Le PaLais idéaL sous L`objectif
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Le PaLais idéaL sous L`objectif
Le Palais Idéal sous l’objectif texte de Charles Soubeyran Le Palais Idéal sous l’objectif texte de Charles Soubeyran 2012 Le Palais Idéal sous l’objectif Le Palais Idéal sous l’objectif Charles Soubeyran La photographie en rendant populaire le monument d’Hauterives, a inspiré le désir d’en connaître l’auteur et l’histoire. Ferdinand Cheval - La Vie Illustrée - 1905 Les photographies du Palais Idéal sont innombrables, depuis sa création jusqu’à nos jours : photos-souvenirs, cartes postales, images de grands photographes. Ce qui est moins connu, c’est le propre intérêt de Ferdinand Cheval pour la photographie de son œuvre, à plus d’un titre. En particulier, Cheval a joué un rôle de précurseur dans ce qu’on appelle « le droit à l’image ». En 1902, un photographe, Louis Charvat, met en vente les premières cartes postales du Palais chez les commerçants de la région. En 1906, Cheval s’insurge contre le procédé, fait sans son autorisation, et engage un procès qu’il gagne un an après, obtenant même la destruction des plaques pho- 3 4 Le Palais Idéal sous l’objectif tographiques. Ce jugement sera la première jurisprudence en la matière. On pourrait se dire qu’il s’agit d’une affaire de gros sous, Cheval ne voyant pas pourquoi un autre que lui gagnerait de l’argent avec l’image de son œuvre. Ce serait erroné. Pour vendre, les auteurs de cartes postales recherchaient bien souvent le « bizarre » dans la nature (rochers à caractère anthropomorphe par exemple) ou le pittoresque. Ils portaient un intérêt particulier aux créations d’origine populaire, qualifiées d’ailleurs de curiosités et d’excentricités. Bien souvent, le nom de l’auteur n’était pas mentionné. A la même époque, l’abbé Fouré semble avoir eu les mêmes préoccupations que le Facteur Cheval au sujet de ses rochers sculptés à Rothéneuf, en Bretagne, puisqu’il fera exécuter des cartes postales « authentifiées » par sa signature. On ne sait pas si Fouré et Cheval se connaissaient, mais ce qui est certain, c’est qu’ils figurent tous deux dans un article de la revue Lectures pour tous, intitulé : « Excentriques confrères de nos artistes » (juin 1907). Ces présentations sont contraires à la démarche de Cheval, qu’il voulait artistique et architecturale. Il avait une vision précise de son œuvre, comme en témoignent ses écrits. C’est sans doute pour cela qu’à partir de 1905, il fera photographier sous sa direction (et à son profit) le Palais. 5 Le Palais Idéal sous l’objectif Comment faire « voir » son Palais est une question qui le préoccupe. Ainsi, construit-il un belvédère (achevé en 1906 pour la partie la plus ancienne) « face au monument où les visiteurs viennent se reposer et jouir de la vue d’ensemble de l’œuvre... » (La Vie illustrée, 1905). Très clairement, il propose le point de vue « exact » d’où l’on doit contempler le Palais. Ce faisant, il s’inscrit dans l’acte photographique : déterminer l’endroit où le photographe installe l’appareil pour obtenir la meilleure vue possible. Il choisira également d’autres points de vue, en biais, depuis la terrasse de la maison. S’il fait appel à des professionnels pour prendre les vues du Palais (Joseph Douzet, entre autres), il est évident que c’est 6 Le Palais Idéal sous l’objectif lui le metteur en scène, le photographe n’étant que l’auxiliaire, le praticien. Cheval prend le plus grand soin à figurer sur les photographies accompagné de sa femme. Deux images sont caractéristiques de ce choix : - La première représente un panorama, pris du belvédère, en plongée, vue d’ensemble de la façade. Cheval y est présent en uniforme de facteur, ainsi que sa femme et d’autres personnages. Cette mise en scène contribue à donner une idée de la dimension du Palais. Le facteur, fermement campé sur ses jambes, manifeste nettement qu’il en est l’auteur. 7 Le Palais Idéal sous l’objectif « Le mot impossible n’existe plus/Le facteur l’a toujours vaincu » pourrait en être la légende. - La brouette, élément indispensable au charroi des matériaux, est le sujet d’une deuxième carte. Le costume de maçon remplace ici celui du facteur. Sans la brouette, le rêve n’aurait pu se concrétiser, ce que confirme la légende : « Je suis la fidèle compagne Du travailleur intelligent Qui chaque jour dans la campagne Cherchait son petit contingent. » L’auteur du Palais 8 Le Palais Idéal sous l’objectif La photographie va aussi contribuer à faire connaître Cheval dans le monde entier. Il n’est pas hostile, loin de là, à ce que la presse fasse état de ses travaux. Il répond volontiers aux demandes des journalistes, leur envoie des images. Dès 1886, les premiers articles paraissent, à l’échelle locale d’abord, puis nationale ensuite, mais aussi en Angleterre, en Allemagne, aux États-Unis. La plupart sont accompagnés de photographies, voire de textes de Cheval. Grâce à ces photographies/cartes postales, Cheval garde le contrôle de l’image de son œuvre pour la postérité. Elles sont le complément des différents textes qu’il écrira pour mettre en lumière la genèse du Palais et préciser sa pensée et sa vision. Ferdinand Cheval a ainsi non seulement « inventé » le Palais Idéal, mais l’a aussi explicité. C’est sans doute la première fois qu’un artiste d’origine populaire s’exprime sur son travail de cette façon. Après la disparition de son auteur, le Palais connaît une nouvelle destinée par l’intermédiaire du regard de poètes, de photographes et de cinéastes. En 1929, la venue du réalisateur Jacques-Bernard Brunius et de la photographe Denise Bellon entraîne celle d’André Breton à Hauterives en 1931, et suscite l’intérêt de nombreux artistes. Les photographies de Denise Bellon et de Brunius deviennent les nouveaux symboles du Palais et sont repro- 10 Le Palais Idéal sous l’objectif duites dans plusieurs magazines comme Vu, Match, Architecture Review, Visages du Monde. Brunius réalise en 1939 le premier film consacré aux artistes et inventeurs d’origine populaire : Violons d’Ingres, dans lequel une séquence est consacrée au Palais Idéal. Puis d’autres photographes exécuteront des séquences complètes sur le Palais. Gilles Ehrmann, ami de Breton, de Prévert et de Picasso, s’y rend en 1959 accompagné de Ghérasim Luca; il lui réserve un chapitre entier de son livre Les Inspirés et leurs demeures (1962), avec des textes de Cheval. André Breton fera figurer les photographies d’Ehrmann dans la réédition de Le Surréalisme et la Peinture (1965). En 1969, Henriette Grindat, photographe suisse, et le poète Alain Borne conçoivent Le Facteur Cheval (1969), premier livre entièrement consacré au Facteur. En 1958, Ado Kyrou, cinéaste proche des surréalistes, tourne le premier film dédié à Cheval, intitulé Le Palais Idéal. Claude et Clovis Prévost photographient le Palais, le filment et écrivent l’ouvrage le plus complet sur lui : Quand le songe devient réalité (1981). 11 Le Palais Idéal sous l’objectif On peut encore citer Robert Doisneau et, plus récemment, Mario Del Curto et Michel Guillemot ; la liste n’est pas close. La fascination exercée par le Palais Idéal est telle qu’elle « bouleverse » (au sens surréaliste du terme) les visiteurs. Son labyrinthe propose tant de points de vue et de perspectives poétiques qu’il entraîne les photographes, les écrivains et les artistes à se mesurer à lui. A André Breton qui écrit dans Le Revolver à cheveux blancs : « Nous les oiseaux que tu charmes toujours du haut de ces Belvédères. Et qui chaque nuit ne faisons qu’une branche fleurie de tes épaules aux bras de ta brouette bien aimée. Qui nous arrachons plus vifs que des étincelles à ton poignet Nous sommes les soupirs de la statue de verre qui se soulève sur le coude quand l’homme dort. » Ferdinand Cheval, de façon prémonitoire, rédige : « J’ai voulu dormir ici En créant ce rocher J’ai voulu prouver Ce que peut la volonté. Ce rocher dira un jour bien des choses. » Charles Soubeyran 12 Le Palais Idéal sous l’objectif Bibliographie Ouvrages Jean-Pierre Jouve, Claude et Clovis Prévost Quand le songe devient la réalité, Paris, A.R.I.E. éditions, 1994. Ouvrage le plus complet sur le sujet. Les textes cités de Cheval y figurent intégralement. Gilles Ehrmann, Les Inspirés et leurs demeures, Paris, Ed. Le Temps, 1962. Alain Borne, poète, Henriette Grindat, photographe, Le Facteur Cheval, Paris, Ed. Robert Morel 1976. Avec le facteur Cheval, Catalogue de l’exposition, Paris, Musée de la Poste, 2007. Habiter poétiquement le monde, Catalogue de l’exposition, Villeneuve d’Ascq, LAM, 2011. André Breton, Clair de Terre, Paris, Gallimard, coll. Poésie, 1966. Films Violons d’Ingres de Jacques-Bernard Brunius, inclus dans le DVD Brunius (2012), et dans le DVD Mon frère Jacques de Pierre Prévert (2004), tous deux chez Doriane Films. Le Palais Idéal d’Ado Kyrou, et Le Facteur Cheval (où le songe devient la réalité) de Claude et Clovis Prévost, Éditions du Palais Idéal, sans date. 13 Le Palais Idéal sous l’objectif 14 Le Palais Idéal sous l’objectif 15 Le Palais Idéal sous l’objectif Livret publié à l’occasion de l’exposition Centenaire du Palais Idéal du Facteur Cheval présentée à la Collection de l’Art Brut, à Lausanne, du 4 au 30 septembre 2012 Coordination : Anic Zanzi Graphisme et iconographie : Vincent Monod Relecture : Anne-Lise Delacrétaz, Chapitre Premier, Lausanne Photographies : 1ère série de cartes postales éditées par Ferdinand Cheval © Collection Palais Idéal du Facteur Cheval, Hauterives Nos vifs remerciements à Charles Soubeyran, à la directrice du Palais Idéal du Facteur Cheval, Marie-José Georges, à son équipe, ainsi qu’à la Municipalité de la Commune de Hauterives. Palais Idéal du Facteur Cheval Rue du Palais 8 F - 26390 Hauterives www.facteurcheval.com Collection de l’Art Brut Avenue des Bergières 11 CH - 1004 Lausanne www.artbrut.ch 16