Amina Rachid - Enfance Violence Exil

Transcription

Amina Rachid - Enfance Violence Exil
 Enfance Violence Exil
par Catherine MILKOVITCH-RIOUX et Rose DUROUX
CELIS, Université Blaise Pascal de Clermont-Ferrand
Colloque international
ENFANCES EN GUERRE. Témoignages d’enfants sur la guerre
Université Blaise Pascal – Clermont-Ferrand (CELIS)
Université d’Amiens (CHSSC)
7-8-9 décembre 2011
UNESCO
Programme ANR Enfance Violence Exil
enfance-violence-exil.net
PALESTINE
ENFANTS DANS LA GUERRE ET EN EXIL
Je suis né là-bas je suis né ici
Mourid Al-Barghouthi
AMINA RACHIDi
(Université du Caire, Égypte)
Les enfants meurent pendant les guerres. Les enfants voient mourir un de leurs parents ou les
deux, des voisins ou des gens dans la rue. Ils assistent à des scènes d'horreur dans le quartier, dans la
rue ou plus récemment à la télévision. Mais peut-on dire pour autant que tuer des enfants soit le but
des guerres ? Sauf dans le cas de génocides ou de nettoyage ethnique selon l'expression de Tanya
Reinhart dans son livre Détruire la Palestineii, les guerres ne sont pas faites pour tuer des enfants.
Avant d'aborder Je suis né là-bas je suis né ici de l'écrivain Palestinien Mourid Al-Barghouthiiii,
objet de cette communication, je me propose de relever quelques témoignages qui permettront de
préciser le statut des enfants palestiniens dans la guerre qui oppose l'État d'Israël aux Palestiniens.*
Témoins de la violence
Citant PhHR (Physicians for Human Rights), Association israélo-palestinienne, Amira Hass dit
: « […] pendant les cinq ans de l'Intifada, un enfant de moins de six ans a été atteint d'une balle dans
la tête toutes les deux semaines »iv.
Elle cite plusieurs exemples d'enfants victimes de tirs :
1. Le 2 février 1989, Loulou Abu Dakhi, sortie acheter une glace est frappée à la tête par une
balle de caoutchouc. Elle ne meurt pas sur le champ mais demeure invalide pendant plusieurs moisv.
2. Le 19 décembre 1992, Rana Abou-Touayyer, sortie acheter du lait, à Khan Younès peu après
la levée du couvre-feu, meurt d'un tir de fusil qui l'atteint dans le dosvi .
3. Le 5 février 1994, Ayman Al-Suri est tué d'une balle, alors qu'il allait rendre un livre à la
bibliothèque de Jabalyavii .
4. Un petit garçon, Ayman Abou-Hajar, reçoit une balle dans la tête qui ne le tue pas mais le
laisse décérébré pendant plusieurs annéesviii .
Or Amira Hass, comme chacun sait n'est pas une « terroriste palestinienne », mais une
israélienne, fille de parents juifs, rescapés du camp de Bergen. Ses parents, dit-elle, lui ont donné sa
première leçon de justice humaine : Arrivés en Israël lors de la création de l'État juif, ils refusent
d'habiter un logement que ses occupants chassés viennent de quitter.
Un autre témoignage, exhaustif celui-ci, nous est donné par James A. Graff dans son article : «
Crippling a people : Palestine Children and Israeli State Violence »ix. Graff emprunte ses données
aux principales sources suivantes : l'UNRWA (United Nations Relief and Works Agency) ; le PHRIC
(Palestine Human Rights Information Center). Ces données ont été recueillies dans des hôpitaux, des
cliniques, des centres de réhabilitation mentale.
Elles révèlent les réalités suivantes :
1. Entre décembre 1987 et mai 1992, plus de 41 000 enfants palestiniens, 16 ans ou moins, sont
traités pour blessures, de tirs de fusil, de coups et de gaz lacrymogènes hautement concentrés CS ou
CN, concentration cinq fois plus forte que celle des gaz utilisés en Irlande ou en Afrique du Sud. Ils
sont projetés à l'intérieur des maisons (dans les quatre premiers mois de l'Intifada vingt enfants audessous de l'âge de trois ans ont été tués), dans les cliniques, les hôpitaux, les écoles, et par
hélicoptères, dans des camps de réfugiés (p. 52).
2. Durant la même période, près de 122 000 ou 6,4% de 1,9 millions de Palestiniens (adultes et
enfants) vivant en territoire occupé par Israël sont sérieusement atteints par des tirs de fusil, des
coups, des gaz toxiques. Ces attaques visent des centres, des maisons (de porte à porte), des
manifestations pacifiques ou des funérailles.
3. Le GCMHP (Gaza Community for Mental Health Program) mentionne : 89%, sur un
échantillon pris au hasard, révèle que 1 564 enfants entre huit et quinze ans ont subi des razzias de
soldats israéliens dans leurs maisons, 45% ont été battus dont 8,7% traités pour fractures, etc.
4. Nature des coups : Les coups de fusil sont donnés à travers tout le corps, et notamment sur la
tête (cognée contre les murs) et les organes génitaux. Les femmes et surtout les femmes enceintes
reçoivent des coups à l'abdomen.
5. Humiliations : Des pères sont battus devant leurs enfants. Il s'agit selon l'auteur de détruire
leur image, terroriser les enfants et les déstabiliser mentalement, donc de miner l'autorité des pères et
prouver à la famille qu'il ne saurait la défendre. Ces enfants, pense-t-il, n'oublieront jamais, ne
pardonneront jamais aux Israéliens d'avoir ainsi agressé et humilié leurs parents. Les effets du
traumatisme vécu par les enfants sont recensés dans les centres de réhabilitation mentale.
John Lyons cite, pour sa part, dans « Stone cold Justice for Palestinian Children »x des
témoignages sur les modes de jugement des enfants palestiniens arrêtés et jugés, dans la plupart des
cas pour lancement de pierres. Selon « Defence for Children International », 1/3 sont libérés pour
avoir signé des documents rédigés en hébreu, langue qu'ils ignorent. Le journaliste qui assiste aux
procédures a le droit d'être accompagné par un traducteur qui ne sera pas nommé, mais il lui est
interdit de photographier les plus jeunes enfants; munis de menottes !
Un autre témoignage est cité dans cet article, celui de l'avocat australien Gerald Horton. Avocat
en affaires immobilières, ayant fait un séjour de trois mois en Cisjordanie en vue d'un Master sur les
prisonniers palestiniens, il demeure là-bas jusqu'à aujourd'hui et poursuit ses recherches dans ce
domaine.
Il cite le cas d'enfants torturés durant leur interrogatoire. C'est ainsi qu'un enfant arrêté a les
yeux bandés, mais parvient à travers une fente à voir un chien. On lui met un pain sur la tête, pris de
peur, l'enfant s'affole tandis que les soldats rient. Un autre pain est posé sur son pantalon, le chien
s'approche des organes génitaux, l'affolement de l'enfant atteint son paroxysme. L'article est cité par
l'Association : « Defence for Children International ».
Selon Horton, les cours militaires sont en fait des systèmes de contrôle destinés à assurer la
sécurité des 500 000 colons israéliens qui vivent en territoire occupé, pour 2,5 millions de
Palestiniens. Des arrestations d'enfants ont lieu à deux ou trois heures du matin; prenant au hasard
cinq ou dix enfants.
Enfin des soldats israéliens ayant fondé le groupe « Breaking the Silence » donne 700
témoignages d'abus commis ou vus. Fadia Saleh, pour sa part, qui dirige près de onze centres de
réhabilitation, témoigne de cas d'enfants profondément perturbés. Certains font des crises de colère
pour la moindre raison. D'autres ont des cauchemars et ont perdu toute confiance en autrui. Toute
amitié leur paraît impossible, obsédé par le sentiment qu'ils seront trahis, En effet des parents
empêchent leurs enfants de les fréquenter craignant d'attirer sur eux l'attention des soldats israéliens.
Des blessés plutôt que des morts
Tanya Reinhart rapporte le témoignage suivant du Jerusalem Post (27/10/2000)xi : Il est
recommandé au bataillon Nahson formé pour la guérilla urbaine de blesser les enfants plutôt que les
tuer, de viser les yeux avec des balles caoutchoutées (enrobées de caoutchouc). Ou encore viser la
tête ou les genoux. Éviter la poitrine qui entraîne la mort avec plus de précision. Dans ces unités, on
apprend à tuer et à viser de façon calculée : « mutiler mais ne pas trop augmenter le nombre des
morts »xii . Le même article du Jerusalem Post mentionne : « La stratégie générale de l'armée est de ne
pas donner aux Palestiniens le chiffre de morts dont, d'après l'armée, ils ont besoin pour gagner
l'appui international et soutenir leur combat pour l'indépendance »xiii .
Ce qui est explicité par Yehud Barak de la manière suivante : […] si, à ce stade, il y avait non
pas 140 morts palestiniens mais 400 ou 1000 cela causerait sans doute un grand tort à Israël,
Jerusalem Post, 30/10/2000xiv. Tanya Reinhart ajoute à ces statistiques macabres qu'en effet 140
morts en un mois c'est triste mais cela ne fait pas partie des atrocités contre lesquelles le monde entier
doit s'unir !
Pour une résistance par l'art : Le théâtre des enfants du camp
Refusant la perception des Palestiniens peuple agresseur, barbare, terroriste, de même que les
images télévisées d'enfants lançant des pierres et incendiant des pneus de voitures, ‘Abdel-Fattah
Abu-Srour conçoit et met en œuvre une autre manière « douce » de résister, par le théâtre, par l'art,
par la littératurexv.
C’est ainsi qu’il crée dans le camp de ‘Aida une autre forme de résistance qu’il nomme
« Jamila » (agréable), tout en ne reniant pas les autres formes de résistance de son peuple occupé
depuis 1948 par les Sionistes.
‘Aida se trouve au sud de Jérusalem et au nord de Bethlehem. Il comprend près de 4700
réfugiés palestiniens, originaires de 35 villages démolis par les forces sionistes en 1948. Les enfants
et adolescents au-dessous de 18 ans sont nombreux, près de 66% de la population (« La résistance
douce », p. 28). C’est ici qu’Abu-Srour fonde son centre des pionniers de la culture et du théâtre des
enfants en 1998 (p. 29). Deux objectifs déterminent son initiative :
1. Le refus du cliché répandu par les images télévisées des enfants lanceurs de pierres
2. Donner aux enfants la possibilité d’exprimer leur frustration et leur colère face au
comportement de l’armée d’occupation et à ses assauts répétés du camp (p. 29).
Il s’agit de former l’acteur en vue de la création d’une troupe de théâtre professionnelle :
former la voix, le corps, la gestuelle… Choisir des sujets intéressant les enfants, les initier au mime, à
la fabrication de marionnettes (p. 29).
La première représentation a lieu en 2000. La troupe est reçue en Suède et au Danemark la
même année. En même temps ses activités s’élargissent : projet de création d’une bibliothèque et
d’un enseignement de langues (français et anglais) et de l’informatique. Et enfin d’une pratique de la
photographie, de films et vidéo, d’une chorale, etc., tout ceci gratuitement. En temps de conflits
armés, les locaux se transforment en cliniques.
En 2002 est créée en France la première Assemblée des « Ruwwad » (pionniers) et en 2003 la
troupe effectue une tournée de vingt-cinq villes françaises et présente sa création théâtrale au festival
d’Avignon. Les principaux thèmes en sont : La perte de la Palestine, son drame historique, les rêves
des enfants et leurs espoirs, notamment dans la pièce intitulée C’est nous les enfants du camp, pièce
entièrement improvisée par les enfants.
Mourid Al-Barghouthi : Une autobiographie de l’exil, Je suis né là-bas je suis né ici
Ce beau texte est un récit autobiographique où à l’histoire du père, Mourid, se mêle celle du
fils, Tamim, tous deux poètes, le premier connu de longue date, et le second dont la renommée fraye
avec succès son chemin dans la littérature palestinienne contemporaine.
Mourid Al-Barghouthi a vécu deux exils. Le premier en 1948 où avec son père, sa mère et ses
trois frères, il partage l’exode palestinien d’un peuple chassé de sa terre par la violence des groupes
terroristes israéliens et le second d’Egypte où il vit avec sa femme, la romancière égyptienne Radwa
‘Achour et son fils Tamim âgé de cinq mois. Travaillant à la chaîne « Voix de la Palestine » de la
radio du Caire, il tient des propos qui déplaisent aux autorités égyptiennes et il est chassé d’Égypte :
Il vit en exil à Budapest pendant dix-sept ans, tandis que sa femme et son fils demeurent au Caire et
le rejoignent aux vacances scolaires du fils et universitaires de la mère, enseignante de littérature
anglaise à l’Université de ‘Ain Chams. Tamim Al-Barghouti vit ainsi entre plusieurs mondes mais la
Palestine demeure pour lui le récit dans lequel il a grandi.
Et c’est ce récit que Mourid entend raconter dans Je suis né là-bas je suis né ici.
Nous raconterons cette histoire comme il faut qu’elle soit racontée. Nous raconterons notre histoire personnelle,
celle de chacun d’entre nous. Nous ferons le récit de nos petites histoires, comme nous les avons vécues, comme nous en
avons gardé la mémoire, celle de nos âmes, celle de choses que nous avons vécues et d’autres que nous avons rêvéesxvi .
Et le poète nous rappelle que le récit de la Palestine est toujours fait par l’Autre et que par
ailleurs les petites histoires disent mieux l’Histoire que les livres poussiéreux qui occupent les rayons
des bibliothèques.
Mais pourquoi raconter ?
D’abord pour nous-mêmes, pour comprendre ce qui s’est passé. Ensuite pour expliquer aux
enfants, aux générations qui ne savent pas, la perte de la Palestine et peut-être pour nous justifier de
l’avoir perdue. Et enfin narrer, raconter l’écoute des voix qui ont accompagné nos existences. Narrer
le drame originel, l’exode, le départ de ceux qui sont partis avec les clefs de leur maison, croyant
revenir bientôt, et qui ne sont jamais revenus ou sont revenus, bien plus tard, en visiteurs, comme le
père et le fils de notre récit.
Cette histoire de l’exode n’est racontée qu’à la fin de l’œuvre dont les différentes étapes sont
autant d’événements d’une dramatisation croissante.
Mon frère Maguid n’avait que neuf mois quand survint la débâcle (Naqba), en 1948. Même mon frère le plus
jeune avait donc neuf mois de plus que l’État d’Israël. Nous vivions dans la ville d’Al-Led où travaillait mon père et c’est
là qu’est né Maguid en 1947, faisant de nous trois frères, Mounif l’aîné né à Jéricho, moi-même à Deir Ghassana, puis
Maguid. Les agressions des sionistes armés contre Al-Led semaient la terreur parmi les habitants, ajoutées aux nouvelles
qui leur parvenaient des assassinats et des expulsions qui menaçaient les villes la province et la campagne palestiniennes,
sur tout le long de la côte. D’autres informations évoquaient les centaines de milliers qui s’enfuyaient en bateau vers Gaza
ou à pieds vers le Liban, la Syrie ou la Jordanie. Mon père quant à lui décida de nous ramener dans notre maison de Deir
Ghassana. S’engager sur les routes de montagne n’était pas de toute sécurité mais c’était le seul moyen. Nous revînmes
donc avec Maguid enveloppé dans ses langes et réclamant ses tétées. Et nous nous arrêtions sous un arbre où ma mère lui
donnait le sein pour quelques minutes qui nous semblaient terriblement longues à cause de notre peur des pièges, des
bombes et des imprévus du trajetxvii .
À cette peur s’ajoutent les fantasmes des lectures enfantines. Le narrateur avoue n’avoir jamais
vu de hyènes, de loups ou de chacals et que la terreur de les voir surgir était beaucoup plus forte que
leur crainte d’autres animaux que pourtant ils connaissaient mieux : scorpions ou vipères !xviii .
D’un exil à l’autre, le récit est un aller-retour entre l’histoire du père et celle du fils : Suite aux
accords d’Oslo, Tamim obtient après son père un permis d’entrée dans son pays… occupé ! C’est
d’abord la joie de l’enfant, ou plutôt du jeune homme qui a alors 21 ans ! Aussitôt arrivé à Jérusalem
il se précipite vers la première cabine téléphonique trouvée pour appeler sa mère au Caire : « Maman,
je suis à Jérusalem […] Je suis à Jérusalem avec papa »xix .
Et c’est un de ces jeux de regards, un va et vient entre le passé et le présent qui font de ce récit
d’exil un texte si attachant : Le père qui regarde son fils, cet homme heureux dans la cabine
téléphonique, et voit s’interposer l’image du bébé de deux jours dans les bras de sa mère sortant de la
clinique où elle vient de le mettre au monde :
Je regarde Tamim dans la cabine téléphonique. Et je le vois dans les bras de Radwa qui vient de sortir avec lui de
la clinique du Docteur Gohar où elle a accouché. Elle est debout au bord du Nil devant la porte de la clinique. Elle porte
une robe d’été, légère, imprimée de petites rosesxx.
À plusieurs reprises revient l’image du père qui regarde le fils : « Et moi je regarde comment il
regarde et ce qu’il voit »xxi, faisant la queue devant le guichet des visas et permis, puis agitant le
papier obtenu, dans le bus qui les conduit à Jérusalem où le père regarde le fils qui regarde
intensément le paysage comme s’il voulait l’incruster dans sa mémoire !
Plus tard, au cours d’une entrevue de presse où on lui demande ses impressions de la Palestine
découverte, il répondra par une analogie : « Ce serait comme de montrer un micro-ondes à un poète
préislamique ! »xxii . C’est néanmoins la fin de la Palestine des livres scolaires, des manchettes de
journaux, des images de la CNN ! Voici le « réel ».
Et le réel, c’est un pays occupé :
Jérusalem est une terre occupée.
Une terre occupée par une armée puissante. Sa seule fonction est d’éloigner mon corps, mes pas, ma mémoire, de
m’empêcher, et pour l’éternité, de m’en approcherxxiii .
Mais l’occupation c’est aussi une infinité de détails, un rétrécissement du vécu et des
préoccupations. L’exilé voit son identité réduite aux laissez-passer « accordés » par l’occupant.
Réduite aux mille vexations du quotidien qu’il lui fait subir :
1. Difficulté de se rendre d’un point à un autre par suite des multiples blocages, dits « checkpoints ».
2. Difficulté d’obtenir une bonbonne de butagaz, un sachet de pains, une place dans le bus, une
pilule anti-tension.
3. Et surtout attendre l’arrivée de l’ambulance avant la mort d’un être cher, la joie de rentrer
chez soi sain et sauf, de voir son enfant revenir de l’école dans son bus et non mort ou blessé sur les
épaules de ses camarades.
4. Se réjouir de n’importe quelle petite joie : gagner aux cartes, se promener au bord de la mer,
etc.
L’exil, l’occupation c’est aussi la frustration, l’impuissance à parer aux incidences de la vie.
Comme Al-Durrah ne put empêcher l’assassinat de son fils entre ses bras, Mourid Al-Barghouthi ne
parvient pas à protéger Tamim manifestant contre les menaces de guerre des États-Unis contre l’Irak,
enlevé par les flics puis déporté vers la Jordanie.
Et la tristesse des enfants de l’exil. Le narrateur rapporte des phrases entendues : Tamim de
retour en Égypte, à la fin des « vacances » à Budapest, à l’aéroport : « Je souhaite que l’avion
tombe »xxiv.
Ou encore le frère du narrateur, à la fin des réunions familiales où se retrouvent tous les frères
exilés, en Égypte ou dans un pays du Golfe, au moment de se quitter : « J'en arrive à détester
l'amour »xxv.
Ce texte dit la nostalgie, la tristesse de l'exilé, la présence-absence d'une Palestine racontée.
L'émerveillement du retour en Palestine, même en visite, à Deir Ghassana, dans la maison
familiale, au village de son père, celui de ses ancêtres. Découvrir les livres, les objets, les murs
vieillis qui racontent un passé, une histoire oubliée ou refoulée dans un coin de la mémoire, un passé
aboli par l'Histoire mais resté présent dans la mémoire et dans les récits.
Ce qui fait la beauté de ce texte dont la profonde nostalgie émane d'un récit qui se veut pourtant
porteur d'avenir.
i
Je tiens à remercier ici les amis qui m’ont procuré certains de ces témoignages : Férial GHAZOUL, Professeur à l’Université Américaine
du Caire et Walid AL HAMAMSY, Professeur au Département d’anglais de l’Université du Caire. ii
Tanya REINHART, Détruire la Palestine, Paris, La Fabrique 2002, chap. VI, p.84 sqq. iii
Mourid AL-BARGHOUTHI, Wulidtu hunak wulidtu huna [Je suis né là-bas je suis né ici], Beirut, Riyad El-Rayess Books, 2009. iv
Amira HASS, Boire la mer à Gaza, Paris, La Fabrique, 2001, p 97. v
Idem. vi
Ibidem, pp. 97-98. vii
Ibidem, p. 99. viii
Idem. ix
Cf. Alif : Journal of Comparative Poetics, Human Rights and People Rights, n° 13, Cairo, 1993, pp. 46-63. x
Cf. The Australian, 26 novembre 2011. xi
Tania REINHART, op. cit, pp. 85-86 : « J’ai tiré sur deux personnes aux genoux. L’idée est de leur briser les os, de les neutraliser et
non de les tuer, dit le sergent Raza, un tireur d’élite du bataillon Nahson ». xii
Ibidem, p. 86. xiii
Ibidem, p. 87. xiv
Idem. xv
Cf. ‘ABDEL-FATTAH ABU-SROUR, « La résistance douce : Le théâtre des enfants du camp », dans Alif, n° 27, L’Enfance entre
créativité et réception, 2007. xvi
Mourid AL-BARGHOUTHI, op. cit., p. 82. xvii
Ibidem, p. 227. Le récit de l’exode par Tanya Reinhart corrobore le témoignage autobiographique d’Al-Barghouthi : « La naissance
de l’État d’Israël est entachée d’un péché originel : un peuple heurté et persécuté, à la recherche d’un havre et voulant fonder son État, y
est parvenu au prix d’une horrible souffrance infligée à un autre peuple. Au cours de la guerre de 1948, 730 000 Palestiniens, soit plus
de la moitié d’une population totale de 1 380 000 habitants, furent chassés de leur pays par l’armée israélienne », op. cit., p. 39, chiffres
officiellement admis par Israël, ajoute l’auteure, selon laquelle d’autres témoignages donnent des chiffres plus élevés. xviii
Mourid AL-BARGHOUTHI, op. cit., p. 227. xix
Ibidem, p. 94. xx
Idem. xxi
Ibidem, p. 61. xxii
Idem. xxiii
Ibidem, p. 101. xxiv
Ibidem, p. 146. xxv
Ibidem, p. 174.