AuRélIE DupONT ET JéRémIE BélINgARD
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AuRélIE DupONT ET JéRémIE BélINgARD
RENCONTRE DANSE Par Saskia GALITCH Photo Icare MOATTI Aurélie DuponT et Jérémie Bélingard, le plus tendre des corps à cœurs Elle commence une phrase, il la termine. A moins que ce ne soit l’inverse. Parfaitement sur la même longueur d’ondes, animés l’un pour l’autre d’un amour tangible, les deux danseurs « étoile » élèvent l’art du pas de deux à des sommets rarement atteints. Rencontre. E toiles de l’Opéra de Paris, Aurélie Dupont et Jérémie Bélingard parlent, dansent et respirent d’un même souffle. Rayonnants et chaleureux, entre sourires complices et coups d’œil amoureux, ils se racontent, évoquent leur travail, le trac, leurs deux petits garçons ou leurs projets – comme cette création présentée en première mondiale dans le cadre des «St Prex Classics», qui les a vus improviser sur de la musique klezmer en compagnie du fabuleux violoniste Nigel Kennedy. Votre collaboration avec Nigel Kennedy est placée sous le signe de l’improvisation… un grand écart avec votre manière habituelle de travailler, non ? Aurélie Dupont : Il est vrai que j’ai des bases classiques, avec la rigueur que cela implique. En même temps, je suis très curieuse d’apprendre de nouvelles choses et Jérémie m’a permis de découvrir ce travail d’improvisation. Au début, c’est difficile, il faut se mettre en confiance, faire, refaire, retirer tout cet académisme dont on est pétri… Jérémie Bélingard : Dans le classique, la technique académique est très structurée. Mais être danseur, ce n’est pas se contenter d’exécuter… Aurélie prend toute sa dimension quand elle se lâche dans tous les grands rôles. Et c’est bien pour cela qu’elle est une si grande interprète… En terme d’improvisation, ce qui fait peut-être peur, c’est que le corps est tellement habitué à prendre et reprendre des positions un peu rigides… Mais en fait, tout est surtout lié à TRAJECTOIRE 106 Automne 2011 l’état d’esprit dans lequel on se met pour évoluer… Pour moi, il n’y a pas contradiction. C’est juste une manière de savoir comment communiquer et partager des émotions. Cela fait des années que vous dansez. En quoi le temps a-t-il modifié votre manière d’être sur scène ? A. D. : Cela fait 28 ans que je danse… Aujourd’hui, j’essaie d’aller au plus simple et au plus sobre. Quand on est en début de carrière, on met beaucoup de maquillage autour de ce qu’on veut faire passer. Maintenant, je cherche à danser avec de moins en moins de fard… J’ai compris qu’une danseuse qui pleure dans la scène de la folie de « Giselle » ne la rend pas forcément plus émouvante ! Et côté trac, l’expérience vous permetelle de le dompter ? A. D. : Je suis une traqueuse terrible… Et depuis que j’ai mes fils, c’est encore pire! (« C’est parce qu’avoir des enfants nous rend tout à coup mortels ! », intervient Jérémie…) Plus jeune, j’avais l’insouciance de la scène, la certitude que je pouvais tout risquer. C’était comme un saut à l’élastique : j’y vais, je tente les trois pirouettes ! Je le faisais et ça marchait… ou pas. Petit à petit on prend du métier, la technique vous lâche un peu mais le vécu et l’âge vous apportent autre chose. Ensuite, il y a plus de fragilité, de petites faiblesses qui ressortent. Cela rend l’artiste plus intéressant… mais plus traqueur, parce qu’il a la crainte de ne plus réussir à faire bien les choses. Moi, j’ai ce trac-là… Et côté projets ? A. D. : Ils s’enchaînent ! L’an prochain, nous partons en tournée aux Etats-Unis (New York, Chicago et Washington). On va danser notamment « Giselle » et « Orphée » de Pina Bausch, mais aussi du Lifar, du Roland Petit ou le Boléro de Béjart. Et nous aimerions reprendre le projet « Kennedy »… J’y crois beaucoup : un violoniste, des musiciens klezmer et deux danseurs « étoile » qui se jettent sur scène dans un spectacle basé essentiellement sur de la liberté et la spontanéité de l’instant… c’est du jamais vu ! C’est vertigineux, non ?! J. B. : C’est exactement ça ! Mais c’est aussi une célébration. Si on se met dans un état de joie et de générosité, je pense TRAJECTOIRE 107 Automne 2011 qu’on arrivera à partager notre plaisir. Et notre concept s’arrête là ! Vous avez deux fils. Comment réussissez-vous à concilier scène et vie de famille ? A. D. et J. B. : On aimerait leur faire vivre notre vie un peu farfelue. Il faut qu’ils comprennent pourquoi nous ne sommes pas toujours là pour leur lire une histoire le soir… Nous menons une vie extraordinaire, il faut qu’ils voient ce que nous faisons. D’ailleurs le « grand » (qui a 3 ans) nous a déjà dit : « Mais je veux danser avec vous ! » — RENCONTRE MUSIQUE Par Saskia GALITCH Photo Gregory BATARDON Gautier CapuÇon « Le violoncelle, on l’embrasse, on fait corps avec lui » Aussi fougueux que lumineux, le violoncelliste prodige Gautier Capuçon enflamme le cœur des mélomanes. Rencontré lors de sa venue au festival « ST Prex Classics », en août dernier, il a gentiment accepté de se prêter au jeu des questions… F ollement talentueux, jeune, passionné, joli garçon… Gautier Capuçon a l’étoffe d’une star. La gentillesse en plus, l’arrogance en moins. L’œil qui frise, chaleureux et sans chichi, il parle de sa vie et de ses envies, de ses passions, de ses projets. Et surtout de musique, bien sûr. Vous êtes très demandé et donnez en moyenne 150 concerts par an. N’est-ce pas éreintant ? C’est vrai. Mais la musique est mon langage, c’est ma manière de m’exprimer… et j’ai besoin de la partager sur scène, j’ai besoin des montées d’adrénaline que cela me provoque… comme j’ai besoin, aussi, de ce contact unique avec le public, de cette intimité et de cette liberté… Liberté ? Absolument ! Même si l’on doit jouer une partition, il y a tout de même une place immense pour l’artiste. Je suis un messager qui raconte une histoire. Cette histoire est écrite avec les notes d’un compositeur. Mais j’y mets mon propre ton ! Je ne vais pas changer ce qui est écrit. En revanche, j’ai mille manières de dire les choses… D’ailleurs, chaque concert est différent. Je peux jouer cent fois la même œuvre, mais le fait que ce soit dans une autre salle avec un autre public et dans un autre état d’esprit change tout. Un jour, je vais exprimer de la nostalgie, le lendemain de la douleur alors que le surlendemain, ça peut être joyeux… Je me nourris de musique mais ma musique se nourrit de ma vie et c’est donc vraiment variable à l’in- TRAJECTOIRE 108 Automne 2011 fini. En ce sens, oui, on a une vraie forme de liberté! A vous entendre, il est donc plus question d’interprétation que de technique ? Tout ce qu’on a travaillé est là, dans les doigts. Quand on est sur scène, on doit laisser parler l’interprète, dépasser l’aspect technique. La technique doit être au service de la musique mais n’est pas une fin en soi. Pour moi, un concert réussi est un concert où il s’est passé quelque chose entre le public et moi. Il s’agit d’une relation hyper intime, c’est comme si je me mettais à nu. Vous dites avoir eu un coup de foudre pour l’instrument… Je me souviens de ma rencontre avec le violoncelle, vers quatre ans… et ça a été un vrai coup de foudre, en effet ! Il y a quelque chose d’incroyablement sensuel, d’érotique, presque… on l’embrasse, on fait littéralement corps avec lui. Je n’aurais évidemment pas su mettre des mots sur ce que je ressentais déjà mais… ça m’a plu tout de suite ! suites pour violoncelle de Bach ou alors le répertoire symphonique… j’ai aussi écouté du jazz. D’ailleurs, j’ai commencé le piano à 6 ou 7 ans car je voulais acquérir suffisamment de bases techniques pour pouvoir me faire plaisir en jouant du jazz. Les bases, je les ai mais… je le ferai un jour ! Et la musique ? La musique a toujours fait partie intégrante de ma vie. Mes parents ne sont pas musiciens mais ils en écoutaient beaucoup, nous emmenaient au concert. Et puis mon frère aîné, Renaud, est violoniste et ma sœur, qui a dix ans de plus que moi, est pianiste. Et l’opéra? J’adore le chant. Le violoncelle est d’ailleurs l’instrument le plus proche de la voix humaine… Qu’écoutiez-vous ? Des trios de Brahms et de Schubert, les Quels sont vos projets ? Deux sonates de Brahms qu’on doit enregistrer avec Nicholas Angelich et un gros projet baroque qui va se concrétiser dans les deux ans à venir. Par ailleurs, à la rentrée, mon frère, Gérard Caussé, Nicho- TRAJECTOIRE 109 Automne 2011 las Angelich, Michel Dalberto, le quatuor Ebène et moi présentons une intégrale de la musique de chambre de Fauré. Et puis des concerts, évidemment… c’est décidément une sacrée période ! Je vais avoir trente ans mais j’ai l’impression que c’est l’année des débuts : débuts avec le Philarmonic de Berlin, avec le LSO, avec l’Orchestre de Chicago, avec l’Orchestre de Boston… bref, beaucoup de belles choses très importantes! Mais trouvez-vous encore un peu de temps pour vous et votre famille? Ce n’est pas simple mais j’apprends à gérer mon agenda et aujourd’hui, deux fois par année, j’arrive même à m’accorder quelques jours de vacances avec ma femme et ma fille (de 2 ans, ndlr). Mais sans violoncelle ! — RENCONTRE MUSIQUE Par Roger JAUNIN VLAD MAISTOROVICI « La musique est un vaste monde, presque l’infini » Né à Ploiesti, musicien de chambre engagé, à la fois interprète et compositeur, ce Roumain d’à peine 26 ans figure parmi les plus remarquables jeunes talents de la musique classique contemporaine. Rencontre à l’occasion du St Prex Festival. Votre mère, Sandra Hirlav Maistorovici était professeur de piano et l’ensemble de votre famille passionné de musique. Vous-même, à quel âge avez-vous réalisé quelle allait être « votre » vie ? Je n’ai pas de date précise à vous donner. Je pense que tout cela est venu graduellement, au fil des ans. Mais ce dont je me souviens, c’est que ma mère m’a enseigné les notes avant de m’apprendre les lettres. Et que, dès lors, et très jeune, il me paraissait « normal » de baigner dans la musique, d’en jouer moi-même. Enfant, j’ai dû faire ce que certains qualifieraient de sacrifices, mais cela ne m’est jamais apparu comme tel, puisque c’était mon choix. Vous n’avez que 26 ans, vous êtes déjà considéré comme l’un des plus remar- quables jeunes talents de votre génération : être doué cela suffit-il ? Certainement pas ! La musique est un vaste monde, presque l’infini. Et pour être à l’aise dans ce monde, pour comme on dit « être à la page », c’est beaucoup, beaucoup de travail. A l’image d’un sportif d’élite, un musicien se doit d’énormément travailler, chaque jour, presque à chaque instant. Vous êtes interprète, mais également compositeur : les deux choses vontelles de pair ? Dans mon esprit, elles ne vont pas l’une sans l’autre. Jouer la musique des autres, c’est tenter de ressentir ce que celui qui a composé a lui-même ressenti. Composer, c’est « offrir » à d’autres interprètes ce que TRAJECTOIRE 110 Automne 2011 vous-même avez voulu transmettre. Une sorte d’inversion des rôles qui me passionne, me fascine. La musique, comme on dit, c’est toute votre vie ? En elle-même elle n’est pas tout. La vie, ce sont des émotions, c’est ce que vous ressentez, vos joies, vos peines, tout ce que vous pouvez recevoir, absorber. Dans mon cas, la musique joue le rôle de filtre. Et c’est à travers elle qu’à mon tour je peux transmettre mes propres émotions. A votre âge on peut être tenté de faire des tas de choses autres que la musique : découvrir le monde, aller à la rencontre des autres… Mais c’est ce que je fais, et essentielle- © Vlad Maistorovici ment grâce à la musique ! C’est elle qui m’a permis de m’installer à Londres, de voyager, de faire des rencontres. Je ne suis en aucun cas « enfermé » dans la musique, au contraire. Avez-vous le temps, l’envie de vous intéresser à ce qui se passe sur l’ensemble de la planète. Et y êtes-vous sensible ? Bien sûr, et ceci d’autant plus qu’avec les moyens modernes de communication il est facile de se tenir, presque heure par heure, au courant de tout. Sur ce sujet je suis très clair : même si je suis fasciné par le passé, même si je suis très sensible à ce que l’on appelle les traditions et à ce qu’elles peuvent représenter, je n’aurai jamais voulu naître à une autre époque que dans celle que nous vivons. On est loin, là, de l’image du musicien ou du compositeur isolé dans sa bulle… Très loin, et c’est très bien ainsi. En fait, j’ai un côté très cartésien. Ainsi, en amateur, j’ai une passion pour la physique. Et une véritable fascination pour l’inconnu… L’art, en général ? J’aime particulièrement la sculpture, l’architecture aussi. Au-delà des couleurs, ce sont les formes qui m’intéressent. Et quand bien même cela peut paraître démodé, j’aime beaucoup la poésie… Mes racines roumaines y sont sans doute pour quelque chose. Revenons un peu à la musique : vous avez de grands projets, nombre de collaborations avec les plus grands or- TRAJECTOIRE 111 Automne 2011 chestres. Quel est celui qui vous tient le plus à cœur ? Je n’ai qu’une manière de fonctionner : le seul projet dans lequel je puisse m’investir totalement, c’est celui qui va venir demain. Je ne vois jamais plus loin, je m’investis totalement dans l’immédiat. Ainsi, aujourd’hui, ce qui me porte, c’est le travail que nous avons entrepris dans le cadre du Quatuor Mercury. Prendre la musique de Freddie Mercury et la jouer, amener en quelque sorte le rock au classique est un pari passionnant. J’aime cette phrase de Shakespeare qui dit que « Si la musique apporte l’amour, alors jouons ! ». Alors nous jouons… —