hOmOs en prisOn - Aline Jaccottet, journaliste
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hOmOs en prisOn - Aline Jaccottet, journaliste
dossier prison Homos en prison la double peine En milieu carcéral, on cultive le machisme et on rejette la différence. Pour s’en sortir, les homos incarcérés doivent faire oublier leur « particularité ». Quitte à vivre dans le silence et la honte. Aline Jaccottet © Magali Girardin dossier prison L a prison est un lieu hors-normes. Quelques exemples : d’abord, elle interdit la mixité pourtant admise dans toutes les institutions en Europe depuis les années 1970. Elle force les prisonniers à vivre ensemble, et en autarcie : ils finissent donc par tout savoir sur tout le monde. Et elle exacerbe les discriminations de couleur, de religion, de nationalité et d’orientation sexuelle. « Chez nous, 70 à 80% des détenus sont d’origine étrangère. L’acceptation de l’autre, de la différence, est un enjeu très important dans ce contexte », souligne ainsi Charles Galley, directeur-adjoint des Etablissements pénitentiaires de la plaine de l’Orbe. Gare aux gays Last but not least, elle isole les détenus en les plaçant dans des cellules – un terme tiré de l’univers monastique, comme celui de « parloir ». La raison de cette mise à l’écart est triviale : au 18e, moment de l’invention des prisons en Europe (avant, on punissait par la torture), on redoute par-dessus tout que les prisonniers s’adonnent aux pratiques homosexuelles. C’est aussi pour lutter contre cette « déviance » que des lieux réservés à l’intimité conjugale sont prévus. C’est dire si dès le début, la prison a horreur de l’homosexualité et des homosexuels. Aujourd’hui encore, les autorités pénitentiaires recommandent aux gays de rester discrets. « Ceux qui mentionnent ouvertement leur homosexualité ne réalisent pas qu’ils s’exposent à des représailles », souligne Charles Galley. Le magazine 360 a voulu briser un peu de ce silence pesant et interrogé, faute de pouvoir accéder aux prisonniers concernés, deux femmes qui les ont longtemps côtoyés. Des gays en prison ? Shocking ! « Oui »… pour le pire En Angleterre et au pays de Galles, les autorités pénitentiaires interdisent toute relation sexuelle entre détenus de crainte qu’elles ne soient en réalité forcées. Une commission d’enquête rapporte que le personnel traque le moindre geste affectueux entre prisonniers, une attitude dénoncée par les associations LGBT qui appellent les institutions carcérales à se montrer un peu plus tolérantes. Alfredo Stranieri, surnommé « le tueur aux petites annonces », condamné à perpétuité avec une peine de sûreté de 22 ans pour le meurtre de quatre personnes, et Germain Gaiffe qui restera à l’ombre 30 ans pour avoir découpé un homme en morceaux, se sont unis fin août à la prison de Poissy. Témoins douteux de cette douteuse union : l’humoriste Dieudonné qui s’est présenté à la cérémonie en robe, et le terroriste Carlos. Vive les mariés… 10 Octobre 2013– 360° Octobre 2013– 360° 11 dossier prison « La prison est une machine à virilité » © Magali Girardin « l’identité féminine passe par la maternité » Gwénola Ricordeau, docteure en sociologie, travaille depuis des années sur la question de l’intimité en prison. Elle explique ce qui différencie le lien à l’homosexualité des hommes et des femmes incarcérés. Et les hommes, sur quoi sont-ils jugés ? L’identité masculine en prison repose sur la sexualité et la hiérarchie qui est faite entre partenaires actifs et passifs. C’est la raison pour laquelle les rapports homosexuels sont rarement pensés comme tels ; L’homophobie est-elle répandue pour les partenaires actifs, ils ne dans ces prisons ? Elle n’est pas comparable avec l’ho- sont qu’un substitut à l’hétérosexuamophobie qui existe dans les déten- lité. A.J. tions masculines car en prison, le maintien de l’identité féminine passe Sexualités féminines en prison : pratiques, avant tout par la valorisation de la discours et représentations, de Gwénola Ricordeau maternité, et non par la sexualité. insatisfaisante ; elles ont souvent subi des violences, notamment sexuelles. Leur première relation avec une femme les bouleverse. Pour la première fois elles se sentent écoutées, respectées et aimées. Les prisonnières sont-elles entourées par leurs proches ? Beaucoup moins que les hommes. Devant les portes des prisons, vous voyez peu de frères, de pères, de maris. Les épouses et les mères sont beaucoup plus soucieuses de leurs maris et de leurs fils en prison, car on attend des femmes qu’elles soient solidaires. Et la prison est perçue comme encore moins acceptable socialement pour une femme que pour un homme. Est-ce la raison pour laquelle certaines se rapprochent d’une codétenue ? Ce serait une explication simpliste. En revanche, beaucoup de femmes disent que la relation qu’elles entretenaient avec un homme était © Magali Girardin En quoi la situation des femmes emprisonnées est-elle différente de celle des hommes ? La nature des crimes commis par les hommes et les femmes n’est pas la même, les femmes prennent des peines généralement plus légères – à part s’il s’agit de violences sur des enfants – et l’incarcération a des effets différents sur leurs parcours de vie. Mais pour les uns comme pour les autres, la prison est souvent l’occasion de réfléchir à leurs relations affectives, parfois de revoir leurs attentes. La Française Emilie de Turckheim est visiteuse de prison au centre pénitentiaire de Fresnes depuis 2004. Les détenus homosexuels sont-ils plus en danger que les autres ? Oui, mais ce qui met surtout en danger, ce n’est pas d’être homo, c’est d’être efféminé – d’ailleurs, le terme pédé n’a souvent aucun lien avec l’appartenance ou les pratiques sexuelles. C’est l’équivalent de « connard », tout comme le mot « juif » qui n’est pas beaucoup mieux. Comment expliquer cette haine ? D’abord, de nombreux prisonniers viennent de milieux homophobes – et sexistes : l’homme domine et la femme ferme sa gueule. Et la prison est une machine à virilité. Pour s’en sortir, il faut être fort et musclé et respecter le code social du groupe ou de la prison. Dans ce contexte, l’homophobie est une valeur : elle garantit la préservation de l’hétérosexualité. Pour sauver leur peau, même les homosexuels doivent se dire homophobes. Pour eux, c’est insoutenable. Peut-on agir contre cette violence ? Non. En prison, on ne peut rien faire à part être attentif à certains individus plus sensibles ou fragiles que d’autres. Dans le système carcéral, mieux vaut se taire. C’est un univers de silence, obscur et procédurier. A.J. Soldat Manning, prénom : Chelsea Emprisonné à la TV, libéré dans la vie « Je suis Chelsea Manning. Je suis une femme », a déclaré le soldat Bradley Manning, condamné aux Etats-Unis à 35 ans de prison pour avoir fourni à Wikileaks des milliers de documents secrets, à la fin août. Chelsea n’aura pas la vie facile. Incarcération dans des lieux inadaptés, manque de suivi médical ou psychologique, sanctions en cas de port de maquillage ou de vêtements féminins, discrimination et insultes sont le lot quotidien des transgenres en prison. Wentworth Earl Miller – alias Michael Scofield dans la série américaine Prison Break – a créé le buzz au mois d’août. C’est par une lettre au gouvernement russe qu’il a fait son coming out. Refusant l’invitation au Festival international du Film de Saint-Pétersbourg, il écrit : « En tant que gay, je suis profondément troublé par l’attitude du gouvernement russe et son traitement des hommes et des femmes homosexuels ». Le Kremlin n’a pas dû apprécier. Nous, on applaudit. 12 Octobre 2013– 360° Octobre 2013– 360° 13 dossier prison Paroles de prisonniers « Homosexuel, j’aurais pu le devenir, mais un homme ne m’a jamais fait bander. Ça pourrait m’arriver. Ce serait un avantage. (…) Demain que j’serais pédé que ça m’arrangerait. Mais là dessus, j’me suis un peu loupé ! » à cause de la prison, qu’on manque de câlins… » « S’il y a des détenus qui deviennent homosexuels… peut-être ? Pourquoi pas ? Il y en a bien qui apprennent à fumer ici ! Je sais que ça ne m’arrivera pas. Ce serait tomber bien bas, « Ici, j’ai vécu avec une femme pen- c’est lâche. C’est comme pousser dant deux ans et demi. Ça m’a aidé quelqu’un à se suicider. » A.J. à supporter l’incarcération. Au début, c’était une relation cachée. Pour moi, c’était un péché, ça se faisait Enquêter sur l’homosexualité et pas. (…) Et puis, j’en ai parlé à un Source : les violences sexuelles en prison, Gwénola psy, qui m’a dit que c’était normal Ricordeau, 2004 Pour En savoir plus Trois sociologues français se distinguent par leurs travaux sur la sexualité en prison : Gwénola Ricordeau et Myriam Joël-Lauf (femmes et homosexualité féminine) et Arnaud Gaillard (sexe en prison et violences). Tous leurs travaux sont accessibles sur Internet. Quelques chiffres Atwood Jane Evelyn, Trop de peines. Femmes en prison (2000, Albin Michel). Un recueil de photographies et de textes sur les femmes en prison basé sur un travail de neuf ans dans neuf pays. En 2012, la Suisse comptait 109 prisons pour 6978 places (87 places pour 100 000 habitants). Seuls 4,9% de détenus étaient des femmes, contre 5,3% l’année précédente, selon les chiffres de l’Office fédéral des statistiques (OFS) qui ne mentionne nulle part la question de l’orientation sexuelle des détenus. Deux films incontournables sur l’amour homo en prison : Un chant d’amour (1975) de Jean Genet, et Je t’aimerai toujours de Philip Morris (2009) Quand Barbie s’invite en cellule Le quotidien « 24heures » rapporte que le nombre de cellules repeint en rose bonbon ne cesse d’augmenter en Suisse, sur la base d’études menées en 1979 par le directeur de l’Institut américain de recherche Biosociale Alexander G. Schauss. Selon lui, le rose calme l’animosité des détenus. En tout cas, il ne les enchante pas. A travers l’association de soutien Reform 91, les prisonniers parlent d’« humiliation ». www.blues-out.ch Bien-être et santé mentale pour les gays et les lesbiennes Avec le soutien de : 360 – Aide Suisse contre le Sida – Alliance contre la Dépression – République et Canton de Genève – Loterie Romande – Pro Mente Sana – Totem – Trajectoires – Université de Zürich 14 Octobre 2013– 360° Graphisme: Chatty Ecoffey • Photo: Etienne Delacrétaz Publicité