LA PEINTURE CHINOISE : L`ENCRE DE CHINE SUR PAPIER DE RIZ
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LA PEINTURE CHINOISE : L`ENCRE DE CHINE SUR PAPIER DE RIZ
LA PEINTURE CHINOISE : L’ENCRE DE CHINE SUR PAPIER DE RIZ UNE PEINTURE ÉTERNELLE De Sophie Tedeschi L’encre de Chine trouve facilement le chemin du coeur. C’est on ne peut plus simple : le pinceau glisse sur le papier de riz, l’encre s’étend, s’évapore, s’étale. De l’encre, de l’eau, éventuellement des couleurs, et vous avez une peinture. Une peinture faite à la fois de calculs, et d’abandon au souffle, de complicité avec le rythme de la respiration. De l’encre, le pinceau inscrit les méandres. Il prolonge le geste, il prolonge l’esprit, d’un trait tantôt large et spontané, tantôt sûr et précis. Le rôle du peintre relève d’un choix amoureux : il doit, dans le mouvement continu du pinceau, décider des moments qui orientent l’élan créateur vers les terres inconnues de la peinture encore à naître. L’encre me parle. Comme aux peintres chinois, elle me parle de mystères, d’une voix qui inspire force et énergie, qui stimule la passion. J’en suis envôutée. Pour moi, être peintre, c’est être l’ami du temps.Quand je peins, je suis suspendue au temps, en lévitation, la respiration bloquée, puis soudainement relâchée. Qu’est-ce que la technique de la peinture à l’encre de Chine, sinon l’amitié absolue avec l’encre? Une amitié exigeante, qui impose d’être aérien. « Attache-toi au temps seul de ta peinture, l’unique instant que tu dois combler. Tu planes alors au dessus de ta feuille, en vouant à l’encre et au mouvement du pinceau un amour inconditionnel. » De cette conviction, des sensations que j’éprouve, mes oeuvres sont le témoignage. Elles le sont devenues grâce à ce que m’ont appris de grands peintres chinois, mes amis, qui m’ont laissé regarder leur peinture. Je reconnais tout ce que m’ont apporté leurs oeuvres.Elles guident inlassablement toutes les possiblités que mon encre recherche. Mon pinceau noyé dans l’encre rêve à la dextérité de ceux qui m’inspirent et dont je veux partager la quête. Ses principes : La concentration est exigée. Guidé par l’encre, l’esprit se concentre au point que le bras se tend, mais laisse le poignet souple et flexible. Le pinceau rend ainsi toutes les vibrations échappées des perceptions que le corps et l’esprit recèlent. Aucune possiblilité d’effacer : chaque trait posé, chaque touche jetée sont indélébiles. Il faut voir au fond de soi, puiser la sensation, sentir le ventre respirer et expulser l’influx sans modifier l’émotion. En ce sens, cette peinture est pré-vision, sans ré-vision. Définie par le glissement de l’encre, elle doit prendre forme en une seule fois. L’exécution doit coïncider avec l’émotion, dans un moment unique qui ne peut pas se retrouver. L’âme vole du Yin au Yang et vit de cet envol continuel. Pour la peinture à l’encre de Chine, le blanc du papier est un plein. L’espace composé peut se remplir et se jouer de ce blanc. Loin de l’illusion, la peinture à l’encre de Chine est aérienne, flottante, évanescente, dépouillée, florissante. Et puisqu’il est dit qu’elle puise sa source dans la nature, « tantôt comme l’eau, elle dévale vers les profondeurs, tantôt elle jaillit en hauteur comme la flamme ». La peinture à l’encre de Chine ne se ferme jamais parce qu’elle se doit de donner libre cours à la circulation du souffle. Le pinceau trace les traits. Leur variété est infinie : accent fulgurant, souplesse, élasticité, tension, fougue abrupte, douceur, caresse. Le papier de riz est un support souple et délicat ; aussi, pour ne pas le déchirer, il faut agir avec légèreté mais sûreté. La violence doit se contenir dans la pointe des poils du pinceau et s’allonger avec intensité et rapidité. Le mouvement se lit dans cet exploit que le pinceau déploie. Alors les vastes étendues d’encre parlent d’elles-mêmes, et l’encre et le pinceau ne font qu’un pour rayonner. Je ne peux pas ne pas citer un certain nombre de noms importants pour moi. Gen Jian!"#$, ancien directeur de l’Institut de la peinture traditionnelle chinoise du Shaanxi à Xian ; de l’encre de Chine, il possède l’aisance. Et les virages de son pinceau, enlevés d’un seul mouvement, sont comme la réminiscence des monts et des fleuves qu’ils font apparaître sur le papier. Liu Da Wei (%&'), président de l’association des peintres de Chine, avec la force des élans et la sérénité des pauses, représente pour moi la beauté et Liu Wen Xi!% ()$, la permanente jeunesse du trait. Li Bao Ling(*+,) exprime son âme dans chaque détail. Guan YuLiang!-./$aime raconter les grandes épopées qu’il réinvente. Zhao Jian Cheng!0#1$ a une maîtrise exceptionnelle du pinceau. Liu Qinhe!%23$ me charme par son humour. Wang HuangSheng, directeur du musée de Canton, fait basculer l’encre dans l’actualité. La liste est longue, longue comme l’éternité, puisqu’en Chine on apprend à écrire avec le pinceau et l’encre. Même les grands noms de la peinture à l’huile connaissent l’encre de Chine. Et je cite encore : Xu Bei Hong!456$, Ye Nan!78$, Ai Xuan!9:$, Chang Qing!;<$, Chen Yi Fei!=>?$, He Duoling!@AB$. De retour en France je continue cette peinture. Il me manque cette atmosphère faite pour l’encre de Chine. Parce que, là-bas, les pinceaux et l’encre sont partout et toujours prêts à l’emploi, parce qu’entre nous, les peintres, nous pouvons échanger, parce que la lumière douce et suave de la Chine, les brumes flottantes comme des nappées d’encre, mettent naturellement le peintre dans un état propice à la création. De la Chine, de mes amis, de mes maîtres, de ma pratique quotidienne, j’apprends. Et vous, pourquoi ne pas vous plonger dans l’encre ? Il suffit de se tenir debout ou de s’asseoir à une table, d’y poser le molletonné et la feuille de papier de riz mince et légère. Prendre le pinceau, le tremper dans l’encre noire et l’eau, absorber le surplus d’eau avec du papier, tester l’encrage sur le papier journal et commencer à peindre. Peindre, c’est si facile quand on aime !