérité cachée des trois autres. Enfin, le
nouveau matérialisme (ou nouveau spinozisme) est expressément présenté comme la
généralisation à l’explication du « tout », du processus de développement de l’œuf dont
la croissance repose sur de la matière sensible et des mécanismes physiques (chaleur
graduée et assimilation). C’est dire aussi que ce matérialisme ne cache pas son intention spéculative et métaphysique, si la métaphysique est un savoir qui a comme objet
les catégories premières et les plus générales des choses, puisqu’ici, en quelques lignes,
Diderot pose que la nature peut être pensée selon l’unicité de la substance matérielle,
le caractère essentiel de la sensibilité pour la matière, le caractère nécessaire du développement de toutes choses à partir de celle-ci et l’immanence absolue de la nature à
elle-même, à la sensibilité de ses éléments.
La difficulté n’est donc pas de savoir ce que Diderot entendait par matérialisme, ni de suivre les voies qu’il a empruntées pour avancer peu à peu ses affirmations
fondamentales concernant la sensibilité de la matière. On en repère les énoncés principalement dans une lettre à Sophie Volland d’octobre 1759 (Versini 1997, p. 170171) et dans une lettre à Duclos d’octobre 1765 :
« Si j’ai dit […] que la pensée ne pouvait résulter de la transposition des molécules, c’est
que la pensée est le résultat de la sensibilité, et que, selon moi, la sensibilité est une propriété universelle de la matière. » (Versini 1997, p. 541 ; Proust, p. 292)
La difficulté est plutôt d’identifier sa pratique de la philosophie, la façon dont
il philosophe en régime matérialiste, dont il expose et réalise cette supposition, ainsi
que les effets de cette pratique sur le sens de son entreprise philosophique. Il semble
qu’une juste compréhension des caractéristiques de cette pratique permettrait de
mieux saisir le sens de son matérialisme, ou plus exactement, de son rapport au matérialisme.
LE RECOURS À LA SUPPOSITION DE LA SENSIBILITÉ
Pourquoi parler de « son rapport au matérialisme » plutôt que de son matérialisme ? Tout se passe comme si Diderot, qui ne remet jamais en cause son engagement matérialiste athée, s’était interrogé sur la façon dont il devait être exposé et ne
le séparait pas d’un travail d’écriture et de fiction qui a pour effet de l’objectiver. Le
contenu du matérialisme de Diderot est inséparable de sa pratique philosophique. À
l’évidence, il écarte délibérément la présentation sous la forme d’un système ou d’un
traité, alors que c’est la forme que n’ont pas hésité à adopter La Mettrie, Helvétius et
d’Holbach (Bourdin 2002, p. 96-99). Il écarte, implicitement, la présentation que Descartes appelle synthétique, qui a le défaut de présenter les résultats de la science sans
faire apparaître le chemin qui y conduit, même si elle a un avantage « pédagogique ».
Mais, précisément, Diderot se méfie de la réduction scolaire de la philosophie. Non
seulement il a toujours affirmé qu’il n’avait pas la manie du prosélytisme 4, mais il
était conscient que l’athéisme matérialiste de ses amis (d’Holbach et Naigeon) pouvait
4. « La Maréchale : Je ne sais trop que vous répondre, et cependant vous ne persuadez pas. – Diderot : Je ne
me suis pas proposé de vous persuader. […] La Maréchale : Vous n’avez pas, à ce que je vois, la manie du prosélytisme. – Diderot : Aucunement. » (Vernière 1990, p. 540-541)
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devenir un nouveau fanatisme qui ne vaudrait pas mieux que l’autre (le religieux, le
chrétien et le catholique). Enfin, Diderot est, avec Helvétius, pour ne parler que de la
France, un des rares à s’être posé le problème de la communication philosophique.
Ce problème prend différentes formes. Tout d’abord, le vrai ne s’indique pas
de lui-même, surtout quand il est neuf et, littéralement parlant, paradoxal. Comment
alors, non pas convaincre le lecteur ou l’interlocuteur, mais le disposer à accepter
d’examiner la vérité de ce qui lui est proposé ? Comment rendre concevable ce qui
paraissait d’abord incroyable ? Comment, comme c’est le cas avec son ami d’Alembert,
surmonter le scepticisme 5 ? Dans une lettre souvent citée à Sophie Volland, du
31 août 1769, alors qu’il a rédigé les deux premiers dialogues constituant le texte
qu’on appelle le Rêve de d’Alembert, il écrit :
« Il y a quelque adresse à avoir mis mes idées dans la bouche d’un homme qui rêve : il
faut souvent donner à la sagesse l’air de la folie, afin de lui procurer ses entrées ; j’aime
mieux qu’on dise : “Mais cela n’est pas aussi insensé qu’on croirait bien”, que de dire :
“Écoutez-moi, voilà des choses très sages.” » (Versini 1997, p. 969)
Deuxièmement, il n’est plus possible, après Berkeley 6 et Locke, de prétendre
accéder à la connaissance des substances des choses : s’il est absurde d’adopter le pyrrhonisme 7, en revanche il convient de ne pas oublier les raisons qui peuvent conduire
au scepticisme et convenir que, concernant la vérité des choses, nous ne sortons
jamais du cercle de la certitude 8 sensible. Pour cette raison, toute proposition qui
porte sur la totalité du réel (le monde, la nature, la matière), ou sur les qualités fondamentales du réel (la sensibilité, le mouvement), ou sur son fondement/origine
(Dieu ou la sensibilité), ne peut, au mieux, prétendre qu’au statut de supposition ou
d’hypothèse. Telle est la position à laquelle Diderot est conduit, après ce que Colas
Duflo (Duflo 2003, p. 172-188) a appelé la « mauvaise rencontre » avec l’immatérialisme de Berkeley, dont la fin de la Lettre sur les aveugles est comme l’écho :
« car que savons-nous ? ce que c’est que la matière ? nullement ; ce que c’est que l’esprit,
la pensée ? encore moins ; ce que c’est que le mouvement, l’espace et la durée ? point du
tout. » (Versini 1994a, p. 184)
Certes il en découle qu’il faut se résigner à admettre que nous ne pouvons rien
décider, en vérité, concernant l’essence du « sujet » auquel nous sommes tentés de
rattacher les qualités visibles de la matière et que, comme l’enseigne l’épistémologie
newtonienne, à propos de la gravitation universelle, il nous suffit de remonter des
effets visibles à une supposition qui les explique, même si celle-ci n’est pas observable. Mais, comme on le verra, Diderot ne s’est pas résigné à la finitude que cette
conception de la connaissance entraîne. Passant sur le plan de la métaphysique, le
matérialisme se donne le droit d’outrepasser, par le recours à des fictions de délire et
de rêve, les limites et de l’expérience sensible et celles de l’état des connaissances
scientifiques.
5. Cette question est soulevée à la fin du premier entretien du Rêve de d’Alembert et on peut considérer que la
conversation qui suit et qui contient les passages du rêve du géomètre a pour fonction de surmonter son scepticisme.
6. Pendant toute sa vie, Diderot affirme que la philosophie de Berkeley est à la fois la plus absurde et la plus
difficile à réfuter. Cf. Versini 1994a, p. 164 et 1149.
7. Cf. article PYRRHONIENNE OU SCEPTIQUE (PHILOSOPHIE) de l’Encyclopédie et Bourdin 1999b.
8. « Il renouvela l’ancien axiome : il n’y a rien dans l’entendement qui n’ait été auparavant dans la sensation
[…]. D’où il aurait pu tirer une […] conséquence très utile : c’est que tout idée doit se résoudre en dernière
décomposition en une représentation sensible […]. De là une grande règle en philosophie, c’est que toute
expression qui ne trouve pas hors de notre esprit un objet sensible auquel elle puisse se rattacher est vide de
sens » : article LOCKE (PHILOSOPHIE DE) de l’Encyclopédie.
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En tout cas, dans le cadre de la confrontation entre deux hypothèses concurrentes (Dieu, l’âme, un agent spirituel ou la sensibilité de la matière), ce n’est plus le
critère strict de la vérité, assujetti à l’expérience sensible, qui peut décider, mais la
force respective de la vraisemblance attribuée à l’une ou l’autre, explique Diderot au
philosophe spiritualiste néerlandais Hemsterhuis :
« Si je faisais une pure supposition qui expliquât un phénomène, ce phénomène expliqué
lui donnerait un premier degré de vraisemblance. Et la vraisemblance de la supposition
s’accroîtrait en raison du phénomène expliqué. Mais une supposition qui produirait l’effet
contraire, et qui, une fois introduite, au lieu de lever une difficulté, en susciterait mille
autres, au lieu d’éclaircir, couvrirait toutes les questions de ténèbres, ne serait-elle pas
invraisemblable, et son invraisemblance ne s’accroîtrait-elle pas en raison des difficultés
qu’elle produirait ? » (ibid., p. 730).
On le voit, il n’est pas question de « feindre » des hypothèses, mais de demander aux suppositions de rendre compte d’un maximum de phénomènes observables et
expérimentables. Sa fonction est d’expliquer le comment des choses, de rendre intelligibles les relations entre phénomènes et de donner les moyens d’en découvrir de nouveaux. Ainsi, explique Diderot à Hemsterhuis 9, je constate un effet qui se produit sous
mes yeux, la naissance de la sensibilité dans la matière, quand je contemple la croissance d’un œuf. Je demande à la supposition selon laquelle la sensibilité est une qualité essentielle de la matière, d’expliquer cet effet. Certes, je ne sais, avec certitude, si
cette qualité est essentielle à la matière et en quel sens elle le serait. Ce que je sais,
parce que je le vois, c’est qu’elle n’est pas incompatible avec la matière. Du point de
vue d’une exigence forte de vérité, j’avoue ne pouvoir dire si cette qualité est aussi
essentielle à la matière que l’est l’impénétrabilité : c’est que l’essence de la matière et
de la sensibilité me reste voilée. Mais comparée à la supposition opposée, celle de
Dieu, ou d’un agent spirituel, qui soulève la difficulté dirimante d’avoir à accorder
deux réalités hétérogènes, elle affirme son plus grand degré de vraisemblance et donc
d’acceptabilité (Versini, idem). La conséquence de cette logique est que la constitution
d’un système, conçu comme l’application suivie à des domaines d’objets de principes
ou d’évidences premières, est sans intérêt. Dans la perspective de Diderot, ce qui va
primer, c’est le travail sur la nature même de la supposition, sur ses rapports avec les
phénomènes et sur ses relations avec les faits dégagés et traités par les sciences
(médecine, physiologie, chimie, physique).
LES CADRES DE LA PHILOSOPHIE DE DIDEROT
Il serait tentant de proposer une reconstitution de la philosophie de Diderot et
d’en d’offrir un tableau, qu’on pourrait dégager des multiples textes où se disséminent
ses divers énoncés. Malgré le risque qu’il y aurait à trahir la singularité de son philosopher, on peut dresser ce qu’on peut appeler les cadres généraux de cette pensée.
1- Elle repose sur une supposition fondamentale : « la sensibilité […] est une
qualité générale et essentielle de la matière » (ibid., p. 611).
a) Elle est souvent présentée sous la forme d’une antinomie (Duflo 2002,
p. 16-19) : ou bien la sensibilité est une propriété générale de la matière, ou bien elle
est le résultat d’un type d’organisation de celle-ci. Deux raisons conduisent Diderot à
refuser le deuxième terme de l’alternative. Comme le remarque Belaval (2003
[1980], p. 163-165), la chimie des combinaisons permettrait de penser le passage de
9. Le même raisonnement est tenu par Diderot à d’Alembert dans le premier dialogue du Rêve de d’Alembert :
cf. ibid., p. 611 et 619.
RÊVE ET DÉLIRE DANS LA PHILOSOPHIE DE DIDEROT
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l’insensibilité à la sensibilité et à la vie qui seraient le résultat de l’organisation. Mais
comme le mécanisme de l’organisation fait intervenir l’action d’un « toucher obtus et
sourd » (Versini 1994a, p. 591 et 646), la sensibilité se trouve déjà présupposée dans
les éléments et n’est donc pas le résultat de leurs arrangements. C’est pourquoi Diderot choisit l’autre hypothèse : que la matière soit sensible et que l’organisation en
résulte. Deuxièmement, c’est la difficulté logique du deuxième terme de l’alternative 10
qui l’amène à le rejeter. L’arrangement des molécules signifie leur changement de
position spatiale : on ne voit alors pas comment un déplacement dans l’espace conférerait une propriété nouvelle en rendant sensible un élément qui ne l’est pas. Mais ce
n’est pas seulement pour des raisons logiques que Diderot a fait ce choix. En effet, il
aurait pu, comme d’Holbach, fidèle à Épicure et à la méthode des explications multiples, admettre, indifféremment, les deux suppositions (d’Holbach 1999, p. 229). S’il
ne l’a pas fait, c’est parce qu’elle engage à long terme, si on l’accepte, à un travail d’investigation de type métaphysique : s’élever à « l’essence même de l’ordre » (Versini
ibid., p. 593), dévoiler les secrets de la nature, pour voir, littéralement son énergie
productrice à l’œuvre. Comme s’il fallait outrepasser le scepticisme de Boyer d’Argens
pour qui « la nature ressemble à un joueur de gobelets : elle ne nous montre que les
derniers effets de ses opérations » (Boyer d’Argens 2002, p. 174-175).
b) Elle est présentée comme une supposition concurrente d’une autre supposition (cf. Versini, ibid., p. 611), jamais clairement identifiée, mais qui est spiritualiste,
dualiste, et qui ferait intervenir dans la nature, mais surtout dans l’homme, un principe « hétérogène » d’explication et d’action (Dieu, l’esprit). Si la sensibilité est cette
propriété de la matière, alors de la matière sensible suffit pour expliquer la formation
de tout vivant, et de ce vivant particulier qu’est l’homme, de sa pensée, du sentiment
de l’unité de son Moi, de sa volonté, de ses actions, de son langage et des principes de
la morale. Non seulement elle suffit, mais elle satisfait un certain nombre d’exigences
épistémologiques rationalistes : elle est simple, économique et puissante quant à sa
capacité d’explication et à sa fécondité heuristique. Si elle n’est pas immédiatement
inférée de faits, elle peut se prévaloir de nombreuses études en sciences, ou, en tout
cas, affirmer qu’elle ne les contredit pas et qu’elle peut en attendre des confirmations.
2 - Cette supposition conduit à rejeter tout dualisme et à affirmer ce qu’on
pourrait appeler anachroniquement un strict physicalisme :
« Il n’y a qu’une sorte de cause à proprement parler, ce sont les causes physiques. Il n’y a
qu’une sorte de nécessité, c’est la même pour tous les êtres, quelque distinction qu’il nous
plaise d’établir entre eux ou qui y soit réellement » (lettre à Landois, 29 juin 1756, Versini, 1997, p. 56).
Ou si l’on veut employer un autre langage, on a affaire à un monisme matériel
complet qui détermine l’idée de nature par les principes suivants :
a) « l’enchaînure universelle » : sans ce principe la nature de formerait pas un
système mais un agrégat où rien n’aurait sa raison suffisante (article liaison de l’Encyclopédie), d’où se tire le principe de continuité des êtres (la nature ne fait pas de saut)
et l’impossibilité pour un phénomène d’être absolument isolé : « Tout tient dans la
nature » (Versini 1994a, p. 615) ;
10. « Quoi ! la particule a placée à gauche de la particule b n’avait point de conscience de son existence, ne
sentait point, était inerte et morte ; et voilà que celle qui était à gauche mise à droite et celle qui était à droite
mise à gauche, le tout vit, se connaît et sent ? Cela ne se peut. » Lettre à Sophie Volland, 15 (?) octobre 1759
(Versini 1997, p. 171)
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b) « il n’y a qu’une substance dans l’univers » (Versini ibid., p. 620), autrement dit
sont posées l’unité matérielle de la nature et l’idée que la nature ne produit qu’un seul
acte pour tous ses phénomènes, qui en sont des modifications infiniment diverses ;
c) le principe de « dissimilitude » (article leibnitzianisme de l’Encyclopédie),
reprise du principe leibnizien des indiscernables, lié à l’idée de l’hétérogénéité de la
matière, conduit à poser que pas une molécule matérielle ne ressemble à une autre,
mais surtout : « pas une molécule qui se ressemble à elle-même dans un instant »
(Versini ibid., p. 631) ;
d) la légalité universelle des principes de l’action et de la réaction, de la loi de
continuité (cf. ibid., p. 626, 628, 662, 685, etc.).
3 - Une conception de la matière, déterminée comme étant active, éternellement productive et fondamentalement hétérogène, obéissant, selon une hiérarchie,
aux lois de la mécanique, de la dynamique et de la chimie. Cela appelle une « vision »
qui tend à élargir les propositions du matérialisme aux dimensions d’une image du
monde pris dans un mouvement de transformation continuelle :
« J’arrête mes yeux sur l’amas général des corps ; je vois tout en action et en réaction ;
tout se détruisant sous une forme ; tout se recomposant sous une autre ; des sublimations,
des dissolutions, des combinaisons de toutes les espèces, phénomènes incompatibles avec
l’homogénéité de la matière ; d’où je conclus qu’elle est hétérogène ; qu’il existe une infinité d’éléments divers dans la nature ; que chacun de ces éléments, par sa diversité, a sa
force particulière, innée, immuable, éternelle, indestructible ; et que ces forces intimes au
corps ont leur action hors du corps : d’où naît le mouvement ou plutôt la fermentation
générale dans l’univers » (ibid., p. 685).
Enfin, pour vérifier la supposition fondamentale sur la sensibilité, Diderot doit montrer qu’il faut distinguer une sensibilité inerte et une sensibilité active, expliquer comment
s’effectue le passage de l’une à l’autre, qu’elle constitue effectivement, par développement,
les organes du corps, entre dans sa production et qu’elle rend compte du fonctionnement
de la pensée et de la constitution de l’unité du Moi et de la conscience de soi, bref qu’elle
peut constituer une anthropologie et au-delà une esthétique, une morale et une politique.
SCIENCES ET « DÉLIRE PHILOSOPHIQUE »
Or l’établissement de tous ces points, décisifs pour la cohérence et la crédibilité du matérialisme, suppose non seulement un raffinement d’argumentations et de
spéculations, mais aussi le secours du savoir scientifique.
Déjà, dans les Pensées philosophiques, texte que la critique considère comme
reflétant les opinions déistes de Diderot à l’époque (1746), les connaissances scientifiques (la préexistence des germes) sont sollicitées, sous la forme d’un argument d’autorité, pour appuyer les propositions déistes contre les athées (Versini ibid., p. 23). Mais,
une fois Diderot rallié au matérialisme, et la « génération spontanée » ou « équivoque »
acceptée (Bourdin, 2003), on peut penser qu’il a cru que les connaissances en chimie,
en physiologie, en médecine pouvaient à la fois confirmer sa supposition et transformer
ce qu’elle a de conjectural en vérités. Au point qu’il n’aurait pas été loin d’être d’accord
avec Naigeon. Celui-ci, publiant les Principes philosophiques sur la matière et le mouvement, après la mort de Diderot, rappelle l’intérêt de Diderot pour la chimie 11 et déclare :
11. Diderot avait suivi les cours du chimiste Rouelle et mis au propre et édité ceux-ci. François Pépin a montré
avec précision et pénétration l’importance de la chimie dans la « philosophie expérimentale » de Diderot et ses
conséquences pour son matérialisme. Voir la thèse de François Pépin, Philosophie expérimentale et chimie chez
Diderot, sous la direction de Francine Markovits, Paris X Nanterre, 2007.
RÊVE ET DÉLIRE DANS LA PHILOSOPHIE DE DIDEROT
11
« une grande partie de ces doutes (il s’agit des questions sur la nature de la matière
formulées à la fin des Pensées sur l’interprétation de la nature) si difficiles à éclaircir
par la métaphysique, même la plus hardie, se résolvent facilement par la chimie »
(Vernière 1990, p. 389). En effet, Diderot lui-même fait dire par le docteur Bordeu
dans le Rêve de d’Alembert que les connaissances scientifiques viendront bientôt
confirmer les intuitions et les développements du rêveur (cf. Versini 1994a, p. 637).
Or cette assurance n’a pas empêché Diderot d’avoir une vive conscience de l’écart
entre la confirmation scientifique du matérialisme et la réalité des sciences. C’est en
1774, soit sept ans après la rédaction de l’essentiel du Rêve de d’Alembert, qu’il fait ce
constat sur lequel il faut s’arrêter.
« J’estimerai davantage encore celui qui, par l’expérience ou l’observation, démontrera
rigoureusement ou que la sensibilité physique appartient essentiellement à la matière que
l’impénétrabilité, ou qui la déduira de l’organisation.
J’invite tous les physiciens et les chimistes à rechercher ce qu’est la substance animale,
sensible et vivante.
Je vois clairement dans le développement de l’œuf et quelques autres opérations de la
nature, la matière inerte en apparence, mais organisée passer par des agents purement
physiques, de l’état d’inertie à l’état de sensibilité et de vie, mais la liaison nécessaire de ce
passage m’échappe.
Il faut que les notions de matière, d’organisation, de mouvement, de chaleur, de chair,
de sensibilité et de vie soient encore très incomplètes.
Il faut en convenir, l’organisation ou la coordination de parties inertes ne mène point du
tout à la sensibilité, et la sensibilité générale des molécules de la matière n’est qu’une supposition qui tire toute sa force des difficultés dont elle débarrasse, ce qui ne suffit pas en
bonne philosophie » (ibidem, p. 797-798)
On peut comprendre ces lignes de la façon suivante : tant que la philosophie
prétend énoncer des propositions vraies ou vérifiées ou vérifiables, elle se place sous
la juridiction de la science et son sort dépend des résultats de celle-ci. Mais en l’absence de ces confirmations, elle risque donc de ne pas accéder au statut de « bonne
philosophie ». Que faire ? Attendre et promouvoir le progrès des sciences. C’est ce à
quoi Diderot a travaillé, espérant également que la « pas encore bonne philosophie »
pourrait aider à ces progrès. Mais il a emprunté une autre voie, que paradoxalement
en un sens, il a dégagée de sa réflexion sur la pratique scientifique.
Dans les Pensées sur l’interprétation de la nature, polémiquant contre le règne
des mathématiques dans des domaines où la pensée abstraite se condamnait à des
approximations ou des échecs (le vivant), Diderot fait l’éloge de ceux qu’il appelle les
« manouvriers d’opérations », ceux qui animent la physique ou la philosophie expérimentale, face à la philosophie rationnelle, - entendons la philosophie physique d’inspiration cartésienne et plus précisément d’Alembert. En eux il discerne ce qu’il appelle
un « esprit de divination » qu’ils acquièrent grâce à la « grande habitude de faire des
expériences ». Il s’agit d’un « pressentiment » qui a le caractère de l’« inspiration » (tel
le démon familier de Socrate) ou de l’instinct.
« Ils ont vu si souvent et de si près la nature dans ses opérations, qu’ils devinent avec
assez de précision le cours qu’elle pourra suivre dans le cas où il leur prend l’envie de la
provoquer par les essais les plus bizarres ».
Plus précisément, cet esprit est
« une faculté de supposer ou d’apercevoir des oppositions ou des analogies qui a sa source dans une connaissance pratique des qualités physiques des êtres considérés » (ibid.,
p. 571).
JEAN-CLAUDE BOURDIN
12
Celui qui s’y livre
« étendrait cette idée, il l’appuierait sur une infinité de faits qui se présenteraient à sa
mémoire ; ce serait une histoire fidèle de toutes les extravagances ; car quel autre nom
donner à cet enchaînement de conjectures fondées sur des oppositions ou des ressemblances si éloignées, si imperceptibles que les rêves d’un malade ne paraissent ni plus
bizarres ni plus décousus » (idem).
On remarque que Diderot fait ici l’éloge d’une faculté supérieure de connaissance, mais qu’il voit à l’œuvre dans la science expérimentale même. « Supérieure »
en ce qu’elle est capable de découvertes qui dépassent l’accumulation des faits et
l’énoncé de leurs relations pour s’élever, par ses conjectures, jusqu’à « l’essence même
de l’ordre ». Mais il faut noter que ce but a plus à voir avec la métaphysique qu’avec
la science. Ou plus exactement, la métaphysique que Diderot construit va précisément
illustrer la fécondité de cet « esprit de divination » qui n’est plus tenu par une exigence de vérité ou de vérification. La philosophie pourra continuer d’être « bonne », si,
prenant ses distances avec les contraintes propres aux sciences, elle exploite résolument les ressources offertes par les conjectures dont elle sera capable. En conséquence, la philosophie matérialiste peut se présenter avec la créativité autorisée par les
rêves et les délires, s’il est vrai qu’ils ne sont pas plus décousus que les extravagances
des manouvriers d’opérations, pas plus mais autant, en tout cas aussi extravagants
qu’elles.
Il faut maintenant examiner ces formes de pensée que sont le délire et le rêve,
que Diderot a choisies non pas pour exprimer seulement son matérialisme, mais pour
s’élever à la construction d’un plan ou d’une assiette pour ce matérialisme-là (Bourdin
2008).
LE DÉLIRE DE SAUNDERSON DANS LA LETTRE SUR LES AVEUGLES
Nous avons emprunté à Deleuze l’idée de « dramatisation de la pensée ». Elle
nous paraît particulièrement s’appliquer à un passage célèbre de la Lettre sur les
aveugles, celui où Diderot invente l’épisode de la mort de l’aveugle, le mathématicien,
professeur d’optique à Cambridge, Saunderson qui a cependant réellement existé. Qui
dit « dramatisation » dit mise en scène par l’écriture, donc création de formes et de
personnages qui introduisent nécessairement chez le lecteur les questions : Qui ? Avec
Qui ? Contre Qui ? Avec l’aide de Qui ? À l’adresse de Qui ? À ces questions, on peut en
ajouter d’autres : Quand ? Dans quelles conditions ? Où ? Ici, les éléments de cette
mise en scène sont les suivants.
– Un homme, un savant réputé et admiré pour ses talents rehaussés par son
handicap, va mourir
– Un homme d’Église, le Révérend Holmes, l’assiste et entame avec lui une
discussion sur l’existence de Dieu. En fait, précise Diderot, ils poursuivent une discussion philosophique qu’ils ont eue souvent auparavant.
– On a donc deux personnages conceptuels (Duflo 2006) : l’un, croyant, rationaliste (selon qui on peut prouver, démonstrativement, l’existence de Dieu), l’autre dont
on suppose, puisque Diderot n’en dit rien, qu’il est réticent, qu’il oppose des objections,
qu’il n’est pas convaincu, sans pour autant être sceptique déclaré ; en tout cas il n’est pas
athée, du moins quand il discute dans des conditions normales de lucidité.
– Le moment : il y va du salut du mourant, certes, mais aussi de la solidité de
son agnosticisme : va-t-il le maintenir dans ce moment crucial ?
– Le dialogue reste rationnel et ne manifeste de la part de l’homme d’Église
aucune pression morale, aucun appel à des motifs superstitieux. En effet, il argumen-
RÊVE ET DÉLIRE DANS LA PHILOSOPHIE DE DIDEROT
13
te dans le cadre de la preuve cosmologique de l’existence de Dieu en faisant fond sur
l’idée de la finalité dans la nature. Il allègue le Dieu de Newton, de Leibniz et de Clarke.
– Le fait que ce soit un aveugle que Diderot fait parler n’est évidemment pas
sans signification pour la mise en scène. Car la cécité de l’aveugle fait apparaître son
handicap comme un argument et un avantage.
L’argument consiste à établir qu’il ne peut être sensible au topos déiste de la
nature comme spectacle ; qu’il ne peut intégrer dans une prétendue économie providentielle divine sa cécité et qu’ainsi il peut d’emblée écarter la preuve physico-téléologique de l’existence de Dieu comme étant sans pertinence pour lui, et donc comme ne
pouvant prétendre à l’universalité que soutiennent ses partisans, renvoyant à une
sorte de consensus gentium.
L’avantage pour Saunderson revient à proposer à son interlocuteur une situation cognitive qui les met à égalité et l’inviter à pratiquer une expérience : imaginer
une autre supposition que celle de la création, qu’il s’agit de présenter comme étant
aussi légitime que la thèse de Holmes qui, du coup, devient une simple supposition.
Supposition contre supposition donc. Mais comme sa cécité l’a rendu étranger à notre
expérience perceptive de voyants, il va être paradoxalement capable de se débarrasser des préjugés solidaires de cette dernière et en particulier de se déprendre du
« sophisme de l’éphémère » qui consiste à juger de « l’existence successive du monde
comme la mouche éphémère de la vôtre » (ibid., p. 169) ; ce qui le rend particulièrement apte à intégrer l’existence de monstruosités comme des formes « normales »
dans sa représentation du monde. Ce qui lui permet alors, dans une ligne d’inspiration lucrétienne, d’exposer deux conjectures.
La première imagine que, dans ses origines, la matière, se « débrouillant du
chaos » par sa seule énergie et selon une combinatoire aveugle a engendré des êtres
défectueux, des « monstres », qui se sont progressivement « dépurés » pour ne laisser
subsister que ceux « où le mécanisme n’impliquait aucune contradiction importante et
qui pouvait subsister par eux-mêmes et se perpétuer » (ibid., p. 168). L’intention est
de montrer la contingence des productions naturelles qui, si elles réalisent un des
multiples possibles, ne le font pas dans la perspective du meilleur, comme le montre
l’existence du monstre Saunderson lui-même. Cette existence est la preuve indirecte
que la supposition n’est pas chimérique. La cécité du mathématicien montre que s’il
existe des monstres réels c’est qu’il est possible qu’il ait existé des monstres réels lesquels sont donc encore possibles.
La seconde supposition élargit la précédente à l’univers : il a existé une pluralité de mondes monstrueux, estropiés et parmi ceux-ci un certain monde a atteint un
état favorable à son maintien. Mais il ajoute la supposition que le mouvement de formation, de disparition et de stabilisation des mondes est toujours actuel, créant des
états d’agitations irrégulières qui l’emportent sur les rares mondes stables qui sont à
leur tour emportés dans un mouvement indéfini et inachevé de recomposition : notre
monde est
« sujet à des révolutions qui toutes indiquent une tendance continuelle à la destruction ;
[il manifeste] une succession rapide d’êtres qui s’entre suivent, se poussent, disparaissent ;
une symétrie passagère, un ordre momentané » (ibid., p. 169).
UNE VISION MÉTAPHYSIQUE DE LA NATURE
Vartanian (1966, p. 224) a relevé le caractère oraculaire de cette vision. Mais
c’est qu’elle n’a pas directement comme objet d’exposer la philosophie matérialiste,
JEAN-CLAUDE BOURDIN
14
mais plus profondément de proposer un « plan » (Deleuze, 1991, p. 38-59) ou une
« assiette » (cf. Althusser, 1994, p. 561) sur lesquels des propositions matérialistes
pourront prendre place et développer leur puissance de création. Ce plan dessine les
conditions d’une métaphysique de la nature et d’une métaphysique de l’esprit qui lui
correspond pour être apte à la penser (Bourdin, 1999a, p. 24 et suivantes et 2008). En
effet, la vision de Saunderson ne dit rien de la matière, de son essence, son mouvement, sa sensibilité, des rapports de la matière et la vie, de la matière et de la pensée,
de l’âme et du corps, etc. Elle dit qu’il est possible de voir le monde, autrement. Non
pas un autre monde, mais ce même monde avec des coordonnées spatio-temporelles
très différentes. Le résultat est que ce même monde auquel nous sommes habitués,
auquel le bon sens naturel et le bon sens philosophique reconnaissent ordre, beauté,
intelligence, bonté, etc., ce même monde peut être pensable sans finalité, sans manifester d’autre ordre, conséquence de la critique du « sophisme de l’éphémère », que
celui passager, transitoire, instable, des métamorphoses et du flux permanent de ses
formes.
Cette métaphysique de la nature, définie par sa contingence, son flux, la poursuite en elle de processus inachevés de création, ne doit rien, on le voit, à un quelconque apport scientifique. Mieux, il est clair que son adoption ne peut laisser sans
effet la pratique de la science et l’idée qu’elle se fait de sa tâche.
Pour ne prendre qu’un exemple, on peut citer le § LVIII, 1. Pensées sur l’interprétation de la nature (1753) :
« Si les phénomènes ne sont pas enchaînés les uns aux autres, il n’y a point de philosophie. Les phénomènes seraient tous enchaînés, que l’état de chacun pourrait être sans permanence. Mais si l’état des êtres est dans une vicissitude perpétuelle ; si la nature est
encore à l’ouvrage, malgré la chaîne qui lie les phénomènes, il n’y a point de philosophie.
Toute notre science naturelle devient aussi transitoire que les mots. Ce que nous prenons
pour l’histoire de la nature n’est que l’histoire très incomplète d’un instant. » (Versini,
1994a, p. 240)
Plutôt que d’y voir un pressentiment du transformisme ou de l’évolutionnisme,
il est plus juste et plus intéressant de relever que Diderot affirme ici une thèse métaphysique, celle de l’historicisation totale de l’être (Auroux, 1990, p. 32). Or si c’est la
vision oraculaire d’un aveugle qui l’affirme, c’est bien qu’une telle thèse ne peut faire
l’objet d’aucune expérience, qu’elle est littéralement parlant, métaphysique. On est ici
au-delà de l’empirisme : les conjectures de ce type ne sont pas des « sensations développées ». Mais elles ne sont pas non plus déduites de principes rationnellement
posés. Elles appartiennent plutôt au genre poétique de la fable du monde, avec cette
précision qu’elles ne visent pas à donner une représentation de la nécessité des lois de
la nature, mais à montrer qu’il est impossible de totaliser le savoir à partir de l’ordre
du monde et donc de l’état des sciences. Il faut relever enfin qu’au moment où
l’aveugle achève l’exposé de sa cosmologie, il tombe dans une sorte de délire, comme
si sa pensée ne pouvait pas assumer, pour elle-même, les déterminations du monde
qu’il vient de supposer.
L’IMAGINATION DE LA SUPPOSITION
À cette métaphysique de la nature correspond une image de la pensée et de la
connaissance. Ni expérience, ni déduction, encore moins savoir scientifique : on comprend que Saunderson n’a pu découvrir ce qu’il expose que par un travail de l’imagination qui demande que soit bouleversé le fonctionnement normal de la perception
afin d’adopter un point de vue décentré et extérieur au monde : « O philosophes !
RÊVE ET DÉLIRE DANS LA PHILOSOPHIE DE DIDEROT
15
Transportez-vous donc avec moi sur les confins de l’univers, au-delà du point où je
touche », dit Saunderson les invitant à s’élever jusqu’à cette hauteur où « le temps, la
matière et l’espace ne sont peut-être qu’un point » (Versini, ibid., p. 169).
Certes il ne rêve pas, mais il partage avec le rêveur la circonstance suivante : si
son esprit nous apparaît somnambulique c’est qu’il est privé, et du fait de sa cécité, et
du fait de son émotion (il va mourir), de l’expérience habituelle de l’homme éveillé.
Chez ce dernier, en effet, la pensée est en relation avec les objets de son expérience et
reste, en principe, sous leur dépendance, ce qui permet à l’entendement de se subordonner les sensations, de les lier, de juger, etc. Dans le cas du rêve, comme l’explique
Le rêve de d’Alembert, le réseau nerveux tout entier se relâche, entre en torpeur (sous
l’effet d’une fatigue générale, par exemple), les fibres sont abandonnées à leur propre
agitation et l’origine du réseau perçoit alors les sensations émanées du mouvement
plus ou moins désordonné ou violent des filets, c’est-à-dire du corps et de ses organes.
La pensée du rêve émane donc de l’activité de la sensibilité du corps du rêveur, y
compris, bien entendu, de son cerveau et de sa mémoire. Il est vrai que dans le cas de
Saunderson, il est difficile de faire un parallèle précis avec les descriptions du mécanisme du rêve que Diderot a pu faire par ailleurs. Cependant, la vision de l’aveugle
montre le fonctionnement d’une pensée qui ne doit rien à la prise en compte de l’expérience perceptive ordinaire, mais décrit un pur exercice de la pensée, hors des
cadres de l’expérience commune et de la pensée d’entendement, pour parler comme
Hegel. Mais c’est pour libérer une pensée qui, grâce à la fiction dans laquelle elle
prend naissance, expose comment les choses pourraient être (pourraient avoir eu
lieu) et donne à cette exposition un caractère de vraisemblance qui invite à l’emprunter, pour voir, en quelque sorte. Mais du coup, elle signifie que l’autre supposition,
celle de Holmes, n’est peut-être à son tour qu’une ingénieuse supposition, qui n’étant,
elle aussi, que vraisemblable, prête le flanc à un exercice de comparaison.
On peut se demander sur quoi Saunderson peut fonder sa « vision », étant
privé de la vue et de la possibilité d’inférer d’observations, la supposition du
« débrouillage du chaos ». L’intuition de la formation de monstres et de mondes
« estropiés » repose sur l’analogie expressément posée entre sa propre monstruosité et
celle des choses, la première l’ayant rendu particulièrement sensible au désordre dans
la nature (Vartanian, ibid., p. 224). Mais cette analogie permet un acte de la pensée
qui à son tour engendre le mouvement de l’imagination :
« S’il n’y avait jamais eu d’êtres informes, vous ne manqueriez pas de prétendre qu’il n’y
en aura jamais et que je me jette dans des hypothèses chimériques ; mais l’ordre n’est pas
si parfait […] qu’il ne paraisse encore de temps en temps des productions monstrueuses.
[…] Voyez-vous bien, monsieur Holmes, je n’ai point d’yeux. Qu’avions-nous fait à Dieu,
vous et moi, l’un pour avoir cet organe, l’autre pour en être privé ? […] Je conjecture
donc que, dans le commencement où la matière en fermentation faisait éclore l’univers,
mes semblables étaient fort communs. » (Versini, ibid., p. 168 et 169)
Ce qui lui permet de supposer qu’il y a eu des « êtres informes » et qu’il y en
aura encore, c’est qu’il en est un lui-même. Ce fait réel est donc possible ; de plus, il
ne révèle aucun sens, aucune finalité intelligente et prévoyante ; et son caractère d’exception, loin d’en minimiser la portée, conduit le raisonnement, au contraire, à considérer que l’ordre actuel général n’est à son tour qu’une exception réussie, apparemment durable, mais en réalité instable par rapport à tous les possibles éliminés ; enfin,
la contingence totale de ce fait singulier qualifie de la même façon l’ordre actuel.
Ainsi, la vraisemblance de la supposition de Saunderson (qui justifie qu’on l’adopte)
implique-t-elle la possibilité d’un mode aléatoire de formation des choses, elle-même
16
JEAN-CLAUDE BOURDIN
fondée sur la possibilité réelle, réellement réalisée, du cas singulier de l’aveugle.
À partir de là, l’imagination réalise la supposition, en s’appuyant sur le savoir
livresque que Saunderson aurait pu avoir de Lucrèce, par exemple, et qu’il pouvait
faire coïncider avec son expérience d’aveugle né. Certes, on n’est pas dans le registre
du vrai, mais dans celui du vraisemblable, ce qui est une façon de continuer à être
assujetti à une exigence de vérité, même si elle est revue à la baisse. Toutefois, le ton
oraculaire de la vision de Saunderson invite le lecteur à juger aussi de la beauté de
celle-ci et à en éprouver du plaisir, au point de répondre positivement à l’invitation de
l’aveugle de « voir » notre monde ainsi. Entre le Dieu de Leibniz, de Clarke et de Newton et la supposition poétique d’un chaos se débrouillant à partir de son énergie
propre et donnant naissance, aveuglément, par essais et erreurs, à des êtres et à des
mondes soumis à perpétuelles et insensibles révolutions, ce n’est certes pas le vrai qui
peut aider à trancher. Mais bien plutôt le désir de tenter l’une ou l’autre des hypothèses. Ainsi, au-delà de la fantaisie et de l’arbitraire de la fiction, ou de la supercherie inventée par Diderot, ce passage est-il philosophiquement intéressant, avant de
prétendre à la vérité.
Mais alors, et en allant plus loin, on pourrait dire que cette vision si peu
« scientifique » de la nature de la matière et des mécanismes de son organisation en
un monde laisse au lecteur, plutôt qu’une doctrine philosophique, ce que nous avons
appelé un « plan » sur lequel des constructions plus élaborées pourront s’établir. Le
rêve de d’Alembert va nous permettre de retrouver les éléments de ce « plan ».
LE RÊVE DE D’ALEMBERT
Rappelons que ce texte est constitué de trois dialogues, Suite d’un entretien
entre d’Alembert et Diderot, Le rêve de d’Alembert et Suite de l’entretien (sous-entendu
entre Julie de Lespinasse et le Dr Bordeu) qu’on a l’habitude de réunir sous le titre du
second : non seulement une partie donne significativement son nom au tout, mais le
rêve proprement dit du géomètre n’occupe qu’un tiers du deuxième dialogue. Tout se
passe comme si Diderot avait fait converger le premier dialogue dans le rêve, qui y
prend pourtant sa source, et avait fait ensuite se diffracter, à partir du rêve, des éléments, relevant essentiellement de savoirs scientifiques, exposés par Bordeu et discutés avec Julie de Lespinasse (Bourdin, 2003), le troisième dialogue consistant en une
sorte d’excroissance d’un thème abordé dans le précédent : l’hybridation des espèces,
qui entraîne des échanges sur la morale sexuelle.
Comme le dit Belaval (2003 [1975], p. 201), on se rend compte très vite que
le rêve qu’a fait d’Alembert et que rapporte sa maîtresse au docteur « n’est pas un
rêve réel, c’est un genre littéraire. Ce genre relevait surtout du style noble : le songe
de Jacob, de Scipion, d’Esther, etc. Diderot l’introduit dans une comédie philosophique ». En effet, ce rêve n’a rien d’onirique, d’obscur ou d’inquiétant. S’il donne
l’impression à Julie d’être décousu, d’être du « délire » (Baroux 2006), c’est qu’elle
n’en comprend d’abord pas le sens, ignorant qu’il s’origine dans la discussion philosophique assez technique précédente, portant sur la supposition fondamentale de la
sensibilité et ayant trop vite pensé avoir réglé la question du passage des éléments à
l’unité du MOI. Enfin, c’est un rêve fictif, imaginé par Diderot, un « rêve philosophique », qui a pour fonction de rendre pensable, sensé, ce qui pour la conscience
éveillée du géomètre ne l’était pas, ou l’était difficilement.
RÊVE ET DÉLIRE DANS LA PHILOSOPHIE DE DIDEROT
17
UN RÊVE PHILOSOPHIQUE
Après son entretien avec Diderot, et malgré la démarche discursive suivie,
d’Alembert confesse son scepticisme à l’égard de la supposition. Diderot le convainc
qu’on n’est jamais sceptique, sinon notre esprit serait comme l’âne de Buridan. En
fait, pour Diderot, est sceptique celui qui ne se souvient plus des raisons qui l’avaient
amené à soutenir une position et qui donc passe aisément à une autre ou à son
contraire et qui, constatant qu’on peut soutenir alternativement les deux, en déduit
qu’il ne faut croire à rien, que le vrai n’est pas à notre portée, qu’on n’est pas
contraint de choisir et qu’à tout prendre mieux vaut dormir. Mais, selon Diderot, loin
d’être indifférent, un sceptique est un homme chez qui la croyance oscille douloureusement entre deux positions. Cette oscillation, phénomène cérébral, est pénible, et
crée l’état de « souci » dans lequel, dit Julie, d’Alembert s’est couché. À ce « souci »
intellectuel, se joignent des questions laissées sans réponses, car elles n’ont pas été
posées mais étaient implicites dans l’Entretien précédent : comment des molécules
matérielles sensibles finissent-elles par constituer un Moi, caractérisé par son unicité,
sa permanence (ou le sentiment de sa permanence), avec la conscience de lui-même ?
Enfin, comme on l’a dit, d’Alembert était convaincu, ébranlé peut-être par les
arguments de Diderot, mais pas persuadé de leur vérité. Rappelons que la situation
de départ de l’Entretien était la présentation d’une alternative entre deux principes
explicatifs du monde et de l’homme, deux principes présentés comme des hypothèses
ou des suppositions exclusives l’une de l’autre : la supposition spiritualiste, la supposition matérialiste. Or s’il est vrai que la première supposition n’est pas défendue par
d’Alembert, la seconde reste insuffisamment établie à ses yeux, en dépit des arguments qui lui ont été présentés. C’est qu’il lui faudrait faire un saut dans un mode de
penser auquel il répugne 12, celui de la conjecture et des extravagances qui s’ensuivent. Mais comme il ne peut être réellement sceptique, ou que son prétendu scepticisme est un état malheureux, en s’endormant, son cerveau reste en activité : le mouvement de ses fibres se poursuit alors dans la direction des idées, images, paroles, issus
des résidus diurnes de l’Entretien, mais sans le contrôle de la raison physico-mathématique qui résistait encore à la présentation, pourtant sage, du matérialisme faite
par Diderot. Le rêve est dit descendant en ce que peu à peu d’autres organes du corps
seront mis en mouvement lors du sommeil agité de d’Alembert, jusqu’à l’éjaculation
qui suit l’évocation d’images de reproduction non sexuée, accompagnée par le geste
qu’il fait avec sa main de saisir un cornet dans lequel il voit apparaître et grouiller des
animaux microscopiques nés par génération spontanée (Versini ibid., p. 631-632).
Indiquons, en passant, que déjà en 1748, dans les Bijoux indiscrets, Diderot
avait fait rêver le jeune sultan Mangogul, dans le chapitre intitulé « Rêve de Mangogul ou voyage dans la région des hypothèses ». Mangogul va se coucher, la tête
échauffée par une discussion métaphysique sur la nature de l’âme, avec sa favorite et
un philosophe de cour. Le rêve s’inscrit alors à la suite de cette discussion, comme la
continuation de l’agitation provoquée dans sa tête insatisfaite : « Qu’on ne parle
12. Cette répugnance doit être mise en relation avec les limites d’une connaissance mathématisable du réel,
analysées par Diderot dans les Pensées sur l’interprétation de la nature, §§ II et III (Versini 1994a, p. 560-561)
où il semble que d’Alembert soit visé. Dans une lettre de septembre 1769, Diderot écrit à propos de celui-ci,
resté insensible aux manuscrits de métaphysique du moine Dom Deschamps : « C’est que les géomètres sont
mauvais métaphysiciens, précisément par la même raison qu’ils sont mauvais joueurs. Il y a dans la nature,
comme dans presque tous les jeux, des choses de pressentiment qui se sentent et qui ne se calculent point. »
Extrait d’une lettre détruite, à Sophie Volland (ou à Mme de Meaux ?), (Roth, IX 1963, p 25-246).
JEAN-CLAUDE BOURDIN
18
jamais de philosophie ; ces conversations sont malsaines. Hier, je me couchai sur des
idées creuses et au lieu de dormir en sultan, mon cerveau a plus travaillé que ceux de
mes ministres ne travailleront en un an » (Versini1994b, p. 99). On retiendra que les
causes et les motifs du rêve de d’Alembert sont plus complexes : à l’agitation causée
par un dialogue qui reste frustrant pour lui, comme pour Mangogul, vient s’ajouter la
tension mentale produite l’oscillation entre deux opinions, c’est-à-dire l’état pénible
dont il prétend sortir en affectant l’indifférence qu’il prend pour du scepticisme.
LES DEUX DÉLIRES DU RÊVE
Sur quoi donc roule le rêve, si nous voulons éviter d’avoir à dire « de quoi rêve
d’Alembert » ? De quoi sa pensée est-elle occupée pendant son sommeil agité ? Que se
passe-t-il au cours du rêve ?
Le déroulement du rêve fait apparaître les moments suivants. Tout d’abord le
rêve rapporté par Julie, correspond à une première partie qui comporte un monologue (s’exprimant sous la forme d’un dialogue qui prolonge l’Entretien précédent) sur
la constitution de l’unité personnelle, dans le cadre d’une conception épigénétique du
vivant qui présente, cependant, cette difficulté logique : comment passer de la multiplicité d’éléments différents, à l’unité d’un individu conscient de son MOI ? Pour y
répondre, il faut penser la continuité et non la contiguïté des molécules, penser en
terme d’assimilation (Pépin 2007), au sens chimique du terme (comme deux gouttes
de mercure qui fusionnent) appliqué au vivant, imaginer les processus par lesquels de
la sensibilité se communique à de l’insensible actuel et joue le rôle de coagulation,
par l’action et la réaction et fait naître un ensemble sensible.
Puis, brutalement, en criant, d’Alembert évoque l’image de la grappe d’abeilles
comme analogie avec un organisme vivant en imaginant une expérience et une manipulation fictive qui transforme la grappe d’abeilles contiguës en abeilles continues.
L’évocation par le rêveur de la structure continue du vivant explique le passage
brusque à l’imagination de polypes humains, idée d’hommes constitués d’homoncules,
capables de se reproduire par bouturages et qui retrouveraient leur autonomie avec la
mort 13. De là, sa pensée, une fois revenue à notre mode habituel de génération, associe avec la goutte d’eau de Needham. C’est alors que prend place, au sein du rêve,
comme le prolongement exalté des associations précédentes, une première vision
métaphysique, placée sous le patronage d’Épicure : elle consiste en une image de la
fermentation qui anime chaque atome de matière en permanence, ainsi que des générations spontanées d’animaux, vues en direct et en accéléré, sous l’effet de la sensibilité inerte devenant active, à l’instar des générations spontanées. Le délire du rêveur
s’élève alors à des énoncés métaphysiques qui, en retour, amènent la pensée à s’engloutir dans la dispersion de la multiplicité décomposée des molécules sensibles et,
parallèlement, de sa semence répandue, comme si son désir sexuel, éveillé par la
force des images accompagnant la thèse métaphysique, mimait cette dernière, de
même que sa main mime le mouvement de l’observateur qui regarde dans un tube et
qui l’agite pour animer le mouvement des « anguilles » de Needham :
« Suite indéfinie d’animalcules dans l’atome qui fermente, même suite indéfinie d’animalcules dans l’autre atome qu’on appelle la Terre. Qui sait les races d’animaux qui nous
ont précédés ? Qui sait les races d’animaux qui succéderont aux nôtres ? Tout change, tout
passe, il n’y a que le tout qui reste. Le monde commence et finit sans cesse ; il est à chaque
13. Comme on le voit, il s’agit toujours du même problème des rapports entre les parties, les éléments et le
tout, entre le multiple et l’unité, entre la loi de composition et le fonctionnement du résultat.
RÊVE ET DÉLIRE DANS LA PHILOSOPHIE DE DIDEROT
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instant à son commencement et à sa fin […]. Dans cet immense océan de matière, pas
une molécule qui ressemble à une molécule, pas une molécule qui se ressemble à ellemême un instant : rerum novus nascitur ordo, voilà son inscription éternelle ». Puis il ajoutait en soupirant : « O vanité de nos pensées ! ô pauvreté de la gloire et de nos travaux ! ô
misère ! ô petitesse de nos vues ! Il n’y a rien de solide que de boire, manger, vivre, aimer
et dormir… Mademoiselle de Lespinasse, où êtes-vous ? – Me voilà. » Alors son visage s’est
coloré. J’ai voulu lui tâter le pouls, mais je ne sais où il avait caché sa main. Sa bouche
s’était entrouverte, son haleine était pressée ; il a poussé un profond soupir, et puis un
soupir plus faible et plus profond encore ; il a retourné sa tête et s’est endormi. » (Versini,
1994a, p. 631-632).
Après le repos qui suit l’éjaculation du géomètre, vient un deuxième moment
du rêve et une deuxième vision métaphysique, placée encore sous le patronage d’Épicure et des vivos vermes de Lucrèce. Après la molécule, son hétérogénéité et son énergie (auto)transformatrice (la fermentation) du délire précédent, ce sont les espèces
animales qui, analogiquement, sont vues comme étant soumises à la même fermentation, avec l’hypothèse de l’apparition, de la disparition ou du renouvellement des
races actuelles. La possibilité de penser ce transformisme en acte repose sur la considération de la longue durée et sur l’intuition, conséquence de la fermentation de l’atome, que la nature est encore en travail. Ce moment du délire se soutient du rappel de
la supposition fondamentale (« le passage de l’état d’inertie à l’état de sensibilité ») et
de l’acceptation des « générations équivoques ». Enfin, l’ensemble de cette deuxième
vision est animé par le rappel des « Qui sait ? » 14, qui appellent une extension du raisonnement par analogie, de l’atome aux espèces et au monde entier, et qui intensifient la notion de possibilités créatrices dont la nature est créditée.
Après le compte-rendu de Julie, prend place un dialogue avec Bordeu sur
l’unité et l’identité personnelle (qui poursuit le rêve), où Julie va se présenter comme
une interlocutrice plus active, au point de proposer une image des rapports du centre
cérébral de la sensibilité au corps, celle de l’araignée au milieu de sa toile, engageant
la discussion sur un nouveau terrain psycho-physiologique.
Mais, troisième moment du rêve, d’Alembert qui continue de dormir dans la
pièce à côté, se remet à parler, poursuivant ou explicitant l’un des sous-entendus de
la discussion naissante entre Julie et Bordeu : à la tentation de penser la fixité de
l’identité individuelle et des espèces, le délire substitue les images de circulation des
êtres, de flux perpétuel, pour aboutir à récuser la pertinence de l’idée d’individu ou
d’essence individuelle.
« Tous les êtres circulent les uns dans les autres, par conséquent toutes les espèces…
tout est en un flux perpétuel… Tout animal est plus ou moins homme ; tout minéral est
plus ou moins plante ; toute plante plus ou moins animal. Il n’y a rien de précis en nature
[…] Toute chose est plus ou moins une chose quelconque […] donc rien n’est de l’essence
d’un être particulier […] Et vous parlez d’individus, pauvres philosophes ! laissez là vos
individus ; répondez-moi. Y a-t-il un atome en nature rigoureusement semblable à un
autre atome ?… Non… […] Il n’y a qu’un seul grand individu, c’est le tout. […] Et vous
parlez d’essences, pauvres philosophes ! laissez là vos essences. Voyez la masse générale,
ou si, pour l’embrasser, vous avez l’imagination trop étroite, voyez votre première origine
et votre fin dernière… […] Qu’est-ce qu’un être ?… La somme d’un certain nombre de
tendances… […] Et les espèces ?… Les espèces ne sont que des tendances à un terme
commun qui leur est propre… Et la vie ?… La vie, une suite d’actions et de réactions…
14. Ces « Qui sait ? », « Peut-être », « Pourquoi non ? » font écho aux « Pourquoi non ? » de Fontenelle, dans le
troisième soir des Entretiens sur la pluralité des mondes, ces « pourquoi non ? » qui ont « une vertu qui peuplera
tout » (Fontenelle 1998, p. 112).
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Vivant j’agis et je réagis en masse… mort, j’agis et je réagis en molécules… Je ne meurs
donc point ?… Non sans doute, je ne meurs point en ce sens […] Naître, vivre et passer,
c’est changer de formes… […] Depuis l’éléphant jusqu’au puceron… depuis le puceron
jusqu’à la molécule sensible et vivante, l’origine de tout, pas un point dans la nature entière qui ne souffre ou qui ne jouisse. » (Versini, ibid., p. 637)
Bordeu apprécie alors :
« Il a fait une assez belle excursion. Voilà de la philosophie bien haute ; systématique
dans ce moment, je crois que plus les connaissances de l’homme feront de progrès, plus
elle se vérifiera » (idem).
LES SUJETS MULTIPLES DU RÊVE
Si c’est bien d’Alembert qui est le sujet du rêve et qui, comme nous l’avons vu,
grâce au délire, fait sauter ses réserves sceptiques, on comprend qu’il devient progressivement le porte-parole de Diderot, absent, au point que la typographie du manuscrit
ne permet plus de distinguer quelquefois qui parle. La dissolution de l’individu
d’Alembert se vérifie également dans les moments les plus intenses de délire où l’on
ne peut que reconnaître (le ton véhément, le style de) l’aveugle Saunderson. Mais les
paroles du rêveur sont transmises par Julie qui avoue ne rien comprendre. Elle a donc
besoin d’un interprète, d’un traducteur, d’un confirmateur : ce sera le Dr Bordeu. Or,
si celui-ci montre sa capacité à comprendre d’Alembert-Diderot, c’est parce qu’il peut
se substituer à lui (eux) :
« — Bordeu : Eh bien, savez-vous que ce rêve est fort beau et que vous avez bien fait de
l’écrire ?
— Mademoiselle de Lespinasse : Rêvez-vous aussi ?
— Bordeu : Si peu, que je m’engagerais presque à vous dire la suite.
— Mademoiselle de Lespinasse : Je vous en défie.
[…]
— Bordeu : Et si je rencontre ?
— Mademoiselle de Lespinasse : Si vous rencontrez, je vous promets… je vous promets
de vous tenir pour le plus grand fou qu’il y ait au monde.
[…]
— Mademoiselle de Lespinasse : J’en suis confondue, c’est cela et presque mot pour mot.
Je puis donc assurer à présent à toute la terre qu’il n’y a aucune différence entre un médecin qui veille et un philosophe qui rêve. » (ibid., p. 627-628) 15.
Il est remarquable que cette perte de l’individualité des protagonistes constitue
une sorte de sujet multiple et fait s’interpénétrer les paroles et les voix : d’Alembert
est Diderot, Bordeu est d’Alembert qui est Diderot, Bordeu est Diderot, Julie est Bordeu et poursuivant les images du rêveur, elle est aussi d’Alembert. Quand Bordeu en
viendra peu à peu à diriger le dialogue, une fois le compte rendu du rêve achevé,
c’est, certes, en tant que docteur qu’il parle, mais c’est le docteur que Diderot aurait
bien voulu être, peut-être, et qu’il essayera d’être en rédigeant, jusqu’à la fin de sa vie,
les Éléments de physiologie (Bourdin 2003).
Enfin, le rêve de d’Alembert révèle sa puissance de contagion et fait naître
des rêves fugitifs : « — Julie de Lespinasse : Que marmottez-vous là tout bas docteur ?
— Bordeu : Rien, rien, je rêvais de mon côté ; » (Versini, ibid., p. 630). Ce genre de
rêves fugitifs s’apparente aux rêveries que Diderot identifiait dans les Pensées sur l’interprétation de la nature aux « conjectures ». Dans l’édition originale de 1753, au
15. Immédiatement après, même jeu : les lignes que Julie avaient écrites dans l’obscurité sont illisibles – Bordeu : « J’y suppléerai, si vous voulez. » (ibid., p 68)
RÊVE ET DÉLIRE DANS LA PHILOSOPHIE DE DIDEROT
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§ XXXII, qui ouvre l’examen de sept conjectures sur divers sujets de philosophie naturelle, Diderot avait écrit « 1re Rêverie : car j’appellerai Rêverie ce que d’autres nommeraient peut-être un Système » 16. Mais de façon plus générale, hormis les éléments de
savoirs scientifiques apportés par Bordeu, Julie et lui-même ne cessent de se proposer, dans une émulation joyeuse, des systèmes-conjectures-rêveries qui relancent le
délire du rêveur ou qui sont suscités par lui. Cette émulation crée entre eux une circulation de la pensée où l’un poursuit ce que l’autre pense :
« Il y a plaisir à causer avec vous : vous ne saisissez pas seulement ce qu’on vous dit,
vous en tirez encore des conséquences d’une justesse qui m’étonne. » (ibid., p. 641)
Le rêve et tout le dispositif que Diderot invente (les comptes rendus de Julie,
les interventions de Bordeu, les conjectures des deux) entraînent les protagonistes du
dialogue dans une aventure où s’éprouve à trois un plaisir de penser et de converser.
À la science des philosophes et des savants, loin des contraintes des institutions de la
connaissance (facultés, académies), dans ce salon attenant à la chambre à coucher du
géomètre, vient se substituer la gratuité d’un réel gai savoir, au-delà du vrai et du
faux. Déjà, dans le premier dialogue entre Diderot et d’Alembert, celui-ci appréciait la
démonstration burlesque de son ami pour lui montrer que la pierre sent, ainsi :
« Vrai ou faux, j’aime ce passage du marbre à l’humus, de l’humus au règne végétal, et
du règne végétal au règne animal, à la chair. » (ibid., p. 613)
Ou encore, après la présentation de l’image des cordes vibrantes d’un clavecin
destinée à faire comprendre, en matérialiste, le mécanisme de la pensée, d’Alembert
avouait :
« Si cela n’est pas vrai, cela est au moins très ingénieux. » (ibid., p. 617)
Bordeu dira du délire de d’Alembert imaginant des éprouvettes contenant des
cultures de guerriers, magistrats, philosophes, poètes, courtisans et catins :
« Cela est bien gai et bien fou. Voilà ce qui s’appelle rêver et une vision qui me ramène à
quelques phénomènes assez singuliers. » (631)
UN MATÉRIALISME GAI ET FOU
En quoi le matérialisme de Diderot est-il une science rêvée ? Qu’est-ce qui, de
ce matérialisme, est déliré ou rêvé ? On pourrait dire d’abord que le matérialisme se
présente comme une science impossible, sans cesse repoussée, en attente des confirmations venues des savoirs positifs. Cela ne veut pas dire qu’elle ne puisse être atteinte qu’en rêve comme science occulte ou révélée, mais plutôt qu’elle est une science
qui ne peut s’exprimer que dans un rêve. Le rêve et le délire seraient alors les dispositifs dramatiques dont Diderot aurait eu besoin pour dire que le matérialisme ne peut
qu’être une métaphysique que déploie un esprit génial et artiste. Plus profondément,
nous faisons l’hypothèse que recourir au délire et au rêve signifiait chez Diderot que
les thèses fondamentales du matérialisme qu’il a défendues ne devenaient intéressantes, gaies, folles, etc., que si on leur donnait un « plan » ou une « assiette » qui leur
interdisaient de se transformer trop vite en nouveaux dogmes, à la suite des systèmes
métaphysiques précédents. Nous pouvons indiquer, en terminant, les éléments qui
constituent ce « plan » ou cette « assiette » pour un matérialisme gai et fou, qui l’ouvrent à de perpétuelles rêveries et qui sont les objets des délires et des rêves imaginés
par Diderot. Sur le fond d’un chaos se reconstituant sans cesse, des particules de
16. Voir l’édition des Pensées sur l’interprétation de la nature, de Jean Varloot, Paris, Éditions sociales, 1971,
p. 57.
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JEAN-CLAUDE BOURDIN
matière hétérogène sensibles et douées d’énergie potentielle en constante action et
réaction ; des rencontres aléatoires d’éléments, des combinaisons instables d’êtres, un
flux de tendances nécessaires, des moments de stabilisation provisoire d’états de
choses, des interactions continuelles entre les choses, des résultats plus ou moins parfaits, plus ou moins monstrueux, des adaptations temporaires des êtres avec l’ordre
général momentané, un monde en constante transformation, des décompositions
accompagnant des recompositions : c’est l’image d’une réalité sans origine, ni fin, sans
ordre et sans forme privilégiés, où ce qui peut arriver (« la nature amenant avec le
temps tout ce qui est possible, elle formera quelque étrange composé ») (ibid., p. 651)
est sous la condition d’un concept du possible qui revient à penser l’être en dehors de
toute légalité transcendante. C’est ce que Diderot veut dire quand Saunderson exige,
avant de se prononcer sur la nature de l’ordre, d’avoir « des notions bien exactes de la
possibilité des choses » (ibid., p. 167), ou quand il avertit Hemsterhuis qu’il ne faut
pas prendre nos concepts pour des possibilités » (ibid., p. 710).
RÊVE ET DÉLIRE DANS LA PHILOSOPHIE DE DIDEROT
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