La sexualisation du cerveau
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La sexualisation du cerveau
Synthèse Bibliographique en Biologie et Biotechnologie La sexualisation du cerveau Université de Rennes 1 UFR SVE Marine Pitel Master 2 Biologie Gestion M. François Ferrière Enseignant chercheur de l’IRSET (Institut de Recherche en santé environnement et travail - UMR INSERM 1085) Revue 2012 SBBB - Marine PITEL – REMERCIEMENTS LA SEXUALISATION DU CERVEAU Je tiens à remercier M. François Ferrière, enseignant-chercheur de l’IRSET (Institut de Recherche en santé environnement et travail) UMR INSERM 1085, pour m’avoir accordé sa confiance, pour son encadrement et ses précieux conseils. Note des responsables du diplôme : «Le tuteur chercheur a pour rôle de conseiller l'étudiant, l'orienter dans ses recherches bibliographiques, l'aider à comprendre les articles, en faire une synthèse de manière logique et rigoureuse. Il ne peut vérifier toutes les citations et interprétations de l'étudiant. Il ne peut donc s'engager vis à vis d'éventuelles erreurs ». – SBBB - Marine PITEL La sexualisation du cerveau Marine Pitel Master Biologie Gestion, Université de Rennes 1, 263 Avenue du Général Leclerc 35042 Rennes cedex Résumé Sur un plan strictement biologique, le cerveau des animaux mâles et femelles est différent comportements sexuels puisque le nécessaire cerveau à la contrôle l’expression reproduction sexuée. des Est-il envisageable de retrouver ces différences chez l’homme. Comment se mettent-elles en place ? La théorie dite « classique » veut qu’elles soient mises en place très tôt lors du développement grâce à l’action des hormones gonadiques. Cependant, une vision émergente basée sur de récentes recherches démontre l’action des gènes portés par les chromosomes sexuels. Les substances exogènes contenues dans l’environnement pourraient elles aussi avoir un impact sur la sexualisation du cerveau. Mots clés : différenciation sexuelle, dimorphisme sexuel du cerveau, LA SEXUALISATION DU CERVEAU œstrogène testostérone, hormones gonadiques, gène Sry, gènes sexuels Sommaire I. Introduction 2 II. Différenciation sexuelle du cerveau 4 1. Détermination du sexe chez les mammifères 4 2. Différenciation sexuelle due aux hormones 5 3. Différenciation sexuelle due aux gènes 9 III. Le rôle de l’environnement dans la différenciation sexuelle du cerveau 14 IV. Conclusion 17 Références Bibliographiques 19 SBBB - Marine PITEL – I. Introduction Le cerveau des mâles est-il différent de celui des femelles ? Cette question, soulevée régulièrement par les médias, interpelle. Mais comment sommes-nous arrivé à nous la poser? On retrouve un dimorphisme sexuel morphologique très marqué chez certaines espèces. Chez les poissons par exemple, il se traduit par des variations de taille, de coloration et de forme des nageoires. Chez les oiseaux, le dimorphisme morphologique est particulièrement marqué par la couleur des plumes. Enfin, chez les mammifères, ce dimorphisme se manifeste par la taille ou la présence de parties du corps utilisées dans les combats (cornes, bois et défenses). Si ces différences morphologiques externes sont visibles, des différences anatomiques ou structurelles internes existent également. Chez certaines espèces de poissons Téléostéens très marquées par le dimorphisme sexuel, des différences anatomiques significatives ont été décrites dans le système nerveux central (1). Les fonctions de reproduction sont contrôlées par l'axe hypothalamo-hypophysaire1. Situé à la base du cerveau, l’hypothalamus joue un rôle important dans le contrôle de la fonction gonadotrope de la glande hypophysaire. En réponse à la libération par l’hypothalamus d’un petit peptide appelé GnRH, les cellules gonadotropes de l’hypophyse sécrètent deux hormones (FSH et LH). Ce sont ces deux hormones qui déclenchent la sécrétion des hormones sexuelles par les gonades. Elles provoquent la survenue cyclique de l’ovulation chez les femmes grâce à un pic ovulatoire que l’on ne retrouve pas chez l’homme. On peut donc LA SEXUALISATION DU CERVEAU s’attendre à des différences fonctionnelles ou de structure au niveau de l’axe gonadotrope entre hommes et femmes. Plus haut dans le cerveau, différentes structures (limbiques, corticales…) contrôlent l’expression des comportements sexuels du mâle et de la femelle, très différents chez certaines espèces (parades nuptiales, chants chez certains oiseaux). Il est donc logique que sur un plan strictement biologique, les cerveaux des mâles et des femelles soient différents. Chez les oiseaux chanteurs, on trouve une région dédiée au chant appelée « le noyau du chant ». Ce noyau est plus gros chez le mâle que chez la femelle (2). Chez ces espèces, le chant remplit diverses fonctions parmi lesquelles la séduction du partenaire, rôle qui incombe habituellement aux mâles. Les comportements sexuels chez les mammifères diffèrent moins entre le mâle et la femelle que chez les oiseaux. Malgré tout, le dimorphisme sexuel du cerveau est reconnu depuis l’étude pionnière de Raisman et Field en 1971. Ils comparent l’aire préoptique située à proximité de l’hypothalamus antérieur des rats mâles et femelles (3). Ceux-ci découvrent une structure qu’ils appellent le « noyau sexuellement dimorphe de l’aire préoptique ». Ce noyau est plus gros chez le mâle que chez la femelle. Des études utilisant des méthodes plus 1. Désigne l'ensemble des relations qui s'établissent entre l'hypothalamus et l'hypophyse. SBBB - Marine PITEL – récentes confirment cette découverte et précisent que ces différences concernent le volume de cette zone, le nombre de neurones et leur taille (4). Ce noyau serait important dans la régulation des comportements sexuels du mâle (5,6). On retrouve cette particularité chez d’autres espèces comme la gerbille, le cochon d’Inde ou encore le mouton (7,8,9). D’autres structures ont été découvertes comme le noyau ventromédial hypothalamique du rat. Les femelles ont moins de synapses que les mâles (10). Cette structure aurait un rôle dans le contrôle de la lordose1 et de la monte2 (11). Au niveau de l’amygdale des rats, le noyau principal du lit de la strie terminale est plus gros chez le mâle que chez la femelle (12). Ce noyau jouerait un rôle dans le contrôle du comportement sexuel mâle (13). S’il existe des différences de structure chez les animaux, il est envisageable que l’on retrouve ces différences chez l’homme. En 1985, un noyau dans la région de l'hypothalamus est décrit comme étant deux fois plus gros chez l'homme que chez la femme (14). Cependant, la différence de taille est basée sur une moyenne calculée sur des mesures individuelles et la grande variabilité interindividuelle permet d’émettre des doutes sur cette conclusion. De plus, l’observation est faite à partir de coupes histologiques. Il s’agit donc d’une étude post mortem, ce qui pose le problème des pathologies liées au vieillissement qui peuvent toucher le cerveau et donc biaiser les résultats. Depuis peu, les techniques d’imagerie telles que l’IRM sont utilisées pour tester les différences de structure de cerveau chez l’homme et la femme. Ces techniques puissantes permettent une mesure précise ainsi qu’une étude de l’activité fonctionnelle de l’organe in vivo. Le volume de 45 régions différentes du cerveau a été mesuré sur 27 hommes et 21 LA SEXUALISATION DU CERVEAU femmes en bonne santé (tous du même âge, de même catégorie socio-professionnelle, de même ethnie, sans antécédent de maladie ni de psychopathologie). Des différences ont été trouvées dans le volume de certaines régions, comparativement au volume total du cerveau. Les femmes ont le cortex préfrontal significativement plus gros que les hommes, tandis que les hommes ont le cortex frontomédial, l’hypothalamus, l’amygdale et le gyrus angulaire plus gros comparativement aux femmes (15). Des différences de structure existent donc bien entre le cerveau des hommes et des femmes. Comment ce dimorphisme sexuel peut-il se mettre en place ? L’objectif de cette revue est de présenter les facteurs pouvant entrer en jeu dans la sexualisation du cerveau. Dans un premier temps, nous nous intéresserons aux bases de la détermination du sexe chez les mammifères. Le contrôle hormonal de la différenciation sexuelle, fondement de la théorie dite « classique », sera ensuite développé. Puis nous présenterons une vision émergente impliquant les gènes et plus précisément ceux portés par les chromosomes sexuels. Enfin, nous développerons les conséquences des substances exogènes environnementales sur la sexualisation du cerveau. 1. Comportement sexuel femelle qui consiste principalement à préparer le coït par la cambrure du dos. 2. Lorsque le mâle se positionne sur le dos et à l'arrière de la femelle pour copuler. SBBB - Marine PITEL – II. Différenciation sexuelle du cerveau Au cours de la vie fœtale des mammifères, les gonades se développent de façons indifférenciées jusqu’à un certain stade. Deux types d’ébauches de voies génitales se mettent en place: les canaux de Wolff (ébauches de voies génitales mâles) et les canaux de Müller (ébauches de voies génitales femelles). Le sexe génétique de l'embryon (XX pour les femmes et XY pour les hommes) détermine la formation des organes sexuels (Figure 1). C’est le gène Sry porté par le chromosome Y des mâles qui induit la différenciation de la gonade en testicule (16). La transcription et la traduction de ce gène aboutissent à la synthèse de la protéine TDF (Testis Determining Factor) qui contrôle l’expression de nombreux gènes et est responsable de la transformation des gonades indifférenciées en testicules. Les testicules produisent alors deux hormones qui contrôlent la différenciation des voies génitales: la testostérone et l’hormone antimüllérienne. La testostérone permet le développement des canaux de Wolff tandis que l’hormone antimüllérienne entraîne la régression des canaux de Müller (ébauches d’organes génitaux de type féminin). En l’absence du gène Sry, la gonade se différencie en ovaire (16). Les ovaires ne sécrètent ni testostérone ni hormone anti-müllérienne. Ainsi, les canaux de Wolff régressent LA SEXUALISATION DU CERVEAU tandis que les canaux de Müller persistent et se développent en utérus et en vagin. Les hormones sécrétées dans le sang par les organes sexuels de l’embryon, pénètrent son cerveau et agissent sur sa formation. gène Sry TDF Figure 1 : Représentation schématique de la détermination du sexe chez les mammifères. Les femmes héritent d'un chromosome X de chaque parent ; tandis que les hommes héritent d’un chromosome Y provenant du père et d’un chromosome X de la mère. Le sexe génétique est donc XX chez la femelle et XY chez le mâle. L’expression du gène Sry, porté par le chromosome Y des hommes, conduit à la différenciation des gonades en testicules par l’intermédiaire de la protéine TDF. En l’absence du gène Sry, c’est le sexe gonadique femelle qui se développe (16). SBBB - Marine PITEL – Les hormones sexuelles ont deux rôles principaux: un rôle organisationnel et un rôle activationnel. Le rôle organisationnel s’observe au cours de la période périnatale, les gonadostéroïdes provoquent la différentiation sexuelle de l'organisme. À la puberté, les hormones ont un rôle d'activation et de contrôle du comportement. Elles exercent un contrôle temporel saisonnier et œstral et permettent la coordination du comportement de reproduction avec la physiologie de l'appareil reproducteur. Ils sont naturellement La testostérone L’action des hormones gonadiques est illustrée pour la première fois chez le cochon d’inde en 1959. L’administration prénatale de testostérone aux femelles provoque une déféminisation1 et une masculinisation2 du comportement sexuel chez l’adulte. La femelle exposée à la testostérone lors de son développement embryonnaire a tendance à présenter des comportements de copulation masculins (17). Le comportement de lordose est aboli ou réduit considérablement. Cette modification du comportement indique que les hormones peuvent altérer de façon permanente des fonctions du cerveau longtemps après l’exposition. Les stéroïdes sexuels peuvent donc agir lors de la vie fœtale et organiser les circuits neuronaux dans un sens masculin ou féminin (rôle organisationnel). Chez le mâle, la testostérone sécrétée par les testicules fœtaux induit une masculinisation du cerveau et LA SEXUALISATION DU CERVEAU donc du comportement sexuel. L’empreinte testiculaire a des effets d’organisations, permanents et irréversibles. De nombreux travaux ont été réalisés chez la caille japonaise montrant les différents rôles des hormones sexuelles (18). Le traitement des femelles adultes à la testostérone n’induit pas de comportement masculin, elles sont dites « démasculinisées ». En revanche, si les embryons femelles sont traités avec des inhibiteurs de synthèse d’œstradiol à une période précise de leur développement, un traitement à la testostérone à l’âge adulte induit chez certaines de ces femelles des comportements de monte (19). Cette expérience montre que bloquer l’action des œstrogènes pendant le développement embryonnaire empêche la démasculinisation des femelles. Par ailleurs, l’injection de benzoate d’œstradiol aux embryons mâles supprime complètement et de façon irréversible leur capacité à l’âge adulte à exprimer un comportement typiquement masculin de copulation en réponse à un traitement à la testostérone ; ils sont dits « démasculinisés » (Figure 2) (20). Il n’y a plus d’effet activationnel de la testostérone sur les comportements sexuels mâles. 1. Processus de développement organisant certaines régions du cerveau qui inhibe la capacité d’exprimer un comportement sexuel femelle normale comme la lordose au stade adulte. 2. Processus de développement organisant certaines régions du cerveau qui ont un rôle dans les comportements sexuels typiquement masculins. – SBBB - Marine PITEL Sexe génétique des embryons XY Traitement pendant le developpement Traitement à la testostérone à l’âge adulte Comportement sexuel mâle XX + EB Mâle adulte Mâle démasculinisé oui + inhibiteur de synthèse d’oestradiol Femelle non démasculinisée non Femelle adulte oui non EB : benzoate d’œstradiol Figure 2 : Facteurs contrôlant l’activation et la différenciation sexuelle du comportement mâle chez la caille japonaise (18,19,20) Les mâles traités au benzoate d’œstradiol lors de leur développement embryonnaire perdent complètement et de façon irréversible leur capacité à exprimer un comportement sexuel typiquement masculin après administration de testostérone, on parle de démasculinisation. L’injection de testostérone à des femelles adultes n’ayant subi aucun traitement lors du développement ne présentent pas de comportement sexuel masculin. LA SEXUALISATION DU CERVEAU L’injection d’inhibiteur de synthèse d’œstradiol chez les embryons femelles implique à l’âge adulte après traitement à la testostérone, un comportement sexuel typiquement masculin. Bloquer l’action des œstrogènes empêche donc la démasculinisation des femelles. Ces travaux témoignent de l’importance des sécrétions gonadiques fœtales dans la différenciation du cerveau et mettent en évidence l’existence d’une période critique du développement embryonnaire durant laquelle le cerveau s’engage de façon définitive dans une voie de différenciation de type mâle ou femelle, sous l’action des hormones sexuelles. Les œstrogènes Les œstrogènes endogènes existent sous trois formes : l'œstradiol, l'œstrone et l'œstriol. Ils sont considérés comme les hormones sexuelles femelles mais les œstrogènes jouent également un rôle dans la masculinisation du cerveau des mâles. Pour la réalisation d’une expérience, les scientifiques sont surpris lorsque les rats contrôles, des embryons SBBB - Marine PITEL – femelles traitées avec de l’œstradiol exogène, présentent un comportement masculin à l’âge adulte (21,22). En effet, chez le rat au niveau de la région antéroventrale péri ventriculaire du noyau hypothalamique (AVPV), les femelles ont plus de neurones dopaminergiques que les mâles. Cette région est impliquée dans le contrôle de l’ovulation. Comme toutes les hormones, les œstrogènes agissent par l’intermédiaire de récepteurs, leur inactivation annule donc l’action de l’hormone. L’utilisation de souris transgéniques mâles déficientes en récepteurs aux œstrogènes (les souris ERKO) montre que l’inactivation de ces récepteurs entraîne une augmentation du nombre de neurones dopaminergiques au niveau de l’AVPV (23). Le cerveau des mâles est « féminisé », ce dimorphisme est donc dû aux œstrogènes. On sait maintenant que chez la plupart des mammifères, la masculinisation du cerveau est principalement due aux métabolites de la testostérone. En effet, la testostérone est convertie en œstradiol au niveau du système nerveux central par un complexe enzymatique : l’Aromatase (24). L’œstradiol ainsi produit agit sur les récepteurs à œstrogène alpha et béta du cerveau qui sont impliqués dans la masculinisation et la déféminisation (25). L’Aromatase est d’ailleurs présente dans le cerveau des souris mâles lors de la période critique (26). Comment expliquer que les embryons femelles, soumis à de fortes concentrations d’œstrogène maternel, soient protégés de la masculinisation ? Chez le rat, les œstrogènes LA SEXUALISATION DU CERVEAU maternels sont pris en charge par l’Alpha-fetoprotéine fortement concentrée dans la circulation fœtale. L’Alpha-fetoprotéine se couple à l’œstradiol dans le plasma l’empêchant ainsi d’atteindre le cerveau et prévient donc les rattes de la masculinisation (et déféminisation) du cerveau (Figure 3) (27). Avant la puberté, les femelles ne sont comparativement aux mâles jamais exposées à de fortes concentrations de testostérone ou d’oestradiol. En revanche, la testostérone sécrétée par les testicules fœtaux peut circuler dans le plasma du fœtus et pénétrer le cerveau ou elle peut être aromatisée. SBBB - Marine PITEL – LA SEXUALISATION DU CERVEAU Figure 3 : Représentation schématique de la différenciation sexuelle du cerveau chez les rats mâles et femelles par les hormones gonadiques. Chez l’embryon mâle, la testostérone (T) secrétée par les testicules fœtaux entre dans le cerveau où elle est convertie en œstradiol (O) par l’Aromatase. L’œstradiol se lie aux récepteurs (ER) induisant l’expression de gènes qui masculinisent et/ou déféminisent certaines régions du cerveau contrôlant les comportements sexuels. Chez l’embryon femelle, l’œstradiol provenant de la circulation maternelle est pris en charge par l’Alpha-foetoprotéine (AFP) qui protège le cerveau de la déféminisation et de la masculinisation par les œstrogènes. (27). De nombreuses études réalisées sur des modèles animaux montrent que les différences sexuelles du cerveau sont contrôlées par les concentrations hormonales à différents stades de la vie. L’exposition pendant la vie fœtale des mâles et des femelles à un milieu endocrine différent modifie de façon irréversible la réponse aux stéroïdes et donc le comportement à l’âge adulte. Les hormones sexuelles ont donc un rôle important dans le développement du cerveau. SBBB - Marine PITEL – La théorie dite « classique » qui a longtemps été avancée considère que la différenciation sexuelle des tissus non gonadiques, comme le cerveau, est uniquement due aux hormones sexuelles. Mais celle-ci semble incomplète car elle n’explique pas le développement de différences entre les tissus non gonadiques des 2 sexes de certains modèles animaux. Chez les mammifères la testostérone secrétée par les testicules provoque la formation des organes génitaux mâles secondaires lors de la vie fœtale et chez le nouveau-né. Cependant, chez un petit marsupial : le wallaby de l'île d'Eugène (Macropus eugenii), certaines différences sexuelles apparaissent avant la détermination des gonades. Chez le mâle, le développement des testicules et donc la production de testostérone n’apparait pas avant le quatrième jour de vie. Malgré tout, certaines structures, comme le scrotum, peuvent être observées plusieurs jours avant la naissance (28). Les expériences consistant à augmenter ou réduire l’action de la testostérone ne montrent pas d’effets significatifs sur le développement des organes génitaux externes (29). Chez le wallaby de l’île d’Eugène, certaines structures reproductives se développent indépendamment des hormones gonadiques. Les hormones gonadiques ne peuvent donc pas être les seules à contribuer aux différences mâles et femelles des tissus. La théorie émergente suggère que les gènes des chromosomes sexuels jouent LA SEXUALISATION DU CERVEAU également un rôle dans la différenciation sexuelle des tissus somatiques. Même si les hormones restent un facteur majeur dans la différenciation sexuelle du cerveau, elles ne sont pas le seul mécanisme à entrer en jeu (30). Depuis les années 90, de nombreuses études suggèrent que les stéroïdes sexuels ne sont pas la seule réponse à la sexualisation du cerveau. Les cellules mâles et femelles diffèrent génétiquement par les chromosomes sexuels. Ces derniers pourraient donc contribuer à des différences sexuelles. Chez certaines espèces d’oiseaux comme les Diamants mandarins (Taeniopygia guttata), seuls les mâles chantent grâce à un réseau de neurones dédié, appelé le noyau du chant. Ce noyau est plus gros et plus dense chez les mâles que chez les femelles. Un modèle d’oiseau a particulièrement intéressé les scientifiques : il s’agit d’un spécimen rare de Diamant mandarin qui a la particularité d’être gynandromorphique 1. Cet oiseau présente à la fois les caractéristiques externes du mâle et de la femelle ; plumage typiquement masculin et 1. Le gynandromorphisme se caractérise par l'association anormale de caractères sexuels féminins et masculins, l’oiseau est sexuellement latéralisés (mâle d'un côté et femelle de l'autre). SBBB - Marine PITEL – coloré du côté droit et typiquement féminin et uniforme du côté gauche. La partie droite du corps est génétiquement mâle (ZZ) et possède un testicule, la partie gauche est femelle (ZW) et possède un ovaire1. L’observation du noyau du chant de cet oiseau montre un volume nettement plus important à droite qu’à gauche. Or, les 2 côtés sont soumis à un même environnement hormonal du fait de la circulation sanguine. La différence latérale indique que les gènes sexuels des cellules du cerveau contribuent au processus de différenciation sexuelle. C’est l’action locale des gènes des chromosomes sexuels qui peuvent expliquer ces différences : les gènes liés au chromosome féminin s’expriment exclusivement dans l’hémisphère gauche du cerveau, tandis que ceux liés au chromosome masculin s’expriment plus largement à droite (31). L’expression des gènes sexuels agit directement sur le cerveau et influence son développement, on parle d’effet génétique direct. Les puces à ADN2 permettent de mesurer et de visualiser très rapidement les différences d'expression entre les gènes et ceci à l'échelle d'un génome complet. Dans le cerveau des souris adultes, l’expression des gènes diffère entre les sexes. Une étude montre qu’environ 650 gènes sont exprimés différemment dans le cerveau des mâles et des femelles (32). L’expression des gènes pourrait donc avoir un rôle important dans la sexualisation du cerveau Pourquoi avoir mis tant de temps avant d’explorer la piste des gènes ? Premièrement LA SEXUALISATION DU CERVEAU parce que la théorie classique était considérée comme avérée par l’ensemble de la communauté scientifique. Deuxièmement, il est expérimentalement difficile de manipuler les gènes comparativement aux hormones et de séparer le sexe gonadique du sexe génétique. Un modèle de souris appelé « Four Core Genotypes » (FCG) a été développé pour séparer les effets des hormones sexuelles et des gènes (33). Comme nous l’avons vu, la transcription et la traduction du gène Sry aboutit à la différenciation des gonades indifférenciées de l'embryon en testicules. En l’absence de ce gène, les souris développent des ovaires. Le modèle FCG provient de la reproduction de souris XX et de souris mâles dont le gène Sry a été déplacé du gène Y à un autosome3 (souris XYSry qui développent des testicules). Cette reproduction donne quatre génotypes différents, des souris XX et XY avec des testicules et des souris XX et XY avec des ovaires (Figure 4). Ce modèle permet, par une comparaison 2 à 2, de contraster les effets des gènes sexuels avec les mêmes gonades. 1. Chez les oiseaux, les chromosomes sexuels sont nommés Z et W. le chromosome W est porté par les femelles, ce sont donc elles qui sont hétérogamétiques (ZW) tandis que les mâles sont homogamétiques (ZZ). 2. Biotechnologie récente qui permet d'analyser le niveau d'expression des gènes (transcrits) dans une cellule, un tissu, un organe, un organisme ou encore un mélange complexe, à un moment donné et dans un état donné par rapport à un échantillon de référence. 3. Tout chromosome autre que les chromosomes sexuels X et Y. SBBB - Marine PITEL Ovaires – Testicules Effets des XX XXSry chromosomes sexuels XY- XY-Sry Effets du sexe gonadique Figure 4 : Comparaison deux à deux des modèles de souris « Four Core Genotypes » Ce modèle provient de la reproduction de souris XX et de souris XY dont le gène Sry a été déplacé sur un autosome (la souris XY-Sry développe des testicules). Cette reproduction donne 4 génotypes différents : XX, XY-, XXSry, XY-Sry, le gène Sry se trouvant toujours sur un autosome. Si le gène Sry est absent, la souris mâle développe des ovaires (XY-). Si ce gène est présent sur un des autosomes de femelles, les souris développent des testicules (XXSry). Ce modèle permet une comparaison 2 à 2 : Les différences trouvées en comparant les souris porteuses du gène Sry (XXSry et XY-Sry) et les non-porteuses peuvent être LA SEXUALISATION DU CERVEAU attribuées au type de gonade (testicules ou ovaires) ou à la présence ou non du gène Sry. Les différences entre les souris porteuses du chromosome Y (XY- et XY-Sry) et les autres (XX et XXSry) peuvent être attribuées aux chromosomes sexuels (33). Le sexe génétique ne correspond pas au sexe phénotypique. Ce modèle a permis de montrer des différences qui ne peuvent être attribuées aux hormones sexuelles et permet de voir si les gènes sexuels ont une influence indépendamment des gonades. Des différences attribuées aux chromosomes sexuels ont été découvertes concernant certaines structures neuroanatomiques, les comportements sexuels, certaines addictions (alcool), la perception de la douleur, l’agressivité ou encore le comportement parental (34,35,36,37). Ce modèle a quelques limites : la taille, la morphologie et les fonctions des gonades ne sont pas tout à fait les mêmes chez les souris de même phénotype gonadique. Les concentrations d’hormones sexuelles pendant la période critique et tout au long du développement peuvent ne pas être les mêmes. Cependant, les mesures de la testostérone circulante à l’âge adulte n’ont pas montré de différences significatives (33). Les souris développent des gonades indépendamment des chromosomes sexuels et sont toujours exposées à des stéroïdes sexuels durant tout le développement. Cela peut influencer le SBBB - Marine PITEL – développement du cerveau et masquer des différences qui seraient visibles s’il n’y avait pas du tout d’hormones. Les gènes sexuels pouvant intervenir dans la sexualisation du cerveau et provoquer une différenciation sexuelle du système nerveux central peuvent être classés sous différentes catégories (Figure 5). Les gènes portés par le chromosome Y Les différences peuvent venir des gènes du chromosome Y qui ne sont exprimés que chez le mâle. Le gène Sry en est un exemple, on peut envisager que d’autres gènes portés par le chromosome Y possèdent des propriétés similaires. L’une des souris XX du modèle Four Core Genotypes porteuse du gène Sry (sans chromosomes Y) n’est pas complètement masculinisée puisqu’elle ne peut produire de spermatozoïdes (33). D’autres gènes du chromosome Y ont donc un rôle important dans la masculinisation (spermatogénèse). La proportion / quantité de chromosome X Les femelles héritent de deux chromosomes X (un de chaque parent). Présents en double, les gènes portés par le chromosome X sont ainsi plus exprimés comparativement aux mâles. Les femelles ont un taux d’expression plus élevé de gènes X même si le déséquilibre LA SEXUALISATION DU CERVEAU est compensé par l’inactivation d’un des deux chromosomes (38). En effet, un des chromosomes X est partiellement inactivé de façon aléatoire. Mais, certains gènes échappent à l’inactivation et continuent à être exprimés par les deux chromosomes X (39,40). Les mâles, quant à eux, héritent d’un seul chromosome X de leur mère qui n’est pas inactivé. L’empreinte génétique parentale Chaque femelle reçoit un chromosome X de la mère et un chromosome X du père. Certains gènes de ces chromosomes sont soumis à une empreinte parentale 1. Dans certaines cellules, c'est le chromosome X paternel qui est inactivé, dans d'autres, le chromosome X maternel, on parle de population cellulaire mosaïque. Le chromosome inactivé étant choisi au hasard, l'embryon se trouve composé de deux populations de cellules, ayant chacune un chromosome X inactivé différent (40). Les gènes des chromosomes X ayant une empreinte génétique paternelle ne sont présents que chez les femelles (dans les cellules dont l’inactivation concerne le chromosome X maternel), Ils peuvent donc être responsables de différenciation sexuelle du cerveau. 1. Un seul des deux allèles est exprimé dans les cellules somatiques qui diffèrent selon qu'il vient du père ou de la mère, SBBB - Marine PITEL Gènes Y Proportion de gènes X Empreinte génétique parentale Figure 5 : 3 catégories de gènes portés par les chromosomes sexuels pouvant avoir un rôle dans la sexualisation du cerveau (33,38,39,40). LA SEXUALISATION DU CERVEAU Toutes les cellules mâles du cerveau possèdent un chromosome X provenant de la mère et un chromosome Y provenant du père. Les gènes portés par le chromosome Y ne sont présents que chez les mâles. Ils ne sont donc exprimés que dans le cerveau des mâles. Chez les femelles, un chromosome sexuel est éteint, on parle d’inactivation. Les processus d’inactivation aléatoire d’un des chromosomes X atténuent donc les différences pouvant être liées à la proportion de gènes X. Mais certains gènes X échappent à l’inactivation, ils seront donc plus exprimés dans les cerveaux femelles, car présents en double. Certains gènes ont une empreinte génétique parentale. Dans une population de cellule, le chromosome inactivé concerne le chromosome X paternel, dans l’autre l’inactivation concerne le chromosome X maternel. Certains gènes portés par le chromosome X paternel peuvent avoir une empreinte génétique. Ces derniers ne peuvent être exprimés que dans le cerveau des femelles puisque le mâle n’hérite pas de chromosome X du père. – SBBB - Marine PITEL – Et chez l’homme ? Il apparait difficile d’étudier l’implication des gènes sexuels sur la sexualisation du cerveau de façon expérimentale chez l’homme. La seule possibilité est d’étudier les pathologies liées aux chromosomes sexuels comme le syndrome de Turner. Les femmes qui en sont atteintes n’ont qu’un seul chromosome X. Parmi les symptômes turnériens, on compte notamment une petite taille et des ovaires non fonctionnels ne synthétisant pas d’œstrogènes. De la même façon, les femmes atteintes du syndrome triple X peuvent être analysées. Ce syndrome correspond à la présence chez des personnes de sexe féminin d’un chromosome X supplémentaire. Les symptômes sont les suivants : les femmes sont généralement plus grandes que la moyenne et rencontre des difficultés d'apprentissage, notamment du langage1. Enfin, le syndrome de Klinefelter se définit par la présence chez des sujets de phénotype masculin, d'un chromosome X supplémentaire. Les hommes ont une pilosité souvent peu développée, une grande taille. L’apprentissage du langage, de la lecture, et le développement de la motricité est généralement plus lent. Ils souffrent d’hypogonadisme (les testicules restent petits) et sont tous stériles2. L’étude de ces pathologies, pourraient donner des indications quant aux rôles des LA SEXUALISATION DU CERVEAU gènes sexuelles sur le développement du cerveau de l’homme. III. Le rôle de l’environnement dans la différenciation sexuelle du cerveau Il est donc maintenant clairement démontré que les hormones sexuelles influencent la sexualisation du cerveau à une période critique du développement. Des substances exogènes comme des hormones, des médicaments ou des substances chimiques peuvent entrer dans la circulation fœtale via la mère. Ils peuvent mimer l’effet organisationnel des hormones en se liant aux récepteurs ou en perturbant les signalisations hormono-dépendantes. Cela peut avoir des conséquences latentes sur les processus de différenciation sexuels. Ces perturbateurs endocriniens appartiennent à différentes catégories et sont présents dans l’air, l’eau, la terre et les aliments (41) (Tableau 1). Quel peut être l’impact des polluants environnementaux capables d'interférer avec l'action des hormones endogènes et d’agir comme des perturbateurs endocriniens sur le cerveau ? 1.Encyclopédie Orphanet Grand Public, 2006 In : Femmes 47,XXX [en ligne]. http://www.orpha.net/data/patho/Pub/fr/TriploX-FRfrPub1231.pdf (11/01/12) 2. Encyclopédie Orphanet Grand Public, 2006 In : Le syndrome de Klinefelter [en ligne]. http://www.orpha.net/data/patho/Pub/fr/Klinefelter-FRfrPub362.pdf (11/01/12) SBBB - Marine PITEL – Tableau I : Différentes catégories de perturbateurs endocriniens retrouvés dans l’environnement et quelques exemples (41) Hormones mammifères naturelles (œstrogènes, androgènes) Substances naturelles/phytohormones (Génistéine, Daidzéine) Produits phyto-sanitaires (herbicides, fongicides, insecticides) Polluants de l’industrie chimique (Bisphénol A, Phthalates, métaux lourds) Polluants pharmaceutiques/vétérinaires (Diethylstilbestrol, compléments alimentaires, promoteurs de croissance, pilules contraceptives) Depuis quelques années, les chercheurs s’intéressent à la présence d’hormones naturelles ou synthétiques dans notre environnement et notamment dans l’environnement aquatique. Ces hormones proviennent principalement de l’évacuation des eaux usées relâchées dans les cours d'eau par l'intermédiaire des usines de traitement des eaux usées (42). En effet, à différents stades de leur vie, lors de la grossesse, avant et après la ménopause, les femmes excrètent dans leurs urines des œstrogènes d’origine naturelle. Ces œstrogènes excrétés peuvent aussi provenir des pilules contraceptives. Les hommes quant à eux excrètent de la testostérone dans leurs urines. De la même manière, le bétail rejette des hormones synthétiques et naturelles dans la nature (43). Quel peut être l’impact à court et LA SEXUALISATION DU CERVEAU long terme de ces concentrations d’hormones sur l’écosystème aquatique ? Les poissons Téléostéens constituent le seul groupe de vertébrés pour lesquels les changements de sexe chez les adultes sont répandus. Le sexe serait contrôlé génétiquement et/ou par les facteurs environnementaux (tels que la température, le pH ou encore les interactions sociales) (44) .Ces poissons peuvent être influencés par la présence d’hormones même en petite quantité particulièrement dans les stades de développement précoce. Il est montré que ces hormones exogènes peuvent altérer le sex-ratio1 de plusieurs espèces de poissons Téléostéens (42). Si ces hormones exogènes peuvent modifier le sexe des poissons, on imagine qu’elles peuvent avoir un impact sur les tissus non gonadique comme le cerveau. L’effet de l’ajout de faibles quantités d’œstrogènes synthétiques pendant 7 ans dans un lac expérimental en Ontario a été observé (45). Les poissons mâles, des têtes-de-boules (Pimephales promelas), produisent un sperme moins fertile, et des protéines d'œuf (et dans certains cas des œufs) sont retrouvées dans leurs testicules. Ces poissons ont un cycle de vie court, les chercheurs ont observé une quasi extinction de cette espèce dans le lac. La présence de ces hormones exogènes peut donc diminuer la viabilité d’espèces de poisson et dévaster des populations sauvages qui vivent en aval des effluents. 1. Désigne le taux comparé de mâle et femelle au sein d'une espèce à reproduction sexuée. C'est un indice biologique important, car la proportion de mâle et femelle peut affecter le succès reproductif. – SBBB - Marine PITEL Ces dernières années les scientifiques se sont également préoccupés des perturbateurs endocriniens retrouvés en contact direct avec l’alimentation. Le Bisphénol A, monomère entrant dans la composition des matières plastiques et des résines époxy, est le plus étudié. Il est retrouvé dans les emballages de nourriture et de boisson, les boîtes de conserve ou encore les tickets de caisse (46). En 2005, une étude montre que le Bisphénol A est présent dans les urines de 95% de 394 américains adultes testés (47). Chez les rongeurs, l’exposition fœtale au Bisphénol A par voie orale à certaines quantités altère le comportement maternel chez les rats femelles et augmente le comportement agressif chez les souris mâles (48,49,50). Les comportements étant liés au cerveau, on peut émettre l’hypothèse que le fonctionnement ou le développement de ce dernier est perturbé. Chez le rat femelle, l’exposition au Bisphénol A pendant la période critique du développement est liée à une puberté précoce, à une malformation des ovaires ainsi qu’à une altération du cycle œstral1 (51). Ces manifestations liées à la reproduction sont régulées par l’axe gonadotrope. Il est probable que les effets du Bisphénol A soient causés par une perturbation de la différenciation de l’axe hypothalamo-hypophysaire. Il est important de mentionner qu’un autre mécanisme de sexualisation du cerveau par l’environnement est possible. Ce mécanisme suscite un intérêt grandissant de la communauté scientifique : l’épigénétisme. Certains facteurs environnementaux (comme le stress, le comportement maternel) peuvent avoir des effets différents en fonction du sexe LA SEXUALISATION DU CERVEAU sur l’expression des gènes (52,53). Et chez l’homme ? Nous sommes aussi très exposés aux perturbateurs endocriniens. On peut donc émettre l’hypothèse que chez l’homme, comme chez les animaux, les substances environnementales à activité hormonomimétique ont un effet sur le développement. Il y a peu ou pas de résultats clairement démontrés de ces effets sur l’homme. Malgré tout, la mise en cause de ces substances dans la puberté précoce, l’anxiété, l’infertilité ainsi que certains cancers est avancée (41,54,55). La puberté précoce, par exemple, peut être due à des modifications structurelles ou fonctionnelles de l’axe hypothalamo-hypophysaire. De plus en plus d’études portent sur l’implication des perturbateurs endocriniens dans l’augmentation de l’incidence de la puberté précoce chez les filles. En outre, certains chercheurs avancent leur rôle dans les comportements humains de transsexualité2 ou d’attirance sexuelle pour une personne de sexe identique (56). Le sujet de l’orientation sexuelle et de l’identité sexuelle 1. Modification périodique de l'utérus et du vagin, déclenchée par les sécrétions hormonales ovariennes, préparant à la fécondation et à la gestation. 2. Discordance entre l’identité de genre et l’identité de sexe ressentie d’un individu. SBBB - Marine PITEL – reste un sujet très sensible. La polémique de septembre 2011 concernant l’introduction des genres dans les manuels scolaires de première en est un exemple. IV. Conclusion L’objectif de cette revue est de présenter les facteurs pouvant entrer en jeu dans la sexualisation du cerveau. Nous avons vu que les cerveaux des hommes et des femmes sont différents et que des facteurs hormonaux, génétiques et environnementaux pouvaient agir en LA SEXUALISATION DU CERVEAU parallèle pour provoquer ou atténuer ces différences (Figure 6). Figure 6 : Facteurs pouvant entrer en jeu dans la sexualisation du cerveau. Les hormones, les gènes portés par les chromosomes sexuels et le milieu extérieur via les perturbateurs endocriniens peuvent entrer en jeu dans la différenciation sexuelle du cerveau. Outre le savoir et la connaissance, des applications en pharmacologie sont envisageables. En effet, l’incidence et la progression de certaines maladies touchant le cerveau diffèrent en fonction du sexe. Les femmes sont plus touchées par les troubles dépressifs majeurs, l’anxiété, et les troubles du comportement alimentaire tandis que la schizophrénie, l’autisme (4 fois plus que les femmes) et les troubles d'hyperactivité avec déficit de l'attention sont plus répandus chez les hommes (57). Ces pathologies spécifiques au sexe ne peuvent être exclusivement expliquées par des différences de style de vie ou d’environnement social homme/femme. – SBBB - Marine PITEL La maladie de Parkinson est une maladie dégénérative qui résulte de la mort lente et progressive de neurones du cerveau. Les personnes atteintes font peu à peu des gestes rigides, saccadés et incontrôlables. Cette maladie touche plus les hommes que les femmes. Des chercheurs ont établis un lien entre la maladie de Parkinson et une perte de neurones dopaminergiques dans la subtantia nigra (noyau à la base du mésencéphale). Or des différences dans le développement, l’activité et le nombre de neurones dopaminergiques de cette zone ont été observées entre l’homme et la femme (5). Le dimorphisme sexuel du cerveau pourrait donc contribuer à l’incidence de certaines maladies. Des travaux sont en cours pour essayer de lier ces deux paramètres. Comprendre ces mécanismes permettrait peut-être à terme de savoir pourquoi les hommes et les femmes sont distinctement vulnérables à certaines maladies touchant le cerveau. La compréhension de ces différences pourrait permettre aux chercheurs de développer des traitements plus efficaces et adaptés au sexe. Recherches futures La compréhension des mécanismes de différenciation des structures et du fonctionnement du cerveau par les gènes sexuels et les hormones seront très certainement au cœur des travaux futurs. Une perspective intéressante pour les équipes de recherche serait de s’intéresser aux individus ayant des pathologies touchant les chromosomes sexuels. Ces maladies LA SEXUALISATION DU CERVEAU chromosomiques peuvent, en effet, éclairer le rôle des gonosomes. Les femmes atteintes du syndrome de Turner (45,X0) sont plus vulnérables à certaines maladies qui touchent particulièrement les hommes comme l’autisme et la schizophrénie. Elles sont aussi plus susceptible que les femmes (46, XX) de développer des troubles de l’attention et de la mémoire (57). Des travaux sont en cours de réalisation, ils permettront peut-être de comprendre les implications des gènes sexuels dans l’incidence de certaines maladies. Les femmes triple X (47, XXY) et les hommes atteints du syndrome de Klinefelter (47,XYY) pourraient aussi permettre de répondre aux questions non encore élucidées. Tous les processus de sexualisation du cerveau ne sont pas encore décrits. A terme, leur compréhension pourrait permettre d’expliquer pourquoi un genre est d’avantage protégé que l’autre contre les maladies touchant le cerveau. Des traitements adaptés aux sexes, et donc plus efficaces, pourraient voir le jour. Quoi qu’il en soit beaucoup de questions restent sans réponse et attendent d’être éclairées. SBBB - Marine PITEL – Références Bibliographiques 1 - Bass, A. « Dimorphic male brains and alternative reproductive tactics in a vocalizing fish ». Trends in Neurosciences 15, no. 4 (avril 1992): 139-145. 2 - Ball, G F, J M Casto, et D J Bernard. « Sex differences in the volume of avian song control nuclei: comparative studies and the issue of brain nucleus delineation ». Psychoneuroendocrinology 19, no. 5-7 (1994): 485-504. 3 - Raisman, G, et P M Field. « Sexual dimorphism in the preoptic area of the rat ». Science (New York, N.Y.) 173, no. 998 (20 août 1971): 731-733. 4 - Madeira, M D, S Leal, et M M Paula-Barbosa. « Stereological evaluation and Golgi study of the sexual dimorphisms in the volume, cell numbers, and cell size in the medial preoptic nucleus of the rat ». 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